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Art et architecture

Five Stone Markers (Cinq marqueurs de pierre)

Plus je vieillis, plus j’aime examiner l’art dans le contexte du quotidien. Les théories et les penseurs peuvent élucider l’art. Mais c’est aussi le cas de la météo, des nouvelles locales, du désordre dans la cuisine.

Hier, à une table couverte de munitions et d’équipement de camping, un ami m’a montré des images satellites de la rivière des Esclaves dans les Territoires du Nord‑Ouest. Il a pointé un virage en lacet, où, selon lui, se trouvaient des bisons sur la terre à l’intérieur de la courbe, qui dégageaient la neige avec leur grosse tête touffue pour manger l’herbe se trouvant en dessous. De ce point de vue en satellite, la rivière ressemblait à une corde boueuse ou à un lacet de mukluk en peau d’orignal qui aurait été piétiné. Les images ont fait penser mon ami à la chasse. Pour ma part, elles m’ont fait penser à la peinture. La forme ondoyante de la rivière, qui coule du nord-est de l’Alberta jusqu’au Grand lac des Esclaves, s’est insinuée dans mon esprit et s’est superposée à l’œuvre Cinq marqueurs de pierre d’Alex Janvier. Les contours des deux images ont fusionné, tout comme les nuances de vert. La peinture est devenue une carte. La topographie satellite est devenue une peinture.

M. Janvier ne peint pas directement des cartes ou des vues aériennes. Il est vu comme un maître de l’abstraction, qui explore davantage le subconscient, à la manière du peintre russe Vassily Kandinsky. Mais depuis plus de sept décennies à faire de l’art, M. Janvier se préoccupe de la terre et de la nature.

Il ne peint pas des cartes, mais l’œil humain a tendance à déceler des formes reconnaissables dans les compositions abstraites. D’ailleurs, en parlant de l’œuvre de Cy Twombly, la critique a qualifié ses taches blanches de « nuages », ses taches foncées de « terre », et ses gribouillis de « graffitis ». Les taches et éclaboussures de peinture évoquent des choses concrètes, et parfois des choses sauvages. Pablo Picasso a déjà vu un écureuil en plein milieu d’une des peintures cubistes de George Braque, et, selon les dires, Braque a sué sang et eau pendant huit jours pour essayer de trouver la créature et la tuer. Les peintres sont peut-être aussi des chasseurs.

D’origine dénésųłine et saulteaux, M. Janvier est né dans le Nord de l’Alberta près du lac Cold. Sur le site Web de la Première Nation de Cold Lake, on retrouve une carte du Nord du Canada. Un gros triangle jaune démarque le territoire des Dénésųłines, qui s’étend au nord-est jusqu’à Yellowknife, dans les Territoires du Nord‑Ouest, à l’ouest jusqu’à Churchill, au Manitoba, et au sud jusqu’au lac Cold. Une nouvelle vision se forme dans ma tête : le triangle déné est un canevas, peint avant les cercles rose pâle dans Cinq marqueurs de pierre, avant le lacet de mukluk qu’est la rivière des Esclaves, avant le troupeau de bisons sur la neige au printemps.

On a déjà dit de M. Janvier qu’il était le roi du lac Cold. Il ne porte pas de couronne, mais il semble avoir une très belle collection de chapeaux de cowboy. Il a été qualifié de géant, d’artiste influent et de poids lourd qui a insisté pour que l’art autochtone soit pris au sérieux dans notre pays. De 1966 à 1977, M. Janvier a signé ses peintures avec le numéro de son traité, 287, en signe de contestation des politiques gouvernementales contre les peuples autochtones. Son militantisme a préparé le terrain pour les générations futures d’artistes. Selon ses biographes, vivre près du lac lui permet de trouver la paix.

Cinq marqueurs de pierre est une œuvre harmonieuse, et l’application de la peinture semble réfléchie, lente. Traquer le bison est aussi un travail lent. Lorsqu’un troupeau de bisons se déplace, il le fait en ligne, car il est ainsi plus facile de marcher dans la neige profonde. La peinture de M. Janvier illustre des rivières et des routes, des collines et des plaines. J’y vois aussi un lieu de rencontre, un endroit pour les cérémonies avec quatre tipis. Je vois la terre dénée.


Sarah Swan est la directrice et conservatrice de la Galerie d’art des Territoires du Nord-Ouest.

Détails de l’objet

Artiste
Alex Janvier
Culture déné Réserve
Le Goff, Alberta, 1935

Titre
Five Stone Markers (Cinq marqueurs de pierre)

Date
1973

Technique
Acrylique sur toile

Dimensions
H : 43 cm
L : 54 cm

Crédit
Provient de la collection de la Couronne exposée dans les résidences officielles de la Commission de la capitale nationale
National Capital Commission - Commission de la capitale nationale

Droits d’auteur sur l’image
Alex Janvier

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