Débats du Sénat (Hansard)
2e Session, 41e Législature,
Volume 149, Numéro 31
Le mardi 4 février 2014
L'honorable Noël A. Kinsella, Président
- DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
- Allister MacGillivray, C.M.
- Les Jeux olympiques d'hiver de 2014
- Le Conseil communauté en santé du Manitoba
- La basilique-cathédrale Notre-Dame-de-Québec
- La Stratégie en matière de santé mentale
- AFFAIRES COURANTES
- PÉRIODE DES QUESTIONS
- ORDRE DU JOUR
- La Loi sur la gestion des finances publiques
- La Loi constituant la Commission canadienne de la santé mentale et de la justice
- Le Code criminel
- La Loi canadienne sur les droits de la personne
Le Code criminel - Le Code criminel
- L'étude sur les produits pharmaceutiques d'ordonnance
- Le Sénat
- Annexe - Liste des sénateurs
LE SÉNAT
Le mardi 4 février 2014
La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.
Prière.
[Traduction]
DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
Allister MacGillivray, C.M.
Félicitations à l'occasion de sa nomination au sein de l'Ordre du Canada
L'honorable Terry M. Mercer : Honorables sénateurs, en décembre dernier, on a remis l'Ordre du Canada à l'un des auteurs-compositeurs-interprètes les plus connus et appréciés des Canadiens. Allister MacGillivray, qui vient du Cap-Breton, a écrit plusieurs chansons et plusieurs livres sur la vie dans les campagnes de la Nouvelle-Écosse, notamment sur les mineurs et les pêcheurs du Cap-Breton.
Il a commencé très jeune et, depuis, il a parcouru le monde avec des artistes de renom, notamment le groupe Ryan's Fancy et le chanteur John Allan Cameron, avec qui il a participé à l'émission Grand Ole Opry, à Nashville, en 1970. Vous connaissez peut-être plusieurs de ses chansons les plus populaires : Coal Town Road, Sea People et Kitty Bawn O'Brien. Ces chansons d'ailleurs ont été reprises par Anne Murray, Foster & Allen, Denny Doherty et le chœur de mineurs Men of the Deeps.
Quoi qu'il en soit, honorables sénateurs, vous connaissez certainement Song for the Mira, qui a déjà été traduite dans plusieurs langues et dont il existe plus de 250 enregistrements. Si le sénateur Buchanan était ici, il pourrait maintenant m'aider, car il chantait souvent Song of the Mira. Il m'a déjà forcé à quelques reprises à l'accompagner sur scène. La voici :
Sur la Mira, par un bel après-midi,
De vieux pêcheurs lancent leur canne à pêche et leur cuillère
S'ils n'attrapent rien, ils se gardent bien de se plaindre
Ah, que j'aimerais être encore avec eux
[...]
Pouvez-vous imaginer un endroit plus digne des princes et des rois?
Je vous donnerais dix villes entières
Pour être au pont Marion et m'y complaire.
Honorables sénateurs, félicitons Allister MacGillivray, qui a bien mérité l'honneur d'être reçu à l'Ordre du Canada. Les artistes comme lui continuent de faire connaître le mode de vie des habitants des Maritimes. Notre histoire et notre culture sont très riches; espérons que les artistes de demain trouveront en Allister MacGillivray et les autres gens de sa trempe une source d'inspiration.
Les Jeux olympiques d'hiver de 2014
L'honorable Nancy Greene Raine : Honorables sénateurs, plus tard cette semaine les Jeux olympiques de Sotchi se mettront en branle, et le monde aura encore une fois droit à ce que je considère être la meilleure émission de télé-réalité de la planète. Même si certains médias s'intéressent davantage aux aspects des jeux qui n'ont rien à voir avec les sports, en ce qui me concerne, je vais m'en tenir aujourd'hui aux efforts qui ont été déployés pour constituer la meilleure équipe olympique canadienne de tous les temps.
Je suis sûre que vous vous rappelez tous la fébrilité qui nous habitait juste avant l'ouverture des Jeux olympiques de Vancouver, alors que nous nous demandions nerveusement si notre pays saurait relever les deux défis qui l'attendaient. En plus d'avoir pris la résolution d'organiser les meilleurs Jeux olympiques d'hiver de l'histoire, nous voulions surtout que nos athlètes puissent faire le plein de médailles chez eux. Je me rappelle à quel point nous étions emballés de voir Alexandre Bilodeau enfin mettre la main sur notre première médaille d'or en sol canadien. C'est une bonne chose qu'il ait pu le faire aussi tôt durant les compétitions, car il est alors devenu une source d'inspiration pour les autres athlètes, qui ont relevé le défi haut la main et ont permis au Canada de remporter un nombre record de médailles d'or. En fait, nous en avons gagné plus cette année-là que tous les autres pays.
Ce n'est pas un hasard si nous avons eu une si belle récolte de médailles en 2010. Ce fut plutôt le fruit d'un programme tout ce qu'il y a de sérieux et de solide appelé À nous le podium et qui avait été mis en œuvre huit ans plus tôt. Ce programme, financé par l'État et destiné aux sportifs de haute performance, a pu bénéficier d'un appui encore jamais vu des entreprises privées. Disons seulement que les résultats sont éloquents.
Quatre ans plus tard, à quoi peut-on s'attendre de la part des Canadiens qui iront à Sotchi? Premièrement, laissez-moi vous dire que nos athlètes sont plus résolus que jamais, et ils croient surtout dur comme fer que le Canada peut — et doit — exceller dans les sports d'hiver. Après tout, notre pays, c'est l'hiver, et nous avons prouvé à Vancouver que nous pouvions être les meilleurs au monde. Je sais en tout cas que nos athlètes rêvent d'un bilan encore plus glorieux qu'en 2010 et que les techniques qu'ils ont utilisées pour se préparer en prévision des Jeux de Vancouver feront sûrement effet encore cette année. Pendant les compétitions de la Coupe du monde de cette année, j'ai vu nos athlètes réaliser des performances qui les auraient menés droit sur le podium olympique, peu importe la discipline, mais n'oublions pas que la compétition n'a jamais été aussi féroce.
Honorables sénateurs, je me réjouis de voir que le gouvernement continue d'appuyer le programme À nous le podium, reconnaissant du coup le rôle important et utile que jouent nos athlètes olympiques à titre de modèles et d'ambassadeurs.
J'ai toujours été optimiste, et je ne doute pas un seul instant que les espoirs canadiens de médailles nous feront encore une fois honneur à Sotchi. Je voulais seulement que vous sachiez tout ce qu'ils ont dû endurer pour en arriver là. La plupart des organismes régissant les sports ont vu les commandites de sociétés décliner sensiblement après les Jeux olympiques, et un grand nombre d'athlètes de l'équipe nationale doivent assumer une partie des coûts de leur entraînement. Très peu d'athlètes olympiques bénéficient d'une commandite personnelle lucrative. Ils sont nombreux à organiser leurs propres activités de financement ou à devoir compter sur le portefeuille de papa et maman.
(1410)
Donc, au moment où nous nous apprêtons à suivre les athlètes canadiens à Sotchi, prenons la juste mesure des sacrifices qu'ils ont faits et de la difficulté de leur prestation lorsqu'ils jouent le tout pour le tout. En savourant leur victoire, cherchons des moyens de soutenir la prochaine génération de jeunes athlètes de partout au pays pour qu'ils puissent eux aussi trouver une façon de réaliser leur rêve.
[Français]
Le Conseil communauté en santé du Manitoba
L'honorable Maria Chaput : Honorables sénateurs, le 8 janvier 2014, j'ai eu le plaisir de rencontrer des représentants du Conseil communauté en santé du Manitoba, le CCS, qui fut créé en 2002.
Ceux-ci m'ont présenté la vision provinciale 2020 pour l'organisation des services de santé et des services sociaux en français au Manitoba.
Leur « Énoncé de vision » se lit comme suit :
Des soins sans frontières, un réseau intégré de soins continus de santé primaire et de services sociaux en français de qualité, pour mieux desservir tous les Manitobains et Manitobaines d'expression française.
L'accent est mis sur le mieux-être, la promotion de la santé et les soins de santé primaires, sur le principe de la collaboration, du partenariat et du réseautage.
Un modèle « Accès Santé » sera développé pour en faire la porte d'entrée aux services pour les francophones de Winnipeg. Il est également prévu de développer un modèle d'accès à ces services pour les francophones du milieu rural au Manitoba.
Le travail se fait dans un climat de collaboration et amène les partenaires autour d'une même table afin d'identifier les problèmes et d'apporter les solutions les plus pratiques et réalistes.
Je suis émerveillée de l'extraordinaire travail accompli depuis 2002 par le Conseil communauté en santé du Manitoba. Cet organisme a réussi à rallier les partenaires de la santé autour des enjeux prioritaires au Manitoba, qui influent sur les services sociaux et de santé en français dans la province.
Je remercie de tout cœur tous ceux et celles qui, depuis 2002, ont contribué au succès du CCS.
Je tiens à féliciter et à remercier de façon particulière le président, Émile Huberdeau, et la directrice générale, Annie Bédard, qui assurent présentement la direction du CCS.
Quelle belle réussite! La communauté francophone du Manitoba vous est redevable.
La basilique-cathédrale Notre-Dame-de-Québec
Le trois cent cinquantième anniversaire
L'honorable Suzanne Fortin-Duplessis : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd'hui pour souligner un événement exceptionnel survenu le 8 décembre dernier à la basilique-cathédrale Notre-Dame-de-Québec. En effet, j'ai eu l'immense privilège d'assister à la cérémonie marquant l'ouverture de la porte sainte par l'archevêque Gérald Cyprien Lacroix et le début des célébrations du 350e anniversaire de la paroisse Notre-Dame-de-Québec.
Érigée le 15 septembre 1664 par Mgr François de Laval, la paroisse Notre-Dame-de-Québec est la plus ancienne paroisse catholique d'Amérique. Les festivités entourant le jubilé de la paroisse offrent l'occasion d'un nouvel élan dans la vie de tous, croyants ou non, et nous invitent aussi à une plus grande justice sociale.
Tout au long de l'année 2014, de nombreux événements auront lieu à la basilique pour commémorer le jubilé de la paroisse, auquel vous êtes tous conviés. Plus de 200 000 participants sont attendus, et six concerts sont à l'affiche; près de 400 artistes s'y produiront grâce au travail d'une soixantaine de bénévoles.
Bien évidemment, l'importance de la présence de la porte sainte à Québec mérite d'être soulignée. La première et unique porte sainte d'Amérique est percée à même le mur de l'église et elle est la septième au monde. Outre les quatre portes saintes à Rome, et celles d'Ars et de Compostelle, nous sommes vraiment choyés de pouvoir avoir ici au Canada l'une de ces portes d'une symbolique des plus fortes. Le passage de la porte sainte en est un d'indulgence et d'humilité. Tous peuvent y passer, chrétiens ou non.
Depuis la cérémonie, Mgr Lacroix, archevêque de Québec, a accédé au rang de cardinal lorsque Sa Sainteté le pape François l'a nommé le 12 janvier dernier. Mgr Lacroix fera son entrée au sein du collège des cardinaux le 22 février prochain.
Honorables sénateurs, joignez-vous à moi pour le féliciter parce que cette nomination reflète l'immense contribution de l'archevêque Lacroix auprès de la communauté ecclésiastique canadienne. En devenant le troisième plus jeune cardinal de l'Église catholique, Mgr Lacroix apportera un vent de fraîcheur et je suis convaincue qu'il saura poursuivre son engagement avec tout le dévouement qu'on lui connaît. Homme humble et charitable, l'archevêque Lacroix est reconnu par ses pairs pour sa bonté et son immense générosité envers les plus démunis.
Honorables sénateurs, je vous invite à assister aux célébrations du 350e anniversaire de la paroisse Notre-Dame-de-Québec qui auront lieu tout au long de l'année 2014, et à voir ce joyau qu'est la porte sainte.
[Traduction]
La Stratégie en matière de santé mentale
L'honorable Catherine S. Callbeck : Honorables sénateurs, en mai 2012, la Commission de la santé mentale du Canada a publié la toute première stratégie nationale du pays en matière de santé mentale. Le rapport, qui s'intitule Changer les orientations, changer des vies, contenait plus de 100 recommandations à l'intention des intervenants, de tous les niveaux, pour améliorer le système de santé mentale au pays. Cette feuille de route vise à aider les différents intervenants — gouvernements, organismes, particuliers, fournisseurs de services, chercheurs — à travailler ensemble à améliorer le système de soins de santé mentale au pays.
L'ancienne ministre fédérale de la Santé a publié un communiqué le jour du lancement et a louangé la Commission de la santé mentale pour avoir élaboré la première stratégie du pays en matière de santé mentale. Près de deux ans plus tard, il s'est passé bien peu de choses. En dépit d'un modeste investissement, notamment pour prolonger le financement du projet Chez Soi, et des fonds affectés à l'amélioration de la collecte de données et des rapports, le gouvernement fédéral n'a pas fait d'effort concerté pour donner suite aux recommandations de la Commission de la santé mentale.
Malheureusement, nous pouvons constater chaque jour à quel point cette stratégie nationale est nécessaire. La Commission de la santé mentale signale que 43 p. 100 des Canadiens souffriront d'une maladie mentale ou connaîtront un problème de santé mentale au cours de leur vie. À l'heure actuelle, environ 1 million d'enfants et d'adolescents au pays sont aux prises avec une telle maladie ou un tel problème. On enregistre un taux élevé de troubles mentaux chez les personnes âgées qui vivent dans les centres d'hébergement et de soins de longue durée. Les Autochtones, les sans-abri et les détenus souffrent de troubles mentaux bien davantage que la population en général. Et environ 4 000 personnes par année se suicident au Canada.
Cette crise exige un travail acharné et une collaboration véritable à tous les niveaux. Tous les intervenants devront conjuguer leurs efforts pour mettre en œuvre les recommandations formulées par la Commission de la santé mentale. Comme me l'écrivait l'ex-ministre de la Santé, Leona Aglukkaq :
Pour régler le problème complexe de la maladie mentale, il faut que tous les ordres de gouvernement, les professionnels de la santé, les collectivités et les particuliers unissent leurs efforts.
J'exhorte le gouvernement à jouer un rôle de chef de file dans cette collaboration. Je crois que c'est seulement ainsi qu'on arrivera à améliorer la santé mentale de tous les Canadiens.
[Français]
AFFAIRES COURANTES
La justice
La Loi sur l'abrogation des lois—Dépôt du rapport annuel de 2014
L'honorable Yonah Martin (leader adjointe du gouvernement) : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport annuel de 2014, en vertu de la Loi sur l'abrogation des lois.
La citoyenneté et l'immigration
L'application de la Loi sur le multiculturalisme canadien—Dépôt du rapport annuel de 2012-2013
L'honorable Yonah Martin (leader adjointe du gouvernement) : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport annuel de 2012-2013 sur l'application de la Loi sur le multiculturalisme canadien.
(1420)
[Traduction]
Les travaux du Sénat
Préavis de motion tendant à changer l'heure du début des séances du mercredi et du jeudi et à modifier l'heure de l'ajournement du mercredi
L'honorable Yonah Martin (leader adjointe du gouvernement) : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :
Que, pour le reste de la présente session,
a) lorsque le Sénat siège un mercredi ou un jeudi, il siège à 13 h 30 nonobstant ce que prévoit l'article 3-1(1) du Règlement;
b) lorsque le Sénat siège un mercredi, il s'ajourne à 16 heures ou à la fin des affaires du gouvernement, selon la dernière éventualité, à condition de ne pas dépasser l'heure prévue dans le Règlement, à moins qu'il ait suspendu ses travaux pour la tenue d'un vote reporté ou qu'il se soit ajourné plus tôt;
c) lorsque le Sénat siège un mercredi après 16 heures, les comités devant siéger soient autorisés à le faire, même si le Sénat siège à ce moment-là, l'application de l'article 12-18(1) du Règlement étant suspendue à cet égard;
d) si un vote est reporté jusqu'à 17 h 30 un mercredi, le Président interrompe les délibérations au besoin immédiatement avant l'ajournement sans toutefois dépasser l'heure prévue au paragraphe b) et suspende la séance jusqu'à 17 h 30, heure de la tenue du vote reporté, et que les comités soient autorisés à se réunir durant la suspension de la séance.
PÉRIODE DES QUESTIONS
La défense nationale
Le Centre de la sécurité des télécommunications Canada—Le Service canadien du renseignement de sécurité—La surveillance
L'honorable Wilfred P. Moore : Chers collègues, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat.
Nous avons entendu hier le témoignage de représentants du Centre de la sécurité des télécommunications Canada et du Service canadien du renseignement de sécurité concernant leurs activités ainsi que le respect de leur mandat et des lois du Canada. Dans le cadre de ces témoignages, nous avons entendu que le Centre de la sécurité des télécommunications avait mené une opération d'espionnage à un aéroport canadien en 2012 et qu'à cette occasion, il avait balayé et recueilli les métadonnées des personnes qui se trouvaient dans l'aérogare.
Si le CSTC n'a pas le droit d'espionner les citoyens canadiens, pourquoi a-t-il décidé de mener cette opération d'espionnage sur le territoire canadien, dans un aéroport canadien, alors que cela va à l'encontre de son mandat?
[Français]
L'honorable Claude Carignan (leader du gouvernement) : Merci, sénateur, pour votre question.
Comme vous le savez, le mandat du SCRS est de protéger les Canadiens, et les activités de ces organismes sont régulièrement examinées par ce qu'on appelle les « chiens de garde indépendants », qui ont toujours conclu qu'ils agissent conformément à la loi.
J'aimerais également lire une déclaration du commissaire du centre, l'honorable Jean-Pierre Plouffe, qui disait, la semaine dernière :
En tant que commissaire, je suis indépendant du gouvernement et du CSTC. À ce titre, je ne reçois aucune directive de ministres de la Couronne ou du CSTC.
Au sujet de la récente divulgation non autorisée de renseignements confidentiels du Centre de la sécurité des télécommunications Canada, je peux affirmer que je suis au courant des activités en question sur les métadonnées. Le CSTC n'est autorisé à utiliser des métadonnées que pour connaître l'infrastructure mondiale d'information afin d'obtenir du renseignement sur des entités étrangères situées à l'extérieur du Canada, et de protéger les systèmes informatiques importants pour le gouvernement du Canada.
Des commissaires précédents ont examiné les activités du CSTC au sujet des métadonnées et ont conclu qu'elles étaient conformes à la loi et assujetties à des mesures complètes et satisfaisantes visant à protéger la vie privée des Canadiens. Le CSTC coopère pleinement avec mon bureau pour la conduite de notre examen approfondi en cours de ces activités qui a été officiellement approuvé à l'automne 2012. Si j'estime que les activités du CSTC peuvent-être illégales, j'ai l'obligation d'en faire rapport au ministre de la Défense nationale et au procureur général du Canada.
Donc, monsieur le Président, il est assez évident que, dans le cadre des activités du CSTC, l'organisme indépendant fait son travail et s'assure que ces activités sont faites conformément à la loi, et qu'il n'y a eu aucune violation à la loi et aucun Canadien ciblé, contrairement aux allégations.
[Traduction]
Le sénateur Moore : La commissaire à la protection de la vie privée a publié un rapport le 28 janvier, soit le mois dernier, dans lequel elle formule 10 recommandations visant à renforcer la législation canadienne sur la protection des renseignements personnels. Elle recommande notamment de réformer les lois afin de restreindre « la collecte excessive » de renseignements personnels par les services fédéraux du renseignement de sécurité.
À la lumière de l'opération menée par le CSTC dans un aéroport canadien, ne croyez-vous pas que le moment est venu d'apporter des changements importants à la législation canadienne sur la protection des renseignements personnels afin d'empêcher les abus et de donner l'assurance aux Canadiens que le gouvernement a la volonté de protéger leur vie privée?
[Français]
Le sénateur Carignan : Monsieur le Président, les activités de l'organisation de sécurité de notre pays sont déjà surveillées par des organismes indépendants qui constatent régulièrement qu'elle suit les lois canadiennes, et tout est fait en conformité, tous les mécanismes sont en place pour s'assurer du respect de la loi et de la vie privée.
[Traduction]
Le sénateur Moore : Monsieur le leader, la semaine dernière, la commissaire à la protection de la vie privée de l'Ontario, Mme Ann Cavoukian, a déclaré que le Canada doit se doter d'un chien de garde indépendant qui relève du Parlement afin d'empêcher le CSTC de violer la loi. Elle a fait une déclaration qui, à mon avis, est très importante. Elle a dit : « Sans protection de la vie privée, les libertés n'existent pas. »
Ainsi, selon la commissaire, nous ne pouvons avoir l'assurance que les organismes canadiens de sécurité respectent la loi si le Parlement n'exerce pas une surveillance adéquate. Ne croyez-vous pas que le moment est venu pour le Canada de se doter d'un organisme relevant du Parlement chargé de surveiller les activités des services canadiens du renseignement?
[Français]
Le sénateur Carignan : Sénateur Moore, comme je l'ai déjà expliqué, il y a un chien de garde indépendant qui s'assure du respect de la loi. Et j'aimerais vous citer un extrait du rapport 2012-2013, où le commissaire fait l'éloge des chefs du CSTC qui, et je cite :
[...] n'ont ménagé aucun effort pour développer au sein du Centre une culture de respect de la loi et de la vie privée des Canadiens.
Donc, tout est en place pour s'assurer du respect de la loi et de la vie privée.
[Traduction]
L'honorable Hugh Segal : Permettez-moi de renvoyer le leader du gouvernement au Sénat au témoignage livré hier devant un comité sénatorial. Je crois pouvoir dire sans me tromper que le directeur général du CSTC a indiqué que la nature de l'opération menée par l'organisme, qui consistait à surveiller les communications sur le réseau sans fil d'aéroports canadiens, résultait d'une directive secrète du ministre. Il a fait savoir sans équivoque que des directives secrètes ont été émises par d'anciens ministres de gouvernements antérieurs. À mon avis, nous sommes tous conscients que le secret s'impose parfois lorsqu'il en va de la sécurité nationale.
(1430)
Comme vous, je ne vois pas de problème dans le témoignage entendu hier. Je n'ai pas de difficulté à faire confiance au directeur du SCRS, au chef du CSTC ou au conseiller principal auprès du premier ministre du Canada. Je pense que ce sont tous des citoyens distingués qui font de l'excellent travail pour protéger les Canadiens. Cependant, après les négociations à Reykjavik avec Gorbatchev, quand il a été critiqué pour avoir négocié un désarmement nucléaire avec les Soviétiques, Ronald Reagan a dit : « Faisons confiance, mais vérifions. » C'est ce qu'a dit le président Obama à propos des Iraniens lors de ses plus récentes négociations avec eux : « Faisons confiance, mais vérifions. »
Le CSARS surveille les activités du CSTC en réponse à des plaintes, de façon rétroactive et à temps partiel. Le commissaire du CSTC auquel vous avez fait allusion, M. Plouffe, un juge distingué qui a bien rempli ses fonctions, doit composer avec le fait que Robert Décary, son prédécesseur, a déclaré qu'il n'était nullement en mesure de juger de la légitimité de ce qui se passait au CSTC.
Nous ne sommes pas comme les autres pays membres de l'OTAN — les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, l'Allemagne, la Belgique, l'Italie, les Pays-Bas, et même nos amis australiens et israéliens — qui disposent de mécanismes de surveillance indépendants et législatifs. Le Canada est un cas particulier. Il ne possède aucun mécanisme du genre.
En tant qu'agent du Parlement et leader du gouvernement au Sénat, le sénateur est-il préoccupé par le fait que le Canada est la seule démocratie de l'OTAN qui n'a pas de mécanismes législatifs de surveillance?
[Français]
Le sénateur Carignan : Honorables sénateurs, comme je l'ai expliqué tout à l'heure, nous avons un commissaire indépendant qui fait un travail. Est-ce que vous remettez en cause son indépendance?
La déclaration du commissaire est claire; il nous dit ceci :
Suite au reportage précité, je peux affirmer que je connais les activités relatives aux métadonnées décrites dans la plus récente divulgation non autorisée de renseignements classifiés du Centre de la sécurité des télécommunications du Canada.
La loi interdit au CSTC de cibler les Canadiens. En vertu de son mandat, le CSTC peut seulement utiliser les métadonnées pour comprendre l'infrastructure mondiale d'information, afin d'acquérir du renseignement électromagnétique étranger et de protéger la sécurité des technologies de l'information d'importance au gouvernement du Canada. Si je crois que les activités du CSTC sont illégales, je dois en informer le ministre de la Défense nationale et le procureur général du Canada.
Il poursuit en disant que ses prédécesseurs ont examiné également les activités et que tout est conforme à la loi et au respect de la vie privée des Canadiens. Donc, tout est conforme.
[Traduction]
Le sénateur Moore : Monsieur le leader, nous avons aussi appris que le CSTC a reçu presque 300 demandes des organismes de sécurité du Canada entre 2009 et 2012. Les représentants du CSTC minimisent la portée des activités de leur organisme à l'échelle nationale. Cependant, espionner les Canadiens semble faire partie de l'ordre normal des choses pour le CSTC. Dans son rapport, la commissaire à la protection de la vie privée du Canada recommande que le CSTC divulgue annuellement le degré de coopération qui existe entre les organismes canadiens de sécurité.
Il est clair, monsieur le leader, que d'autres organismes passent par le CSTC pour obtenir des renseignements qu'ils ne sont pas en mesure d'obtenir eux-mêmes aux termes de leur mandat. C'est tout à fait inapproprié. Ils les obtiennent de manière détournée.
Je le répète, n'êtes-vous pas d'avis qu'il est temps qu'un organe parlementaire surveille le travail de ces organismes?
[Français]
Le sénateur Carignan : Comme je l'ai expliqué, nous avons l'actuel commissaire du CSTC, ancien juge de la Cour d'appel de la Cour martiale du Canada, l'honorable Jean-Pierre Plouffe, qui assure déjà une surveillance indépendante, y compris des vérifications indépendantes, pour faire en sorte que les activités du CSTC s'effectuent toujours dans le respect de la loi.
Je réitère la citation du rapport de 2012-2013 qui, comme je le disais tantôt, établit clairement que :
Le CSTC a développé une culture de conformité à la loi et de réelle préoccupation en matière de protection de la vie privée des Canadiens.
[Traduction]
Le sénateur Moore : Vous avez mentionné, monsieur le leader, que les activités d'espionnage du CSTC sont surveillées par un organe indépendant et qu'il ressort du rapport du commissaire publié en 2012 que ces activités respectent les lois canadiennes. Vous avez cité le rapport. Permettez-moi de citer la Loi constitutionnelle de 1982 :
Libertés fondamentales :
2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :
a) liberté de conscience et de religion;
b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;
c) liberté de réunion pacifique;
d) liberté d'association.
À mon avis, monsieur le leader, on viole les libertés fondamentales des Canadiens tous azimuts. Voici un organisme qui espionne les citoyens et qui nous dit : « Nous ne savons pas ce qu'ils ont dit. Nous n'avons que leur numéro de téléphone. Nous n'avons que les métadonnées. » Autrement dit, ils savent qui sont les interlocuteurs.
On viole leur droit d'association. Ce n'est pas simplement une question de droit à la vie privée. Cela va plus loin. On viole leur droit à la liberté d'association. Si, en 2012, le commissaire croyait réellement ce qu'il disait, nous devrions examiner son travail de près, car il cautionne la violation de notre Charte des droits et libertés. Sachant cela, vous êtes certainement d'accord qu'un organe parlementaire devrait surveiller ces organismes et leur travail et vérifier qu'ils ne violent pas les droits des Canadiens.
[Français]
Le sénateur Carignan : Honorables sénateurs, le but du CSTC est justement de protéger les Canadiens et, comme je l'ai expliqué, les activités de ces organismes sont régulièrement examinées par des chiens de garde indépendants qui ont toujours conclu que le CSTC agissait conformément à la loi.
Encore une fois, j'aimerais vous citer le passage du rapport 2012-2013, dans lequel le commissaire a fait l'éloge des chefs du CSTC qui, je cite :
[...] n'ont ménagé aucun effort pour développer, au sein du centre, une culture de respect de la loi et de la vie privée des Canadiens.
Donc, honorables sénateurs, comme Canadien, je suis extrêmement rassuré qu'il y ait des organismes qui ont pour mission de protéger ma vie et ma sécurité, et qu'il y a un organisme, des chiens de garde indépendants, pour s'assurer de cet équilibre entre mes droits et la protection de ma vie privée.
[Traduction]
L'honorable Grant Mitchell : Hier, un des témoins qui a comparu devant le comité, le directeur du SCRS, M. Coulombe, a fait une remarque fort pertinente. En faisant allusion à lui-même, il a déclaré — et je paraphrase : « Nous ne pouvons pas faire notre travail si nous ne jouissons pas de la confiance des Canadiens. » Il a fait cette déclaration dans le contexte des allégations récentes de surveillance du réseau Wi-Fi qui ont manifestement ébranlé la confiance que les Canadiens accordent au milieu du renseignement au pays.
La confiance repose en partie sur le sentiment qu'une surveillance est exercée et que celle-ci est, dans une certaine mesure, objective. Comme les sénateurs Segal et Moore ainsi que d'autres collègues l'ont souligné, la situation est pour le moins douteuse. Tous les processus en place actuellement se trouvent en fait à l'intérieur de la structure gouvernementale. Le Cabinet est le seul directeur des politiques. Il n'y a pas de directeur des politiques à l'extérieur du Cabinet. En fait, le directeur du CSTC relève directement du ministre, ce qui lui procure d'énormes pouvoirs derrière des portes closes. Tout est très secret, et aucune lumière ne peut vraiment être faite sur quelque processus que ce soit.
Ne serait-il pas raisonnable de s'attendre à ce que les Canadiens fassent beaucoup plus confiance au milieu du renseignement si l'on créait un organe parlementaire de surveillance, qui à tout le moins compterait des représentants de tous les partis et qui relèverait directement du Parlement?
(1440)
[Français]
Le sénateur Carignan : Le Parlement a déjà choisi d'adopter un projet de loi pour encadrer le Centre de sécurité des télécommunications du Canada et adopté des mesures législatives pour protéger la vie privée des Canadiens. Les activités du CSTC sont examinées par un commissaire indépendant. Comme ce dernier l'a noté dans son rapport 2011-2012, le CSTC concentre ses activités sur les renseignements étrangers. Dans ce rapport, le commissaire a insisté sur le fait que toutes les activités du CSTC ont été autorisées et menées dans le respect de la loi, ce qui est un élément important pour rassurer les Canadiens et maintenir le lien de confiance avec les Canadiens.
Le commerce international
L'accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne
L'honorable Pierrette Ringuette : Ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. En octobre dernier, alors qu'on était occupés à des sujets difficiles, le gouvernement a annoncé qu'il avait conclu une entente de libre-échange avec l'Union européenne. Cela fait déjà presque quatre mois.
Quand le gouvernement et vous-même déposerez-vous, devant cette Chambre, le document officiel de cette entente?
L'honorable Claude Carignan (leader du gouvernement) : Merci, sénatrice, pour votre question. Il me fait plaisir que vous souligniez l'importance de cette entente, qui est un accord historique qui créera des milliers d'emplois pour les Canadiens, sans compter que les entreprises canadiennes auront un nouvel accès à un demi-milliard de nouveaux clients. Il ouvrira aussi de nouveaux marchés aux exportateurs canadiens à travers toute l'Europe, ce qui se traduira par d'importantes retombées, des emplois et toute sortes de possibilités pour les Canadiens. Les avantages de cet accord équivalent à la création de quelque 80 000 nouveaux emplois et à une hausse de 1 000 $ du revenu annuel par ménage canadien. Il y aura également l'élimination de 98 p. 100 de tous les tarifs de l'Union européenne dès le premier jour de l'entrée en vigueur de l'accord.
Je comprends votre hâte de voir le dépôt des textes juridiques. Nous nous attendons à ce que les textes finaux soient terminés. Je crois qu'ils doivent être traduits en 28 langues, si je me souviens bien. Dès que les textes finaux seront disponibles, ils seront déposés et rendus publics le plus rapidement possible.
La sénatrice Ringuette : Monsieur le sénateur, je comprends que, pour l'Union européenne, il faut traduire les documents en 28 langues, toutefois, au Canada, on se contenterait de deux langues, c'est-à-dire nos deux langues officielles. Cela fait trois mois que l'annonce de cet accord a été faite et j'anticipais avoir les documents plus tôt.
Par contre, même si vous ne pouvez nous donner une date, laissez-moi vous souligner l'impact très important, surtout pour nos régions rurales au Canada, sur le plan de l'importation des fromages. Vous savez que nos producteurs de lait et nos producteurs de fromage seront gravement touchés par cette entente.
Par comparaison, le Canada, tant avec la proposée entente de libre-échange avec l'Union européenne qu'avec l'entente actuelle entre le Canada et le Mexique, permet l'entrée au Canada de plus de 9 p. 100 de produits laitiers sur notre marché, y compris les fromages, alors que l'Union européenne n'en accepte que 1 p. 100 et les États-Unis, 2,5 p. 100.
La question fondamentale est la suivante : si l'entente n'est pas complétée, étant donné l'impact considérable sur le plan de notre production laitière au Canada, est-ce possible de faire inscrire une période de transition qui pourrait aller jusqu'à au moins 10 ans, pour permettre à notre industrie de se réajuster et de peut-être aller chercher d'autres marchés?
Dans l'Union européenne, les gens qui sont un peu au courant savent que, en ce qui concerne la Suisse, les subventions qu'elle offre à ses producteurs laitiers et à ses fromagers sont énormes. Pourtant, selon ce qu'on sait de l'entente, on n'a rien exigé de la Suisse ni même de la Finlande pour avoir un échange équitable dans le secteur laitier.
Ma question comporte beaucoup d'aspects. J'espère que vous allez au moins pouvoir répondre à une de ces questions. Si l'entente n'est pas signée de façon définitive, puisqu'elle n'est pas encore déposée dans l'une ou l'autre des Chambres, pour les secteurs les plus touchés, les producteurs laitiers de fromage, pourrait-il y avoir une période de transition d'au moins 10 ans?
La deuxième question : pourquoi n'a-t-on pas exigé de la Suisse, pays membre de l'Union européenne, qu'elle respecte les mêmes conditions de production et d'exportation laitières ainsi que les mêmes subventions gouvernementales que celles qu'on exige dans cette entente des producteurs canadiens?
Le sénateur Carignan : Nous avons conclu l'accord de principe avec l'Union européenne et rendu publics les détails de l'entente. Le 29 octobre, le premier ministre a déposé à la Chambre des communes le résumé des résultats négociés de l'accord commercial entre le Canada et l'Europe, et les avocats, comme je l'expliquais tout à l'heure, poursuivent leur travail sur les détails techniques et les aspects linguistiques.
En ce qui a trait à la gestion, voilà au moins une réponse. Vous avez parlé d'une partie importante qu'est la gestion de l'offre. En tant que fils d'agriculteur et de producteur de lait plus particulièrement, c'est un dossier auquel j'ai porté une attention particulière.
Notre gouvernement a toujours défendu le système canadien de gestion de l'offre, et nous allons continuer de le défendre dans cet accord.
Les trois piliers du système national de gestion de l'offre restent inchangés. Nous surveillerons les répercussions de cet accord historique sur le revenu des producteurs de lait, et, si les niveaux de production sont touchés de façon défavorable, les producteurs auront une aide financière, comme le ministre l'a déjà annoncé. Cet accord confirme une fois de plus que notre gouvernement continuera à défendre et promouvoir le système canadien de gestion de l'offre.
Vous n'avez pas à craindre de la volonté de ce gouvernement de défendre la gestion de l'offre. Je ne sais pas si je vous ai rassurée, mais je l'espère.
La sénatrice Ringuette : Non, sénateur, vous ne m'avez pas rassurée, parce que c'est une chose de défendre ou de dire qu'on défend le système de gestion de l'offre sur le plan de la production laitière, mais c'en est une autre d'accepter, dans une entente de libre-échange, que certaines parties, selon l'exemple que je vous ai donné tout à l'heure concernant la Suisse et la Finlande, aient un système fondé entièrement sur les subsides gouvernementaux pour leur production. Pourquoi a-t-on accepté cela? Pourquoi, dans ce dossier, sur le plan de la production laitière et de fromage, a-t-on accepté que les producteurs de la Suisse et de la Finlande puissent continuer à bénéficier de subsides gouvernementaux, alors que nos producteurs, à travers le programme de gestion de l'offre, n'ont aucun subside de la part du gouvernement canadien?
(1450)
Le sénateur Carignan : Sénatrice Ringuette, vous l'avez noté. C'est un accord historique qui créera des milliers d'emplois pour les Canadiens, sans compter que les entreprises canadiennes auront accès à un demi-milliard de nouveaux clients. Il ouvrira également des marchés aux entreprises canadiennes à travers toute l'Europe et se traduira par d'importantes retombées en matière d'emplois et de possibilités pour tous les Canadiens. C'est la raison pour laquelle notre gouvernement, par rapport à la gestion de l'offre et plus précisément aux producteurs de fromage, a pris l'engagement ferme de continuer à défendre le système de gestion de l'offre et si, compte tenu des répercussions de ces accords historiques, il y avait des impacts négatifs sur les revenus des producteurs laitiers, et si les niveaux de production sont touchés de façon défavorable, les producteurs auront une compensation, une aide financière, pour leur permettre d'absorber les répercussions négatives durant cette période de transition.
La sénatrice Ringuette : Il est déterminé par l'Association des producteurs laitiers du Canada qu'ils vont perdre une part de 2,2 p. 100 de leur production actuelle pour le lait, et qu'il y aura une réduction d'au moins 4 p. 100 pour ce qui est de la production de fromage. En moyenne, chaque producteur laitier sera touché par une diminution de revenu considérable.
Nonobstant tout cela, il y a aussi un élément fondamental, soit le degré de surveillance que nous aurons à nos ports d'entrée pour identifier la marchandise importée sous cet accord.
Je vous donne un exemple. Nous avons une entente de libre-échange avec les États-Unis. On me rapporte que, toutes les semaines, des camions remplis de lait en provenance des États-Unis entrent à notre port d'entrée de Woodstock, au Nouveau-Brunswick. Ils vont chercher à coups de camion la production laitière aux États-Unis alors que le lait ne peut être importé au Canada que pour la consommation personnelle. Pourtant, cela se produit chaque semaine. Il n'y a aucune surveillance. Comment voulez-vous que les producteurs laitiers aient confiance dans l'accord et dans le degré de surveillance que vous allez y apporter?
Le sénateur Carignan : Comme je le disais, les trois piliers de notre système national de gestion de l'offre demeurent inchangés et le gouvernement s'engage à vous assurer que si les répercussions de cet accord historique touchent de façon défavorable les revenus des producteurs laitiers et/ou les niveaux de production, une compensation financière sera disponible.
[Traduction]
ORDRE DU JOUR
La Loi sur la gestion des finances publiques
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Report du débat
L'ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Moore, appuyée par l'honorable sénateur Day, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-204, Loi modifiant la Loi sur la gestion des finances publiques (emprunts de fonds).
L'honorable Joseph A. Day : Honorables sénateurs, je n'ai pas eu l'occasion de parler à la sénatrice Martin concernant l'article no 11, mais je m'y intéresse et je voudrais prendre la parole à ce sujet. Je remarque que nous en sommes à 14 jours.
Je me demande premièrement si la sénatrice Martin prévoit prendre la parole et voudrait remettre le compte des jours à zéro. Ou encore, puis-je demander que le débat soit ajourné à mon nom? En revanche, si la sénatrice Martin le souhaite et si elle a l'intention de prendre la parole, j'inviterais les sénateurs à permettre que le débat soit ajourné à son nom.
L'honorable Yonah Martin (leader adjointe du gouvernement) : Oui, je suis consciente que nous en sommes au 14e jour. Merci de poser la question, sénateur Day.
J'examinerai le dossier attentivement et j'en reparlerai demain.
(Le débat est reporté.)
La Loi constituant la Commission canadienne de la santé mentale et de la justice
Deuxième lecture—Ajournement du débat
L'honorable James S. Cowan (leader de l'opposition) propose que le projet de loi S-208, Loi constituant la Commission canadienne de la santé mentale et de la justice, soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, je compte prendre la parole sur ce projet de loi, mais d'autres dossiers ont monopolisé mon attention, et je n'ai pas terminé de préparer mes notes. Je voudrais ajourner le débat à mon nom, pour temps de parole qu'il me reste.
(Sur la motion du sénateur Cowan, le débat est ajourné.)
Le Code criminel
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Ajournement du débat
L'honorable Pierre-Hugues Boisvenu propose que le projet de loi C-452, Loi modifiant le Code criminel (exploitation et traite de personnes), soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, c'est un grand honneur pour moi de présenter au Sénat le projet de loi C-452, dont le but est d'aider les victimes de la traite des personnes à obtenir justice et de veiller à ce qu'elles soient mieux protégées.
[Français]
Je désire remercier Mme Maria Mourani, députée indépendante, d'avoir défendu ce projet de loi dans l'autre Chambre, où a été adopté à l'unanimité.
Trois étapes précises caractérisent la traite des personnes : le recrutement, le transport et l'hébergement d'une autre personne dans le but précis de l'exploiter, notamment sexuellement, ou de la soumettre à du travail forcé.
(1500)
L'une ou l'autre de ces étapes suffit à constituer un crime de traite de personnes.
Avant de présenter le projet de loi, j'aimerais donner une rapide description de la traite de personnes au Canada. C'est malheureusement un délit important dans notre pays, plus spécifiquement au Québec. C'est d'ailleurs pour cette raison que le ministre de la Sécurité publique, M. Steven Blaney, annonçait le 9 décembre 2013 la création, au sein de la GRC, d'une escouade spécialisée dans la traite des personnes.
Au Canada, on estime qu'entre 80 et 90 p. 100 des personnes victimes de traite le sont en vue d'alimenter l'industrie du sexe. Le Canada est aussi considéré comme un pays touristique. Il ne s'agit pas seulement de tourisme conventionnel, mais aussi de tourisme sexuel. Pour beaucoup de criminels, la mollesse de nos lois les attire chez nous, et cela maintient leurs victimes dans le silence.
Malheureusement, et contrairement à ce qu'on pourrait penser, ce type d'activité criminelle ne se commet pas uniquement dans les pays en voie de développement. Le rapport de 2001 du Service canadien de renseignement criminel établit que l'âge moyen d'entrée dans la prostitution au Canada est de 14 ans.
[Traduction]
Au Canada, la majorité des victimes de traite des personnes sont des femmes âgées de 12 à 25 ans. Ces statistiques remontent à plus de 10 ans. Aujourd'hui, les victimes sont encore plus jeunes. Voici un exemple.
[Français]
Il y a deux ans, je rencontrais en Montérégie, au sud de Montréal, un groupe d'intervenants travaillant auprès de jeunes filles en difficulté. J'ai été surpris, ou plutôt, car le mot est peut-être trop faible, sidéré et bouleversé d'apprendre que ces professionnels suivaient près de 200 jeunes filles de 12 et 13 ans qui se prostituaient, souvent pour des dettes de drogue, 200 fillettes dont nous perdrons sans doute la trace au cours des années à venir, parce qu'elles seront entraînées vers d'autres villes pour être exploitées sexuellement.
Selon les chiffres de 2004 du département d'État des États-Unis, on estime que, chaque année, de 1 500 à 2 000 personnes seraient victimes de traite des personnes au Canada et transférées vers les États-Unis.
[Traduction]
On estime que, chaque année, des trafiquants font entrer environ 600 femmes et enfants au Canada pour les mettre au service de l'industrie du sexe.
[Français]
Ce commerce odieux est dominé par le crime organisé. Les gangs de rue sont devenus de nouveaux joueurs depuis maintenant des années. D'ailleurs, le SPVM, la police de Montréal, et la GRC, tout comme d'autres corps policiers au Canada, ont inscrit la traite des personnes dans leurs priorités de lutte contre la criminalité.
On estime que, depuis la fin des années 1990, les membres des gangs de rue sont passés du statut de petits recruteurs à celui de proxénètes de haut niveau. De plus, ils se spécialisent dans la prostitution juvénile de jeunes filles majoritairement âgées de 11 à 18 ans. Une fille peut rapporter autour de 280 000 $ par année à son souteneur. On peut facilement calculer que 20 filles peuvent rapporter autour de 6 millions de dollars par année à un souteneur. Imaginez maintenant ces 200 fillettes de la Rive-Sud de Montréal qui ont été ainsi exploitées. On peut parler de centaines de millions de dollars. La traite des personnes figure parmi les trois activités les plus lucratives du crime organisé.
[Traduction]
En fait, les revenus mondiaux générés par ce crime sont évalués à quelque 10 milliards de dollars américains par année.
[Français]
Or, les crimes commis par ces personnes — que je qualifierai carrément d'esclavagistes — sont d'une extrême gravité. Les victimes sont toujours torturées, séquestrées, violées, obligées de se prostituer, parfois même disparaissent, purement et simplement, assassinées. Il est donc important qu'on tienne compte de ces éléments.
Ce projet de loi vise donc à ce que les peines imposées pour la traite de personnes ou pour proxénétisme soient dorénavant calculées de manière consécutive à d'autres peines pour un même événement.
[Traduction]
L'autre problème que les policiers et les procureurs ont soulevé, c'est leur capacité d'amener une victime à témoigner.
[Français]
Le problème rencontré par les professionnels au sein de notre système de justice et pour ce genre de criminalité est que les victimes ne veulent pas témoigner. Pourquoi? Parce qu'elles ont peur, parce qu'elles vivent un stress post-traumatique important et qu'elles ont peur qu'on s'en prenne à elles à nouveau. Plusieurs groupes qui s'occupent de ces victimes me le disent tous les jours. La victime ne doit plus porter le fardeau de la preuve.
[Traduction]
Le Canada ne peut plus accepter que seulement une femme sur dix porte plainte contre son agresseur, et que 40 p. 100 de ces femmes abandonnent leur plainte au cours des poursuites judiciaires.
[Français]
Afin d'encourager la dénonciation par les victimes, nous apporterons un autre changement important au Code criminel. Actuellement, en ce qui a trait au proxénétisme, le paragraphe 212(3) du Code criminel prévoit le renversement de la preuve. Ce même principe a donc été introduit dans ce projet de loi au paragraphe 279.01(3) : le renversement de la preuve pour le délit de traite de personnes.
Ainsi, à partir du moment où les policiers auront assez de preuves pour porter des accusations, ils n'auront pas forcément besoin de faire témoigner la victime. Le renversement de la preuve existant pour le proxénétisme, nous l'appliquerons ainsi à la traite des personnes.
[Traduction]
Ainsi, le proxénète devra prouver qu'il ne vit pas des produits de l'exploitation d'une autre personne, ce qui évitera à la victime de devoir témoigner.
[Français]
Un autre aspect important de ce projet de loi est celui traitant de la confiscation des fruits de la criminalité. Je vous le disais plus tôt, la traite de personnes rapporte beaucoup d'argent. C'est payant pour deux raisons; tout d'abord, parce qu'une fille peut rapporter beaucoup d'argent à un proxénète, et également parce que la possibilité qu'elle porte plainte contre ce dernier est extrêmement faible. Le proxénète n'a pas besoin de faire de gestion ou de grosses dépenses pour faire fonctionner son commerce.
Actuellement, l'article 462.37 du Code criminel, qui concerne justement la confiscation des biens de la criminalité, permet de confisquer les biens obtenus criminellement pour les infractions d'organisation criminelle passibles d'un emprisonnement de cinq ans ou plus, et pour toute infraction en vertu des articles 5, 6 ou 7 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
Les infractions de traite de personnes et de proxénétisme feront aussi dorénavant partie de cet article. Le projet de loi ajoute donc ces deux dispositions à l'article 462.37.
[Traduction]
Pour conclure, j'aimerais vous demander, honorables sénateurs, de poser un geste important pour les victimes de la traite des personnes en appuyant le projet de loi. N'oublions pas qu'il n'est pas nécessaire de se rendre en Thaïlande pour voir des enfants âgés d'à peine 12, 13 ou 14 ans être victimes de la traite.
[Français]
Il faut se souvenir également que des adultes sont malheureusement aussi victimes de ce commerce. Ce commerce — si on peut parler de commerce — exploite majoritairement des femmes, des jeunes filles et des enfants. Je le qualifierais plutôt d'esclavage.
[Traduction]
Nous devons nous élever au-dessus de toute partisanerie sur ce sujet. Nous avons le devoir de renforcer le Code criminel en ce qui a trait à la traite des personnes.
[Français]
Je tiens à remercier mes collègues et je les invite à appuyer ce projet de loi au nom de la justice, mais surtout au nom de l'humanité. Merci.
(Sur la motion de la sénatrice Fraser, le débat est ajourné.)
[Traduction]
La Loi canadienne sur les droits de la personne
Le Code criminel
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat
L'ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Mitchell, appuyée par l'honorable sénatrice Dyck, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-279, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel (identité de genre).
L'honorable Grant Mitchell : Monsieur le Président et chers collègues, c'est en raison de circonstances uniques que je me retrouve à parler pour la deuxième fois de ce projet de loi à l'étape de la deuxième lecture. Il est assez rare qu'une telle situation se produise. Dans un certain sens, il est regrettable que ce soit le cas de cette mesure législative, parce qu'elle s'était rendue à l'étape de la troisième lecture lors de la dernière session et qu'elle aurait pu faire l'objet d'un vote.
(1510)
Bien sûr, je parle du projet de loi C-279, qui vise à modifier la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel de manière à protéger les droits, l'intégrité physique et le bien-être psychologique des personnes transgenre, ainsi qu'à affirmer et à reconnaître l'importance du problème de la discrimination dont ces personnes sont victimes dans notre société.
Il importe de signaler que, s'il m'est donné de parler une deuxième fois à l'étape de la deuxième lecture de ce projet de loi, c'est à cause d'un ensemble de règles régissant les projets de loi d'initiative parlementaire, du côté ministériel, après la prorogation.
C'est le député néo-démocrate Randall Garrison qui a élaboré et parrainé le projet de loi. Je le félicite de son travail.
Je dois signaler que le projet de loi a été adopté avec l'appui de tous les partis à la Chambre des communes. Il y a eu des appuis dans tous les partis. Dix-huit députés conservateurs l'ont appuyé, dont quatre ministres et au moins un ancien ministre. Voilà qui en dit long sur le contexte dans lequel l'étude s'est faite à cet endroit et sur l'importance d'une approche des projets de loi et des questions d'actualité qui soit dénuée de tout esprit de parti.
J'interviens donc à l'étape de la deuxième lecture car le Règlement prévoit qu'après une prorogation, les projets de loi d'initiative parlementaire, peu importe le stade où ils en étaient au Sénat — ayant donc été renvoyés de la Chambre des communes au Sénat — reviennent à l'étape de la première lecture de façon automatique. Le projet de loi est donc revenu au stade de la première lecture.
Les choses se seraient passées autrement s'il s'était agi d'un projet de loi d'initiative ministérielle. Si un tel projet de loi était parvenu au Sénat à l'étape de la troisième lecture, mais sans que le vote ait lieu, au moment de la prorogation, il n'aurait plus été inscrit au Feuilleton de l'une ou de l'autre Chambre. Voilà donc une situation tout à fait particulière. C'est une règle propre au Sénat.
Il est inspirant de pouvoir revenir sur cette question tellement importante pour le tissu même de la société canadienne. Cette mesure aborde les droits d'une manière qui est généralement fidèle à ce qu'est le Canada et à l'image qu'on s'en fait à l'étranger : une société belle et magnifique, tolérante et chaleureuse qui comprend les droits de la personne et reconnaît l'importance profonde de chacune des personnes qui la composent. Le projet de loi reflète cette réalité.
Par ailleurs, il est regrettable que je doive prendre la parole pour une deuxième fois. Cela tient seulement au fait que le projet de loi, parvenu à l'étape de la troisième lecture, n'a pas fait l'objet d'un vote. D'après les échanges que j'ai eus avec des collègues des deux côtés de notre assemblée, avant la troisième lecture, à la session précédente, il existait un appui solide — voire unanime — de ce côté-ci, et un appui considérable parmi les membres du caucus conservateur.
Le problème, c'est que le vote n'a pas eu lieu. J'invite tous les sénateurs à encourager ceux qui décident de la mise aux voix de projets de loi comme celui-ci à faire en sorte que ces mesures fassent effectivement l'objet d'un vote.
Nous ne songeons que très rarement à rejeter un projet de loi ministériel. Pourquoi? Parce qu'il a été appuyé et adopté par les représentants élus. Par contre, nous sommes un peu plus cavaliers, au Sénat, lorsqu'il s'agit de rejeter des projets de loi d'initiative parlementaire. Au niveau fondamental de la représentation démocratique, un projet de loi de député adopté à la Chambre des communes ne reflète pas moins qu'un projet de loi ministériel la volonté des Canadiens, exprimée par l'entremise de leurs représentants élus.
Calculons les appuis. Si on considère que le gouvernement a recueilli 40 p. 100 des suffrages aux dernières élections, tout projet de loi qui ne reçoit pas l'appui de l'opposition reflète la volonté, statistiquement, de 40 p. 100 de la population. Par contre, si on considère que toute l'opposition, plus 18 p. 100, ce qui est supérieur à 10 p. 100 du caucus conservateur, ont appuyé ce projet de loi, on peut dire que plus de 60 p. 100 des électeurs canadiens ont exprimé leur soutien par l'entremise de leurs députés respectifs. Le projet de loi reçoit donc un appui imposant, le soutien d'une large majorité, si on tient compte du soutien des députés de l'opposition, des députés ministériels qui ont voté en faveur, et du soutien qu'ils ont reçu aux dernières élections.
Il s'agit donc d'un projet de loi formidable qui reçoit un soutien démocratique tout aussi formidable. Et il ne devrait pas être moins important qu'il fasse l'objet d'un vote que s'il s'agissait d'un projet de loi ministériel venant de l'autre endroit.
Je dois dire qu'un autre élément différencie le projet de loi à l'étude de celui que nous avions étudié à l'étape de la troisième lecture : il ne contient plus l'amendement qui avait été proposé par la sénatrice Nancy Ruth. Nous connaissons tous sa passion profonde pour l'égalité des droits et les droits de femmes. Nous pouvons tous comprendre ce que son amendement aurait fait. Il aurait ajouté le terme « sexe » aux facteurs pris en compte aux termes du Code criminel pour déterminer le degré de gravité d'un acte de violence, d'un crime contre la personne motivé par ce facteur. Il s'agissait donc, de façon générale, de réprimer la violence contre les femmes, mais aussi la violence contre les hommes. Nous comprenons tous et admirons la passion et le sérieux avec lesquels la sénatrice aborde ces questions.
Chose curieuse, cet amendement a disparu. Nous revenons au point de départ. En fait, le gouvernement a repris l'amendement de la sénatrice dans le projet de loi C-13, qui porte sur la cyberintimidation. L'article 12 de ce projet de loi comprend le sexe dans les nouvelles définitions des groupes identifiables dans le Code criminel aux termes du paragraphe 318(4) : origine ethnique, âge, handicap mental et physique.
Par conséquent, l'amendement proposé au projet de loi par la sénatrice Nancy Ruth a été rendu inutile, si je peux dire, par le projet de loi C-13 du gouvernement. C'est toute une percée pour les droits des femmes, pour la reconnaissance de ces droits et pour la lutte contre violence faite aux femmes. Dans une certaine mesure, cela facilitera l'étude du projet de loi C-279. Je ne dis pas que cet amendement aurait nécessairement retardé l'adoption du projet de loi, mais il y avait des gens, dans le grand public, qui éprouvaient cette crainte. Maintenant, cet élément est écarté, peut-on dire, parce qu'un autre projet de loi a réglé la question.
J'ai dit que c'est une question importante, et nous savons tous qu'elle l'est parce qu'elle concerne les droits, et notamment le droit à l'égalité, et qu'elle reflète ce que nous, Canadiens, croyons être. Nous ne sommes pas parfaits en matière de discrimination, mais nous sommes loin devant beaucoup d'autres sociétés et pays du monde. Je crois que nous avons de quoi être très fiers.
L'une des réalisations dont je suis le plus fier — c'est peut-être aussi l'une des meilleures choses que j'ai faites en politique — était liée à l'un des premiers grands projets de loi sur lesquels j'ai travaillé après ma nomination en 2005. Il s'agissait du projet de loi sur le mariage entre personnes du même sexe. Je me souviens d'avoir fait partie du comité, qui comprenait, entre autres, le sénateur Joyal. Nous avions siégé pendant tout l'été et avions entendu quelques témoignages remarquables. Je crois bien d'ailleurs que notre Président faisait lui-même partie du comité.
Ce fut une expérience très intense pour moi, qui m'a permis d'entendre les deux sons de cloche. Je n'oublierai jamais la qualité des témoignages et l'esprit manifesté par les témoins qui ont comparu devant le comité.
Pour moi, l'adoption du projet de loi a été l'un des événements dont je suis le plus fier au cours des nombreuses années que j'ai passées ici. J'ai eu l'impression que cet événement reflétait notre nature, en tant que Canadiens. J'estime qu'il a aussi fait boule de neige dans le monde. Nous n'avons peut-être pas été le premier pays à reconnaître officiellement le mariage homosexuel, mais nous étions parmi les premiers. Je crois que les Canadiens peuvent en être extrêmement fiers.
L'aspect intéressant du débat sur le mariage entre personnes du même sexe, c'est que beaucoup des arguments avancés contre ce mariage ont bel et bien été rejetés, notamment les arguments selon lesquels il nuirait à la famille, affaiblirait la trame de la société, dégraderait le concept de la responsabilité parentale et susciterait un dilemme sur la question de savoir si les couples homosexuels seraient autorisés à élever des enfants.
Le mariage gai n'a pas eu de répercussions négatives sur notre société. Je dirais que, bien au contraire, notre société compte maintenant beaucoup plus de gens heureux parce qu'ils peuvent exprimer leur amour pour quelqu'un de la façon qu'ils ont choisie et qu'ils sont reconnus par notre société en étant admis à l'une de nos plus hautes institutions, le mariage. Pour moi, l'expérience a été très intense et m'a rendu très fier.
(1520)
Nous avons maintenant l'occasion d'aller plus loin en étendant les droits et, en un sens, la reconnaissance. Je sais que cette question de droits suscite beaucoup d'émotion dans ce genre de débat. Permettez-moi donc de préciser les choses. Le projet de loi étend la reconnaissance en modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne de façon à définir les personnes transgenres comme groupe identifiable aux termes du Code criminel, ce qui leur permettrait de mieux se défendre dans notre société.
Ce n'est donc pas une simple question de droits qui, comme je l'ai dit, suscite beaucoup d'émotion. C'est une question de reconnaissance de la place de ces gens dans notre société pour leur permettre d'affronter l'aliénation et l'exclusion qu'ils ressentent non seulement dans la société, mais parfois aussi dans leur propre famille.
Le projet de loi permet aussi de protéger des gens. Quand je considère le projet de loi C-13 contre l'intimidation, je constate que le projet de loi C-279 peut bel et bien servir pour lutter contre l'intimidation. Le projet de loi C-279 est absolument une extension sinon un enrichissement du projet de loi C-13. Bien des gens qui seraient protégés dans une certaine mesure par les mesures législatives contre l'intimidation, qui sont harcelés en ligne, sont en fait des personnes transgenres et, contrairement à d'autres groupes, ils ne bénéficieront pas de la même reconnaissance dans le projet de loi C-13. Pourtant, selon beaucoup d'indices, les personnes transgenres sont probablement le groupe le plus ciblé par l'intimidation dans notre société. On est en fait fondé à croire que, en matière de violence contre des groupes ayant des caractéristiques identifiables, ces gens constituent le groupe qui souffre le plus de violence psychologique, et probablement physique, au Canada.
Nous avons donc une occasion de nous distinguer et de témoigner de ce que, à mon avis, nos concitoyens croient sincèrement au fond de leur cœur, à savoir que tous les Canadiens devraient être traités également et que si un Canadien est en danger, est opprimé, intimidé ou brutalisé, nous devrions tous prendre sa défense. Nous pouvons le faire.
C'est également une occasion exceptionnelle pour le Sénat de montrer qu'au sein de notre système parlementaire, il s'occupe de la défense des droits des minorités. Il ne fait aucun doute que les personnes qui connaissent ce que certains — mais pas elles — appellent des « problèmes » d'identité de genre font l'objet d'une discrimination extrême et constituent une minorité. C'est indéniable. D'après les statistiques, il y en a peut-être 170 000 ou 200 000, mais c'est une minorité, c'est-à-dire un groupe dont le Sénat doit défendre les droits.
Je n'ai pas l'intention de répéter ce que j'ai dit la dernière fois. Je vais ajouter quelques points, mais je résumerai. Le projet de loi viserait deux buts. D'abord, il modifierait la Loi canadienne sur les droits de la personne de façon à définir l'identité de genre comme droit fondamental et comme motif de distinction illicite. Si le projet de loi est adopté, il sera interdit de faire de la discrimination fondée sur l'identité de genre et toute personne qui en serait victime pourrait se prévaloir de la protection de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
Deuxièmement, le projet de loi modifierait les dispositions du Code criminel traitant des crimes haineux afin d'y inclure l'identité de genre comme caractéristique distinctive dans la définition des crimes haineux à l'article 318 et comme circonstance aggravante à prendre en considération pour la détermination de la peine en vertu de l'article 718.2 du Code criminel.
Dans mon discours précédent prononcé l'an dernier à l'étape de la deuxième lecture, j'ai dit que l'objet de la Loi canadienne sur les droits de la personne était changé essentiellement par l'ajout d'éléments à la liste des pratiques discriminatoires en fonction de critères tels que la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle et l'identité sexuelle. On voit clairement comment ces éléments seraient inclus dans les articles 318 et 718 du Code criminel.
Une grande partie du projet de loi repose sur la définition de l'identité de genre. Cet élément a suscité la controverse à l'autre endroit. En fait, des changements ont été négociés de façon à permettre à un certain nombre de députés conservateurs qui, autrement, auraient été réticents à le faire, d'appuyer la mesure législative. La définition de l'identité de genre a été plus restreinte et elle exclut l'expression sexuelle qui, selon moi, ne pose pas de problème, mais certains n'étaient pas de cet avis. Cela dit, il y a des définitions officielles, notamment celle-ci qui fait partie du projet de loi :
« identité de genre » désigne, pour une personne, l'expérience intime, personnelle et profondément vécue de son genre, que celui-ci corresponde ou non au sexe qui lui a été assigné à sa naissance.
Nous avons tous reçu des courriels. Certaines personnes se demandent comment nous avons pu inclure dans une mesure législative quelque chose qui est une expérience intime, personnelle et profondément vécue. Pourtant, c'est justement le genre de questions dont s'occupent normalement des tribunaux, à savoir la perception et les intentions des gens. D'ailleurs, nous acceptons d'emblée la religion des gens et leur expression de cette religion, même si celle-ci n'est pas évidente. Dans une certaine mesure, c'est le cas si des gens portent certains vêtements ou certains symboles, mais la majorité d'entre nous pratiquons une religion, faisons partie d'une association religieuse ou avons un engagement fondé sur la foi qui est respecté. Or, cela correspond à une croyance intime profonde et cet élément a déjà été inclus dans les deux lois, sans que l'on se préoccupe de la définition du mot « religion ». Je pense que le parallèle ici est très éloquent.
La Société canadienne de psychologie affirme que tous les adolescents et les adultes ont le droit de définir leur propre identité de genre, peu importe leur sexe chromosomique, leurs organes génitaux, le sexe qui leur a été assigné à la naissance ou le rôle de genre initial. De plus, tous les adolescents et les adultes ont le droit à la libre expression de leur identité de genre qu'ils définissent eux-mêmes.
La société ajoute qu'elle s'oppose aux stéréotypes, aux préjugés et à la discrimination sur la base de leur sexe chromosomique, des leurs organes génitaux, du sexe assigné à la naissance ou du rôle de genre initial ou sur la base de l'identité de genre qu'ils définissent eux-mêmes ou de l'expression de cette identité dans l'exercice de tous les droits humains fondamentaux.
Certains feront valoir — même si je pense qu'ils sont bien moins nombreux — que l'identité de genre est un choix, qu'une personne peut changer d'identité de genre. Cependant, nous en sommes venus à accepter le fait que dans le cas d'un homosexuel, l'identité de genre ne peut vraiment pas être changée. La personne est ce qu'elle est. En fait, c'est ce que des représentants des transgenres et du milieu scientifique ont fait valoir à plusieurs reprises. Des études scientifiques révèlent qu'environ 60 p. 100 de tous les transgenres se sont rendu compte avant l'âge de 10 ans que leur genre ne correspondait pas à leur corps — ce n'est pas quelque chose qu'un enfant inventerait — et plus de 80 p. 100 ont eu cette prise de conscience profonde avant d'avoir 19 ans. Ce n'est pas quelque chose qu'une personne inventerait, compte tenu de la discrimination intense — souvent psychologique, physique et très violente — dont ces personnes sont victimes, sinon quotidiennement du moins très souvent. Plusieurs d'entre elles disent qu'elles vivent cette discrimination presque quotidiennement et que celle-ci est partout présente dans leur vie. Ces personnes éprouvent un sentiment d'isolement, un manque profond d'acceptation, la crainte de l'intimidation, de la violence et du viol, la discrimination sur les plans financier, professionnel et médical, et des taux de suicide inégalés.
(1530)
Il me semble que cette question est tellement personnelle que personne ne devrait porter un jugement à cet égard. Si quelqu'un fait un choix quant à son identité de genre, cette personne a le droit d'être qui elle est. Si vous ne pouvez être qui vous êtes au Canada, dans quel pays pourrez-vous l'être?
Oscar Wilde a formulé une remarque très intéressante qui a été citée par le député Randall Garrison. Il a dit : « Sois toi-même, les autres sont déjà pris. »
Le projet de loi est une étape en vue de permettre aux transgenres de pouvoir être eux-mêmes sans craindre d'être victimes d'intimidation psychologique et physique, et parfois pire.
Permettez-moi de présenter quelques chiffres précis.
Statistiques sur l'emploi : selon des études récentes, seulement le tiers des transgenres ontariens travaillent à temps plein et plus de 20 p. 100 sont sans emploi. C'est plus de trois fois le taux de chômage actuel au Canada. En outre, lorsqu'ils ont un emploi, les transgenres sont nettement sous-payés. Ils ont un revenu annuel moyen de 30 000 $ malgré le fait que ce sont des gens très scolarisés.
Vingt-six pour cent des transgenres ont fait des études postsecondaires, 38 p. 100 ont un diplôme d'études postsecondaires et 7 p. 100 ont une maîtrise ou un diplôme d'un niveau encore plus élevé.
En plus d'avoir de la difficulté à trouver du travail et d'être sous-payés lorsqu'ils ont un emploi, les transgenres éprouvent souvent des problèmes au travail en raison de l'hostilité que suscite leur orientation, particulièrement lorsqu'ils décident d'affirmer leur identité de genre et qu'ils commencent à modifier leur apparence, ce qui est une étape déterminante de leur vie.
Les deux tiers des Canadiens transgenres connaissent des épisodes de dépression. Le pourcentage de crimes commis contre eux est extrêmement élevé. Ils forment le groupe le plus susceptible d'être victime de crimes haineux assortis de violence. Selon une recherche menée en Ontario — il n'y a pas de recherche à l'échelle nationale —, 20 p. 100 des personnes transgenres ont déjà été agressées physiquement ou sexuellement parce qu'elles étaient transgenres.
Je sais que la question du suicide nous préoccupe tous. C'est un débat d'intérêt public et une question dont on parle de plus en plus en raison de la situation qu'on observe chez les militaires et les agents de la GRC. Soixante-dix-sept pour cent des transgenres ontariens disent avoir déjà sérieusement songé au suicide; 43 p. 100 ont fait une tentative de suicide, et parmi ceux-ci, 70 p. 100 ont essayé de se suicider à 19 ans ou avant. Les adolescents transgenres sont deux fois plus susceptibles que les autres jeunes d'envisager le suicide.
Ce projet de loi vise à éduquer et à sensibiliser la population à cet égard. Comme l'a affirmé le juge La Forest de la Cour suprême du Canada, l'absence de référence explicite à l'identité sexuelle dans la Loi canadienne sur les droits de la personne rend les transgenres « invisibles ».
Le député Irwin Cotler a dit ce qui suit à l'autre endroit :
La Loi canadienne sur les droits de la personne est plus qu'une simple loi du Parlement. C'est une reconnaissance, un énoncé de nos valeurs collectives et un document qui présente une vision d'un Canada où tous les citoyens jouissent de l'égalité des chances et sont à l'abri de la discrimination.
Il ne fait aucun doute que les personnes transgenres sont victimes de discrimination en raison d'une conduite qui ne nuit pourtant en aucune manière à autrui. Comment peut-on dire que les deux lois en question sont un reflet des valeurs fondamentales chères aux Canadiens si elles ne nous permettent pas de défendre ces gens? On ne le peut pas. Pour défendre ceux-ci, il nous faut modifier ces deux lois comme le ferait le projet de loi C-279.
Plusieurs arguments ont été invoqués contre le projet de loi. L'un d'eux portait sur la définition, et j'en ai parlé. Un autre tient à la question qu'on a évoquée — de façon tout à fait déplacée, moqueuse et regrettable — en parlant d'un « projet de loi sur les salles de toilette ». Ce qu'on sous-entend là est tellement loin de la vérité; on prétend en quelque sorte que des choses déplacées se produiront dans les salles de toilette. Cela n'a jamais été prouvé. D'après ce qui s'est passé aux États-Unis, là où ces droits ont été accordés — et quatre États ont répondu aux demandes de renseignements de Randall Garrison —, il n'y a jamais eu de crime commis à la faveur de ces droits, il n'y a jamais eu aucune « utilisation déplacée » de ces droits.
N'importe quel tribunal au Canada peut faire la distinction entre une activité criminelle et une activité qui ne l'est pas. C'est le rôle des tribunaux. Notre système judiciaire, qui est à l'évidence l'un des meilleurs au monde, aurait largement les compétences voulues pour faire cette distinction on ne peut mieux.
J'ai dit que les délibérations sur le projet de loi sur le mariage entre personnes de même sexe et l'étude de ce projet de loi avaient été une expérience profondément émouvante. Cela me rappelle ce que j'ai vécu depuis que j'ai accepté de parrainer le projet de loi à l'étude. J'ai rencontré des personnes remarquables dans le milieu des personnes transgenre, comme des gens qui, depuis 25 ans, défendent les droits de la mosaïque des genres, se battent et ont lutté pour arriver si près de la reconnaissance de leurs droits.
Je me suis rendu à deux cérémonies de commémoration de personnes transgenre. Ces cérémonies ont été frappantes sous un certain nombre de rapports : la force des interventions, l'émotion, le caractère profondément émouvant des personnes transgenre et de leurs parents qui se sont exprimés au cours de ces services commémoratifs. J'aurais voulu que tous mes collègues du Sénat soient là pour ressentir cette émotion.
Un autre aspect unique des deux cérémonies auxquelles j'ai assisté, c'est que, à celle de Calgary, les forces de police étaient présentes avec leur unité de défense des droits des personnes transgenre. Il s'agit d'un groupe de policiers, d'agents et de bénévoles qui s'occupent spécialement des personnes transgenre. Ce groupe est donc expressément reconnu par le service de police. La cérémonie semblable à laquelle j'ai assisté à Ottawa s'est déroulée à l'administration centrale de la police de la ville. Le chef de police y a pris la parole, et il a souligné, comme d'autres l'ont fait, l'importance de la question pour ses services. Il a dit à quel point était grave à leurs yeux le crime que sont la discrimination et la violence contre les personnes transgenre. Les policiers ont bien compris. Ces deux forces de police ont bien saisi le problème, et je crois qu'on retrouvera la même attitude un peu partout au Canada. Elles comprennent que les personnes transgenres ont le droit d'être protégées. Elles les protègent et leur accordent une attention spéciale parce qu'elles comprennent que ces gens sont victimes d'une violence extrême, et que la motivation de cette violence vient des recoins les plus sombres de l'âme humaine.
Ce qui ressort aussi de ce que j'ai observé au cours de ces cérémonies, ce sont les discours des parents et des personnes transgenres. Je voudrais vous en parler pour montrer qu'il ne s'agit pas ici d'un quelconque groupe informe. Ce sont des personnes. Nous sommes plusieurs à en connaître certains ou même beaucoup. Nous les connaissons, mais sans savoir qu'ils sont transgenres. Ce sont des fils, des filles, des pères, des mères, des sœurs, des frères, et ce sont des Canadiens, ce sont nos voisins. Je vais vous parler d'une de ces personnes.
Je vais citer quelques extraits de l'intervention d'une femme transgenre. À la naissance, c'est le sexe masculin qui lui a été assigné. Elle a vécu, elle a lutté contre cette présence toute sa vie en sachant qu'elle était femme. Elle s'est mariée et elle a eu des enfants. Elle a essayé de se conformer au modèle que, trop souvent, la société impose à ces personnes en pareilles circonstances. Pour finir, elle a affirmé avec éloquence dans son discours qu'elle ne pouvait plus vivre avec elle-même si elle ne pouvait être elle-même, si elle n'avait pas le courage de s'afficher, de mener une vie conforme à sa propre réalité, de s'afficher pour ce qu'elle est.
(1540)
Je vais reprendre certains de ses propos et parler de ses peurs, car elles étaient profondes. Cette dame était très nerveuse lorsqu'elle a fait son intervention.
J'avais peur de me faire remarquer, j'avais peur qu'on me repère un mille à la ronde et qu'on me démasque. J'avais peur d'être ridiculisée, qu'on rie de moi. J'avais peur de ne jamais pouvoir obtenir un emploi convenable, de devoir subsister au moyen d'emplois mal payés et d'être pauvre pendant le reste de ma vie. J'avais peur de perdre des amis. Je suis une personne religieuse, et j'avais peur de ne jamais trouver une Église qui m'accepte. J'avais peur de la réaction de ma famille, j'avais peur de perdre les relations les plus importantes, surtout les relations avec mes enfants. Et j'avais peur de l'incertitude. Après de longues années de travail et de vie, mon existence était prévisible et je pouvais suivre un parcours assez agréable jusqu'à ma retraite. Je craignais de perdre toute certitude dans ma vie.
Fait intéressant, l'une de ses plus grandes craintes concernait sa famille. Bien des indications donnent à penser que cela peut être un problème. L'une des personnes les plus impressionnantes avec qui j'ai travaillé au projet de loi à l'étude est une femme transgenre, comme celle que je viens de citer. Elle est une juriste qui réussit très bien, et il s'agit à l'évidence d'une femme extrêmement intelligente.
Ses parents sont convaincus qu'elle est transgenre parce qu'elle s'est frappé la tête lorsqu'elle avait huit ans. Depuis qu'elle a révélé la vérité, sa sœur ne lui a pas adressé la parole. Elle n'a jamais rencontré ses neveux et nièces. Elle peut aller chez ses parents, mais pas le dimanche, ni lorsque quelqu'un d'autre est présent. Imaginez ce que cela peut faire. Et de surcroît, elle se retrouve dans une société qui ne la reconnaît pas, même pour ce qui est des droits les plus fondamentaux, ceux que garantit la Loi canadienne sur les droits de la personne.
Toutefois, la personne transgenre que je vais citer a eu de la chance, comme on le verra dans cet extrait :
Mon père est âgé, conservateur et religieux. Je ne savais pas comment le lui dire [...] J'avais chargé ma sœur de lui transmettre une lettre pour qu'il puisse la lire et y penser avant mon arrivée [...] Il m'a accueillie à la porte, m'a serrée dans ses bras, m'a dit qu'il m'aimait et que je serais toujours la bienvenue chez lui. Le monde serait meilleur s'il y avait davantage de gens comme lui.
En adoptant le projet de loi, nous témoignerions du fait qu'il y a effectivement beaucoup de gens comme lui.
Les témoignages les plus puissants que j'ai entendus venaient de parents qui ressentaient la souffrance de leurs enfants. Ceux d'entre vous qui ont des enfants savent ce qu'il en est. Parmi les témoins, il y avait une mère qui a mis en évidence plusieurs importantes caractéristiques du problème. Permettez-moi de parler de ce que c'est que de savoir quelle est sa propre identité de genre, même quand on est jeune. Cette femme a parlé de son fils à qui on avait attribué le sexe féminin à la naissance, mais qui avait fait la transition au sexe masculin. Voici ce qu'elle a dit :
À 11 ans, il a voulu se joindre aux boy-scouts. Quand je lui ai demandé pourquoi il ne voulait pas faire partie des guides, il a répondu qu'il ne voulait pas apprendre à coudre et que les boy-scouts faisaient des choses plus intéressantes.
C'est là une reconnaissance plutôt fondamentale par un jeune de 11 ans qu'il n'appartenait pas à la catégorie où sa mère le situait.
Cette mère a déclaré que, lorsque le jeune homme est finalement sorti du placard, il a expliqué qu'il ressemblait extérieurement à une fille, mais qu'à l'intérieur, il était vraiment un garçon. Il lui a parlé d'une réunion à laquelle il avait assisté — il était alors au début de la vingtaine — et qui avait été organisée par un groupe de soutien des transgenres. Il lui a dit que, pour la première fois au cours des 21 ans qu'il avait vécus, il s'était senti bien dans sa peau et avait pu respirer librement.
« Il a pu respirer librement. » Imaginez le stress qu'a connu ce jeune homme pendant 21 ans, tout seul, même si sa mère comprenait que quelque chose ne tournait pas rond, mais n'avait jamais réussi à en parler.
Écoutez ce qu'a dit cette mère de la difficulté qu'il y a à aider un jeune qui traverse une crise de ce genre :
Un jour, j'ai vu qu'il avait des entailles sur les bras. Lorsque je l'ai interrogé, il m'a repoussée et s'est mis en colère. Il a commencé à rentrer à la maison ivre et parfois défoncé. Il est même arrivé qu'il ne rentre pas du tout. J'ai beaucoup pleuré et encore plus prié. J'étais en train de le perdre, et je craignais le pire. Je ne pouvais pas imaginer ma vie sans mon enfant, et je craignais pourtant devoir me résigner à cette fatalité.
Bien sûr, elle parlait ainsi du taux élevé de suicide parmi les personnes transgenres. Dans son cas, on pourrait croire qu'avec le soutien des parents, la probabilité du suicide est plus faible. Je crois en outre qu'avec le soutien de la société, le taux de suicide baisserait encore beaucoup plus.
Pour moi, c'était très prenant, parce que cette mère avait su réagir. Elle avait finalement compris que le sexe de son enfant n'avait pas vraiment d'importance. Elle a dit que, lorsqu'elle s'est finalement rendu compte que, en grandissant, ce serait un homme et non une femme :
J'ai fait mon deuil des rêves que j'avais faits pour cet enfant 25 ans plus tôt car j'avais compris que je ne perdais rien d'important. L'âme, l'esprit et le cœur de cet enfant n'avaient pas changé et ne changeraient jamais. C'est juste l'enveloppe extérieure qui n'était plus la même.
En fin de compte, elle a dit, en parlant du processus difficile par lequel son enfant était passé :
Ce que j'ai vu, c'est un miracle, un don qui m'a été offert pour que je l'aime et que j'en prenne soin. Aujourd'hui, je ne vois que trop souvent les sévices physiques, mentaux et sexuels dont sont victimes les membres de la communauté transgenre. J'ai vu beaucoup trop d'itinérance, de désespoir, de peur et de mort. J'ai vu beaucoup trop de gens privés du soutien familial, à qui on avait dit qu'ils ne méritaient pas de vivre. J'ai trop souvent entendu des gens dire qu'ils auraient tout voulu que leurs parents les aiment et les acceptent. On m'a trop souvent dit que mon fils avait de la chance. A-t-il de la chance parce que sa mère l'aime? A-t-il de la chance parce qu'il est accepté comme être humain? C'est avec un profond regret que je reconnais qu'il a de la chance et qu'il fait partie d'une minorité.
Un père a également témoigné au cours de l'une de ces cérémonies commémoratives. Il est très émouvant d'entendre un père parler de cette façon. Il a dit : « Les nombreuses années de confusion sont heureusement passées », parce que son fils avait fait la transition pour devenir une femme. Il a ajouté ce qui suit :
La seule différence évidente pour moi, c'est que mon enfant est finalement heureuse. Les nombreuses années de confusion sont heureusement passées, tout comme les sentiments refoulés et l'obligation de vivre un mensonge. Finalement, mon enfant est ce qu'elle devait être, pour ma plus grande joie. Cela m'a également permis de comprendre à quels égards je n'avais pas agi comme j'aurais dû le faire.
Il se reprochait donc certaines choses.
Il a également dit ceci :
Le fait primordial est que beaucoup de mes meilleurs amis et de membres de ma famille sont profondément chrétiens.
Lui-même l'était aussi.
Mon ami le plus intime est le meilleur chrétien que je connaisse. Et chacun d'entre eux m'a dit : « Elle est l'enfant de Dieu. » Voilà le vrai message chrétien. Ma fille est importante pour moi. Ne laissez jamais personne vous dire que votre enfant ne l'est pas tout autant.
L'adoption du projet de loi fera savoir à tous les parents que leurs enfants sont d'importance égale.
J'aimerais vous lire des citations qui pourraient paraître étranges. J'ignore quel est l'âge moyen au Sénat.
Une voix : Soixante-deux ans.
Le sénateur Mitchell : Soixante-deux ans. C'est mon âge. Je suis donc en plein dans la moyenne.
J'ignore combien d'entre vous ont vu le gala des prix Grammy, ou le gala annuel des American Music Awards, mettant en vedette Macklemore, rappeur qui a connu une explosion de popularité au cours de la dernière année. Macklemore et Ryan Lewis ont écrit une chanson. Si j'ai commencé à m'intéresser à lui avant le soir des Grammys, c'est parce que je l'ai vu chanter sa chanson intitulée Same Love, aux États-Unis, en collaboration avec deux artistes canadiennes de Calgary, Tegan and Sara. Ce sont des musiciennes incroyablement populaires. Ces jeunes femmes, des jumelles, sont toutes deux homosexuelles. Elles ont chanté la chanson Same Love avec Macklemore. C'est un hymne pour la nouvelle génération, génération qui changera les choses si nous ne le faisons pas avant. Nous ne représentons pas seulement les personnes de 62 ans; nous représentons toutes les générations du pays. C'est un hymne pour la génération actuelle. J'aimerais citer un extrait des paroles :
L'Amérique la courageuse craint toujours ce qu'elle ne connaît pas.
À la source de la discrimination, on retrouve la peur — souvent, la peur de l'inconnu — et le désir primitif d'atténuer cette peur en écrasant quelqu'un d'autre. Macklemore résume parfaitement cette idée lorsqu'il dit : « L'Amérique la courageuse craint toujours ce qu'elle ne connaît pas. » Il parle au nom d'une génération. C'est un hymne qu'il a composé.
Plus loin dans la chanson, on retrouve les paroles émouvantes suivantes :
J'ai beau ne pas être comme eux, peu importe
Nous ne serons pas libres tant que nous ne serons pas tous égaux
Je répète que c'est ce genre d'idées auxquelles nous devrions réfléchir lorsque nous étudions ce projet de loi. Voici ce qu'il a dit au sujet des conséquences que l'on doit assumer si l'on rejette, entre autres, les personnes transgenres.
Des enfants se promènent dans les couloirs accablés par la douleur qu'ils ressentent
Un monde si plein de haine que certains préfèrent mourir plutôt que de s'accepter tels qu'ils sont
Le taux de suicide record chez les adolescents transgenres démontre que c'est exactement ce qu'ils se disent. Ils disent qu'ils préféreraient mourir qu'être eux-mêmes parce qu'ils ont tellement peur et subissent tellement de pression sociale en raison de ce qu'ils sont.
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En terminant, je vais revenir au père qui a donné les conseils suivants aux parents de personnes transgenres :
La pression sociale est l'un des principaux obstacles auquel vous vous heurterez. Il vous incombe d'obtenir tout le soutien que vous pouvez de la part de tous les politiciens et de tous les partis, afin qu'ils adoptent des lois qui garantissent à votre enfant des droits et une protection égale.
Voilà l'objet du projet de loi C-279. Il répond à ce père et à cette mère ainsi qu'à d'innombrables autres pères, mères, grands-mères, grands-pères, tantes, oncles, frères, sœurs, amis et collègues partout au pays qui travaillent avec des personnes transgenres, en connaissent et les aiment. Voilà l'objet de ce projet de loi. Nous pouvons répondre à la demande de ce père en lui donnant le soutien qu'il demande et en faisant un pas dans la bonne direction pour changer la vie de ces Canadiens importants, victimes de discrimination psychologique et, trop souvent, de violentes brutalités. Nous pouvons les défendre et faire ce qu'il faut.
L'honorable Donald Neil Plett : Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?
Le sénateur Mitchell : Oui.
Le sénateur Plett : Sénateur Mitchell, vous ne cessez de répéter que ceux qui n'appuient pas ce projet de loi ne s'opposent pas à l'intimidation. Je suis tout à fait d'accord avec vous lorsque vous dites que l'un des préceptes de l'amour chrétien, c'est de ne pas intimider, que nous soyons d'accord ou pas avec la personne. Nous n'avons pas le droit d'intimider les autres, peu importe leur sexe, leur religion ou leur race. Je suis tout à fait d'accord.
Ce projet de loi ne traite pas de religion, des droits des homosexuels, ni du mariage entre personnes du même sexe. Il traite exclusivement des transgenres. Je vous avais posé une question lors du dernier débat sur le sujet et je vais la poser à nouveau. C'est à propos d'un homme qui se trouvait dans un vestiaire ou une douche publique dans un collège à Chicago. Étendu et nu, il s'est exhibé devant une fillette de six ans et sa mère. Ne croyez-vous pas, sénateur Mitchell, que des personnes peuvent être traumatisées par un incident du genre et qu'elles aussi ont des droits?
Je suis aussi d'avis qu'on ne devrait pas appeler ce projet de loi le « projet de loi sur les salles de toilette ». Je ne conteste pas le fait que ces personnes ont des convictions profondes, comme vous le dites; je suis d'accord avec cela. J'ai moi aussi parlé avec des personnes de la communauté transgenre. En fait, je vais recevoir deux d'entre elles à mon bureau jeudi prochain. Si je veux me prononcer pour ou contre ce projet de loi, en tant que parrain ou critique, j'ai le devoir de me renseigner le plus possible sur la question et sur les personnes concernées. Mon personnel et moi avons pris l'initiative en ce sens. Cependant, il faut aussi protéger les droits des enfants âgés de cinq ou six ans. Qu'on le nomme ou non « projet de loi sur les salles de toilette », ce projet de loi ouvre la porte aux pédophiles qui veulent abuser des lois en vigueur.
Son Honneur le Président intérimaire : Je crois que le sénateur souhaite poser une question. Peut-être pourrions-nous laisser le sénateur Mitchell répondre et clore le débat ensuite, à moins que vous ne demandiez plus de temps pour répondre.
Le sénateur Mitchell : Oui.
Le sénateur Plett : Pourriez-vous répondre à mon commentaire sur le fait que ce projet de loi ouvre la porte à d'énormes violations de la loi? Je ne suis pas en train de dire que les transgenres se comporteraient comme cela. Je me demande si le projet de loi n'ouvre pas la porte aux abus et si nous n'avons pas aussi une obligation envers les femmes et les enfants tout comme nous en avons une envers ces personnes. Je ne suis pas responsable de leur corps d'homme ou de femme, mais j'ai l'obligation de protéger les femmes et les enfants, tout comme vous d'ailleurs.
Le sénateur Mitchell : Je vous remercie de votre question. Je m'excuse si j'ai laissé entendre un seul instant que quiconque s'oppose à ce projet de loi est en faveur de l'intimidation, parce que ce n'est pas du tout ce que je pense. Sénateur Plett, je n'ai aucun doute quant à vos intentions et à vos motifs concernant la position que vous avez adoptée. Je les respecte totalement. Vous avez très bien réagi au cours de nos discussions et je tiens à le dire clairement. Je vous félicite de rencontrer des personnes transgenres, ce qui ne me surprend pas parce que c'est la bonne chose à faire.
J'ai fait des recherches sur l'affaire dont vous parlez. Rien ne prouve que cette personne était transgenre. Il pouvait s'agir d'un homme pervers. Rien ne garantit ou n'indique que cette personne a invoqué pour se défendre quelque droit que ce soit. Cette affaire concernait les règlements du collège, et j'ignore si la personne a même été accusée. J'ai des doutes sur les faits et sur ce que nous pouvons lire au sujet de cette affaire parce qu'elle a été diffusée sur la chaîne Fox News, qui a assurément son propre point de vue et sa propre façon de présenter les choses.
Cependant, je sais que toutes les personnes d'un groupe ne sont pas tenues responsables d'un crime qui pourrait être commis par une personne faisant partie de ce même groupe. Il y a des hommes blancs qui commettent des crimes, mais nous n'en sommes pas tous tenus responsables et nous ne devons pas tous agir d'une certaine façon parce qu'un autre homme blanc pourrait commettre un crime. Nous ne devons pas non plus tenir les personnes transgenres responsables des crimes que d'autres pourraient commettre. Dans les quatre États américains où des droits ont été accordés aux personnes transgenres, rien n'indique que ces dispositions aient été utilisées devant les tribunaux. Au Canada, des juristes ont examiné cette question de façon plus qu'adéquate et ils ont établi qu'ils ne pourraient jamais utiliser ces dispositions comme argument pour défendre une quelconque activité criminelle. Les tribunaux sont clairement en mesure de définir les comportements criminels et inappropriés et ils le font continuellement. Si quelqu'un agissait de la sorte, il aurait un comportement criminel. Le présent projet de loi n'y changera rien.
Il faut également comprendre que les personnes transgenres sont terrifiées à l'idée d'être démasquées. Elles ne souhaitent pas attirer l'attention, de quelque manière que ce soit, contrairement à ce que pourrait laisser croire l'incident dont vous parlez. Ce n'est ni juste ni correct de les tenir responsables d'actions commises par d'autres personnes, transgenres ou non. Il existe toute sorte de lois pour prévenir ce genre de comportement obscène; ce n'est donc pas un problème, selon moi.
Dans un sens, vous tournez mon allégation contre vous-même. Bien sûr, nous voulons tous défendre nos enfants — absolument. Ce que nous proposons ne les exposera pas, selon moi, à un danger plus grand que celui qui existe déjà dans la société. Nous devons demeurer vigilants. Par ailleurs, je sais combien d'enfants transgenres sont brutalisés parce qu'ils ne sont pas protégés ni reconnus. Nous ne mettrons pas les enfants en danger en adoptant ce projet de loi; nous améliorerons toutefois la vie des enfants qui sont tous les jours victimes de violence, parce qu'ils ne peuvent avoir recours à ce genre de protection.
Le sénateur Plett : Puisque vous avez mentionné Fox News, je vais lire un autre extrait d'un article de journal, rédigé par une journaliste canadienne :
Plus je vieillis, plus je suis réticente à me montrer nue.
Ce n'est pas que je sois prude.
Avec l'âge, les choses se mettent à pendre ou à boursoufler et on veut garder pour soi ce que jadis on exhibait.
Apparemment, je ne suis pas la seule.
Dans une lettre envoyée récemment à une chroniqueuse en matière d'éthique du Toronto Star, une femme d'un certain âge se plaignait qu'elle avait dû se changer dans un vestiaire où se trouvait un homme qui se disait transgenre et qui revendiquait le droit d'être là.
(1600)
Je sais que l'extrait suivant figurera dans le compte rendu, mais je vais tout de même le lire :
La « femme » en question avait un pénis et il était en érection. « Elle » a demandé à l'autre femme si elle venait souvent ici.
Cette journaliste affirme que si ces personnes veulent se déshabiller dans le vestiaire des hommes, le centre d'entraînement devrait alors leur réserver un endroit où elles peuvent se changer en toute quiétude. J'appuie cette idée.
Maintenant qu'il n'est plus question des enfants, j'aimerais poser la question suivante...
Son Honneur le Président intérimaire : Honorables sénateurs, avant de poursuivre, acceptez-vous d'accorder plus de temps au sénateur Plett pour qu'il puisse terminer sa question et de donner au sénateur Mitchell le temps d'y répondre?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Plett : Merci, Votre Honneur. Ma question sera brève.
Il faut se demander ce qui se produirait si une femme transgenre qui a un pénis faisait irruption dans un cours de natation réservé à des femmes musulmanes dans le centre-ville de Toronto. En effet, qui aurait priorité pour ce qui est des droits de la personne?
Le sénateur Mitchell : Tout d'abord, cette situation s'est produite alors qu'il n'était pas encore question de ce projet de loi, et donc, je ne vois pas en quoi cela est pertinent. Cela s'est produit au Canada alors que cette mesure législative n'existait pas. Il faut donc se demander si cette personne aurait pu invoquer ou non la mesure législative, puisque c'est l'argument que vous faites valoir, pour justifier ses actes. Je ne sais pas si cette personne était bel et bien un transgenre. Je ne sais pas si c'était le cas, mais votre exemple n'est pas du tout pertinent dans ce cas, car le projet de loi ne s'appliquait pas.
La question est la suivante : est-ce que certaines personnes tenteront de se servir de cette mesure législative en se disant qu'elles pourront se rendre à un endroit donné et poser un geste quelconque, puis se défendre si elles se font prendre en invoquant la mesure législative?
J'aurais recommandé à la femme qui s'est trouvée dans cette situation d'appeler la police. À l'heure actuelle, il est probable qu'il s'agirait d'une infraction au Code criminel et que des accusations pourraient être portées. Cela dit, il s'agit d'une situation qui n'a rien à voir avec le projet de loi. Celui-ci ne ferait aucune différence dans cette situation. Comment puis-je en être certain? Parce qu'elle s'est produite avant même que le projet de loi soit présenté.
Son Honneur le Président intérimaire : Nous poursuivons le débat.
Le sénateur Plett : J'ai juste un commentaire à faire, puis je demanderai l'ajournement du débat pour le reste de mon temps de parole.
Vous avez dit que cela s'est produit avant même que le projet de loi soit présenté. C'est vrai. Vous avez raison.
Or, il y a maintenant plus de 15 ans que les transgenres ont légalement le droit en Ontario d'utiliser les toilettes et les vestiaires conformément à leur identité de genre. L'Ontario a déjà franchi le pas, c'est vrai, mais cela ne signifie pas pour autant que le gouvernement fédéral doit en faire encore davantage.
Sur ce, Votre Honneur, je demande l'ajournement du débat pour le reste de mon temps de parole.
(Sur la motion du sénateur Plett, le débat est ajourné.)
[Français]
Le Code criminel
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture
L'ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Runciman, appuyée par l'honorable sénateur Mockler, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-217, Loi modifiant le Code criminel (méfaits à l'égard des monuments commémoratifs de guerre).
L'honorable Roméo Antonius Dallaire : Honorables sénateurs, merci de me donner l'occasion, à cette heure tardive, de participer au débat sur le projet de loi C-217, Loi modifiant le Code criminel (méfaits à l'égard des monuments commémoratifs de guerre).
[Traduction]
À deux reprises au cours des années 1970, je me suis mis au garde-à-vous, sous une pluie glaciale, en commandant la garde au Mémorial de Vimy. J'ai aussi pris part, il y a quelques années, à la reconstruction du Mémorial de Vimy — le gouvernement avait approuvé un budget de 32 millions de dollars à cet effet — et ce fut de l'excellent travail.
Je collabore actuellement aux efforts en vue de faire ériger une statue au lieutenant-colonel McRae, qui, vous vous rappelez, est l'auteur d'un poème extraordinaire, Au champ d'honneur, dont nous soulignerons le 100e anniversaire.
En tant que militaire, je suis fermement convaincu que les sites de ce genre revêtent une importance énorme. En plus de mettre à l'honneur notre culture et notre patrimoine, ils témoignent de notre respect pour ceux qui ont consenti les sacrifices nécessaires pour que nous puissions continuer de servir notre pays avec toute la liberté inhérente à notre système de gouvernance, de nous sentir libres au sein de nos frontières et d'être reconnus en tant qu'excellents citoyens du monde.
Cela dit, je ne crois pas qu'on ait besoin d'un canon pour tuer une mouche. C'est un aspect qui m'inquiète dans ce projet de loi. Je trouve aussi préoccupant qu'il ne fasse rien pour sensibiliser les gens. Cette mesure aura pour effet d'envoyer des gens en prison. Comme les sanctions sont prévues, les juges n'auront pas le loisir d'établir une sanction appropriée, alors que c'est un rôle qui leur revient dans notre société. La mesure impose donc des sanctions précises — pour la première infraction, 1 000 $; pour la deuxième, jusqu'à 14 jours d'emprisonnement. Ce sont des sanctions considérables, plutôt préoccupantes étant donné la nature du projet de loi.
Certains actes de vandalisme ciblent spécifiquement les monuments et les cimetières du monde militaire. Certains de mes collègues, membres du Corps des Marines des États-Unis, m'ont parlé des actes terribles commis à l'endroit des cimetières militaires pendant la guerre du Vietnam et dans les années qui ont suivi. Des actes terribles. Certains ont même déterré des corps pour les jeter dans le cimetière des militaires tués à l'étranger.
Certes, une personne qui profane un monument pose un geste délibéré, qu'elle utilise de la peinture ou un marteau, vole le cuivre qui orne le monument — un vol fréquent de nos jours en raison du prix du cuivre — renverse le monument ou le détruise d'une autre manière. Je conviens qu'il faut poursuivre en justice les gens qui commettent délibérément des actes de vandalisme de ce genre.
Le Code criminel renferme déjà les dispositions nécessaires. Il prévoit déjà clairement que, si une personne commet des actes de ce genre à l'endroit d'immeubles ou de sites qui sont respectés, considérés sacrés ou représentent nos références culturelles ou le sacrifice de notre nation, elle sera punie. Elle sera accusée d'infraction criminelle et poursuivie en justice. Ces dispositions conviennent parfaitement, et elles existent déjà. Elles sont bien exprimées et bien expliquées.
Notons, toutefois, que la plupart des actes commis sont des gestes irréfléchis, posés par des gens qui respectent peu l'autorité ou les normes sociales ou sont peu scolarisés. Dans bien des cas, ils sont sous l'emprise de l'alcool ou de la drogue et cherchent simplement un endroit où uriner.
Je ne m'attarderai pas sur le fait que le monument de la crête de Vimy se trouve aussi en territoire canadien. Il est intéressant de noter que le projet de loi ne parle pas des monuments situés en pays étranger, dans des zones reconnues comme un territoire canadien. Avons-nous pris des ententes avec les forces policières ou le système judiciaire de ces endroits pour qu'ils s'occupent de ces cas? C'est un aspect non négligeable. À l'heure actuelle, près de 114 000 Canadiens sont enterrés à l'étranger, notamment dans des cimetières en Afrique du Sud, en Europe et en Extrême-Orient — la Corée est d'ailleurs l'exemple parfait à cet égard. Que fait-on d'eux? Qui s'occupe de cette question? Le projet de loi ne prévoit rien là-dessus.
(1610)
J'ai une petite anecdote. Les Français aiment bien aller s'embrasser au monument de la crête de Vimy à cause de la vue extraordinaire. L'endroit a été très bien aménagé, et on y est assez confortable. Des amoureux s'y rencontrent régulièrement. Des agents de police interviennent alors et essaient d'y mettre de l'ordre. L'endroit est utilisé, et les policiers n'interviennent pas parce que nous leur demandons de le faire, mais plutôt pour témoigner du respect que les Français ont pour nous.
Revenons aux vandales. Ce sont souvent des jeunes qui agissent très impulsivement, la plupart du temps en groupe. Que faisons-nous d'eux?
Le projet de loi prévoit tout d'abord que ces jeunes seraient accusés au titre du Code criminel, ce qui leur vaudrait un casier judiciaire. S'ils n'ont pas compris leur leçon, ils seraient ensuite emprisonnés. Qu'est-ce que cela donnerait? Le jeune apprendrait-il ainsi à respecter nos monuments, comprendrait-il pourquoi il faut les respecter et pourquoi la société a estimé qu'il était important de créer une telle place commémorative? Quel enseignement, quelle leçon le jeune pourrait-il en retenir?
Incidemment, quelle leçon ses amis qui l'ont regardé faire, qui en ont entendu parler ou qui en ont rigolé à l'école ou ailleurs, peu importe, en retireraient-ils? Qu'auraient-ils appris?
J'appuie le projet de loi dans la mesure où ce problème devrait être souligné. Dans ce contexte, il ne s'agit pas d'un mauvais projet de loi, mais je ne suis pas persuadé qu'il soit absolument essentiel. N'oublions pas que ce qui est bien n'est pas forcément nécessaire. Je considère que ce projet de loi n'est pas essentiel, puisque le Code criminel couvre déjà les pires cas; quant aux autres, nous laissons aux magistrats le soin de les juger.
Par exemple, si on amenait ce jeune voir des anciens combattants qui ont participé à une mission en Afghanistan ou à toute autre mission afin qu'ils puissent lui parler, je vous garantis que les quelques heures passées avec ces anciens combattants seraient pires que d'avoir à payer une amende de mille dollars. C'est une expérience qui le marquera toute sa vie.
Ensuite, qu'on oblige cette personne à aller dans des écoles et à parler de cette expérience, afin d'expliquer pourquoi il est important de ne pas être aussi stupide qu'elle l'a été. Pourquoi ne pas permettre au juge d'aider les jeunes à faire respecter davantage ce genre d'institutions?
Chers collègues, je ne vois tout simplement pas comment nous allons changer la nature de notre société, l'améliorer sur le plan culturel et imposer davantage le respect pour ceux qui le méritent. Ce projet de loi ne fera rien de la sorte. Encore une fois, on menacera les gens en leur disant qu'ils ne devraient pas commettre de tels gestes, sous peine de se faire arrêter par la police. D'ailleurs, pour ne pas se faire prendre, ces gens décident de défier les autorités sous le couvert de la nuit. Comparons cette mesure à une autre qui dirait que les gens trop stupides, trop ignorants ou trop irrespectueux envers la société seront réprimandés pour qu'ils se rendent compte de leur erreur. Pour ce faire, donnons à la justice les outils dont elle a besoin. Permettons aux juges de faire de l'éducation, de promouvoir le respect, d'amener les jeunes à reconnaître les sacrifices du passé, très souvent faits par leurs pairs.
Avant de conclure, je signale que plusieurs de ces monuments sont justement érigés à la mémoire de leurs pairs, et que ces actes de vandalisme sont souvent commis par des jeunes, c'est-à-dire par des individus âgés de moins de 25 ou 30 ans. Or, la majorité de ceux qui se font tuer à l'étranger, qui s'enlèvent la vie ici au Canada ou qui sont enfermés dans ces établissements, ce sont aussi des jeunes, donc leurs pairs. La majorité d'entre eux sont encore loin d'avoir 25 ans; en fait, il y en a beaucoup — trop, en fait — qui n'ont même pas encore 18 ans. Alors, aussi bien dire que, en agissant ainsi, ces jeunes s'en prennent à leurs pairs. Selon moi, il y a moyen de leur faire comprendre tout cela sans pour autant les jeter en prison, les affliger d'un casier judiciaire et, surtout, nous convaincre que c'est ainsi que nous leur ferons entendre raison.
Chers collègues, ce projet de loi va empirer les choses. Et que vont faire les véritables voyous? Ils vont vouloir défier la loi, tout simplement. En fait, ce projet de loi pourrait créer plus de problèmes qu'il va en régler.
Alors, oui, qu'on le renvoie au comité, mais qu'on l'amende. Ne l'enterrons pas, puisqu'il porte sur un sujet qui mérite d'être porté à l'attention de la société et qu'il nous rappelle pourquoi les jeunes doivent respecter l'histoire, ce qui fait qu'ils peuvent jouir de la liberté qui est la leur et les raisons pour lesquelles ils devraient contribuer à faire valoir la cause des autres jeunes qui ont sacrifié leur vie. Voilà la voie que nous devrions suivre. Amendons le projet de loi. Ne le rejetons pas, puisqu'il nous amène dans la bonne direction, d'autant que nous célébrerons bientôt le centenaire de bon nombre des batailles que ces monuments cherchent à commémorer, et que nous devrons alors concentrer nos énergies à rappeler aux gens le nombre incroyable de jeunes qui sont allés se battre et mourir à l'étranger pour notre liberté.
Nous devons faire quelque chose, mais pas nécessairement en prenant les grands moyens et en faisant de ces gens des criminels tout simplement parce qu'ils ont agi sottement. Je vous remercie.
Son Honneur le Président intérimaire : Dois-je en comprendre que les sénateurs sont prêts à se prononcer?
Des voix : Le vote!
Son Honneur le Président intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?
Des voix : D'accord.
(Le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)
Renvoi au comité
Son Honneur le Président intérimaire : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?
L'honorable Yonah Martin (leader adjointe du gouvernement) : Je propose que le projet de loi soit renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
Son Honneur le Président intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?
Des voix : D'accord.
L'honorable Roméo Antonius Dallaire : Je ne sais pas si je peux ajouter « avec dissidence », parce qu'à mon avis, le projet de loi devrait être renvoyé au Comité de la défense, et non au Comité des affaires juridiques. C'est là que la véritable discussion aura lieu, et c'est là que nous pourrons véritablement aller au fond des choses.
(Sur la motion de la sénatrice Martin, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, avec dissidence.)
(1620)
L'étude sur les produits pharmaceutiques d'ordonnance
Adoption du cinquième rapport du Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie et demande de réponse du gouvernement
Le Sénat passe à l'étude du cinquième rapport (intérimaire) du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, intitulé Les produits pharmaceutiques d'ordonnance au Canada : Emploi non conforme à l'étiquette, déposé au Sénat le 30 janvier 2014.
L'honorable Kelvin Kenneth Ogilvie : Honorables sénateurs, je suis très heureux de proposer :
Que le rapport soit adopté et que, conformément à l'article 12-24(1) du Règlement, le Sénat demande une réponse complète et détaillée du gouvernement, la ministre de la Santé étant désignée ministre chargée de répondre à ce rapport.
Son Honneur le Président intérimaire : Vous plait-il, honorables sénateurs, de... Voulez-vous prendre la parole, sénateur Ogilvie?
Le sénateur Ogilvie : Oui, merci.
Honorables sénateurs, je suis ravi d'intervenir au sujet de la motion visant à approuver le rapport du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie sur l'emploi non conforme à l'étiquette de produits pharmaceutiques sur ordonnance.
J'aimerais toutefois commencer par remercier le sénateur Eggleton, vice-président du comité, et la sénatrice Seidman, tous deux membres du comité de direction, pour le rôle qu'ils ont joué dans la préparation du rapport. Je tiens à remercier tous les membres du comité qui, grâce à leurs questions et à leurs analyses, ont grandement contribué à la réussite de l'étude.
Je tiens également à souligner le travail de notre remarquable analyste, Sonya Norris, et celui de la greffière du comité, Jessica Richardson. Leur contribution s'est avérée très précieuse pour mener à bien l'étude.
Honorables sénateurs, il s'agit du troisième rapport d'une étude en quatre étapes sur les produits pharmaceutiques sur ordonnance au Canada. Les deux premiers rapports ont successivement porté sur le processus des essais cliniques et la surveillance des produits pharmaceutiques sur ordonnance après leur approbation.
Comme nous l'avons déjà indiqué, les médicaments doivent être approuvés par Santé Canada avant d'être mis en marché au Canada. Cette approbation définit les paramètres liés à l'usage des médicaments, notamment les groupes de population admissibles, l'affection traitée, la posologie, et cetera.
Tout nouveau médicament fait l'objet d'un long processus d'essais cliniques, mais la véritable évaluation de ses effets commence dès qu'il est mis à la disposition du grand public. À partir de là, le médicament sera utilisé par des sous-groupes de population qui n'ont probablement pas été inclus dans les essais cliniques. Souvent, les médicaments approuvés sont utilisés dans une population plus grande, pour des indications différentes ou suivant des posologies différentes de celles approuvées par Santé Canada. On parle dans ce cas d'usage non conforme à l'étiquette, et cette pratique est répandue.
L'emploi non conforme à l'étiquette des médicaments a ses avantages et ses inconvénients. On le voit surtout pour les médicaments prescrits aux personnes âgées, aux enfants et aux femmes enceintes. Ces groupes participent rarement aux essais cliniques. De plus, l'emploi non conforme à l'étiquette de certains médicaments est souvent la seule façon de traiter des maladies rares et des cancers.
Le présent rapport renferme 18 recommandations qui portent sur plusieurs grands problèmes. La plus importante fait peut-être suite à nos recommandations précédentes concernant la collecte et la diffusion de renseignements liés à l'emploi en situation réelle d'un médicament donné. L'essai clinique le plus exhaustif que l'on puisse réaliser consiste à surveiller comment le médicament est utilisé dans la population en général une fois qu'il est approuvé. Il faut absolument que les renseignements sur les résultats du médicament sur les patients soient colligés et utilisés en temps réel pour mieux sensibiliser les gens à ses bienfaits et à ses risques. Ce n'est pas ce que l'on fait à l'heure actuelle. Le comité est convaincu que Santé Canada doit recueillir, organiser et communiquer ces renseignements. Dans notre rapport, nous exhortons le ministre et Santé Canada à veiller à ce que les patients reçoivent les meilleurs renseignements et les données les plus récentes au sujet de l'emploi du médicament et qu'ils puissent envoyer facilement par voie électronique leurs observations sur le médicament.
Le comité recommande que les médecins et les patients soient informés lorsqu'un médicament est prescrit pour un emploi non conforme à l'étiquette. C'est particulièrement vrai pour certains groupes de médicaments tels que des antipsychotiques, surtout chez les jeunes.
Le comité demande que Santé Canada surveille attentivement les résultats de l'emploi non conforme à l'étiquette des médicaments, surtout chez les groupes vulnérables de la population. Comme je l'ai déjà dit, la majorité des médicaments prescrits à des enfants, à des personnes âgées et à des femmes enceintes sont utilisés de manière non conforme à l'étiquette, puisque ces groupes ne participent pas systématiquement aux essais cliniques. Il faut absolument surveiller les résultats que ces médicaments approuvés ont eus sur eux. Cette surveillance devrait se faire par voie électronique et ces groupes devraient être bien avertis lorsqu'on leur prescrit des médicaments à utiliser de manière non conforme à l'étiquette et recevoir les données connues sur l'emploi en situation réelle des médicaments.
Le comité a répété des recommandations de ses rapports précédents selon lesquelles Santé Canada devrait pouvoir exiger des études plus approfondies sur des médicaments approuvés lorsque certaines circonstances le justifient.
Le comité a reconnu que l'utilisation non conforme de médicaments pourrait s'avérer très bénéfique pour des patients aux prises avec une maladie rare ou grave telle que certains cancers pour lesquels aucun médicament n'est systématiquement prescrit. Les membres du comité ont d'ailleurs entendu dire que les oncologues font preuve d'un grand dynamisme quand vient le temps de faire part des résultats liés à l'emploi de médicaments de façon non conforme à l'étiquette, et à leur efficacité dans ces cas.
Bien que le comité reconnaisse les bienfaits manifestes de l'utilisation non conforme de certains médicaments d'ordonnance, il prévient que, dans d'autres cas, l'absence de preuve d'efficacité peut signifier que des patients prennent des médicaments qui ne les aident pas ou qui peuvent leur faire du mal.
Le comité recommande que le Réseau sur l'innocuité et l'efficacité des médicaments des Instituts de recherche en santé du Canada participe activement à l'évaluation de l'efficacité de l'utilisation non conforme de médicaments.
De plus, il recommande que l'Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé joue un rôle élargi en réalisant des études sur la sécurité et l'efficacité de l'emploi non conforme de médicaments et en communiquant ses conclusions, lorsque c'est possible.
Les membres du comité se réjouissent de l'intention de Santé Canada de mettre en œuvre un cadre de réglementation des médicaments orphelins. Le nouveau cadre sera conçu de manière à encourager la recherche visant à mettre au point et à approuver de nouveaux médicaments pour soigner les maladies rares. Les représentants de Santé Canada ont affirmé que le nouveau cadre permettra de créer une désignation officielle de médicament orphelin.
Les membres du comité croient fermement que Santé Canada devrait avoir le pouvoir d'exiger des changements aux étiquettes de médicaments approuvés et qu'elle devrait se servir de ce pouvoir. Ils réitèrent les recommandations qu'ils ont formulées à ce sujet dans des rapports précédents. À cet égard, les membres du comité sont heureux de faire remarquer que, depuis l'achèvement de ce rapport, la ministre a annoncé d'importantes modifications à cette fin au moyen du projet de loi C-17.
Le comité s'inquiète de la façon dont les médecins prennent habituellement conscience de l'utilisation non conforme à l'étiquette des médicaments existants. Bien qu'on interdise aux représentants pharmaceutiques de promouvoir l'utilisation non conforme à l'étiquette, on a fait valoir au comité qu'ils seraient peut-être une source importante de renseignements sur l'utilisation généralisée des médicaments, ce qui rend difficile la surveillance de la fiabilité des renseignements communiqués aux médecins. Le comité insiste pour que la ministre de la Santé fasse part de ces enjeux à ses homologues provinciaux.
En résumé, ce rapport donne suite à nos inquiétudes et recommandations relatives aux sous-groupes vulnérables de la population, notamment les enfants, les personnes âgées et les femmes enceintes ou allaitantes. Le rapport réitère les recommandations formulées précédemment quant au besoin de recherche exhaustive sur les médicaments pour évaluer leur innocuité et leur efficacité au sein de ces groupes.
Le rapport réitère également les recommandations formulées dans le rapport de surveillance postapprobation quant au besoin d'utiliser les dossiers médicaux électroniques, les dossiers de santé électroniques et un système de suivi électronique des médicaments d'ordonnance délivrés, à l'accès amélioré des patients au formulaire de déclaration des effets indésirables des médicaments et au besoin d'établir des pouvoirs législatifs supplémentaires.
Les autres recommandations du rapport portent sur l'élargissement du cadre pour les médicaments orphelins récemment annoncé par Santé Canada afin qu'il vise les médicaments plus anciens, qu'il présente un sommaire des motifs de décision négatifs et positifs, notamment sur les nouvelles indications relatives aux anciens médicaments, et qu'il traite de l'application de l'interdiction faite aux fabricants de médicaments de promouvoir l'utilisation non conforme à l'étiquette.
L'utilisation non conforme à l'étiquette des produits pharmaceutiques est avantageuse pour les Canadiens; elle n'est toutefois pas sans risque. Santé Canada peut atténuer considérablement ce risque en surveillant de manière systématique et délibérée les effets de tous les médicaments utilisés par le grand public et en informant les médecins et patients des plus récents risques et avantages associés à l'utilisation de produits pharmaceutiques, surtout si cette utilisation n'est pas conforme à l'étiquette.
Honorables sénateurs, je vous recommande vivement d'appuyer cette motion et d'approuver ce rapport.
(1630)
L'honorable Joseph A. Day : Merci, sénateur Ogilvie, d'avoir présenté ce rapport et merci à tous les membres de votre comité pour le travail accompli. Vous avez bien expliqué ce qu'est un emploi non conforme à l'étiquette, mais je ne comprends pas encore tout à fait comment une personne atteinte d'une maladie pourrait obtenir un médicament réservé à un autre usage. Pouvez-vous expliquer comment cela se passe?
Le sénateur Ogilvie : Oui, je vais vous en donner un exemple ou deux avec plaisir.
Au Canada, certaines maladies ne touchent que 10 à 200 ou 300 personnes. Ce sont ce qu'on appelle des maladies rares ou maladies orphelines, auxquelles on ne connaît pas de traitement. Une personne affligée par une de ces maladies consulte un médecin. Le médecin peut, par la façon dont la personne est touchée par la maladie ou réagi à ses effets, en reconnaître certaines caractéristiques. Il peut alors se rappeler avoir vu qu'un médicament approuvé avait été utilisé chez un patient qui n'a pas cette maladie, mais qui présente certains symptômes analogues. Le médicament avait, de manière inattendue, soulagé des symptômes de l'autre maladie. Il se dit alors que le médicament en question pourrait être utile dans le cas présent.
Il est permis au médecin d'essayer ce médicament parce qu'il est approuvé, même si ce n'est pas pour cette maladie, mais pour une autre. Il y a eu des essais cliniques et le médicament s'est révélé sûr pour un usage dans la population en général, mais il est approuvé pour une tout autre indication. Le médecin pense qu'il aidera le patient pour qui il n'y a aucun autre traitement approuvé. Le patient l'essaye et en tire des bienfaits. Le simple fait d'essayer le médicament pour ce patient constitue un emploi non conforme à l'étiquette.
Si le médicament se révèle utile, la nouvelle se répand rapidement dans un ensemble limité de la population affligée de cette maladie. Il est à espérer que les médecins qui voient ces malades soient au courant de cet emploi non conforme à l'étiquette et en fassent profiter leurs patients.
On parle d'emploi non conforme à l'étiquette lorsqu'un médicament homologué est prescrit soit pour une maladie pour laquelle le médicament n'a pas été approuvé, soit pour un sous-groupe de la population qui n'a pas été inclus dans les essais cliniques initiaux. Cela vous aide-t-il?
Le sénateur Day : Oui, merci.
Je présume que, si le médicament n'est pas efficace, on le saurait très rapidement, quoique peut-être moins rapidement dans le cas des maladies orphelines.
Lorsque vous dites que le médecin est autorisé à prescrire un médicament pour un emploi non conforme à l'étiquette, cela veut-il dire qu'il n'est pas tenu responsable s'il prescrit un médicament qui n'a pas fait l'objet d'essais cliniques visant une maladie en particulier et qu'il croit pouvoir être efficace chez un patient?
Supposons que le médicament ait des effets secondaires. Quelle serait la responsabilité du médecin qui prescrit le médicament ou du pharmacien qui le vend dans un tel cas?
Le sénateur Ogilvie : Je vous remercie de votre question. Vous soulevez un aspect extrêmement important.
Tout d'abord, je vous rappelle que le médecin prescrit un médicament qui a fait l'objet d'un essai clinique en bonne et due forme et qui a été approuvé, mais pour une autre maladie. Ce n'est pas comme si le médecin recommandait un traitement qui n'aurait même jamais été éprouvé. Il s'agit...
Son Honneur le Président intérimaire : Si vous souhaitez poursuivre la discussion, je vous signale que le sénateur Moore veut lui aussi poser une question.
Le sénateur Ogilvie : Puis-je disposer de cinq minutes supplémentaires?
Son Honneur le Président intérimaire : Est-ce d'accord, honorables sénateurs?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Ogilvie : Pour répondre à votre question, le médicament a fait l'objet d'un essai clinique, a été approuvé pour une autre maladie et il est légal. Le médecin le prescrit d'après ce qu'il a observé chez son patient au fil du temps s'il croit que le médicament pourrait lui être bénéfique même s'il a été mis au point pour une autre maladie. Le médecin a le droit de le faire mais en usant de prudence, un aspect sur lequel nous insistons et dont j'ai parlé dans mon exposé. À notre avis, le médecin a la responsabilité absolue d'informer le patient, et ses parents s'il s'agit d'un enfant, qu'il emploie un médicament non conforme à l'étiquette. Il doit absolument signaler au patient que le médicament n'a pas fait l'objet d'un essai clinique visant la maladie en cause et lui expliquer pourquoi il lui prescrit ce médicament. C'est le premier aspect.
Franchement, selon ce que nous avons entendu et selon mon expérience personnelle, les médecins font rarement ce genre d'usage des médicaments. Par contre, il arrive quand même que ce soit le cas et que, dans la population en général, des médicaments soient prescrits à des personnes âgées ou à des enfants sans qu'ils sachent qu'ils en font un usage non conforme à l'étiquette.
En conséquence, nous avons formulé une recommandation en laquelle nous croyons fermement et qui veut que les patients soient dûment informés. Il devrait y avoir un moyen électronique, par exemple, un menu déroulant, qui prévient le médecin, au moment où il prépare une ordonnance, que, compte tenu des symptômes, il s'apprête à prescrire un médicament qui serait ainsi utilisé de manière non conforme à l'étiquette et qu'il doit en informer le patient ou la personne qui en a la charge.
Deuxièmement, les effets indésirables susceptibles de se produire font l'objet d'un autre ensemble clé de recommandations dans ce rapport et dans nos deux rapports précédents. Nous pensons qu'il est inadmissible en 2014 que le patient ne puisse pas facilement signaler les effets indésirables d'un médicament à Santé Canada, à son pharmacien et au médecin ayant signé l'ordonnance. Nous croyons qu'il est absolument essentiel que nous soyons beaucoup plus efficaces dans la collecte d'information en temps réel sur les effets indésirables d'un médicament utilisé par la population. Ce constat est valable non seulement lorsque les médicaments sont utilisés de manière non conforme, mais également lorsque ce n'est pas le cas. Ai-je répondu à votre question, sénateur?
Le sénateur Day : Merci. Oui, et j'ai hâte de lire votre rapport.
Cependant, je voudrais une dernière précision. Les usages non conformes à l'étiquette des médicaments comprennent-ils à la fois les médicaments vendus sur ordonnance et ceux qui ne nécessitent pas d'ordonnance, mais que les médecins recommandent à leurs patients?
Le sénateur Ogilvie : Je ne suis pas certain de ce qui devrait se passer lorsqu'un médecin recommande à une personne de se procurer un médicament qu'on peut obtenir sans ordonnance. Il faudrait que le médicament soit homologué et puisse être vendu librement dans les pharmacies. Vous voulez peut-être parler du cas où un médecin doit traiter un patient atteint d'une maladie rare ou du cas où ses travaux de recherche lui ont permis de connaître les effets d'un composé n'ayant jamais été considéré auparavant comme un médicament.
Pour pouvoir faire ce genre de recommandation à un patient, il faudrait que le médecin ait reçu l'autorisation d'utiliser le médicament pour la recherche. Ce serait en fait un petit essai clinique, et il faudrait qu'un comité d'examen déontologique se soit penché sur la question au préalable et ait permis l'utilisation d'un médicament jamais employé auparavant. La substance en question ne pourrait même pas être qualifiée de médicament; ce ne serait qu'un produit chimique.
Les médecins n'ont pas le droit, l'autorisation ou la permission d'employer en toute légalité n'importe quel produit chimique, mais, s'il s'agit d'un médicament sur ordonnance autorisé, ils peuvent se servir de leurs connaissances pour en faire un usage nouveau.
L'honorable Wilfred P. Moore : Le sénateur accepterait-il de répondre à une autre question?
Le sénateur Ogilvie : Oui.
(1640)
Le sénateur Moore : Ce rapport est excellent et très intéressant. Je tiens seulement à préciser une chose. Le sénateur Day a entendu dire qu'un emploi non conforme à l'étiquette, c'est un usage pour lequel il n'y a pas eu de tests cliniques. Est-ce bien ce que cela signifie? Aucun test clinique n'a été fait sur ce médicament pour l'usage qu'on veut en faire.
Le sénateur Ogilvie : Oui, sénateur Moore, c'est un bon point à préciser. Je le répète : un usage non conforme à l'étiquette, c'est un usage différent de ceux qui ont fait l'objet de tests cliniques. Les médecins veulent alors utiliser un médicament pour un usage qui ne fait pas partie de la liste établie par le ministère de la Santé lorsqu'il est homologué.
Le sénateur Moore : Je vous remercie. J'aurais une question complémentaire...
Son Honneur le Président intérimaire : Avant de poursuivre, il faudrait accorder du temps supplémentaire, si les sénateurs y consentent. Sénateur Ogilvie, demandez-vous un peu plus de temps?
Le sénateur Ogilvie : On m'a déjà accordé du temps supplémentaire. Si le Règlement le permet, je veux bien en demander encore.
Son Honneur le Président intérimaire : Continuons encore cinq minutes. Le sénateur Moore a la parole.
Le sénateur Moore : Pendant que vous parliez, sénateur Ogilvie, j'ai pensé à la question de la responsabilité, et je crois que vous en avez parlé lorsque vous avez répondu à la question du sénateur Day. À la fin, vous avez fait une observation intéressante : aucun système ne permet aux patients de signaler les effets indésirables qu'aurait un médicament utilisé pour un usage non conforme à l'étiquette. Comment pourrait-on en créer un? Quel genre de système faudrait-il instaurer pour que les patients puissent le faire et pour que le secteur pharmaceutique puisse recueillir des données utiles?
Le sénateur Ogilvie : Merci, sénateur Moore. Comme je l'ai déjà mentionné, notre comité s'intéresse à cette question, sur laquelle portaient ses deux précédents rapports ainsi que le rapport en question, et il est probable que le quatrième et dernier rapport porte lui aussi sur le même sujet. À notre avis, il est essentiel, pour la santé des Canadiens, d'avoir une rétroaction en temps réel sur l'utilisation d'un médicament approuvé dans la population générale. Dès qu'un médicament est approuvé et qu'il est prescrit, nous estimons qu'il devrait y avoir un mécanisme très simple et une conscientisation. Il faut conscientiser les gens et mettre au point un mécanisme très simple permettant aux pharmaciens, aux médecins et aux patients, surtout aux patients en fait, de communiquer rapidement leur expérience personnelle avec un médicament donné à leur pharmacien, leur médecin et Santé Canada. Un tel système n'existe pas à l'heure actuelle. Nous pensons qu'il est grand temps de le mettre au point. Nous avons les technologies et les connaissances nécessaires pour le faire. Dans les documents accompagnant les médicaments sur ordonnance fournis par les pharmaciens, le patient devrait trouver une adresse électronique où il peut envoyer rapidement ses observations.
Lisez nos rapports, ils s'attardent longuement sur la question. Selon nous, il y a plusieurs choses à accomplir. J'aimerais vous parler, en guise d'exemple, d'un essai effectué ailleurs, dans le cadre duquel l'équipe de recherche a décidé de demander la permission aux patients d'assurer un suivi auprès d'eux après avoir reçu leurs médicaments. C'est comme quand on amène sa voiture au garage, le garagiste nous rappelle le lendemain ou la semaine suivante pour voir si on était satisfait du service. Le groupe a fait quelque chose de semblable. Il a assuré un suivi auprès des patients qui avaient donné la permission d'être contactés, d'abord le lendemain, puis la semaine suivante, et enfin environ un mois plus tard. On ne peut pas faire un tel suivi avec tous les médicaments. Cependant, l'exercice a clairement démontré que les patients peuvent très bien communiquer leur expérience avec un médicament après l'avoir essayé. Je signalerais cependant qu'il est important de faire le suivi non seulement pour connaître les effets indésirables des médicaments, mais aussi pour permettre aux médecins de savoir quand un traitement n'a pas été suivi jusqu'au bout; par exemple, lorsque les patients éprouvent des douleurs abdominales au milieu de la nuit à cause des médicaments qu'ils viennent de consommer, il leur arrive de se débarrasser du reste de ce qui leur a été prescrit. L'absence de suivi auprès des patients pour connaître leur expérience concrète de l'utilisation d'un certain produit pharmaceutique peut entraîner toutes sortes de conséquences.
Finalement, je dirais que les membres de notre comité ont été assez convaincus par les témoignages des personnes qui ont laissé entendre que moins de 3 p. 100, et peut-être beaucoup moins que cela, des effets indésirables des médicaments sont déclarés. Nous croyons que c'est inexcusable.
L'honorable Art Eggleton : Je veux appuyer l'adoption du rapport. C'est le troisième rapport de la série. Nous avons rédigé un rapport sur les essais cliniques. Nous en avons rédigé un sur le suivi post-approbation. Puis, ce dernier rapport, qui porte sur l'emploi non conforme à l'étiquette. Nous sommes maintenant en train de préparer un rapport sur les conséquences imprévues. Je pense que les recommandations ouvrent la voie à des réformes et à des changements au système qui sont très nécessaires pour s'assurer que ces produits pharmaceutiques ne présentent pas de danger pour les gens qui les prennent et qu'ils répondent efficacement aux besoins de ceux-ci.
Je remercie le sénateur Ogilvie de son travail à titre de président du comité. Comme nos autres rapports, ce rapport a fait l'unanimité au sein de notre comité.
Son Honneur le Président intérimaire : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Des voix : D'accord.
Son Honneur le Président intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?
(La motion est adoptée, et le rapport est adopté.)
[Français]
Le Sénat
Son rôle législatif—Interpellation—Ajournement du débat
L'honorable Pierre Claude Nolin, ayant donné préavis le 28 janvier 2014 :
Qu'il attirera l'attention du Sénat sur son rôle législatif.
— Honorables sénateurs, la présente interpellation sur le rôle législatif du Sénat s'inscrit dans une série de débats visant une meilleure compréhension de la nature du travail du Sénat, des principes qui en structurent les fondements et de l'étendue des rôles qui lui sont dévolus.
Je me suis encore une fois inspiré — mon épouse pense que c'est devenu mon livre de chevet depuis plusieurs mois — du livre Protéger la démocratie canadienne : le Sénat en vérité, publié en 2003 sous la direction de notre collègue, l'honorable Serge Joyal.
(1650)
[Traduction]
Plus précisément, je me suis abondamment inspiré du chapitre 6, intitulé « Le Sénat du Canada à l'ère moderne », rédigé par C.E.S. Franks, professeur émérite de science politique à l'Université Queen's et auteur de The Parliament of Canada.
[Français]
Le Sénat et la Chambre des communes sont tous deux des organes législatifs autonomes du Parlement et ils ont des fonctions différentes, mais complémentaires.
Dans son introduction, le sénateur Joyal énonce que :
Le Sénat a pour objet de réviser les lois fédérales et de surveiller les activités de l'exécutif, en prenant en compte tout particulièrement les intérêts des groupes et des régions sous-représentés.
La meilleure façon, sinon la seule, d'amorcer l'étude du rôle législatif du Sénat consiste à examiner le processus législatif fédéral dans son ensemble.
Il nous apparaissait donc inconcevable d'entreprendre cet examen sans faire une mise à jour de l'état du rôle législatif de la Chambre des communes.
Contrairement à leurs collègues du Congrès américain, la première fonction des députés n'est pas de légiférer.
[Traduction]
En 2003 le professeur Franks écrivait ceci :
La première fonction des députés élus à la Chambre des communes, contrairement à leurs collègues du Congrès américain, n'est pas de légiférer, tâche dont les Communs ne s'acquittent d'ailleurs pas très bien. La principale fonction des Communes consiste à faire et à défaire les gouvernements, c'est-à-dire, en soutenant le gouvernement qui a leur confiance, et en permettant à une opposition dûment constituée de le critiquer et de se présenter comme gouvernement de rechange auprès de l'électorat, avec l'espoir de le battre et de le remplacer aux prochaines élections générales. La notion de « confiance », dont on ne retrouve aucun équivalent dans le système américain de séparation des pouvoirs, est la clé de voûte de la démocratie parlementaire de type Westminster, et c'est dans ses ramifications que résident en grande partie les complexités et les avantages du régime de gouvernement parlementaire où le Cabinet gouverne.
[Français]
Cette « fusion » des pouvoirs législatif et exécutif entre les mains du premier ministre et de son Cabinet fait de la Chambre des communes le théâtre de la lutte continuelle entre les partis politiques.
Le gouvernement parlementaire qui s'avérait être la pierre angulaire de notre régime allait, avec l'évolution historique de l'exercice du pouvoir exécutif, malheureusement devenir un de ses problèmes.
Si l'on considère le déclin continuel du taux de participation aux élections fédérales des dernières décennies, surtout dans les cohortes des plus jeunes électeurs, il est possible d'émettre l'hypothèse que certains ont perdu l'espoir, s'ils l'avaient déjà eu, d'obtenir de leur Parlement le rendement auquel ils sont en droit de s'attendre.
[Traduction]
Lorsque le gouvernement essaie sans cesse de souligner ses réalisations et que l'opposition cherche continuellement à révéler les erreurs du gouvernement, le conflit s'institutionnalise. Ainsi, le gouvernement a toujours raison et l'autre côté de la Chambre a toujours tort. Cette relation manichéenne symbolise aujourd'hui la démocratie parlementaire canadienne.
Revenons au professeur Franks :
La vigueur de l'opposition partisane, et sa médiatisation, mènent trop souvent à des situations où la Chambre court le risque que le débat partisan prenne le dessus sur les autres fonctions parlementaires, au point de les négliger ou de mal s'en acquitter.
[Français]
Un peu moins d'esprit partisan serait sans doute un peu plus utile, et la population canadienne en est déjà pas mal convaincue.
Collectivement, les partis politiques et les députés individuellement doivent accepter qu'ils aient aussi des responsabilités qui, afin d'y faire face adéquatement, exigeraient souvent moins ou pas d'esprit partisan.
L'incontournable ligne de parti ne doit être ni exclusive ni encore moins « annihilante ».
Certains débats nécessitent qu'ils soient abordés avec plus de respect pour l'ensemble des opinions et, conséquemment, plus de collégialité.
Les reproches qui sont souvent faits à l'endroit de la Chambre des communes s'arriment sur l'impossibilité pour ses membres d'admettre que la non-partisanerie soit quelquefois salutaire.
Ces reproches ne sont pas récents. Fortement enracinés depuis plusieurs décennies, pensons à l'examen superficiel qui est fait des prévisions budgétaires; aux critiques légitimes de l'opposition à l'égard de l'administration et du comportement des gouvernants; et, enfin, à l'impossibilité pour les comités d'étudier sérieusement les questions administratives ou politiques qui les confrontent.
[Traduction]
De nouveau, en 2003, le professeur Franks a ajouté judicieusement que :
La Chambre se transforme tout simplement en un champ de bataille entre les partis, ne s'acquitte plus de sa fonction d'examen et de révision des lois et des orientations gouvernementales, et faillit à son devoir de demander de vrais comptes au gouvernement.
Permettez-moi de souligner ce qu'il a dit au sujet des médias dans ce contexte et des conséquences qui en découlent :
Les médias se sont fait complices de ce processus en encourageant la chasse au scandale et au superficiel au lieu de s'intéresser aux graves problèmes auxquels le pays doit faire face [...] L'obsession des médias à l'égard des affrontements féroces sur le parquet de la Chambre et des luttes partisanes, et cette propension à croire que toute déviation de la ligne du parti ou dissension d'un député d'arrière-ban est signe de faiblesse, tout cela contribue à consolider la rigidité déjà extraordinaire de la ligne de parti, ce qui fait de la partisanerie pratiquement le seul moteur du comportement des députés à la Chambre et dans les comités.
[Français]
Malheureusement pour la population, le bien que peut accomplir la Chambre des communes s'estompe sous les banalités du jour.
Les membres de l'opposition, leur parti et leur chef accordent conséquemment une importance disproportionnée aux banalités et aux scandales, négligeant les choses plus sérieuses et importantes, mais malheureusement peu médiatisées.
S'ajoute à ce déficit le manque d'expérience parlementaire de plusieurs nouveaux députés.
Il importe de préciser que le processus législatif est tellement dominé par l'exécutif, et en particulier par les organismes centraux du gouvernement, que ce dernier empêche la Chambre de jouer son rôle légitime.
Permettez-moi d'ajouter l'effet délétère que peut avoir sur les députés, même bien intentionnés, le pouvoir du chef de chaque formation politique de reconnaître et d'approuver la candidature de chacun à chaque élection fédérale.
À la Chambre, la discipline de parti est extrêmement rigide : le gouvernement domine les débats, il y impose régulièrement et péremptoirement, malheureusement, des limites à la durée des débats, même en comité, et il accepte peu d'amendements alors que plusieurs députés, même au sein de sa formation, expriment de sérieuses réserves.
Précisons encore que cette situation perdure depuis longtemps et n'est certainement pas l'apanage du présent gouvernement.
Malgré tout, la Chambre des communes doit demeurer maîtresse de sa destinée. Elle seule peut modifier son évolution. Ce n'est certes pas notre rôle ni notre responsabilité de faire le travail de remise à niveau à sa place.
[Traduction]
Cela dit, et compte tenu de l'importance de respecter l'indépendance de chacune des Chambres législatives, le Sénat pourrait souhaiter utiliser ses pouvoirs pour effectuer un examen législatif approfondi.
Maintenant, examinons pourquoi et comment le Sénat participe au processus législatif.
Tout d'abord, rappelons-nous que, sur le plan constitutionnel, les fondateurs du Canada « ont exprimé le désir de contracter une Union Fédérale pour ne former qu'une seule et même Puissance (Dominion) sous la couronne du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande, avec une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni ». Une telle union « aurait l'effet de développer la prospérité des provinces ». Le pouvoir législatif sera conféré à un Parlement qui sera composé de la Reine, du Sénat et de la Chambre des communes. Le Sénat et la Chambre des communes, ainsi que leurs membres respectifs, jouiront des privilèges, des immunités et des pouvoirs définis par loi du Parlement du Canada. « Il sera loisible à la Reine, de l'avis et du consentement du Sénat et de la Chambre des Communes, de faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada. » « Tout bill ayant pour but l'appropriation d'une portion quelconque du revenu public, ou la création de taxes ou d'impôts, devra originer dans la Chambre des Communes. »
[Français]
Compte tenu des déficiences du processus législatif que j'ai énoncées un peu plus haut, les défenseurs du Sénat, dont le professeur Franks, soulignent l'utilité de notre institution dans la mesure où elle compense pour plusieurs de ces carences.
(1700)
Puisqu'ils sont nommés jusqu'à l'âge de 75 ans, les sénateurs peuvent agir avec beaucoup plus d'indépendance dans une perspective à plus long terme, assurant ainsi une continuité salutaire. Les sénateurs ont généralement beaucoup plus d'expérience politique et professionnelle. Les sénateurs sont plus représentatifs de la démographie de leur région. Nous retrouvons au Sénat une proportion plus importante de femmes, une présence autochtone significative, plusieurs sénateurs provenant des communautés ethniques et raciales minoritaires, plusieurs issus des communautés francophones et anglophones minoritaires leur région respective, la stabilité relative permettant aux sénateurs d'acquérir une plus longue expérience parlementaire, un environnement moins partisan, autorisant certains du parti au pouvoir à voter contre une mesure gouvernementale, et l'adoption d'amendements aux projets de loi auxquels le gouvernement s'était opposé à la Chambre des communes.
En résumé, moins de partisanerie et une discipline de parti moins contraignante se traduisent souvent par des débats moins conflictuels et une approche en comité qui permet aux sénateurs de procéder à des enquêtes plus fructueuses sur les vraies questions de fond.
Certains collègues ont soulevé l'importance de la partisanerie au Sénat. Soyons clairs, les sénateurs sont partisans et c'est bien comme ça. Ce qui pose problème, ce n'est pas d'être partisan ou d'être totalement indépendant. Ce qui pose problème, c'est plutôt de l'être au point de perdre de vue nos responsabilités.
Je vous ai décrit les problèmes engendrés à la Chambre des communes par l'intensité partisane et la discipline de parti trop rigide. Il m'apparaît beaucoup plus facile pour un sénateur de remplir ses fonctions s'il réussit à réduire l'importance de l'influence partisane sur ses décisions. Le libre arbitre de chacun est souvent bien meilleur guide.
[Traduction]
Il serait peut-être utile d'examiner, au cours de cette interpellation, de quelle façon le Sénat exerce son rôle législatif en ce qui concerne l'affectation de fonds publics et la création de taxes et d'impôts. Il faut souligner que, historiquement, le Sénat a adopté la position qu'il a le droit constitutionnel d'amender, mais non de relever les projets de loi de finances que lui achemine la Chambre des communes. Je pense qu'il vaudrait la peine de passer en revue les conclusions du rapport Ross, intitulé Rapport du Comité spécial chargé de déterminer les droits que possède le Sénat en matière de lois de finances, déposé au Sénat le 9 mai 1918, afin de voir si elles demeurent pertinentes.
[Français]
Surtout que, sur ce point précis du pouvoir du Sénat, il y a rupture avec la coutume des Chambres « impériales ». La concession de ce pouvoir constitue un élément essentiel du pacte de la Confédération.
Ce serait intéressant que quelqu'un du Comité sénatorial permanent des finances nationales — et je regarde le président, le sénateur Day — puisse examiner de nouveau ce rapport pour le mettre à jour, si besoin est.
[Traduction]
Une question essentielle demeure : le Sénat dispose-t-il de la légitimité nécessaire pour remplir adéquatement son rôle législatif? La réponse à cette question est cruciale. Cette légitimité est au cœur du débat sur l'avenir de la Chambre haute. Plusieurs prétendent que le Sénat, dans sa forme actuelle, ne jouit pas de cette légitimité. Parmi eux, on compte même des sénateurs. Je ne suis pas du tout d'accord avec cela. Pour moi, c'est très clair.
[Français]
Les lois constitutionnelles accordent au Sénat tous les pouvoirs nécessaires à l'accomplissement réfléchi et productif de son rôle législatif. C'est la loi! À plus forte raison car elle est constitutionnelle. Ne perdons jamais de vue que la Loi constitutionnelle de 1982 énonce ce qui suit :
Le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent [...] la primauté du droit.
Tant et aussi longtemps que les acteurs politiques en autorité n'en auront pas décidé autrement, conformément à la formule d'amendement appropriée, il est de notre devoir de remplir notre rôle législatif tel qu'il nous a été confié. Ceux qui remettent en question notre légitimité ont tort et n'aident en rien à éclairer le débat. C'est surtout avec la crédibilité du Sénat qu'ils ont un problème. Le Sénat est le fruit d'un pacte historique. Il n'en tient qu'au Sénat et aux sénateurs d'utiliser leur pouvoir et de réaliser l'œuvre envisagée par ce pacte fondateur.
J'aimerais demander cinq minutes supplémentaires.
L'honorable Ghislain Maltais (Son Honneur le Président suppléant) : Honorables sénateurs, souhaitez-vous accorder cinq minutes de plus au sénateur Nolin?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Nolin : À mon humble avis, la crédibilité du Sénat, qui est fondamentale, repose sur trois choses : premièrement, le constat que fait chaque sénateur de sa responsabilité dans la structure parlementaire; deuxièmement, les décisions prises individuellement et collectivement afin de satisfaire à cette responsabilité; et, troisièmement, notre compétence à minimiser l'influence partisane exagérée et indue.
Permettez-moi, avant de conclure, de vous citer trois extraits. Les deux premiers sont tirés des Débats parlementaires sur la Confédération en 1865, et le troisième est tiré d'une décision de la Cour suprême en 1980.
La première citation provient de sir John A. Macdonald, en 1865, et elle se lit comme suit :
[Traduction]
Notre Chambre haute ne serait d'aucune utilité si elle n'exerçait pas, quand elle le juge opportun, le droit de s'opposer à un projet de loi de la Chambre basse, de l'amender ou de le retarder. Elle ne serait d'aucune utilité si elle se bornait à sanctionner les décrets de la Chambre basse. Elle doit être une Chambre indépendante, jouissant de sa propre liberté d'action, car elle n'est utile que comme organe de réglementation, qui considère calmement les projets de loi proposés par la Chambre populaire et empêche le passage de toute loi intempestive ou pernicieuse adoptée par cette dernière, mais elle ne s'opposera jamais aux souhaits délibérés et compris du peuple.
La deuxième citation vient de George Brown et date, elle aussi, de 1865 :
On a voulu faire de la Chambre haute un corps parfaitement indépendant, un corps qui serait dans la meilleure position possible pour étudier sans passion les mesures de cette Chambre...
— c'est-à-dire de l'assemblée législative —
... et défendre les intérêts publics contre toute tentative de législation hâtive ou entachée d'esprit de parti.
[Français]
Le troisième extrait provient de la Cour suprême du Canada, dans le Renvoi sur la compétence législative du Parlement du Canada relativement à la Chambre haute, 1980. Le paragraphe 48 se lit comme suit :
En créant le Sénat de la manière prévue à l'Acte (de l'Amérique du Nord britannique, 1867), il est évident qu'on voulait en faire un organisme tout à fait indépendant qui pourrait revoir avec impartialité les mesures adoptées par la Chambre des communes.
En guise de conclusion, honorables sénateurs, je vous propose, avec une certaine émotion, la déclaration suivante.
Dans l'exercice de son rôle législatif, le Sénat procède calmement et de façon autonome à l'examen des propositions législatives en utilisant son processus, efficace et crédible, permettant l'adoption de lois qui soient respectueuses, d'une part, des « souhaits délibérés et compris du peuple » et, d'autre part, du droit constitutionnel et de la règle de droit qui le soutient.
L'exercice de ce pouvoir nécessite, si le Sénat le juge approprié, dans des circonstances particulières et pour des motifs suffisants, d'accepter, d'amender, de retarder ou même de s'opposer aux désirs du Cabinet et de la Chambre des communes.
Je n'ai pas la prétention, honorables sénateurs, d'avoir tout dit ni d'avoir couvert tout le sujet, mais j'espère que plusieurs accepteront de participer au débat sur la présente interpellation afin de parfaire notre réflexion sur le rôle fondamental législatif du Sénat. Merci de votre attention. Je suis maintenant disposé à répondre à vos questions.
(Sur la motion du sénateur Cowan, le débat est ajourné.)
(La séance est levée, et le Sénat s'ajourne à 14 heures demain.)