POLITIQUE NATIONALE EN MATIÈRE DE DROGUES : FRANCE
Produit pour le comité sénatorial spécial sur les drogues illicites
Chantal Collin
Division des affaires politiques et sociales
Le 29 août 2001
BIBLIOTHÈQUE DU PARLEMENT
POLITIQUE NATIONALE EN MATIÈRE DE DROGUES
A. Plan gouvernemental de lutte contre la drogue et de prévention des dépendances de 1999 à 2001
1. Recherche : Connaître, savoir, comprendre
2. Communication : Informer le grand public et créer une culture de référence fiable
3. Prévention : Systématiser, élargir notre champ tout en rappelant les interdits posés par la loi
4. Formation : Harmoniser les connaissances des principaux acteurs
5. Accueil, orientation, soins et insertion des usagers de produits psychoactifs : profil des usagers de produits psychoactifs
6. La loi et ses applications : Appliquer la loi et renforcer la répression du trafic
7. Coordination nationale et locale
8. Action extérieure de la France
C. Principaux rapports et études
1. Le rapport « Pelletier »
2. Le rapport Trautmann
3. Le rapport Henrion
E. Statistiques sur l’usage et les infractions
Le présent document est une brève introduction à la politique française en matière de drogues. Il comprend :
- un examen de la stratégie triennale adoptée par la France pour lutter contre les drogues et prévenir la dépendance pour la période allant de 1999 à 2001;
- une description des principales études et rapports qui ont influencé, dans ce pays, la stratégie antidrogue et le cadre législatif;
- les lois françaises s’appliquant aux drogues illicites;
- les organismes d’exécution des lois;
- les données statistiques sur l’usage des drogues et sur les infractions qui s’y rapportent;
- les coûts de la politique française en matière de drogues.
Ce document fait partie d’une série de rapports sur les pays préparés par la Bibliothèque du Parlement à l’intention du Comité sénatorial spécial sur les drogues illicites.
POLITIQUE NATIONALE EN MATIÈRE DE DROGUES
A. Plan gouvernemental de lutte contre la drogue et de prévention des dépendances de 1999 à 2001
Jusqu’en 1995, la stratégie adoptée par la France envers les toxicomanes se démarquait de celle d’autres pays européens tels que la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, l’Allemagne, la Suisse et l’Espagne et, jusqu’à un certain point, l’Italie, qui ont mis en œuvre, au milieu des années 80, une approche axée sur la réduction des méfaits de la drogue tenant compte des conséquences sociales et médicales de la toxicomanie. D’autre part, la politique sanitaire s’attachait à des traitements curatifs visant l’abstinence et à la répression de la consommation et du trafic de drogue par l’entremise du système de justice pénale. La toxicomanie était considérée principalement comme une affection psychologique pouvant être traitée et guérie grâce à une psychothérapie inspirée par la psychanalyse alors que les principaux acteurs d’autres pays européens percevaient la dépendance envers les drogues comme résultant essentiellement d’une déficience biologique ou neurobiologique. L’adoption de cette perspective biologique et neurobiologique a amené ces pays à comprendre que le chemin de l’abstinence pouvait être semé d’embûches pour certains toxicomanes et qu’il était indispensable de se préoccuper des conséquences médicales de la toxicomanie et d’adopter des mesures aptes à réduire le préjudice causé à ces personnes (telles que l’échange de seringues et le traitement à la méthadone).
Le virage vers une politique de réduction des méfaits de la drogue ne s’est produit en France qu’en 1995, après trois ans de controverses et manifestations virulentes d’intervenants de divers ordres (médecins hospitaliers préoccupés par le sida, membres d’ONG, toxicomanes, spécialistes, etc.) qui ont critiqué les fondements scientifiques des principaux objectifs de la politique française en matière de drogues. Au centre de ce débat : le traitement à la méthadone administré aux toxicomanes. En février 1994, seul un petit groupe de 77 toxicomanes avait accès à un traitement à la méthadone alors que la France comptait, à la même époque, 160 000 héroϊnomanes. En 1998, des traitements de substitution de médicaments (méthadone et Subutex) ont été offerts, en France, à un groupe pouvant atteindre 70 000 toxicomanes. Ce virage indique clairement que les pouvoirs publics considèrent maintenant la réduction des méfaits de la drogue comme un élément fondamental de la politique française en la matière.
Le 16 juin 1999, le gouvernement français a présenté un plan triennal qui reflète clairement ce changement de paradigme puisque les mesures palliatives et préventives devenaient des buts légitimes dans le cadre de la politique française. En ce qui a trait à la politique pénale, le cadre législatif principal – la Loi de 1970 – n’a pas été modifié et la consommation de drogue est toujours tenue pour une infraction. Néanmoins, une circulaire du ministre de la Justice a invité les procureurs à éviter l’incarcération et à promouvoir le traitement dans les cas de consommation de drogue.
Le plan est fondé sur des données européennes et internationales autant que sur de récents rapports, sur des consultations interministérielles sur une grande échelle et sur des études scientifiques fournissant un certain nombre d’observations fondamentales à propos de la politique en matière de drogues et de la toxicomanie en France. L’émergence de nouveaux profils de consommation tels que l’utilisation de drogues multiples (licites et illicites), l’augmentation de la consommation de cannabis et d’alcool chez les jeunes et la disponibilité accrue de drogues de synthèse étaient au cœur des préoccupations exprimées. Les systèmes et les bases de connaissances ont également fait l’objet de diverses critiques :
- le manque de coordination entre les programmes de prévention et leur accessibilité limitée (p. ex. les programmes de prévention scolaire en matière de drogue ne sont offerts qu’à moins de 40 p. 100 des élèves et, en ce qui concerne l’alcool et le tabac, à moins de 20 p. 100);
- le manque d’appui social et professionnel;
- le fait qu’il n’y ait pas de terrain d’entente culturel entre les divers intervenants (application des lois, bien-être social, éducation et santé publique);
- l’importance excessive accordée aux héroïnomanes dans l’administration des traitements spécialisés au moment même où la consommation, parmi les membres de ce groupe de toxicomanes, vient de se stabiliser;
- la difficulté de concilier la mise en application de la loi avec une stratégie de santé publique.
L’application de la loi pénale à l’égard des usagers a été constamment marquée par une difficulté de concilier action répressive et impératifs de santé publique. Le nombre d’usagers interpellés a doublé en cinq ans, sans que la procédure judiciaire permette suffisamment une rencontre utile avec médecins ou travailleurs sociaux.()
En outre, les représentants élus et le grand public ont dit craindre que le nombre d’arrestations pour trafic n’ait décliné au niveau local depuis 1996, tout en trouvant ce fait difficile à comprendre à en juger par l’importance qu’il faudrait accorder, à leurs yeux, au contrôle de l’approvisionnement en drogues. Enfin, le manque d’indicateurs fiables a empêché toute évaluation approfondie, voire compréhensible, des programmes existants.
Tenant compte des observations signalées ci-dessus, le gouvernement a élaboré un plan triennal qui a défini les priorités d’action, les objectifs et les mesures à prendre pour atteindre ceux-ci. Parmi les priorités d’action sélectionnées : la recherche; la communication; la prévention; la formation; l’accueil, le counseling, le traitement et la réhabilitation des consommateurs de substances psychoactives; la loi et ses applications; la coordination à l’échelle nationale et locale; l’action à l’extérieur de la France. Voici, pour ces priorités d’action, les objectifs qui ont été établis, accompagnés d’un certain nombre de mesures particulières, tels qu’ils sont présentés dans le livret résumant le plan gouvernemental.
1. Recherche : Connaître, savoir, comprendre
- L’objectif : Améliorer notre dispositif d’observation, d’études et de recherche pour permettre d’anticiper les évolutions et prendre les décisions utiles au bon moment.
- Mesures à prendre : Élaborer un programme de recherche; mettre en
place un dispositif permanent d’enquête pour évaluer la prévalence de
la consommation de substances psychoactives; créer un dispositif
permanent afin d’observer, en temps réel, l’évolution des modes de
consommation et les produits qui circulent; mettre en place un réseau
permanent de programmes d’évaluation de politiques publiques dans ce
secteur; et regrouper l’ensemble des instruments de mesure et d’évaluation
en un lieu de référence et de pilotage centralisé (Observatoire français
des drogues et des toxicomanies).
2. Communication : Informer le grand public et créer une culture de référence fiable
- L’objectif : Mettre à la disposition de l’ensemble de la population des informations validées, afin d’améliorer sa capacité à formuler des réponses adaptées.
- Mesures à prendre: Conduire, à long terme, une politique volontariste de communication et d’information; engager des actions plus ciblées destinées à des populations particulières; ouvrir un site Internet; créer un réseau national de centres d’information et de ressources sur la drogue et les dépendances; et réorganiser Drogues Info Service.
- L’objectif : Au regard des travaux et expériences les plus récents,
privilégier une approche de prévention fondée sur les comportements, plus
que sur les produits, en distinguant l’usage, l’usage nocif et la
dépendance.
- Mesures à prendre : Définir un programme national de prévention accompagné d’un guide des bonnes pratiques, d’un guide d’évaluation, et d’une commission de validation des outils; élaborer un programme départemental de prévention en milieu scolaire et hors temps scolaire; professionnaliser les acteurs de prévention; généraliser les « comités d’éducation pour la santé et la citoyenneté » (CESC) dans les établissements scolaires; conduire des actions de prévention; développer des lieux d’accueil et d’écoute pour les adolescents; et réaffirmer les orientations de la politique pénale concernant les réponses judiciaires à l’égard des usagers de stupéfiants. Inscrire les structures départementales dans la ligne des objectifs décrits ci-dessus qui doivent être généralisés à tous les départements (décentralisation de crédits destinés à développer la prise en charge sanitaire et sociale des contrevenants).
4. Formation : Harmoniser les connaissances des principaux acteurs
- L’objectif : Créer, à partir de savoirs validés, une culture commune à tous les professionnels de la prévention, de l’éducation, des soins et de la répression.
- Mesures à prendre : Former tous les professionnels non spécialisés qui se trouvent en relation avec des usagers de drogue ou des consommateurs excessifs d’alcool; assurer une formation commune à tous les acteurs de prévention; permettre aux personnels spécialisés d’acquérir les compétences qui leur manquent; assurer des formations plus ciblées pour les services répressifs; et améliorer la formation initiale et continue des médecins et des pharmaciens.
5. Accueil, orientation, soins et insertion des usagers de produits psychoactifs : profil des usagers de produits psychoactifs
- L’objectif : Réorienter le dispositif de soins vers une prise en
charge plus précoce de consommateurs abusifs de multiples produits.
- Mesures à prendre : Conduire une démarche d’inventaire et de programmation régionale et départementale afin qu’il n’existe pas de disparités régionales; développer les réseaux de professionnels de la santé en les invitant à se rendre compétents; développer les équipes de liaison hospitalière; faire évoluer les dispositifs de soins spécialisés; développer la politique de réduction des risques pour atteindre les usagers marginalisés; assurer la continuité des soins des usagers en garde à vue et dans les établissements pénitentiaires; veiller à l’accès des usagers de drogue aux dispositifs d’insertion prévus dans le cadre de la loi; renforcer l’accompagnement social des personnes sous traitement de substitution; prendre en charge de manière précoce les femmes enceintes dont la consommation de drogue, d’alcool ou de tabac pose problème; et expérimenter des prises en charge pour les adolescents consommateurs excessifs à l’égard desquels on dispose de peu de savoir-faire.
6. La loi et ses applications : appliquer la loi et renforcer la répression du trafic
- L’objectif : Redéfinir les priorités de la politique pénale au
regard du bilan de l’application de la Loi de 1970, qui fait apparaître
une augmentation importante des arrestations d’usagers, une stabilité des
poursuites concernant le trafic international et une baisse relative des
arrestations pour trafic local.
- Mesures à prendre : Le ministère de la Justice (Garde des Sceaux) a adressé aux procureurs de la République une circulaire visant à rendre plus efficace la répression du trafic local et international; améliorer la coordination locale de la lutte contre le trafic; adapter les dispositifs de contrôle juridique et administratif à l’arrivée massive et constante de nouvelles drogues de synthèse (à savoir, mettre au point un nouveau mode de classement, mettre en place un système souple de classement provisoire et sensibiliser les industriels du secteur chimique aux risques de détournement de leurs produits).
7. Coordination nationale et locale
- L’objectif : Faire de la MILDT un lieu où s’élabore le travail interministériel, où les compétences et les savoir-faire s’expérimentent et s’évaluent.
- Mesures à prendre : Permettre à la mission d’agir à long terme
et redéfinir les missions du dispositif de coordination local afin qu’il
joue un véritable rôle dans l’élaboration et la mise en œuvre du
programme.
8. Action extérieure de la France
- L’objectif : Il s’agit de redéfinir les priorités géographiques de la France en fonction des flux du trafic des stupéfiants et de privilégier la coopération avec l’Asie centrale et du Sud-Ouest, la Russie et l’Ukraine. Même si les actions concernant la réduction de l’offre doivent rester prioritaires, les actions de réduction de la demande et surtout de réduction des risques doivent être développées.
- Mesures à prendre : Rééquilibrer les actions en fonction d’une définition claire des priorités géographiques; conduire des actions dans le domaine de la réduction de la demande; développer des actions de réduction des risques dans les pays les plus proches de la France (notamment en Russie et en Ukraine); et préparer la présidence française de l’Union européenne.
La loi française qui régit les drogues illicites est tirée de nombreuses sources, notamment de quatre codes : le Code de la santé publique, le Code pénal, le Code de procédures pénales et le Code des douanes. Le cadre législatif principal est la loi du 31 décembre 1970(), laquelle a amendé le Code de la santé publique et créé un cadre législatif fondé sur l’application de diverses mesures répressives et de dispositions relatives à la santé. La Loi de 1970 avait pour objet de réprimer sévèrement le trafic, d’interdire l’usage des stupéfiants tout en proposant une solution de rechange thérapeutique à la répression de l’usage, de même que d’assurer la gratuité des soins et l’anonymat pour les usagers qui souhaitent se faire traiter().
Cette loi n’a pas été fondamentalement modifiée depuis, mais de nombreuses directives ministérielles (notamment des circulaires) ont été diffusées et de nouvelles lois promulguées pour renforcer le contrôle du trafic, créer de nouvelles infractions et augmenter les pénalités pour le trafic tout en soustrayant au système de justice criminelle les usagers de drogues douces telles que le cannabis. Il convient de noter que la plupart des articles de la Loi de 1970 (inscrits à l’origine dans le Code de la santé publique) ont été depuis intégrés au nouveau Code pénal entré en vigueur en 1994, à l’exception des infractions liées à la consommation des drogues, qui sont toujours sanctionnées par le Code de la santé publique. La loi française est également régie par la législation internationale depuis que la France a ratifié les conventions des Nations Unies sur les stupéfiants : la Convention unique sur les stupéfiants (1961), la Convention sur les substances psychotropes (1971) et la Convention contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes (1988). Nous nous contenterons de donner un large aperçu du principal cadre législatif français, puisque la complexité de ce système exigerait une analyse détaillée dépassant la portée du présent document.
La loi française ne distingue pas entre les types de drogues illicites; par conséquent, une infraction telle que la consommation de drogue fait l’objet de poursuites et d’un jugement qui ne varient pas en fonction de la nature du produit consommé. Néanmoins, les autorités judiciaires peuvent tenir compte de la nature et de la quantité du produit, ainsi que de l’existence d’un casier judiciaire, dans leur décision d’intenter des poursuites, de réduire les accusations ou de ne pas inculper un délinquant. Les drogues illicites sont répertoriées dans des annexes de l’Arrêté du 22 février 1990 fixant la liste des substances classées comme stupéfiants :
- Annexe I : stupéfiants tels que l’héroïne, la cocaïne, le cannabis, la méthadone, l’opium, etc.;
- Annexe II : les substances telles que la codéine, le propiram, etc.;
- Annexe III : les substances psychotropes telles que les amphétamines, l’ecstasy, le LSD, etc.;
- Annexe IV : les drogues synthétiques : le MBDB, la 4-MTA, la kétamine, le nabilone, THC, etc.().
L’usage public ou privé de drogue est interdit en France et criminalisé par la Loi de 1970 (article L3421-1 du Code de la santé publique). La peine maximale infligée pour l’usage d’une drogue illicite est un emprisonnement d’un an ou une amende de 25 000 francs, ou encore le renvoi à un programme thérapeutique sur ordonnance du tribunal (injonction thérapeutique). Cet article du Code de la santé publique s’applique à tous les usagers sans distinction quant à la nature de la substance illicite consommée.
Le Code de la santé publique assure également la surveillance des toxicomanes par les services de santé (article L3411-1). Il se peut que les procureurs de la République n’intentent pas de poursuites judiciaires contre un délinquant qui peut, sur la foi d’un certificat médical, prouver qu’il s’est engagé dans une forme quelconque de thérapie ou s’est soumis à une surveillance médicale depuis la perpétration de l’infraction. Toutefois, si une personne ayant fait usage d’une drogue illicite ne fournit pas de certificat médical à cet effet, les procureurs peuvent lui enjoindre de suivre une cure de désintoxication ou de se placer sous surveillance médicale (article L3423-1). La participation à un programme ordonné par un tribunal suspend les poursuites judiciaires et celles-ci seront abandonnées si la personne en cause suit le programme de désintoxication en entier(). Il n’est pas rare pour un récidiviste de se voir imposer plus d’un traitement par un tribunal puisqu’on fait rarement appel à des mesures plus répressives pour un simple usage de drogue, particulièrement s’il s’agit de cannabis.
Ainsi que mentionné ci-dessus, le ministère de la Justice, dans une directive en date du mois de juin 1999, a demandé aux procureurs de préférer le traitement à l’incarcération pour les petits délinquants et les toxicomanes qui causent problème. La pratique a montré que la solution thérapeutique est utilisée principalement pour les délinquants qui ne font que consommer; dans la plupart de ces cas, le délinquant reçoit un avertissement et est tenu de s’adresser à un service social ou à un dispensaire. Lorsque des poursuites judiciaires sont intentées, le magistrat peut également imposer – et non simplement ordonner – à l’accusé de s’inscrire à un programme de désintoxication; dans un tel cas, ce sont les autorités judiciaires qui se saisissent du cas au lieu qu’il soit confié aux services de santé. Si l’usager termine le traitement, on peut ne lui infliger aucune peine, mais le recours à de telles mesures est extrêmement rare(). De la même façon, une intervention de désintoxication peut être une des conditions associées à une peine de prison avec sursis, à une mise en liberté conditionnelle ou à un régime de surveillance judiciaire. En France, le toxicomane est donc vu comme une personne malade à qui il convient d’offrir une thérapie().
En ce qui a trait au trafic de stupéfiants, la Loi de 1970 a été modifiée à diverses reprises, créant de nouvelles infractions telles que la cession ou l’offre illicites de drogues pour usage personnel (17 janvier 1986), le blanchiment de l’argent de la drogue (31 décembre 1987), ou la promulgation de nouvelles procédures telles que la confiscation des profits du trafic des stupéfiants (14 novembre 1990) en vue de se conformer à l’article 5 de la Convention des Nations Unies (19 décembre 1988)(). Actuellement, les infractions de trafic comprennent la cession ou l’offre illicites de stupéfiants à une personne pour consommation personnelle et elles sont assorties d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans d’incarcération et une amende maximale de 500 000 francs (articles 222-39 du Code pénal); et une infraction qui criminalise le transport, la détention, l’offre, la cession, l’acquisition ou l’emploi illicites de stupéfiants et qui est assortie d’une peine pouvant aller jusqu’à dix ans d’incarcération et d’une amende maximale de 50 millions de francs (article 222-37). L’importation et l’exportation illicites de stupéfiants sont également punissables de dix ans d’incarcération et d’une amende pouvant aller jusqu’à 50 millions de francs, mais quand cette même infraction est commise par une organisation criminelle, la peine peut aller jusqu’à 30 ans d’emprisonnement (article 222-36). En outre, le trafic des stupéfiants peut également être considéré comme une infraction douanière (contrebande et infractions similaires) entraînant une peine maximale de trois ans d’incarcération et des amendes pouvant représenter jusqu’à deux fois et demie la valeur de la marchandise illicite. Les poursuites intentées en vertu du Code des douanes n’excluent pas les poursuites au pénal et les sanctions pour les infractions à la réglementation douanière peuvent s’ajouter aux sanctions pénales().
On peut citer, parmi les autres infractions, la production ou la fabrication illicites de stupéfiants, punissable de 20 ans d’emprisonnement et d’une amende de 50 millions de francs. Ici encore, lorsqu’un membre d’une organisation criminelle commet l’infraction, la peine peut aller jusqu’à 30 ans d’incarcération (article 222-35). Le blanchiment d’argent ayant un rapport avec la drogue, défini comme « faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l’origine des liens ou des revenus de l’auteur d’une infraction à la loi sur les stupéfiants »(), est punissable d’une peine de 10 ans d’emprisonnement et d’une amende de 5 000 000 francs (article 222-38). La provocation à l’usage de drogue ou à la perpétration des infractions prévues par les articles 222-34 à 222-39 du code pénal ou le fait de présenter ces infractions sous un jour favorable est punissable de cinq ans d’incarcération et d’une amende de 500 000 francs (article L3421-4 du Code de la santé publique). Cette infraction vise les médias et les œuvres littéraires ou artistiques(). Le fait de provoquer un mineur à faire usage illicite de stupéfiants est punissable de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 700 000 francs, et, dans le cas d’un mineur de moins de 15 ans ou si l’infraction est commise à l’intérieur ou à proximité d’un établissement d’enseignement, la peine peut être portée à sept ans d’emprisonnement et une amende de 1 000 000 francs (article 227-18). Enfin, le fait de diriger ou d’organiser un groupe engagé dans la production, la fabrication, l’importation et l’exportation, le transport, la détention, la cession, l’acquisition ou l’emploi illicites de stupéfiants peut entraîner une condamnation à perpétuité avec une amende de 50 000 000 francs (article 222-34).
C. Principaux rapports et études
L’application de la Loi de 1970, laquelle comprenait à la fois des mesures légales et sanitaires, n’a pas été facile. Elle a amené la publication de nombreux documents administratifs, de décrets de mise en œuvre, de circulaires et de notes. De nombreuses questions légales se sont posées pour démêler des points litigieux tels que la distinction entre l’usage et le trafic, la notion d’usage et d’injonction thérapeutique. Les services de santé étaient également tenus de trouver des façons pratiques de traiter les toxicomanes(). La mise en œuvre des politiques pénales et publiques destinées à combattre les drogues et les toxicomanies a été évaluée en 1978 par la Commission Pelletier, en 1990 dans le rapport Trautmann et à nouveau, en 1995, par la Commission Henrion. Nous passerons brièvement en revue les conclusions de ces rapports.
La première évaluation de la Loi de 1970 et des politiques françaises en matière de drogues et de toxicomanie a été réalisée en 1978 par une commission présidée par Monique Pelletier, qui a étudié la question à la demande du président Giscard d’Estaing.
Selon le rapport Pelletier(), les difficultés de mise en œuvre de la Loi de 1970 résultaient des inégalités de traitement des toxicomanes en raison, partiellement, du fait que la loi n’établissait pas de catégorie intermédiaire entre un usager et un trafiquant de drogue. Le rapport attribuait également les problèmes de mise en application au manque de collaboration entre les responsables des questions juridiques et des questions de santé(). Les médecins étaient particulièrement sceptiques sur le principe de l’injonction thérapeutique et l’obligation des contrevenants de subir un traitement. Les membres de la Commission Pelletier ont également noté que l’on faisait plus souvent appel aux sanctions légales qu’aux diverses formes de traitement. Ils ont estimé par ailleurs que la Loi de 1970 méritait qu’on lui accorde une deuxième chance. Ils ont laissé entendre qu’elle pourrait profiter de la diffusion de lignes directrices claires en matière d’application (circulaires) et de l’apport de ressources structurelles et financières visant à assurer la réussite des options thérapeutiques, sur le plan tant judiciaire que médical. Le rapport proposait, entre autres, que les toxicomanes soient différenciés d’après le type de substance illicite dont ils font usage(). La loi n’établit encore aucune distinction officielle aujourd’hui entre les différentes substances illicites mais, dans la pratique, de nombreuses circulaires ont invité les procureurs et les juges, au cours des 20 dernières années, à distinguer l’usage du cannabis et la consommation d’autres drogues telles que l’héroïne et la cocaïne. Par exemple, selon une circulaire en date du 7 mai 1978, les usagers du cannabis ne devraient pas être considérés comme de « vrais » toxicomanes, les traitements de désintoxication pourraient ne pas convenir à ce type d’usagers et ceux-ci devraient faire l’objet d’un simple avertissement. On y invitait également les juges à encourager les usagers à communiquer avec un centre pour toxicomanes et à ne recourir à l’injonction thérapeutique qu’à l’égard des récidivistes. La circulaire en question a été perçue par un grand nombre comme une décriminalisation de l’usage du cannabis. Il convient toutefois de faire remarquer que les circulaires expriment les intentions du ministère de la Justice, mais peuvent être mises en application de différentes façons par les procureurs de la République().
La circulaire de 1978 est restée un outil de référence jusqu’au 12 mai 1987, date à laquelle une circulaire conjointe Justice-Santé a abrogé les circulaires précédentes et introduit une nouvelle distinction fondée sur la fréquence d’utilisation.
Toutes les interpellations pour usage doivent faire l’objet d’un procès-verbal transmis au parquet et si possible traité par un magistrat spécialisé. Les usagers « occasionnels », s’ils sont bien insérés, doivent faire l’objet d’un simple avertissement. Pour les usagers « d’habitude », la circulaire recommande le recours à l’injonction thérapeutique ou aux poursuites. Les usagers étrangers, en séjour irrégulier en France, doivent être jugés en comparution immédiate et faire l’objet d’une interdiction de territoire. Enfin, les usagers trafiquants ou usagers délinquants doivent être prioritairement poursuivis du chef d’accusation de trafic ou de l’atteinte aux personnes ou aux biens. Cette circulaire marque également la volonté de relancer l’injonction thérapeutique et en précise les conditions d’application.()
Cette circulaire a marqué un tournant vers l’adoption de mesures plus répressives pour les consommateurs d’habitude et pour les usagers trafiquants() et elle a orienté la politique pénale entre 1990 et 1995 vers la relance de l’injonction thérapeutique et l’établissement d’une distinction entre usager occasionnel, usager d’habitude et usager-revendeur().
Le deuxième rapport a été produit en 1989 par Catherine Trautmann qui, à l’époque, était présidente de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie. Le rapport Trautmann, déposé en 1990, comprenait un examen des données disponibles sur la consommation de drogue et la toxicomanie ainsi qu’une étude des principales difficultés de la lutte antidrogue et des politiques françaises en matière de drogues entre 1978 et 1988().
Aucun changement à la Loi de 1970 n’a été recommandé dans le rapport Trautmann. On y mettait plutôt l’accent sur la nécessité d’intervenir de manière plus efficace pour contrer le trafic des stupéfiants en insistant sur une meilleure coopération entre les trois services de portée nationale participant à la lutte contre ce trafic : la police, la gendarmerie et les douanes, qui ont chacune un champ de compétence particulier (zones urbaines pour la police, zones rurales pour la gendarmerie et régions frontalières pour les douanes). Les auteurs ont proposé que la surveillance de la frontière française soit renforcée. Ils ont suggéré d’insister davantage sur le volet « demande » du problème de la drogue en élaborant des stratégies visant à prévenir l’usage des drogues et la toxicomanie, particulièrement chez les jeunes. Le rapport contenait également des suggestions sur les soins à prodiguer aux toxicomanes, et la question de leur insertion et réinsertion dans la collectivité s’articulait autour de trois axes : améliorer la santé et les services sociaux, tenir compte des problèmes associés au sida et établir un système de gestion financière solide pour appuyer des unités spécialisées offrant des services aux toxicomanes().
Enfin, le rapport Trautmann s’opposait nettement à la décriminalisation ou à la légalisation de l’usage des drogues, en particulier du cannabis. Ses auteurs ont insisté sur la nécessité de prévenir l’usage des drogues et de prendre soin des toxicomanes, et, selon eux, la décriminalisation de l’usage du cannabis banaliserait la toxicomanie et favoriserait la consommation précoce et plus fréquente des drogues dures().
La Commission Henrion a produit, en 1995, un troisième rapport sur les drogues en France(). Il est intéressant de noter que la Commission en vient aux mêmes conclusions que les deux rapports précédents en ce qui concerne le manque de coordination et de coopération entre les responsables des systèmes judiciaire et sanitaire et les difficultés que pose la mise en œuvre d’une politique fondée à la fois sur des mesures répressives et des mesures d’hygiène publique. La Commission a signalé le recours limité à l’injonction thérapeutique et le nombre croissant d’arrestations pour simple consommation de drogue. Elle a recommandé avant tout l’élaboration d’une politique d’évaluation permettant de cerner la situation de la drogue en France et a proposé que la politique de la France en matière de drogues mette l’accent sur la prévention. En outre, le rapport a critiqué les incohérences dans l’application de la loi et les inégalités dans le traitement prodigué aux toxicomanes selon les régions, et il a recommandé que les organismes et structures en place chargés de la répression du trafic des stupéfiants soient dotés des ressources financières et humaines leur permettant d’exécuter leur mandat().
Par ailleurs, la Commission Henrion s’est distinguée en proposant une réforme de la Loi de 1970. Les membres de la Commission ont débattu la question de la décriminalisation du cannabis. Ses membres ont exprimé des opinions divergentes sur la question. Une minorité de membres (8 sur 17) se sont opposés à la décriminalisation de la consommation de cannabis, principalement parce qu’ils pensaient qu’il serait difficile de maintenir l’interdiction morale sans prohibition légale. Toutefois, une petite majorité de membres (9 sur 17) étaient favorables à la décriminalisation de l’usage du cannabis et de la possession de petites quantités de cette substance. Ils ont suggéré de procéder graduellement, sans modifier les règles sanctionnant l’offre de cannabis, dans l’espoir de mieux contrôler et évaluer les conséquences de la décriminalisation de l’usage de la drogue. Ils ont également recommandé que la décriminalisation soit accompagnée par l’édiction de règles limitant l’usage du cannabis à certains endroits et interdisant sa consommation chez les jeunes de moins de 16 ans. La réglementation réprimerait également l’intoxication dans un lieu public, créerait une infraction de conduite sous l’influence du cannabis et interdirait son usage à certains professionnels pour des raisons de sécurité (notamment les contrôleurs aériens, les pilotes, les conducteurs de véhicules de transport public, etc.). Toutes ces mesures devaient être accompagnées d’une campagne de prévention mettant l’accent sur les conséquences négatives possibles de la consommation de cannabis et d’une évaluation continue portant non seulement sur la consommation de cannabis, mais également sur celle des opiacés, de la cocaïne et du crack, ainsi que sur les recherches neurobiologiques établissant les effets de la consommation du cannabis. Enfin, on maintiendrait et continuerait à appliquer les peines prévues pour l’incitation à la consommation de drogue().
La Commission a laissé entendre que si une telle réforme était retenue et n’entraînait aucune détérioration de la situation au cours des deux prochaines années, le gouvernement devrait ensuite envisager de réglementer le commerce du cannabis en le plaçant sous le contrôle strict de l’État. Il convient toutefois de noter que certains membres de la Commission étaient persuadés qu’une telle réglementation devait être mise en œuvre parallèlement à la décriminalisation du cannabis et qu’il ne devrait pas y avoir de période d’essai(). Ces recommandations n’ont pas été mises en œuvre jusqu’à présent.
La Commission Henrion a également recommandé l’adoption d’une politique de réduction des méfaits de la drogue qui ne se limiterait pas à réduire les risques de la consommation pour la santé, mais serait axée sur la promotion de la santé publique et réprimerait rigoureusement certains comportements négatifs particuliers tels que l’abandon des aiguilles usagées dans un lieu public(). Le gouvernement français avait déjà reconnu l’importance de la réduction des méfaits de la drogue dans un plan, publié en 1993, axé sur l’amélioration du traitement de la toxicomanie au sein de structures spécialisées et du secteur de la santé en général, sur l’adoption de mesures de réduction des méfaits et sur l’offre de traitements de substitution aux toxicomanes(). La Commission Henrion a surtout insisté sur l’urgence de mettre en œuvre les deux derniers volets de ce plan. Aujourd’hui, la politique française en matière de drogues continue à s’axer sur la prévention, sur la réduction des méfaits de la drogue et sur le traitement des personnes dépendantes dans un contexte où l’on s’efforce de soustraire les toxicomanes au système de justice pénale.
La Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) a été instituée en 1982 et elle a porté divers noms depuis sa création. Cet organe coordonne l’action gouvernementale dans de nombreux domaines : prévention, soins de santé et services sociaux, application de la loi, formation, communication, recherche et coopération internationale. La MILDT prépare les plans gouvernementaux de lutte contre la drogue et surveille leur mise en application. Depuis le 16 juin 1999, le mandat de la Mission n’englobe plus seulement les substances illicites, mais également l’alcoolisme, le tabagisme et l’usage des médicaments psychotropes. Ce changement revêt une importance particulière pour quelqu’un qui s’efforce de comprendre les orientations de la politique publique française, puisque la lutte contre l’alcoolisme est passée en tête des priorités du gouvernement français au cours des dernières années. La MILDT surveille également les activités de 17 ministères contribuant à la lutte contre les drogues et à la prévention des dépendances et elle appuie les travaux d’autres États et de divers partenaires privés. Son budget provient d’un certain nombre de ministères et elle est chargée de financer des groupes de défense de l’intérêt public tels que l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), un organisme chargé de rassembler les données disponibles sur les drogues et les toxicomanies().
En ce qui a trait aux structures administratives locales, des comités ministériels de lutte contre la toxicomanie ont été créés en 1985, mais cette nouvelle structure n’a pu trouver sa place dans un grand nombre de ministères. Une évaluation de ces comités a établi que seulement 30 p. 100 des ministères en étaient dotés en 1994. L’étude signalait également que les conseils ministériels de prévention de la délinquance étaient utilisés comme tribune pour débattre de questions liées à la drogue. Une lettre circulaire du premier ministre du 9 juillet 1996 a confirmé la chose et fourni un nouveau cadre à trois niveaux pour lutter contre les drogues et la toxicomanie :
- au niveau de la gestion : on a confié à un préfet et au chef
de projet la responsabilité de la mise en application des politiques
gouvernementales;
- au niveau de la coordination
: un petit comité assurerait la participation des chefs de services de la fonction publique et de représentants juridiques;- au niveau coopératif
: les conseils ministériels de prévention de la délinquance devaient mettre la lutte contre la drogue à l’ordre du jour de chacune de leurs réunion.
La politique publique française de lutte contre les drogues et la toxicomanie s’appuie également sur les travaux des organismes d’État chargés de l’application de la loi. Les forces policières nationales, sous la direction du ministère de l’Intérieur, et la gendarmerie nationale, sous la direction du ministère de la Défense, sont les deux principaux acteurs dans le domaine de l’application de la loi. Sous l’égide du ministère de l’Intérieur, l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS) est chargé de recueillir les renseignements pertinents auprès de la police, du département des enquêtes criminelles et des services sociaux et médicaux. L’Office dispose de 12 stations satellites aux quatre coins du monde et ses interventions contribuent à l’arrestation de plus de 200 trafiquants annuellement et à la saisie de plus de 10 tonnes de drogues illicites (cannabis, cocaïne, héroïne, ecstasy, etc.).
La justice pénale est rendue conformément à la nature du méfait par les tribunaux de police (contraventions), le Tribunal correctionnel (délits) et la Cour d’assises (crimes). Les « contraventions » sont considérées comme les méfaits les moins graves et elles sont punissables par l’imposition d’une amende maximale de 10 000 francs (20 000 francs en cas de récidive) et d’autres pénalités telles que la suspension du permis de conduire. Les « délits » sont des actes illicites pouvant entraîner une peine maximale de 10 ans d’incarcération, des amendes et d’autres sanctions telles que la privation des droits civils, la confiscation des biens et l’interdiction de séjour sur le territoire national pour les étrangers. Les « crimes » sont les méfaits les plus graves et ils sont sanctionnés par des peines d’emprisonnement plus longues et des amendes plus lourdes.
Le Tribunal correctionnel s’occupe des délits et il peut rendre des décisions sanctionnées par des peines d’emprisonnement, des amendes et autres peines tenant lieu d’incarcération. Ce tribunal est constitué d’un juge-président et de deux autres juges, du procureur de la République ou un de ses adjoints et du greffier de la cour. Certains délits peuvent être jugés par un seul juge. La Cour d’assises juge les méfaits les plus graves en droit, y compris tous les crimes en matière de drogue qui peuvent être sanctionnés par une peine d’emprisonnement de 10 ans ou plus. Ce tribunal est constitué d’un président assisté de deux assesseurs, d’un jury composé de neuf personnes sélectionnées parmi la population française et d’un greffier. La poursuite est représentée par un juge du Bureau du procureur appelé avocat général. Les décisions de la Cour d’assises ne peuvent faire l’objet d’une procédure d’appel que sur des points de droit. La seule autre poursuite possible est celle intentée devant la Cour de cassation, qui a le mandat de vérifier si les décisions prises par les juges sont en conformité avec la loi. Cette cour ne réexamine pas les faits de la cause, mais précise l’interprétation qui doit présider à l’application des règles de droit. Lorsqu’un jugement est contraire à la loi, il est annulé et la cause est renvoyée devant un tribunal de deuxième instance chargé de la réentendre.
E. Statistiques sur l’usage et les infractions
Ce qui suit est extrait d’un document de 1999 intitulé Drogues et toxicomanies : indicateurs et tendances, préparé par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, qui a synthétisé les données disponibles et analysé la question des drogues et des toxicomanies en France.
Voici les tendances récentes observées dans ce rapport :
- forte diminution des décès causés par les surdoses (554 en 1994, 143 en 1998) ainsi que des décès des sidéens liés à la consommation de drogues injectables (1 037 en 1994, 267 en 1997);
- baisse importante de la consommation d’héroïne depuis 1996, que l’on pourrait attribuer à une augmentation du recours aux traitements de substitution;
- normalisation de l’usage du cannabis, dont la consommation est de plus en plus répandue, particulièrement chez les jeunes;
- croissance du phénomène que constitue la culture du cannabis;
- accessibilité croissante des drogues de synthèse, qui ne représentent toutefois qu’un faible pourcentage des drogues consommées;
- augmentation de l’usage de la cocaïne;
- nouvelles habitudes de consommation de drogues multiples, y compris les substances licites telles que l’alcool, se manifestant surtout chez les jeunes – 54 p. 100 des jeunes pris en charge dans des centres de désintoxication consomment au moins deux produits.
Les sondages menés en 1995 auprès d’un échantillon représentatif d’adultes français ont révélé que presque 25 p. 100 du groupe des personnes âgées de 18 à 44 ans ont fait l’expérience de l’usage du cannabis et que 7,7 p. 100 ont déclaré en consommer occasionnellement ou régulièrement. Les sondages entrepris auprès des appelés dans les centres de sélection du service national en 1996 ont montré également qu’une large tranche (40 p. 100) des jeunes hommes de 18 à 23 ans avaient fait l’expérience du cannabis et que 14,5 p. 100 en avaient consommé au cours du mois écoulé(). On estime qu’au cours de la deuxième moitié des années 90, plus d’un tiers des jeunes de 15 à 19 ans ont fait l’expérience de la drogue, particulièrement du cannabis. Les sondages ont également fait état d’une importante augmentation de la fréquence de consommation du cannabis, puisque la proportion des jeunes en ayant consommé au moins dix fois au cours de l’année a augmenté de plus de 50 p. 100 entre 1993 et 1997(). On a en outre établi que les garçons étaient plus susceptibles que les filles de faire usage de substances illicites et présentaient un risque beaucoup plus élevé d’usage répété. Un sondage entrepris en 1998 a indiqué que 33 p. 100 des garçons avaient signalé qu’ils avaient fait l’expérience du cannabis, comparativement à 23 p. 100 des filles.
Au cours de la deuxième moitié des années 90, le nombre usagers d’opiacés « à problèmes » (consommation de drogue pouvant entraîner la nécessité d’un traitement prodigué par le système de santé ou le système social ou d’un contact avec les organismes d’application de la loi) se situait dans une fourchette de 142 000 à 176 000 personnes.
Le rapport de l’Observatoire français indique que le nombre d’arrestations pour des infractions en matière de drogue est passé de 45 206 à 85 507 au cours de la période de 1993 à 1998. L’augmentation la plus importante concernait le nombre de personnes arrêtées pour usage de cannabis (30 344 en 1993 comparativement à 72 281 en 1998), alors que le nombre d’arrestations pour consommation d’héroïne était en baisse (14 959 en 1993, 7 469 en 1998 après un sommet de 17 356 en 1995). Le cannabis, en fait, a motivé 85 p. 100 des arrestations en matière de drogues en France en 1998, comparativement à 63 p. 100 en 1993. Toutefois, il convient de noter qu’un peu moins de la moitié des personnes arrêtées pour usage de drogue (45 p. 100) sont placées en garde à vue et que la grande majorité des usagers simples mis en cause (97,2 p. 100) ont été libérés en 1997.
Les études entreprises en France ont insisté sur le fait que les statistiques sur l’arrestation des usagers de drogues doivent être utilisées avec prudence puisqu’il est difficile d’établir la proportion des changements signalés qui reflète les variations de la population des usagers et de savoir combien de ces changements sont plutôt attribuables aux réformes des services de police et de gendarmerie. Par exemple, les données sur les arrestations pour consommation entre 1993 et 1998 ont indiqué une croissance significative de 30 p. 100 des arrestations liées à l’usage des drogues en 1997 et de 9 p. 100 en 1998(). De nombreux facteurs peuvent expliquer une telle augmentation, notamment des changements de comportement chez les membres des services de police et de gendarmerie, la réorganisation des départements de police et la normalisation de l’usage du cannabis. Parmi ces facteurs, on peut citer une circulaire sur l’injonction thérapeutique diffusée en 1995 par le ministère de la Justice : elle a incité les procureurs à donner des instructions aux membres de la police et de la gendarmerie visant la « systématisation du signalement des usagers »(). On peut présumer que de telles directives peuvent avoir contribué à une augmentation notable des arrestations liées à la consommation de drogue enregistrées en 1997.
En ce qui concerne le trafic, le nombre d’arrestations a diminué entre 1996 et 1998, pour passer de 8 412 à 5 541. Un peu plus de la moitié des trafiquants arrêtés en 1998 (52 p. 100) étaient des trafiquants de cannabis, 24 p. 100 étaient impliqués dans le trafic de l’héroïne et 17 p. 100 dans celui de la cocaïne et du crack. Les principales fluctuations ont été observées dans le nombre d’arrestations des trafiquants d’héroïne, qui est passé de 3 395 en 1993 à 1 356 en 1998. Les arrestations pour trafic de cocaïne sont passées de 383 à 972 au cours de la même période, alors que les arrestations liées au trafic de cannabis ont augmenté légèrement pour passer de 2 456 à 2 920.
Le nombre total de condamnations pour usage en infraction principale est passé de 7 434 en 1992 à 6 530 en 1997, avec un niveau le plus bas de 4 670 condamnations en 1995. En 1997, 3 368 contrevenants ont été condamnés pour usage seul. Parmi ceux-ci, 14 p. 100 ont été condamnés à des peines d’emprisonnement d’une durée moyenne de 2,4 mois, 35 p. 100 ont reçu une peine avec sursis (souvent associée à la probation et à l’injonction thérapeutique), 33 p. 100 se sont vu infliger des amendes, 7 p. 100 ont eu d’autres sanctions et 6 p. 100 ont dû s’inscrire à un programme éducatif. Le nombre de condamnations pour usage et transport est passé de 761 en 1991 (6,6 p. 100 des condamnations) à 3 478 en 1997 (22,2 p. 100). Les condamnations pour usage et trafic ont également augmenté pour passer de 475 en 1991 à 1 501 en 1997 (4,1 p. 100 comparativement à 9,6 p. 100 des condamnations pour infractions en matière de drogue). Dans 21 p. 100 des cas de condamnation pour usage et autres infractions en matière de drogue, une peine de prison a été infligée. Dans 37 p. 100 des cas d’usage et de trafic de drogue et 21 p. 100 des cas d’usage et de transport de drogue, les personnes condamnées ont écopé de peines mixtes (prison et emprisonnement avec sursis). La durée moyenne d’incarcération était de 16,8 mois en 1997(). Voir l’annexe A pour une ventilation des condamnations pour usage de drogue selon les infractions associées, en 1991, 1996 et 1997.
En 1998, le nombre de saisies de cannabis a atteint 40 115, comparativement à 27 320 en 1996. Toutefois, les quantités saisies étaient plus modestes en 1998 qu’en 1996 (55 698 kg comparativement à 66 861 kg). Voir l’annexe B pour une ventilation des saisies par type de drogue entre 1996 et 1998.
En 1995, le budget public consacré à la mise en œuvre de la politique française en matière de drogues était de 4,7 milliards de francs. Par rapport aux dépenses totales (budget particulier et crédits interministériels), environ 1 536,56 millions de francs ont été dépensés pour la justice, 1 260,54 millions pour les services de police, 469,55 millions pour la gendarmerie et 450,25 millions pour les douanes. Le montant dépensé pour l’exécution des lois s’est avéré considérablement plus élevé que les dépenses pour la santé (656,3 millions) et les affaires sociales (28,58 millions). Pour une ventilation de ces dépenses, voir l’annexe C.
Des chiffres plus récents sur les crédits interministériels indiquent que, pour 1998, les dépenses pour la santé et les affaires sociales étaient de 47,9 millions de francs, celles consacrées à la justice de 18,9 millions, celles du ministère de l’Intérieur (police), 18,5 millions et celles de la Défense (gendarmerie), de 10,7 millions de francs. Pour une ventilation de tous les crédits interministériels pour 1998, voir l’annexe D.
ANNEXE A
Condamnations pour usage (infractions associées)
Types d’infractions |
1991 |
1996 |
1997(1) |
|||
Nombre de condamnations |
Condamnations en p. 100 |
Nombre de condamnations |
Condamnations en p. 100 |
Nombre de condamnations |
Condamnations en p. 100 |
|
Usage |
11 505 |
100 |
15 493 |
100 |
15 685 |
100 |
Usage seul |
4 242 |
36,9 |
3 019 |
19,5 |
3 368 |
21,5 |
Usage et autres infractions en matière de drogue |
5 063 |
44 |
10 081 |
65 |
10 075 |
64,2 |
Usage et trafic |
475 |
4,1 |
1 741 |
11,3 |
1 501 |
9,6 |
Usage et transport |
761 |
6,6 |
3 109 |
20 |
3 478 |
22,2 |
Usage et cession |
1 431 |
12,4 |
2 505 |
16,2 |
2 377 |
15,1 |
Usage et détention |
2 242 |
19,5 |
2 683 |
17,3 |
2 677 |
17,1 |
Usage et autres stupéfiants |
154 |
1,4 |
43 |
0,2 |
42 |
0,2 |
Usage et infraction non liée à la drogue |
2 199 |
19,1 |
2 393 |
15,5 |
2 242 |
14,3 |
- Données provisoires.
Source : Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), Drogues et toxicomanies : indicateurs et tendances, Édition de 1999, p. 123. Consultable en ligne à l’adresse
ANNEXE B
Saisies de produits stupéfiants
Types de produits |
1996 |
1997 |
1998 |
|||
Quantités saisies |
Nombre de saisies |
Quantités saisies |
Nombre de saisies |
Quantités saisies |
Nombre de saisies |
|
Cannabis* |
66 861 |
27 320 |
55 122 |
34 266 |
55 698 |
40 115 |
Héroïne |
617 |
4 865 |
415 |
3 924 |
344 |
3 113 |
Cocaïne |
1 742 |
1 213 |
844 |
1 471 |
1 051 |
1 688 |
Crack |
11 |
244 |
16 |
228 |
25 |
334 |
LSD |
74 780 |
190 |
5 983 |
171 |
18 680 |
154 |
Ecstasy |
349 210 |
644 |
198 941 |
628 |
1 142 226 |
608 |
Amphétamines |
128 |
91 |
194 |
163 |
165 |
158 |
Quantités exprimées :
En kg pour le cannabis, l`héroïne, la cocaïne, le crack
et les amphétamines
En doses pour le LSD et l’ecstasy
* comprend l’herbe et la résine de cannabis. Sur les 55,7 tonnes de cannabis, on compte 52,2 tonnes de résine et 3,5 tonnes d’herbe.
Source : Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), Drogues et toxicomanies : indicateurs et tendances, Édition de 1999, p. 169. Consultable en ligne à l’adresse http://www.drogues.gouv.fr/fr/index.html.
ANNEXE C
Coûts associés à la politique française en matière de stupéfiants
(en millions de francs français)
NATURE DES DÉPENSES (ministère concerné) |
DÉPENSES budget propre |
DÉPENSES Crédits interministériels |
TOTAL DES DÉPENSES |
Justice |
1 520 |
16,56 |
1536,56 |
dont : |
|||
Services judiciaires |
200 |
||
Administration pénitentiaire |
1 320 |
||
Protection judiciaire de la jeunesse |
|||
Police |
1 235,7 |
24,84 |
1260,54 |
Gendarmerie |
459,2 |
10,35 |
469,55 |
Douanes |
430 |
20,25 |
450,25 |
Santé |
630,2 (1) |
26,1 |
656,3 |
Affaires sociales |
14 |
14,58 |
28,58 |
DIV |
22 |
9,45 |
31,45 |
MILDT |
(2) |
45,36 (3) |
45,36 |
Éducation nationale |
2 |
9,9 |
11,9 |
Jeunesse et sport |
17,7 |
8,28 |
26 |
Recherche |
42 |
2,43 |
44,43 |
Affaires étrangères |
14 |
7,2 |
21,2 |
Coopération |
18 |
1,8 |
19,8 |
Travail, emploi et formation professionnelle |
0,81 |
0,81 |
|
Contribution au budget drogue de l’Union Européenne |
30 |
30 |
|
Total |
4 434,8 |
197,9 |
4 632,7 |
Prévention du Sida des usagers de drogues (réduction des risques) |
40 |
Source : Site Web de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), Vers l’analyse du coût des drogues illégales : un essai de mesure du coût de la politique publique de la drogue et quelques réflexions sur la mesure des autres coûts, 1998, consultable en ligne à l’adresse http://www.drogues.gouv.fr/fr/index.html
ANNEXE D
Répartition des crédits interministériels pour l’année
1998
(dépenses effectuées, en millions de francs)
Secteurs ministériels |
1992 |
1994 |
1996 |
1998 |
Santé, Affaires sociales |
59,5 |
45,9 |
68,1 |
47,9 |
Éducation nationale et recherche |
11,9 |
12,9 |
12 |
19,5 |
Jeunesse et sport |
10,1 |
9,2 |
17,2 |
13,7 |
Délégation interministérielle à la ville |
2,8 |
9,2 |
10,5 |
13,2 |
Justice |
22,8 |
18,4 |
18,4 |
18,9 |
Intérieur (police) |
23,8 |
27,6 |
19 |
18,5 |
Défense (gendarmerie) |
9,8 |
11,5 |
8,8 |
10,7 |
Économie et finances (douanes) |
24,1 |
22,5 |
16 |
15,6 |
Affaires étrangères |
10,8 |
9,2 |
6 |
5,8 |
Coopération |
2,5 |
2,7 |
2 |
1,6 |
Autres |
0,8 |
0,9 |
- |
6 |
Activités propres de la MILDT |
55,1 |
48 |
52,5 |
77,7 |
Total |
234 |
218 |
230,5 |
249,1 |
Source : Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), Drogues et toxicomanies : indicateurs et tendances, Édition de 1999, p. 49. Consultable en ligne à l’adresse http://www.drogues.gouv.fr/fr/index.html.