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ILLE - Comité spécial

Drogues illicites (spécial)


LES POUVOIRS DE LA POLICE ET LES INFRACTIONS LIÉES À LA DROGUE

Produit pour le comité sénatorial spécial sur les drogues illicites

Gérald Lafrenière
Division du droit et du gouvernement

Le 6 mars 2001

BIBLIOTHÈQUE DU PARLEMENT


TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ

INTRODUCTION

ARRESTATION ET DÉTENTION

    A. Le pouvoir d’arrêter un suspect
        1. L’arrestation avec mandat
        2. L’arrestation sans mandat

    B. La détention arbitraire

    C. Le droit à un avocat

INTERROGATOIRE

    A. Le droit de garder le silence
    B. Le droit à un avocat

FOUILLES, PERQUISITIONS ET SAISIES

    A. Le pouvoir de procéder à des fouilles
        1. Le Code criminel
        2. La Loi réglementant certaines drogues et autres substances

    B. Article 8 de la Charte
        1. L’« attente raisonnable en matière de vie privée »
        2. Les perquisitions « sans mandat »
        3. Les frontières  
        4. Le pouvoir de fouille accessoire à l’arrestation prévu par la common law
        5. Le mode de fouille
        6. La surveillance électronique
        7. Les mandats obtenus ou exécutés irrégulièrement
        8. La doctrine des objets bien en vue
        9. Les déchets

EXCLUSION D’ÉLÉMENTS DE PREUVE EN VERTU DU PARAGRAPHE 24(2) DE LA CHARTE

PROVOCATION POLICIÈRE ET ACTIVITÉS ILLÉGALES DE LA POLICE

    A. Introduction
    B. La provocation policière
    C. Les activités illégales

CONCLUSION


LES POUVOIRS DE LA POLICE ET LES INFRACTIONS LIÉES À LA DROGUE

RÉSUMÉ

Notre intention est de donner une idée générale du droit concernant les droits de la police au Canada, en mettant l’accent sur ceux qui ont trait à l’application de la loi en matière de drogues illicites. Il est évident que la police a besoin d’être dotée de pouvoirs pour maintenir l’ordre public. Il est tout aussi évident que ces pouvoirs doivent être circonscrits, afin de protéger les particuliers contre les activités policières excessives.

Pour délimiter le comportement policier acceptable, il faut tenir compte d’intérêts conflictuels. Il y a, d’une part, les intérêts individuels, notamment la protection contre l’ingérence de l’État dans la vie privée, et, d’autre part, les intérêts de l’État, notamment le devoir de protéger la société contre le crime.

Le Parlement et les tribunaux savent depuis longtemps que, dans le cas des infractions liées aux drogues et d’autres types d’infractions consensuelles, les techniques d’enquête habituelles sont souvent insuffisantes en raison de la difficulté qu’il y a à dépister ce genre d’activités. Les deux semblent convenir que des pouvoirs policiers supplémentaires peuvent se justifier dans ces circonstances.

Arrestation et détention

Le Code criminel précise les circonstances dans lesquelles la police peut arrêter un suspect. Il faut généralement qu’elle ait des motifs raisonnables et probables de croire que la personne a commis un délit. Certains des droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés s’appliquent aux personnes détenues ou arrêtées. La police doit veiller à ce qu’une personne ne soit pas détenue arbitrairement. De plus, la Charte garantit à toute personne détenue ou arrêtée le droit d’être informée de son droit à un avocat et de son droit d’y avoir recours sans délai. L’accusé doit donc être informé de son droit, mais aussi, être autorisé à l’exercer. Le droit à un avocat est religieusement protégé par les tribunaux, et toute conduite de la police qui enfreint ce droit sera jugée inadmissible.

L’interrogatoire

Les policiers ont le droit d’interroger des personnes dans l’exercice de leurs fonctions. Ces personnes n’ont cependant pas l’obligation correspondante de répondre à leurs questions. La règle générale applicable à la recevabilité des déclarations faites par un accusé veut que l’État prouve que ces déclarations sont volontaires et qu’elles sont le produit d’un état d’esprit conscient. En règle générale, il ne faut pas employer de menaces ni de promesses pour obtenir une déposition. De plus, un interrogatoire mené dans des conditions abusives peut donner lieu à l’exclusion de la déposition. Enfin, concernant les ruses policières, si la conduite des policiers est de nature à choquer la collectivité, la déposition peut être jugée irrecevable. Le critère général est que des aveux ne seront pas jugés recevables s’ils sont faits dans des circonstances soulevant un doute raisonnable quant à leur caractère volontaire. Il faut déterminer si les actes des policiers, individuellement et cumulativement, ont suscité improprement des aveux. Cette analyse doit être contextuelle.

Fouilles, perquisitions et saisies

La police a à la fois le pouvoir légal et le pouvoir en common law de procéder à des perquisitions. En ce qui concerne les infractions liées aux drogues, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances prévoit un système exhaustif de méthodes de fouille, perquisition et saisie. Ces dispositions sont semblables à celles du Code criminel en la matière, mais la police a certains pouvoirs supplémentaires aux termes de la loi sur les drogues illicites. Par exemple, la loi autorise des policiers en train d’exécuter un mandat de perquisition à fouiller les personnes présentes sur les lieux si certaines conditions sont remplies. En général, la police n’a le droit de fouiller quelqu’un que lorsque la fouille est accessoire à une arrestation légale. Comme le Code criminel, la Loi autorise les perquisitions sans mandat dans certaines circonstances pressantes.

L’article 8 de la Charte prévoit que chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. Les tribunaux ont analysé la question de savoir si des fouilles sont raisonnables dans telle ou telle situation et la question accessoire de savoir si les éléments de preuve ainsi obtenus peuvent être produits au procès. Une fouille est généralement raisonnable si elle est autorisée par la loi, si la loi elle-même est raisonnable et si la fouille est effectuée de façon raisonnable.

L’article 8 protège l’attente raisonnable du public en matière de vie privée contre les ingérences de l’État. Donc, lorsqu’il n’y a pas d’attente raisonnable en matière de vie privée, l’article 8 n’est pas applicable. De plus, un degré moindre d’attente en matière de vie privée (p. ex. dans les prisons ou aux frontières) abaisse la norme en matière de « caractère raisonnable » (p. ex. pour excuser l’absence de mandat ou réduire la norme exigible en matière de justification de la fouille). C’est dans le domicile d’un particulier que l’attente en matière de vie privée est le plus élevée et que, par conséquent, la protection constitutionnelle est également le plus élevée.

Une perquisition sans mandat est injustifiée par principe : c’est la présomption de départ. Pour qu’une perquisition soit valable, la règle générale veut que la police demande une autorisation préalable (p. ex. en obtenant un mandat) et qu’elle ait des motifs raisonnables et probables à l’appui de sa demande. Cela permet de protéger les particuliers contre les ingérences injustifiées de l’État. Mais on sait qu’il n’est pas toujours possible d’obtenir une autorisation préalable, quoique ces cas doivent généralement se limiter aux situations où des circonstances pressantes rendent l’obtention d’un mandat peu pratique.

Les fouilles effectuées à la frontière par les douaniers sont un exemple de protection constitutionnelle réduite : les tribunaux estiment que, dans ce contexte, il y a une moindre attente en matière de vie privée. Par exemple, il n’est pas nécessaire d’obtenir d’autorisation préalable pour pratiquer une fouille à la frontière.

En règle générale, le droit pénal fédéral ne prévoit pas d’autorisation pour la fouille des personnes. Par contre, la common law permet la fouille d’une personne si elle est accessoire à une arrestation légale. Ce pouvoir accordé par la common law est une exception à la règle générale selon laquelle une fouille, pour être valable, doit être précédée d’une autorisation. On ne peut fouiller quelqu’un que pour chercher d’autres éléments de preuve ayant trait au motif de son arrestation ou pour lui enlever une arme ou un instrument quelconque qui pourrait lui permettre de s’enfuir ou de commettre un acte violent. Le pouvoir de fouiller une personne dans le cadre de son arrestation est assez large, mais le droit de fouille accessoire à une arrestation n’est ni automatique ni illimité.

Les tribunaux se sont montrés disposés à examiner la manière dont les fouilles sont effectuées. Le caractère indiscret de la fouille peut varier, et les tribunaux estiment que plus la fouille est indiscrète, plus elle doit être justifiée et plus la protection constitutionnelle est importante. Donc, si une fouille sommaire est généralement acceptable, il semblerait que les fouilles plus indiscrètes, comme les fouilles à nu, exigent une justification plus grande.

Étant donné la nature consensuelle des infractions liées aux drogues, la police a souvent recours à des techniques d’enquête spéciales pour dépister ces crimes, y compris la surveillance électronique. La Cour suprême du Canada a statué que la surveillance électronique constitue une perquisition du point de vue de l’article 8 de la Charte, et ses décisions à cet égard ont eu un effet considérable sur les dispositions du Code criminel relatives à ce genre de techniques. Comme la surveillance électronique constitue une intrusion plus importante dans la vie privée que les mandats de perquisition ordinaires, la loi prévoit des mesures de protection supplémentaires sur le plan de la procédure.

L’exclusion des éléments de preuve

Les règles relatives à l’exclusion d’éléments de preuve ont changé depuis l’adoption de la Charte. Le critère consiste à se demander si l’admission des éléments de preuve nuirait à la réputation de l’administration de la justice aux yeux d’une personne raisonnable, impartiale et pleinement informée des circonstances de l’affaire. Les trois principaux facteurs dont il y a lieu de tenir compte sont les suivants : a) l’admission des éléments de preuve compromet-elle l’équité du procès? b) quel est le degré de gravité de la violation de la Charte? c) quel serait l’effet de l’exclusion des éléments de preuve sur la réputation du système? La décision d’admettre ou d’exclure des éléments de preuve peut être importante : si les tribunaux hésitent à exclure des éléments de preuve, ils risquent d’envoyer un message ambigu aux policiers. Bien que leur conduite soit considérée comme une violation des droits garantis par la Charte, les policiers ne seront guère enclins à respecter les limites imposées par les tribunaux si ceux-ci n’excluent pas les éléments de preuve ainsi obtenus.

La provocation policière et les activités illégales de la police

La provocation policière et les activités illégales de la police sont deux aspects qui relèvent de la doctrine de l’abus de procédure. Ce genre de tactique est employé dans les affaires liées aux drogues en raison de la nature consensuelle de ces infractions.

La provocation policière peut prendre deux formes : 1) la police donne à quelqu’un l’occasion de commettre une infraction sans avoir un soupçon raisonnable que cette personne se livre déjà à des activités criminelles ou sans que cela entre dans le cadre d’une enquête en bonne et due forme; 2) nourrissant un soupçon raisonnable ou agissant dans le cadre d’une enquête en bonne et due forme, la police fait plus que donner l’occasion de commettre une infraction et y incite. La Cour suprême du Canada a dressé une liste non exhaustive des facteurs dont un tribunal doit tenir compte lorsqu’il doit décider si la police a fait plus que donner l’occasion de commettre une infraction. Le tribunal doit adopter un point de vue contextuel et n’appliquer la doctrine que dans « les cas les plus manifestes ». Si l’accusé réussit à prouver qu’il y a eu provocation policière, le recours est un sursis de l’instance.

Le recours à des activités policières illégales pour lutter contre le crime soulève la question de savoir si ce genre de conduite donne lieu à un abus de procédure tel qu’un sursis de l’instance sera accordé. La Cour suprême du Canada a déclaré que les activités policières illégales ne représentent pas nécessairement un abus de procédure. La légalité des actions de la police n’est qu’un des facteurs à envisager, « quoiqu’[il soit] important ». La question des activités policières illégales est importante, mais elle a moins d’importance dans le cas de l’application de la loi en matière de drogues. La raison en est que la loi en matière de drogues prévoit l’immunité des policiers pour des activités comme les opérations « achat bidon » et les opérations de vente surveillée par un agent d’infiltration.

Conclusion

On constate que le Parlement et les tribunaux se sont rendu compte que, à mesure que les criminels deviennent plus subtils, la police doit disposer d’instruments plus perfectionnés pour lutter contre leurs crimes. En ce qui concerne les infractions liées aux drogues (et les autres infractions de nature consensuelle), il peut être nécessaire de disposer de moyens supplémentaires en raison de la difficulté à dépister ces crimes et à faire respecter la loi.

Le trafic des drogues illicites est considéré comme un problème très grave, mais la police n’a pas « carte blanche » et ne peut pas faire tout ce qui lui plaît pour régler une affaire criminelle. Les tribunaux examinent très attentivement les activités des policiers pour s’assurer que leur conduite ne choque pas la collectivité ni ne compromet d’une quelconque manière l’équité du procès des accusés.


INTRODUCTION

Nous aborderons ici la question des pouvoirs de la police au Canada et nous tenterons de circonscrire les conditions dans lesquelles il peut exister des pouvoirs spécifiques pour faire respecter la loi en matière de drogues illicites. Les drogues illicites sont désignées sous l’appellation « drogues et substances réglementées » dans les lois canadiennes, mais nous emploierons l’expression « drogues illicites » ou simplement le terme « drogues ». Par ailleurs, le terme « police » ou « policiers » renvoie généralement à la GRC de même qu’aux services de police provinciaux et municipaux, même si l’expression « agent de la paix », dans le Code criminel() (le Code), englobe d’autres agents d’exécution de la loi qui ne font pas partie de ces services de police ordinaires. Dans bien des cas, les pouvoirs et fonctions dont nous parlerons sont également ceux et celles de ces autres agents d’exécution de la loi. Nous ferons parfois état des pouvoirs spécifiques des douaniers en raison de leur rôle dans le contrôle de l’entrée de drogues illicites au Canada.

Il est évident que la police a besoin de pouvoirs pour faire respecter la loi et maintenir l’ordre dans notre société. Lorsqu’elle enquête sur des actes criminels, la police peut employer des techniques d’enquête moins intrusives comme l’observation et l’interrogatoire. Dans d’autres cas, elle peut devoir employer des méthodes plus intrusives comme la surveillance électronique et la vente surveillée. Comme on le verra plus loin, certaines de ces techniques d’enquête plus intrusives servent surtout à lutter contre les infractions liées aux drogues.

Ce qui est également évident, c’est qu’il faut limiter ces pouvoirs pour protéger les particuliers contre les activités policières excessives. Le juge La Forest l’a formulé ainsi : « L’interdiction qui est faite au gouvernement de s’intéresser de trop près à la vie des citoyens touche à l’essence même de l’État démocratique »(). Avant même que la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) soit adoptée, les tribunaux jouaient un rôle dans le contrôle des pouvoirs de la police. Il est évident que l’introduction de la Charte et des droits et libertés individuels qu’elle garantit a permis aux tribunaux de jouer un rôle encore plus important dans la définition des limites admissibles de la conduite des policiers. Pour déterminer si la conduite de la police est acceptable, il faut généralement tenir compte d’intérêts conflictuels. Il y a d’une part les intérêts individuels, et notamment le droit de ne pas être soumis aux ingérences de l’État, et d’autre part les intérêts de l’État, et notamment son devoir de protéger la société du crime. Comme ces intérêts s’opposent généralement, il peut être parfois difficile de s’entendre sur la ligne de démarcation à adopter concernant la conduite de la police.

La common law a progressivement défini beaucoup des pouvoirs et fonctions des policiers. Ces pouvoirs et fonctions sont par ailleurs énoncés dans des lois qui l’emportent sur la common law. Ainsi, [Traduction] « c’est seulement lorsqu’il exerce les pouvoirs conférés par la loi ou issus de la common law qu’on peut dire qu’un policier agit "dans l’exercice légal de ses fonctions" »().

Les tribunaux savent que, à mesure que les crimes deviennent plus subtils, il faut que la police puisse employer des techniques d’enquête plus perfectionnées elles aussi pour dépister ces crimes. De plus, dans le cas des infractions liées aux drogues et à d’autres infractions de nature consensuelle(), on sait que les techniques d’enquête ordinaires sont souvent insuffisantes en raison de la difficulté à dépister ces activités. En général, comme il n’y a pas de « victimes », il n’y a personne pour porter plainte ou signaler un crime à la police. Le Parlement et les tribunaux semblent convenir qu’il peut être justifié d’accorder des pouvoirs supplémentaires à la police dans ces circonstances. On estime que la police doit agir de façon proactive au lieu de réagir comme elle le fait généralement dans le cas des infractions non consensuelles. Un exemple de ce point de vue est exprimé dans la déclaration suivante de l’ancien juge en chef Laskin de la Cour suprême du Canada.

Le mode de dépistage des actes criminels réels ou soupçonnés, et de leurs auteurs, varie nécessairement avec le genre de crime. Par exemple, lorsqu’il y a violence ou introduction par effraction et vol, il existe généralement des preuves manifestes de l’infraction que la police peut utiliser pour retrouver les coupables; il est fréquent que la victime, sa famille ou le propriétaire du bien, selon le cas, appelle la police et lui fournisse des indices facilitant son enquête. Lorsqu’il s’agit de crimes « consensuels », c’est-à-dire de crimes impliquant des personnes consentantes, comme dans le cas de la prostitution, des paris illégaux et de la drogue, les méthodes ordinaires ne suffisent plus. Les participants, qu’ils s’estiment lésés ou non, ne portent pas plainte et ne cherchent pas à obtenir le secours de la police; c’est justement ce qu’ils veulent éviter. Si la police veut réprimer ces infractions que l’opinion publique désapprouve et qui sont d’ailleurs punies dans notre droit, elle doit prendre des initiatives().

La Cour d’appel de l’Alberta a par ailleurs déclaré ce qui suit :

[Traduction]

Les policiers s’engagent dans des poursuites à grande vitesse, dépassant les limites affichées sur la route. Ils se font passer pour des prostitués et entrent en communication à ce titre pour rassembler des preuves. Ils achètent, possèdent et transportent des drogues illicites tous les jours dans le cadre d’opérations d’infiltration. Dans un monde idéal, cela ne serait pas nécessaire, mais il est évident que le commerce des drogues illégales ne peut faire l’objet d’enquêtes valables ni être entravé par des policiers en uniforme épiant à travers des impostes ou des trous de serrure ou attendant patiemment au quartier général de la police que des trafiquants repentis passent aux aveux().

Il semble donc que les tribunaux soient plus disposés à accepter l’emploi de techniques d’enquête extraordinaires dans le cas des infractions liées aux drogues que dans celui des infractions non consensuelles. Le Parlement, de son côté, accorde, dans certaines circonstances, des pouvoirs spéciaux à la police pour mieux lutter contre les infractions liées aux drogues.

Cette reconnaissance de la nature particulière des infractions liées aux drogues n’est pas quelque chose de nouveau. La Commission Le Dain, déjà, avait ceci à dire :

L’exécution des lois concernant les stupéfiants est rendue très difficile par la nature même des délits tombant sous le coup de ces lois, et notamment par le fait que les personnes impliquées sont consentantes et agissent de concert, et aussi parce qu’il y a rarement sinon jamais de victime ayant un sujet de plainte, comme dans le cas des délits contre la personne ou la propriété. La police reçoit rarement l’aide de plaignants. C’est à elle qu’il incombe en majeure partie d’établir la preuve de l’accusation. En outre, l’activité se rattachant à l’usage non médical des drogues est relativement facile à dissimuler. Les parties intéressées peuvent, d’un commun accord, l’exercer dans des lieux qui échappent à la surveillance de la police. Il est également facile de cacher les substances et les instruments incriminables ou de s’en débarrasser.

Toutes ces difficultés ont progressivement nécessité le recours à des méthodes exceptionnelles d’exécution de la loi().

Nous allons, dans les sections qui suivent, examiner les pouvoirs que la police utilise pour faire enquête sur les crimes en général, après quoi nous tenterons de mettre en lumière les règles spéciales qui peuvent s’appliquer aux infractions liées aux drogues. Nous analyserons donc :

  • le pouvoir d’arrêter et de détenir un suspect;
  • le pouvoir d’interroger un suspect;
  • le pouvoir de procéder à des fouilles, des perquisitions et des saisies (y compris l’écoute électronique);
  • le recours à la provocation et aux activités illégales pour lutter contre le crime.

Dans tous les cas, nous examinerons les limites imposées à ces pouvoirs. Nous parlerons aussi, brièvement, des règles relatives à l’exclusion d’éléments de preuve en vertu de la Charte. Bien que ces règles ne définissent pas directement les limites permises de la conduite des policiers, elles peuvent avoir un effet indirect sur celles-ci. Nous aborderons certaines questions juridiques de nature assez technique et complexe pour permettre au lecteur de mieux comprendre les pouvoirs de la police et les limites qui y sont imposées. Notre intention n’est pas de procéder à une analyse exhaustive du droit en la matière, mais d’en donner une idée générale.


ARRESTATION ET DÉTENTION

La détention ou l’arrestation dépend des faits en jeu. La détention renvoie à une forme quelconque de limitation de la liberté. Elle exige un certain élément de compulsion ou de coercition, qu’il s’agisse de contention physique ou psychologique (p. ex. lorsque la personne a des raisons de croire qu’elle n’avait pas le choix d’obéir ou non aux exigences ou aux instructions). Dans l’affaire R. c. Feeney(), la Cour suprême du Canada a conclu qu’il y a détention lorsqu’un policier contrôle le mouvement d’une personne sous la forme d’une exigence ou d’une instruction. Une arrestation, par ailleurs, [Traduction] « peut se produire lorsque des mots sont employés pour indiquer clairement à l’intéressé que, s’il tente de quitter les lieux, il sera physiquement immobilisé et qu’il se soumet à cette perte de liberté »(). Comme il ne semble pas exister de règles spéciales importantes concernant l’arrestation et la détention en matière d’infractions liées aux drogues, cette partie de notre analyse sera brève : nous décrirons simplement la loi telle qu’elle s’applique à toutes les infractions.

 

A. Le pouvoir d’arrêter un suspect

Le Code prévoit deux procédures pour citer une personne à comparaître devant un tribunal : d’une part au moyen d’une assignation ou d’une citation à comparaître, d’autre part au moyen d’une arrestation avec ou sans mandat. Un policier qui a des raisons de croire qu’un suspect a commis une infraction peut déposer une dénonciation, et un juge convaincu que le bien-fondé est établi délivrera un mandat d’arrestation ou une assignation ordonnant à l’accusé de comparaître. Une assignation doit être utilisée sauf dans le cas où l’intérêt public requiert un mandat. Comme on le verra plus loin, la police peut également, dans certains cas, arrêter quelqu’un sans mandat. Si le policier n’arrête pas le suspect, il peut délivrer une citation à comparaître, puis déposer une dénonciation, après quoi le juge confirmera ou annulera la citation. Même lorsqu’une personne est arrêtée, avec ou sans mandat, elle n’est généralement pas détenue jusqu’à son procès, à moins qu’il s’agisse d’un délit grave ou que le suspect risque de s’enfuir. Selon les circonstances, la personne arrêtée peut être relâchée par le policier, par un agent responsable ou par un juge. En cas de mise en liberté provisoire, il incombe généralement à l’État de faire la preuve que la détention est justifiée. Le fardeau de la preuve est parfois inversé, notamment lorsque la personne est accusée de trafic, d’importation, d’exportation ou de production de drogues aux termes de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (LRDS), si l’infraction est passible d’une peine d’emprisonnement à perpétuité.

1. L’arrestation avec mandat

Le policier qui a obtenu un mandat a le pouvoir d’arrêter l’accusé dans la province où le mandat est délivré ou – dans le cas d’une « poursuite immédiate » – n’importe où au Canada. Il existe également des procédures permettant l’exécution d’un mandat dans une autre province.

2. L’arrestation sans mandat

L’article 494 du Code énonce les circonstances dans lesquelles n’importe quel citoyen, y compris un policier, a le pouvoir de procéder à une arrestation sans mandat, tandis que l’article 495 a trait au pouvoir d’arrestation sans mandat attribué uniquement aux policiers. Les policiers ont donc tous les pouvoirs attribués aux citoyens ordinaires (article 494) ainsi que les pouvoirs qui leur sont proprement conférés (article 495).

L’alinéa 494(1)a) prévoit qu’un particulier a le droit d’arrêter un suspect sans mandat si celui-ci est en train de commettre un acte criminel(). L’alinéa 494(1)b), par contre, prévoit qu’un particulier a le droit d’arrêter un suspect sans mandat s’il a des motifs raisonnables de croire que celui-ci a commis une infraction criminelle et est en train de fuir des poursuivants légalement autorisés à l’arrêter(). Qu’entend-on par motifs raisonnables?

 

[Traduction]

[…] cela signifie que des circonstances suspectes ou une intuition ne suffisent pas. Pour qu’il y ait motifs raisonnables, il faut qu’il y ait une certaine « probabilité fondée sur la crédibilité » ou, en d’autres termes, un certain fondement factuel à la conviction personnelle. Cela signifie que la personne qui procède à l’arrestation doit être en mesure d’expliquer ses actes au tribunal, par exemple qu’elle a obtenu un renseignement d’une source fiable ou qu’elle a observé quelque chose. Elle doit pouvoir appuyer subjectivement sa conviction que le suspect a commis un acte criminel. De plus, les faits doivent être tels qu’ils inciteraient une personne raisonnable dans la situation de la personne qui a procédé à l’arrestation à considérer ou à être honnêtement persuadée que le suspect a probablement commis une infraction. Mais il n’est pas nécessaire que cela aille jusqu’à une preuve prima facie().

Le degré du caractère raisonnable des motifs varie selon le contexte. Ainsi, la norme applicable aux arrestations sans mandat peut être inférieure à celle qui sera applicable aux mandats de perquisition. La Cour d’appel de l’Ontario a statué comme suit :

[Traduction]

Le juge comme le policier qui procède à l’arrestation doivent évaluer la valeur de l’information dont ils disposent avant d’agir. Il ne s’ensuit pas, cependant, que l’information jugée insuffisante dans le cas d’un mandat de perquisition ne le serait pas non plus dans le cas d’une arrestation. Pour déterminer si les critères de la norme sont remplis, il faut tenir compte de la nature du pouvoir exercé et du contexte dans lequel il est exercé. La dynamique en jeu dans une situation d’arrestation est très différente de celle d’une demande de mandat de perquisition. La décision de procéder à une arrestation doit souvent être prise rapidement, dans des circonstances explosives et très changeantes. La réflexion judiciaire n’est pas un luxe que le policier puisse se permettre. Il doit prendre sa décision en fonction de l’information dont il dispose, laquelle est souvent imprécise ou incomplète. La loi n’attend pas la même mesure de réflexion de la part d’un policier qui doit décider s’il doit procéder à une arrestation et de la part d’un juge à qui l’on demande un mandat de perquisition().

 

Outre le pouvoir d’arrestation des simples citoyens, l’alinéa 495(1)a) autorise les policiers à arrêter sans mandat toute personne ayant commis un acte criminel. Ce pouvoir est plus large que celui qui est accordé aux simples citoyens parce qu’il n’est pas nécessaire de « prendre » la personne sur le fait. Selon l’alinéa 495(1)a), un policier peut arrêter un suspect sans mandat s’il a des motifs raisonnables de croire que celui-ci a commis un acte criminel. Nous avons expliqué plus haut ce qu’il faut entendre par motifs raisonnables. Enfin, l’alinéa 495(1)a) autorise les policiers à arrêter sans mandat toute personne qu’ils ont des motifs raisonnables de croire qu’elle est sur le point de commettre un acte criminel. Dans ce cas, le policier peut arrêter le suspect même si celui-ci n’a pas tenté de commettre un acte criminel. [Traduction] « La difficulté, dans le cas d’une arrestation aux termes de cette disposition, tient au fait que, bien qu’elle autorise un agent de la paix à procéder à une arrestation, celui-ci ne peut pas retenir l’accusé parce que ce dernier n’a pas commis d’infraction. Il devrait plutôt détenir le suspect jusqu’à ce qu’il soit convaincu qu’il n’existe plus de probabilité que celui-ci commettra l’acte criminel »().

L’alinéa 495(1)b) autorise les policiers à arrêter sans mandat toute personne qu’il trouve en train de commettre une infraction criminelle. Dans ce cas, l’arrestation ne se limite pas aux actes criminels, mais le policier doit « prendre » le suspect sur le fait. Enfin, l’alinéa 495(1)c) autorise les policiers à arrêter sans mandat toute personne contre laquelle il a des motifs raisonnables de croire qu’un mandat d’arrestation ou de dépôt est en vigueur dans le ressort où se trouve cette personne. Le Code énonce également d’autres pouvoirs d’arrestation spécifiques().

Le paragraphe 495(2) limite les pouvoirs d’arrestation sans mandat concernant certaines infractions(). Dans ces cas, les policiers ne doivent pas arrêter un suspect sans mandat s’il est possible de protéger l’intérêt public (établir l’identité, protéger des éléments de preuve ou empêcher que le suspect continue ou répète l’infraction ou en commette une autre) sans arrêter la personne et qu’il n’y a pas de motifs raisonnables de croire que le suspect ne se présentera pas devant le tribunal. Si le policier n’arrête pas le suspect, il peut, selon le cas, procéder comme suit :

[Traduction]

[…] il peut sur-le-champ rédiger et remettre à l’accusé une citation à comparaître ou il peut se présenter à un juge de paix et déposer une dénonciation pour porter une accusation contre le suspect. Dans ce dernier cas, il peut demander au juge de paix de délivrer une assignation ou un mandat pour obliger l’accusé à comparaître devant un tribunal à une date et un endroit précis pour répondre aux accusations portées contre lui().

Pour ce qui est des infractions non énumérées au paragraphe 495(2), les policiers peuvent procéder à une arrestation. Le Code énonce les responsabilités du policier ou de l’agent responsable une fois que le suspect a été arrêté. Il précise par exemple quand le suspect peut ou non être relâché.

La Charte, comme sa désignation le laisse entendre, garantit certains droits et certaines libertés. Certains de ces droits ont trait à la situation des personnes détenues ou arrêtées par la police.

 

B. La détention arbitraire

L’article 9 de la Charte prévoit ce qui suit :

9. Chacun a droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires.

Les normes en fonction desquelles il convient d’évaluer le caractère arbitraire auquel renvoie l’article 9 ont été établies par des décisions successives de la Cour suprême du Canada. Ainsi, il est arbitraire et offensant que la police, sans motif ou pour des raisons futiles, détienne ou arrête une personne pour l’interroger ou poursuivre une enquête. Cependant, la détention pour une enquête peut se justifier si la police a un « motif précis »(). Il lui est loisible de poursuivre son enquête après une arrestation à laquelle elle a procédé parce qu’elle était convaincue, en raison de motifs raisonnables et probables, que le suspect était en train de commettre ou avait commis une infraction. Dans l’affaire R. c. Storrey(), la Cour a déclaré que pour procéder à une arrestation, la police n’a besoin de rien d’autre que de motifs raisonnables et probables : « Ils ne sont pas tenus, avant d’agir, d’avoir une preuve suffisante à première vue pour justifier une déclaration de culpabilité ».

 

C. Le droit à un avocat

L’article 10 de la Charte prévoit ce qui suit :

10. Chacun a le droit, en cas d’arrestation ou de détention :

a) d’être informé dans les plus brefs délais des motifs de son arrestation ou de sa détention;

b) d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit;

c) de faire contrôler, par habeas corpus, la légalité de sa détention et d’obtenir, le cas échéant, sa libération.

Le droit énoncé à l’alinéa 10b) est d’une importance cruciale pour les personnes arrêtées ou détenues. Il garantit à toute personne arrêtée ou détenue le droit d’être informée de son droit à un avocat et le droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat. L’accusé doit donc être informé de son droit, mais aussi être autorisé à l’exercer. Ce droit s’applique indifféremment à toutes les infractions, y compris les infractions liées aux drogues. Voyons rapidement quelques cas de la jurisprudence concernant le droit à un avocat.

Dans l’affaire R. c. Kelly(), la Cour d’appel de l’Ontario a établi une distinction entre les droits garantis aux alinéas a) et b) de l’article 10. Relativement à l’alinéa a), la Cour a soutenu qu’une personne n’est pas tenue de se soumettre à une arrestation sans en connaître les motifs et qu’il est donc indispensable qu’elle en soit informée « dans les plus brefs délais ». Par ailleurs, l’objet de l’alinéa b) est d’éviter que l’accusé compromette sa situation juridique en disant ou en faisant quelque chose sans bénéficier de conseils juridiques. Lorsqu’on dit que l’accusé doit être informé « dans les plus brefs délais » du motif de son arrestation, cela veut dire qu’il faut lui fournir cette information « immédiatement ». Par contre, lorsqu’on dit que l’accusé doit être informé de son droit à un avocat « sans délai », cela ne veut pas dire qu’il doive en être informé « immédiatement ». Il peut y avoir de bonnes raisons qu’une personne arrêtée soit informée « sans délai » de son droit à un avocat, mais il n’y a pas de raison fondamentale pour laquelle cette information devrait faire partie de la déclaration faite en vertu de l’alinéa a) (motif de l’arrestation); cette déclaration fait en réalité partie intégrante de l’arrestation.

Dans l’affaire R. c. Ironchild(), la Cour a soutenu que, lorsqu’on demande à l’accusé s’il veut un avocat et qu’il donne une réponse ambiguë ou n’exprime qu’un vague désir de consulter un avocat, la police doit répéter la question sans rien faire d’autre. Mais, dans la majorité des cas du même genre, les tribunaux ont estimé que ce droit exige que l’accusé ait vraiment la possibilité de consulter un avocat. Dans l’affaire R. c. Nelson(), la Cour a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

Cela ne doit pas prendre la forme d’une simple incantation d’une « version encapsulée » du droit, suivie d’une attitude qui présume que l’accusé a renoncé à ce droit. Cette disposition a pour objet de garantir à l’accusé qu’il sera informé afin qu’il ait rapidement la possibilité de faire un choix raisonné. La raison pour laquelle on informe l’accusé est qu’il peut ainsi décider, et cela signifie qu’il doit avoir la possibilité équitable de se demander s’il veut exercer son droit.

Dans l’affaire R. c. Evans(), la Cour suprême du Canada s’est interrogée sur la mesure dans laquelle les personnes arrêtées doivent comprendre l’énoncé de leurs droits et sur les circonstances dans lesquelles la police doit réitérer cet énoncé. En l’espèce, l’accusé avait un quotient intellectuel entre 60 et 80. Lorsqu’on l’a informé de ses droits et qu’on lui a demandé s’il les comprenait, il a répondu par la négative. Cela n’a pas empêché les policiers, qui le savaient déficient sur le plan mental, de l’emmener au poste et de procéder à des interrogatoires qui l’ont finalement amené à avouer deux meurtres. La Cour a estimé qu’il y avait eu violation du droit de l’accusé à un avocat et elle a conclu que les aveux de l’accusé devaient être exclus de la preuve en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte.

En annulant la condamnation et en acquittant l’accusé, la Cour a catégoriquement rejeté la proposition de la Cour d’appel que l’administration de la justice serait dénigrée si un tueur ayant avoué ses crimes était libéré pour la seule raison que son droit à un avocat avait été violé. La Cour a conclu que, en raison de la violation des dispositions de la Charte, les aveux de l’accusé étaient suspects et qu’il n’avait pas eu un procès équitable. La Cour d’appel avait effectivement présumé la culpabilité de l’accusé. Une majorité de la Cour a également conclu que les droits de l’accusé aux termes de l’alinéa 10b) avaient été violés lorsque la police avait commencé à le soupçonner d’un meurtre et non d’une infraction moindre, mais qu’elle ne l’avait pas de nouveau informé de son droit à un avocat.

À la suite de cette cause, il faudra sans doute que la police soit particulièrement attentive à veiller à ce que les suspects comprennent leurs droits, notamment lorsqu’il s’agit d’enfants, de personnes qui ne parlent pas la langue employée par les policiers et de déficients mentaux. Cela s’applique probablement aussi aux personnes qui peuvent avoir du mal à comprendre leurs droits parce qu’elles sont en état d’ébriété ou sous l’effet de drogues. Dans l’affaire R. c Clarkson(), la Cour a considéré que le renoncement au droit à un avocat n’était pas valable parce que l’accusé était en état d’ébriété.

La Cour suprême du Canada s’est également demandé si la police doit aider l’accusé à exercer son droit à un avocat. Dans l’affaire R. c. Manninen(), elle a conclu que l’alinéa 10b) impose au moins deux obligations à la police en plus de celle d’informer le détenu de ses droits.

  • Premièrement, la police doit donner la possibilité raisonnable au détenu de recourir sans délai à l’assistance d’un avocat; c’est-à-dire qu’elle doit offrir au détenu d’utiliser le téléphone. Il se peut, dans certains cas, que la police doive absolument poursuivre l’enquête avant de faciliter la communication du détenu avec un avocat, mais ce n’était pas le cas dans la cause Manninen.
  • Deuxièmement, la police doit s’abstenir d’interroger le détenu jusqu’à ce que celui-ci ait eu la possibilité raisonnable de recourir à l’assistance d’un avocat. La garantie du droit à un avocat n’a pas seulement pour objet de permettre au détenu d’être informé de ses droits et obligations selon la loi, mais aussi, et c’est tout aussi important sinon plus, d’obtenir des conseils sur la manière d’exercer ces droits.

Dans l’affaire Manninen, les policiers avaient informé le suspect de son droit de garder le silence, mais ils ont continué à l’interroger « après que l’intimé eut clairement affirmé son droit de garder le silence et sa volonté de consulter son avocat ». Pour que le droit à un avocat ait un sens, il faut que l’accusé ait accès à des conseils juridiques avant d’être interrogé ou autrement invité à fournir des éléments de preuve. Mais cet aspect du droit de l’intimé à un avocat a été manifestement violé, puisque les policiers ont continué à l’interroger alors que rien d’urgent ne le justifiait. L’intimé n’avait pas renoncé à son droit lorsqu’il a répondu aux questions des policiers. Une personne peut renoncer implicitement aux droits garantis par l’alinéa 10b), mais la norme est très élevée, et elle n’a pas été respectée en l’espèce.

Dans l’affaire R. c. Baig(), la Cour suprême du Canada a soutenu que l’obligation de la police de donner la possibilité au suspect de recourir à l’assistance d’un avocat n’est pas mise en jeu tant que l’accusé n’exprime pas le désir d’exercer ce droit. Il s’ensuit, semble-t-il, que, si la police ne réussit pas à promouvoir l’exercice d’un droit garanti par la Charte, il n’y a pas violation de la Charte du moment que l’accusé n’a pas invoqué ce droit.

Cependant, dans l’affaire R. c. Brydges(), la Cour suprême du Canada a, depuis, soutenu que, lorsqu’un accusé déclare ne pas avoir les moyens de s’offrir les services d’un avocat, cela équivaut à une demande d’assistance d’un avocat. En l’espèce, l’accusé (un résident de l’Alberta arrêté pour meurtre au Manitoba) avait été informé sans délai de son droit de recourir à l’assistance d’un avocat. On lui avait réitéré ce droit au poste de police. Lorsque l’accusé avait demandé s’il existait des services d’aide juridique au Manitoba (étant donné qu’il n’avait pas les moyens de se payer un avocat), le policier lui avait répondu qu’il pensait qu’un système de ce genre existait dans la province, mais il n’avait pas cherché à le confirmer. Lorsqu’on lui avait ensuite demandé s’il avait des raisons de vouloir parler à un avocat, l’accusé avait répondu que non. Après avoir fait un certain nombre de déclarations incriminantes, l’accusé avait demandé à parler à un avocat de l’aide juridique. Après avoir obtenu satisfaction à cet égard, l’accusé avait refusé de continuer à discuter avec la police.

Confirmant la décision du tribunal de première instance d’exclure les déclarations incriminantes de la preuve parce que les droits de l’accusé aux termes de l’alinéa 10b) avaient été violés, la Cour suprême a précisé que « [l]orsqu’un accusé s’inquiète de ce que le droit à l’assistance d’un avocat dépende de la capacité d’en assumer les frais, les policiers ont l’obligation de l’informer de l’existence de l’aide juridique et des avocats de garde et de la possibilité d’y recourir ». En l’espèce, « [l]’accusé a été laissé sur sa fausse impression que son incapacité de se payer les services d’un avocat l’empêchait d’exercer son droit à cette assistance ». L’accusé ne pouvait pas renoncer à quelque chose qu’il ne comprenait pas parfaitement (à savoir ses droits selon l’alinéa 10b)).

L’arrêt Brydges a confirmé que les policiers ont deux obligations supplémentaires : ils « doivent donner à la personne accusée ou détenue une possibilité raisonnable d’exercer le droit de recourir à l’assistance d’un avocat, puis […] doivent s’abstenir de questionner la personne ou d’essayer de lui soutirer des éléments de preuve jusqu’à ce qu’elle ait eu cette possibilité raisonnable ». Le détenu, de son côté, doit faire preuve d’une « diligence raisonnable » dans l’exercice de ce droit et il peut, expressément ou implicitement, y renoncer; il doit cependant comprendre et connaître les conséquences de ce choix, et toute renonciation implicite sera examinée de très près par le tribunal.

La Cour suprême du Canada a également déclaré que la police doit informer l’accusé de l’existence et de la disponibilité de services d’avocat et d’aide juridique dans tous les cas d’arrestation et de détention, et pas seulement lorsque le détenu est ou semble être sans ressources. Et c’est le cas même si, ayant été informé par la police de ses droits en vertu de l’alinéa 10b), le détenu ne demande pas à s’entretenir avec un avocat. Si l’accusé ne fait pas d’effort diligent et raisonnable pour exercer ce droit une fois qu’il en a été informé, la police n’est pas tenue de s’abstenir d’essayer d’obtenir d’autres éléments de preuve : c’est ce qu’a conclu la Cour suprême du Canada dans l’affaire Smith().

Nonobstant l’arrêt Brydges, la nature de l’information et la mesure dans laquelle elle doit être fournie à l’accusé pour que l’alinéa 10b) soit considéré comme respecté n’étaient pas encore déterminées. Outre l’exigence d’informer les détenus de leur droit à un avocat, la Cour d’appel de l’Île-du-Prince-Édouard a soutenu, dans l’affaire R. c. Matheson(), que l’arrêt Brydges signifiait qu’il [Traduction] « incomb[ait] aux responsables de l’administration de la justice dans la province de veiller à ce que ce service soit disponible ». La cause Matheson() a été portée en appel devant la Cour suprême du Canada, de même que la cause R. c. Prosper(), où la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse avait adopté un point de vue différent. Dans les deux cas, la Cour suprême du Canada a en fin de compte statué que « [l]’alinéa 10b) de la Charte n’a pas pour effet d’imposer aux gouvernements une obligation positive de fournir un système d’"avocats de garde selon Brydges", ou encore d’accorder à toute personne détenue le droit correspondant à des conseils juridiques gratuits et préliminaires 24 heures par jour »().

Dans l’affaire R. c. Burlingham(), la Cour suprême du Canada a eu le loisir de s’interroger sur les obligations de la police ou du procureur de la Couronne en matière de négociation d’un plaidoyer. S’exprimant au nom de la majorité, le juge Iacobucci a soutenu que l’alinéa 10b) « exige que le ministère public ou les policiers qui font une offre de négocier un plaidoyer soumettent cette offre soit à l’avocat de l’accusé, soit à l’accusé lui-même en présence de son avocat, à moins que l’accusé n’ait expressément renoncé à son droit à l’assistance d’un avocat ». Il a ajouté que l’alinéa 10b) « interdit expressément aux policiers de dénigrer l’avocat d’un accusé, comme ils l’ont fait en l’espèce, dans le but ou avec comme résultat exprès de miner la confiance de l’accusé en son avocat et sa relation avec lui ». La majorité a estimé que la police avait enfreint le droit de Burlingham à un avocat en lui faisant cette offre directement et pour une période durant laquelle elle savait que son avocat n’était pas disponible. De plus, comme les aveux de l’accusé, l’arme du crime et le témoignage de sa petite amie n’auraient pas été des éléments de preuve « n’eut été » l’infraction à la Charte, tous ces éléments de preuve devaient être exclus du nouveau procès.

Si, dans l’affaire Burlingham, la Cour a estimé que l’avocat doit être présent au cours des négociations de plaidoyers, le droit à un avocat n’est généralement pas un droit permanent.

[Traduction]

C’est le droit de recourir à l’assistance immédiate d’un avocat. Une fois cette exigence remplie, le droit garanti par l’alinéa 10b) n’a plus lieu d’être. Il n’existe pas de droit à un avocat à d’autres étapes ultérieures de l’enquête comme c’est le cas dans certaines juridictions. On suppose que l’avocat aura fourni à son client des conseils et des instructions quant à savoir s’il y a lieu de répondre aux questions de la police et, le cas échéant, comment y répondre, et un accusé qui décide de ne pas suivre ces conseils n’a que lui-même à blâmer. Cela dit, si la police se conduit par la suite de telle sorte qu’elle subvertit les efforts de l’avocat pour protéger un client en faisant usage d’une ruse quelconque qui compromet le droit de l’accusé de ne pas en dire plus à la police, il se peut qu’un autre droit soit enfreint, à savoir le droit de ne pas être privé de sa liberté sauf conformément aux principes de justice fondamentale, comme le garantit l’article 7().

 

Nous verrons plus en détail un exemple de ce genre de violation à la section intitulée « Le droit de garder le silence ».

 

L’INTERROGATOIRE

Un policier dans l’exercice de ses fonctions est autorisé à interroger des personnes et peut les inviter à le suivre au poste de police à cette fin, mais, en général, les personnes en question ne sont pas dans l’obligation de répondre à ses questions ni de le suivre. Comme on l’a vu plus haut, lorsqu’une personne est arrêtée ou détenue, certains droits lui sont garantis par la Charte, notamment le droit à un avocat.

Le policier peut vouloir interroger un suspect dans le cadre d’une enquête, et ce, pour de nombreuses raisons, dont le désir de confirmer qu’il y a des motifs raisonnables et probables de procéder à une arrestation. Comme on l’a vu, le suspect n’a généralement pas l’obligation juridique de répondre à ces questions. La police espère bien entendu obtenir des aveux, mais elle essaie également d’obtenir des renseignements qui permettront d’engager une poursuite. [Traduction] « En droit, des aveux sont la déposition écrite ou orale d’une personne accusée d’un crime, qui atteste ou tend à attester que cette personne est coupable du crime dont elle est accusée. Il peut s’agir de la reconnaissance du crime ou de la reconnaissance d’un fait tendant à prouver sa culpabilité »().

Les règles qui régissent la recevabilité des dépositions faites par un accusé sont complexes. En voici les grandes lignes.

La règle générale est que l’État doit prouver que la déposition de l’accusé est volontaire et est le produit d’un état d’esprit conscient. L’une des premières formulations de cette règle se trouve dans l’arrêt R. c. Ibrahim :

 

[Traduction]

L’une des règles positives du droit pénal anglais établies depuis longtemps veut que l’on ne reçoive en preuve aucune déposition d’un accusé l’incriminant à moins que la poursuite prouve qu’il s’agit d’une déposition volontaire au sens où elle n’a pas été obtenue en raison de menaces ou de promesses concrétisées ou mises dans la balance par une personne en position d’autorité().

Les aveux non volontaires ne sont pas recevables pour les raisons suivantes :

[Traduction]

La première raison est qu’ils ne sont pas sûrs. Quiconque fait une déclaration sous l’effet d’une menace ou d’une promesse peut très bien ne pas dire la vérité. La deuxième raison renvoie au point de vue du public. Si l’on acceptait des dépositions qui n’ont pas été faites librement, le public estimerait que la conduite abusive de la police est tolérée par les tribunaux, et la collectivité perdrait le respect et la confiance qu’elle a à l’endroit du système de justice pénale().

C’est à la poursuite qu’il incombe de prouver que la déposition a été faite volontairement, et la question sera tranchée dans le cadre d’une audition (ce qu’on appelle le voir-dire) avec le juge du procès. Cette audition a lieu en l’absence du jury, s’il y a un jury. La poursuite est tenue d’y inviter comme témoins tous les policiers présents lorsque la déposition a été faite.

Par quelle conduite de la police peut-elle rendre une déposition non volontaire? Une menace ou une promesse suffisent généralement à rendre la déposition irrecevable.

[Traduction]

On entend par « volontaire » le fait de ne pas être incité par une menace ou une promesse. Cette définition est devenue une sorte de cliché. Essentiellement, donc, une déposition n’est recevable que si l’accusé l’a faite sans craindre, en raison des déclarations ou du comportement de la police, que quelque chose lui arrive s’il ne faisait pas cette déposition ou sans espérer obtenir un avantage en faisant cette déposition. Il ne sert à rien d’essayer d’énumérer les milliers de possibilités que pourrait recouvrir la règle : elles vont des plus évidentes – brutaliser ou menacer de brutaliser l’accusé ou le menacer de la peine maximale s’il n’avoue pas ou lui dire qu’il obtiendra une moindre peine ou qu’il pourra voir sa femme s’il avoue – aux moins évidentes – menacer l’accusé de lui refuser sa caution s’il n’avoue pas ou lui promettre de l’obtenir s’il avoue().

Les tribunaux examineront le contexte dans lequel l’accusé a formulé sa déclaration pour déterminer s’il l’a faite sous la menace ou s’il y a été incité.

Un interrogatoire mené dans des conditions abusives peut également justifier la non-recevabilité de la déposition. [Traduction] « Des conditions abusives ont tendance à miner le libre-arbitre d’une personne, lequel est un élément nécessaire d’aveux volontaires »(). Les facteurs dont le tribunal tiendra compte sont, entre autres, les caractéristiques de la personne qui fait la déposition, la durée de l’interrogatoire et l’absence de rafraîchissements. Il examinera toutes les circonstances de l’interrogatoire pour s’assurer que rien n’a pu compromettre le caractère volontaire des aveux.

Nonobstant la conduite de la police, la déposition doit être le produit de l’état d’esprit conscient de l’accusé. Celui-ci doit comprendre les questions et savoir ce qu’elles signifient. Les dépositions de l’accusé ne remplissent pas toutes cette condition.

[Traduction]

Il se peut que l’accusé soit ivre ou en état de choc lorsqu’il fait sa déposition. Il peut même se trouver dans une sorte d’état d’hypnose ou sous l’effet de médicaments ou de drogues. Dans ce cas, il se peut qu’il ne soit pas conscient de ce qu’il dit, ni même qu’il sache qu’il est en train de faire une déclaration. Si c’est le cas, on peut difficilement parler de « sa » déposition, qui, donc, n’a pas de valeur probante ou, si elle en a une quelconque, elle peut être si faible qu’elle ne fait pas le poids devant l’effet préjudiciable qui s’y oppose. Dans ce cas, la déposition est exclue non pas parce qu’elle n’est pas volontaire, mais parce qu’elle ne peut être considérée comme celle de l’accusé().

La police doit donc s’assurer que la déposition est bien le produit de l’état d’esprit conscient de l’accusé et qu’on ne lui a fait ni menaces ni promesses. Les tribunaux examineront toutes les circonstances de l’interrogatoire pour déterminer si la déclaration a été faite librement et volontairement. S’il est interdit à la police de faire des menaces ou des promesses, rien à proprement parler ne l’empêche cependant de simplement employer des manœuvres ou des astuces pour amener l’accusé à faire une déposition.

 

[Traduction]

Les policiers connaissent très bien les règles relatives à la recevabilité des aveux, et, en général, ils ne brutalisent pas les accusés ni ne les menacent ou leur promettent quoi que ce soit, car ils savent très bien que, dans ce cas, les aveux seront exclus de toute façon. Quoi qu’il en soit, il existe de nombreux moyens d’obtenir des aveux sans recourir aux menaces ou aux promesses. La ruse, sous diverses formes, est souvent efficace. Un agent en civil peut être placé dans la même cellule que l’accusé et se vanter de ses antécédents criminels. L’accusé, pour ne pas être en reste, lui parle de l’infraction dont il est accusé, pour le retrouver ensuite au premier rang des témoins à son procès. Ou encore, lorsqu’il y a deux accusés, la police les place dans deux pièces distinctes et dit à l’un d’eux que l’autre met tout sur son dos, ce qui incite le second à reconnaître sa culpabilité, mais en essayant de faire porter l’essentiel de la responsabilité sur son complice. Il y a de nombreuses versions de cette ruse, mais aucune n’entre dans la définition des menaces et des promesses et ne donne donc pas lieu à une déclaration « non volontaire » au sens strict. S’il y a lieu de s’y objecter, ce n’est pas parce que cette déclaration est l’effet de menaces ou de promesses, mais parce que c’est en quelque sorte « injuste » et que cela soulève la question plus importante de l’effet de la Charte sur tout cela().

Comme nous l’expliquerons dans la section suivante, la Charte a servi à contester certaines tactiques policières employées pour susciter des aveux. Cela dit, un interrogatoire vigoureux et habile, de fausses déclarations de fait par la police, l’appel à la conscience de l’accusé et autres tactiques policières du même genre ne rendent pas nécessairement une déposition irrecevable.

En 2000, la Cour suprême du Canada a eu l’occasion de s’interroger sur la portée de la règle des confessions de la common law et sur les limites qu’elle impose aux interrogatoires policiers. Dans l’affaire R. c. Oickle(), la Cour a, pour la première fois depuis l’adoption de la Charte, directement abordé la question. En l’espèce, l’accusé avait été condamné sur la seule base de deux confessions qu’il avait faites après que la police lui avait dit qu’il avait échoué au test du détecteur de mensonges auquel on l’avait invité à se soumettre pour se disculper d’une série d’incendies suspects. L’accusé avait été informé de ses droits selon la Charte et du fait que, si les résultats du polygraphe n’étaient pas recevables en preuve, tout ce qu’il dirait le serait. L’interrogatoire avait duré plusieurs heures.

Dans sa décision, la Cour analyse ce que la police peut et ne peut pas faire en matière d’interrogatoire, notamment en ce qui a trait à l’usage du polygraphe. Selon la Cour, la Charte ne subsume pas la règle des confessions de la common law, dont la portée est plus large que la Charte elle-même() : celle-ci n’est pas un catalogue exhaustif des droits, mais, « au contraire, elle représente le strict minimum que le droit doit respecter »(). La Cour a poursuivi en réitérant la règle des confessions.

L’un des sujets de préoccupation de la Cour était le problème des faux aveux et le rôle important qu’ils jouent dans la reconnaissance de la culpabilité d’un innocent. Rappelant que la règle des confessions porte sur le caractère volontaire, « au sens large », des aveux, la Cour s’inquiétait surtout du fait que les aveux non volontaires sont plus susceptibles de ne pas être sûrs. Elle a ajouté que, en définissant la règle des confessions, « il est important d’avoir à l’esprit le double objectif de cette règle, qui est de protéger les droits de l’accusé sans pour autant restreindre indûment la nécessaire faculté de la société d’enquêter sur les crimes et de les résoudre »(). Il s’agit d’envisager les choses dans leur contexte et de tenir compte de tous les facteurs utiles.

La Cour a précisé que les menaces et les promesses sont au cœur de la règle traditionnelle des confessions et qu’« [i]l importe donc de définir précisément quels types de menaces ou de promesses soulèvent un doute raisonnable quant au caractère volontaire d’une confession »(). Il n’est pas nécessaire, a-t-elle expliqué, que les menaces ou les promesses concernent directement le suspect pour qu’elles aient un effet coercitif et les unes et les autres n’ont pas toutes d’effet aussi patent. Par exemple, l’offre explicite d’obtenir « un traitement clément en retour d’une confession est manifestement un encouragement très puissant et justifiera l’exclusion de la confession, sauf dans des circonstances exceptionnelles »(). Par ailleurs, une aide psychiatrique ou d’autres formes de counseling sont une incitation, mais pas aussi efficace qu’une offre de clémence. Il faut dans ce cas tenir compte de toutes les circonstances. De plus, des aveux obtenus par des moyens violents seront irrecevables en preuve. Par contre, des menaces voilées, plus subtiles, peuvent ou non, selon le cas, donner lieu à l’exclusion des aveux. Par exemple, des affirmations comme « il vaudrait mieux que vous disiez la vérité » ne donneront pas automatiquement lieu à l’exclusion des aveux, parce qu’il faudra examiner l’intégralité du contexte pour voir « s’il existe un doute raisonnable que la confession qui en a résulté était involontaire »(). Quant aux incitations d’ordre moral ou spirituel, elles ne produisent généralement pas d’aveux non volontaires, car « l’encouragement ne relève pas du contrôle des policiers ». Par exemple, si le policier dit à l’accusé que celui-ci se sentira mieux lorsqu’il aura avoué, il n’offre rien du tout. La Cour n’est pas disposée à interdire toutes les formes d’incitation. La conduite de la police devient inacceptable « lorsque les encouragements, à eux seuls ou combinés à d’autres facteurs, sont importants au point de soulever un doute raisonnable quant à la question de savoir si l’on a subjugué la volonté du suspect »(). La Cour a précisé que « la question la plus importante consiste à se demander si les interrogateurs ont offert une contrepartie, que ce soit sous forme de menaces ou de promesses »().

La Cour a rappelé que les circonstances abusives risquent de donner lieu à de faux aveux : « Dans des conditions inhumaines, on peut difficilement s’étonner qu’un suspect fasse une confession dans le seul but d’échapper à ces conditions. Une telle confession n’est pas volontaire »(). Sans essayer de proposer une liste exhaustive des facteurs qui contribuent à créer un climat abusif, la Cour a indiqué qu’il s’agissait notamment de priver le suspect de nourriture, de vêtements, d’eau, de sommeil ou de soins médicaux, de lui refuser l’accès à un avocat, de faire preuve d’une agressivité exagérée à son égard ou de procéder à un interrogatoire par intimidation pendant une période prolongée. L’emploi d’éléments de preuve inexistants est une autre source éventuelle de conditions abusives. Si, en tant que tel, le fait de présenter au suspect des éléments de preuve irrecevables, voire créés de toutes pièces, n’est pas nécessairement un motif d’exclusion des aveux, lorsqu’il se conjugue à d’autres facteurs, il devient un élément pertinent dans l’évaluation du caractère volontaire des aveux.

Quant à l’état d’esprit conscient, la Cour a renvoyé à un arrêt antérieur où elle avait déclaré que cette exigence « n’implique pas un degré de conscience plus élevé que la connaissance de ce que l’accusé dit et qu’il le dit à des policiers qui peuvent s’en servir contre lui »(). La doctrine de l’état d’esprit conscient ne suppose pas d’enquête distincte tout à fait en dehors du reste de la règle des confessions, parce qu’elle « n’est qu’une application de la règle générale selon laquelle les confessions involontaires sont inadmissibles ».

De leur côté, les ruses policières, contrairement aux autres facteurs dont nous venons de parler, exigent une enquête distincte. Ce concept est lui aussi associé à la question du caractère volontaire des aveux, mais l’objet précis de cette doctrine est « de préserver l’intégrité du système de justice pénale », et cela se réalise en réprimant toute conduite de la police qui risquerait de choquer la collectivité.

La Cour a précisé que si cela pouvait laisser entendre que la règle des confessions « comporte toute une panoplie de facteurs et critères », l’idée de base est en réalité assez simple : « […] une confession ne sera pas jugée admissible si elle a été faite dans des circonstances qui soulèvent un doute raisonnable quant à son caractère volontaire ». Il s’agit de déterminer si les effets de chaque action de la police et leur effet cumulatif constituent une incitation aux aveux dans des conditions abusives. Donc, lorsque des policiers qui procèdent à un interrogatoire « soumettent le suspect à des conditions tout à fait intolérables ou s’ils lui donnent des encouragements assez importants pour qu’il fasse une confession non fiable », la déclaration du suspect doit être écartée. Par ailleurs, « [e]ntre ces deux extrêmes, l’existence d’une combinaison de conditions oppressives et d’encouragements peut également avoir pour effet d’entraîner l’exclusion d’une confession ».

La théorie de l’oppression et celle des encouragements s’attachent principalement à la fiabilité. Cependant, comme le démontrent la théorie de l’état d’esprit conscient [(Traduction) et la règle relative à ce qui « choque la collectivité » en matière de ruses policières], la règle des confessions vise également à protéger une conception plus large du caractère volontaire, qui met l’accent sur la protection des droits de l’accusé et l’équité du processus pénal().

La Cour a poursuivi en décrivant comme suit la portée de la règle des confessions :

Le caractère volontaire est la pierre d’assise de la règle des confessions. Qu’il ait été question de menaces ou de promesses, de l’absence d’un état d’esprit conscient ou encore de ruses policières qui privent injustement l’accusé de son droit de garder le silence, la jurisprudence de notre Cour a invariablement protégé l’accusé contre l’admission en preuve d’une confession non volontaire. Si la confession est involontaire pour l’une ou l’autre de ces raisons, elle est inadmissible().

Selon la Cour, l’analyse doit être contextuelle. Le rôle du tribunal est de « s’efforcer de bien comprendre les circonstances de la confession et se demander si elles soulèvent un doute raisonnable quant au caractère volontaire de la confession, en tenant compte de tous les aspects de la règle […] analysée plus tôt »().

Dans l’affaire Oickle, la Cour a conclu ce qui suit :

  • La police a effectivement minimisé l’importance morale des crimes, mais elle n’a pas laissé entendre que des aveux permettraient de diminuer les conséquences juridiques des actes commis.
  • Lorsqu’on a dit à l’accusé qu’il avait besoin d’aide, il n’a pas été question d’un échange contre des aveux.
  • La police a répété à l’accusé qu’il vaudrait mieux qu’il passe aux aveux, mais il ne s’y mêlait aucune menace ou promesse implicite. Il s’agissait simplement d’incitations morales qui n’avaient rien d’irrégulier.
  • Le lien de l’accusé avec sa fiancée était suffisamment fort pour que toute menace à l’égard de celle-ci suscite ses aveux, mais aucune menace en ce sens n’a été proférée.
  • La manière douce et rassurante dont les policiers ont gagné la confiance de l’accusé n’avait rien d’irrégulier.
  • Les conditions de l’interrogatoire n’étaient pas abusives.

Après quoi, la Cour a expliqué comment les polygraphes s’intègrent au cadre d’analyse du caractère volontaire des aveux. Elle a conclu ce qui suit :

En l’espèce, les policiers ont régulièrement mené l’interrogatoire. Leurs questions, bien que persistantes et souvent accusatrices, n’étaient jamais hostiles, agressives ou intimidantes. Ils ont à plusieurs reprises offert à manger et à boire à l’accusé. Ils lui ont permis d’aller à la toilette lorsqu’il le demandait. Avant sa première confession et l’arrestation qui en a découlé, ils lui ont dit à maintes reprises qu’il pouvait s’en aller en tout temps. Dans ce contexte, les incitations ou encouragements reprochés aux policiers ne soulèvent pas de doute raisonnable quant au caractère volontaire des confessions. En outre, je n’estime pas que le rôle joué par le test (ou examen) polygraphique (aussi appelé test du détecteur de mensonges) puisse être critiqué en l’espèce. Bien qu’il faille reconnaître que les policiers ont exagéré la fiabilité de cet appareil, la tactique qui consiste à vanter la fiabilité d’une preuve incriminante est répandue et n’a généralement rien de répréhensible. Qu’on la considère isolément ou en conjugaison avec les autres légères mesures d’encouragement utilisées en l’espèce, cette tactique n’a pas pour effet de rendre les confessions involontaires().

Le seul aspect de la règle de la confession qui pourrait s’appliquer spécialement aux affaires de drogues est la doctrine de l’état d’esprit conscient. Si les facultés de l’accusé sont suffisamment affaiblies pour qu’on puisse se demander s’il sait ce qu’il dit ou même qu’il est en train de dire à la police quelque chose qui peut être retenu contre lui, le tribunal peut conclure que ces aveux sont irrecevables.

Il faut se rappeler que, si des aveux sont obtenus en violation de la règle des confessions, ces aveux seront exclus des éléments de preuve au procès. S’agissant des infractions à la Charte, cependant, les éléments de preuve ne seront exclus que si cela risque de porter atteinte à la réputation de l’administration de la justice. Et cela bien que, comme nous le verrons plus loin, les éléments de preuve fournis par l’accusé (preuve obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même) soient presque toujours exclus en vertu de la Charte.

Rappelons que la Loi sur les jeunes contrevenants() énonce des règles spéciales concernant la recevabilité des dépositions faites par des jeunes.

 

A. Le droit de garder le silence

Outre la règle des confessions de la common law, certains droits garantis par la Charte permettent à l’accusé de garder le silence et de ne pas s’incriminer lui-même. Comme nous l’avons vu, la règle des confessions est un moyen de s’assurer que les aveux d’un accusé sont volontaires. Mais, même lorsque le caractère volontaire de sa déposition n’est pas en question, les tribunaux estiment parfois utile d’intervenir.

L’alinéa 11c) et l’article 13 de la Charte protègent le droit de ne pas s’incriminer en garantissant la [Traduction] « non-contraignabilité d’un accusé comme témoin à son propre procès et la protection contre l’utilisation de son témoignage contre lui-même à un procès ultérieur »().

Par ailleurs, la Cour suprême du Canada estime également que la garantie du droit de garder le silence constitue un principe de justice fondamentale au sens de l’article 7 de la Charte. Cet article dispose que chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne et qu’il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. Dans l’affaire R. c. Hebert(), l’accusé avait été arrêté et informé de son droit à l’assistance immédiate d’un avocat. L’accusé s’était entretenu avec un avocat et avait fait savoir qu’il ne désirait pas faire de déposition. Plus tard, la police avait placé l’accusé dans une cellule en compagnie d’un policier en civil jouant le rôle d’un suspect en état d’arrestation. L’accusé lui avait fait diverses révélations qui l’incriminaient. La Cour suprême du Canada a estimé que le droit de garder le silence englobe le droit de faire des déclarations aux autorités ou de garder le silence. La police ne doit pas recourir à des ruses pour annuler la décision de l’accusé de garder le silence. Selon la juge McLachlin, le droit de garder le silence est cependant assujetti aux règles suivantes :

Premièrement, la règle n’interdit aucunement aux policiers d’interroger l’accusé en l’absence de l’avocat après que l’accusé a eu recours à ses services. Il faut présumer que l’avocat aura avisé l’accusé de son droit de garder le silence. Si les policiers n’interviennent pas comme agents banalisés et que l’accusé choisit volontairement de donner des renseignements, il n’y aura aucune violation de la Charte. La persuasion policière qui ne prive pas le suspect de son droit de choisir ni de son état d’esprit conscient ne viole pas le droit de garder le silence.

Deuxièmement, la règle ne s’applique qu’après la mise en détention. Les opérations secrètes qui ont lieu avant la détention ne soulèvent pas les mêmes considérations. La jurisprudence relative au droit de garder le silence n’a jamais étendu à la période qui précède la détention la protection contre les artifices utilisés par les policiers. La Charte n’étend pas non plus le droit à l’assistance d’un avocat aux enquêtes qui précèdent la détention. Les deux situations sont très différentes. Au cours d’une opération secrète qui précède la détention, la personne de qui l’on tente d’obtenir des renseignements n’est pas sous le contrôle de l’État. Il n’y a aucune raison de la protéger du pouvoir supérieur de l’État. Après la mise en détention, la situation est tout à fait différente; l’État prend le contrôle et a la responsabilité de garantir que les droits du détenu sont respectés.

Troisièmement, le droit de garder le silence fondé sur le droit du suspect de choisir librement de parler aux policiers ou de garder le silence ne porte pas atteinte aux déclarations faites volontairement à des compagnons de cellule. Il n’y a violation des droits du suspect que lorsque le ministère public agit de façon à miner le droit constitutionnel du suspect de choisir de ne pas faire de déclaration aux autorités. Il en serait ainsi peu importe que l’intermédiaire auquel on a eu recours pour miner le droit de l’accusé soit un compagnon de cellule, agissant à ce moment comme indicateur de police, ou un policier banalisé.

Quatrièmement, il faut établir une distinction entre le recours à des agents banalisés pour observer le suspect et le recours à des agents banalisés pour obtenir de façon active des renseignements contrairement au choix du suspect de garder le silence. Lorsque les policiers font usage d’artifices pour interroger un accusé après que celui-ci leur a dit qu’il ne voulait pas leur parler, ils tentent alors d’obtenir de façon irrégulière des renseignements qu’ils ne pouvaient obtenir en respectant le droit constitutionnel du suspect de garder le silence : les droits du suspect sont violés parce qu’il a été privé de son choix. Cependant, en l’absence d’un tel comportement de la part des policiers, il n’y a aucune violation du droit de l’accusé de choisir de parler ou non aux policiers. Si le suspect parle, c’est parce qu’il a choisi de le faire et il faut présumer qu’il a accepté de courir le risque que son interlocuteur puisse informer les policiers. […]

En outre, même lorsqu’une violation des droits du détenu est établie, la preuve obtenue peut, si cela est indiqué, être utilisée. Ce n’est que si le tribunal est convaincu que sa réception est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice que cette preuve peut être rejetée : par. 24(2). Lorsque les policiers ont agi en respectant dûment les droits de l’accusé, il est peu probable que les déclarations obtenues seront jugées inadmissibles().

 

B. Le droit à un avocat

Nous avons analysé ce droit dans la section qui précède, où il était question d’arrestation et de détention. Si un accusé n’est pas informé de son droit à un avocat et si l’on ne lui donne pas la possibilité d’exercer ce droit, tout ce qu’il dira pourrait être jugé irrecevable aux termes de la Charte même s’il a parlé de son plein gré.


FOUILLES, PERQUISITIONS ET SAISIES

En raison de la nature des infractions liées aux drogues, la principale pièce à conviction de la poursuite sera souvent les drogues elles-mêmes. La stratégie de la défense se limite parfois à essayer de faire exclure ces éléments de preuve, par exemple en arguant d’une perquisition et saisie abusive. Si la défense obtient gain de cause, il devient très difficile, voire impossible, d’obtenir une condamnation. C’est pourquoi beaucoup d’affaires ayant trait à la question de savoir si la police a procédé à une perquisition et saisie raisonnable ont à voir avec des infractions liées aux drogues.

A. Le pouvoir de perquisitionner

1. Le Code criminel

Une fouille ou une perquisition est [Traduction] « l’examen, par des agents de l’État, de la personne ou des biens d’un particulier dans le but de trouver des éléments de preuve »(). Pour qu’une fouille ou une perquisition soit légale, il faut que la police ait obtenu une autorisation, en vertu de la loi ou de la common law().

On trouve un exemple d’autorisation officielle à l’article 487 du Code. Cette disposition permet à un juge de délivrer un mandat de perquisition si, après que la police a prêté serment, il estime qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’il se trouve dans un bâtiment, un contenant ou un lieu :

  • une chose à l’égard de laquelle une infraction au Code ou à toute autre loi fédérale a été commise ou est présumée avoir été commise;
  • une chose dont on a des motifs raisonnables de croire qu’elle fournira une preuve touchant la commission d’une infraction ou révélera l’endroit où se trouve la personne qui est présumée avoir commis une infraction au Code ou à toute autre loi fédérale;
  • une chose dont on a des motifs raisonnables de croire qu’elle est destinée à servir aux fins de la perpétration d’une infraction contre la personne pour laquelle un individu peut être arrêté sans mandat;
  • un bien infractionnel.

Un mandat de perquisition a trait à un bâtiment, un contenant ou un lieu, mais pas au corps d’une personne. Ainsi, lorsqu’elle procède à une perquisition autorisée en vertu de l’article 487, la police n’a pas le droit de fouiller les personnes trouvées sur les lieux. Elle a cependant le droit, comme nous le verrons plus loin, de fouiller une personne qu’elle a arrêtée légalement. Rappelons également que cette disposition suppose qu’il y a des motifs raisonnables de croire certains faits. Il est donc question de plus que de simples soupçons. Un mandat doit être exécuté le jour (entre 6 h et 21 h) à moins que le juge n’en décide expressément autrement().

Les policiers ont le droit de saisir les articles énumérés dans le mandat de perquisition et d’autres articles tout à fait visibles. Une fois saisis, ces objets doivent généralement être confiés à un juge de paix.

Le Code permet à la police d’obtenir des mandats de perquisition auprès d’un officier de justice par téléphone ou par d’autres moyens de télécommunications (télémandats) s’il estime qu’un acte criminel a été commis ou qu’il n’est pas possible d’obtenir un mandat en personne().

D’autres types de mandats de perquisition peuvent être obtenus en vertu du Code, par exemple un mandat pour prélever des échantillons d’ADN() ou un mandat général autorisant la police « à utiliser un dispositif ou une technique ou une méthode d’enquête, ou à accomplir tout acte qui y est mentionné, qui constituerait sans cette autorisation une fouille, une perquisition ou une saisie abusive à l’égard d’une personne ou d’un bien »(). Ce mandat général ne peut servir que si aucune autre disposition du Code ou de toute autre loi fédérale ne permet d’obtenir un mandat, une autorisation ou une ordonnance permettant d’employer la technique, la procédure ou le dispositif en question ou de faire la chose en question. C’est par exemple le cas de la vidéosurveillance. Dans tous les cas, les conditions d’obtention de ce genre de mandat sont énoncées dans le Code et elles doivent être respectées.

Le Code permet également aux policiers d’exercer tous les pouvoirs énoncés au paragraphe 487(1) sans mandat si les conditions d’obtention du mandat sont réunies, mais que, en raison de l’urgence de la situation, il n’est pas possible d’obtenir ce mandat(). Un policier peut ainsi effectuer une perquisition sans mandat dans des cas urgents. Les perquisitions sans mandat sont l’exception à la règle, et nous en parlerons plus en détail dans les sections qui suivent.

Outre les pouvoirs de fouille, de perquisition et de saisie analysés ci-dessus, le Code prévoit également certains pouvoirs de perquisition et saisie pour certaines infractions(). La plupart des dispositions du Code ont trait à la fouille des lieux et ne disent généralement rien de la fouille corporelle(). Il y a cependant quelques exceptions. Par exemple, le paragraphe 117.02(1) du Code autorise la fouille sans mandat d’une personne, d’un véhicule ou d’un endroit autre qu’une maison d’habitation si la police a des motifs raisonnables de croire qu’une arme a été employée pour commettre une infraction ou qu’une infraction liée aux armes est en train d’être commise ou a été commise. Ce type de fouille n’est permis que si les conditions d’obtention d’un mandat sont réunies, mais que, en raison de l’urgence de la situation, il n’est pas possible de l’obtenir. Ce pouvoir de fouille se limite aux infractions énumérées dans la disposition et il ne peut être exercé que si les conditions prévues par la loi sont réunies.

D’autres lois fédérales comportent d’autres dispositions concernant la fouille et la perquisition. Par exemple, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, la Loi sur les secrets officiels et la Loi sur les douanes comportent des dispositions qui autorisent la fouille et la perquisition, et même la fouille corporelle. Les dispositions légales permettant la fouille corporelle sont assez rares, et ce genre de fouille n’est généralement justifié que si elle est accessoire à une arrestation, un pouvoir de common law dont nous parlerons plus loin.

 

2. La Loi réglementant certaines drogues et autres substances

Les mandats de main-forte, abrogés en 1985, donnaient aux agents de la paix le pouvoir de perquisitionner sans avoir préalablement obtenu un mandat. Ces pouvoirs étaient prévus dans les versions antérieures de la Loi sur les douanes, de la Loi sur l’accise, de la Loi sur les aliments et drogues et de la Loi sur les stupéfiants. « Essentiellement, ce sont des documents établissant que leurs détenteurs sont membres d’une catégorie particulière d’agents de la paix dotés de pouvoirs spéciaux de perquisition de saisie sans mandat »(). Les mandats de main-forte ont été décrits comme suit :

[Traduction]

Les mandats de main-forte sont en réalité des mandats de perquisition non liés à une infraction présumée particulière, et ils sont valables en tout temps. Ils sont délivrés aux membres de la GRC et à d’autres agents au service du gouvernement du Canada et sont valides aussi longtemps que leur détenteur continue d’occuper la position en vertu de laquelle le mandat lui a été délivré().

Le mandat de main-forte se distingue également par les pouvoirs qu’il confère au détenteur. Certains de ces pouvoirs sont les suivants :

  1. Il a le droit de pratiquer des perquisitions sans avoir à justifier par des motifs raisonnables ou probables, ni au préalable ni après le fait, son entrée dans des lieux privés.
  2. Rien ne restreint sa fouille à des lieux précis.
  3. Rien ne l’oblige à ne saisir que des choses figurant sur une liste dressée avant la perquisition().

Les pouvoirs discrétionnaires effectifs conférés par un mandat de main-forte dépendaient de la formulation des dispositions législatives autorisant la délivrance du mandat. Avant son abrogation en 1985, le paragraphe 10(1) de la Loi sur les stupéfiants permettait aux agents de la paix intervenant en vertu du « pouvoir d’un mandat de main-forte ou d’un mandat » d’entrer dans une maison d’habitation et de la fouiller « à toute heure » pourvu que l’agent de la paix ait des motifs valables de croire qu’il se trouvait des stupéfiants dans la maison « au moyen desquels ou à l’égard desquels » une infraction avait été commise aux termes de la Loi. Les mandats de main-forte étaient délivrés par les juges de la Cour fédérale du Canada, mais les pouvoirs conférés aux agents de la paix étaient des pouvoirs légaux, plutôt que des ordonnances ou des jugements, car le rôle de la Cour consistait « pour l’essentiel, à signer un document et à officialiser ainsi une décision administrative »().

Les mandats de main-forte délivrés en vertu de la Loi sur les stupéfiants, « contrairement aux anciens mandats de main-forte douaniers […], ne peuvent faire l’objet d’une délégation entre agents de la paix »(). Autre aspect important des mandats de main-forte délivrés en vertu de cette loi : les restrictions qui y ont été ajoutées en matière de caractère raisonnable. « Aux termes des mandats eux-mêmes, le détenteur peut effectuer des perquisitions "à toute heure". Leur usage est cependant régi par les paragraphes 10(1) de la Loi sur les stupéfiants []. Comme tout agent exerçant les autres pouvoirs de perquisition sans mandat prévus par ces dispositions, le détenteur d’un mandat de main-forte doit avoir des motifs raisonnables de croire que des stupéfiants se trouvent dans un lieu où il entend perquisitionner »(). Le mandat de main-forte donnait effectivement à l’agent de la paix le pouvoir de perquisitionner et de saisir que le mandat ordinaire ne lui donnait pas, à savoir « le pouvoir discrétionnaire d’entrer dans une maison privée sans mandat de perquisition pour y chercher des stupéfiants ou des drogues »().

L’article 8 de la Charte a finalement mis un terme aux mandats de main-forte. À la suite de l’interprétation donnée par la Cour suprême du Canada du droit de chacun d’être protégé des fouilles, perquisitions et saisies abusives, dans l’affaire Hunter c. Southam(), les dispositions autorisant les mandats de main-forte dans la Loi sur les stupéfiants ont été abrogées(). Dans les appels ultérieurs de deux causes dans lesquelles intervenaient des mandats de main-forte(), l’État a reconnu la non-validité constitutionnelle de ces mandats, et la Cour suprême du Canada n’a pas été saisie de cette question.

De nos jours, c’est la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (LRDS)() qui énonce toutes les conditions de fouille, perquisition et saisie dans le cas des infractions liées aux drogues. Ces dispositions sont semblables à celles du Code en la matière. Le paragraphe 11(1) de la LRDS permet à un juge de délivrer un mandat de perquisition s’il estime, selon l’information qui lui est fournie sous serment, qu’il existe des motifs valables de croire que les articles recherchés se trouvent bien là. Ces articles sont les suivants :

  • une substance désignée ou un précurseur ayant donné lieu à une infraction à la LRDS;
  • une chose qui contient ou recèle une substance désignée ou un précurseur visé à l’alinéa a);
  • un bien infractionnel;
  • une chose qui servira de preuve relativement à une infraction à la LRDS.

Cette disposition a une portée plus vaste que celle de l’ancienne Loi sur les stupéfiants.

[Traduction]

C’est en raison de cette disposition plus large qu’il est possible d’obtenir un mandat même s’il n’y a pas de raison de croire qu’il y a de la drogue sur les lieux perquisitionnés, pourvu qu’il y ait des motifs de croire qu’il s’y trouve l’un des trois autres types de « choses ». Nanti de ce nouveau pouvoir, l’enquêteur n’a plus de raison d’employer un mandat en vertu du Code criminel, comme il le fallait dans certains cas selon l’ancienne loi().

La LRDS autorise les perquisitions « à tout moment ». Il n’est donc pas nécessaire d’obtenir l’autorisation de perquisitionner de nuit, comme l’exige le Code. Il est également possible d’obtenir des télémandats en vertu de la LRDS.

Le paragraphe 11(5) de la LRDS permet également à la police de procéder à des fouilles corporelles dans certaines circonstances. Ce pouvoir n’est pas prévu par le Code, bien que la police ait le pouvoir, selon la common law, de fouiller une personne arrêtée. La LRDS donne à la police, dans le cadre de l’exécution d’un mandat aux termes du paragraphe 11(1), le pouvoir de chercher sur une personne une substance désignée ou d’autres articles prévus dans la disposition. Cela n’est possible que si le policier a des motifs raisonnables de croire que la personne trouvée sur les lieux désignés par le mandat a en sa possession une substance désignée ou d’autres articles énumérés dans le mandat. Cette disposition autorise donc la police à fouiller une personne même s’il n’y a pas eu d’arrestation, mais seulement pour ce qui est de certains articles et seulement si le policier a des motifs raisonnables de croire certains faits. Le policier n’a pas « carte blanche » et ne peut fouiller tout le monde sur les lieux.

Le paragraphe 11(7) permet à la police d’exercer sans mandat les pouvoirs que lui confèrent les paragraphes 11(1), (5) ou (6) en matière de perquisition « lorsque l’urgence de la situation rend son obtention difficilement réalisable, sous réserve que les conditions de délivrance en soient réunies ». Comme nous le verrons plus loin, les perquisitions sans mandat sont considérées par principe comme non raisonnables, mais les tribunaux prévoient certaines exceptions. Les règles en ont été résumées comme suit :

[Traduction]

Une perquisition sans mandat se justifie lorsque, compte tenu de la situation, il n’est pas possible d’obtenir un mandat, par exemple si c’est un véhicule, un aéronef ou tout autre moyen de transport susceptible de changer d’endroit qui fait l’objet de la fouille. C’est à l’État que revient alors la responsabilité de prouver que l’obtention d’un mandat dans les circonstances de l’espèce aurait compromis l’efficacité de l’exécution de la loi.

Lorsqu’il n’existe pas de pouvoir de fouille en common law concernant les fouilles en « situation d’urgence », les tribunaux estiment qu’il est nécessaire que la loi habilitante fasse état d’un pouvoir de perquisition sans mandat dans certaines circonstances, par exemple en situation d’urgence. Ces dispositions législatives devraient définir étroitement le type d’enquête qui permettrait le recours à une perquisition sans mandat().

Si la présence de drogue dans un véhicule peut être considérée comme une situation d’urgence et justifier une perquisition sans mandat, on ne sait pas encore avec certitude s’il faut considérer comme constitutionnelle la perquisition sans mandat d’un domicile privé dans le cadre d’une situation d’urgence(). Les tribunaux exigeront que la question d’intérêt public invoquée soit suffisamment impérieuse pour l’emporter sur le droit à la vie privée associé au domicile d’un particulier, par exemple s’il s’agit de sauver une vie humaine ou de sécurité().

La Loi permet également :

  • à l’agent de police de saisir d’autres choses que celles qui sont énumérées dans le mandat s’il a des motifs raisonnables de croire qu’il s’agit d’articles énumérés au paragraphe 11(1)();
  • à l’agent de police de saisir toute chose dont il a des motifs raisonnables de croire qu’elle a été obtenue ou utilisée dans le cadre de la perpétration d’une infraction (pas uniquement liée aux drogues) ou qu’elle servira de preuve à l’égard de celle-ci().

L’article 12 prévoit que l’agent de la paix exécutant un mandat peut « recourir à l’assistance qu’il estime nécessaire » et « à la force justifiée par les circonstances ». Rappelons que les dispositions du Code en matière de fouille et de perquisition ne précisent pas qu’il est possible de recourir à la force.

Les articles saisis en vertu de la LRDS sont soit des biens infractionnels (de l’argent, des automobiles, etc.) ou des substances désignées (des « drogues »), des règles précises s’appliquant à la détention et à la confiscation dans chaque catégorie. La Loi prévoit également la fouille, la saisie, la détention et la confiscation des produits de la criminalité relativement aux infractions liées aux drogues en intégrant des dispositions du Code criminel à cet égard.

En matière d’exécution d’un mandat de perquisition, la règle générale veut que la police s’annonce avant de pénétrer les lieux. La Cour suprême du Canada a cependant soutenu, dans une affaire de drogues, que « des policiers peuvent entrer dans une maison d’habitation sans annoncer leur présence si cela s’avère nécessaire pour empêcher la destruction d’éléments de preuve »(). Cette exception peut s’appliquer plus souvent aux perquisitions relatives à des drogues en raison de la nature de ce type d’infraction et du fait que la police a souvent besoin de surprendre les occupants de la maison d’habitation dont elle a des motifs valables de croire qu’ils font le trafic de la drogue. La Cour suprême n’a cependant pas abordé la question de savoir si, dans les perquisitions relatives à des drogues, il existe un principe général permettant à la police d’entrer sans s’annoncer. Le point de vue exprimé dans Gimson [Traduction] « fait aujourd’hui l’objet de la décision de la Cour suprême dans Feeney, où elle a désapprouvé le recours aux perquisitions sans mandat dans des domiciles privés sauf en cas de poursuite immédiate et où elle a rappelé qu’il était important que la police s’annonce avant d’entrer dans une maison d’habitation sans mandat »().

 

B. L’article 8 de la Charte

L’article 8 de la Charte dispose ce qui suit :

Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

Toutes sortes de décisions ont trait à la question de savoir si les perquisitions sont des mesures raisonnables dans telle ou telle situation et à la question accessoire de savoir si les éléments de preuve ainsi obtenus peuvent être produits au procès. Comme nous le verrons plus en détail, une perquisition est généralement considérée comme raisonnable si elle est autorisée par la loi, si la loi elle-même est raisonnable et si la perquisition est effectuée de manière raisonnable. La perquisition doit être autorisée, que ce soit par la loi ou en raison de la common law telle que reconnue par les tribunaux. La garantie prévue à l’article 8 de la Charte n’a pas trait aux perquisitions illégales, mais bien aux perquisitions abusives ou non raisonnables. Cela signifie que, même si la perquisition est légale (autorisée par une loi, par exemple), elle peut n’être pas constitutionnelle si les tribunaux constatent que la loi enfreint les dispositions de la Charte en autorisant une perquisition non raisonnable. Inversement, une perquisition illégale n’est pas automatiquement considérée comme non raisonnable, bien que ce soit le cas le plus souvent. Ce n’est que lorsque la perquisition n’est pas raisonnable que les éléments de preuve doivent être exclus si le fait de les admettre risque de porter atteinte à la réputation de l’administration de la justice. Voyons maintenant certaines des grandes questions qui se posent en matière de perquisition et saisie.

 

1. L’« attente raisonnable en matière de vie privée »

Le concept d’« attente raisonnable en matière de vie privée » joue un rôle central dans la question de savoir si les garanties de l’article 8 de la Charte s’appliquent et dans quelle mesure les normes « ordinaires » établies en vertu de cet article s’appliquent en telles ou telles circonstances.

[Traduction]

[…] le juge en chef a également expliqué clairement que ces nouvelles normes selon la Charte ne s’appliquent que lorsqu’il y a attente « raisonnable » en matière de vie privée. Le caractère limitatif du terme « raisonnable » suppose qu’il convient de déterminer si, dans telle ou telle situation, le droit privé de ne pas subir l’ingérence de l’État doit faire place au droit de l’État à s’ingérer dans les affaires privées des particuliers pour faire avancer ses objectifs, notamment celui d’exécuter la loi. L’attente raisonnable en matière de vie privée devient donc le déclencheur de la protection garantie aux termes de l’article 8. Lorsqu’il n’y a pas attente raisonnable en matière de vie privée, il n’y a aucune protection().

L’article 8 protège donc le public contre les ingérences de l’État en vertu du principe de l’attente raisonnable en matière de vie privée. Lorsqu’il n’y a pas attente raisonnable en matière de vie privée, l’article 8 ne s’applique pas. Par ailleurs, une diminution de l’attente raisonnable en matière de vie privée (p. ex. dans les prisons ou aux frontières) abaisse le seuil du caractère raisonnable (p. ex. en justifiant l’absence de mandat ou en réduisant la norme applicable à la justification de la perquisition). Il est donc évident que ce concept joue un rôle central dans la question de savoir si une perquisition est raisonnable. Évidemment, le domicile privé est le lieu où l’attente raisonnable en matière de vie privée est la plus élevée et pour lequel la protection constitutionnelle est également la plus élevée. C’est pourquoi, avant de pénétrer le domicile d’un particulier, il faut obtenir une autorisation et avoir des motifs valables de le faire pour que cela soit jugé raisonnable. La perquisition sans mandat du domicile d’un particulier exige une autorisation légale ou doit être exécutée dans le cadre de l’exercice d’un pouvoir reconnu en common law, et cette autorisation fera l’objet d’un examen visant à en garantir le caractère raisonnable (p. ex. en limitant ce pouvoir aux situations d’urgence). Nous aborderons plus loin plus en détail la question des perquisitions sans mandat.

Dans l’affaire Weatherall c. Canada (Procureur général)(), la Cour suprême du Canada a jugé que l’article 8 de la Charte ne s’appliquait pas aux fouilles sommaires et aux visites impromptues de cellules effectuées dans les prisons pour hommes par des gardes féminins. Comme « l’emprisonnement implique nécessairement de la surveillance, des fouilles et des vérifications », le prisonnier « ne peut donc s’attendre raisonnablement à ce que sa vie privée soit respectée dans le cadre de ces pratiques ». La Cour suprême a, depuis, invoqué cette absence d’attente pour rejeter la garantie de l’article 8 dans un certain nombre de causes. Par exemple, dans l’affaire R. c. Edwards(), elle a estimé que l’accusé n’avait pas une « attente raisonnable en matière de vie privée » chez son amie et que, par conséquent, il ne pouvait contester la recevabilité des éléments de preuve trouvés sur les lieux. De même, dans l’affaire R. c. Belnavis(), une majorité de six contre trois des juges de la Cour suprême du Canada a conclu que le passager d’un véhicule motorisé privé n’avait pas d’attente raisonnable en matière de vie privée, dans le véhicule ou relativement aux articles qui y avaient été saisis, contrairement au conducteur, qui, lui, conduisait apparemment avec la permission du propriétaire. De même, dans l’affaire R. c. Lauda(), la Cour suprême du Canada unanime a conclu qu’un intrus faisant pousser de la marijuana dans des champs abandonnés n’avait pas « d’attente raisonnable en matière de vie privée » sur la propriété. De plus, « l’attente en matière de respect de la vie privée dans un véhicule à moteur est beaucoup moindre que celle qui existe à l’intérieur de la résidence ou du bureau »().

Dans la fameuse cause R. c. M. (M.R.)(), une majorité de la Cour suprême du Canada a également statué que l’attente raisonnable en matière de vie privée est « beaucoup moindre » pour les élèves à l’école parce que les autorités scolaires ont la responsabilité « de procurer un environnement sûr et de maintenir l’ordre et la discipline dans l’école ». Les autorités scolaires (pas la police) peuvent procéder à des fouilles sans mandat : il leur suffit d’avoir des motifs raisonnables de croire certains faits (et non des motifs raisonnables et probables). Ces autorités ne doivent cependant pas être des agents de police. La Cour a ajouté que les élèves doivent savoir que « cela peut parfois commander la fouille d’élèves et de leurs effets personnels de même que la saisie d’articles interdits ». En fin de compte, la Cour a déclaré que la saisie de marijuana sur un élève fouillé au cours d’une danse à l’école n’enfreignait pas ses droits aux termes de l’article 8 de la Charte. Bien qu’elle ait établi les paramètres applicables aux fouilles raisonnables sans mandat dans ces circonstances, rappelons que la majorité a expressément limité ses conclusions au contexte des écoles primaires et secondaires et qu’il « n’a pas été question » des collèges et des universités. Le juge Major, dissident, s’est dit d’accord avec le juge de première instance qui estimait que le sous-directeur de l’école avait agi en tant qu’agent de police présent au moment de la fouille. Le juge Major aurait, quant à lui, exclu les éléments de preuve parce qu’ils avaient été obtenus en violation des droits de l’accusé aux termes de l’article 8 de la Charte et que leur admission « nuirait à l’équité du procès ».

Les tribunaux ont adopté une perspective contextuelle relativement à la question de savoir s’il y a ou non attente raisonnable en matière de vie privée. Les facteurs dont il y a lieu de tenir compte dans l’évaluation de la situation sont, entre autres :

  • la présence au moment de la perquisition;
  • la possession ou le contrôle du bien ou du lieu faisant l’objet de la fouille ou de la perquisition;
  • la propriété du bien ou du lieu;
  • l’usage historique du bien ou de l’article;
  • l’habileté à régir l’accès au lieu, y compris le droit d’y recevoir ou d’en exclure autrui;
  • l’existence d’une attente subjective en matière de vie privée;
  • le caractère raisonnable de l’attente, sur le plan objectif().

 

2. Les perquisitions « sans mandat »

La Charte n’exige pas expressément que la police obtienne un mandat avant de procéder à une perquisition, mais la Cour suprême du Canada, dans l’affaire Hunter c. Southam Inc., a établi la présomption qu’une perquisition sans mandat n’est pas raisonnable(). Dans cette cause faisant jurisprudence en matière de perquisition et saisie, la Cour a établi les règles suivantes en ce qui a trait aux perquisitions valides :

[Traduction]

Dans des cas exceptionnels, des critères différents peuvent se justifier, mais, en temps normal, une perquisition valide exige i) une autorisation préalable, ii) accordée par un officier de justice indépendant, iii) pour des motifs raisonnables et probables de croire à l’existence de faits justifiant la perquisition, iv) faisant l’objet d’un serment de la part de la personne qui demande la perquisition. Cela n’exclut pas toutes les perquisitions non conformes à ces normes minimales, mais cela suppose que tout écart par rapport à ces normes puisse être justifié en fonction des circonstances de l’espèce().

Dans l’affaire Hunter, la Cour suprême du Canada a conclu que l’article 8 de la Charte s’appliquait aux dispositions de la Loi des enquêtes sur les coalitions relatives aux perquisitions et saisies. La Cour a estimé que ces dispositions n’étaient pas constitutionnelles pour deux raisons. Premièrement, la personne désignée pour autoriser la perquisition en vertu de la loi ne pouvait pas remplir de rôle judiciaire puisqu’elle était également investie de fonctions en matière d’enquête et de poursuite à titre de membre de la Commission sur les pratiques restrictives du commerce. Deuxièmement, les dispositions de la Loi des enquêtes sur les coalitions qui ont trait à l’autorisation des perquisitions et saisies ne respectaient pas la norme minimale établie par la Charte. Selon cette norme, il doit y avoir des motifs raisonnables et probables, attestés sous serment, de croire qu’une infraction a été commise et que les éléments de preuve qui s’y rattachent doivent se trouver sur les lieux de la perquisition. La Cour a donc conclu que les articles de la Loi des enquêtes sur les coalitions relatifs aux perquisitions et saisies étaient contraires à la Charte et n’avaient donc pas force de loi.

La règle générale de validation des perquisitions veut donc que la police demande une autorisation préalable (p. ex. en obtenant un mandat) et que des motifs raisonnables et probables justifient sa demande. Une fois ces conditions remplies, l’ingérence de l’État dans les affaires privées devient justifiable. Comme nous l’avons déjà dit, ces normes s’appliquent lorsqu’il y a attente raisonnable en matière de vie privée, et la protection garantie par l’article 8 varie selon le contexte. Par exemple, la protection constitutionnelle sera plus large si la perquisition est effectuée dans un domicile privé, mais la norme peut être moindre lorsqu’il s’agit d’une fouille à la frontière.

Il s’agit là de la règle générale, mais il y a des exceptions. On sait qu’il n’est pas toujours possible de demander une autorisation préalable. À l’égard de ces exceptions, les tribunaux exigent qu’un pouvoir de perquisition sans mandat soit prévu, par la loi ou par le droit la common law. Mais l’existence de ce pouvoir ne suffit pas, car les tribunaux l’évalueront également pour s’assurer qu’il est raisonnable. Définissant ce qui doit être considéré comme raisonnable, les tribunaux ont conclu que les perquisitions sans mandat doivent généralement être autorisées « seulement lorsqu’une situation d’urgence rend pratiquement impossible l’obtention d’un mandat »().

Dans l’affaire Collins c. La Reine(), la Cour suprême du Canada a déclaré que c’est à l’État qu’il incombe de faire la preuve qu’une perquisition sans mandat est raisonnable : une perquisition sera jugée raisonnable si elle est autorisée par une loi elle-même raisonnable et si elle est effectuée de manière raisonnable. Autrefois, l’article 10 de la Loi sur les stupéfiants autorisait les agents de police à perquisitionner sans mandat les lieux autres que les maisons d’habitation s’ils avaient des motifs raisonnables de croire qu’il s’y trouvait des stupéfiants à l’égard desquels une infraction avait été commise.

Dans l’affaire R. c. Kokesch(), la police avait procédé à une « perquisition périphérique » de la propriété de l’accusé pour trouver des éléments de preuve attestant qu’il y cultivait et possédait des stupéfiants dans le but d’en faire le commerce. La Cour suprême du Canada a conclu en l’espèce que, lorsqu’il y a simple soupçon d’un crime, ce genre d’intervention revient à une perquisition et saisie à caractère non raisonnable. La common law ne permet pas à la police de s’introduire sur une propriété privée pour y effectuer une perquisition.

Dans les décisions Grant et Plant, toutes deux publiées le 30 septembre 1993, la Cour suprême du Canada a clarifié un certain nombre de questions en souffrance concernant les perquisitions et saisies. Comme l’affaire Kokesch, les deux causes concernaient des perquisitions périphériques sans mandat à des domiciles privés dans le cadre d’enquêtes sur des infractions liées aux drogues. Dans l’affaire R. c. Grant(), la Cour a conclu « que les perquisitions sans mandat prévues à l’article 10 de la Loi sur les stupéfiants doivent être autorisées seulement lorsqu’une situation d’urgence rend pratiquement impossible l’obtention d’un mandat », pour éviter la violation de l’article 8 de la Charte. Cette exception à la règle générale doit être interprétée étroitement. Les situations d’urgence comportent par exemple le « risque imminent que les éléments de preuve soient perdus, enlevés, détruits » si la perquisition était retardée en attendant l’obtention d’un mandat. Faute de preuves attestant l’urgence de la situation, deux perquisitions sans mandat ont été considérées comme non raisonnables et contraires à l’article 8. Même en l’absence des renseignements obtenus grâce aux perquisitions périphériques sans mandat, il y avait suffisamment d’information pour justifier le mandat ultérieurement obtenu par la police pour fouiller l’intérieur de la maison. Néanmoins, la Cour a envisagé d’exclure les éléments de preuve ainsi obtenus en invoquant le paragraphe 24(2) de la Charte, parce qu’il y avait un « lien temporel […] suffisant » entre la perquisition du périmètre non valide et les preuves obtenues en vertu du mandat valide. La Cour a finalement décidé que la réputation de l’administration de la justice ne serait pas entachée par l’admission des preuves relatives à la présence de plants de marijuana dans la maison. Même si le périmètre fouillé sans mandat avait été pénétré par des agents de l’État alors qu’il n’y avait pas urgence, la police avait agi de bonne foi, les accusations avaient trait à des actes criminels graves et l’admission des preuves « réelles » ne compromettrait pas l’équité du procès.

Ainsi, dans l’affaire Grant, la Cour suprême du Canada a indiqué que les perquisitions sans mandat devaient se limiter aux situations d’urgence qui rendent pratiquement impossible l’obtention d’un mandat. Il ne s’agissait pas de la fouille d’un véhicule motorisé, mais la Cour a déclaré ce qui suit :

Il y aura souvent situation d’urgence lorsqu’il y a des stupéfiants à bord d’un moyen de transport en mouvement, comme un véhicule à moteur, un navire ou un aéronef. Toutefois, je ne suis pas en faveur d’une exception générale relativement à ce type de propriété privée. Il existe une telle exception en vertu de la Constitution américaine. Dans l’arrêt Rao, précité, le juge Martin fait remarquer que la justification de l’exception américaine est qu’un véhicule, un navire ou un aéronef peuvent s’éloigner rapidement, ce qui risque de nuire à une enquête. Bien que j’admette ce fait, je dois aussi tenir compte du fait que notre Cour a reconnu l’existence d’une attente en matière de vie privée relativement aux véhicules à moteur, moindre toutefois que celle qui existe à l’égard d’une maison d’habitation ou d’un bureau privé. […]

En résumé, l’article 10 peut validement permettre d’effectuer une fouille, une perquisition ou une saisie sans mandat en cas de situation d’urgence qui rend pratiquement impossible l’obtention d’un mandat. On jugera généralement qu’il y a situation d’urgence s’il existe un risque imminent que les éléments de preuve soient perdus, enlevés, détruits ou qu’ils disparaissent si la fouille, la perquisition ou la saisie est retardée. La croyance que des éléments de preuve recherchés se trouvent à bord d’un véhicule à moteur, d’un navire, d’un aéronef ou de tout autre véhicule rapide créera souvent une situation d’urgence; toutefois, il n’existe aucune exception générale pour ces moyens de transport().

C’est donc en raison de l’attente moindre en matière de vie privée dans les véhicules motorisés et du fait qu’ils sont mobiles que les tribunaux sont plus disposés à permettre la fouille sans mandat de véhicules que de domiciles privés. Le fait que des éléments de preuve se trouvent dans une automobile suscite souvent la situation d’urgence qui justifie la perquisition sans mandat. Il est évident que cela peut s’appliquer aux infractions liées aux drogues.

Dans l’affaire R. c. Plant(), six des sept juges de la Cour suprême du Canada ont conclu qu’il n’y avait pas d’attente raisonnable en matière de vie privée relativement aux relevés informatisés de la consommation d’électricité qui puisse contrebalancer le droit de l’État d’exécuter les lois sanctionnant les infractions liées aux drogues. Informée anonymement que de la marijuana était cultivée dans un sous-sol, la police de Calgary avait consulté les relevés de consommation d’électricité du bâtiment et avait constaté qu’elle était quatre fois supérieure à la moyenne de propriétés comparables. La Cour a estimé que les relevés de transactions tenus à jour en raison de la relation commerciale entre l’accusé et le service public n’étaient pas de nature confidentielle : la police avait accès à ces relevés à l’aide d’un mot de passe, et ces renseignements pouvaient également être inspectés par des membres du public. Comme la consultation sans mandat de relevés informatiques n’était pas déraisonnable et ne tombait pas sous le coup de l’article 8 de la Charte, il a été possible de produire en preuve les relevés de consommation d’électricité de l’accusé à l’appui d’une demande de mandat de perquisition en vertu de la Loi sur les stupéfiants; cependant, l’information obtenue grâce à la perquisition périphérique sans mandat n’a pu être utilisée. D’accord avec cette conclusion, Madame la juge McLachlin a fait valoir qu’il existait « une attente suffisante en matière de vie privée pour que la police soit tenue d’obtenir un mandat avant de prendre les renseignements en question » concernant la consommation d’électricité.

Dans l’affaire R. c. Silveira(), la Cour suprême du Canada s’est interrogée sur la validité des actions de la police dans une autre enquête liée aux drogues : les policiers, après l’arrestation de l’appelant, étaient entrés chez lui sans mandat pour protéger les lieux et éviter que les éléments de preuve y soient détruits. Entre-temps, un mandat de perquisition avait été demandé et obtenu, et une fouille ultérieure des lieux avait permis de trouver des quantités de drogues et des billets de banque marqués qui avaient été utilisés par des policiers infiltrés achetant de la drogue à une tierce partie. S’exprimant au nom de la majorité, le juge Cory a fait remarquer que l’État avait concédé que l’action de la police constituait une violation des droits de l’appelant aux termes de l’article 8. La perquisition n’avait pas été autorisée en droit et n’était donc pas raisonnable pour deux raisons : la Loi sur les stupéfiants ne prévoyait pas d’exception en cas d’urgence pour les mandats exigés pour la perquisition du domicile privé, et ce pouvoir n’était pas prévu non plus par la common law. Rappelons que la LRDS comporte aujourd’hui une disposition prévoyant l’autorisation de fouiller des lieux sans mandat en cas d’urgence. Malgré cette violation, le juge Cory a confirmé la recevabilité des éléments de preuve ainsi obtenus après avoir tenu compte des trois principaux facteurs d’exclusion en vertu du paragraphe 24(2), tels qu’énoncés dans l’affaire Collins. Premièrement, comme les éléments de preuve auraient été trouvés de toute façon, leur admission ne compromettait pas l’équité du procès. Deuxièmement, les faits attestaient bien une violation grave à de Charte, mais la violation avait été commise dans une situation d’urgence sans mauvaise foi de la part de la police. Enfin, étant donné la gravité du crime et la nécessité des éléments de preuve incriminés pour prouver le bien-fondé de la cause, « l’utilisation des éléments de preuve saisis n’était pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ». La majorité des juges a cependant rappelé « qu’après le présent pourvoi il sera rare que l’existence d’une situation d’urgence permette à elle seule d’utiliser la preuve obtenue d’une manière nettement contraire à l’article 10 de la Loi sur les stupéfiants et à l’article 8 de la Charte ».

Quant aux autres formes de perquisitions sans mandat, la Cour suprême du Canada a par ailleurs conclu que le fait de « renifler » de la marijuana à la porte du domicile d’un suspect constitue une fouille déraisonnable. Par conséquent, un mandat délivré en raison d’« éléments de preuve » ainsi obtenus n’est pas valide. S’exprimant au nom de la majorité dans R. c. Evans(), le juge Sopinka a parlé d’« invitation implicite » adressée au public, et notamment à la police, de cogner à la porte pour communiquer avec les occupants d’un domicile. La police avait approché les lieux dans l’intention d’obtenir des éléments de preuve contre l’occupant : à ce titre, elle s’était engagée dans une perquisition qui, faute d’autorisation préalable, n’était pas raisonnable et était contraire à l’article 8 de la Charte. Mais, comme la police avait agi de bonne foi, comme les éléments de preuve réels incriminés (des plants de marijuana) existaient indépendamment de la violation de la Charte, et comme la violation en question n’était pas grave, la Cour suprême a conclu que les éléments de preuve étaient recevables parce que leur exclusion ferait plus de tort encore à l’administration de la justice.

Dans l’affaire R. c. Feeney(), la Cour suprême du Canada a eu l’occasion de s’interroger sur le droit postérieur à l’introduction de la Charte en matière d’arrestation suivant l’entrée forcée dans un domicile, avec ou sans mandat. Antérieurement, la common law autorisait la police à pénétrer dans un domicile sans mandat pour y effectuer une arrestation pourvu que certains critères soient remplis. Mais, dans l’affaire Feeney, une majorité de cinq contre quatre des juges a décidé que, dans le contexte postérieur à l’intoduction de la Charte, « en général, un mandat est requis pour effectuer une arrestation dans une maison d’habitation » sauf en cas d’une "prise en chasse" ». La Cour a poursuivi en expliquant qu’un mandat d’arrestation ordinaire ne suffirait pas puisqu’il ne comportait pas de pouvoir explicite d’intrusion. « Les droits à la vie privée garantis par la Charte exigent que la police obtienne généralement une autorisation judiciaire préalable d’entrer dans une maison d’habitation pour y arrêter la personne recherchée ». Par ailleurs, « [s]i le Code ne prescrit pas expressément, à l’heure actuelle, un mandat contenant une telle autorisation préalable, il y a lieu de l’interpréter comme s’il renfermait une telle disposition ». Comme, en l’espèce, la police n’avait pas obtenu de mandat et en raison des autres violations de la Charte, la Cour a exclu une grande partie des éléments de preuve obtenus à la suite d’une entrée forcée au domicile de l’accusé et elle a ordonné la tenue d’un nouveau procès. Cette décision a trait aux pouvoirs d’arrestation, mais elle est un exemple de la vigilance de la Cour suprême du Canada à l’égard de la protection du domicile privé contre l’ingérence de l’État. Elle n’entame en rien par ailleurs les pouvoirs de fouille accessoire à une arrestation prévus par la common law ni la doctrine des objets bien en vue lorsqu’il y a arrestation dans une maison d’habitation. Ces deux pouvoirs de perquisition sans mandat prévus par la common law feront l’objet d’une analyse ultérieure. À la suite de l’arrêt Feeney, le Code a été modifié : on y a prévu un mécanisme permettant aux agents de la paix d’obtenir une autorisation judiciaire pour entrer dans une maison d’habitation et y procéder à une arrestation(). L’une de ces modifications permet aux agents de police d’arrêter sans mandat si, en raison de l’urgence de la situation, il n’est pas possible d’en obtenir un préalablement. Par situation d’urgence, on entend la nécessité d’entrer non seulement pour éviter que quelqu’un soit blessé ou tué, mais aussi pour éviter la perte ou la destruction imminente d’éléments de preuve. Dans l’affaire Feeney, la Cour suprême du Canada a reporté à plus tard la question de savoir s’il devait y avoir exception en cas d’urgence, et il est clair que cette disposition pourra ultérieurement être contestée.

Il est évident que, lorsque c’est possible, la police devrait obtenir un mandat pour effectuer une perquisition, faute de quoi celle-ci pourra être considérée comme déraisonnable. L’autorisation préalable est une garantie contre l’ingérence injustifiée de l’État. Les tribunaux ont conclu cependant que, dans des circonstances exceptionnelles, une perquisition sans mandat peut se justifier.

 

3. Les frontières

Les fouilles effectuées par les douaniers à la frontière sont un exemple de réduction des garanties constitutionnelles pour lesquelles les tribunaux considèrent qu’il y a une moindre attente en matière de vie privée en raison du contexte. Dans ce cas, les normes énoncées dans l’affaire Hunter peuvent ne pas s’appliquer.

L’article 98 de la Loi sur les douanes() permet aux douaniers de fouiller, dans un délai raisonnable, une personne qui vient d’arriver au Canada ou qui est sur le point de le quitter s’il a des motifs raisonnables de soupçonner qu’elle dissimule des articles illégaux sur elle. La Cour suprême du Canada a interprété cette norme du point de vue du soupçon raisonnable et non de la norme plus élevée des motifs raisonnables(). Toute personne sur le point d’être fouillée peut demander à voir un agent supérieur qui décidera si la fouille doit avoir lieu. Nul ne peut être fouillé par une personne de l’autre sexe, mais, s’il n’y a pas d’agent du même sexe disponible, il est possible d’autoriser une personne compétente quelconque du même sexe à effectuer la fouille().

Dans l’affaire R. c. Simmons(), l’accusée avait été tenue de se soumettre à une fouille à nu parce qu’un douanier était convaincu qu’elle transportait des articles de contrebande. La décision de la Cour a confirmé le droit du Canada, à titre d’État souverain, de contrôler qui et ce qui traverse ses frontières. Le pouvoir de fouille en question ne remplissait pas les critères énoncés dans l’affaire Hunter (p. ex. autorisation préalable et motifs raisonnables), mais la Cour n’en a pas moins déclaré ce qui suit :

J’accepte la proposition de la poursuite que les attentes raisonnables en matière de vie privée sont moindres aux douanes que dans la plupart des autres situations. En effet, les gens ne s’attendent pas à traverser les frontières internationales sans faire l’objet d’une vérification. Il est communément reconnu que les États souverains ont le droit de contrôler à la fois les personnes et les effets qui entrent dans leur territoire. On s’attend à ce que l’État joue ce rôle pour le bien-être général de la nation. Or, s’il était incapable d’établir que tous ceux qui cherchent à traverser ses frontières ainsi que leurs effets peuvent légalement pénétrer dans son territoire, l’État ne pourrait pas remplir cette fonction éminemment importante. Conséquemment, les voyageurs qui cherchent à traverser des frontières internationales s’attendent parfaitement à faire l’objet d’un processus d’examen. Ce processus se caractérise par la production des pièces d’identité et des documents de voyage requis, et il implique une fouille qui commence par la déclaration de tous les effets apportés dans le pays concerné. L’examen des bagages et des personnes est un aspect accepté du processus de fouille lorsqu’il existe des motifs de soupçonner qu’une personne a fait une fausse déclaration et transporte avec elle des effets prohibés.

À mon sens, l’interrogatoire de routine auquel procèdent les agents des douanes, l’examen des bagages, la fouille par palpation et la nécessité de retirer en privé suffisamment de vêtements pour permettre l’examen des renflements corporels suspects, qui sont autorisés par les rédacteurs des articles 143 et 144 de la Loi sur les douanes, ne sont pas abusifs au sens de l’article 8. En vertu de la Loi sur les douanes, les fouilles personnelles ne sont pas systématiques, elles sont effectuées seulement lorsque les agents des douanes ont raisonnablement lieu de supposer qu’une personne cache sur elle de la contrebande. La décision de procéder à une fouille peut faire l’objet d’une révision à la demande de la personne qui doit être fouillée. Bien qu’à certains égards les fouilles personnelles puissent être gênantes, elles sont effectuées en privé dans des pièces destinées à cette fin, par des agents du même sexe que la personne fouillée. Dans ces conditions, exiger d’une personne qu’elle retire des vêtements jusqu’à ce que la présence ou l’absence d’objets cachés puisse être établie, ce n’est pas attenter à son intégrité physique d’une façon qui puisse être considérée abusive au sens de l’article 8 de la Charte.

Je souligne également que selon les articles en question : (i) avant qu’une personne puisse être fouillée, le préposé ou la personne qui effectue la fouille doit avoir raisonnablement lieu de supposer que la personne qui subit cette fouille peut avoir, cachés sur elle, des effets sujets à déclaration en douane, ou des articles prohibés, et (ii) avant qu’une personne puisse être fouillée, elle a la faculté d’exiger que le préposé la conduise devant un magistrat de police, ou un juge de paix, ou devant le receveur ou le préposé en chef du port ou lieu. Si l’un ou l’autre des susdits constate qu’il n’y a pas de motifs plausibles d’effectuer une fouille, il renvoie cette personne.

Vu les problèmes que pose la répression du trafic illégal des stupéfiants et l’intérêt important qu’a le gouvernement à appliquer nos lois douanières, et étant donné que les attentes en matière de vie privée des gens sont moindres lorsqu’il s’agit de passer une frontière, j’estime que les articles 143 et 144 de la Loi sur les douanes ne sont pas incompatibles avec l’article 8 de la Charte().

Il est intéressant de noter que la Cour a mentionné les problèmes que soulève le contrôle du trafic des drogues illicites comme facteur d’évaluation du caractère raisonnable de la fouille en vertu de l’article 8 de la Charte.

Le fait que ceux qui passent aux douanes ont une attente moindre en matière de vie privée ne réduit cependant pas l’obligation des autorités de l’État de respecter la Charte, même si les motifs qui déclenchent la fouille sont raisonnables et que des drogues sont découvertes durant la fouille. Avant toute fouille, les inspecteurs doivent expliquer clairement au sujet les droits qui sont les siens aux termes de la Charte, notamment le droit de consulter un avocat, et son droit de faire examiner la demande de fouille avant de s’y soumettre, comme le prévoit la Loi sur les douanes. Dans l’affaire Simmons, la suspecte avait été laissée dans l’ignorance de sa situation juridique puisqu’on ne l’avait pas correctement informée de ces droits. La Cour suprême du Canada a donc conclu que la fouille n’était pas raisonnable. Les éléments de preuve n’ont cependant pas été exclus parce que les douaniers avaient agi de bonne foi.

Dans plusieurs causes antérieures à l’affaire Simmons, la Cour suprême du Canada a soutenu que l’invalidité d’un pouvoir de perquisition ne rend pas les éléments de preuve irrecevables si les agents qui procèdent à la perquisition croient de bonne foi que les dispositions légales régissant la perquisition sont constitutionnelles. Mais, dans l’affaire R. c. Greffe(), « la mauvaise foi exceptionnelle dont ont fait preuve les policiers en omettant délibérément de donner à l’appelant le véritable motif de son arrestation » a donné lieu à l’exclusion des éléments de preuve ainsi saisis.

Dans l’affaire Greffe, la GRC avait alerté les douaniers de Calgary, les informant que l’accusé revenait au Canada avec une quantité indéterminée d’héroïne. Une vérification visuelle de sa personne avait été effectuée puisqu’on n’avait trouvé aucune trace d’héroïne dans ses bagages. L’accusé n’avait pas été informé de son droit de consulter un avocat ni de son droit, aux termes de la Loi sur les douanes, de faire évaluer la demande de fouille par un juge de paix, un magistrat de police ou un agent supérieur des douanes.

On n’avait trouvé aucune trace de drogues. Le suspect avait ensuite été arrêté, informé de son droit à un avocat et averti qu’un médecin procéderait à une fouille des orifices corporels à l’hôpital. Au cours de cette fouille, un condom rempli d’héroïne avait été retiré de l’anus de l’accusé.

La Cour suprême du Canada a estimé que, au moment de la fouille, la police n’avait pas de motifs raisonnables et probables de soupçonner que l’accusé était porteur de drogues sur sa personne; le renseignement fourni par l’indicateur n’était pas suffisamment détaillé pour que la police soit certaine qu’il s’appuyait sur autre chose qu’une rumeur. L’indicateur n’avait pas révélé l’origine de l’information, et la police n’avait rien pour attester sa fiabilité. Par ailleurs, il y avait confusion quant aux raisons de l’arrestation fournies à l’accusé. Conjuguée au fait que l’accusé n’avait pas été informé de son droit de consulter un avocat, la « gravité de l’effet cumulatif des violations de la Charte appelle l’exclusion des éléments de preuve ».

La Cour suprême du Canada a, depuis, conclu que l’article 98 de la Loi sur les douanes, qui autorise les fouilles en vue de découvrir des articles de contrebande « dissimulés sur ou près » de la personne, s’applique aux articles de contrebande qu’un voyageur a ingérés. Dans l’affaire R. c. Monney(), la Cour a conclu qu’un douanier qui a des motifs raisonnables de soupçonner qu’un article de contrebande a été ingéré est autorisé par la Loi à détenir le voyageur dans une « salle d’évacuation des drogues » jusqu’à ce que le soupçon puisse être confirmé ou dissipé. Ce type d’intervention revient à une fouille au sens de l’article 8 de la Charte, mais la Cour a confirmé que « les attentes raisonnables en matière de vie privée sont moindres aux douanes que dans la plupart des autres situations » et que la fouille en question n’était pas « abusive » en l’occurrence.

La Cour a bien précisé que les différents degrés d’ingérence suscitent des questions d’ordre constitutionnel différentes (p. ex. celle de l’exigence d’une norme supérieure au soupçon raisonnable). Elle a formulé l’avis suivant : « […] le risque d’atteinte par l’État à l’intégrité physique d’une personne à l’occasion de fouilles relevant de la troisième catégorie commande le respect de normes de justification constitutionnelle strictes »(). Nous parlerons des différentes catégories de fouilles et perquisitions plus loin. La Cour a poursuivi en expliquant comment il fallait caractériser la détention dans une « salle d’évacuation des drogues » :

L’issue du présent pourvoi dépend donc de la réponse à la question centrale de savoir si les « veilles au haricot » peuvent à juste titre être qualifiées de procédure aussi « envahissante » que les fouilles corporelles comportant l’application intentionnelle de la force. À mon avis, elles ne peuvent être qualifiées de la sorte. Il ne fait aucun doute que les Canadiens attendent qu’on les traite d’une manière qui tienne compte de leur grand sentiment de pudeur en ce qui concerne les fonctions corporelles. Le voyageur qui est détenu dans une « salle d’évacuation des drogues » et qui est contraint d’uriner ou de déféquer sous surveillance est soumis à une procédure embarrassante. Toutefois, j’estime qu’une « veille au haricot » passive n’a pas un caractère aussi envahissant que la fouille des orifices corporels ou que des actes médicaux telle l’administration d’émétiques. Dans ce sens, il ne faut pas confondre droit à l’intégrité physique et sentiments de pudeur, malgré la légitimité de ces sentiments. En conséquence, une « veille au haricot » passive présente une plus grande analogie avec la deuxième catégorie de fouilles, la fouille à nu – puisque le suspect est détenu et mis dans une situation embarrassante, mais n’est pas soumis contre son gré à l’application intentionnelle de la force.

Bien que je conclue que le fait de contraindre un individu à produire un échantillon d’urine ou à déféquer constitue une procédure embarrassante, une telle mesure ne porte pas atteinte à l’intégrité physique de cet individu, soit comme atteinte à la « manifestation extérieure » de son identité – ce qui était la préoccupation centrale dans Stillman –, soit comme application intentionnelle de la force, facteur pertinent dans Simmons. Tout comme d’autres méthodes d’enquête relevant de la deuxième catégorie, par exemple la fouille à nu, le fait que des voyageurs traversant la frontière canadienne soient soumis à des situations potentiellement embarrassantes est le prix à payer pour établir l’équilibre nécessaire entre le droit d’une personne au respect de sa vie privée et le droit opposé et impérieux qu’a l’État de protéger l’intégrité des frontières canadiennes contre l’introduction de marchandises de contrebande dangereuses. En conséquence, je conclus que, en l’espèce, la fouille effectuée à la frontière par les agents des douanes n’était pas abusive au sens de l’article 8 de la Charte().

On voit donc que les tribunaux appliquent une norme de protection constitutionnelle inférieure dans le cas des fouilles effectuées aux frontières. Comme l’a déclaré la Cour dans l’affaire Monney, « les arrêts de notre Cour portant sur le caractère raisonnable d’une fouille ou d’une perquisition pour l’application de l’article 8 en général ne sont pas nécessairement pertinents pour l’appréciation de la constitutionnalité d’une fouille effectuée par des agents des douanes aux frontières canadiennes »().

 

4. Le pouvoir de fouille accessoire à une arrestation prévu par la common law

En dehors de quelques dispositions particulières comme celle que l’on trouve dans la LRDS, le droit pénal fédéral ne prévoit pas d’autorisation pour la fouille d’une personne. Cela dit, la common law prévoit effectivement la fouille accessoire à une arrestation légale. Ce genre de fouille est donc autorisé par le droit, et c’est l’une des conditions d’une fouille jugée raisonnable. En vertu de ce pouvoir, [Traduction] « une personne ne peut être fouillée qu’après avoir été arrêtée et seulement dans le but de trouver d’autres éléments de preuve relatifs aux accusations qui sont portées contre elle ou une arme ou un article quelconque qui lui permettrait de se sauver ou de commettre un acte de violence »(). Comme nous le verrons plus loin, le pouvoir qu’a la police de fouiller une personne légalement arrêtée ne dépend pas de motifs raisonnables et probables de croire que des armes ou des éléments de preuve seront découverts sur elle.

Ce pouvoir de common law est une exception à la règle générale qui veut qu’une fouille soit précédée d’une autorisation pour être jugée raisonnable. C’est une exception fort importante, car la plupart des fouilles corporelles sont effectuées en vertu de ce pouvoir. Comme nous l’avons expliqué, la LRDS permet effectivement au policier qui exécute un mandat de perquisition en vertu de la Loi de fouiller les personnes présentes sur les lieux à certaines conditions.

L’affaire Cloutier c. Langlois() est la première dans laquelle la Cour a abordé de façon exhaustive la question de l’existence et de la portée du pouvoir de fouiller une personne légalement arrêtée. Dans cette affaire, les appelants étaient des agents de police employés par la municipalité de Montréal. L’intimé (Cloutier) était un avocat exerçant dans cette ville. Les agents lui avaient fait signe de s’arrêter après qu’il avait commis une infraction au code de la route. Ayant découvert qu’il existait un mandat de dépôt le concernant pour contraventions non payées, les policiers l’avaient arrêté et avaient procédé à une « fouille sommaire » avant de faire entrer le suspect dans l’auto-patrouille. Cloutier avait, par la suite, accusé les appelants de voies de fait simples en vertu du Code criminel.

La Cour suprême du Canada a analysé la portée du pouvoir de common law, reconnu et établi de longue date, de fouiller une personne légalement arrêtée et de saisir n’importe quel article en sa possession ou dans sa proximité immédiate afin de garantir la sécurité des policiers et du suspect, pour éviter que le suspect s’enfuie ou pour trouver des éléments de preuve. Il s’agit d’appliquer la loi de façon sûre et efficace().

Suivant les décisions Collins et Debot, la Cour a conclu qu’une fouille est raisonnable si elle est autorisée par la loi, si la loi elle-même est raisonnable et si la fouille est effectuée de façon raisonnable. Comme la fouille sommaire « constitue […] un mécanisme relativement peu intrusif : les vêtements sont palpés de façon à vérifier par l’extérieur la présence d’objets sur la personne mise en état d’arrestation », elle « ne constitue pas une entrave abusive à la liberté des personnes légalement mises en état d’arrestation, compte tenu des objectifs poursuivis. Il n’existe pas de moyen moins intrusif qui permette d’atteindre ces objectifs »(). Rappelons que la Cour a précisé que, au cours d’une fouille sommaire, « [l]es poches peuvent être examinées, mais les vêtements ne sont pas retirés et aucune force physique n’est appliquée »(). Il semblerait donc que des règles différentes puissent s’appliquer à des fouilles plus intrusives.

La Cour a estimé que, si l’existence de motifs raisonnables et probables n’est pas un préalable au pouvoir de fouiller une personne, ce pouvoir n’est pas illimité. La Cour a formulé trois critères permettant d’établir le caractère raisonnable et justifié d’une fouille.

    1. Ce pouvoir n’impose pas de devoir. Les policiers jouissent d’une discrétion dans l’exercice de la fouille. Dans les cas où ils sont satisfaits que l’application de la loi peut s’effectuer d’une façon efficace et sécuritaire sans l’intervention d’une fouille, les policiers peuvent juger opportun de ne pas procéder à la fouille. Ils doivent être en mesure d’apprécier les circonstances de chaque cas afin de déterminer si la fouille répond aux objectifs sous-jacents.
    2. La fouille doit viser un objectif valable dans la poursuite des fins de la justice criminelle, telle la découverte d’un objet pouvant menacer la sécurité des policiers, du prévenu ou du public, faciliter l’évasion ou constituer une preuve contre le prévenu. Le but de la fouille ne doit pas être étranger aux fins d’une saine administration de la justice, ce qui serait le cas, par exemple, si la fouille avait pour but d’intimider le prévenu, de le ridiculiser ou d’exercer une contrainte pour lui soutirer des aveux.
  1. La fouille ne doit pas être effectuée de façon abusive et, en particulier, l’usage de contrainte physique ou psychologique ne doit pas être hors de proportion avec les objectifs poursuivis et les autres circonstances de l’espèce().

Pour qu’une fouille accessoire à une arrestation soit raisonnable, elle doit remplir ces conditions. La légalité d’une fouille de ce genre dépend évidemment de la légalité de l’arrestation. Cela signifie que l’agent sera tenu d’avoir des motifs raisonnables et probables de procéder à l’arrestation, comme l’exige le Code.

Le pouvoir de fouiller accessoirement à une arrestation a depuis été étendu à la fouille d’un véhicule lorsqu’il s’agit de trouver des éléments de preuve contre un conducteur arrêté pour possession de narcotiques. Dans l’affaire R. c. Caslake(), une majorité de quatre contre trois juges de la Cour suprême a, une fois de plus, examiné les principes régissant le pouvoir en common law de fouiller une personne accessoirement à son arrestation. En l’espèce, l’accusé avait été arrêté dans sa voiture après qu’un policier avait trouvé un sac de marijuana dans l’herbe, au bord de la route. Six heures environ après l’arrestation, un policier avait fouillé le véhicule remorqué et y avait trouvé de la cocaïne. Ce policier n’avait pas de mandat, non plus que le consentement de l’accusé. Il avait déclaré dans son témoignage que la fouille avait été effectuée conformément à une politique de la police exigeant qu’on fasse l’inventaire de l’état et du contenu d’un véhicule mis en fourrière dans le cadre d’une enquête. Cette politique avait pour objet de protéger les objets de valeur appartenant au propriétaire du véhicule et de prendre note de l’état général du véhicule. L’accusé avait contesté sa déclaration de culpabilité pour possession de cocaïne en faisant valoir que la fouille du véhicule était abusive.

La majorité des juges a rappelé les trois critères à remplir pour qu’une fouille soit raisonnable. Comme il s’agissait d’une perquisition sans mandat, c’était à la police de prouver qu’elle était raisonnable.

Pour ce qui est du critère de l’autorisation de la fouille, la majorité a expliqué qu’une fouille pouvait ne pas être conforme à cette exigence de trois façons.

  • Premièrement, l’État doit être en mesure de citer précisément la loi ou la règle de common law qui permet d’autoriser la fouille.
  • Deuxièmement, la fouille doit être effectuée conformément aux exigences de la loi en matière de procédure et de fond.
  • Troisièmement, la fouille doit se limiter à la zone et aux articles au titre desquels la loi autorise ladite fouille.

En l’espèce, la police fondait la légalité de la fouille sur le pouvoir de common law qui en prévoit la possibilité accessoirement à une arrestation. Ayant examiné l’arrêt Cloutier, la majorité des juges a déclaré que, selon cet arrêt, les tribunaux « doi[ven]t soupeser l’intérêt qu’a l’État dans l’application de la loi et dans la protection des policiers en fonction du droit à la vie privée de la personne arrêtée, pour déterminer si une fouille constituait un exercice raisonnable et justifiable du pouvoir de la police »(). La Cour a appliqué les trois critères limitatifs énoncés dans l’arrêt Cloutier.

La majorité a poursuivi en analysant la portée de la fouille accessoire à une arrestation. « Étant donné que la fouille accessoire à une arrestation est un pouvoir de droit common law, il n’y a pas de limites facilement constatables à son étendue. Il appartient donc aux tribunaux de fixer les bornes à l’intérieur desquelles l’État peut poursuivre la réalisation de ses intérêts légitimes, tout en protégeant vigoureusement le droit à la vie privée des particuliers »(). La Cour a déclaré que la portée de la fouille peut renvoyer à des aspects bien différents, notamment aux articles saisis (des échantillons de substances corporelles, par exemple, ne peuvent pas être prélevés accessoirement à une arrestation), l’endroit perquisitionné et le délai dans lequel la fouille est effectuée.

La majorité a estimé que « les fouilles dont la légalité dépend de l’arrestation même doivent être vraiment accessoires à l’arrestation en question »(). Ainsi, une fouille n’est justifiable que si son objet est lié à l’objet de l’arrestation. Comme l’a expliqué la Cour dans l’arrêt Cloutier, une fouille a deux objets principaux : garantir la sécurité de la police et de la population et sauvegarder et découvrir des éléments de preuve. La Cour a déclaré ce qui suit :

[…] La condition que la fouille soit « vraiment accessoire » à l’arrestation signifie que les policiers doivent tenter de réaliser un objectif valable lié à l’arrestation. L’existence d’un tel objectif dépendra de ce que les policiers cherchaient et des raisons pour lesquelles ils le faisaient. Cette question comporte à la fois un aspect subjectif et un aspect objectif. Selon moi, les policiers doivent avoir à l’esprit l’un des objectifs d’une fouille valide effectuée accessoirement à une arrestation lorsqu’ils procèdent à la fouille. En outre, la conviction du policier que la fouille permettra de réaliser cet objectif doit être raisonnable.

En clair, il ne s’agit pas d’une norme de motifs raisonnables et probables, qui est la condition normale à laquelle il faut satisfaire pour pouvoir effectuer une fouille. Ici, la seule condition est qu’il existe un motif raisonnable de faire ce que le policier a fait. Par exemple, la norme des motifs raisonnables et probables exigerait qu’un policier démontre qu’il croyait raisonnablement que la personne arrêtée était munie d’une arme particulière avant de la fouiller. Par contre, selon la norme qui s’applique en l’espèce, le policier aurait le droit de fouiller une personne arrêtée afin de vérifier si elle porte une arme si, dans les circonstances, il semblait raisonnable de vérifier si la personne est armée. Il y a évidemment une grande différence entre les deux normes. Un policier a, dans le cas d’une arrestation, une marge de manœuvre considérable qu’il n’a pas dans d’autres situations. En même temps, conformément aux critères de l’arrêt Cloutier, la fouille doit répondre à un « objectif valable ». Un objectif ne peut pas être valable s’il n’est pas raisonnable de le poursuivre dans les circonstances de l’arrestation().

La majorité des juges a donc imposé, dans cette cause, un critère objectif et un critère subjectif pour justifier une fouille. La Cour a estimé que, en l’espèce, le droit de fouiller la voiture et la portée de la fouille « dépendront d’un certain nombre de facteurs tels que le motif de l’arrestation, l’endroit où se trouve le véhicule à moteur par rapport au lieu de l’arrestation, et d’autres circonstances pertinentes »().

Le juge en chef Lamer a résumé le droit dans les termes suivants :

En résumé, les fouilles doivent être autorisées par la loi. Si la loi que le ministère public invoque est la règle de common law de la fouille accessoire à une arrestation, il lui faut alors respecter les conditions de cette règle. La plus importante de ces conditions est que la fouille soit vraiment accessoire à l’arrestation. Cela signifie que les policiers doivent pouvoir expliquer, en fonction des objectifs exposés dans Cloutier […] (protection des policiers et de la preuve, et découverte d’éléments de preuve), ou de tout autre objectif valable, pourquoi ils ont procédé à une fouille. Ils n’ont pas besoin de motifs raisonnables et probables. Cependant, ils devaient avoir un motif lié à l’arrestation pour procéder à la fouille au moment où ils l’ont effectuée, et ce motif doit être objectivement raisonnable. Les questions du délai et de la distance n’empêchent pas automatiquement une fouille d’être accessoire à une arrestation, mais elles peuvent amener la Cour à tirer une conclusion défavorable. Cependant, cette conclusion peut être réfutée au moyen d’une explication appropriée().

Dans l’affaire Caslake, la majorité a estimé que la fouille n’était pas justifiée parce que son seul objet était la conformité à la politique de la police. Si la fouille avait eu pour objet de trouver des éléments de preuve pouvant servir au procès du suspect, accusé de possession de marijuana en vue du trafic de drogue, elle aurait été conforme à la portée du pouvoir de fouiller accessoirement à une arrestation « étant donné que la preuve circonstancielle était nettement suffisante pour justifier une fouille du véhicule »(). La Cour a cependant conclu que la police ne pouvait pas, en l’espèce, s’appuyer sur le fait que, objectivement parlant, la fouille avait un objet légitime quand ce n’était pas la raison pour laquelle elle avait procédé à la fouille. Rappelons que les éléments de preuve n’ont pas été exclus en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte parce que la Cour a estimé qu’ils n’avaient pas été obtenus en mobilisant l’accusé contre lui-même et qu’ils ne compromettaient donc pas l’équité du procès. Par ailleurs, l’infraction à la Charte n’était pas jugée grave pour trois raisons : la fouille n’avait pas été particulièrement indiscrète, il y avait une attente moindre en matière de vie privée dans une voiture et la police avait agi de bonne foi.

Bien que la fouille accessoire à une arrestation soit un pouvoir assez large, les causes ci-dessus démontrent bien qu’il n’y a pas de droit automatique et illimité de fouiller accessoirement à une arrestation. Autre exemple : en 1997, la Cour suprême du Canada a soutenu, dans l’une de ses décisions, que le pouvoir de common law de fouiller un suspect accessoirement à son arrestation ne suffit pas à permettre la saisie de substances corporelles en vue d’une analyse génétique si le suspect s’y refuse. Dans l’affaire R. c. Stillman(), la Cour a conclu que les droits de l’accusé en vertu de l’article 8 avaient été violés lorsqu’on avait prélevé sur lui, sous la menace de la force, des échantillons de cheveux et de muqueuse buccale sans autorisation législative. [Traduction] « Ce genre de fouille ne relevait pas des motifs autorisant la fouille accessoire à une arrestation légale parce qu’elle n’était pas nécessaire pour protéger la police ou la population ou pour éviter que le suspect s’enfuie, et parce que les éléments de preuve n’étaient pas de nature à être détruits ou perdus »(). Comme les éléments de preuve n’auraient pu être découverts sans qu’on « mobilise l’accusé contre lui-même » [selon la définition donnée par le juge Cory dans l’affaire Stillman], contrairement aux garanties de la Charte, la Cour suprême du Canada a conclu que l’admission en preuve des résultats génétiques compromettrait l’équité du procès.

Dans l’affaire Stillman, au moment de l’arrestation du suspect, il n’y avait pas d’autorisation législative permettant de prélever des échantillons biologiques en vue d’une analyse génétique, avec ou sans le consentement de l’accusé. Mais les modifications apportées ultérieurement au Code imposent des critères et une procédure pour obtenir une autorisation judiciaire, sous la forme d’un mandat, avant le prélèvement de substances corporelles en vue d’une analyse génétique. Depuis juillet 1995, la loi permet à la police d’employer « la force nécessaire » pour exécuter un mandat, qui peut être délivré pour les enquêtes relatives à certaines infractions seulement.

En résumé, il est évident que la police a le droit de fouiller un suspect accessoirement à une arrestation, mais ce droit n’est ni automatique ni illimité. Les tribunaux n’exigent pas de motifs raisonnables et probables, mais la police doit tout de même avoir des raisons valables de procéder à une fouille. La valeur de ces raisons sera évaluée en fonction de toutes les circonstances de l’espèce. La fouille doit être effectivement accessoire à une arrestation et elle doit donc avoir lieu en vue d’un objectif valable conforme aux fins de la justice pénale, par exemple pour garantir la sécurité des agents de police et d’autres personnes.

 

5. Le mode de fouille

L’examen des causes renvoyant à la fouille de personnes indique que les tribunaux examinent de très près la manière dont la fouille est effectuée et qu’ils peuvent la juger abusive et exclure les éléments de preuve auxquels elle donne lieu. Par exemple, dans l’affaire Collins, une cause jugée en Colombie-Britannique, l’accusée était assise à un bar qui était censément fréquenté par des trafiquants d’héroïne et leurs clients. Elle avait été saisie par deux policiers : l’un d’eux l’avait prise par la gorge, la rendant à demi inconsciente, tandis que l’autre lui avait ouvert la bouche de force. Pendant ce temps-là, trois capsules d’héroïne s’étaient échappées de sa main droite. La Cour a estimé que les agents de police n’avaient pas, en l’espèce, de motifs raisonnables et probables de croire que l’accusée avait des narcotiques dans la bouche et elle a donc conclu que la fouille n’était pas légale. Elle a ajouté et conclu que l’admission en preuve de ces éléments porterait atteinte à la réputation de l’administration de la justice car cela reviendrait à couvrir et à permettre la perpétuation d’une conduite inacceptable de la part de la police. Cette décision a été confirmée en appel par la Cour suprême du Canada. Cela ne signifie pas qu’une « prise à la gorge » soit nécessairement toujours jugée inacceptable. Dans l’affaire R. v. Garcia-Guiterrez(), [Traduction] « une prise à la gorge avait permis d’empêcher que des éléments de preuve soient avalés et un coup de poing au plexus avait permis de contraindre le suspect à les cracher. Sous réserve d’une opinion dissidente vigoureusement formulée, la majorité de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a conclu que la prise à la gorge en vue de préserver des éléments de preuve était acceptable dans les circonstances de l’espèce »().

Dans l’affaire Heisler(), une fouille aléatoire des gens qui entraient sur les lieux d’un concert rock avait permis de trouver une grande quantité de drogues sur la personne de l’accusé. La preuve a cependant révélé qu’aucun motif ne justifiait la fouille. La Cour provinciale de l’Alberta a conclu que l’accusé avait été soumis à une fouille déraisonnable, dépassant les limites du simple mauvais goût et de l’irrégularité. Les éléments de preuve avaient été exclus au motif que leur admission aurait porté atteinte à la réputation de l’administration de la justice. Dans l’affaire Roy, cependant, la Haute Cour de l’Ontario a soutenu que, si des affiches annoncent que l’entrée au concert est assujettie à une fouille, cette fouille n’enfreint pas les garanties de l’article 8.

Dans l’affaire Debot(), la police avait appris par un indicateur que l’appelant devrait prendre livraison d’une grande quantité d’amphétamine (« speed »). Son véhicule avait été arrêté, l’accusé avait été prié d’en sortir, et on lui avait dit « de se tenir bras et jambes écartés » et de vider ses poches. Et la police avait trouvé du speed. La fouille avait eu lieu sans mandat, mais la Cour suprême du Canada a conclu que la police avait agi raisonnablement et que les éléments de preuve n’auraient pas dû être exclus comme le juge de première instance l’avait ordonné. Le juge en chef Dickson a déclaré que, si le détenu doit être informé de son droit d’obtenir l’assistance immédiate d’un avocat – exigence respectée par la police en l’occurrence –, et bien que l’ordre de « se tenir bras et jambes écartés » équivalait à une détention, les policiers ne sont pas tenus de suspendre une fouille accessoire à une arrestation en attendant que le détenu ait eu la possibilité de consulter son avocat.

Le juge en chef Dickson a poursuivi en disant que le déni du droit à un avocat garanti par l’article 10 de la Charte ne donnera lieu à la conclusion que la fouille était abusive que dans des cas exceptionnels. Une fouille est jugée valable si elle est autorisée par la loi, si la loi elle-même est raisonnable et si la manière dont la fouille a été effectuée est raisonnable. Le déni du droit à un avocat n’a rien à voir avec la « manière » dont la fouille est exécutée, laquelle, selon la Cour, « a trait au déroulement matériel de la fouille ». La Cour a ajouté que « [l]es éléments de preuve obtenus grâce à une fouille raisonnable mais accompagnée d’une violation [ du droit à un avocat] ne seront pas nécessairement admis » et que, en fait, « [l]es éléments de preuve seront écartés s’il existe un lien temporel entre la violation de la Charte et la découverte des éléments de preuve et si l’utilisation de ces éléments de preuve est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ».

Les lois ou règles de common law autorisant la fouille de personnes ne disent généralement rien de la portée qu’elles supposent à la fouille en question. Comme nous l’avons vu précédemment, l’une des conditions d’une fouille jugée valable est qu’elle doit être effectuée de façon raisonnable. En ce qui a trait à la fouille d’une personne, le degré d’indiscrétion peut être tel que la fouille sera considérée comme abusive.

Analysant la question des fouilles corporelles aux frontières, la Cour suprême du Canada a distingué trois catégories de fouilles :

Il est, à mon avis, significatif que la jurisprudence et la doctrine semblent distinguer trois types de fouilles à la frontière. Premièrement, il y a l’interrogatoire de routine auquel est soumis chaque voyageur à un port d’entrée, lequel est suivi dans certains cas d’une fouille des bagages et peut-être même d’une fouille par palpation des vêtements extérieurs. Il n’y a rien d’infamant à être l’un des milliers de voyageurs qui font, chaque jour, l’objet de ce type de contrôle de routine à leur entrée au Canada et aucune question constitutionnelle n’est soulevée à cet égard. Il serait absurde de laisser entendre qu’une personne qui se trouve dans une telle situation est détenue au sens constitutionnel du terme et a le droit, en conséquence, d’être informée de son droit à l’assistance d’un avocat. Le second type de fouille effectuée à la frontière est la fouille à nu comme celle à laquelle a été soumise l’appelante en l’espèce. Cette fouille est effectuée dans une pièce fermée, après un examen secondaire et avec la permission d’un agent des douanes occupant un poste d’autorité. Le troisième type de fouille, celui qui comporte l’empiétement le plus poussé, est parfois appelé examen des cavités corporelles; pour ce genre de fouille, les agents des douanes ont recours à des médecins, à des rayons X, à des émétiques, ainsi qu’à d’autres moyens comportant un empiétement des plus poussés().

Dans l’affaire Simmons, le juge en chef Dickson a ajouté que les différents types de fouille soulèvent des problèmes différents et des questions d’ordre constitutionnel entièrement différentes « puisqu’il est évident que plus l’empiétement sur la vie privée est important, plus sa justification et le degré de protection constitutionnelle accordée doivent être importants »(). Cette perspective a été confirmée en 1999 par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Monney (voir plus haut). Dans les deux cas, la question de la constitutionnalité de la troisième catégorie de fouille est restée sans réponse, tandis que les deux premières ont été jugées raisonnables en vertu de l’article 8, même si elles sont fondées sur le seul soupçon. Rappelons que ces causes ont trait aux fouilles effectuées aux frontières.

La Cour suprême du Canada a précisé ce qui suit concernant les fouilles sommaires accessoires à une arrestation :

Jaugeant l’intérêt public dans l’application efficace et sécuritaire de la loi à la lumière de l’intérêt public d’assurer le respect de la liberté et de la dignité des individus, j’estime que la fouille sommaire accessoire à une arrestation légale concilie ces deux impératifs en ce que l’intrusion minimale que représente la fouille est nécessaire pour assurer une saine administration de la justice criminelle().

Lorsque la fouille d’une personne est justifiée, une fouille sommaire sera généralement jugée raisonnables car c’est probablement le mode de fouille le moins indiscret.

Comme nous l’avons vu, l’arrêt Caslake semble imposer certaines limites aux types de fouille autorisés. Voici un commentaire à cet égard :

[Traduction]

Deuxièmement, et c’est peut-être encore plus important, cela semble limiter la portée d’une fouille accessoire à une arrestation. Par exemple, il n’y a pas de raison valable de procéder à la fouille à nu d’un suspect arrêté pour conduite en état d’ébriété à moins qu’il y ait de sérieux motifs de croire qu’il porte une arme sur lui : une fouille ne permettrait pas de découvrir des éléments de preuve supplémentaires concernant sa culpabilité ou son innocence relativement à sa conduite en état d’ébriété, et, par conséquent, il ne serait pas possible de dire, selon la formulation de la majorité, que cette fouille est accessoire à l’arrestation. Évidemment, toute la question du « caractère raisonnable » soulève des problèmes qu’il faudra régler dans le cadre de causes ultérieures().

La Cour d’appel de l’Ontario a examiné la question des fouilles à nu dans R. c. Flintoff (). Dans cette affaire, un policier avait arrêté l’accusé sur la scène d’un accident pour conduite en état d’ébriété. Après avoir procédé à une fouille par palpation, le policier avait placé l’accusé dans la voiture de police et l’avait emmené au poste pour procéder au prélèvement d’échantillons d’haleine. L’accusé avait été poli et s’était montré coopératif. Le policier n’avait rien remarqué qui puisse susciter le soupçon que l’accusé dissimulait des armes sur lui. L’accusé avait été soumis à une fouille à nu avant de passer l’alcootest, conformément à une politique générale de la police exigeant que tous les policiers procèdent à une fouille à nu de toutes les personnes placées en détention au poste, quelles que soient les circonstances de l’affaire ou la situation de la personne en question. L’accusé n’avait pas été détenu dans une cellule, et la police n’avait pas l’intention de l’y mettre. Il incombait donc à la Cour de déterminer si le fait de procéder à la fouille à nu d’un suspect avant de lui faire passer un alcootest est constitutionnel.

La Cour a estimé que la fouille était abusive et qu’elle portait atteinte aux droits garantis par l’article 8 de la Charte. Elle a déclaré que la fouille à nu n’était pas justifiée en droit et qu’elle n’était pas accessoire à une arrestation, précisant que l’atteinte aux droits était « scandaleuse » et « flagrante » et qu’elle choquerait la population. Selon la Cour, la fouille à nu est [Traductions] « l’un des types de fouille les plus indiscrets et « l’un des modes les plus extrêmes de l’exercice du pouvoir de la police ». La police peut procéder à une fouille accessoirement à une arrestation, mais [Traduction] « le degré d’intrusion doit être raisonnable et justifié par un objectif valable, la sécurité par exemple ». Le fait que les policiers se soient appuyés sur une politique générale prévoyant l’incarcération des détenus dans une cellule dans les circonstances de l’espèce renvoie à un malentendu, puisque rien n’indique que l’accusé devait être placé en détention. La Cour a refusé de discuter de la validité de la politique en d’autres circonstances. Elle a exclu les éléments de preuve obtenus par alcootest même s’ils n’avaient pas été obtenus dans le cadre de la fouille, à cause de la gravité de l’infraction.

Cette cause montre bien que les tribunaux ne permettront pas automatiquement les fouilles à nu en cas de fouille accessoire à une arrestation. La Cour a estimé que la fouille à nu est l’un des modes de fouille les plus indiscrets et que le degré d’intrusion doit être raisonnable et justifié par un objectif valable.

L’arrêt Greffe, de la Cour suprême du Canada, est un autre exemple des limites imposées au pouvoir de procéder à une fouille accessoire à une arrestation. [Traduction] « Dans l’affaire R. c. Greffe, la Cour a rejeté une fouille rectale supposant l’introduction d’un sigmoïdoscope sur une longueur de huit pouces dans le canal rectal d’un accusé arrêté pour trafic de drogue alors qu’il n’existait pas de motifs raisonnables et probables de procéder à une fouille aussi indiscrète et désagréable »().

Ainsi, bien que les fouilles sommaires soient considérées comme une procédure relativement peu indiscrète, il est possible, dans certains cas, que les tribunaux estiment que même une fouille de ce genre n’est pas raisonnable si elle n’est pas justifiée par un objectif valable. Et il semblerait que les fouilles plus indiscrètes, comme les fouilles à nu, par exemple, doivent se justifier par des motifs supplémentaires. La fouille doit être proportionnelle à l’objectif poursuivi, et son objet ne doit pas être sans rapport avec les objectifs de l’administration correcte de la justice. Il faut encore que les tribunaux précisent clairement les limites de la portée des fouilles corporelles, mais il semblerait que le « caractère raisonnable » de la fouille fera l’objet d’une analyse. Les tribunaux ont déclaré que cela dépendra de l’ensemble des circonstances de l’espèce. Il est probable que cela supposera l’évaluation de facteurs comme le type d’infraction et sa gravité, l’attente en matière de vie privée, les motifs de la fouille et la manière dont celle-ci a été effectuée.

Étant donné la nature des infractions liées aux drogues et le fait que ces substances sont plus faciles à dissimuler, il semblerait que des fouilles plus indiscrètes puissent être permises. Il faut également se rappeler que, aux frontières, il y a une attente moindre en matière de vie privée et que les tribunaux peuvent être disposés à permettre des fouilles plus indiscrètes dans ce cas qu’autrement. Les tribunaux sont assurément conscients des tactiques employées par les contrevenants pour dissimuler des drogues et ils peuvent être plus disposés à autoriser la police à agir d’une façon qui, dans d’autres circonstances, ne serait pas jugée acceptable. Il est clair cependant, d’après les décisions rendues par les tribunaux, que plus la fouille est indiscrète, plus elle doit être justifiée et plus la protection constitutionnelle joue.

 

6. La surveillance électronique

Comme les infractions liées aux drogues sont consensuelles, la police recourt souvent à des techniques spéciales pour faire enquête sur ce genre de crime. L’un de ces moyens est la surveillance électronique (l’interception de conversations téléphoniques et l’enregistrement de conversations privées). L’interception clandestine est souvent employée en cas d’infraction liée aux drogues, mais elle peut également l’être dans beaucoup d’autres circonstances où des infractions graves au Code et à d’autres lois fédérales sont commises(). Le Rapport annuel sur la surveillance électronique publié par le solliciteur général en 1998 indique ce qui suit au sujet de l’importance de la surveillance électronique comme instrument d’enquête :

ENQUÊTE

La surveillance électronique est essentielle à la lutte contre le crime organisé, surtout en ce qui concerne le trafic de drogues. Pour réduire l’importation et la distribution de drogues illicites au Canada, les organismes d’application de la loi comptent beaucoup sur l’interception des communications privées. Il est indiqué à la section III du présent rapport que la majorité des autorisations accordées par les tribunaux permettent l’utilisation de la surveillance électronique dans les cas de trafic de substances réglementées. Comme par les années antérieures, nombre de ces autorisations étaient liées à des complots criminels, des crimes qui posent des difficultés à la police lorsqu’il s’agit de les dépister, de faire enquête et de les résoudre.

DÉPISTAGE

La surveillance électronique fournit aux organismes d’application de la loi un outil précieux, car elle aide à dépister les crimes qui ne font pas l’objet d’une plainte en particulier. Malgré leurs effets insidieux, nombre d’activités des groupes de criminels organisés ne seraient pas dépistées si ce n’était des enquêtes que la police mène activement. Les infractions comme le blanchiment de l’argent, la contrebande et le trafic de drogues constituent des menaces graves pour la sécurité et la stabilité des collectivités, et l’interception des communications privées permet à la police de les dépister et, ainsi, d’enquêter sur la participation à des activités dommageables de ce genre.

PRÉVENTION

L’utilisation de la surveillance électronique a permis la saisie de grandes quantités de drogues au Canada. Elle a aussi permis de réduire la disponibilité de drogues dans la rue et dans les collectivités et d’aider à la prévention du crime organisé lié à l’abus de drogue. Sans cet outil essentiel, la capacité des organismes d’application de la loi de prévenir le crime et les dommages sociaux qui s’ensuivent serait considérablement restreinte.

 

POURSUITE

Les complots et les activités des groupes de criminels organisés sont souvent extrêmement complexes et difficiles à prouver devant un tribunal. La surveillance électronique permet souvent d’obtenir des preuves concrètes de la perpétration de ce genre de crime, ce qui augmente les probabilités d’une condamnation pour ceux qui ont participé à des activités illicites. La poursuite des délinquants impliqués augmente la confiance du public dans le système de justice pénale et contribue à la sécurité publique en tenant ces personnes responsables de leurs actes.

Il est clair que la surveillance électronique est un instrument d’enquête efficace, mais c’est aussi une sérieuse infraction au droit à la vie privée. Voici ce qu’a déclaré la Cour suprême du Canada à cet égard :

La surveillance électronique est à ce point efficace qu’elle rend possible, en l’absence de réglementation, l’anéantissement de tout espoir que nos communications restent privées. Une société nous exposant, au gré de l’État, au risque qu’un enregistrement électronique permanent soit fait de nos propos chaque fois que nous ouvrons la bouche, disposerait peut-être d’excellents moyens de combattre le crime, mais serait une société où la notion de vie privée serait vide de sens. Comme le dit le juge Douglas, dissident dans l’affaire United States v. White, précitée, à la p. 756 : [Traduction] « La surveillance électronique est le pire destructeur de la vie privée ». S’il est permis à l’État d’enregistrer et de transmettre arbitrairement nos communications privées, il devient dès lors impossible de trouver un juste équilibre entre le droit du particulier d’être laissé tranquille et le droit de l’État de porter atteinte à la vie privée dans la poursuite de ses objets, notamment la nécessité d’enquêter sur le crime et de le combattre.

Ce n’est pas nier qu’il est d’importance vitale pour les organismes chargés de l’application des lois d’être en mesure de recourir à la surveillance électronique dans leurs enquêtes sur le crime. La surveillance électronique joue un rôle indispensable dans la découverte d’opérations criminelles complexes. Son utilité dans les enquêtes en matière de stupéfiants, par exemple, a été maintes fois confirmée. Mais, pour les raisons déjà évoquées, il est inadmissible dans une société libre que les organes de l’État puissent se servir de cette technologie à leur seule discrétion. Le péril pour la vie privée serait tout à fait inacceptable().

Comme la surveillance électronique est une ingérence plus large dans la vie privée que les perquisitions ordinaires, la loi prévoit des garanties procédurales plus serrées. Les règles applicables à la surveillance électronique sont complexes, et les paragraphes qui suivent en clarifient certains aspects importants. La partie VI du Code prévoit différentes procédures pour obtenir une autorisation selon que l’une des parties a consenti ou non à l’interception. Lorsque l’une des parties est consentante, les conditions ne sont pas aussi strictes. Les motifs sont semblables à ceux qui sont exigés pour un mandat de perquisition ordinaire. Pour ce qui est des interceptions clandestines, la demande ne peut en être faite que par certains agents d’exécution de la loi. Le juge appelé à répondre à ce genre de demande peut délivrer une autorisation s’il est convaincu 1) qu’il est dans l’intérêt de l’administration de la justice de le faire et 2) que d’autres moyens d’enquête ont été employés en vain ou ne sont pas susceptibles d’être fructueux ou que la situation est urgente. La deuxième condition ne s’applique pas lorsque l’infraction a trait à une organisation criminelle. L’autorisation doit préciser les conditions et modalités que le juge estime nécessaires dans l’intérêt du public et elle n’est valide que pour une durée maximale de 60 jours (elle peut être renouvelée pour une durée supplémentaire de 60 jours si toutes les conditions sont remplies). Lorsqu’il s’agit d’organisations criminelles, l’autorisation peut être d’une durée maximale d’un an.

Pour ce qui est de la vidéosurveillance lorsqu’il y attente raisonnable en matière de vie privée, conformément à l’article 487.01 du Code, la procédure d’autorisation que nous venons de décrire s’applique également avec les modifications nécessaires. Par exemple, un mandat général de vidéosurveillance exige le même degré de justification qu’une autorisation pour intercepter des communications privées.

Le Code prévoit également l’interception sans mandat lorsque la situation est urgente ou pour éviter des lésions corporelles (dans ce cas, il existe des restrictions relatives à l’emploi des éléments de preuve)(). Par ailleurs, on peut obtenir une autorisation d’urgence d’une durée maximale de 36 heures si la situation exige que l’interception commence avant que l’autorisation puisse être obtenue selon la procédure ordinaire appliquée avec une diligence raisonnable. La recevabilité d’éléments de preuve obtenus illégalement sera déterminée en fonction de l’article 8 et du paragraphe 24(2) de la Charte.

Dans l’affaire R. c. Thompson(), la Cour suprême du Canada a estimé que la police ne peut pas, sans discrimination, mettre sur écoute tous les téléphones publics que l’accusé peut être amené à utiliser : cela enfreindrait le droit du public de ne pas être soumis à des fouilles, perquisitions ou saisies abusives. Cependant, les clauses à la formulation générale d’une autorisation judiciaire permettant la mise sur écoute de téléphones aux endroits qu’un suspect « fréquente » sont valables pourvu que la police ait des motifs raisonnables et probables de croire que la personne en question « fréquente » effectivement ces endroits.

Les décisions que la Cour suprême du Canada a rendues le 25 janvier 1990 dans les affaires Duarte et Wiggins ont eu un effet important sur les méthodes de maintien de l’ordre, notamment sur les opérations d’infiltration associées aux infractions liées aux drogues et à la moralité. Dans l’affaire Duarte(), la Cour a confirmé que la surveillance électronique constitue une perquisition et saisie au sens de l’article 8. Cela n’est cependant le cas que lorsqu’il existe une attente raisonnable en matière de vie privée. La Cour a déclaré que la surveillance électronique non autorisée et l’interception « de communications privées, par un organe de l’État, avec le consentement de l’auteur de la communication ou de la personne à laquelle il la destine, sans autorisation judiciaire préalable, constitue[nt] une atteinte aux droits et libertés garantis par l’article 8 ». Jusque-là, il était légal pour la police d’intercepter ce genre de communication pourvu que l’une des parties y consente. Il est désormais nécessaire qu’un juge autorise ce genre d’interception de la même façon que l’interception d’une conversation complètement privée (mise sur écoute) lorsque aucune des parties n’a donné son consentement préalable. La Cour a également exigé qu’il y ait des motifs raisonnables et probables, faisant l’objet d’une assermentation de l’agent en question, de croire qu’il existe à l’endroit que l’on veut perquisitionner des éléments de preuve d’une infraction. Le soupçon ne suffit pas.

Dans l’affaire Duarte, la Cour suprême du Canada a déclaré que « l’article 8 vise d’abord et avant tout à assurer le respect de la vie privée », qu’elle définit comme étant « le droit du particulier de déterminer lui-même quand, comment et dans quelle mesure il diffusera des renseignements personnels ». En conséquence, « on peut difficilement concevoir une activité de l’État qui soit plus dangereuse pour la vie privée des particuliers que la surveillance électronique et qui, en conséquence, doive être plus directement visée par la protection de l’article 8 ». La Cour a estimé qu’elle ne pouvait plus permettre que la police « à son entière discrétion  […] enregistre et transmette nos propos » sans autorisation judiciaire préalable, parce que cette pratique policière largement répandue représente un « danger insidieux » pour « la marque certaine d’une société libre », à savoir « la liberté de ne pas être obligé de partager nos confidences avec autrui ». Dans l’affaire Wiggins(), l’emploi de « micro-émetteurs de poche » par la police a également été jugé contraire à la Constitution pour les motifs exposés dans l’affaire Duarte. L’arrêt Duarte montre bien que, même si la conduite de la police est autorisée par la loi, cela ne signifie pas qu’elle est raisonnable au regard de l’article 8. Le Code a depuis été modifié : il prévoit désormais l’autorisation préalable des interceptions avec consentement.

Dans l’affaire Wong(), la Cour suprême du Canada a élargi encore plus la protection des particuliers contre l’ingérence de l’État dans leur vie privée. Elle a soutenu que l’accusé, en distribuant des avis publics dans des restaurants pour inviter le public à participer à des séances de jeu illicites dans une chambre d’hôtel, n’avait pas ouvert ces séances au public à tel point qu’elles n’étaient plus une activité privée. Il n’avait donc pas renoncé à la garantie de l’article 8 de la Charte. La Cour a appliqué les critères énoncés dans l’affaire Duarte et elle a conclu que, même si l’accusé avait distribué des avis publics, cela ne supposait pas un « consentement tacite » à une surveillance électronique par la police. Les opérations de jeu restaient donc « privées », et la vidéosurveillance non autorisée constituait une fouille et saisie abusive selon l’article 8.

Dans R. c. l’affaire Wise(), la Cour suprême du Canada a eu le loisir de s’interroger sur la recevabilité d’éléments de preuve obtenus au moyen de l’installation et de l’utilisation non autorisées d’un dispositif d’écoute électronique. Après avoir installé le dispositif sous le siège arrière d’une voiture appartenant à « celui qu’on soupçonnait être l’auteur d’une série de meurtres », la police avait suivi l’accusé et avait obtenu des éléments de preuve étayant des accusations de méfait relativement à l’endommagement d’une tour de communications valant des millions de dollars.

La Cour a estimé à l’unanimité que l’installation et l’utilisation du dispositif en question représentaient une fouille abusive et qu’elles enfreignaient l’article 8 de la Charte. Toutefois, une majorité de quatre contre trois a conclu que la recevabilité de la preuve doit être envisagée dans la perspective, d’une part, d’une mise en cause minimale du « droit moindre au respect de la vie privée » associé à l’utilisation d’un véhicule motorisé et, d’autre part, du « besoin urgent de protéger la communauté ». Étant donné que la localisation de la voiture au moment de l’infraction était un élément de preuve « réel » sans effet sur l’équité du procès et que la Cour d’appel avait jugé que la police avait agi de bonne foi, la majorité de la Cour suprême a conclu que l’admission des éléments de preuve ne porterait pas atteinte à la réputation de l’administration de la justice. S’appuyant sur la décision Kokesch, rendue antérieurement, les trois juges dissidents auraient cependant exclu, quant à eux, les éléments de preuve parce qu’ils avaient été obtenus par une intrusion illégale, commise sciemment par la police.

La Cour suprême du Canada a également abordé la question de la procédure permettant à l’accusé d’avoir accès à des « paquets scellés » confidentiels contenant des documents juridiques en fonction desquels une autorisation judiciaire d’écoute électronique est accordée. Dans les affaires Dersch c. le Canada() et R. c. Garofoli(), la Cour a conclu que, pour que l’accès soit permis, il suffit que l’accusé demande à examiner les documents juridiques du « paquet scellé ». Cet accès est nécessaire car il permet à l’accusé de répondre pleinement aux accusations et de se défendre, et notamment de déterminer si l’écoute électronique était conforme aux exigences de l’article 8.

Les lois ont été modifiées en conséquence des questions soulevées dans les causes Duarte, Wong, Garofoli et Wise dont nous venons de parler. Comme nous l’avons vu, il est possible d’obtenir une autorisation pour une interception lorsqu’une des parties est consentante. De plus, la police peut intercepter des communications privées, avec le consentement de l’interlocuteur d’origine ou du destinataire supposé et sans autorisation judiciaire préalable, s’il s’agit d’éviter des lésions corporelles à la personne consentante. Par ailleurs, le Code prévoit expressément des autorisations judiciaires pour la vidéosurveillance et l’emploi de dispositifs de surveillance électronique. Il codifie également la procédure applicable par les tribunaux pour permettre à un accusé d’avoir accès au contenu du « paquet scellé » dans les procès où une surveillance électronique a été autorisée.

Comme nous l’avons vu, en ce qui concerne les interceptions clandestines, le juge doit s’assurer 1) que c’est dans l’intérêt de l’administration de la justice et 2) que d’autres procédures d’enquête a) ont été tentées en vain ou b) ne sont pas susceptibles d’être fructueuses ou c) que la situation est urgente. En 2000, dans l’affaire R. c. Araujo(), la Cour suprême du Canada a interprété la deuxième condition énoncée dans la loi. Elle a déclaré que le point c) semble renvoyer à une situation d’urgence, tandis que le point a) renvoie à une véritable situation de « dernier recours ». Ces deux points n’ont pas été analysés devant la Cour, et la décision concerne plutôt le point b). La Cour a précisé que la norme, dans ce cas, ne relève pas de « l’efficacité », mais de la « nécessité ». Le critère est le suivant : il ne doit pas y avoir, pratiquement parlant, d’autre mode d’enquête valable possible dans les circonstances de ladite enquête judiciaire. Rejetant la norme de « l’efficacité », la Cour a déclaré ce qui suit :

Cette démarche n’est pas fondée en droit. La norme du « moyen le plus efficace » s’éloigne considérablement du texte de l’alinéa 186(1)b) et du droit à la vie privée qui y est protégé. Les termes employés ne correspondent pas au critère énoncé précédemment. De fait, à la limite, on pourrait fort bien soutenir sur le fondement d’une norme d’efficacité que la police devrait toujours pouvoir recourir à l’écoute électronique puisque celle-ci permet souvent d’arrêter davantage de criminels. Tout Canadien épris de liberté en éprouverait à juste titre des frissons dans le dos. On remplacerait la norme de la nécessité par celle de l’opportunité au gré des organismes d’application de la loi. Le critère appliqué par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique doit donc être écarté à cause de son incompatibilité avec les termes mêmes du Code criminel().

En l’espèce, la Cour a estimé que la prise des dirigeants d’un réseau de drogue n’est jamais une tâche facile. C’est plus particulièrement difficile lorsqu’ils emploient le contre-espionnage et agissent de façon clandestine. Les efforts de la police avaient été vains malgré une surveillance physique et l’emploi de mandats de perquisition, et tout indiquait que le recours à des indicateurs et à des agents infiltrés serait inefficace, voire dangereux. La Cour a donc reconnu que l’écoute électronique était la seule solution valable. Il est clair que la police devra prouver pourquoi d’autres instruments d’enquête conventionnels (mandats de perquisition, agents infiltrés, surveillance, indicateurs) ne peuvent pas donner de résultats. La Cour a précisé que le fait que la police visait des dirigeants étayait la nécessité de ce choix : « Dans la présente affaire, la police avait davantage besoin de l’écoute électronique, car elle tentait d’atteindre le sommet de la hiérarchie et d’arrêter les dirigeants du réseau. Cet élément milite à juste titre en faveur d’un constat de nécessité pour l’enquête décrite dans l’affidavit ».

 

7. Les mandats obtenus ou exécutés irrégulièrement

Dans l’affaire Caron(), un mandat de perquisition avait été obtenu seulement concernant des chèques de voyage volés. Les policiers n’avaient pas trouvé de chèques de voyage au cours de la fouille, mais ils avaient saisi une arme prohibée, dont ils avaient des raisons de croire qu’elle se trouvait sur les lieux lorsqu’ils ont demandé le mandat. La Cour a conclu que les policiers auraient dû révéler qu’ils cherchaient une arme prohibée lorsqu’ils ont demandé le mandat de perquisition. [Traduction] « En ne communiquant pas certains renseignements au juge de paix et en obtenant le résultat escompté sous le prétexte de s’intéresser uniquement à d’autres articles sans rapport avec l’objet en question, on a soustrait le processus à la sphère judiciaire ». La Cour a estimé que le mandat obtenu ne constituait pas une autorisation légale de fouiller en vue de trouver l’arme en question. De même, dans l’affaire Imough(), on a appris au procès que les policiers n’avaient pas de motifs valables d’obtenir le mandat. La Cour a conclu que l’admission des éléments de preuve [Traduction] « choquerait la conscience de la collectivité et porterait atteinte à la réputation de l’administration de la justice eu égard au caractère sacré du domicile d’un particulier et au fait que la fouille, en l’espèce, avait été effectuée intégralement sans autorisation légale ».

Nonobstant l’obtention régulière d’un mandat de perquisition légal, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a exclu les éléments de preuve issus d’un mandat de perquisition exécuté de façon irrégulière. Dans l’affaire R. c. West(), les policiers avaient permis à une équipe de la télévision de les accompagner dans l’exécution d’un mandat de perquisition obtenu à la suite d’une enquête des médias. Au cours de l’exécution du mandat, des cameramen avaient suivi les policiers dans l’appartement de l’accusé et l’avaient filmé tandis qu’il était arrêté et menotté. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a estimé que la perquisition était abusive [Traduction] « parce qu’elle dépassait les limites d’autorisation du mandat et qu’elle violait, sans motif d’enquête ou judiciaire, le droit le plus strict à la vie privée de l’accusé dans la sécurité de sa résidence ». Étant donné la gravité de l’infraction à la Charte, la Cour a déclaré les éléments de preuve obtenus au cours de la perquisition irrecevables et a ordonné un nouveau procès.

 

8. La doctrine des objets bien en vue

Un mandat de perquisition permet seulement à la police de fouiller les zones et de chercher les articles qui y sont précisés. Cependant, la doctrine des objets bien en vue permet à un policier qui se trouve légalement sur les lieux de saisir des articles qui constituent les preuves d’un crime. [Traduction] « C’est à cela que renvoie l’expression « doctrine des objets bien en vue » : il doit s’agir d’objets très visibles pour l’agent de police et de quelque chose qu’il a observé dans le cadre d’une perquisition régulière() ». La doctrine ne vaut que si le policier se trouve légalement sur les lieux. Le Code et la LRDS codifient cette doctrine en ce qui a trait aux fouilles et perquisitions relevant de leurs sphères respectives. Cette doctrine est un autre exemple de perquisition sans mandat autorisée par la loi.

Dans l’affaire Shea(), la Haute Cour de l’Ontario s’est inspirée de causes jugées aux États-Unis en matière de doctrine des objets bien en vue en concluant que, lorsqu’un policier se trouve légalement dans une résidence, il a le droit de saisir des articles bien en vue, comme des narcotiques.

 

9. Les déchets

Dans l’affaire R. c. Krist(), la Cour d’appel de la Colombie-Britannique s’est demandé si la saisie de sacs à ordures laissés sur le bord de la rue pour être ramassés représentait une saisie abusive. La police avait invoqué la présence de plants de marijuana et d’autres instruments trouvés dans les ordures pour obtenir la permission de fouiller la résidence et la voiture des appelants, où elle avait effectivement trouvé d’autres plants et du matériel de culture. S’appuyant sur des remarques incidentes de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Dyment, la Cour d’appel a conclu que, une fois que les ordures sont [Traduction] « laissées aux caprices des services municipaux d’enlèvement des ordures ménagères », leur propriétaire n’a plus d’attente raisonnable en matière de vie privée à leur égard. Donc, même si la saisie était fondée sur une information dont le sérieux n’était pas garanti, l’action de la police ne représentait pas une infraction à l’article 8 de la Charte.

 

L’EXCLUSION D’ÉLÉMENTS DE PREUVE EN VERTU DU PARAGRAPHE 24(2) DE LA CHARTE

Notre objet n’est pas d’analyser en profondeur la jurisprudence relative au paragraphe 24(2) de la Charte, mais, comme les décisions donnant lieu à l’exclusion d’éléments de preuve peuvent avoir un effet sur la conduite de la police, nous parlerons ici des règles générales énoncées par la Cour suprême du Canada.

Les règles relatives à l’exclusion d’éléments de preuve ont changé depuis l’adoption de la Charte. Par exemple, avant l’introduction de la Charte, [Traduction] « les éléments de preuve obtenus par suite d’une perquisition et saisie illégales restaient admissibles. Ce n’est plus le cas() ».

Le paragraphe 24(1) de la Charte prévoit un recours pour les accusés dont les droits selon la Charte ont été enfreints ou violés : ils peuvent s’adresser à un « tribunal compétent » pour obtenir la réparation « convenable et juste ». Le paragraphe 24(2) permet aux tribunaux d’exclure des éléments de preuve obtenus dans des conditions enfreignant ou violant les droits garantis par la Charte si leur admission « est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ». Ce point est important, car les éléments de preuve obtenus dans des conditions enfreignant la Charte ne sont pas automatiquement exclus. Ils ne le sont que lorsque leur admission risque de porter atteinte à la réputation de l’administration de la justice.

La Cour suprême du Canada a déclaré que la réparation prévue au paragraphe 24(2) n’est accessible qu’aux personnes dont les droits selon la Charte ont été enfreints. Dans l’affaire R. c. Edwards(), l’accusé a demandé à la Cour d’exclure comme éléments de preuve les drogues saisies dans l’appartement de sa petite amie, qui, selon lui, l’avaient été en violation de l’article 8 de la Charte. Estimant que l’accusé n’était rien de plus qu’un « invité privilégié » n’ayant pas le pouvoir d’admettre ou d’exclure d’autres personnes dans l’appartement, une majorité de la Cour a conclu qu’il n’avait pas d’« attente raisonnable en matière de vie privée » sur les lieux. Par conséquent, comme ses propres droits selon l’article 8 de la Charte n’avaient pas été enfreints, il ne pouvait contester la recevabilité des éléments de preuve en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte.

La relation de cause à effet entre l’infraction aux droits d’un particulier selon l’alinéa 10b) et la récupération d’éléments de preuve a été analysée par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Black(). Au cours de l’enquête sur un meurtre, la police avait récupéré l’arme du crime (un couteau) après que l’appelante avait fait sa déposition écrite. La Cour a conclu que les droits de l’appelante selon l’alinéa 10b) avaient été enfreints : la police avait en effet continué de l’interroger en dépit du fait qu’elle était ivre et qu’elle avait préalablement demandé clairement à consulter un avocat. C’est pourquoi tout élément de preuve obtenu de ce fait et ultérieurement devait être exclu. La condition du paragraphe 24(2) que les éléments de preuve aient été obtenus en violation de la Charte suppose une relation causale ou temporelle entre l’infraction et la découverte des éléments de preuve.

Dans l’affaire R. c. Elshaw(), la Cour suprême du Canada s’est interrogée sur le critère qu’il convient d’appliquer, aux termes du paragraphe 24(2) de la Charte, pour admettre ou rejeter une déposition auto-incriminante obtenue en violation de l’alinéa 10b) de la Charte. La Cour a conclu que l’exclusion de déclarations ainsi obtenues devrait être la règle plutôt que l’exception. Estimant que les éléments de preuve avaient substantiellement contribué à la reconnaissance de la culpabilité de l’accusé et que rien n’indiquait qu’il était urgent ou nécessaire d’obtenir des renseignements auprès de l’accusé au moment de sa détention, la Cour a ordonné l’exclusion de ces éléments de preuve. La majorité a soutenu que l’admission de ce genre de preuve équivaudrait « en général » à un tort substantiel ou à une erreur judiciaire. C’est pourquoi il n’était pas possible d’employer le sous-alinéa 686(1)b)(iii) du Code criminel pour corriger les erreurs commises par le tribunal de première instance.

Dans l’affaire Collins, la Cour a déclaré que la déconsidération de l’administration de la justice suppose un examen du point de vue de la collectivité dans son ensemble. Le critère est le suivant : l’admission des éléments de preuve porterait-elle atteinte à la réputation de l’administration de la justice aux yeux d’une personne raisonnable, impartiale et parfaitement au courant des circonstances de l’espèce?

Dans les affaires R. c. Burlingham() (droit à un avocat) et R. c. Silveira() (perquisition et saisie abusives), la Cour suprême du Canada a examiné les facteurs antérieurement analysés dans l’affaire R. c. Collins concernant l’exclusion d’éléments de preuve en vertu du paragraphe 24(2). Elle a énoncé les trois principaux facteurs suivants : a) « L’admission des éléments de preuve compromet-elle l’équité du procès? b) Quelle est la gravité de l’infraction à la Charte? c) Quel serait l’effet de l’exclusion des éléments de preuve sur la réputation du système de justice? » Les réponses à ces questions peuvent dépendre d’un certain nombre de facteurs, notamment la nature des éléments de preuve et la question de savoir s’ils auraient été très probablement obtenus autrement; la bonne foi ou l’absence de bonne foi de la police; et la gravité du crime.

En ce qui a trait à la première série de facteurs, la Cour suprême a, depuis, pesé l’importance de l’effet des éléments de preuve obtenus illégalement sur l’équité d’un procès en se demandant si les éléments de preuve avaient été obtenus en « mobilisant ou non l’accusé contre lui-même ».

  • Il y a mobilisation de l’accusé contre lui-même si celui-ci est contraint, contrairement aux garanties de la Charte, « de s’incriminer soit par une déclaration, soit par l’utilisation comme preuve de son corps ou de substances corporelles » (dans le cas d’une déclaration, cela inclut les éléments de preuve dérivés).
  • Il n’y a pas mobilisation de l’accusé contre lui-même si celui-ci n’est pas contraint de participer à la création ou à la découverte d’éléments de preuve. Il s’agit d’éléments de preuve qui existent indépendamment de l’infraction à la Charte et sous une forme utilisable par l’État.

Dans l’affaire R. c. Stillman(), la Cour a conclu que l’admission d’éléments de preuve obtenus en mobilisant l’accusé contre lui-même compromet l’équité du procès si l’État ne réussit pas à prouver, selon la prépondérance des probabilités, que ces éléments de preuve auraient été découverts par des moyens ne mobilisant pas l’accusé contre lui-même. Comme un procès inéquitable porterait nécessairement atteinte à la réputation de l’administration de la justice, la Cour, en règle, générale, exclura ce genre d’éléments de preuve sans autre forme de débat. Si l’État réussit à prouver, selon la prépondérance des probabilités, que les éléments de preuve obtenus en mobilisant l’accusé contre lui-même auraient été découverts par des moyens ne mobilisant pas l’accusé contre lui-même, leur admission ne compromettra généralement pas l’équité du procès. Dans ce cas, il y aura lieu de tenir compte des autres facteurs. Pour ce qui est des éléments de preuve obtenus sans mobiliser l’accusé contre lui-même, leur admission ne compromettra pas l’équité du procès, et la Cour passera à l’examen des autres facteurs.

La deuxième série de facteurs dont les tribunaux doivent tenir compte a trait à la gravité de l’infraction à la Charte. Les tribunaux se soucient surtout des répercussions de l’infraction sur l’accusé et des motivations ou convictions de la police. Ils s’interrogeront sur de nombreux aspects, dont les suivants :

  • La police a-t-elle agi « de bonne foi »?
  • S’agit-il d’une erreur ou d’une question simplement technique?
  • S’agissait-il d’une situation d’urgence?
  • Les policiers avaient-ils des motifs raisonnables et probables d’agir ainsi?
  • Les éléments de preuve auraient-ils pu être obtenus sans infraction à la Charte?

La troisième série de facteurs a trait à l’effet qu’aurait l’exclusion des éléments de preuve sur la réputation du système. Les tribunaux s’interrogeront sur la gravité du délit et sur l’importance des éléments de preuve pour la poursuite. Si ces éléments de preuve sont indispensables et que le délit est grave, il est peu probable qu’ils seront exclus si la violation de la Charte est de nature mineure.

Dans les affaires de drogues, les substances elles-mêmes ne seront pas considérées comme des éléments de preuve obtenus en mobilisant l’accusé contre lui-même à moins qu’elles soient dérivées d’éléments de preuve ainsi obtenus. Ainsi, dans la plupart des affaires de drogues, les éléments de preuve seront considérés comme obtenus sans mobiliser l’accusé contre lui-même, et ce sont les deuxième et troisième séries de facteurs dont il y aura lieu de tenir compte. Certains critiquent la façon dont ces facteurs sont appliqués aux infractions liées aux drogues. Don Stuart, par exemple, estime ce qui suit :

[Traduction]

L’impression que laissent ces récentes décisions de la Cour suprême et de la Cour d’appel de l’Ontario, notamment dans les affaires de drogues, est que ces tribunaux semblent généralement déterminés à ne pas exclure d’éléments de preuve réels obtenus en violation de l’article 8. Ces tribunaux ont tendance à engrener la rhétorique relative au troisième facteur de l’affaire Collins au sujet de la gravité du délit et de l’effet de l’exclusion des éléments de preuve fiables sur la réputation du système si cela devait entraîner un non-lieu. S’il s’agit là de la principale raison de l’admission des éléments de preuve, il faut y voir une ironie et une incohérence eu égard à la perspective adoptée dans l’affaire Stillman, au sens où la gravité du délit et la fiabilité des éléments de preuve ne sont pas des facteurs pertinents lorsque les éléments de preuve compromettent l’équité du procès. Au Canada, les procès au criminel en vertu de la Charte n’ont plus seulement trait à la détermination de la culpabilité ou de l’innocence de l’accusé, et c’est trahir la Charte que de préconiser un retour à la période antérieure à la Charte, lorsque la conduite de la police n’était pas un facteur important. La répugnance particulière que l’on éprouve à l’égard des infractions liées aux drogues a bien pu influer sur la réflexion associée au deuxième facteur de l’affaire Collins, de sorte que la gravité de l’infraction à la Charte est indûment sous-estimée. Les tribunaux, qui sont les gardiens de la Charte, doivent se placer au-dessus de la lutte antidrogues. Cette catégorie d’infractions n’exige pas de normes spéciales ou moindres du point de vue de la Charte.()

Si les tribunaux hésitent à exclure les éléments de preuve, ils risquent de faire passer un message ambigu : les policiers seront reconnus coupables d’avoir enfreint les droits d’une personne selon la Charte, mais ils n’auront guère de raisons de respecter les limites imposées par les tribunaux s’il n’y a pas de conséquences négatives à leur conduite, c’est-à-dire si les éléments de preuve ne sont pas exclus.

Même si les tribunaux n’excluent pas les éléments de preuve, il est important que les policiers soient informés des nouvelles règles si l’on veut qu’ils transforment leur attitude.

[Traduction]

L’élément le plus important dans l’application des décisions de la Cour suprême du Canada est la communication efficace de l’information à la police. Les policiers doivent savoir qu’il y a eu une décision, ce qu’elle dit et ce qu’ils doivent faire pour s’y conformer. Les décisions doivent être claires afin que ces objectifs puissent être réalisés. Les décisions judiciaires sont, par nature, vagues et ambiguës. Ce manque de clarté risque d’entraver leur application efficace avant même que la police soit informée. La transmission de la décision risque d’être inefficace si son contenu est déformé en cours de route, n’atteint pas directement les policiers ou est filtré par le destinataire. Enfin, les décisions doivent être cohérentes, faute de quoi le pouvoir discrétionnaire de la police s’accroît, et les objectifs de la Cour ont moins de chances d’être réalisés().

Les autres facteurs déterminant la façon dont la police appliquera les décisions des tribunaux sont la disponibilité de ressources suffisantes, l’attitude de la police et la structure bureaucratique.


LA PROVOCATION POLICIÈRE ET LES ACTIVITÉS ILLÉGALES DE LA POLICE

A. Introduction

Nous analyserons ici les règles qui concernent la doctrine de la provocation policière. Nous aborderons également la question des activités illégales entreprises par la police dans l’exercice de ses fonctions. Ces deux questions sont distinctes, mais elles sont liées entre elles parce qu’elles relèvent toutes les deux de la doctrine de l’abus de procédure. Il s’agit également d’exemples de la façon dont les tribunaux fixent les limites des enquêtes policières. Comme nous l’avons vu précédemment, c’est un fait depuis longtemps reconnu que les crimes consensuels (notamment les infractions liées aux drogues) sont beaucoup plus difficiles à dépister et qu’il peut être nécessaire d’accorder des pouvoirs d’enquête spéciaux à la police. Les tactiques employées par la police pour donner à quelqu’un l’occasion de commettre une infraction et les activités illégales de la police ne sont pas limitées au domaine des drogues, mais on peut dire que ces tactiques sont plus particulièrement employées dans le cadre des enquêtes sur ce type d’infraction.

B. La provocation policière

Dans certains cas, la police a recours à des indicateurs (y compris des indicateurs rémunérés) ou à des agents infiltrés pour obtenir de l’information sur les délits. Dans le cas des infractions consensuelles, comme celles qui ont trait aux drogues, l’infiltration d’un groupe et la personnification d’un participant consensuel sont souvent le seul moyen d’obtenir des éléments de preuve. Il s’agit généralement d’observer un suspect et, dans certains cas, de lui donner l’occasion de commettre une infraction. La police doit s’assurer que l’indicateur ou l’agent infiltré ne vont pas trop loin. Lorsque les actions de la police sont excessives, l’accusé peut tenter d’invoquer la doctrine de la provocation policière.

La citation ci-dessous explique certains des dangers associés à la provocation policière.

[Traduction]

La provocation policière contribue à la perpétration d’un crime, contrairement à d’autres techniques policières employées dans le cadre d’une enquête postérieure à un crime. Ce genre de conduite, qui propage le crime et y incite artificiellement, risque de criminaliser des personnes non prédisposées et de miner la confiance du public dans l’administration de la justice et le respect de la collectivité pour celle-ci().

La principale cause concernant la provocation policière est l’affaire R. c. Mack(), qui a été jugée par la Cour suprême du Canada. En l’espèce, l’accusé avait déjà été reconnu coupable de plusieurs infractions liées aux drogues, mais il semblait avoir renoncé à l’usage de drogues. Un indicateur de la police (une ancienne connaissance à lui) l’avait approché et n’avait cessé, pendant des mois, de lui demander de lui fournir des narcotiques. L’accusé avait fait savoir que cela ne l’intéressait pas. Un jour, ils étaient allés se promener en forêt, et l’indicateur avait sorti une arme de poing dans l’intention de lui montrer son adresse au tir. À cette occasion, il avait abordé la question des drogues et avait fait certaines remarques que l’accusé avait considérées comme des menaces. L’accusé avait ultérieurement été invité à téléphoner à l’indicateur, mais il ne l’avait pas fait. Il avait fini par le rencontrer parce qu’il était terrifié. À cette rencontre, l’accusé avait été informé de l’existence d’un réseau, et un agent infiltré lui avait montré une grande quantité d’argent. On lui avait demandé d’obtenir un échantillon de cocaïne. Il l’avait obtenu auprès d’un fournisseur qu’il avait connu auparavant. Plus tard, il avait livré 12 onces de cocaïne à l’indicateur (suite à d’autres menaces). Il avait été accusé de possession de narcotiques en vue du trafic de drogues.

Le juge Lamer (selon son titre d’alors) avait rendu le jugement unanime de la Cour suprême du Canada. Il avait expliqué que la provocation policière n’est pas un moyen de défense au fond (comme la nécessité ou la contrainte) et il avait précisé que la logique de ce moyen de défense n’est pas l’absence de culpabilité de l’accusé (puisque les éléments généraux du délit sont généralement présents). Il s’agit plutôt de la nécessité pour la Cour de préserver « l’intégrité de l’administration de la justice » et d’éviter l’abus de procédure judiciaire. La provocation policière relève donc de la doctrine de common law de l’abus de procédure.

Le tribunal, en fait, dit qu’il ne saurait excuser un comportement, ni paraître lui apposer le sceau de son approbation, quand il transcende ce que notre société perçoit comme étant acceptable de la part de l’État. La suspension de l’instance introduite contre l’inculpé est la manifestation de la désapprobation du tribunal face au comportement de l’État. La suspension profite de toute évidence à l’inculpé, mais la Cour s’intéresse d’abord à une question plus large : le maintien de la confiance publique dans la procédure légale et judiciaire. De cette manière, le bénéfice qu’en retire l’inculpé n’est en réalité qu’incident().

La Cour ne dit donc pas que l’accusé mérite d’être acquitté, mais que l’État n’a pas le droit d’obtenir une reconnaissance de culpabilité en abusant de la procédure et que la poursuite doit être suspendue.

Selon le juge Lamer, il y a provocation policière lorsque la police dépasse les limites acceptables. C’est le cas dans les circonstances suivantes :

  • les autorités fournissent à une personne l’occasion de commettre une infraction sans pouvoir raisonnablement soupçonner que cette personne est déjà engagée dans une activité criminelle, ni se fonder sur une véritable enquête; ou
  • quoi qu’elles aient ce doute raisonnable ou qu’elles agissent au cours d’une véritable enquête, les autorités font plus que fournir une occasion et incitent à perpétrer une infraction.

Pour prouver la provocation policière, il suffit à l’accusé de prouver que l’un ou l’autre de ces critères est rempli.

Selon le juge Lamer, « [c]omme […] la doctrine de la provocation policière ne dépend pas de la culpabilité, il ne faut pas axer l’analyse sur l’effet de la conduite de la police sur l’état d’esprit de l’inculpé »(). Plutôt qu’une perspective subjective, il vaut mieux procéder à une évaluation objective de la conduite de la police. Le juge Lamer estime que, relativement à la question de savoir si la police a provoqué la perpétration de l’infraction, il serait utile de se demander si la conduite de la police aurait incité une personne ordinaire (et non l’accusé en particulier) dans la situation de l’accusé à commettre l’infraction en question.

D’après les directives énoncées par la Cour suprême du Canada, les policiers sont tenus de soupçonner raisonnablement que l’accusé est déjà engagé dans des activités criminelles ou doivent agir dans le cadre d’une véritable enquête. L’exigence du soupçon raisonnable a pour raison le « danger que [la police] n’entraîne des gens qui autrement n’auraient été impliqués dans aucun crime, et [le fait] qu’on ne doit pas avoir recours à la force policière simplement pour éprouver au hasard la vertu des gens »(). La conduite de la police doit être jugée objectivement dans toute la mesure du possible, et, en règle générale, la prédisposition (ou l’activité criminelle antérieure, actuelle ou présumée de l’accusé) est un facteur pertinent uniquement en ce qui a trait à la question de savoir si la police avait un soupçon raisonnable. La prédisposition de l’accusé ne sert donc généralement qu’à déterminer si la création d’une occasion de commettre l’infraction était justifiée (parce que, s’il n’y a pas soupçon raisonnable, il peut s’agir de la part de la police d’une mise à l’épreuve au hasard de la vertu des gens, ce qui n’est pas permis). La Cour a également précisé qu’« il doit y avoir un lien rationnel et une certaine proportionnalité » entre le crime faisant l’objet d’un soupçon raisonnable de la part de la police et le crime qu’elle donne l’occasion de commettre à l’accusé. Il doit également y avoir un « lien temporel » (la conduite de l’accusé ne doit pas remonter trop loin). Le soupçon raisonnable de la police peut s’appuyer sur de nombreux facteurs, et il n’est pas nécessaire que l’un d’eux soit une condamnation antérieure. En fait, une condamnation antérieure en soi ne serait généralement pas un motif suffisant pour susciter un soupçon raisonnable. La Cour suprême du Canada est d’avis que la première forme de provocation policière (absence de soupçon raisonnable) « ne risquait pas de se produire » dans le cadre des activités policières au Canada au moment du jugement.

En résumé, il doit y avoir un lien suffisant entre la conduite antérieure de l’accusé et les circonstances de l’occasion qui lui est donnée, mais la prédisposition de l’inculpé n’est pas pertinente « pour déterminer si la police est allée au-delà d’une offre, puisqu’il faut l’évaluer en fonction de ce qu’une personne moyenne, non prédisposée, aurait fait »().

Pour déterminer si la police est allée au-delà d’une offre, le tribunal évaluera la liste non exhaustive de facteurs suivants :

  • le genre de crime qui fait l’objet de l’investigation et la disponibilité d’autres techniques pour la détection par la police de sa perpétration;
  • si l’individu moyen, avec ses points forts et ses faiblesses, dans la situation de l’inculpé, aurait été incité à commettre un crime;
  • la persistance et le nombre de tentatives faites par la police avant que l’inculpé n’accepte de commettre une infraction;
  • le genre d’incitations utilisées par la police, y inclus la tromperie, la fraude, la supercherie ou la récompense;
  • le moment où se situe la démarche de la police, en particulier si la police a déjà fait enquête au sujet de l’infraction ou si elle intervient alors que l’activité criminelle est en cours;
  • si la démarche de la police présuppose l’exploitation d’émotions humaines, telles la compassion, la sympathie et l’amitié;
  • si la police paraît avoir exploité une vulnérabilité particulière d’une personne, comme un handicap mental ou l’accoutumance à une substance particulière;
  • la proportionnalité de l’implication de la police, comparée à celle de l’inculpé, y compris une évaluation du degré du dommage causé ou risqué par la police, en comparaison de celui de l’inculpé, et la perpétration de tout acte illégal par les policiers eux-mêmes;
  • l’existence de menaces, tacites ou expresses, proférées envers l’inculpé par la police ou ses agents;
  • si la conduite de la police cherche à saper d’autres valeurs constitutionnelles().

Le juge Lamer a fait la déclaration suivante à ce sujet :

La description des comportements qui précède ne se veut pas exhaustive, où toutes les situations possibles seraient envisagées, ni décisive, quant à l’évaluation de sa régularité. Elle a pour unique but d’illustrer que, dans tous les cas, quel qu’en soit le nombre, la raison pour laquelle il y a « irrégularité » peut varier. On ne peut dire qu’une seule raison sera concluante ou décisive. La question de l’acceptation de la conduite de la police doit être examinée en fonction de l’ensemble des circonstances. Il importe de rappeler en tout temps le contexte dans lequel la provocation policière se produit habituellement. Comprendre la réalité de l’activité criminelle est impératif pour l’élaboration d’une doctrine fonctionnelle qui serve les intérêts de tous dans la société. À cet égard, on peut accorder plus de latitude aux méthodes policières visant à mettre en lumière une conduite criminelle que les techniques traditionnelles utilisées pour faire respecter la loi ne permettent tout simplement pas de dépister().

La Cour suprême du Canada adopte manifestement une perspective contextuelle relativement à la doctrine de la provocation policière. Comme nous l’avons dit dans notre introduction, la déclaration ci-dessus est un autre exemple de la façon dont les tribunaux reconnaissent que la police devrait avoir plus de latitude lorsqu’il est question d’infractions liées aux drogues et autres infractions consensuelles.

La Cour a ajouté que, comme la question de la participation illégale de l’État à l’instigation d’une activité criminelle est de l’ordre du droit ou à la fois du droit et des faits, c’est le juge de première instance, et non pas le jury, qui doit trancher la question de la provocation policière. Et cela n’est possible que lorsque l’État s’est acquitté de la tâche de prouver au-delà de tout doute raisonnable que l’accusé a commis tous les éléments essentiels de l’infraction. Si l’infraction n’est pas prouvée, la question de la provocation policière n’est pas soulevée. Si l’infraction est prouvée, il incombe à l’accusé « de prouver par prépondérance des probabilités que la conduite de l’État constitue un abus de procédure pour cause de provocation policière ». Si l’accusé obtient gain de cause, l’issue du procès est une suspension de l’instance et non l’acquittement.

La Cour suprême du Canada a ajouté que l’allégation de provocation policière est très grave et qu’il convient de laisser à l’État un large pouvoir pour élaborer des techniques propices à la lutte contre la criminalité dans la société. Ce n’est que lorsque la police et ses agents adoptent des comportements contraires aux valeurs fondamentales de la collectivité que la doctrine de la provocation policière doit être invoquée. La Cour a précisé qu’une suspension de l’instance ne doit être décidée que dans « les cas les plus manifestes »(). L’accusé peut donc avoir du mal à prouver qu’il y a eu provocation policière. Et cela n’est possible que si l’accusé parvient à prouver que son procès est contraire aux valeurs sociales d’équité et de convenance.

En l’espèce (R. c. Mack), la Cour suprême a conclu qu’une évaluation objective de la conduite de la police donnait lieu à la conclusion qu’il y avait eu provocation policière. S’il semblait que la police soupçonnait raisonnablement que l’accusé avait participé à des activités criminelles (premier critère), ses efforts étaient allés au-delà de l’offre d’une occasion et avaient incité l’accusé à commettre l’infraction (deuxième critère). Rappelons que la Cour a précisé que, en matière d’infractions liées au trafic de drogues, l’État doit disposer de beaucoup de latitude. Ce type de délit « ne se prête pas au mécanisme traditionnel d’enquête policière ». La Cour a ajouté qu’il s’agit d’un « crime aux conséquences sociales énormes, qui cause un dommage considérable à la société en général » et que « ce facteur, à lui seul, est des plus critiques »().

Cependant, d’après la Cour, la police ne semblait pas avoir interrompu une activité criminelle en cours, et l’infraction avait été perpétrée à cause de sa conduite et ne se serait pas produite sans sa participation. La Cour a notamment tenu compte du fait que l’accusé avait affirmé qu’il n’avait plus rien à voir avec la drogue, du temps écoulé et des demandes répétées qu’il a fallu lui adresser avant qu’il accepte de commettre l’infraction. Cela semble indiquer que la police a dû aller au-delà de la simple offre. Le facteur le plus important et le plus déterminant dans cette affaire est le fait que l’indicateur a agi de façon menaçante. La Cour a estimé que sa conduite était inacceptable et que, si la police devait utiliser des tactiques de ce genre, elle avait fait plus qu’offrir une occasion à l’accusé. Une personne ordinaire dans la situation de l’accusé « aurait pu aussi commettre l’infraction, ne serait-ce que pour satisfaire enfin l’indicateur menaçant et rompre tout contact ». La Cour a donc conclu que la conduite de la police avait été inacceptable et que la doctrine de la provocation policière justifiait l’interdiction de la poursuite de l’accusé.

La Cour suprême a déclaré dans l’affaire Mack que la mise à l’épreuve aléatoire de la vertu des gens n’est pas une chose permise car elle risque d’inciter des innocents à commettre une infraction, mais elle fait une exception à l’exigence du soupçon raisonnable à l’égard de la personne incriminée dans le cas d’une véritable enquête portant sur un secteur où l’on a des motifs raisonnables de soupçonner l’existence d’activités criminelles.

Dans ces cas, il est tout à fait permis de fournir des occasions à ceux qui sont associés aux lieux suspectés même si ces gens ne sont pas eux-mêmes soupçonnés. Cette dernière situation n’est seulement justifiée que si la police procède à une véritable enquête et ne cherche pas à éprouver la vertu des gens. Quoique, au cours d’une telle opération, donner par hasard une occasion à des gens de commettre un crime risque malheureusement d’amener à le faire quelqu’un qui n’aurait autrement pas eu de conduite criminelle, cela est inévitable si nous devons donner à nos policiers les moyens de faire face au crime organisé, comme le trafic de stupéfiants et certaines formes de prostitution pour ne nommer que ces deux-là().

Il est clair que cette exception peut s’appliquer aux lieux connus de trafic de drogues. L’affaire R. c. Barnes() en est un exemple : le suspect avait été accusé d’un certain nombre d’infractions, dont le trafic de cannabis. Un agent infiltré avait approché l’accusé et son ami parce qu’ils correspondaient généralement au portrait de gens susceptibles de posséder et de vendre de la drogue. Après une brève conversation, l’accusé avait accepté de vendre du hachisch à l’agent infiltré. L’endroit où avait eu lieu l’arrestation (une allée piétonnière de six pâtés de maison) était une zone bien connue de trafic de drogues, et la police y avait effectué ce qu’on appelle des « achats bidons ». Pour se défendre, l’accusé avait invoqué la provocation policière.

La Cour suprême du Canada a rappelé les conditions dans lesquelles il y a provocation policière. Comme, en l’espèce, la police n’avait pas de soupçon raisonnable concernant la participation de l’accusé à des activités illicites liées aux drogues, la conduite de la police équivaudrait à de la provocation à moins que son stratagème fasse partie d’une enquête en bonne et due forme. Ainsi, bien que la règle de base veuille que la police n’offre la possibilité de commettre une infraction qu’à un suspect dont elle soupçonne de façon raisonnable qu’il est déjà engagé dans des activités criminelles, il y a exception si cette conduite entre dans le cadre d’une enquête en bonne et due forme portant sur un secteur où l’on a des raisons de soupçonner l’existence d’activités criminelles. Si l’endroit est défini avec « suffisamment de précision », la police peut offrir à n’importe quelle personne associée à ce secteur l’occasion de commettre l’infraction en question. Dans ce cas, la conduite de la police ne serait pas considérée comme une mise à l’épreuve aléatoire de la vertu des gens.

En l’espèce, la Cour a conclu que la police procédait à une enquête en bonne et due forme parce que sa conduite était motivée par l’objectif réel de faire enquête et de réprimer l’activité criminelle. Elle s’est appuyée sur le fait que la police avait des motifs valables de croire que des infractions liées aux drogues étaient commises dans tout le secteur de la rue piétonnière. La Cour a répondu à la préoccupation que cela représentait un secteur plutôt vaste. De l’avis du juge en chef Lamer, la police n’aurait pas pu régler le problème efficacement si elle avait limité son enquête à une zone plus restreinte. Il a déclaré ce qui suit : « Le trafic de drogues était certes particulièrement actif dans certaines zones de Granville Mall, mais ce commerce se pratiquait généralement, il est vrai, dans tout le secteur. Il est aussi vrai que les trafiquants n’opéraient pas en un seul lieu. Il serait irréaliste que les policiers concentrent leur enquête en un seul endroit particulier de la rue piétonnière étant donné la tendance des trafiquants de modifier leurs techniques en réponse aux enquêtes policières »(). Le juge a cependant ajouté que, dans bien des cas, « l’étendue du secteur lui-même peut indiquer qu’il ne s’agit pas d’une enquête véritable »().

Puis le juge en chef Lamer a clarifié une déclaration qu’il avait faite dans l’affaire Mack :

Cet énoncé ne doit pas être interprété comme signifiant que la police ne peut, au cours d’une véritable enquête, aborder les gens au hasard pour leur fournir l’occasion de commettre une infraction. La règle fondamentale qui se dégage de l’arrêt Mack est que la police ne peut fournir l’occasion de commettre un crime donné qu’à un individu dont la conduite fait naître le soupçon qu’il est déjà engagé dans une activité criminelle particulière. Il y a exception à cette règle dans les cas où la police entreprend une véritable enquête dans un secteur dont on peut raisonnablement soupçonner qu’il est le théâtre d’activités criminelles. Lorsque ce secteur est défini avec suffisamment de précision, la police peut fournir à toute personne qui y est associée l’occasion de commettre l’infraction en particulier. Cette façon de procéder au hasard est permise dans le cadre d’une véritable enquête.

À l’inverse, on ne peut dire d’une opération qu’elle vise à éprouver au hasard la vertu des gens que dans les cas où un policier donne à une personne l’occasion de commettre une infraction sans avoir de bonnes raisons de soupçonner :

a) que cette personne est déjà engagée dans une activité criminelle donnée; ou

b) que le lieu physique auquel la personne est associée est susceptible d’être le théâtre de cette activité criminelle.

En l’espèce, l’accusé a été abordé par la policière alors qu’il marchait près de Granville Mall. Pour qu’une personne soit, aux fins en cause, « associée » à un secteur en particulier, il suffit qu’elle y soit présente. Ainsi, l’accusé était associé à un lieu dont on pouvait raisonnablement croire qu’il était le théâtre de crimes liés à la drogue. La conduite de la policière était donc justifiée en vertu du premier volet du critère de la provocation policière énoncé dans l’arrêt Mack.

Pour ces motifs, j’estime que la policière ne cherchait pas, en l’espèce, à éprouver au hasard la vertu des gens().

Dans une opinion dissidente, la juge McLachlin (selon son titre d’alors) avait exprimé son inquiétude relativement à l’équilibre qu’il convenait de maintenir entre « l’intérêt de l’État à réprimer la criminalité » et la liberté des particuliers de « vaquer à leurs affaires […] sans courir le risque d’être exposés aux techniques clandestines d’enquête des agents de l’État »(). Selon elle, « un critère qui ne permet pas d’évaluer l’atteinte à la liberté et à la vie privée des personnes pour déterminer s’il y a eu provocation est, dans cette mesure, insuffisant »(). Elle a précisé que, pour décider si une enquête est véritable ou non, il faut tenir compte non seulement des motifs de la police et de la question de savoir s’il se produit des infractions dans la zone générale, « mais aussi d’autres facteurs utiles pour déterminer l’équilibre, comme la probabilité que des infractions soient commises à l’endroit particulier visé, la gravité de l’infraction en cause, le nombre de personnes et d’activités légitimes qui peuvent être touchées et l’existence de techniques d’enquête moins envahissantes »().

Le critère proposé par la juge McLachlin est le suivant : « En fin de compte, il s’agit de se demander si l’interception qui s’est produite à l’endroit précis en cause était raisonnable eu égard aux intérêts opposés, celui des particuliers d’être laissés tranquilles, d’une part, et celui de l’État de combattre la criminalité, d’autre part. Si la réponse à cette question est affirmative, il s’agit alors d’une enquête véritable »(). En l’espèce, elle n’aurait pas conclu qu’il s’agissait d’une enquête véritable parce que rien n’indiquait qu’un trafic était susceptible de se produire à l’endroit et au moment où l’accusé a été approché. Elle a rappelé que la rue piétonnière en question était une zone plutôt vaste du centre-ville de Vancouver et elle a attiré l’attention sur la diversité de cette zone (où l’on trouve des cinémas, des restaurants, des tours à bureaux, etc.). Elle aurait, semble-t-il, conclu à l’enquête véritable si la zone avait été plus limitée et caractérisée par des activités de trafic de drogues. Elle a également tenu compte de l’effet que l’enquête aurait pu avoir sur des citoyens respectueux de la loi et engagés dans des activités licites. Étant donné la diversité de la zone, elle a estimé que « la possibilité que cette opération d’infiltration gêne des activités légitimes était grande »(), ajoutant que, en l’espèce, « même s’il n’est pas question de l’approuver, l’infraction en cause ici ne peut être tenue pour grave »(). Selon elle, les infractions liées à la marijuana et au hachisch, du moins en faibles quantités, sont moins graves que celles qui ont trait aux drogues « dures » telles que la cocaïne et l’héroïne. Enfin, elle a estimé qu’il existait d’autres modes d’enquête pour ce genre d’infraction (la simple observation, par exemple). Elle était donc d’avis que « […] en l’espèce, l’intérêt des particuliers à être laissés tranquilles et à vaquer à leurs occupations quotidiennes sans être importunés par des agents d’infiltration l’emporte largement sur l’intérêt de l’État à réprimer la criminalité »(). Elle semblait s’inquiéter que l’on donne « carte blanche » à la police pour intercepter un grand nombre de citoyens respectueux de la loi().

En résumé, les principaux enjeux de la provocation policière sont les suivants : la police avait-elle des motifs ou des soupçons valables justifiant sa décision de viser tel suspect ou agissait-elle dans le cadre d’une enquête en bonne et due forme? De plus, même si le premier critère est rempli, il faut se demander si la police a fait plus qu’offrir une occasion en déterminant si les tactiques employées auraient incité une personne ordinaire à commettre une infraction. Comme nous l’avons vu, la Cour suprême du Canada a fixé les principes généraux applicables à ces questions. Rappelons, cependant, que, en ce qui a trait à la provocation policière, [Traduction] « les situations factuelles peuvent varier énormément, et c’est pourquoi, bien que des principes généraux commencent à émerger, leur application n’est pas toujours évidente et risque de donner lieu à des désaccords »(). Les tribunaux estiment que chaque cas doit être évalué isolément, ce qui complique la tâche de fournir des règles plus précises au sujet de la conduite de la police.

Aucun tribunal n’a encore défini de façon aussi détaillée ce qu’il faut entendre par « provocation policière » que la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Mack, mais peu de décisions permettent de se faire une idée de ce qui constitue une provocation policière.

Dans l’affaire R. v. Meuckon, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a conclu que le juge de première instance a commis une erreur en n’examinant pas le rapport entre l’accusé et l’agent infiltré pour déterminer s’il y avait eu provocation policière(). Pour déterminer s’il y a eu provocation policière, le juge de première instance doit décider si l’agent de police [Traduction] « a incité l’accusé à commettre l’infraction en lui faisant des cadeaux, en se montrant importun de façon insistante et en suscitant sa compassion, sa sympathie et son amitié en inventant une histoire de refus d’emploi s’il ne fournissait pas de la cocaïne au fils de son employeur prospectif »(). La Cour d’appel a donc accueilli l’appel, annulé les condamnations et ordonné un nouveau procès.

Raisonnant de la même façon, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a conclu, dans l’affaire R. c. Laverty, que le juge de première instance était contraint de rendre une conclusion de fait s’il s’avérait que l’indicateur avait proféré des menaces, explicites ou implicites, car les menaces sont un signe possible de provocation policière().

Dans l’affaire R. c. Kenyon, un agent de police avait arrêté l’accusé après avoir discuté avec lui dans un pub. Il n’enquêtait pas sur qui que ce soit au pub ce soir-là, et la police ne soupçonnait pas l’existence d’activités criminelles à cet endroit ou dans les environs(). La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a conclu que [Traduction] « si l’agent procédait à une mise à l’épreuve aléatoire, toute personne qui aurait réagi en commettant une infraction aurait eu droit à une suspension de l’instance, que sa réaction ait été directement liée à l’offre directe de l’agent ou qu’elle ait été dérivée d’une occasion dérivée de la police() ».

Dans les affaires R. c. Fortin(), R. c. Maxwell() et R. c. Smith(), les tribunaux ont accordé beaucoup d’importance au fait que l’accusé n’avait jamais été engagé dans le trafic de drogues. Dans les affaires Maxwell et Smith, ils ont ajouté que la persistance de la police ou de ses agents était un facteur. Dans l’affaire Fortin, l’accusé était un drogué notoire, mais il n’avait jamais été soupçonné de trafic. Dans l’affaire Maxwell, l’accusée n’avait jamais participé à des activités criminelles avant que la police décide de l’y inciter. Dans l’affaire Smith, l’accusé n’était même pas un drogué, encore moins un trafiquant.

La doctrine de la provocation policière ne permet pas la mise à l’épreuve aléatoire de la vertu (puisqu’il faut soupçonner l’existence d’activités criminelles) et elle fait donc obstacle à l’intrusion arbitraire de la police dans la vie des gens, mais l’exception formulée dans Barnes réduit effectivement cette protection dans le cas d’une enquête véritable.

 

C. Les activités illégales

La doctrine de la provocation policière suppose l’examen de la question de savoir si la police a fait plus qu’offrir l’occasion de commettre une infraction et si une suspension de l’instance s’impose donc. Comme nous l’avons vu, à mesure que les contrevenants deviennent plus subtils, la police adopte de nouveaux instruments d’enquête pour tenter de suivre cette évolution (y compris les cas où des policiers enfreignent la loi dans l’exercice de leurs fonctions). C’est le cas, par exemple, dans les enquêtes relatives aux drogues, lorsque la police se livre à des activités comme les opérations « achat bidon » et les opérations de vente surveillée par l’intermédiaire d’agents infiltrés. La question que cela soulève est celle de savoir si ce genre de conduite donne lieu à un abus de procédure tel qu’un sursis de l’instance sera accordé().

La question des activités illégales de la police renvoie à la doctrine de l’abus de procédure. Il est clair qu’il existe des analogies avec la question de la provocation policière, qui est simplement une application de la doctrine de l’abus de procédure. Dans ces causes, les tribunaux se préoccupent de ne pas ternir leur intégrité et de protéger la procédure judiciaire et l’administration de la justice contre le discrédit. La formulation classique du critère applicable à l’abus de procédure est la suivante :

Je fais mienne la conclusion de la Cour d’appel de l’Ontario dans son arrêt R. v. Young […] et j’affirme que « le juge du procès a un pouvoir discrétionnaire résiduel de suspendre l’instance lorsque forcer le prévenu à subir son procès violerait les principes de justice fondamentaux qui sous-tendent le sens du franc-jeu et de la décence qu’a la société, ainsi que d’empêcher l’abus des procédures de la Cour par une procédure oppressive ou vexatoire ». J’adopte aussi la mise en garde que fait la Cour dans l’arrêt Young, portant que c’est là un pouvoir qui ne peut être exercé que dans les « cas les plus manifestes »().

Dans l’arrêt Mack, le juge Lamer (selon son titre d’alors) a déclaré ce qui suit concernant la question de savoir si la conduite de la police revient à de la provocation :

Il est pertinent de savoir si la police ou ses agents eux-mêmes ont commis des crimes dans leur effort pour inciter un tiers à en commettre, mais je ne suis pas prêt à adopter une règle absolue qui interdise à l’État d’être mêlé à une conduite illégale().

La principale cause relative aux activités illégales de la police est l’affaire R. c. Campbell(). C’est le juge Binnie qui a rendu la décision unanime de la Cour suprême du Canada. Il s’agissait de la poursuite de deux accusés relativement à une infraction de complot en vue du trafic de hachisch. La police avait procédé à une vente surveillée par l’intermédiaire d’agents infiltrés se faisant passer pour des distributeurs de grande envergure. L’un des agents avait pris contact avec le ministère de la Justice pour demander conseil au sujet de la légalité d’une opération de vente surveillée par l’intermédiaire d’un agent infiltré. Au cours de l’opération, le hachisch est en tout temps resté sous le contrôle de la police. Les accusés avaient fait valoir que la conduite de la police était illégale puisqu’elle s’était engagée elle-même dans le trafic de drogues (la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et l’exemption qu’elle prévoit n’avaient pas encore été adoptées). Ils avaient ajouté que cela constituait un abus de procédure. Les accusés avaient cherché à obtenir l’accès au conseil juridique fourni par le ministère de la Justice, quoiqu’en vain, en raison du secret professionnel.

La Cour suprême du Canada a conclu que l’activité de la police était prohibée par la Loi sur les stupéfiants. Selon la Loi, la police avait le droit de posséder des narcotiques, mais aucune disposition ne la protégeait relativement à la vente de stupéfiants : les policiers n’étaient protégés ni par l’immunité de l’État ni par l’immunité d’intérêt public. Selon la Cour suprême du Canada, la police n’était pas exempte de responsabilité pénale relativement aux actes commis dans le cadre d’une enquête, à moins que la loi l’y autorise. La Cour a ajouté que la question devait être confiée au Parlement : « S’il y a lieu de conférer à la police une certaine forme d’immunité d’intérêt public pour l’aider dans la "guerre contre la drogue", il revient au Parlement de circonscrire la nature et la portée de l’immunité ainsi que les faits qui y donnent ouverture »(). Lorsque des activités illégales présumées de la police sont autorisées par le système législatif, il n’y a pas abus de procédure.

La Cour suprême du Canada a ajouté cependant que les activités illégales de la police ne constituent pas automatiquement un abus de procédure. La légalité des actions de la police n’est que l’un des facteurs à envisager, « quoiqu’[il soit] important ».

En l’espèce, la Cour suprême du Canada a accueilli l’appel et a ordonné un nouveau procès. Elle était d’avis que le conseil juridique aurait dû être communiqué parce que la police avait invoqué ce conseil pour arguer de sa bonne foi et qu’elle avait par le fait même renoncé au secret professionnel. Si l’opération de vente surveillée par l’intermédiaire d’un agent infiltré avait été lancée en dépit d’un avis juridique contraire, cela « aurait un poids différent, sous l’angle des valeurs collectives, qu’une opinion du ministère [de la Justice] à l’effet contraire »(). La Cour a rappelé que « l’illégalité de l’action policière ne donne pas lieu automatiquement à un arrêt des procédures »(). Elle a ajouté que, si l’opération avait été lancée en dépit d’un avis juridique contraire, cela aurait été un « facteur aggravant ». Il incombait cependant au juge de première instance de décider s’il y avait lieu de suspendre l’instance à la lumière des circonstances. La Cour suprême du Canada a précisé qu’une demande de sursis d’instance dépend des faits de l’espèce et qu’il « faut procéder au cas par cas afin de soupeser les facteurs particuliers de chaque situation factuelle »(). Cette cause comportait un certain nombre de circonstances atténuantes, notamment les suivantes : la conduite de la police n’avait pas donné lieu à une violation grave des droits des accusés, la police avait pris soin de garder le contrôle des drogues et d’éviter qu’elles soient mises sur le marché et « la difficulté reconnue de la lutte contre les réseaux de drogue avec les méthodes policières traditionnelles ».

Cette décision pourrait avoir un effet important sur le mode d’exécution général de la loi au Canada, mais ses répercussions sont moins importantes dans le cas de l’exécution de la loi en matière de drogues. La raison en est que l’on a modifié la loi pour permettre aux policiers de s’engager dans des activités qui étaient en question dans l’affaire Campbell. Nous n’approfondirons donc pas plus la question des activités illégales de la police puisque des règles particulières s’appliquent aux infractions liées aux drogues.

La Loi réglementant certaines drogues et autres substances proscrit diverses activités telles que la possession, le trafic et la fabrication de drogues, tout en prévoyant certaines exemptions réglementaires, par exemple l’importation par des revendeurs autorisés et la vente par des pharmaciens. La Loi prévoit également la possibilité de passer des règlements ayant trait à l’exécution, par exemple en ce qui concerne l’exemption des policiers de l’application de la Loi dans certaines circonstances précisées dans la réglementation. Elle prévoit également la possibilité de passer des règlements « relativement aux enquêtes et autres activités policières menées aux termes de la présente loi par les membres d’un corps policier et toutes autres personnes agissant sous leur autorité et leur supervision ». La réglementation prévoit donc un cadre juridique pour les techniques spécialisées d’exécution de la loi (notamment en ce qui a trait aux opérations « achat bidon » et aux opérations de vente surveillée par l’intermédiaire d’agents infiltrés) et elle énonce les paramètres applicables à ce genre d’activités. La police s’appuie sur cette réglementation pour se protéger contre les poursuites.

L’article 3 du Règlement sur les stupéfiants autorise les policiers à posséder des narcotiques lorsque « cette possession a trait à leurs fonctions et à leurs objectifs ». De plus, le Règlement sur l’exécution policière de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances exempte les policiers des infractions de trafic, d’importation, d’exportation et de production de drogues et énonce les conditions d’admissibilité à cette exemption. Des règles différentes s’appliquent selon la source des drogues. Mais l’intéressé doit en tout temps être un membre actif de la police et il doit se trouver dans l’exercice de ses fonctions dans le cadre de l’enquête en question. Le règlement exige parfois la délivrance d’un certificat au policier. Il traite également d’autres questions, par exemple :

  • qui a le droit de délivrer un certificat;
  • les exemptions applicables aux personnes qui agissent sous la direction et l’autorité d’un policier exempté en vue d’aider cet agent dans le cadre d’une enquête;
  • la révocation de certificats;
  • les règles relatives à la détention de substances confisquées.

La loi canadienne sur les drogues n’est pas la seule qui prévoie des exemptions pour la police, mais ces exemptions sont encore assez rares.

D’autres dispositions du Code criminel et dans les lois sur les douanes et l’accise exemptent des personnes qui participent à l’application de la loi de toute responsabilité criminelle pour le blanchiment d’argent, la possession de produits de la criminalité et la possession d’armes prohibées ou à autorisation restreinte.

La loi fédérale crée également un certain nombre de mécanismes légaux permettant aux agents de la paix d’exercer des activités qui constitueraient par ailleurs une conduite illicite si un officier de justice les a approuvées au préalable. Des exemples de tels mécanismes comprennent notamment des autorisations d’écoute électronique et des mandats de prélèvement d’ADN().

 

La police est donc actuellement protégée par des exemptions législatives précises. Il est clair que la LRDS n’est pas la seule loi qui prévoie des exemptions, mais il est évident que la police a effectivement, en ce qui a trait aux infractions liées aux drogues, des pouvoirs spéciaux qu’elle n’a pas dans d’autres cas. À la suite de l’arrêt Campbell, le gouvernement a publié un Livre blanc intitulé Application de la loi et responsabilité criminelle() pour obtenir commentaires et suggestions concernant un projet d’exemption générale des policiers à l’égard de toute responsabilité criminelle. Voici la logique de ce projet :

Souvent, le moyen le plus efficace d’enquêter sur une organisation criminelle est de recourir à un agent d’infiltration ou de recruter un membre de cette organisation comme agent secret. Celui-ci devra peut-être se livrer à des activités qui seraient illégales en temps normal. Par exemple, un agent d’infiltration ou un mandataire peut être contraint à faire le trafic de drogue ou d’autres marchandises de contrebande afin d’entrer dans le « jeu » des criminels ciblés et de protéger sa couverture. De même, dans le cadre d’enquêtes criminelles, il peut être obligé de communiquer sous un prétexte de prostitution, de donner sciemment un faux nom ou de faire des paris illégaux dans des maisons de jeu. L’ancien juge en chef de la Cour suprême du Canada, Antonio Lamer, a fait remarquer dans l’arrêt Rothman c. R. qu’une enquête en matière criminelle et la recherche de criminels « rusés et souvent sophistiqués » ne sont pas un jeu qui doive obéir aux règles du marquis de Queensbury »().

Et voici une description du projet du gouvernement :

La proposition du gouvernement viserait à modifier le Code criminel afin d’accorder aux personnes chargées de l’application de la loi et celles qui agissent sous leur direction et leur autorité (« agents de police ») une immunité limitée en matière pénale pour certains actes commis durant une enquête en bonne et due forme qui constitueraient par ailleurs une infraction, si certaines conditions sont remplies.

Cette proposition ne placerait pas les personnes ci-haut mentionnées « au-dessus de la loi » et ne leur accorderait pas une immunité complète ou illimitée. Dans tous les cas, la portée de l’exemption ne viserait que des actes raisonnables et proportionnels commis uniquement dans des buts légitimes d’application de la loi. Il serait encore possible d’imposer des sanctions pénales contre les policiers s’ils agissent en dehors des limites prescrites dans le texte législatif proposé().

Ce projet a fait l’objet des critiques suivantes :

  • on n’a pas prouvé la nécessité de cette mesure législative;
  • le fait d’autoriser la police à causer des lésions corporelles est contraire à la Constitution;
  • l’absence d’autorisation judiciaire préalable n’est pas acceptable;
  • la version provisoire a une portée trop vaste en ce qui a trait aux policiers qu’elle vise et aux types d’actes criminels qu’elle permet de commettre().

CONCLUSION

Les règles de common law (relatives aux confessions et à la provocation policière) et l’introduction de la Charte ont permis aux tribunaux d’examiner la conduite et les tactiques de la police pour s’assurer qu’elles sont acceptables et ne « choquent » pas la collectivité. Comme beaucoup des causes que nous avons analysées ici l’attestent, les tribunaux imposent des limites à ce que les policiers peuvent faire ou non.

Le Parlement et les tribunaux comprennent manifestement que, à mesure que les criminels deviennent plus subtils, la police doit disposer de moyens plus perfectionnés pour lutter contre eux. Dans le cas des infractions liées aux drogues (et des autres infractions consensuelles), il peut être nécessaire de disposer de moyens supplémentaires en raison de la difficulté à faire enquête sur ce type d’infractions. Par exemple, la police a le droit, aux termes de la LRDS, de se livrer à des opérations d’« achat bidon » et à des opérations de vente surveillée par l’intermédiaire d’agents infiltrés. Il ne fait pas de doute que les pouvoirs de la police portent atteinte aux droits et libertés. Il s’agit de trouver l’équilibre qui convient entre le droit des particuliers d’être à l’abri de l’ingérence de l’État et le devoir de l’État de protéger la société.

Il est clair que les tribunaux considèrent le commerce des drogues illicites comme un problème grave. Ils font souvent état du caractère sinistre de ce commerce et de ses effets sur la société. Ils peuvent être influencés par ces considérations lorsqu’ils doivent déterminer les limites de la conduite de la police. Ils sont conscients de la difficulté du travail des policiers et sont souvent disposés à leur accorder une « latitude considérable ». En voici un exemple dans une déclaration de la Cour suprême du Canada concernant la vente de drogues : « C’est un crime qui a des conséquences dévastatrices pour les individus et la société. De plus, il s’accompagne souvent et tragiquement de l’usage d’armes à feu. Ce crime est un fléau social et aucun effort ne doit être ménagé pour l’enrayer »(). Et voici ce qu’elle a déclaré dans une autre cause : « […] notre Cour doit également tenir compte du droit de la société en matière d’application de la loi, notamment dans le domaine du commerce illégal de la drogue. Ce fléau endémique dans notre société permet à des criminels hautement perfectionnés de tirer avantage de la souffrance qu’ils infligent à d’autres ».

Cependant, comme notre analyse le révèle, la police n’a pas « carte blanche » pour faire ce qu’elle veut en vue de régler une affaire criminelle. Les tribunaux continueront d’examiner attentivement les activités de la police afin de s’assurer que sa conduite ne choque pas la collectivité et ne compromet en rien l’équité du procès des accusés.


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