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ILLE - Comité spécial

Drogues illicites (spécial)

 

PARTIE I

ÉNONCÉ DES FAITS


A.        Les faits en litige 

1.         Les faits en litige ont été résumés comme suit par le tribunal d’instance : 

Au cours de la fin de l’après-midi du 13 juin 1993, deux agents de la GRC patrouillant dans un terrain de stationnement d’une plage à White Rock, ont aperçu l’appelant Victor Eugene Caine en compagnie d’un passager de sexe masculin, qui étaient assis dans une fourgonnette appartenant à monsieur Caine. Ils ont vu monsieur Caine, qui était au volant, démarrer sa voiture et faire marche arrière.  Alors que l’un des agents s’approchait de la fourgonnette, il a senti une forte odeur de marijuana qu’on venait tout juste de fumer. 

Monsieur Caine a remis à l’agent une cigarette de marijuana partiellement entamée de 0,5 gramme.  Il avait la cigarette de marijuana en sa possession pour son propre usage et pour aucune autre raison. 

Les motifs du jugement du tribunal inférieur se trouvent au dossier des appelants dans Malmo-Levine, volume II, p. 244-245, par. 6 et 7; voir Pièce 2 des procédures en première instance, dossier des appelants, p. 5 et 5b.

 

B.        Les faits d’intérêt public 

2.         Les faits d’intérêt public sont énoncés en détail dans « L’énoncé conjoint des faits d’intérêt public » des appelants Caine, Malmo-Levine et Clay.  De plus, et à moins d’incompatibilité, le présent appelant reconnaît les conclusions de fait des instances inférieures sut les faits d’intérêt public, comme suit : 

a.         Contexte législatif :                                                - Procès – par. 31 à 35

- Appel – par. 71 à 96

b.         Taux actuels d’usage de marijuana :                      - Procès – par. 36 à 38

- Appel – par. 17

c.         Les risques au niveau de la santé                          - Procès – par. 39 à 48

pour l’usager de marijuana :                                    - Appel – par. 18 à 25

 

d.         Risques de préjudice à autrui ou                            - Procès – par. 49 à 53

pour la société dans son ensemble :                      - Appel – par. 26, 27 et 142

e.         Effet de l’interdiction sur les taux d’utilisation :      - Procès – par. 55 à 62

- Appel – par. 91 à 96

 

f.          Comment la loi interdisant la possession de         - Procès – par. 63

la marijuana cause elle-même un préjudice :        - Appel – par. 28

 

g.         Résumé sur la notion de « préjudice » :                 - Appel – par. 29


PARTIE II 

ÉNONCÉ DES POINTS EN LITIGE

QUESTION1 :  Est-ce que l’interdit de possession de cannabis (marijuana) pour usage personnel en vertu du paragraphe 3(1) de la Loi sur les stupéfiants, L.R.C. 1985, ch. N-1, en raison de l’inscription de cette substance à l’article 3 de l’Annexe de la loi (maintenant l’article 1, Annexe II, Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19), contrevient à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés ?

QUESTION 2 :  Si la réponse à la question 1 est affirmative, est-ce que la contravention est justifiée en vertu de l’article 1 de la Charte ? 

QUESTION 3 :  Est-ce que l’interdit de possession de cannabis (marijuana) pour usage personnel en vertu du paragraphe 3(1) de la Loi sur les stupéfiants, en raison de l’inclusion de cette substance à l’article 3 de l’Annexe de la Loi (maintenant l’article 1, annexe II, Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19), entre dans le cadre de la compétence législative du Parlement du Canada, en tant que loi adoptée pour assurer la paix, l’ordre et le bon gouvernement au Canada en vertu de l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867; tel qu’adoptée en vertu des pouvoirs en matière de droit criminel contenus au paragraphe 91(27) de ladite loi; ou autrement ?


PARTIE III 

ARGUMENTATION

 

QUESTION 1 :         ARTICLE 7 DE LA CHARTE

 

a)         Le critère de l’arrêt Butler dans le contexte de l’interdiction du cannabis (marijuana)

 

3.         Tandis que le Parlement possède sans doute une large discrétion pour déterminer si une conduite devrait être interdite en tant que criminelle et passible d’une sanction, la Cour a affirmé dans l’arrêt Labatt Breweries of Canada c. A.G. (Canada) :

Le Parlement ne peut priver un individu de son droit à la liberté ou à la sécurité de sa personne en l’absence d’un intérêt impérieux à restreindre ces droits pour le bien commun parce qu’il est nécessaire de protéger la sécurité, l’ordre, la santé ou la moralité publique ou les droits et libertés fondamentaux des autres. [nous soulignons]  [traduction]

 

Labatt Breweries of Canada c. A.G. (Canada) [1980] 1 R.C.S. 914 aux pp. 932-933; 52 CCC (2d) 433 aux pp. 456-457.  Recueil de jurisprudence et de doctrine de l’appelant (RJDA), onglet 20

 

4.         Ainsi, dans l’arrêt Labatt Breweries, on affirme que la conduite doit comporter un effet potentiel sur les autres ou sur la société dans son ensemble en ce qu’elle doit se rapporter à une question « d’ordre public » et non « d’ordre privé ».  Il a été affirmé récemment dans R. c. Butler qu’il doit exister un « intérêt impérieux », un préjudice, ou en découler un risque pour la société, et la Cour a statué que l’objet des dispositions portant sur l’obscénité était « d’éviter qu’un préjudice soit causé à la société » et que la morale légale ne constituait plus une raison valable pour une disposition législative.  Le juge Sopinka affirmait, à la page 498 :

 

« L’objectif de maintenir des normes de bienséance traditionnelles, indépendamment du préjudice causé à la société, n’est plus justifié compte tenu des valeurs relatives à la liberté individuelle qui sous-tendent la Charte ».

 

R. c. Butler [1992] 1 R.C.S. 452 (C.L.C.) par le juge Sopinka à la p. 498.  RJDA, onglet 10

5.         Dans son examen du critère de « l’atteinte minimale » en vertu de l’article 1 de la Charte, le juge Sopinka conclut à un « lien rationnel » entre l’interdiction de la pornographie extrême et le fait d’éviter qu’un préjudice soit causé à la société, et a expliqué le critère en vertu de l’article 1 comme suit :

« [La disposition attaquée] est conçue de manière à viser le matériel qui crée un risque de préjudice pour la société.  On pourrait soutenir qu’il devrait être nécessaire de faire la preuve d’un préjudice réel.  Il ressort de ce que je viens d’affirmer qu’il est suffisant que le Parlement ait un motif raisonnable de conclure qu’il s’en suivra un préjudice, ce qui n’exige pas la preuve d’un préjudice réel ».

 

R. c. Butler (supra) par le juge Sopinka à la p. 505.  RJDA, onglet 10

 

6.         Encore plus récemment, dans l’arrêt R. c. Cuerrier, la juge McLachlin (maintenant Juge en chef), avec l’appui du juge Gonthier, déclarait au paragraphe 50 que « la responsabilité criminelle n’est généralement imputée que pour la conduite qui cause ou risque de causer des blessures à autrui » et, plus loin, au paragraphe 69 que :

« Les tribunaux ne devraient pas élargir le droit criminel pour qu’il vise une conduite que la société considère en général comme non criminelle.  Si un tel élargissement s’impose, il appartient au législateur de l’effectuer.  De plus, le droit criminel doit être clair.  Je souscris au principe fondamental de la jurisprudence anglaise voulant qu’il doive absolument exister une démarcation nette entre la conduite criminelle et la conduite non criminelle.  En l’absence d’une telle démarcation, le droit criminel perd son effet dissuasif et devient injuste ».

 

R. c. Cuerrier [1998] 2 R.C.S. 371 (C.L.C.) aux par. 47 à 50 et 69-70,  RJDA onglet 13

 

7.         Le juge Cory (rendant le jugement pour les juges Major, Bastarache et Binnie) conclut, en citant l’arrêt Butler (supra), qu’il n’y avait pas exigence préalable qu’un préjudice doive réellement résulter, mais il doit exister « un risque important » de préjudice.

R. c. Cuerrier (supra) au par. 95.  RJDA, onglet 13

 

8.         Il s’ensuit que, selon la jurisprudence à ce jour, le législateur peut criminaliser une conduite s’il a « une appréhension raisonnée de préjudice » à autrui ou à la société dans son ensemble, et il y a de la doctrine à l’effet que ce risque doit être « important », mais il n’y a pas d’affirmation de la part du tribunal sur le degré de risque qui doit exister pour que le législateur intervienne ou, facteur plus important, quelles sont les limites au droit criminel (ou la paix, l’ordre et le bon gouvernement (POBG)), aux pouvoirs, et où se trouve la ligne de démarcation entre les questions « d’ordre public » et « d’ordre privé ».

9.         Nous affirmons que le critère énoncé majoritairement par le tribunal de première instance, et confirmé par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt R. c. Clay, découlait de l’arrêt R. c. Jones, où la juge Wilson avait indiqué qu’un effet négligeable ou insignifiant sur la religion d’une personne résultant d’une action législative ou administrative ne constitue pas un manquement à la liberté de religion.  La juge McLachlin (maintenant Juge en chef) a appliqué plus tard ce critère dans l’arrêt Cunningham en déclarant que : « La Charte n’assure pas une protection contre les restrictions insignifiantes ou « négligeables » à l’égard des droits ».

R. c. Jones [1986] 2 R.C.S. 284 (C.L.C.) par la juge Wilson (dissidente) aux pp. 313 à 315.  RJDA, onglet 19

Cunningham c. Canada [1993] 2 R.C.S. 143 (C.L.C.) à la p. 151.  RJDA, onglet 14

10.       Nous affirmons respectueusement que ce principe de « l’effet négligeable » se rattache à l’atteinte aux droits d’une personne en vertu de la Charte et non pas à l’atteinte portée par la conduite en question.  En d’autres mots, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a complètement inversé ce principe.  Dans les affaires Jones et Cunningham, on faisait allusion à l’atteinte négligeable ou insignifiante de la loi aux droits issus de la Charte.  Dans le cas présent, les droits issus de la Charte et dont il est question sont « la liberté et la sécurité d’une personne », et le risque d’une peine d’emprisonnement pour possession de marijuana porte clairement atteinte à la liberté et la sécurité d’une personne d’une manière qui n’est pas négligeable ou insignifiante.

11.       Nous affirmons que c’est la conduite en cause ici – abstraction faite de l’exigence médicale et de l’usage sacré ou religieux du cannabis – de l’usage « à caractère récréatif », pour fins de « médecine préventive » ou « d’amélioration de rendement » – mieux connu sous l’appellation d’usage de cannabis pour le « plaisir » ou « social ».  Les lois sur le cannabis ne sont pas négligeables – elles causent un préjudice – et l’arrêt Cunningham traite des effets secondaires néfastes des lois et non des drogues.  C’est « négligeable » en ce que ce n’est pas un sujet de grande préoccupation pour la majorité des gens et qu’il n’y a aucunes conséquence significative, directe ou indirecte, pour autrui ou pour le public.  Par conséquent, la question se pose à savoir si le législateur peut porter atteinte à la liberté pour ce qui est d’une conduite qui est personnelle à l’usager, et qui suscite une crainte raisonnée de préjudice à la société dans son ensemble, qui est négligeable et insignifiante, et à la fois lointaine et hypothétique.

12.       Nous affirmons respectueusement que le tribunal de première instance s’est servi du critère préliminaire du « caractère négligeable » qui s’applique à la disponibilité de sanctions pour les actes autonomes et l’a utilisé comme norme du critère applicable au préjudice causé par les actes autonomes eux-mêmes.  Bien que la Charte ne protège pas les personnes pour des restrictions négligeables ou insignifiantes des droits, la question qui se pose ici est de savoir si elle offre une protection aux personnes ayant une conduite aux conséquences peu graves ou, tout au moins, une conduite qui ne suscite pas une crainte motivée de risque de préjudice pour le public qui soit significative, grave ou importante, face aux atteintes du gouvernement à la liberté et à la sécurité d’une personne.

b)        Le principe du préjudice

 

13.       Le tribunal de première instance, avec confirmation subséquente de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Clay, a reconnu que le « principe de justice fondamentale » pertinent dans les circonstances était le « principe du préjudice ».  Le philosophe et économiste de l’époque victorienne, John Stuart Mill, est celui qui a le mieux défini ce principe, dans son essai De la liberté, par ce qui suit :

L'objet de cet essai est de poser un principe très simple, fondé à régler absolument tous les rapports de la société et de l'individu dans tout ce qui est contrainte ou contrôle, que les moyens utilisés soient la force physique par le biais de sanctions pénales ou la contrainte morale exercée par l'opinion publique.  Ce principe veut que les hommes ne soient autorisés, individuellement ou collectivement, à entraver la liberté d'action de quiconque que pour assurer leur propre protection.  La seule raison légitime que puisse avoir une communauté d’user de la force contre un de ses membres est de l'empêcher de nuire aux autres.  Contraindre quiconque pour son propre bien, physique ou moral, ne constitue pas une justification suffisante.  Un homme ne peut pas être légitimement contraint d'agir ou de s'abstenir sous prétexte que ce serait meilleur pour lui, que cela le rendrait plus heureux ou que, dans l'opinion des autres, agir ainsi serait sage ou même juste.  Ce sont certes de bonnes raisons pour lui faire des remontrances, le raisonner, le persuader ou le supplier, mais non pour le contraindre ou lui causer du tort s'il agit autrement.  La contrainte ne se justifie que lorsque la conduite dont on désire détourner cet homme risque de nuire à quelqu'un d'autre.  Le seul aspect de la conduite d'un individu qui soit du ressort de la société est celui qui concerne les autres.  Mais pour ce qui ne concerne que lui, son indépendance est, de droit, absolue.  Sur lui-même, sur son corps et son esprit, l'individu est souverain. [Traduction]

 

John Stuart Mill, De la liberté, John W. Parker and Son, West Strand, London, 1859, pp. 21-22.  RJDA, onglet 41

 

14.       Bien que des membres de la Cour aient fait allusion aux ouvrages de John Stuart Mill dans le cadre de l’interprétation de la signification du mot « liberté » à l’article 7 de la Charte, notamment dans les affaires R. c. Jones et B. R.  c. Children’s Aid Society, la Cour n’a pas reconnu clairement ce principe comme étant « un principe de justice fondamentale » en vertu de l’article 7 de la Charte.

R. c. Jones [1986] 2 R.C.S. 284 (C.L.C.) par la juge Wilson (dissidente) aux pp. 318-319.  RJDA, onglet 19

B.R. c. Children’s Aid Society [1995] 1 R.C.S. 315 aux pp. 364-365 et 430-431.  RJDA, onglet 9

 

15.       La cour de première instance a fait un survol de la jurisprudence, des principaux traités sur le droit criminel, du travail de la Commission de réforme du droit, de la jurisprudence fédérale canadienne, et de la jurisprudence sur la Charte, et en est venue à la conclusion que ce principe constituait en effet un principe de justice fondamentale.

Motifs du jugement du tribunal inférieur – Dossier des appelants dans l’affaire Malmo-Levine, vol. II, p. 241 aux pp. 299-316 (par. 104-130)

16.       Les écrits de John Stuart Mill exposent clairement qu’il ne s’applique pas aux groupes vulnérables, mais cela ne signifie pas pour autant que l’interdiction leur offre nécessairement la meilleure protection.  De plus, la Commission de réforme du droit du Canada évoquait cette restriction en 1976, dans son rapport intitulé « Our Criminal Law » (notre droit pénal), et ajoutait que la menace d’un préjudice doit être :  grave, à la fois de par sa nature et son intensité.  [traduction]

Motifs du jugement du tribunal inférieur – Dossier des appelants dans l’affaire Malmo-Levine, vol. II, p. 241 aux pp. 305-307 et 316-317 (par. 115-116 et 131-133)

17.       Il est fait mention que cette exigence d’un préjudice « important », et non pas seulement de tout risque de préjudice, dans l’ouvrage intitulé A History of the Criminal Law in England de Sir James Fitzjames Stephen à la page 78 (vol. 2) :  … un préjudice indéniable, précis, grave à autrui… [traduction]; dans l’ouvrage Criminal Law de J. Smith et B. Hogan, 8e édition (Londres, Butterworths, 1996) à la page 17 (où le mot « crime » est défini ainsi :  de façon générale, des actes qui ont un effet particulièrement préjudiciable pour le public et qui portent atteinte à plus que de simples droits privés) [traduction]; aux pages 233-234 de l’ouvrage Legal Duties and Other Essay in Jurisprudence de Sir C.K. Allen (Oxford,  Clarendon Press, 1931) (on entend par le mot « crime » :  un tort qui menace directement et de façon importante la sécurité et le bien-être de la société…) [traduction]; dans The Moral Limits of the Criminal Law de Joel Feinberg (Oxford,  Oxford University Press, 1984) Vol. 1 à la page 11 :  (… il est loisible pour l’État d’interdire une conduite qui cause un préjudice grave de nature privée, ou un risque déraisonnable d’un tel préjudice…) [traduction], dans le « Rapport Ouimet » intitulé Justice pénale et correction : un lien à forger,  à la page 12 : (… aucune conduite ne sera définie comme criminelle à moins qu’elle ne constitue une menace grave pour la société… » [traduction] et, à nouveau, lors de l’adoption par ce comité de trois critères définissant adéquatement la portée du droit criminel notamment :

1)         Aucun acte ne sera criminalisé à moins qu’il ait une incidence, réelle ou potentielle considérablement préjudiciable pour la société;

2)         Aucun acte ne sera criminalisé si son incidence peut être adéquatement contrôlée par des mesures sociales autres que le processus criminel;

3)         Aucune loi ne saurait donner lieu à un préjudice, social ou personnel plus important que le préjudice qu’elle était censé prévenir.

Motifs du jugement du tribunal inférieur  – Dossier des appelants dans l’affaire Malmo-Levine, vol. II, p. 241 aux pp. 301-307 (par. 107-116) et à la p. 339 (par. 173)

c)         L’équilibre des intérêts

 

18.       Nous soutenons respectueusement qu’il est essentiel de déterminer quel degré de risque de préjudice éventuel doit exister avant que le législateur puisse avoir recours à des sanctions pénales pour interdire une conduite, de manière à assurer un équilibre adéquat entre les « intérêts » de l’État et ceux des personnes visées à l’article 7 de la Charte.  Ceci aurait pour effet d’établir la norme constitutionnelle ou le critère dans le contexte du « principe du préjudice » en tant que principe de justice fondamentale dans le cadre de la définition de ce mot à l’article 7 de la Charte canadienne sur les lois et libertés.

19.       Nous soutenons respectueusement qu’il appartient à la Cour d’établir la norme constitutionnelle plutôt qu’aux législateurs, non pas dans le but d’entraver le pouvoir du législateur de restreindre la liberté et la sécurité des personnes mais de faire en sorte que ce pouvoir soit sujet à des limites constitutionnelles qui permettent un juste équilibre entre les intérêts de l’État et ceux de l’individu.  Si l’intérêt de l’État est peu élevé en raison du fait que la conduite en question présente un faible risque de préjudice à autrui ou à la société dans son ensemble, mais que la menace d’atteinte à la liberté de l’individu est grande compte tenu de la peine d’emprisonnement, alors la balance doit jouer en faveur de l’individu.  Par contre, si le risque de préjudice à autrui ou à la société dans son ensemble est important et que les intérêts de l’individu sont peu élevés ou négligeables, alors la balance devrait favoriser l’État.

20.       Il appartient à la Cour, cependant, en tant que garante des libertés et gardienne de la Constitution, de s’assurer que le législateur agira dans le cadre des normes constitutionnelles établies par la Cour, et non seulement en suivant une tendance majoritaire s’appuyant sur des perceptions de risque de préjudice hypothétiques et lointaines pouvant résulter de la conduite d’une minorité importante.  Nous soutenons que l’établissement d’une telle norme constitutionnelle est tributaire de notre démocratie constitutionnelle et définit les droits et les intérêts de l’État et de l’individu, ainsi que les principes et les critères devant s’appliquer à ce processus d’équilibre en vertu de l’article 7 de la Charte, et dans un contexte de droit criminel et pénal.

 

d)        Le fardeau de la preuve

 

21.       Les appelants admettent le principe qui veut que celui qui prétend à une violation de ses droits, doit prouver cette violation et doit reconnaître qu’il est bien fondé que le fardeau de la preuve, notamment en ce qui a trait à l’article 7 de la Charte, repose sur la partie qui allègue une violation de cette disposition.  En effet, la Cour a récemment réitéré ce fardeau de la preuve et l’a comparé avec le fardeau de la Couronne en vertu de l’article 1 de la Charte, dans la décision récente rendue dans l’arrêt R. c. Mills, notamment lorsque la Cour a affirmé :

« Il y a cependant plusieurs différences importantes entre l’évaluation fondée sur l’article premier et celle qui est fondée sur l’article 7.  La différence la plus importante réside dans le fait que la question qui se pose en vertu de l’article 7 est celle de la délimitation des droits en question tandis que la question qui se pose en vertu de l’article premier est de savoir si le non-respect de ces limites peut être justifié.  Le rôle différent que jouent l’article premier et l’article 7 a également des répercussions importantes sur l’identité de la partie à qui incombe le fardeau de la preuve.  Si les intérêts sont évalués en vertu de l’article 7, c’est la personne qui revendique des droits qui a le fardeau de prouver que l’équilibre établi par la mesure législative contestée viole l’article 7.  Si les intérêts sont évalués en vertu de l’article premier, il incombe alors à l’État de justifier l’atteinte aux droits garantis par la Charte ».

 

R. c. Mills [1999] 3 R.C.S. 668 (C.L.C.) aux par. 65-57.  RJDA, onglet 25

22.       Toutefois, le juge Lamer (maintenant Juge en chef) au nom de la majorité du tribunal, dans l’arrêt Smith c. La Reine, déclarait à la page 144 :

 

« La Cour a déjà eu l’occasion d’aborder l’article premier.  Dans les arrêts Hunter et al. c. Southam Inc. (1984), 14 C.C.C. (3d) 97, 11 D.L.R. (4e) 641, [1984] 2 D.C.R. 145; R. c. Big M. Drug Mart Ltd. (1985), 18 C.C.C. (3d) 385, 18 D.L.R. (4th) 321, [1985] 1 R.C.S. 295 précité, Renvoi :  B.C. Motor Vehicle Act de la C.-B., précité, R. c. Oakes (1986), 24 C.C.C. (3d) 321, 26 D.L.R. (4th) 200, [1986] 1 R.C.S. 103, elle a clairement indiqué que lorsqu’il y a eu violation à première vue de la Charte, il appartient aux autorités de sauvegarder la disposition législative en cause.  Dans l’arrêt Oakes, la Cour a énoncé les critères auxquels il faut satisfaire pour s’acquitter de cette charge ».  [nous soulignons]

 

Smith c. La Reine [1987] 1 R.C.S. 1045 (C.L.C.) par le juge Lamer, à la p. 21 (version sur l’Internet) au par. 71.  RJDA, onglet 34

 

23.       De plus, la Cour a aussi reconnu qu’il était approprié, dans certaines circonstances, de transférer le fardeau à la Couronne.  Dans l’arrêt R. c. Bartle, la Cour déclarait :

« Toutefois, le fait que celui qui demande l’exclusion prévue au paragraphe 34(2) assume la charge ultime de persuasion ne signifie pas qu’il doive supporter cette charge à l’égard de tous les aspects de l’examen.  En pratique, la charge relative à un élément de preuve donné aura tendance à se déplacer entre celui qui demande l’exclusion et le ministère public, selon la nature de la question en litige, selon que l’une ou l’autre partie veut l’invoquer et, bien sûr, selon la nature du droit garanti par la Charte qui a été violé ».

 

R. c. Bartle [1994], 92 C.C.C. (3d) 289 (C.L.C.) à la p. 314.  RJDA, onglet 6

24.       Nous soutenons que dès que l’appelant a fait la preuve qu’il y a une atteinte potentielle à sa liberté et à l’intégrité de sa personne du fait qu’il a été accusé d’une infraction criminelle, et qu’il établit par la suite que le principe de justice fondamentale applicable est celui du « préjudice », et qu’il existe une apparence prima facie de déséquilibre entre ses intérêts et ceux de l’État dans l’application de ce principe, alors, par la nature même du « principe du préjudice » et des circonstances en l’espèce, le fardeau de prouver l’importance du préjudice justifiant le recours à des sanctions criminelles a été transféré à la Couronne intimée.  C’est, après tout, l’État ou le gouvernement qui menace de porter atteinte à la liberté de l’individu.  En vertu du « principe du préjudice », l’État ne possède un intérêt légitime à agir que si la conduite en question présente au moins un risque de préjudice grave à autrui ou à la société dans son ensemble, ou à tout le moins, qu’il y a un motif raisonnable de croire qu’il existe un risque de préjudice pour la société, selon l’arrêt Butler (supra).  Si le gouvernement invoque un tel préjudice, il devrait avoir le fardeau de l’établir.  L’appelant ne devrait pas être tenu de le nier, surtout lorsque les faits à l’appui de la menace à la liberté sont de la connaissance et sous le contrôle de l’État qui avait adopté en premier lieu la loi, et qui a recours à celle-ci pour réglementer la conduite de ses citoyens.  Nous soutenons que c’est à celui qui revendique le droit d’adopter des lois visant à interdire une certaine conduite au moyen de sanctions criminelles qu’incombe le fardeau de prouver qu’il existe un fondement raisonnable pour une législation pénale à ce propos.

Smith c. La Reine 1 R.C.S. 1045 (C.L.C.) par le juge Lamer, à la p. 18, par. 56 et à la p. 21, par. 71.  RJDA, onglet 34

 

e)         Le cadre et la portée des notions de « la liberté et la sécurité d’une personne »

 

25.       Tandis qu’un appelant n’a qu’à démontrer la privation de l’un des droits énoncés à l’article 7 et la menace d’un emprisonnement pour que l’intérêt de la « liberté » entre en jeu, on ne doit pas nécessairement en conclure que le tribunal doit immédiatement déterminer les principes de justice fondamentale applicables sans examiner plus à fond l’étendue et la portée des intérêts « de liberté et de sécurité de la personne » découlant des circonstances.

Motifs du jugement du tribunal inférieur  – Dossier des appelants dans l’affaire Malmo-Levine, vol. II, p. 241 aux pp. 263-265 (par. 38-44) et à la p. 278 (par. 69)

26.       La Cour a donné une interprétation large des concepts de « liberté et de sécurité de la personne » contenus à l’article 7 de la Charte, et a énoncé clairement qu’ils signifient plus qu’une absence de contrainte physique et qu’il s’agit de concepts positifs.  Dans l’arrêt R. c. Morgentaler, la Cour a affirmé que le droit à la liberté garanti par l’article 7 de la Charte est étroitement lié au concept de la dignité humaine, et après avoir donné plusieurs exemples de l’expression de la dignité humaine, le tribunal en est arrivé à la conclusion qui suit :

« Ce sont tous là des exemples de la théorie fondamentale qui sous-tend la Charte, savoir que l’État respectera les choix de chacun et, dans toute la mesure du possible, évitera de subordonner ces choix à toute conception particulière d’une vie de bien ».

 

R. c. Morgentaler [1988] 1 R.C.S. 30 (C.L.C.) par la juge Wilson, aux pp. 163-166 et 173-174.  RJDA, onglet 27

 

27.       Il en fut de même dans l’arrêt B. (R.) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, où la Cour a confirmé que la « liberté » ne signifie pas la liberté sans aucune restriction, mais que, dans toute société organisée, elle est soumise à diverses contraintes dans l’intérêt commun.  De plus, cette « liberté » ne signifie pas la simple absence de restrictions physiques.  La Cour ajoutait ce qui suit :

« Dans une société libre et démocratique, l’individu doit avoir suffisamment d’autonomie personnelle pour vivre sa propre vie et prendre des décisions qui sont d’importance fondamentale pour sa personne ».

 

B. R. c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto (supra) par le juge LaForest, aux pp. 368-369.  RJDA, onglet 9

 

28.       Finalement, dans l’arrêt Rodriguez, feu le juge Sopinka, alors qu’il traitait du droit « à la sécurité d’une personne », déclarait ce qui suit :

« Il n’y a donc aucun doute que la notion de sécurité de la personne comprend l’autonomie personnelle, du moins en ce qui concerne le droit de faire des choix concernant sa propre personne, le contrôle sur sa propre intégrité physique et mentale, et la dignité humaine fondamentale, tout au moins l’absence de prohibitions pénales qui y fassent obstacles ».

 

Rodriguez c. C.-B. (P.G.), [1993] 3 R.C.S. 519 (C.L.C.) par le juge Sopinka, à la p. 588.  RJDA, onglet 32

 

29.       Nous soutenons que, bien que les tribunaux, en l’absence d’une menace d’emprisonnement, doivent analyser plus attentivement si la conduite en question présente un intérêt « de liberté et de sécurité de la personne », on ne doit pas pour autant conclure que le tribunal ne devrait pas déterminer si la conduite comportait ou non un élément d’autonomie personnelle et une décision personnelle fondamentale, lorsqu’il existe une menace d’emprisonnement découlant d’une sanction pénale.  Nous soutenons qu’il est nécessaire de procéder à cet exercice afin de s’assurer d’un juste processus de pondération.

Motifs du jugement du tribunal inférieur – Dossier des appelants dans l’affaire Malmo-Levine, vol. II, p. 241 aux pp. 263-265 (par. 38-44) et aux pp. 278-279 (par. 69-70)

30.       Nous soutenons qu’une décision portant sur la possession ou non et sur la consommation de cannabis (marijuana), même si elle est potentiellement néfaste pour l’usager, est analogue à la décision que prend un individu de consommer des aliments gras et comme telle, est une décision personnelle d’importance fondamentale impliquant un choix qui relève de son autonomie.  Ce n’est pas la possession de cannabis (marijuana) qui est d’une importance fondamentale, mais plutôt le choix ou la décision que prend l’individu d’en posséder dans le but d’en consommer.  Et cette décision est toujours soumise au « principe du préjudice ».

f)          Autres principes de justice fondamentale

 

31.       Nous soutenons respectueusement que l’interdiction de possession de marijuana viole également certains autres principes de justice fondamentale, et que le tribunal de première instance a erré en droit en omettant de les analyser ou de les appliquer.  Nous soutenons que si les lois violent divers principes de justice fondamentale, il est important d’analyser chacun des principes violés et d’en tenir compte lors du processus de pondération.  Nous soutenons que les autres principes en jeu ici sont :

1)         Le principe de la retenue – un corollaire du principe du préjudice;

2)         Le principe excluant l’arbitraire et l’irrationalité dans le processus législatif; et

3)                 Le principe de la portée excessive dans le cadre du régime législatif.

 

32.       Nous soutenons que le « principe de retenue », reconnu dans les rapports gouvernementaux, et qui prévoit que le droit criminel doit être appliqué avec retenue et n’être utilisé que dans le but de protéger contre une conduite qui est « gravement préjudiciable » ou une situation qui est « hautement préjudiciable pour la société », est un « principe de justice fondamentale » et un corollaire au « principe du préjudice ».  La preuve dans la présente affaire démontre qu’il n’existe aucun problème de santé important lié au cannabis (marijuana), dans la province de la Colombie-Britannique ou dans les autres provinces, et même à l’échelle nationale.

Comité canadien de la réforme pénale et correctionnelle (Rapport Ouimet), 1969, à la p. 12.  RJDA, onglet 42

Commission de réforme du droit du Canada, Notre droit pénal, 1976 aux pp. 19-20.  RJDA, onglet 39

Gouvernement du Canada, Le Droit pénal dans la société canadienne, 1982 à la p. 45.  RJDA, onglet 40

Motifs du jugement du tribunal inférieur – Dossier des appelants, Vol. VII p. 1122 et pp. 1140-1141

 

33.       En ce qui a trait au principe excluant l’arbitraire et l’irrationalité dans le processus législatif, dans l’arrêt R. c. Arkell, la Cour, lors de la révision de la constitutionnalité du régime de classification servant à faire la distinction entre le meurtre au premier degré et le meurtre au second degré, a conclu que le régime ne contrevenait pas à l’article 7 de la Charte car il n’était ni « arbitraire ni irrationnel ».  La Cour de l’Ontario (Division générale), dans l’arrêt R. c. M.(C.) a appliqué ce principe pour déclarer invalide l’article 159 du  Code criminel (l’interdiction des relations sexuelles anales), décision qui a été maintenue par la Cour d’appel de l’Ontario.  La Cour d’appel du Québec a appliqué le même principe dans l’arrêt R. c. Hamon, dans le contexte du cannabis (marijuana).  Nous soutenons que la règle de droit, qui est le principe qui sous-tend la Charte et qui est un élément constitutif du préambule de la Charte, représente essentiellement une protection contre une conduite irrationnelle et arbitraire de l’État.  Nous soutenons que, dans les circonstances, il est irrationnel et arbitraire de la part du Parlement d’adopter une approche qui ne soit pas criminelle à l’égard de l’usage du tabac en laissant aux autorités locales, régionales et provinciales le soin de réglementer son effet sur autrui et sur la société dans son ensemble, tandis qu’il adopte une approche criminelle ou pénale dans le cas du cannabis (marijuana).  Cela a pour effet de porter atteinte à la liberté, bien qu’il n’y ait aucune preuve de préjudice important pour autrui, directement ou indirectement, et que la preuve d’un risque de préjudice pour la société dans son ensemble est hypothétique et lointaine.  Nous soutenons que, dans le contexte du risque de préjudice à autrui, cette approche est arbitraire et irrationnelle.

R. c. M. (C.) (1992), 75 C.C.C. (3d) 556 (Cour de l’Ontario (Division générale)).  RJDA onglet 23

R. c. M. (C.) (1995), 30 C.R.R. (2d) 112 (Cour d’appel de l’Ontario).  RJDA onglet 24

            R. c. Arkell (1990), 59 C.C.C. (3d) 65 (C.L.C.).  RJDA, onglet 5

R. c. Hamon (1993). 85 C.C.C. (3d) 490 (Cour d’appel du Québec)  RJDA, onglet 15

 

34.       En ce qui a trait au principe de la portée excessive, l’omission de faire une distinction valable et applicable entre des actes de nature privée et une entreprise qui encourage, fait la promotion et profite d’une activité commerciale n’est pas compatible avec l’approche législative moderne au crime avec consentement et ne répond pas à un objectif législatif valide.  En élargissant le filet d’une façon aussi prononcée de manière à englober la possession simple de cannabis (marijuana) pour usage personnel, la législation va bien au-delà de l’objectif avoué du gouvernement qui est de lutter contre le trafic des stupéfiants sur le marché noir et contribue à faire la promotion d’une forme de « morale légale » qui a été condamnée par la Cour dans l’arrêt Butler.  La Cour a fermement établi que la portée excessive dans le cadre d’un régime législatif contrevient aux principes de justice fondamentale énoncés dans l’arrêt R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, et deux ans plus tard, a appliqué ce principe pour invalider l’alinéa 179.(1)b) du Code criminel dans l’arrêt Heywood.

R. c. Butler (supra) aux pp.479 et 492-499.  RJDA, onglet 10

R. c. Heywood (1994) 94 C.C.C.(3d) 481(C.L.C.).  RJDA, onglet 17

R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society [1992] R.C.S. 606 (C.L.C.).  RJDA, onglet 28

35.       Nous soutenons que cette opinion est compatible avec l’approche que le législateur a adoptée envers tous les autres crimes avec consentement ou « sans victime », où qu’il a fait une nette distinction entre, d’une part, le fait de participer à une activité illicite et, d’autre part, le fait de participer à une entreprise qui encourage cette même activité.  À titre d’exemple, les dispositions visant le matériel obscène (art. 163) du Code criminel ne s’appliquent pas à la possession ou à la « consommation » de matériel obscène.  C’est plutôt les actes de produire, d’imprimer, de publier, de distribuer ou de mettre en circulation ou d’avoir en sa possession ce matériel à ces fins qui sont interdits.  Il en est de même des actes de prostitution qui ne sont pas en soi interdits, mais seulement les actes de sollicitation dans un lieu public ou qui ont pour effet de gêner la circulation lors de la poursuite de clients, qui sont visés par l’article 213 du Code criminel.  De plus, une personne ne peut être condamnée pour avoir tenu une maison de débauche ou une maison de jeu à moins que le local n’ait été utilisé sur une base fréquente et habituelle à partir de laquelle on peut conclure que le tenancier exploite un commerce offrant ce service.  (Voir les articles 197-210 du Code criminel).  De plus, le jeu n’est pas interdit si une personne parie ou prend des paris sur une base personnelle et qu’elle ne s’adonne pas au « commerce du jeu ».  (Voir l’alinéa 204.(1)a) et b) du Code criminel).

 

36.       Nous affirmons de plus que si on prétend qu’il est nécessaire qu’existe une infraction de « possession simple » afin de réduire la distribution ou l’activité commerciale reliée au cannabis (marijuana), alors la législation interdisant la « possession simple », dans la mesure où elle existe pour cette fin, a une portée excessive en ce qu’elle néglige une distinction importante entre des actes de consommation à des fins personnelles et privées et des actes publics de distribution qui font partie intégrante du trafic illicite de stupéfiants.  Cette approche globale rate son objectif en ce que la criminalisation de cette conduite est inutile dans la poursuite de la lutte et la réduction du trafic illicite de stupéfiants.  La possession à ces fins est déjà clairement interdite par une disposition distincte – le paragraphe 4(2) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

 

Conclusion sur l’article 7 de la Charte

 

37.       Compte tenu de ce qui précède, nous soutenons respectueusement qu’il n’y a pas de « mal public » à la possession simple d’une substance par une personne adulte pour son usage personnel, qui ne lui causera aucun préjudice sauf si l’usage est régulier et à long terme, et même là, le dommage est bien en deçà des degrés de tolérance de la société et n’a aucun effet important sur autrui ou sur la société dans son ensemble.  Nous soutenons qu’il n’y a pas de « malveillance publique » dans cette conduite et il n’y a aucun fondement raisonnable pour conclure que l’acte de « possession » en soi peut causer un préjudice ou un risque de préjudice aux droits d’autrui ou de la société dans son ensemble.  Nous soutenons respectueusement que l’intérêt de l’État se limite à la conduite qui comporte « une possession » et une conduite ajoutée telle que le fait de conduire avec les facultés affaiblies.  Ces deux conditions réunies pourraient constituer un motif raisonnable pour conclure qu’il existe un risque important de préjudice à autrui ou pour la société dans son ensemble, ou au besoin de protéger les groupes vulnérables.  Nous soutenons que toutes ces exceptions à la violation de l’article 7 de la Charte par cette législation doivent être examinées à la lumière de l’article 1.

38.       Nous soutenons respectueusement que l’interdiction de la possession de cannabis (marijuana) pour usage personnel en vertu de l’ancienne Loi sur les stupéfiants, maintenant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, contrevient à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés en ce qu’elle implique que le gouvernement fédéral menace de priver l’appelant de son droit à la liberté et à la sécurité de sa personne, y compris de son droit à l’autonomie, de vivre sa vie et de prendre des décisions qui sont pour lui d’une importance fondamentale.  Nous soutenons de plus que cette interdiction va à l’encontre des principes de justice fondamentale applicables dans les circonstances, notamment le principe du préjudice, le principe de la retenue, le principe consistant à écarter l’arbitraire et l’irrationalité du régime législatif et le principe de la portée excessive du régime législatif.

 

QUESTION 2 :       L’ARTICLE 1 DE LA CHARTE

 

39.       La Coura établi suffisamment de cas de jurisprudence permettant de conclure que si la réponse à la première question est affirmative, la loi viole le droit constitutionnel à la liberté et(ou) à la sécurité de la personne d’une manière incompatible avec les principes de justice fondamentale et donc, cette loi ne saurait être justifiée en vertu de l’article 1 sauf peut-être en temps de guerre ou d’urgence nationale.

Renvoi relatif au paragraphe 94(2) de la Motor Vehicle Act [1985] 2 R.C.S. 486 (C.L.C.) à la p. 518.  RJDA, onglet 30

R. c. Heywood (1994) 94 C.C.C.(3d) 481 par le juge Cory à la p. 523.  RJDA, onglet 17

40.       La Cour a de plus statué, dans des circonstances où la violation des principes de justice fondamentale résultait d’une portée excessive, qu’il serait encore plus difficile de déterminer comment la limite de la loi pourrait être justifiée, car une loi de portée excessive qui violerait l’article 7 de la Charte ne pourrait franchir le critère de l’atteinte minimale dans le cadre de l’analyse en vertu de l’article 1.  C’était la position adoptée par l’appelant et l’intimé au procès et, en conséquence, il n’y a eu aucune argumentation portant sur l’article 1 lors du procès ou en appel, et ni le tribunal de première instance ni la Cour d’appel de Colombie-Britannique n’ont évoqué l’article 1.

            R. c. Heywood (supra) à la p. 523.  RJDA, onglet 17

 

41.       Toutefois, aux termes de l’article 22 de la Loi sur les stupéfiants, maintenant l’article 60 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le cabinet fédéral peut amender l’annexe à la loi en ajoutant ou retirant n’importe quelle substance, si le Cabinet le juge nécessaire « dans l’intérêt public ».  On a jugé que « l’intérêt public » n’est pas un facteur pertinent à l’examen en vertu de l’article 7, mais qu’il est un facteur pertinent dans l’analyse en vertu de l’article 1. On a également jugé que l’expression « dans l’intérêt du public » est vague et ambiguë.  Si c’est le cas, cette disposition est également inconstitutionnelle, car elle viole l’article 7 de la Charte en laissant place à « l’arbitraire », permettant au Gouverneur en conseil de se baser sur ses préjugés dans le choix de tout élément de l’annexe.  Dès qu’un élément est inclus, il devient immédiatement régi par la Loi et la possession devient une infraction passible d’un emprisonnement sur condamnation.

Renvoi relatif au paragraphe 94(2) de la Motor Vehicle Act (C.-B.), supra, par le juge Lamer aux pp. 517-518.  RJDA, onglet 30

R. c. Morales (1993), 77 CCC (3d) 91 aux pp. 99-105 (C.L.C.).  RJDA, onglet 26

R. c. Heywood (supra) aux pp. 514-516.  RJDA, onglet 17

42.       À cet égard, il y a lieu de lire les motifs du jugement majoritaire rendu par le juge Lamer, dans l’arrêt R. c. Swain [1991] 1 R.C.S. 933 (C.L.C.) aux pp. 976-978 (RJDA, onglet 36), qui disait ce qui suit :

« Il n’est pas acceptable que l’État puisse contrecarrer l’exercice du droit de l’accusé en tentant de faire jouer les intérêts de la société dans l’application des principes de justice fondamentale, et restreindre ainsi les droits reconnus à l’accusé par l’article 7.  Les intérêts de la société doivent entrer en ligne de compte dans l’application de l’article premier de la Charte, lorsqu’il incombe au ministère public de démontrer que la justification de la règle de droit attaquée peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.  En d’autres termes, j’estime que l’évaluation des intérêts de la société par rapport au droit individuel garanti par l’article 7 ne devrait se faire que dans le contexte de l’article premier de la Charte ».

 

43.       Nous reconnaissons toutefois qu’il existe des divergences d’opinion importantes au sein de la Cour suprême du Canada sur cette question, et que l’évaluation faite en vertu de l’article 7 dans des arrêts antérieurs ressemblait au critère appliqué en vertu de l’article 1.

R. c. Lyons [1987] 2 R.C.S. 309 aux pp. 326-329.  RJDA, onglet 21

R. c. Beare [1988] 2 R.C.S. 387 aux pp. 401-407 et p. 415.  RJDA, onglet 7

R. c. Jones [1986] 2 R.C.S. 284 par le juge LaForest en général.  RJDA, onglet18

Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Director of Investigation and Research) [1990] 1 R.C.S. 425 par le juge LaForest aux pp. 536-540 et la juge L'Heureux-Dubé aux pp. 586-589.  RJDA, onglet 37

 

44.       Si une analyse en vertu de l’article 1 s’impose, nous soutenons respectueusement que les affirmations de la Cour dans l’arrêt R.J.R. MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général) [1995] 3 R.C.S. 199 relatives au critère approprié pour les fins de l’analyse en vertu de l’article 1, sont particulièrement utiles relativement aux questions soumises à la Cour dans la présente affaire.  À cet égard, l’appelant se reporte en particulier au jugement de la juge McLachlin (maintenant Juge en chef) aux paragraphes 126-129.

126.    Je suis d'accord avec le juge LaForest pour dire que :  « [l]e « critère » approprié applicable à une analyse fondée sur l'article premier se trouve dans la disposition même » (par. 62).  Il s'agit en fin de compte de savoir si la violation se situe à l'intérieur de limites raisonnables « dont la justification [peut] se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique ».  Dans la jurisprudence portant sur la double considération que sont l'importance de l'objectif et le critère de la proportionnalité entre le bien que vise la loi et la violation des droits à laquelle elle donne lieu, les tribunaux formulent les facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer si l'atteinte qu'une loi porte aux droits garantis par la Constitution se situe néanmoins à l'intérieur de limites « raisonnables » « dont la justification [peut] se démontrer ».  Si l'objectif d'une loi qui restreint les droits garantis par la Constitution n'est pas suffisamment important, l'atteinte ne peut être ni raisonnable ni justifiée.  De même, si le bien visé par la loi perd de son importance par rapport à la gravité de l'atteinte aux droits qui s'ensuit, on ne peut considérer que cette loi soit raisonnable ou justifiée.  Je conviens avec le juge LaForest qu'il faut s'abstenir de faire une analyse trop technique fondée sur l'article premier; cependant, il n'existe pas, à mon avis, d'incompatibilité entre le libellé de l'article premier et la jurisprudence fondée sur l'arrêt R. c. Oakes, [1986]1 R.C.S. 103, celle-ci venant compléter l’article premier.

127.    Cela dit, il importe de se remémorer les termes mêmes choisis par ceux qui ont rédigé et approuvé l'article premier de la Charte.  Premièrement, pour qu'une disposition puisse être sauvegardée en vertu de l'article premier, la partie qui défend la loi (en l'espèce le procureur général du Canada) doit établir que la loi qui porte atteinte au droit ou à la liberté garantis par la Charte est « raisonnable ».  En d'autres termes, la mesure attentatoire doit être justifiable par application de la raison et de la rationalité. La question n'est pas de savoir si la mesure est populaire ou compatible avec les sondages d'opinion publique.  Elle est plutôt de savoir si cette mesure peut être justifiée par l'application du processus de la raison.  Dans le contexte juridique, la raison comporte la notion d'inférence à partir de la preuve ou des faits établis.  Il ne s'agit pas d'éliminer le rôle de l'intuition, ni d'exiger chaque fois une preuve répondant aux normes scientifiques, mais bien d'insister sur une défense rationnelle et raisonnée.

128.    Deuxièmement, pour s'acquitter du fardeau que lui impose l'article premier de la Charte, l'État doit établir que la violation comprise dans une loi se situe à l'intérieur de limites « dont la justification puisse se démontrer ».  Le choix de l'expression « puisse se démontrer » est important.  Il ne s'agit pas de procéder par simple intuition, ou d'affirmer qu'il faut avoir de l'égard pour le choix du Parlement.  Il s'agit d'un processus de démonstration.  Cela renforce la notion propre au terme « raisonnable » selon laquelle il faut tirer une inférence rationnelle de la preuve ou des faits établis.

129.    La démarche fondamentale est la suivante.  Bien qu'ils doivent demeurer conscients du contexte socio-politique de la loi attaquée et reconnaître les difficultés qui y sont propres en matière de preuve, les tribunaux doivent néanmoins insister pour que, avant qu'il ne supprime un droit protégé par la Constitution, l'État fasse une démonstration raisonnée du bien visé par la loi par rapport à la gravité de la violation.  Les tribunaux doivent respecter cette démarche fondamentale pour que les droits garantis par notre constitution soient opérants.  Ce n'est pas une tâche facile, et les tribunaux devront peut-être affronter le courant d'opinion publique.  Cependant, c'est depuis toujours le prix du maintien des droits constitutionnels.  Si important que puisse sembler l'objectif du Parlement, si l'État n'a pas démontré que les moyens qu'il utilise pour atteindre son objectif sont raisonnables et proportionnels à la violation des droits, la loi doit alors par nécessité être déclarée non valide.

 

45.       Voilà pourquoi nous soutenons respectueusement, selon le critère énoncé par la Cour dans l’arrêt R. c. Oakes, et plus récemment dans l’arrêt R.J.R. MacDonald (supra) :

1)         Que l’objectif de la loi, en ce qui touche la possession simple et l’usage de cannabis par un individu, sans aucune preuve de préjudice à un autre individu ou à d’autres individus ou à la société dans son ensemble, n’est pas :  suffisamment important pour l’emporter sur un droit à la liberté garanti par la Constitution [traduction] et, de toute manière, a une portée excessive.

2)         Que l’on n'a pas satisfait au critère de la proportionnalité en trois volets.

a)         Il n’y a pas de lien rationnel entre la loi et la poursuite de l’objectif en question en ce qu’elle est arbitraire, injuste et fondée sur des considérations irrationnelles.  (À ce sujet, voir le paragraphe 34, supra, et les paragraphes 102-109 de la pièce 3 du Dossier des appelants dans l’affaire Malmo-Levine, pp. 135-141).

b)         La loi n’empiète pas le moindrement sur le droit à la liberté en question.  À cet égard, nous soutenons que les sanctions prévues pour la possession simple et l’usage de cannabis, notamment lorsque l’on compare avec la possession et l’usage de tabac, d’alcool (ou peut-être serait-il plus approprié de faire une comparaison avec des herbes et grains de café), et l’absence de sanctions, dans le cas de possession de ces drogues, démontre que la loi en question a une portée excessive et néglige de prévoir une accessibilité raisonnable pour fins médicales et thérapeutiques ou pour d’autres fins.  (À ce sujet, voir aussi le par. 13 (supra) et la citation de J.S. Mill).

c)         Les effets de la loi qui ont pour effet de limiter le droit à la liberté garanti par la Charte sont disproportionnés par rapport à son objectif, s’il est considéré et identifié comme ayant une importance suffisante.  À nouveau, nous soutenons qu’une comparaison entre le traitement que réserve le législateur à la possession simple et à l’usage d’alcool, de tabac et de caféine et l’absence de sanctions visant ces produits, prouve la disproportion qui existe entre la possession et l’usage et l’absence de sanctions prévues pour ces drogues et les sanctions importantes pour la possession et l’usage de cannabis face à l’absence de preuves d’effets néfastes de cette drogue pour autrui et pour la société dans son ensemble.  Nous soutenons respectueusement que les sanctions prévues, dont le dossier criminel et toutes ses conséquences, pour la possession de cannabis, sont grossièrement disproportionnées par rapport à la conduite interdite, et plus particulièrement si on prouve amplement l’absence de préjudice à autrui ou à la société dans son ensemble.  Nous avons prouvé qu’il n’y a aucun préjudice important pour ce qui est de 95 % des usagers et que le préjudice aux 5 % d’usagers chroniques est mitigé, soit par les méthodes alternatives autres que l’acte de fumer ou encore par la fabrication de puissantes cigarettes organiques ou de « joints » ou de résine, alliées à l’éducation entourant les habitudes plus sécuritaires de fumer, tout comme les risques pour les groupes vulnérables, au moyen de méthodes appropriées de protection des consommateurs tel que l’emballage, l’étiquetage, les avertissements et l’éducation.

46.       Par conséquent nous soulignons respectueusement que la violation de l’article 7 de la Charte résultant de l’interdiction de la possession de cannabis (marijuana) pour usage personnel ne peut être justifiée en vertu de l’article 1 de la Charte comme constituant une limite raisonnable prévue par une loi dont la justification puisse se prouver dans le cadre d’une société libre et démocratique.

 

QUESTION 3 :         LA QUESTION DE LA SÉPARATION DES POUVOIRS

 

47.       Les principes constitutionnels sous-jacents à la Loi sur les stupéfiants (maintenant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances) ne sont pas entièrement limpides.  La décision rendue par la Cour dans l’arrêt R. c. Hauser (de conclure que le gouvernement fédéral avait le pouvoir d’intenter des poursuites en vertu de la Loi sur les stupéfiants par opposition au Procureur général de la province), comportait une conclusion incidente selon laquelle le Parlement du Canada, en vertu de son pouvoir de faire des lois touchant la « paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada », a la compétence de faire des lois sur le contrôle des stupéfiants.

R. c. Hauser [1979] 1 R.C.S. 984 par le juge Pigeon aux pp. 996-1000; Voir aussi le juge Dickson (dissident) aux pp. 1054-1061.  RJDA, onglet 16

 

48.       Toutefois, cette opinion fut remise en question par la Cour dans l’arrêt Schneider c. La Reine (lors de l’examen de la validité de la British Columbia Heroin Treatment Act.  À cet égard, voir en particulier l’arrêt du juge Dickson, au nom de la majorité et avec appui, le jugement du juge Laskin sur ce point.

Schneider c. La Reine [1982] 2 R.C.S. 112 par le juge Laskin C.J.C. à R.C.S. 115; par le juge Dickson aux pp. 130-132.  RJDA, onglet 33

« Paix, ordre et bon gouvernement »

49.       En ce qui concerne l’application du pouvoir constitutionnel du gouvernement fédéral en vertu de la clause touchant « la paix, l’ordre et le bon gouvernement », nous soutenons qu’il est clair que ce pouvoir résiduaire ne s’applique que dans trois cas :

 

A.        Dans le cas d’une urgence nationale;

B.        Lorsque la question en jeu n’existait pas à l’époque de la Confédération et ne fait pas partie de la catégorie de questions de nature purement locale ou privée, et

C.        Lorsque l’objet « va au-delà de préoccupations locales ou provinciales et doit, par sa nature, être du ressort du Dominion dans son ensemble.

 

Labatt Breweries of Canada Ltd. c. Attorney General of Canada et al [1980] 1 R.C.S. 914 aux pp. 465-466, 52 C.C.C. (2d) 433 aux pp. 456-457.  RJDA, onglet 20

50.       Nous soutenons respectueusement que l’interdiction de la possession simple de cannabis (marijuana) prévue à la Loi sur les stupéfiants ou à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances ne tombe dans le cadre d’aucun des trois cas susmentionnés.  Tout d’abord, il n’y a aucune preuve à l’heure actuelle d’une urgence nationale, ni qu’il y ait eu urgence de cet ordre depuis que le cannabis (marijuana) a été ajouté à l’annexe en 1923, soit une période de 78 ans.  De plus, tandis que l’objet global de la loi n’existait pas à l’époque de la Confédération, le cannabis (marijuana) lui existait et, dans la mesure, tout au moins, où cela s’applique à l’infraction de possession simple de cannabis, nous soutenons que cette possession tombe sans aucun doute dans la catégorie de questions de nature purement locale ou privée, notamment la préoccupation pour la santé de l’usager.  Ainsi, la doctrine de « nouveauté » n’est pas applicable.  En outre, rien ne prouve que l’objet, soit la possession simple de marijuana pour usage personnel, dépasse la compétence des provinces et constitue une préoccupation d’ordre national qui ne peut être que du ressort du pouvoir fédéral.  Enfin, les décisions les plus récentes de la Cour suprême du Canada remettent en question le fait que la clause de « la paix, l’ordre et le bon gouvernement » serve de fondement constitutionnel à la Loi sur les stupéfiants, et nous soutenons que l’interdiction de la possession de cannabis (marijuana) pour usage personnel ne peut s’appuyer sur le pouvoir résiduaire de « la paix, l’ordre et le bon gouvernement » compte tenu de la preuve versée au dossier en l’espèce.

Témoignage du Dr H. Kalant pour l’intimé – Dossier de l’appelant, Vol. V à la p. 861; Vol. VI sy pp. 892,1003,1010-1013,1024-1026,1056-1058; Vol. VII aux pp.1077-1078,1085-1088, 1092-1093, 1097, 1099-1104

 

« Droit criminel »

 

51.       Avant la Charte, le critère servant à déterminer si un objet tombait ou non dans le cadre du « droit criminel » a été révisé par le juge Estey, au nom de la majorité, dans l’arrêt Labatt Breweries of Canada Ltd. c. Le Procureur général du Canada et al (supra) tel qu’énoncé au paragraphe 4 de cette argumentation.

 

52.       Dans le contexte de la Charte et de la relation entre les articles 7 et 1, ce critère semble toujours s’appliquer.  À cet égard, voir la déclaration du juge Dickson (maintenant Juge en chef) dans l’arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd. (1985), 18 C.C.C. (3d) 385 aux pp. 417-418 :

« La liberté peut se caractériser essentiellement par l’absence de coercition ou de contrainte.  Si une personne est astreinte par l’État ou par la volonté d’autrui à une conduite que, sans cela, elle n’aurait pas choisi d’adopter, cette personne n’agit pas de son propre gré et on ne peut pas dire qu’elle est vraiment libre.  L’un des objectifs importants de la Charte est de protéger, dans les limites raisonnables, contre la coercition et la contrainte.  La coercition comprend non seulement la contrainte flagrante exercée, par exemple, sous formes d’ordres directs d’agir ou de s’abstenir d’agir sous peine de sanction, mais également les formes indirectes de contrôle qui permettent de déterminer ou de restreindre les possibilités d’action d’autrui.  La liberté au sens large comporte l’absence de coercition et de contrainte et le droit de manifester ses croyances et pratiques.  La liberté signifie que, sous réserve des restrictions qui sont nécessaires pour préserver la sécurité, l’ordre, la santé ou les mœurs publics ou les libertés et droits fondamentaux d’autrui, nul ne peut être forcé d’agir contrairement à ses croyances ou sa conscience ».

53.       Plus récemment, dans l’arrêt RJR-Mac Donald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, la Cour a procédé à une révision approfondie de ses décisions antérieures et des décisions du Conseil privé portant sur le pouvoir en matière de « droit criminel » dans le contexte de la consommation de tabac, et plus particulièrement celui de la publicité sur les produits du tabac.

Voir le jugement du juge LaForest sur cette question aux pp. 240-258 et 261-267.  RJDA, onglet 31

 

54.       Nous soutenons que la portée du pouvoir législatif du Parlement en vertu de son pouvoir en matière de « droit criminel » est influencée par l’évolution des perspectives sociales, politiques et(ou) scientifiques.  Là où les nouveautés en matière d’information dont dispose le Parlement prouvent qu’une activité qui était antérieurement considérée comme préjudiciable à l’intérêt public ne peut plus l’être, le Parlement n’est alors plus en mesure de justifier une interdiction de cette activité en vertu de son pouvoir en matière de « droit criminel ».  Nous soutenons que des changements de cet ordre sont sûrement survenus depuis les affaires R. c. Hamon (1983), 8 C.C.C.(3d) 490(C.A. du Québec) et R. c. Cholette, non rapportée, 23 mars 1993, Victoria Registry #64964 (Cour suprême de la Colombie-Britannique).  RJDA, onglets 5 et 11

Voir le dossier conjoint sur les faits relatifs à la législation, par. 43-64

55.       Nous soutenons qu’un changement du climat social et politique ou dans la perception scientifique peut rendre une loi fédérale ultra vires, malgré le fait que la loi, lors de son adoption, ne laissait aucun doute sur son caractère intra vires.  Dans le Renvoi relatif à la margarine, [1949], la Cour a conclu que l’interdiction visant la consommation et la vente de la margarine avait perdu toute sa justification sous-jacente en matière de droit criminel résultant de nouvelles données scientifiques.  Le juge Rand notait que : « les fins ordinaires, bien que non exclusives » [traduction] d’une législation criminelle valide sont la protection de : « la paix publique, l’ordre, la sécurité, la santé et la moralité » [traduction].  Compte tenu du fait que de nouvelles données scientifiques remettaient complètement en question les affirmations selon lesquelles la margarine était néfaste pour la santé publique, la Cour invalidait l’interdiction de la margarine, car cette interdiction ne servait plus les fins d’une législation criminelle, mais plutôt les intérêts de l’industrie laitière.

Le renvoi sur la validité du paragraphe 5a) de la Dairy Industry Act (Renvoi relatif à la margarine), [1949] R.C.S. 1 à la p. 50; conf. [1951] A.C. 179.  RJDA, onglet 22

 

56.       Le principe énoncé au Renvoi relatif à la margarine a été appliqué dans d’autres contextes où des changements de perspectives au niveau moral, politique et scientifique ont remis en question les pouvoirs du législateur fédéral.  Ce principe a été invoqué en particulier en ce qui a trait à la Loi sur la prohibition et à la Loi de l’observance du dimanche – deux secteurs où la loi avait été structurée autour du concept « du choix local » [traduction].  Dans nombre de décisions portant sur ces domaines, on a conclu que l’adoption d’une législation provinciale permissive reflétait les changements de perspective morale dans les politiques publiques, à tel point que le régime fédéral de la prohibition ne pouvait plus être jugé intra vires du pouvoir du gouvernement canadien.  Bien qu’aucune loi provinciale permissive n’ait été adoptée touchant le cannabis (marijuana) pour confirmer un changement de perspective, il reste que les circonstances prouvent dans les faits un changement de perspective qui s’est manifesté par le fait que la majorité des commissions gouvernementales qui se sont penchées sur cette question ont conclu que la justification originale d’une interdiction ne tenait plus et que nombre de démocraties libérales occidentales penchent vers la décriminalisation.

R. c. Varley (1935), 65 C.C.C. 192 aux pp. 199-200.  RJDA, onglet 38

R. c. Clay, non publiée, 14 août 1997, Cour de l’Ontario (Division générale), dossier n° 3887F par le juge McCart aux pp. 8-12.  RJDA, onglet 12

R. c. Jones (1936), Chitty’s Abridgment of Canadian Criminal Case Law (Toronto Canada Law Book 1925-1939) pp. 326-327.  RJDA, onglet 18

            R c. Shopper’s Bazar Ltd. (1973), 15 C.C.C. (2d) 497.  RJDA, onglet 35

57.       Nous soutenons que le contexte législatif  relatif à l’interdiction de la possession de cannabis (marijuana) est éloquent à cet égard.

Voir l’Énoncé conjoint des faits d’intérêt public, par. 30-37

58.       Lors du procès, dans l’arrêt R. c. Clay (supra), l’honorable juge McCart a omis de faire la distinction entre le préjudice à l’usager et le préjudice à autrui et à la société dans son ensemble et de faire la distinction entre la possession pour usage personnel et la possession pour fins de distribution et, par conséquent, a conclu que la législation était valide en vertu de la clause touchant « la paix, l’ordre et le bon gouvernement », car elle répond à une préoccupation d’ordre national.  Ces conclusions vont à l’encontre de la preuve en l’espèce déposée devant la Cour et relative à la simple possession et à l’usage de la marijuana à des fins personnelles seulement.

59.       Pour ces raisons, nous soutenons qu’en plus des principes et facteurs découlant de la Charte, l’interdiction de la possession de cannabis (marijuana) n’est pas justifiable tant en vertu du pouvoir touchant « la paix, l’ordre et le bon gouvernement » qu’en vertu du pouvoir fédéral en matière de « droit criminel ».

60.       À ce jour, dans les présentes procédures, l’intimé, le gouvernement fédéral, a invoqué trois raisons justifiant une compétence de cet ordre en vertu de l’un ou l’autre de ces pouvoirs, notamment les préoccupations pour la santé publique, l’importance de se conformer à des obligations d’ordre international et la sécurité publique.

i)          Préoccupation de santé publique

 

a)         Il n’y a aucune preuve que la possession de cannabis (marijuana) pour usage personnel ait quelque effet néfaste de quelque nature sur d’autres personnes, situées à proximité ou non du possesseur/usager, ni de preuve d’un quelconque préjudice à la société dans son ensemble.  La preuve découlant du témoignage du témoin expert des intimés, le docteur H. Kalant était que la consommation de cannabis (marijuana) ne présentait aucun effet préjudiciable important pour la santé de 95 % des consommateurs adultes au Canada qui seraient des usagers de faible quantité, occasionnellement ou modérément.  Selon le témoignage du docteur S. Peck, représentant du bureau du sous-ministre de la Santé de la C.-B., cela ne posait en fait aucun problème important de santé publique au pays.  Malgré le fait qu’il y ait matière à préoccupation dans les cas de groupes plus vulnérables comme les jeunes, les femmes enceintes, et les gens souffrant d’un handicap mental, le seul groupe à risque au point de vue de santé à long terme est l’usager chronique qui consomme au moins une cigarette de marijuana par jour en prenant de profondes respirations, qui fume la cigarette jusqu’au bout et que la marijuana est mal répartie et sans filtre.  De plus, c’est l’habitude de fumer ou la pyrolyse qui cause ce dommage (éventuellement la bronchite chronique – pas le cancer) et non les ingrédients actifs du cannabis (marijuana).

 

b)         On estime que ce groupe représente approximativement 0,21 p. 100 de la population totale canadienne de plus de 15 ans ou environ 30 000 personnes au Canada.  Quel que soit le « préjudice » que peut causer ce petit groupe à la société dans son ensemble au point de vue de coûts en santé, etc., c’est vraisemblablement négligeable ou, tout au moins, très faible, mais, chose certaine, ce n’est pas suffisant pour constituer un problème de santé publique justifiant une intervention du fédéral au plan du « droit criminel » ou un recours à la clause de « la paix, l’ordre et le bon gouvernement ».  Et qui plus est, la nature des problèmes de santé pouvant toucher ce petit groupe font partie des types  problèmes généralement réglés entre le médecin et son patient ou un hôpital et des conseillers en matière de santé, et sont traditionnellement des aspects qui sont clairement du ressort historique des compétences provinciales en tant que question de santé d’ordre local et privé dans chaque province.

Voir l’Énoncé conjoint des faits d’intérêt public, par. 8-10

 

ii)         Obligations internationales

 

a)         La Couronne prétend également que la législation se justifie dans le but de s’assurer que le Canada se conforme à ses obligations internationales.  Le Canada (comme les Pays-Bas) est semble-t-il l’un des 85 pays qui a ratifié la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes (1988).  Le paragraphe 3(2) de la Convention stipule que celle-ci est assujettie aux principes constitutionnels de chaque pays et aux concepts de base de leurs systèmes juridiques.  Bien qu’elle prévoie qu’il appartient à chaque partie d’adopter des mesures pour décréter une infraction criminelle en vertu des lois applicables visant la possession ou toutes autres infractions, les alinéas 3(4)c) et d) permettent aux parties d’avoir recours à des moyens autres que la condamnation et la sanction dans les cas de délits mineurs.  Ces moyens comprennent la thérapie, l’éducation, le traitement secondaire, la réhabilitation ou la réintégration sociale.

b)         Les dispositions contenues au plus récent traité et dans les traités antérieurs permettent au Canada non seulement de traiter la possession simple pour usage personnel au moyen de méthodes autres que le droit pénal et au moyen de méthodes traditionnellement réservées dans notre régime fédéral aux législatures provinciales, mais énoncent de façon expresse que le traité ou la Convention est assujettie aux concepts de base traditionnels de notre système de droit; ce système comprendrait non seulement la séparation des pouvoirs entre les gouvernements fédéral et provinciaux, mais également les dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés.  Le requérant soutient que ces facteurs apportent une réponse complète à la prétention de la Couronne voulant que l’interdiction de la possession simple à la Loi sur les stupéfiants trouve son fondement dans ce traité international.

La Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes  (1988) signée par le Canada le 20 décembre 1988, ratifiée le 5 juillet 1990 et entré en vigueur au Canada le 11 novembre 1990.  RJDA, onglet 43

 

Voir aussi la Convention sur les substances psychotropes, 1971, et en particulier l’article 2, paragraphes 1-7 et l’article 22, paragraphes 1-5 – Voir onglet 23 du dossier Brandeis de la Couronne (Pièce 5)

 

Voir aussi la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, article 38, paragraphe 1 – Voir onglet 20 du dossier Brandeis de la Couronne (Pièce 5)

 

Voir le Protocole modifiant la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, article 14 modifiant l’article 36, paragraphes 1 et 2 de la Convention unique – Voir onglet 21 du dossier Brandeis de la Couronne (Pièce 5)

 

R. c. Clay, non publiée, 14 août 1997, Cour de l’Ontario (Division générale), Dossier n° 3887F par le juge McCart, à la p. 18.  RJDA, onglet 12

 

iii)        Sécurité publique

a)         En ce qui concerne la « sécurité publique », le fondement de cette prétention de l’intimé se rapporte aux effets aigus de la consommation de cannabis (marijuana) qui, dans les faits, cause un changement des fonctions mentales et, tout dépendant de chaque cas en particulier, notamment le taux d’usage, la puissance, la connaissance du produit, peuvent affaiblir les facultés de celui qui conduit un véhicule, pilote un avion ou conduit de la machinerie complexe.

b)         Même si la recherche se poursuit sur les effets aigus de la consommation de marijuana et ses conséquences, des études récentes prouvent que les conséquences pour les usagers sont beaucoup moins importantes que pour ceux qui consomment de l’alcool, et la preuve n’est pas concluante pour ce qui est de savoir jusqu’à quel point la consommation de marijuana peut contribuer à des accidents.  Malgré cela, le requérant reconnaît que la consommation de marijuana à un stade aigu peut affecter les fonctions psychomotrices, mais précise que les pouvoirs du Parlement canadien en matière de « droit criminel » répondent à cette préoccupation, notamment l’article 243 du Code criminel du Canada qui prévoit que la conduite d’un aéronef, d’un train ou d’un véhicule avec facultés affaiblies par l’effet de l’alcool ou d’une drogue, constitue une infraction.

c)         Chose intéressante, le Parlement a jugé bon de restreindre l’application du paragraphe 253(b) aux consommateurs d’alcool.  Malgré le dépôt de preuves devant la Cour sur des méthodes en cours d’élaboration pour déterminer les concentrations de THC dans le sang d’une personne, il ne semble pas y avoir d’appareil équivalent à l’ivressomètre, et il existe d’autres problèmes pratiques associés à ces méthodes de détection.  Il semble qu’un échantillon de salive pourrait permettre de déterminer s’il y eu usage récent, mais cette méthode exigerait une prise de sang subséquente pour établir le taux d’usage réel.

d)         Nous soutenons que le paragraphe 253(a) couvre la situation en ce qu’il vise la diminution des facultés psychomotrices utilisées pour conduire un véhicule ou piloter un avion ou conduire de l’équipement.  La police a non seulement le pouvoir d’observer la conduite d’un suspect ou de recevoir de l’information de tiers sur cette conduite, mais elle peut aussi surveiller le suspect et exiger qu’il se plie à divers exercices physiques, le long de la route, pour évaluer si la coordination psychomotrice ou les aptitudes sont en fait affaiblies.  La preuve ne signifie pas qu’un policier adéquatement formé ne pourrait pas détecter cette absence de coordination, si les facultés de la personne étaient affaiblies par la drogue.

Mercer et Jeffrey : « Alcohol, Drugs and Impairment in Fatal Traffic Accidents in British Columbia » (1995), le dossier Brandies de la Couronne, Pièce 5, onglet 16

Robbe, Influence of Marihuana on Driving (1994), Institue of Human Pharmacology, University of Limberg, Maastricht (Pièce 40).  Voir aussi les extraits à l’onglet 17 du dossier Brandeis de la Couronne (Pièce 5)

Huestis, « Drug Monographs:  Marihuana » (1994), Committees on Driving under the Influence of Drugs (onglet 18 du dossier Brandeis de la Couronne (Pièce 5)

Zimmer et Morgan, Marihuana Myths, Marihuana Facts:  a Review of the Scientific Evidence, Lindesmith Centre, New York and San Francisco (1997), Pièce 39, chapitre 17.  RJDA, onglet 44

Le témoignage du Dr H. Kalant pour les intimés – Dossier des appelants, vol. VI aux pp. 969-979 et 1002-1004

 

e)         Le requérant reconnaît qu’il s’agit ici d’un exercice légitime du pouvoir du Parlement fédéral en matière de « droit criminel » en ce qu’il ne se limite pas simplement à interdire la possession et l’usage du cannabis (marijuana), mais également un tel usage associé avec la conduite, l’utilisation, la maîtrise et le contrôle d’un véhicule, d’un avion ou de machinerie sous l’influence d’une drogue.  Cela implique clairement l’usage d’une substance dans des circonstances où l’activité supplémentaire qu’est la conduite, etc. présente un risque évident et important pour les autres et ultimement pour la société dans son ensemble.  Il s’agit du fondement traditionnel de l’exercice du pouvoir en matière de « droit criminel » qui se manifeste par une conduite qui est susceptible de causer un préjudice aux autres ou de constituer un risque important de préjudice grave pour la société.

f)          Nous soutenons cependant que l’interdiction seule de la possession simple en vertu de la Loi sur les stupéfiants ou de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances ne peut être justifiée par des raisons de sécurité publique en l’absence de l’élément de conduite d’un véhicule, de pilotage et d’utilisation d’autres machines.  Agir ainsi aurait pour effet d’utiliser des moyens excessifs pour atteindre l’objectif et la disposition aurait une portée excessive et, par conséquent, violerait les principes de justice fondamentale.  En d’autres mots, ce serait porter atteinte à la liberté d’une personne d’une manière qui serait inutilement excessive, allant au-delà de ce qui est requis pour atteindre l’objectif visé par le gouvernement.

R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606 (C.L.C.)

R. c. Heywood, (supra) en général (C.L.C.).  RJDA, onglets 28 et 17


PARTIE IV 

NATURE DE LA DÉCISION RECHERCHÉE

1.                  La décision recherchée est que l’appel soit accueilli, que la condamnation soit annulée et que la déclaration appropriée soit prononcée conformément aux articles 24(1) et 52 de la Charte canadienne des droits et libertés, déclarant que l’ajout du cannabis sativa, ses préparations, ses produits dérivés et autres préparations synthétiques similaires, incluant toutes les substances énumérées à l’Annexe en vertu des paragraphes 3(1) à (6) de la Loi sur les stupéfiants, L.R.C. 1985, ch.N-1 et ses amendements, et(ou) les dispositions analogues de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances dans la mesure où elles se rapportent à la possession simple et à l’usage en contravention des paragraphes 3(1) et (2) de la Loi sur les stupéfiants ou l’article 4 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances vont tous à l’encontre du droit constitutionnel de l’appelant à la liberté et à la sécurité de sa personne et de son droit à ne pas en être privé, sauf en conformité avec les principes de justice fondamentale énoncés à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

LE TOUT RESPECTUEUSEMENT SOUMIS.

_________________________________

JOHN W. CONROY, c.r.
PROCUREUR DE L’APPELANT


AVIS À L’INTIMÉ :  Conformément au paragraphe 44(1) des règlements de la Cour suprême du Canada, cet appel sera inscrit pour audition par le Registraire après le dépôt du mémoire de l’intimé ou à l’expiration du délai prévu à l’alinéa 38(3)b) desdits règlements, selon le cas.


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