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ILLE - Comité spécial

Drogues illicites (spécial)

 

Conflits, drogues et activités mafieuses

Contribution aux travaux préparatoire de la conférence de La Haye sur la Paix

11 - 16 mai 1999 

 MARS 1999


INTRODUCTION

a) La drogue dans les conflits de la guerre froide

Le rapport entre les drogues et les conflits est ancien (encadré n°1). Mais c’est avec l’interdiction de ces produits mise progressivement en place par la communauté internationale durant la première moitié du XXème siècle qu’il a pris une acuité toute particulière. Durant toute l’époque de la guerre froide, certaines grandes puissances, particulièrement les États-Unis et des puissances régionales (France, Israël, Afrique du Sud...) – en Birmanie, au Vietnam, au Liban, en Amérique centrale, en Afghanistan et en Afrique australe – ont financé leurs opérations secrètes ou tout simplement acheté la fidélité de leurs alliés en recourant à l’argent de la drogue (encadré n°3). Ces guerres et ces conflits locaux ou régionaux sont incontestablement à l’origine de l’explosion des productions de drogues dans un certain nombre de pays et donc ont contribué au développement de la toxicomanie dans le monde. En Birmanie, après la première guerre mondiale, la production n’était que d’environ 200 tonnes d’opium. L’utilisation de ce pays comme base arrière par les troupe de Kuomintang, avec l’appui de la CIA dans les années cinquante, puis le conflit du gouvernement avec le Parti communiste et les minorités ethniques, ont fait passer la production à 800 tonnes en l988. Au cours des dix dernières années de dictature militaire, elle est passée à 2 500 tonnes, de quoi fabriquer 220 tonnes d’héroïne dont la majeure partie est exportée.

En Afghanistan, la production d’opium était en l979 d’environ 300 tonnes. L’invasion soviétique, la perte de contrôle du territoire de la part de l’État, la guerre menée contre les communistes par les moudjahidin, la destruction des cultures licite, l’implication des services secrets pakistanais dans la commercialisation de l’héroïne (avec la bénédiction de la CIA), ont fait passer la production à 1 500 tonnes en 1992. A la suite de la guerre civile entre factions, elle a atteint, comme en Birmanie, environ 2 500 tonnes en 1998.

Dans les pays andins, la croissance de la production de cocaïne (de 500 à 700 tonnes en 1988 à un millier dix ans plus tard), ne peut pas être attribuée aux seules situation de guerre, la dégradation de vie des milieux populaire ayant également joué un rôle important dans ce phénomène. Mais la guerre contre le Sentier lumineux dans la vallée amazonienne du Huallaga et le conflit dans les zones rurales de Colombie, ont certainement contribué à cette croissance. Dans ce dernier pays, les surfaces cultivées de cocaïer sont passées de 30 000 hectares en l994 à environ 100 000 aujourd’hui, principalement dans les zones contrôlées par la guérilla ou par les groupes paramilitaires agissant pour le compte de l’armée. En outre, la culture du pavot et la production d’héroïne sont apparues en 1990. Cette production, qui se situe principalement dans les zones de conflit, couvre en l998, entre 10 000 et 20 000 hectares.

En Afrique australe, le conflit provoqué par l’apartheid est à l’origine d’une explosion du trafic et de la consommation des drogues synthétiques en particulier du Mandrax dont la contrebande a été utilisée aussi bien par les services secrets sud-africains que par les mouvements armés des communautés noires et métisses. Au Mozambique et en Angola, la guerre coïncide avec un important développement des cultures de cannabis dont les réseaux de trafic seront utilisés dans l’après guerre froide pour trafiquer des drogues dures (cocaïne) et des drogues de synthèse (Mandrax, amphétamine).

 

b) La drogue dans les conflits après la fin de l’ère bipolaire

La fin de l’antagonisme des blocs, période durant laquelle les deux super-pouvoirs s’affrontaient à travers leurs alliés dans le Tiers monde, n’a pas fait disparaître les conflits locaux. On a découvert que leurs motifs idéologiques (combat pour le socialisme, la libération nationale, anticommunisme) cachait le plus souvent des affrontements de nationalité, ethniques ou religieux. Les belligérants ne pouvant désormais compter sur le financement de leurs puissants protecteurs, ils ont dû trouver dans les trafics en tous genres, parmi lesquels celui des drogues, des ressources alternatives. Certains de ces conflits, en Colombie, en Afghanistan ou en Angola, existaient avant la fin de la guerre froide. Le retrait des partis frères ou de puissants protecteurs, non seulement les rendent désormais de moins en moins contrôlables, mais poussent certains de leurs protagonistes vers des activités de simple prédation. Dans d’autres cas, c’est l’effondrement des régimes communistes qui a provoqué de nouveaux conflits : ex-Yougoslavie, Azerbaïdjan-Arménie, Géorgie (Abkhazie, Ossétie), Tchétchénie et Tadjikistan. Ces conflits, qui ont abouti à un affaiblissement des États, voire parfois à leur dislocation, sont également à l’origine du développement des trafics.

 

c) L’implication des forces de l’ordre et des insurgés

Si dans la plupart des conflits les insurgés et les forces de l’ordre sont également impliqués, cela n’est ni au même niveau, ni de la même façon. En effet, un État constitué a généralement les moyens de financer l’équipement et l’approvisionnement de ses forces de répression (armée et police). Lorsqu’elles participent au trafic, c’est en général dans le but d’un profit personnel des combattants, en particulier des officiers. Par contre, les services secrets, qui n’ont pas de budgets officiels mais sont payés sur des caisses noires, ont souvent recours à de l’argent provenant de trafics illicites. Ils peuvent également favoriser les trafics de leurs alliés afin de ne pas avoir à les payer.

On peut ainsi, à l’aube du deuxième millénaire, dresser une liste des conflits en cours ou mal éteints, dans lesquels la présence de la drogue est avérée.

Amérique latine : Colombie, Pérou, Mexique (Chiapas et Guerrero)

Asie : Afghanistan, Tadjikistan, Inde (Cachemire, états du nord-est), Birmanie, Philippines, Azerbaïdjan-Arménie, Tchétchénie, Géorgie (Adjarie, Abkhazie)

Europe : Yougoslavie (Kosovo), Turquie, Irlande

Afrique : Algérie, Égype, Soudan, Sénégal (Casamance), Guinée-Bissau, Liberia, Sierra-Leone, République démocratique du Congo (RDC), Congo, Tchad, Ouganda, Rwanda, Angola, Somalie, Comores (Anjouan).

(1) L’analyse du rôle de la drogue dans le financement de ces conflits se situe en dehors de tout jugement sur les motivations des belligérants, la légitimité de leur combat, etc.

 

c) La drogue et la paix

Dans un certain nombre de ces conflits la recherche de la paix et intimement liée à la solution du problème posé par la production et le trafic des drogues...et réciproquement. Deux exemples sont particulièrement significatifs à cet égard : celui de la Colombie et celui du Kosovo (Serbie).

En Colombie, des négociations de paix entre le gouvernement du président Andrès Pastrana et la guérilla communiste des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), ont été inaugurées, le 7 janvier 1999, dans le bourg de San Vincente de Caguán. Le premier objectif de ces négociations a pour but de mettre fin à plus de 50 ans d’un conflit armé qui fait chaque année des milliers de victimes, surtout civiles, et se trouve à l’origine de plus d’un million de personnes déplacées. Du fait de l’efficacité militaire des FARC qui comptent près de 10 000 combattants et ont infligé en 1997 et l998 de sérieux revers à l’armée (elles détiennent plus de 300 policiers et militaires), ce conflit menace de déstabiliser toute la région. Le Venezuela, l’Équateur et le Pérou ont massé des troupes aux frontières pour éviter l’incursion de guérilleros et de trafiquants de drogues. En effet, un autre des enjeux sous-jacent aux négociations de paix, est de permettre la réduction de la culture des cocaïers et de la production de cocaïne qui sont aujourd’hui une des principales sources de financement des FARC et des groupes paramilitaires d’extrême droite qui les combattent.

La présence de la drogue dans le financement de la lutte des Albanais du Kosovo n’est pas explicitement reconnue par la communauté internationale. Cependant, un certain nombre d’observateurs et l’OGD en particulier, n’ont cessé de souligner que, depuis l990, des réseaux d’Albanais du Kosovo vendent de l’héroïne importée de Turquie dans différents pays d’Europe, en Suisse en particulier, afin d’acheter des armes. Ces dernières d’abord stockées dans la région albanaise de Macédoine, à la frontière du Kosovo, étaient destinées à un soulèvement et ont certainement profité à l’Armée de libération du Kosovo (UCK). Bien que cette dernière ait été ensuite équipée grâce au pillage des casernes albanaises au moment de la chute du président Berisha, de nombreux réseaux albanais qui vendent de la drogue et achètent des armes continuent à être démantelés en Europe, durant la seconde moitié de l’année l998 et le début de 1999, en particulier en Italie. La solution du conflit au Kosovo serait certainement une contribution (nécessaire mais non suffisante) à la lutte contre les trafics de drogues et la criminalité d’origine balkanique. On pourrait se livrer à une analyse du même type en ce qui concerne le conflit entre l’État turc et le Parti des travailleurs du Kurdistan qui a contribué à criminaliser tous ses protagonistes : le PKK distribue de l’héroïne en Allemagne pour financer son combat tandis que l’armée turque paie ses supplétifs kurdes avec la drogue ou l’argent de la drogue et que les hommes politiques font des affaires avec la mafia (voir plus bas).

 

Voici donc quelques exemples qui montrent que la reconnaissance des droits des minorités et la recherche de la paix sont aussi des moyens de lutter à la fois contre la criminalité, la production et la consommation des drogues.

 

Encadré 1. Les drogues et les conflits dans l’histoire

Les rapports entre les expéditions militaires, les conquêtes ou les conflits et les drogues sont aussi anciens que l'utilisation par les hommes des substances qui «modifient les états de conscience». Les Incas (XIII-XVIème siècle A.J-C) récompensaient leurs capitaines victorieux en leur octroyant le privilège de cultiver le cocaïer. Une drogue est même associée au mot qui a anticipé de sept siècles celui de «terroriste», apparu durant la Révolution française : du XIème au XIIIème siècles de notre ère, les membres d'une secte religieuse fondamentaliste établie entre Iran, Irak et Syrie actuels, qui combattaient le pouvoir de Bagdad comme les croisés venus d'Occident, ont été en effet qualifiés d'Assassins, hachîchiyyîn car, à tort ou à raison, on leur imputait de commettre des crimes sous l'influence du haschisch.

Le premier grand conflit à l'intérieur duquel une drogue joue un rôle important sont, à la fin du XVIIIème siècle, les rébellions indiennes de l'empire espagnol. Lors du siège de La Paz par les rebelles dirigé par Julian Apasa, dit Tupac Katari, qui dura six mois à partir du début de novembre l781, la coca joua un rôle déterminant pour les miliciens indiens qui allaient jusqu'à refuser d'aller au combat s'ils n'avaient pas été ravitaillés en feuilles. Ces dernières ont également permis aux assiégés de supporter les privations. Tupac Katari ordonna à un de ses lieutenants de conquérir la région des vallées chaudes (yungas) d'où provenait la feuille de coca. Les surplus revendus permettaient d'obtenir de l'argent pour faire face à d'autres dépenses occasionnées par la guerre. De même, durant les guerres d'indépendance contre la domination espagnole, qui débutent en l809, les forces royalistes établissent une contribution patriotique exceptionnelle sur la vente de la coca destinée à financer leurs équipements.

Trente ans plus tard, les «guerres de l'opium» représentent un enjeu économique beaucoup plus considérable encore. Les Anglais inondent alors la Chine d'opium produit en Inde afin d'équilibrer leur commerce avec le Céleste empire. L'empereur, au spectacle de dizaines de millions de ses sujets devenus toxicomanes, tente d'interdire ce commerce. Après que la flotte anglaise ait bombardé la côte chinoise et dispersé les jonques de la flotte impériale, les Britanniques contraignent la Chine par le traité de Nankin (1842) à ouvrir cinq ports au commerce international et la concession exclusive de celui de Hong-Kong. Pendant les dix années suivantes, les importations d’opium en Chine doublent. La deuxième Guerre de l’opium, ou «Guerre de l’Arrow» (1856-1858), au cours de laquelle les Français s’allient aux Britanniques, vise à briser les dernières résistances de l’Empire du Milieu. Le traité de Tien-tsin, en 1858, légalise l'importation de l'opium en Chine. Onze nouveaux ports chinois sont ouverts au commerce occidental. La capacité d'intervention de l’État chinois est ruinée au profit des grands ports «libres» où les prix sont décidés par le marché. Les grands conflits modernes ont joué un rôle décisif dans le développement des toxicomanies : maladie du soldat (morphinomanie) après la Guerre de Sécession, cocaïnomanie après la première Guerre mondiale, abus des amphétamines au Japon à partir de l945 et héroïnomanie des soldats américains à leur retour du Vietnam.


I. LIENS ENTRE DROGUES ET CONFLITS

Avant de se pencher sur un certain nombre des conflits mentionnés plus haut, il est nécessaire d’envisager, d’une façon plus générale, qu’elle est la nature des rapports entre drogues et conflits.

 

A. NATURE DU RAPPORT DROGUES-CONFLITS

1. Les effets psycho-physiologiques des drogues

Les drogues peuvent soit stimuler l’ardeur du guerrier au combat ou le rendre inconscient du danger, soit effacer, après la bataille, les douleurs des blessures ou l’extrême tension engendrées par les affrontements, particulièrement lorsqu’ils prennent la forme du combat rapproché. Cet aspect du rapport drogue conflit reste présent aujourd’hui, en particulier en Afrique où, le plus souvent, les combattants ne disposent pas d’un armement très sophistiqué. La drogue est systématiquement fournie aux enfants-soldats pour leur permettre de supporter le stress du combat. Ces pratiques ont leur l’importance dans la reconstruction de la société civile dans la période qui succède au conflit car ils impliquent notamment la désintoxication des enfants soldats et des anciens combattants, mais ne sont pas au centre de la recherche de solutions aux conflits.

 

2. Les liens entre drogues et conflits sont surtout aujourd’hui d’ordre économique du fait de la valeur ajoutée que la prohibition confère aux drogues, majoritairement produites dans le tiers monde, et la soumission à un contrôle médical de celles produites par l’industrie pharmaceutique occidentale.

 

B. ARTICULATION ÉCONOMIQUE ENTRE DROGUES ET CONFLITS

Le rôle joué par les drogues dans les conflits locaux contemporains, depuis la chute du mur de Berlin, et la nécessité pour les belligérants de compter désormais sur leurs propres forces, répondent à un certain nombre de modalités qui caractérisent leur commerce :

 

1. la première, est l’escalade des profits : à chacune des étapes (elle-même fractionnée en plusieurs séquences intermédiaires) de la production, de la transformation et de la commercialisation des drogues, les marges bénéficiaires sont considérables. Dans le cas de la cocaïne et de l’héroïne, le prix, du producteur au consommateur, est multiplié en moyenne, par 2 500. Chacune de ces étapes constitue, selon Alain Joxe «un lieu d’accumulation du pouvoir, de la force militaire, car, quand il y a des surplus, on peut nourrir des soldats».

 

 

Encadré n°2 : L’escalade des profits (sur la base d’un kilo de cocaïne pure payé en dollars)

Cocaïne (fabriquée en Bolivie, au Pérou et en Colombie)

- Prix payé au producteur par le collecteur pour 200 kilos de feuilles (= 1kg de pâte base)

200

- 1 kilo de pâte base payé au producteur

350

- 1 kilo de base lavée payée à l'intermédiaire

500

- 1 kilo de chlorhydrate payé à l'exportateur colombien

2 500

- 1 kilo payé à l'importateur de gros (Miami)

14 000

- gros (New York)

30 000

- gros (Paris)

40 000

- gros (Copenhague, Moscou, Ryad)

150 000

- rapport de la vente au détail (produit coupé)

500 000

(1) Cette escalade des profits est théorique, car beaucoup de consommateurs de cocaïne dans les pays riches achètent par dizaines, voire par centaines de grammes une drogue relativement pure.

Héroïne (fabriquée au Pakistan)

Prix d'un kilo d'opium payé au producteur par le négociant

60

Prix payé par le laboratoire au négociant

80

Prix d’un kilo de morphine base (10 kilos d'opium) à la sortie du laboratoire

1 200

Prix de l'héroïne à la sortie du laboratoire

3 000

Prix payé à la frontière du Pakistan

5 000

Prix de gros en Turquie

12 000

Prix de gros en Hollande

50 000

Rapport de la vente au détail

1 500 000

2. la seconde modalité, est le troc armes pour drogue. Il peut prendre des formes diverses. Cela peut aller de l’utilisation des réseaux de drogues pour se procurer et acheminer des armes, jusqu’au paiement classique des armes par de la drogue, quitte à les échanger à nouveau pour de la drogue mais en obtenant chaque fois une plus value plus importante.

 

3. La troisième modalité, très répandue, voit le vendeur offrir à son client les armes et la drogue. L’escalade des profits générée par la vente des drogues donne au vendeur la garantie que son client paiera les armes grâce à la revente de la drogue. Cette pratique offre également l’avantage de ne pas dédoubler les réseaux drogues/armes et donc de mieux assurer la sécurité.

 

C. NIVEAUX DE FINANCEMENT DES GROUPES INSURGÉS

1. On relève d’abord le financement des groupes insurgés par l’impôt prélevé auprès des paysans sur la valeur du produit agricole. Cela implique pour les guérillas un échange de service : protection contre les abus des commerçants, des délinquants et surtout contre les incursions et la prédation des forces de répression.

 

2. Le deuxième niveau de financement concerne l’impôt payé, comme sur toute autre marchandise d’ailleurs, par les commerçants et les trafiquants. (A moins que les combattants n’assurent eux-même la commercialisation du produit).

 

3. Certains groupes montent eux-mêmes des laboratoires de transformation afin de vendre du produit fini aux trafiquants.

 

4. La quatrième modalité de ce lien, consiste à accompagner le produit jusque dans les pays consommateurs et de s’investir dans le commerce de détail local.

Plus les groupes insurgés s’impliquent dans le trafic en aval, plus leurs gains seront importants. C’est au franchissement de la frontières du pays consommateur, ainsi qu’au niveau de la commercialisation sur les marchés de détail que l’escalade des profits est la plus importante. Mais c’est également à ces niveaux que les liens avec les mafias internationales sont les plus nécessaires et donc les risques de criminalisation des groupes insurgés les plus grands.

 

D. LA DIALECTIQUE DE L’ARTICULATION DROGUES-CONFLITS

Les conflits peuvent être notamment caractérisés par leur intensité et leur extension territoriale. Mais, dans le cas où la drogue intervient dans leur financement, celle-ci peut influer sur la nature des conflits, au point d’en dénaturer les objectifs déclarés.

 

1. Il convient d’abord de remarquer que les belligérants peuvent utiliser pour se financer à travers la vente de drogues, des réseaux préexistant à la guerre et portant sur d’autres produits illicites.

2. Que la drogue constitue, dans un premier temps, le nerf de la guerre.

3. Au cours du conflit, la drogue peut devenir un enjeu relatif (conflit pour le contrôle de la drogue afin de mieux financer le conflit) ou un enjeu absolu : conflit pour les ressources procurées par la drogue en dehors de tout autre motif.

 

4. Les conflits dont la drogue n’est plus le moteur, mais l’enjeu, nous renvoient à la case départ, c’est à dire sur le terrain des conflits locaux. Différents groupes rebelles peuvent parfois entrer en conflit pour le contrôle de zones de production ou de routes d’acheminement de la drogue.

 

5. Quand des troupes régulières entrent en conflit avec les rebelles pour ce même contrôle, cela place la drogue au centre des intérêts des belligérants au détriment de leurs motifs idéologiques et entraîne la criminalisation des insurgés et des forces de l’ordre qui les combattent. La drogue, dans ce cas, devient un élément de prolongation du conflit.

 

6. Dans le cas d’une solution au conflit, le trafic de drogues peut persister, les anciennes milices se transformant en gang de trafiquants.

 

Encadré 3 : les drogues dans les conflits de la guerre froide

Avec la «guerre froide», la drogue est devenue une arme des services secrets. «A la suite de l'occupation de la Birmanie par les Japonais, L'Office of Strategic Service (OSS), l'ancêtre de la CIA, installe des camps en Assam où son "détachement 101" forme de nombreux groupes ethniques à la guérilla antijaponaise. Le "Détachement 101 entre ainsi dans le trafic d'opium". Comme l'écrira son commandant William R. Peers : "Ne pas utiliser l'opium comme monnaie d'échange aurait mis fin à nos opérations." Lorsqu'en 1949 les forces de Chiang Kai-Shek furent vaincues par les communistes, les débris de la 93e division du général Li Mi passèrent en Birmanie et s'installèrent dans l’État shan. Ces troupes furent réorganisées avec l'aide de Taiwan et de la CIA afin de tenter une invasion de la Chine par le sud. Les nationalistes, pour financer leurs opérations, développèrent la production de l'opium entre les mains des tribus locales. Finalement, avec l'aide des Nations unies, les troupes du KMT furent rapatriées à Taiwan, mais certains contingents, grossis de recrues locales, se fixèrent en Thaïlande. C'est au début des années 60 que le KMT mit en service des raffineries de morphine base et d'héroïne avec l'aide de chimistes de Hong Kong capables de produire de l'héroïne n°4 dont la pureté dépassait 90 %. Durant la guerre d'Indochine, le Groupement mixte des commandos aéroportés (GMCA), dirigé par le commandant Trinquier, organisa dans le cadre de «L'opération X» un vaste trafic de l'opium au profit de la minorité meo qui formait une véritable armée de supplétifs. La drogue alimentait, soit les fumeries d'opium du Vietnam, soit les laboratoires d'héroïne de la mafia corse installés à Marseille. Après le départ de l'armée française, la CIA constitue à son tour une armée secrète qui compta, en 1965, jusqu'à 30 000 combattants meos. Son financement reposait en large partie sur l'argent tiré du trafic de l'opium et de l'héroïne. Par la suite, la CIA ferma les yeux sur les trafics dirigés par ses alliés vietnamiens, les généraux Thieu, Ky, etc, bien que les victimes de cette drogue aient appartenu au corps expéditionnaire américain. 10 % des GI deviendront héroïnomanes et 1 % le resteront après leur retour aux États-Unis.

Le même processus s'est reproduit lors du conflit en Amérique centrale, lorsque le Congrès mit son veto, entre octobre l984 et octobre l986, à toute aide militaire (amendement Boland), apportée par les États-Unis aux antisandinistes (contras). Les avions venus des États-Unis apportaient des armes, des vivres et des équipements aux contras du front sud basé au Costa Rica, puis repartaient pour la Colombie. A leur retour, ils transportaient des chargements de cocaïne fournis par le cartel de Medellin ; ceux-ci étaient livrés dans des ranchs du nord du pays, qui appartenaient à un citoyen des États-Unis, John Hull. Ce dernier soutenait les rebelles du Nicaragua, en étroite liaison avec la CIA et le Conseil national de sécurité (NSC), comme on le découvrit lorsqu'un avion de transport du gouvernement s'écrasa près d’un ranch et que ses sept occupants furent tués [Dale Scott, P. p 79-104].


II. LE FINANCEMENT DES CONFLITS LOCAUX PAR LA DROGUE

1. Prélèvement sur les productions agricoles et rapports aux populations : guérillas ethniques et guérillas marxistes

Les guérillas qui se développent en milieu rural, sans aide extérieure importante (Colombie, Birmanie, Inde, Philippines, Sénégal, etc.), sont dans l'obligation d’obtenir des populations les moyens de survie de leurs combattants. Là où existent des cultures illicites elles perçoivent une taxe sur les productions. Cela implique que les groupes armés aient des rapports très étroits avec la population rurale au sein de laquelle ils évoluent. Ces relations peuvent être de deux types :

 

a) L'échange de services : cela contribue à développer et à organiser la base sociale de la guérilla.

 

* contexte ethnique

Cela est relativement facile lorsque la guérilla se bat pour la reconnaissance des droits de l’ethnie qui la compose comme cela est le cas des armées kachin (KIO) ou des wa (USWA) en Birmanie, de l’Armée de libération meithei dans la vallée de l'Imphal, au nord-est de l'Inde (État du Manipur), ou des Bedja au Soudan. Dans ce cas la guérilla n'a pas le choix de son terrain : elle doit se battre là où vivent les populations de l'ethnie à laquelle elle appartient.

 

* contexte politique

Lorsque les groupes armés se battent au contraire au nom d'une idéologie politique, la présence permanente ou sporadique sur un territoire, nécessaire à la perception des ressources provenant de productions agricoles, licites ou illicites, est un élément fondamental de la stratégie de ces derniers. Il les oblige en effet à mener une guerre de position à proximité des zones productrices de cannabis, de coca ou de pavot. Faute de quoi, la récolte peut être moissonnée au profit d'un mouvement rival ou des forces de répression. Cette nécessité de «coller» aux producteurs est un facteur fondamental de la crédibilité des guérillas qui repose sur sa capacité de garantir aux paysans la possibilité de cultiver et de commercer des productions qu’elles soient licites ou illicites. Un exemple de cette symbiose est celui des Forces armes révolutionnaires de Colombie (FARC).

 

* Le cas des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC).

En Colombie, premier producteur mondial de chlorhydrate de cocaïne depuis une trentaine d’année, et également devenu, dans la seconde moitié des années l990, leader dans le monde pour les superficies plantées de cocaïers, tous les protagonistes des conflits ruraux sont liés à la production et au trafic. Nous envisagerons plus bas l’importance des liens des milices paramilitaires d’extrême droite et, à travers elles, de l’armée colombienne elle-même, avec ces activités illégales. Bien que certains détachements de la guérilla de l’Armée de libération nationale (ELN) soient imliqués dans la production et le trafic, c’est probablement à un degré moindre que les FARC. Cependant, si l’on dispose de plus d’informations sur ces dernières, c’est aussi que les gouvernements successifs, les services de police et de renseignements colombiens et américains, les médias nationaux et internationaux, ont depuis pour objectif, depuis le milieu des années l980, de diffuser à l’extérieur l’image des FARC comme «narco-guérilla». Les paramilitaires et leurs alliés militaires, n’ont pas fait, pour les raisons que nous développons plus bas, l’objet de recherches aussi approfondies. Ce qui ne signifie pas qu’ils soient tout autant, sinon plus, impliqués que les FARC.

Au début des années quatre-vingt, lorsque les cultures du cocaïer ont commencé à prendre de l’extension dans les zones contrôlées par les FARC, en particulier dans les départements du Guaviare, de l’Ariari et du Caqueta, le premier réflexe de leurs chefs dont la formation marxiste les conduisant à considérer les drogues comme un produit de la «dégénérescence capitaliste», a été de s’opposer à la production et au trafic. Ce sont les leaders du M-19 qui les ont convaincus que l'utilisation des ressources provenant de ces activités était «tactiquement» acceptable pour des révolutionnaires. Argument d'autant plus recevable par les FARC que ces cultures participaient à la stratégie de survie des paysans qui constituaient leur base sociale.

Protéger les cultivateurs de cocaïers, signifiait inévitablement entrer en négociation avec les «narcos». La guérilla a d’abord fixé le montant des salaires payés par les trafiquants aux cueilleurs de feuilles de coca en échange d’un prélèvement de 7 % à 10 %. Cet impôt, gramaje, n’était pas appliqué aux cultures vivrières. Il a par contre été étendu à la pâte base lorsque les paysans se sont mis à la fabriquer.

La guérilla perçoit également 8 % des prix payés par les commerçants pour l'achat de feuilles ou de base. Parallèlement, les FARC ont exercé des pressions sur les agriculteurs afin qu’ils ne se livrent pas à la monoculture du cocaïer (2/3 des superficies devaient en principe être consacrées aux productions vivrières). De même, dans leurs zones de contrôle, elles interdisaient la présence de voleurs, de mouchards et de tueurs à gage et, surtout, elles ont pris des mesures vigoureuses, pouvant aller jusqu’à la peine de mort infligée aux consommateurs de basuko (cigarettes imprégnées des déchets de base de cocaïne). Ce contrôle social s’est notablement consolidé à la suite de l’effondrement des prix de la coca en 1982-1983 qui laissait beaucoup de paysans démunis. L’obéissance stricte aux règles fut imposée, et les manquements sévèrement sanctionnés, mais accompagnés d’avantages que connaissaient les autres zones se trouvant sous l'influence de la guérilla : fourniture de services (éducation, santé, crédit, etc.), monopole de l'usage de la force et administration de la justice. Mais, cette politique a également amené les FARC a donner des gages aux propriétaires et aux trafiquants. C'est ainsi qu'en l990, un de leurs chefs, nous a déclaré qu'elles avaient été amenées à s'opposer à des mouvements d'invasion de terres de la part des paysans.

Leur rôle d'intermédiaire entre producteurs et commerçants leur permet d'obtenir d'importantes ressources qu'elles réinvestissent dans le financement de leur expansion territoriale. Ainsi, le développement de l’organisation a amené la direction des FARC a réorganiser ce qu’elle appelle ses «fronts» (colonnes d’une centaine de guérilleros) qui sont passés de 7 à 32 entre l978 et 1987. Les nouveaux fronts sont apparus dans des régions présentant un intérêt économique du fait de la présence de pierres précieuses, de pétrole et, surtout, des drogues. Ce renforcement de l'organisation n'est pas sans conséquence politique. En effet les fronts les plus anciens, composés de guérilleros formés politiquement et ayant une grande expérience de la lutte populaire, ont tendance à rester fixés dans des régions anciennement occupées par la guérilla et qui n'ont aucun potentiel économique. Les nouveaux fronts sont composés de guérilleros plus jeunes qui ont des pratiques plus militaristes. La guérilla se développe donc quantitativement, sans pour autant se renforcer sur le plan politico-militaire. Nous verrons que cela ouvre la porte à des dérives, en particulier lorsque les FARC s’investissent aux niveaux suivants du négoce des drogues.

 

* L’impôt en échange de la sécurité : le cas des taliban

Les taliban contrôlaient, au début de l999, 80 % environ de l’Afghanistan, et leur pouvoir était contesté dans des régions pluri-ethnique comme celle d’Herat ou dans la vaste zone du centre peuplés d’Hazara. L’appui au mouvement est par contre acquis dans les régions pachtoune, majoritaire dans le pays et dont il est issu. Les paysans de ces zones, en particulier dans l’est et dans le sud, sont reconnaissants aux taliban d’avoir mis fin aux rackets des commandants des différents partis et acceptent donc, en retour, le prélèvement de la taxe islamique (zakat) sur leurs récoltes. La position des taliban en matière de cultures de pavot, plusieurs fois réitérée par Mollah Omar, leur chef suprême (émir), est que la production d’opium est une nécessité économique pour les populations rurales. L’éradication ne pourrait être effectuée que contre une aide financière considérable permettant de substituer les revenus procurés par cette culture. Ils perçoivent une taxe de 20 % sur le prix de vente de l’opium comme sur toutes les autres cultures de rente. Le montant total de la récolte vendue en 1997 par les paysans dans l’ensemble de l’Afghanistan a été estimé à 200 millions de dollars. Les taliban contrôlant la quasi totalité des zones de production, les ressources qu’ils tirent de ce commerce est donc d’environ 20 millions de dollars. C’est donc relativement peu à l’échelle de leurs besoins pour vaincre la dernière poche de résistance tenue dans la nord par le commandant Massoud, et de ce qu’ils reçoivent de l’Arabie saoudite. Mais cela leur permet d’avoir une poire pour la soif, au cas où leurs soutiens traditionnels viendraient à manquer. Enfin l’opium est de plus en plus transformé en héroïne sur une large échelle et la vente de cette dernière représente des ressources autrement plus importantes.

 

b) La prédation : le cas de la rébellion casamançaise (Sénégal).

La taxe prélevée sur les cultures illicites (ici le cannabis) peut l’être travers la coercition exercée par la force des armes, comme c’est souvent le cas en Afrique (Mozambique, Liberia, Sierra Leone).

L’exemple sur lequel on possède les informations les plus fiables est fourni par la rébellion du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC), composé essentiellement de Diola, ethnie forestière animiste majoritaire dans cette région pluri-ethnique. La branche armée du MFDC, Attika, a été créée en l982. Au début, les revenus procurés par le cannabis provenaient des familles des combattants qui le cultivaient. Les rebelles, en retour, s’efforçaient de leur apporter une protection et de les aider à commercialiser leur production. On restait donc dans le cadre envisagé plus haut d’une guérilla ethnique.

Mais, par la suite, tous les paysans des zones dans lesquelles évoluait la rébellion (sans que l’on puisse parler d’un contrôle territorial), qu’ils soient Diola ou appartiennent à d’autres groupes comme les Mandingue ou les Toucouleur, ont été obligés de payer une taxe sur la valeur du cannabis. La protection des rebelles est devenue toute relative lorsque l’armée s’est livrée à de violentes offensives où tout paysan devenait une cible identifiée à un sympathisant du MFDC. Les prélèvements de la guérilla peuvent donc être assimilés à de la prédation, pratique qui a contribué à une baisse de la popularité du mouvement.

Si l’on veut tenter d’évaluer les profits tirés de l’impôt sur le cannabis par le MFDC il faut se référer aux grandes opérations menées par les forces de l’ordre sénégalaises en 1995 et durant la première moitié de l996, au cours desquelles environ 300 tonnes de cannabis sur pied ou de marijuana ont été saisies et détruites en quelques jours. Au prix moyen de 400 francs français le kilo payé au paysan par les trafiquants, les productions détruites représentaient 73 millions de francs, soit plus de 13 millions de dollars. Un des correspondants de l’OGD dans la zone estime que les superficies détruites ne représentent que le 1/5ème de la production de la Casamance. Même si le MFDC ne perçoit que l0 % de la valeur de la récolte, cela représente des sommes considérables à l’échelle de cette guérilla aux pieds nus. Bien que le mouvement ait beaucoup perdu de sa crédibilité auprès de la population (qui subit ses prélèvements en argent et en nature sans que la guérilla soit capable de les protéger, son armement s’est considérablement amélioré dans les années l990. En effet, des échanges de marijuana contre des armes, dans lesquels sont impliqués des trafiquants sénégalais, mais aussi des Libériens, des Ghanéens et des Nigérians, ont lieu à la limite des eaux territoriales.

Quand les paysans sont victimes de la politique de prédation de la part des rebelles, la stratégie des forces du gouvernement est de mobiliser les paysans contre eux en les libérant de ces contraintes. Mais cela implique également qu'officiellement ou officieusement, elles concèdent aux habitants de ces zones la possibilité de poursuivre les cultures illicites. Dans le cas de la Casamance, comme dans celui de beaucoup de rébellions ethniques, les forces de l'ordre se livrant à toutes sortes d'exactions, les paysans n'ont guère le choix qu'entre deux types d'oppression et il ne fait guère de doute que c'est avec les rebelles qu'ils trouvent les «arrangements» les moins dommageables.

Dans un cas comme celui du Pérou, les forces de l’ordre ont été constamment placée devant le choix de combattre la guérilla ou le trafic de drogues. Le choix de fermer les yeux sur la culture de cocaïers et le trafic de cocaïne a été le moyen de détacher les paysans de la guérilla et a contribué à la victoire de l’armée sur cette dernière.

 

3. Prélèvement sur le commerce des drogues : du nerf à l'enjeu de la guerre.

Dans la plupart des cas, surtout s'il s'agit de produits destinés à être transformés comme la coca ou l'opium, il est rare que les groupes rebelles se contentent du prélèvement sur la vente du produit agricole. On peut à se niveau distinguer deux cas. Ceux qui n'opèrent aucun prélèvement sur le produit de la vente par les paysans et ne taxent que le commerce de la drogue. Le prélèvement sur les activités commerciales présente plusieurs avantages pour un mouvement de guérilla. D'abord c'est à ce niveau que se réalisent les profits les plus élevés. Ensuite, aux yeux de la base sociale paysanne il s'agit le plus souvent d'un acte de justice appliqué à des gens considérés comme des exploiteurs.

 

* Les groupes armés taxent les commerçants et les laboratoires : le cas de la Mong Taï Army de Khun Sa (Birmanie).

Khun Sa, un des principaux seigneurs de la guerre de Birmanie depuis les années 1960, s’est rendu aux autorités au début de 1996. Il a tenté de se présenter en défenseur de l’ethnie shan, alors qu’il n’était en fait que le «Roi de l’opium et de l’héroïne» et ses pratiques ne se différencient pas de celles de la plupart des autres seigneurs de la guerre du Triangle d’or. Il est d’ailleurs aujourd’hui protégé par la junte militaire birmane tandis que ses enfants font fructifier sa fortune en investissant dans l’économie birmane.

Alors que l’armée prélève une taxe sur la culture du pavot, Khun Sa ne tirait pas ses revenus des producteurs, mais des commerçants qui viennent s’approvisionner dans les zones sous son contrôle. La taxe prélevée est par exemple de 5 % sur le bétail, de 10 % sur le jade et de 20 % sur l’opium. Une autre redevance est perçue par lui pour la protection des caravanes transportant l’opium, produit dans le nord de l'État shan, jusqu'à la frontière thaïlandaise où se trouvent les laboratoires. Dans cette zone, également sous le contrôle des troupes de Khun Sa, la taxe prélevée sur l’héroïne qui sort des raffineries représente 40 % de la valeur du produit. Cet argent, auquel s’ajoute le revenu des taxes perçues sur toutes les autres marchandises, en particulier pierres précieuses et bois, lui a permis d’entretenir une armée de 10 000 hommes et de résister jusqu’au bout aux offensives des troupes birmanes et de celles de leurs alliés wa. Les affrontements avec ces derniers avaient notamment pour objet le contrôle des routes de la drogue.

 

* La guérilla prend en main la commercialisation : le cas des FARC (Colombie) ; du Pan-Africanist Congress (Afrique du Sud) et de l’UNITA (Angola)

Si l'on veut apprécier l'influence de ces modalités du commerce sur la criminalisation des mouvements insurgés, deux cas sont envisagés. Le commerçant d'armes et de drogues est un intermédiaire qui n'appartient pas à l'organisation. Il revend la drogue à travers des réseaux mafieux et les armes à l'organisation révolutionnaire. Les relations de cette dernière avec son fournisseur sont les mêmes qu'avec n'importe quel marchand d'armes. Si c'est l'organisation par contre qui reçoit les armes et les paie avec la revente de la drogue, la possibilité d'institutionnalisation de ses relations avec des réseaux criminels en est accrue.

Depuis le début des années l980, les FARC ne se sont pas contentés de prélever une taxe sur les cultures de coca. Elles ont tenté de se financer par la commercialisation du produit fini, ce qui a entraîné des relations complexes avec les narco-trafiquants. A l’intérieur des FARC, le «lobby de la drogue», représenté dans leur état-major par la Commission des infrastructures et certains membres de la Commission des finances ont plaidé en vain pour que l’organisation s’engage dans la fabrication et la commercialisation de la cocaïne hors de leur zone d'opération en collaboration avec les narcos. C’est ce lobby qui a obtenu, au début des années 1990, alors que les perspectives militaires paraissent bloquées, que la guérilla cultive le pavot sur les terres dont elle est directement propriétaire. En effet, les sur-prix qui étaient alors payés pour l'opium, 1 000 à 1 500 dollars le kilo (contre de 30 à 70 dollars en Asie), leur ont donné l'illusion qu'elles avaient une véritable mine d'or entre les mains. Les régions de culture du pavot sont celles où les guérillas et les autres organisations armées enregistrent, depuis le début des années l990, la plus forte expansion. Les FARC et l'ELN se seraient mis d'accord pour unifier leurs critères en matière de prélèvement sur le trafic des drogues. Les tarifs seraient désormais les suivants : 11 dollars par mois pour la "surveillance" d’un hectare de cultures illicites ; 11 000 dollars par mois pour la protection d'un laboratoire ; 5 dollars par kilo de cocaïne qui en sort ; 20 dollars par kilo embarqué dans un avion ; 15 000 dollars pour chaque avion décollant d'une piste clandestine.

La dernière étape de l’implication croissante des FARC dans le narco-trafic date de 1996. Jusqu’à cette date, dans la région du Caguán, dans le département du Caquetá, une importante région de culture de coca et de production de cocaïne, les FARC se contentaient de prélever un impôt sur la pâte base (PBC) achetée aux intermédiaires des trafiquants, les chichipatos. Mais les campagnes de répression de l’armée entreprise en l996, à la suite de vives pressions américaines, suivies de l’omniprésence des militaires dans cette région depuis deux ans, ont mis fin aux marchés ouverts de la drogue. Les chichipatos se sont mis alors à faire du porte-à-porte le long des fleuves et des canaux, achetant de la PBC dans les fermes, toujours accompagnés d’un ou de deux guérilleros des FARC chargés de contrôler la quantité de marchandise et de calculer le montant de «la taxe révolutionnaire». Les FARC ont probablement pris prétexte du caractère contraignant de cette procédure, qui mobilisait de nombreux guérilleros, pour interdire la présence des chichipatos. Ce sont désormais les FARC qui procèdent à la collecte de la PBC. Comme elles sont désormais détentrices de stocks, elles ont dû inévitablement resserrer leurs liens avec les patrons des cartels, propriétaires des laboratoires avec lesquels sont négociées les vente en gros de PBC destinée à être transformée en chlorhydrate de cocaïne. En fonction des accords passés «au sommet», les FARC redistribuent ensuite localement la matière première aux laboratoires concernés.

Un autre phénomène, beaucoup plus complexe, résulte de l'infiltration par des services secrets de réseaux de guérillas, eux-mêmes liés à la criminalité. Le sociologue Stephan Ellis évoque le cas du mouvement rebelle radical d'Afrique du Sud, le Pan-Africanist Congress (PAC), basé en Tanzanie qui aurait tiré une partie de ses financements du trafic d'une drogue de synthèse, le Mandrax. Ce groupe s'est en particulier appuyé sur des réseaux criminels reconvertis dans la contestation : «De nombreux politiciens d'Afrique du Sud proviennent des townships qui étaient contrôlés par le crime organisé. De nombreux guérilleros qui ont constitué l'armée nationaliste sont, soit d'anciens gangsters qui ont compris que leurs problèmes étaient de nature politique, soit des idéologues qui considèrent que certains types de crime sont justifiés par les buts poursuivis. Les méthodes et les routes utilisées par la guérilla pour s’infiltrer en Afrique du Sud ont été utilisées, particulièrement par le PAC, pour introduire du Mandrax dans ce pays». Les services de sécurité du gouvernement d'Afrique du Sud, lorsqu'ils ont réussi à infiltrer ces réseaux, les ont souvent laissé fonctionner afin de continuer à obtenir des informations. De ce fait un certain nombre d'agents ont été corrompus et aujourd'hui partie prenante des organisations criminelles.

En Angola, depuis la reprise de la guerre civile angolaise en l992-1993, les filières de l’Unita se sont impliquées dans l’importation de drogues sur le marché sud-africain. Depuis la Zambie, cocaïne et Mandrax sont acheminés vers le sud par voies aériennes et terrestres. Mais des réseaux aériens relient aussi directement les bases de l’Unita et l’Afrique du Sud. Un trafiquant nigérian de Johannesburg a confié au correspondant de l’OGD qu’il importait de la cocaïne en provenance du Brésil depuis l995, à raison de lots de 60 à 80 kg. La route aérienne qu’il jugeait la plus sûre passait par Luanda (Angola), puis Maputo (Mozambique) avant d’arriver à l’aéroport de Lanseria officiellement fermé à 19 heures et où, après cette heure, les avions se posent, sans aucun contrôle, à leurs risques et périls.

 

4. Implication dans la fabrication des drogues et criminalisation des groupes armés : Parti communiste birman ; Parti des travailleurs du Kurdistan (Turquie) ; taliban (Afghanistan).

Un certain nombre de mouvements de guérilla vont jusqu'à la mise en place de laboratoires de transformation. Ce fut le cas du Parti communiste birman (PCB) dans les années 1980. Cette politique impliquait une collaboration avec des ennemis idéologiques, qui avaient été proches du Kuomintang, comme Khun Sa et d'autres seigneurs de la guerre d'extrême droite. Après dissolution du PCB en 1989, l'organisation appartenant à l’ethnie wa (United Wa State Army) qui lui succéda, à produire de l'héroïne, en accord cette fois, avec la Junte birmane au pouvoir.

Il faut relativiser l’annonce, par l'armée turque, de destructions de laboratoires d'héroïne dans sa guerre en Anatolie contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et de l’implication de cette organisation dans le trafic de drogues. Cependant, nous verrons plus bas que les réseaux kurdes en Allemagne distribuent de l'héroïne, vraisemblablement produite ou achetée en Turquie, au Liban ou dans les régions frontalières avec l’Iran, par des membres importants de l’organisation.

Concernant l’Afghanistan, des informations concordantes suggèrent que l’ensemble du «cycle de l’héroïne» (production, transformation, transport jusqu’à la frontière, etc.) est désormais taxé par les taliban. Pour ne prendre en exemple que celui du district de Khogiani dans le Nangahar (Afghanistan), on peut élaborer le tableau suivant :

Sur une production de l’ordre de 4 200 kg d’opium (700 hectares x 60 kg/hectare) en 1997, les «taxes» annuelles se décomposent de la sorte (en dollars) :

Taxe sur les producteurs

6 000 000

Taxe sur la transformation (labos)

6 à 8 000 000

Taxe sur la circulation (routes- frontières)

7 à 9 000 000*

Total

21 000 000**

Source : OGD-UNDCP

* Les prix varient par rapport au produit transporté (opium ou héroïne).

** Ainsi, si l’opium est transformé sur place, la taxe est plus élevée sur les transports, et vice-versa. Mais dans l’ensemble, le total des taxations reste relativement stable.

5. Les militaires et la drogue : de la corruption personnelle aux financements des opérations secrètes

La lutte pour le contrôle d’un territoire et des hommes qui l’habitent ne peut pas être étrangère aux activités économiques (licites ou illicites) qui se déroulent sur ce territoire. Cette situation pousse souvent les représentants des forces de l’ordre à s’impliquer dans les pratiques illicites des populations qu’ils sont sensés administrer. Bien que l’implication des militaires dans le trafic de drogues ne soit pas systématique, elle est loin d’être exceptionnelle. Elle peut avoir trois types d’objectifs : l’enrichissement personnel des officiers ; le renforcement du potentiel militaire des troupes engagées ; le financement d’opérations secrètes, sur le modèle de celles qui ont existé dans le cadre de la guerre froide (voir encadré n°2). Dans le premier cas, la criminalisation des militaires peut avoir de graves conséquences en portant atteinte à la cohésion et à l’efficacité de l’institution. Dans les deux autres, l’argent de la drogue contribue à renforcer la capacité d’intervention des militaires ou les activités de leurs services secrets.

 

* Les militaires péruviens : enrichissement personnel

Dans le cas de l'armée péruvienne, il semble que les profits tirés du trafic de drogues durant la guerre menée en Amazonie entre l987 et 1995 contre le Sentier lumineux aient contribué à l'enrichissement personnel des officiers. Entrés dans la vallée du Huallaga pour combattre la subversion, les militaires péruviens se sont progressivement liés aux organisations criminelles, mais il est arrivé qu'ils passent des accords avec la guérilla elle-même. La narco-corruption a mis une dizaine d'années pour contaminer l'ensemble de l'armée dont plus d’une centaine d’officiers, parmi lesquels plusieurs généraux, et de sous-officiers ont été traduits en justice malgré les efforts du gouvernement pour occulter ces pratiques.

 

* Les militaires pakistanais : financement des opérations secrètes

Mais il peut arriver au contraire que les profits tirés de la drogue soient utilisés par les services secrets de l'armée. C'est le cas au Pakistan avec l'Inter Services Intelligence (ISI). Les réseaux de trafic de l'héroïne mis en place durant la guerre en Afghanistan ont servi, et continuent à servir, à monter des opérations de déstabilisation de l'Inde (avec l’utilisation, dans un premier temps, des rebelles sikhs du Penjab et, aujourd’hui, des islamistes du Cachemire indien).

 

* Militaires turcs : financement des milices

Entre l993 et 1999, plusieurs officiers, de grades intermédiaires, ont été mis en disponibilité dans la région sud-est du pays sous l'accusation très vague de «s'être livrés» à des trafics. Ils faisaient tous partie du corps d'armée chargé des opérations contre la guérilla du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) en Anatolie. Il semble qu'ils aient en particulier couverts les trafics de drogues de miliciens kurdes utilisés comme supplétifs contre le PKK. Il arrivait aussi que ces derniers soient payés en nature (héroïne) avec la drogue trouvée dans des caches de l’organisation rebelle. Ces relations avec le trafic, même si elles ont à l'origine des objectifs politico-militaires ne sont pas sans présenter des dangers pour l'institution militaire. Ces relations troubles entre certains officiers et le milieu de l’héroïne sont à l'origine de l'assassinat, le 23 décembre l993, du Major Cem Ersever responsable des opérations spéciales des services de renseignement. Le Conseil de sécurité et la haute hiérarchie de l’armée turque se demandent désormais «si ces implications, qui découlent des intervention en Anatolie et dans l’espace turcophone (Caucase, Asie centrale, Balkans), ne finiront pas par contaminer du virus de la corruption une partie des officiers».

 

* Les militaires colombiens : l’utilisation des paramilitaires contre la guérilla

Les différents gouvernements qui se sont succédés en Colombie ont fermé les yeux sur les activités des milices paramilitaires d’extrême droite dans la mesure où ils affrontent non seulement les guérilla, mais toutes les formes d’opposition de gauche accusées d’être leur base sociale. Ces activités s’inscrivent dans le cadre de la formation de certains corps de l’armée colombienne à la lutte anti-insurecctionnelle par la CIA et la DIA américaines. Il a fallu attendre le 10 août 1997, la destruction d'un complexe de quatre laboratoires très sophistiqués et la destruction de 700 kilogrammes de cocaïne à Puerto Libre, dans les environs de Yacopí (nord du département de Cundinamarca dont la capitale est Bogota), pour que l’implication des paramilitaires dans le trafic de drogues soit officiellement reconnue.

Or on a pu noter que la plus grande partie de la cocaïne qui arrive par voie maritime dans les ports espagnols, belges et hollandais, provient de ports de la côte pacifique et atlantique, en particulier celui de Turbo dans l'Urabá, situés dans des territoires qui sont sous le contrôle politique et militaire de l'AUC, coordination nationale des groupes paramilitaires dirigée par le grand propriétaire terrien, Carlos Castaño et le «Roi des émeraudes», Victor Carranza. Les énormes profits générés par ces activités ont permis à l’ACU d'accroître ses effectifs et, par là-même, son expansion territoriale. Elle est ainsi présente aujourd'hui dans pratiquement tous les départements du pays. En conséquence, les populations déplacées ne cessent de croître. On estime qu'un million de Colombiens ont fui la violence dans les régions en conflit entre l986 et l998.

Les paramilitaires, font une vraie guerre de contrôle du territoire aux mouvements de guérilla pour récupérer les régions productrices de coca. Logique circulaire : cette guerre est d'autant plus nécessaire que le financement du conflit entre les deux groupes est de plus en plus coûteux. D'autre part, l'ACU essaie de s'emparer des territoires qui constituent les bases économiques des FARC pour y monopoliser la production de drogue. Cela explique par exemple le massacre, à la mi-juillet 1997, de 35 personnes dans le village de Mapiripán, sur le fleuve Guaviare (sud du département du Meta), au coeur d'une région de production de pâte de base et de chlorhydrate de cocaïne. Ces massacres se sont poursuis tout au long de l’année l998 et au début de l999. Le deuxième objectif de l’ACU est d'ouvrir un couloir stratégique en direction du département du Guaviare qui est une importante région de production de drogue, elle-aussi contrôlée par la guérilla. Le front paramilitaire dans le Putumayo a pour objectif de prendre en étau les territoires des FARC du Caquetá (au sud-ouest) et du Guaviare (au nord-est), à partir de ce département et de celui du Meta.

La collusion de l’armée avec les groupes paramilitaires a été particulièrement mise en évidence avec le démantèlement de la 20è brigade, en mai l998. Cette dernière, entraîné par la CIA et spécialisée dans les opérations anti-guérilla avait commis, en liaison avec les para-militaires, des violations des droits de l’homme tellement flagrantes, que les États-Unis eux-mêmes ont dû exiger sa dissolution.

 

* Militaires sud-africains : les drogues dans la guerre sale

En Afrique du Sud, le Dr Wouter Basson a été arrêté, à la fin de l’année l996, sous l’inculpation d’avoir vendu 1 000 tablettes de comprimés d’ecstasy. Ce médecin avait été à la tête d’un programme militaire secret de recherche (Chemical and biological warfare-CBW) sur la guerre chimique et bactériologique durant le régime d’apartheid. Le programme avait notamment pour but de mettre au point des poisons permettant d’éliminer des opposants politiques noirs sans laisser de traces. Il est avéré qu’il a procédé à des distributions sélectives à des populations noires de Mandrax et d’ecstasy afin d’en tester les effets (voir si elles pourraient permettre d’annihiler leur combativité). Selon des sources proches de l’instruction interrogées par l’OGD, le Dr Basson et son équipe auraient par ailleurs exporté de grandes quantités d’ecstasy très pure en Europe, notamment aux Pays-Bas aussi bien pour leur enrichissement personnel que pour financer les activités de leur laboratoire.

Après le changement de régime, le Dr Basson a poursuivi ses activités à des fins privées. L’ecstasy qu’il commercialisait au moment de son arrestation était fabriquée par une usine pharmaceutique qui avait travaillé pour les services secrets, située dans la ville de Midrand. Elle appartenait d’abord à l’État et, par la suite, elle a été privatisée.

 

4. Implication dans les réseaux internationaux et criminalisation des mouvements insurrectionnels

L’exemple des services secrets sud-africains, après celui de la CIA à l’époque de la guerre froide (encadré n°2) montre que les agents de l’État n’hésitent pas à se lier à la criminalité internationale. Mais c’est aussi le cas de certains mouvements révolutionnaires. Certains groupes armés, (FARC, Sentier lumineux, factions afghanes, guérilla des Philippines, de l'Inde, de Casamance, etc.), n’interviennent pas au-delà de leur zone d’influence locale, même lorsqu'elles sont liées à des processus de transformation de la drogue. Par contre, d'autres organisations franchissent un échelon supplémentaire dans le trafic - et par conséquent les profits - en mettant en place des réseaux d'exportation destinés à approvisionner les marchés occidentaux.

 

* Les Kosovars

Nous avons évoqué les réseaux de l’héroïne du Kosovo. Certains passeurs se sont contentés de ramener des armes en Macédoine destinées à être introduites dans la province. Mais d’autres ont réussi à structurer des véritables réseaux de distribution de drogues, en Suisse et en République tchèque en particulier. A tel point qu’ils ont aujourd’hui la capacité d’investir massivement dans l’économie légale (hôtels, bijouteries, compagnies de transport) et d’acheter des protections politiques importantes. Après avoir financé dans un premier temps le développement des infrastructures bénéficiant à la population albanaise, ils apportent aujourd’hui leur contribution financière à la lutte de l’UCK.

 

* Le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et les «Loups Gris».

De même, des saisies effectuées en Turquie, comme celles réalisées en Europe, particulièrement en Allemagne et aux Pays-Bas où vit une importante communauté kurde, confirment que la drogue contribue à financer les activités (militaires ou autres) du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Ses réseaux semblent être responsables de 20 % à 30 % du trafic d’héroïne transitant par la Turquie. Au point qu’en Allemagne, la qualification du PKK par le gouvernement fédéral a changé : il n’est plus défini comme une «organisation terroriste» mais comme une «organisation criminelle». A partir de la Turquie, les filières de la diaspora kurde se chargent de l’acheminement, du blanchiment et même de la vente au détail. Si l'on se reporte au tableau concernant l'escalade des profits, on voit tout le bénéfice économique que tire le PKK de cette implication dans la filière internationale. Un kilo d'héroïne payé qui revient à 5 000 dollars (ou est acheté en Turquie 12 000 dollars) peut rapporter s'il est vendu dans les rue d'Allemagne par des militants, jusqu'à 1 500 000 dollars. Il est cependant abusif, comme le font les autorités d’Ankara, d’attribuer l’entière responsabilité du trafic à partir de leur territoire à ces organisations. En effet, les Loups Gris, une organisation d’extrême droite, qui est souvent utilisée par l’armée et les partis politiques pour leurs «sales besognes», emploient les mêmes méthodes, tout en bénéficiant de protections importantes au sein même de l’État turc.

 

* Les islamistes algériens : l’échange de service

L’échange de services entre organisations, qu’elles soient politiques ou criminelles, se fait essentiellement au niveau des filières. En voici un exemple qui met «en contact» islamistes et mafieux : en novembre l994, la police italienne a interpellé à Milan, Djamel Loucini, le n°3 du FIS, soupçonné de se livrer depuis trois ans à un intense trafic d'armes à destination des maquis. Pour organiser les livraisons, Loucini s'était, dans un premier temps, appuyé sur les réseaux de trafiquants de drogues maghrébins opérant dans le sud-ouest de l'Allemagne. Ceux-ci lui auraient fourni leur logistique (notamment des passeurs) pour convoyer des armes via la France, l'Espagne et le Maroc, en échange d'un accès aux circuits financiers de Loucini pour blanchir les revenus de leurs activités illicites. Installé en Italie depuis janvier l994, Djamel Loucini aurait obtenu de d'utiliser les circuits clandestins de la Mafia - notamment les filières de la drogue de la Camorra napolitaine et celles du trafic de main d'œuvre en Sicile occidentale-, pour servir au transport d'armes à destination de l'Algérie.

Bien qu'il ne soit pas exclu que certains réseaux criminels se «convertissent» à la cause révolutionnaire, en particulier quand il s'agit d'une cause religieuse, c'est le plus souvent l'inverse qui se produit.

 

5. Les conflits sur le théâtre de la distribution et pour le contrôle des filières.

L'investissement des organisations armées dans la distribution sur le marché des pays consommateurs, est non seulement un facteur de criminalisation de ces organisations, mais également une source de conflits sur un territoire étranger cette fois.

 

a) Conflit pour la distribution urbaine

Ces confrontations peuvent opposer des organisations criminelles locales aux groupes militants, soit ces derniers entre eux. Ainsi, dans les années l990, certains quartiers de Naples ont été le théâtre d’affrontements entre la Camorra et des groupes africains, sénégalais en particulier, pour le contrôle de la distribution d’héroïne.

Dans d’autres pays, militants du PKK et extrême droite turque (Loups gris), filières algériennes et marocaines liées aux fondamentalistes et épaulées par des «Afghans» maghrébins, Dashnak arménien et réseaux libanais, kosovars et turcs, sont en perpétuelle renégociation pour le contrôle d'espaces de distribution, allant souvent jusqu'au conflit armé, comme on l'a vu à Francfort, à Berlin ou à Budapest.

Ces conflits, sans avoir l'intensité de ceux qui se déroulent dans les régions en crise, peuvent avoir un effet déstabilisateur au cœur même de l'Europe. Il ne s'agit pas en effet de simples règlements de comptes, mais d'opérations paramilitaires menées par des troupes aguerries venues à la rescousse depuis leur pays d'origine et qui délogent, après des combats acharnés, un réseau de distribution de tout un quartier. Au début de l'année 1995, à Zurich, en une nuit de combats qui ont fait des dizaines de victimes, un bon tiers des territoires de distribution de l'héroïne de la ville est «passé» des Kosovars aux Syro-libanais. Pour éviter que ce genre de conflits dégénèrent, mettant en péril le business dans les «pays d'accueil» les filières de distribution emploient de plus en plus de femmes et d'enfants, comme c'est le cas dans les régions de l'est de l'Allemagne (entre Stuttgart et Mannheim) partagé entre "islamistes" algériens et des Marocains.

 

b) Conflits pour le contrôle des routes

Ces conflits existent également pour le contrôle des filières qui vont des pays producteurs aux pays consommateurs. Ils se déroulent le plus souvent à proximité des routes traditionnelles. Il s'agit alors moins de contrôler une route, que de casser les infrastructures et la logistique du concurrent et de se substituer à lui. Ainsi par exemple, après les pogroms anti-arméniens dans le port azéri de Soumgaït en 1989, une filière tenue par les indépendantistes arméniens liés au Dashnak qui, partie de l'Ouzbékistan aboutissait dans ce port, a été remplacée par celle du nouveau maître de la ville, l'azerbaïdjanais Souret Gousseinov, surnommé le "Robin des Bois du Haut-Karabakh". Celui-ci faisait transiter l'opium afghan par le Kirghizstan du sud, fief du seigneur de la guerre Bekmanat Osmonov. Ce dernier trafiquait opium et armes, fournissant du matériel militaire aux opposants tadjiks, en échange de l'opium livré en Azerbaïdjan.

De la sorte, une série de conflits depuis l'Asie centrale jusqu'au Caucase, sont en contact direct à travers leurs filières d'approvisionnement. Aujourd'hui, après la chute de Gousseinov, la filière est tombée aux mains des "Loups Gris", dirigés par Iskender Guamidov, en compétition avec les filières du Dashnak et du PKK (transitant par le Turkménistan et l'Iran). Ces filières utilisent des moyens importants (avions, hélicoptères, etc.). D’autres, comme les filières ethniques qui traversent le territoire frontalier iranien depuis l’Afghanistan, peuvent être comparées à des incursions de commandos qui sont équipés d’un armement import (RPG sol-sol et sol-air, canons sans recul, etc.) et sont à l’origine d'opérations militaires extrêmement violentes.

 

6. Interpénétration des filières drogues-armes

Les "contacts", engendrés par les conflits, ont parfois des résultats inattendus : ainsi, on remarque qu'une grande partie des armes saisies au Kosovo proviennent des stocks libanais. En fait elles ont été échangées par le PKK, via des groupuscules islamistes moyen-orientaux, puis livrés aux Kosovars. Un autre exemple : des chars T-34-85, entreposés par des officiers de l'ex-URSS dans la région de l'Adjarie, ont été retrouvés en Bosnie et au Nord-Yemen (avant l'offensive nordiste). En fait, leur "livraison" découle d'un accord, entre les "séparatistes" tchétchènes (Clan de Chali) et le "cartel Moscovite des drogues", composé en partie d'ex-dignitaires du KGB et des forces spéciales (OMON). Enfin, tandis que les Tchétchènes ont combattu avec les troupes des séparatistes abkhazes, (épaulés par une brigade arménienne, et des "mercenaires" cosaques) ils ont parallèlement monté, avec les "Mechédrionni" (milices du seigneur de la guerre géorgien Jaba Josseliani qui combattaient les séparatistes abkhazes), un réseau de vente international de drogues et d'armes "volées" des casernes du Caucase.

La drogue, dans tous ces exemples, finance, stimule, produit même des conflits, mais crée parallèlement des contacts, des connivences et des relais entre plusieurs organisations armées aux caractéristiques différentes, voir opposées. En fait, elle pallie des besoins et crée des structures stables, qui répondent de manière permanente ou ponctuelle à des demandes précises des mouvements «insurrectionnels». Dans ce sens, l'existence des filières d'approvisionnement ne font pas de distinction entre le conflit et la drogue qui est sensée le financer. Ainsi, la préservation de structures relativement stables d’approvisionnement semble plus importante que la finalité supposée de l’objectif militant.

 

 

III. LA DROGUE COMME ÉLÉMENT DE PROLONGATION DES CONFLITS

Dans les premiers stades du financement d'un conflit par les drogues, c'est à dire ceux qui sont liés à la production et la transformation, l'important c'est l'arrière pays producteur, le contrôle de l'espace et des routes d'approvisionnement, la protection des populations paysannes. En fait, les guérillas "classiques", en Amérique Latine (Colombie, Pérou) et en Afrique (Sénégal, Liberia) et Asie (Philippines, Sri Lanka) fonctionnent essentiellement sur ce modèle, celui d'un "marché captif "et géostratégique. C'est cependant à tort que ces mouvements insurrectionnels ont été qualifiées, tout au long des années 1980 (en particulier par les représentants des États-Unis), comme des «narco-guérillas», si l’on prétend signifier que le trafic est pour ces groupes une fin et non un moyen. En fait, non seulement elles ont longtemps agi en fonction d'une logique politique, mais leurs contacts avec les productions illicites sont souvent un élément fondamental du soutien qui leur est apporté par les paysans. C'est seulement lorsque les perspectives de prise de pouvoir s'éloignent ou/et que les références idéologiques s'estompent, que ces groupes se criminalisent.

Dès lors que le conflit est financé par des réseaux, qu'il se greffe sur le trafic international et la distribution, il s'inscrit dans une géopolitique plus régionale, et doit, sur la base de l'échange, compter sur d'autres forces et d'autres intérêts. Il peut être perverti de deux manières : Les infrastructures qu'il met en place et les avantages qu'il en retire, sont souvent disproportionnés par rapport à ses objectifs avoués (Liban, Tchétchénie, Haut-Karabakh, etc.). Dans ce cas il entre de plein pied dans le marché international des drogues et des armes comme pourvoyeur de marchandises et de services. Les «réseaux», au départ «militants» tendent à se fondre dans la criminalité ambiante et cela d'autant plus qu'ils sont coupés de la lutte quotidienne menée sur le terrain par leur organisation.

 

a) Rébellion fondée sur la corruption : le cas du Liberia

Certaines rébellions naissent sous le sceau de la corruption et de la recherche des prébendes que procurent le pouvoir. Le Liberia où s’est déroulée, de l991 à 1995, une des guerres africaines les plus meurtrières dont les séquelles ne sont toujours pas effacées, illustre une telle situation. Charles Taylor, le seigneur de la guerre devenu président, avant de revenir au Liberia s’est enfui en l985 en emportant près d’un million de dollars puisés dans les caisses de l’État. La guerre a été déclenchée pour des motifs claniques et raciaux, Charles Taylor représentant la revanche des «Américains-Libériens» sur les «Libériens-Noirs» revenus au pouvoir avec le sergent Samuel Doe. La guerre sera dès le début marquée par le racket et la prédation. Il n’est donc pas étonnant que Charles Taylor ait saboté tous les processus de paix, jusqu’à ce qu’il parvienne à ses fins, c’est à dire au contrôle du pouvoir.

 

 

 

b) Du politique à la prédation : le cas de l’Angola

Le cas de l’Angola est plus complexe dans la mesure où le conflit entre le gouvernement et l’Unita a des origines idéologiques : le gouvernement s’affirme marxiste (et se trouve appuyé dans un moment décisif par des troupes cubaines) et l’Unita est clairement anticommuniste et reçoit l’appui de l’Afrique du Sud de l’apartheid. Mais derrière ce conflit politique existent des antagonismes ethniques; La dégénérescence du conflit provient d’abord du fait qu’aucun des deux protagonistes n’a pris le dessus à l’époque de l’antagonisme des blocs et qu’il s’est enlisé.

Tandis que les enjeux d’ordre international (conflit Est-Ouest, intervention cubaine et sud-africaine) qui alimentaient l’instabilité du pays, semblent s’estomper, ce pays continue donc de vivre une situation de guerre. Dans un Angola très riche en matières premières et ayant de nombreux contacts internationaux privilégiés (le Brésil, le Portugal, Cuba), les trafics ont pris une telle ampleur que les groupes dirigeants du gouvernement et de l’Unita paraissent n’avoir aucun intérêt au rétablissement de l’ordre. Au niveau de l’État, la gestion des richesses en partenariat avec des pays du Nord, induit à une attitude permissive de ces derniers à l’égard des trafics à grande échelle qui mettent à profit les facilités portuaires. Du côté de l’opposition dans l’hinterland, les réseaux politico-trafiquants du diamant et des armes, permettent l’introduction d’autres produits à haute plus-value, la cocaïne en particulier. En effet, depuis la reprise de la guerre civile angolaise en l992-1993, les filières de l’Unita se sont impliquées dans l’importation de drogues sur le marché sud-africain.

 

c) Du combat idéologique à l’auto-reproduction de l’organisation : le cas des FARC

En 1983, un ambassadeur des États-Unis qualifiait les FARC de narco-guérilla, qualificatif qui a constamment été reproduit depuis. S’il signifie que l’objectif principal des FARC est de vivre du trafic de drogues, il était partial lorsqu’il a été énoncé, il le reste aujourd’hui. D’une part, les FARC qui sont liées au Parti communiste colombien ont un programme de transformation sociale. Surtout, elles sont acceptées et appuyées par une grande partie des populations qui vivent dans les territoires contrôlées par la guérilla car elles constituent une protection face à l’exploitation des propriétaires terriens, des actes de terrorisme des milices paramilitaires et à la prédation des agents de l’État.

Cependant le glissement des FARC vers des activités purement mercantiles est également indiscutable. La raison fondamentale est sans doute que, avec l’effondrement du bloc communiste de l’Est et l’institutionnalisation des mouvements de guérilla en Amérique centrale, l’utopie de la prise de pouvoir en Colombie ne peut plus être entretenue. En outre, la mort de l’idéologue des FARC, Jacobo Arenas, en l990, a certainement accéléré le rythme des changements qui étaient déjà en cours en leur sein. Les tenants de la ligne «militariste» à l’intérieur de la direction ont réussi à prendre le pouvoir au détriment d’une ligne plus politique dont l’un des principaux représentants, Alfonso Cano, d’abord présenté comme le successeur de Jacobo Arenas, a très vite été marginalisé. Cette ligne militaire, dirigée par Manuel Marulanda, «Tiro Fijo» («qui fait mouche»), ainsi que par son «poulain» Jorge Suárez Briceño, alias «Mono Jojoy», semble peu sourcilleuse quant aux entorses à l’éthique révolutionnaire.

On peut légitimement se demander si les FARC ont réellement la volonté et la capacité de négocier leur plate-forme politique en 10 points (démocratisation, justice sociale, solution aux problèmes de drogues, etc.) ou si elles ne songent plus qu’à profiter de cette trêve pour se consolider militairement et économiquement, grâce notamment à l’argent de la drogue. D’ores et déjà, la démilitarisation qu’elles ont obtenu d’une région dont la superficie est égale à la Suisse (42 000 km2) et poussent 10 220 hectares de cocaïers (10 % de cette culture illicite sur le plan national) leur permet de développer en toute impunité la production de cocaïne.

 

 

CONCLUSIONS

Le commerce des drogues implique des producteurs et des consommateurs. Entre eux se situent les transformateurs et les réseaux de commercialisation. Les groupes armés et ceux qui les combattent utilisent pour se financer tous les maillons de cette chaîne de la drogue.

La solution des conflits financés par la drogue, et dont parfois les ressources tirés de cette production favorisent leur pérennisation alors-même que les motifs initiaux ont disparu, implique que l’on apporte d’abord une solution aux problèmes des cultures illicites et de la consommation des drogues.

Mais le développement des conflits et des réseaux de trafic qui leur sont inhérents, n'obéit pas seulement à des logiques locales et autonomes. L'explosion du marché des drogues a également pour cause l'impuissance des pays riches à mettre fin à ces conflits locaux ou régionaux en Asie, en Afrique ou dans les Balkans. Le manque de détermination à isoler la dictature birmane, l'indécision manifestée pour imposer une solution aux conflits dans l'ex-Yougoslavie, l'affirmation que les conflits dans le Caucase et en Asie centrale sont du ressort exclusif de Moscou, voire une affaire intérieure russe, la discrétion occidentale sur le conflit kurde, ne sont pas sans conséquences sur le développement des trafics et de la consommation des drogues en Europe. L'étude du mode de financement des conflits par les drogues ne peut donc faire l'économie de celles des défaillances géopolitiques des grandes puissances face à ces problèmes.

 

 

QUE FAIRE ?

A. DANS LE DOMAINE DE LA LUTTE CONTRE LA DROGUE

1. La réduction de la production des cultures illicites : valoriser les cultures licites

On ne peut ici que généraliser les propositions élaborées par l’OGD, dans le cas du cannabis en Afrique. Les cultures illicites en Amérique latine et en Asie se développent comme culture de substitution du fait de la dévalorisation des autres productions agricoles et pour absorber la main d’œuvre au chômage expulsée des secteurs urbains. Il semble donc fondamental de réfléchir à une meilleure valorisation des cultures licites dans les pays producteurs de cannabis, de pavot et de cocaïers, plutôt que de se proposer d’introduire des «cultures de substitution», qui ne sont pas forcément adaptées aux capacités ni aux besoins des systèmes de production des zones rurales concernées.

A cet égard, il semble que tout progrès sera préalablement soumis à des négociations, à haut niveau, entre les institutions internationales chargées des politiques économiques dans les pays du Sud (Fonds monétaire international et Banque mondiale principalement) et la communauté internationale.

 

2. La prévention de la consommation des drogues : valoriser l’action de la société civile

Les moyens mis en place pour lutter contre le trafic des drogues doivent s’appuyer sur la réduction de la demande. Toutefois, la coopération policière des pays du Nord avec ceux du Sud ne pourra avoir des résultats tant que les appareils d’État resteront obsolètes et minées par de graves problèmes de corruption et de moyens financiers. En revanche, la société civile semble plus apte à percevoir les enjeux et moins paralysée par l’ampleur du phénomène. Elle doit être partie prenante des programmes de prévention financés par les institutions internationales (PNUCID, Union européenne) et nationales du Nord, étant donné que dans la plupart des cas, elle pallie déjà les défaillances et les contradictions des États.

 

3. La réduction des trafics : au Sud renforcement de l’État et lutte contre la corruption ; au Nord, lutte contre le blanchiment et la grande criminalité.

La lutte contre les trafics de drogue ne passe pas avant tout par des mesures techniques, mais contre le renforcement du rôle de l’État et la bonne governance au Sud ; une lutte plus effective contre le blanchiment au nord, où la majorité des profits de la drogue sont recyclés.

a) Dans de nombreux États des pays en voie de développement, les dirigeants, la haute administration et les pouvoirs locaux sont eux-mêmes impliqués dans le trafic. Mais les gouvernements du Nord se voilent la face pour ne pas compromettre leurs intérêts économiques et/ou stratégiques. Il n’y a pas de corrompus sans corrupteurs. Tant que règne une telle situation, il est vain de vouloir exiger des agents des forces de répression qu’ils s’investissent dans une lutte de tous les instants. Il faut également éviter que les pays du Nord et les organisations internationales qui reflètent leur action, imposent des mesures standardisées, qu’elles soient législatives (lois anti-blanchiment) ou organisationnelles (master-plans), en faisant l’impasse sur la façon dont ces lois pourraient être intégrées aux systèmes législatifs et coutumiers locaux.

b) Assortir toutes les discussions et les accords dans le domaine économique de volets concernant la lutte contre le trafic de drogues, comme cela est généralement le cas dans les domaines des droits de l’homme et l’environnement.

c) Donner l’exemple de la lutte contre le blanchiment, en intervenant notamment dans les places offshore (îles des Caraïbes, Jersey, Monaco, etc.) où les filiales des banques des pays du Nord se livrent à des activités contestables.

d) Ne pas soutenir des investissements ou des secteurs économiques nationaux susceptibles de blanchir l’argent provenant d’activités criminelles. Surveiller étroitement les investisseurs du Nord susceptibles de blanchir de l’argent provenant d’activités criminelles (hôtellerie, casinos, cliniques, commerce de fripes etc.).

e) Ne pas coopérer dans ce domaine avec des pays où des membres du gouvernement dont de la haute administration est, elle-même, impliquée dans le trafic ou n’entreprend aucune action contre des subordonnés qui y sont impliqués.

f) Eviter systématiquement que les pays du Nord ne fassent des affaires avec des narco-gouvernements.

 

B. DANS LE DOMAINE DE LA PRÉVENTION ET DE LA RÉSOLUTION DES CONFLITS

1. Action diplomatique

a) La paix avant les intérêts économiques

La prévention des conflits dans le domaine de la diplomatie consiste d’abord à faire passer la recherche de la paix avant des intérêts économiques ou géostratégiques. La guerre civile qui déchire le Congo (Brazzaville) a incontestablement un relent de pétrole, certaines grandes puissances privilégiant l’un ou l’autre des protagonistes, voire les deux camps, afin de préserver les intérêts de leurs compagnies.

 

 

b) La paix avant les intérêts stratégiques

Dans le cas de la recherche de la paix au Soudan on voit de même certains États du Nord, chercher davantage à préserver leurs intérêts géostratégiques dans la région plutôt qu’à œuvrer en fonction d’une solution négociée. C’est également le cas de puissances régionales comme l’Afrique du Sud en Angola par exemple.

 

c) Une évaluation cohérente de l’action antidrogues avant les intérêts diplomatiques

Dans le cas de pays comme l’Iran, qui mène une politique active et cohérente antidrogues, les intérêts diplomatiques en particulier ceux des Etats Unis qui ont «décertifiée» ce pays pendant plus d’une décennie ne sont pas compris et soulignent les incohérences des pays du Nord. A l’inverse la France apporte un appui sans faille à la Guinée Équatoriale qui est dirigé par un narco-gouvernement.

 

2. Action contre la dissémination des armes légères

Une série d’initiatives est à l’œuvre dans le monde pour lutter contre la dissémination des armes légères, en particulier en amenant leurs producteurs à renoncer les exporter dans les pays du Tiers monde. La lutte contre les conflits financés par les drogues passe par l’appui à ces initiatives et leur élargissement vers le sud.

L’adoption de Codes de conduite dans le domaine de la dissémination des armes légères.

 

* Initiatives internationales

Quinze prix Nobel de la Paix (le Dalai Lama, Elie Wiesel...) et Oscar Arias Sanchez ex-président de Costa Rica ont lancé, en mai l997, une initiative pour que de tels codes soient adoptés à niveau national et à niveau régional. Le 9 janvier 1998, le secrétaire général de l’UNESCO, Federico Mayor a ainsi publié son appui à l’initiative de l’Union européenne dans ce domaine. Le 8 juin l998, le Code de conduite sur les exportations des armes a été adopté par le Conseil des Affaires générales de l’Union.

 

* Initiatives nationales

Sur le plan national une initiative est en cours aux États-Unis sous le nom de Code of Conduct for Arms Transfers. Le parlement belge envisage une modification de la législation nationale sur les ventes d’armes et une sous-commission de la commission des affaires étrangères procèdent à des auditions en l999. Différentes ONG, parmi lesquelles l’OGD, ont été entendues dans ce domaine.

 

 

 

* Initiatives africaines

Une initiative de Saferworld et de l’Institute for Security Studies, financée par le gouvernement britannique a abouti à un Programme d’action régionale pour l’Afrique australe sur les armes légères et leur trafic illicite en mai l998.


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