Exposé
au Sénat canadien sur la diplomatie internationale et les drogues
William B. McAllister, Ph.D.
University of Virginia
BREF aperçu descriptif
L’histoire
internationale de la réglementation des drogues remonte à plus d’une
centaine d’années et peut, à toutes fins utiles, être divisée en plusieurs
grandes périodes.
·
Entre
1880 et 1920 environ, les gouvernements et des acteurs non gouvernementaux ont
cherché à définir la nature du problème de la drogue et à poser les jalons
de politiques devant leur permettre de composer avec les effets néfastes des
abus.
·
Aux
alentours de 1920 et jusqu'au milieu des années 1930, les États et les
organismes internationaux ont négocié un ensemble de règles internationales
pour encadrer et orienter les lois nationales.
·
Durant
le reste des années 1930 et jusqu’au milieu des années 1960, les
gouvernements et d’autres acteurs ont tenté de mettre en pratique ces règles
internationales/nationales en en modifiant continuellement le contenu et
l’application selon l’évolution des circonstances.
·
À
partir de la fin des années 1960, une explosion mondiale de la
consommation de drogues les a obligés à revoir leurs objectifs et leurs
pratiques.
En
un sens, le siècle s’est achevé à peu près de la même manière qu’il
avait débuté avec différentes visions du problème de la drogue à l’échelle
internationale et autant de solutions se faisant concurrence. Pourtant, la
nature et l’étendue du problème de la drogue ont changé radicalement au
cours du XXe siècle. Gouvernements, organismes internationaux,
entreprises pharmaceutiques, sociétés médicales et organismes d’application
de la loi ont construit d’immenses bureaucraties, multiplié les lois et
cherché à adopter des politiques destinées à modifier le comportement de
millions d’individus, avec plus ou moins de succès.
Principaux thèmes
Plusieurs
thèmes ont fait leur apparition au cours de l’histoire de ce sujet, mais ceux
qui suivent sont peut-être ceux qui intéresseront le plus le Comité.
1.
Les législateurs et les administrateurs nationaux étaient très
conscients du rapport entre leurs politiques intérieures et les tendances
mondiales. On arrivera mieux à comprendre les activités des gouvernements américain,
canadien, britannique et autres en les replaçant dans le contexte international
à l’intérieur duquel leurs contemporains évoluaient.
2.
Des considérations non médicales ont souvent joué un rôle de premier
plan dans l’orientation et l’application des lois en matière de drogues.
Différents facteurs politiques, économiques, socioculturels, stratégiques,
religieux et autres ont eu des répercussions sur l’élaboration des
politiques en matière de drogues au niveau international et national.
3.
De manière générale, les attitudes à propos des drogues et du contrôle
des drogues n’ont pas tellement varié d’un pays occidental industrialisé
à l’autre, du moins jusqu’à ces derniers temps. Bien que d’autres pays
attribuent souvent l’échec de leur politique nationale à l’influence démesurée
des États-Unis, il est fréquemment arrivé aux pays industrialisés, y compris
le Canada, de faire preuve d’un manque de bon sens à l’égard du problème
de la drogue.
4.
Le Canada a toujours été représentatif de ce que j’appelle les
« nations consommatrices » – c’est-à-dire les États qui
ni ne sont producteurs de matières premières (opium et coca) ni n’abritent
d’importants intérêts pharmaceutiques (comme la Suisse, l’Allemagne, la
Grande-Bretagne, les États-Unis et le Japon). L’intérêt premier du Canada
dans les négociations internationales aura été d’instaurer un marché
relativement libre pour les médicaments psychotropes licites de manière à empêcher
les prix de monter, à assurer un approvisionnement adéquat et à limiter
l’offre aux besoins médicaux légitimes.
La réaction
La réaction des pays industrialisés de l’Ouest à la question de la
drogue a été typique. Prenons l’exemple des États-Unis : à la fin du
XIXe siècle, début du XXe siècle, les autorités
américaines ont tenté de trouver des solutions locales ou nationales pour
finir par s’apercevoir qu’il était nécessaire en raison de la nature du
problème de la drogue de mener des négociations internationales. Au cours de
la période de 1900 à 1920, les partisans américains de la lutte antidrogue
ont réalisé certains de leurs buts au moyen de pourparlers multilatéraux,
d’efforts conjoints et de la négociation de traités, mais n’ont pas pu
atteindre l’objectif principal de leurs politiques qui était de régler le
« problème de la drogue » à l’échelle nationale en éliminant
l’offre excédentaire à l’étranger. La déception éprouvée a amené les
législateurs et les bureaucrates à redoubler d’efforts pour que suite soit
donnée aux grandes initiatives stratégiques entre le milieu des années 1910
et le début des années 1920. Ressentant encore une fois la nécessité
d’un soutien international, les États-Unis se sont livrés à des activités
très médiatisées au sein de la Ligue des Nations de 1923 à 1925. Leur espérance
d’une véritable réforme internationale ayant été déçue, les décisionnaires
américains se sont tournés vers des mesures nationales jusqu’en
1930‑1931. À l’époque, des impératifs bureaucratiques, économiques
et stratégiques ont poussé les États-Unis à s’intéresser de plus près à
des négociations transnationales. Cette tendance est réapparue, une activité
nationale intense prenant place à la fin des années 1930 et au début des
années 1940, au milieu des années 1950 et à la fin des années 1960
jusqu’au début des années 1970. D’importantes initiatives
internationales ont été mises en œuvre au début des années 1940
jusqu’au début des années 1950, au milieu des années 1960 et au début
des années 1970. Depuis, il y a eu moins de fluctuations, mais il est
quand même possible de discerner la nature yin‑yang de la
politique en matière de drogues : la réussite ou l’échec sur le front
national débouche sur de nouvelles activités sur la scène internationale, et
vice versa. Les périodes d’« ouverture » et de « fermeture »
ne correspondent pas précisément, mais on peut observer une tendance générale.
La plupart des gouvernements ont connu les mêmes oscillations lorsqu’ils ont
tenté de venir à bout des complexités de la question de la drogue. P. J. Giffen,
Shirley Endicott et Sylvia Lambert, Panic and Indifference :
The politics of Canada’s Drug Laws, ont fait état à peu près des mêmes
fluctuations au Canada.
{Documents à
distribuer/transparents pour le BRIF APERÇU DESCRIPTIF }
La
séquence historique
1 :
Fin des années 1800 – début des années 1920
-
définition
du problème
-
premières
tentatives pour trouver des solutions nationales et transnationales
2 :
Milieu des années 1920 – début des années 1930
-
création
d’un ensemble de règles, de procédures et d’attentes (comportements
normatifs) pour la conduite internationale en ce qui concerne la lutte
antidrogue ou le contrôle des drogues (la section qui suit décrit les
principes définis durant cette période et explicités au cours des périodes
subséquentes)
3 :
Milieu des années 1930 – milieu des années 1960
-
tentatives
pour faire appliquer, perfectionner et modifier le système international de
contrôle de manière à tenir compte de l’évolution de la conjoncture
4 :
Milieu des années 1960 – milieu des années 1970
-
Explosion
de la consommation de drogues à l’échelle mondiale et remise en question du
système de contrôle :
o
mouvements pour contrôler les psychotropes
o
réorganisation des bureaucraties
o
réexamen des questions liées à la demande
5 :
Milieu des années 1970 à aujourd’hui
-
Bureaucratisation --
fin de l’ère du « club des messieurs » au cours de laquelle des
individus ont pu exercer une grande influence sur la conceptualisation et la
mise en œuvre des politiques. Le mécanisme de modification de la trajectoire
du système de contrôle devient plus difficile à réorienter.
-
Professionnalisation --
les responsables de la lutte antidrogue, les trafiquants, les programmes de
traitement et d’autres groupes d’intérêt se font plus efficaces.
-
Mondialisation --
tous les aspects du complexe industriel de la drogue s’intègrent complètement
à l’économie politique mondiale.
La
réaction
|
|
|
Période |
Accent
sur les efforts nationaux |
Accent
sur les efforts internationaux |
|
|
|
|
|
|
années
1880 – années1910 |
X |
|
|
|
|
début
des années 1920 |
|
X |
|
|
|
fin
des années 1920 – début des années 1930 |
X |
|
|
|
|
Milieu-fin
des années 1930 |
|
X |
|
|
|
fin
des années 1930 – milieu des années 1940 |
X |
|
|
|
|
fin
des années 1940 – début des années 1950 |
|
X |
|
|
|
Milieu-
fin des années 1950 |
X |
|
|
|
|
fin
des années 1950 – milieu des années 1960 |
|
X |
|
|
|
fin
des années 1960 – milieu des années 1970 |
X |
X |
|
|
|
après
les années 1970 |
Varie |
PréceptEs
fondamentaux du régime de lutte antidrogue
Le
contrôle de l’offre (NON LA PROHIBITION) est devenu le
principal paradigme du régime vers le milieu des années 1920. Le but du
système consistait, et consiste encore principalement aujourd’hui, à
restreindre l’offre à la satisfaction des besoins médicaux, scientifiques et
industriels (au lieu d’éliminer complètement la disponibilité). De nombreux
observateurs ont mal compris l’objectif de la législation internationale et
nationale puisqu’ils ont confondu réglementation et prohibition. Il y a
rarement eu prohibition, car presque toutes les substances conservent certains
usages légitimes. Les partisans du contrôle ont toujours religieusement cru (à
tort) qu’en éliminant l’excédent qui pourrait être acheminé vers le
marché illicite, on verrait le problème de la narcomanie disparaître de lui-même.
Le
contrôle national conserve une place de choix aux dépens des
restrictions imposées par des organismes extérieurs. Les États-nations ont
refusé de renoncer à leurs prérogatives. Par conséquent, les gouvernements
ont limité les pouvoirs des organismes de réglementation supranationaux, comme
l’Organe international de contrôle des stupéfiants (et ses prédécesseurs),
créés par voie de traité international.
Contrôle indirect versus contrôle direct :
Les gouvernements présentent des rapports sur les besoins, la consommation, les
importations, les exportations et les réserves aux organismes internationaux.
Les autorités internationales n’ont pas le pouvoir d’approuver les
transactions à l’avance (contrôle direct), mais elles peuvent s’opposer
après coup à tout comportement qui paraissait inapproprié (contrôle
indirect).
Le régime international privilégie le libre-échange par
opposition à la limitation à grande échelle de la fabrication et/ou de la
production agricole. Toute tentative d’imposition de quotas à la production,
à la fabrication et/ou à la consommation a été rejetée. Cette considération
joue un rôle particulièrement important durant les périodes de dépression économique.
Les consommateurs ne veulent pas payer plus qu’il le faut pour les produits médicaux
licites. Ni les pays producteurs de matières premières ni ceux qui fabriquent
des produits pharmaceutiques ne sont prêts à accepter d’importantes limites
à leur liberté de vendre sur le marché légitime. Par conséquent, le système
est caractérisé par une offre excédentaire/capacité considérable, d’où
les tentatives pour réglementer le commerce légitime tout en supprimant le
trafic illicite.
Le
contrôle s’effectue au moyen de « listes » établies
à partir de présomptions au sujet de la propension à la dépendance. Dans les
années 1930, par exemple, les responsables du contrôle en sont arrivés
à la conclusion que certaines substances, comme la codéine, ne devraient pas
être assujetties aux mêmes restrictions que des substances plus susceptibles
d’engendrer une dépendance et moins utiles sur le plan médical, comme l’héroïne.
Les opiacés, les produits à base de coca et la marijuana entraient généralement
dans cette catégorie jusqu’à preuve du contraire, quoique ce fut l’opposé
pour les psychotropes développés après la Seconde Guerre mondiale. Les mécanismes
réglementaires offrent aux experts de la santé, aux sociétés
pharmaceutiques, aux chercheurs et aux intérêts industriels l’occasion
d’exposer leur position durant le processus d’établissement d’une liste,
mais ce sont les politiciens et les bureaucrates plutôt que les experts
techniques qui prennent les décisions. Depuis son enchâssement dans le traité
de 1931, cette approche de la mise sous contrôle à l’aide de listes (ou
d’annexes aux règlements) a influencé les programmes de recherche et de développement
des fabricants de produits pharmaceutiques. Ils essaient de concocter des
substances médicalement utiles qui ne répondent pas aux critères existants de
la dépendance. Les questions fondamentales au sujet de la nature de la dépendance
et des raisons des abus sont restées en suspens.
En somme, la configuration du régime en place depuis le milieu des années 1930
se résume à une lutte pour un avantage réglementaire comparatif
à l’intérieur d’un ensemble de règles mondiales de commercialisation
relativement prévisibles. L’intention de ses concepteurs était d’ériger
une barrière suffisamment haute pour empêcher les joueurs sans scrupule
d’entrer sur le marché, mais suffisamment basse pour ne pas nuire au commerce
entre entreprises « légitimes ». Ce qu’il faut surtout retenir,
c’est que le régime réglementaire international applicable aux drogues a été
conçu dans un climat où l’accent a été mis sur le contrôle de l’offre
aux dépens d’autres options stratégiques comme le traitement ou la prévention,
que le régime a été conçu principalement aux fins de contrôle plutôt que
de prohibition et que des préoccupations géopolitiques et autres ont joué un
rôle plus important que les facteurs médicaux dans la création et
l’exploitation du système.
Observations
Le
système fait surtout une distinction entre les usages médicaux et
industriels/commerciaux (légitimes) et l’usage à des fins récréatives
(illégitime).
Questions
juridiques :
Même si la législation n’élimine pas un comportement non désiré, elle
influence les actions et les attentes des gens et des gouvernements.
Ne
sous-estimez pas le pouvoir des contrôles informels : les pressions
sociales sur le comportement sont souvent efficaces.
Le
problème a désormais une portée véritablement transnationale
puisqu’il peut être en grande partie attribué aux tendances mondiales du
commerce et aux changements technologiques. Néanmoins, seuls les gouvernements
nationaux ont le droit d’intervenir. Les réponses au problème de la drogue
paraissent habituellement insatisfaisantes, mais il y a d’autres options,
bonnes et mauvaises. Il serait possible d’apporter des changements au
paradigme mondial, mais il faudrait pour cela que les différents gouvernements
modifient les normes et les attentes nationales de manière à influencer
lentement le comportement et les attitudes à l’échelle internationale.
La
question clé n’est pas de savoir s’il faudrait autoriser l’accès
à une substance particulière. La question essentielle est de savoir qui
devrait avoir le pouvoir de réglementer l’accès et à quelles
conditions.
Résistez
au « goulot d’étranglement », à la tentation de croire
qu’il est possible de « régler » le problème en « étranglant »
le mécanisme d’approvisionnement en substances illicites. L’exemple le plus
évident est celui de la « règle des 80 % » : lorsqu’on
entend dire dans les médias qu’un pays ou une région en particulier fournit
« 80 % de toute l’héroïne au monde », on peut être certain
qu’il y a anguille sous roche. La même réflexion vaut pour les stratégies
de traitement et de prévention.
Questions
auxquelles le Sénat pourrait réfléchir à propos des lois en perspective :
-
Pouvez-vous définir
le « succès » pour qu’il soit à la fois mesurable
et politiquement acceptable? (Quel est le niveau d’abus de
drogues acceptable?)
-
Pouvez-vous
appuyer des initiatives pour modifier/
façonner le
comportement à l’aide de moyens non législatifs et/ou de moyens législatifs
indirects?
-
Pouvez-vous
concilier le contrôle de l’offre avec une importante réduction de la demande
et les besoins de réglementation industrielle/commerciale/médicale?
-
Pouvez-vous
instituer une analyse de rentabilité en profondeur des lois en perspective?
(Cela inclut l’évaluation des coûts se rapportant à une absence
de législation axée sur le contrôle.)
- Des considérations non médicales continueront à influer sur la nature et la mise en œuvre de la politique en matière de drogues. Comment en tiendrez-vous compte dans l’élaboration de nouvelles lois?