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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

La santé des Canadiens – Le rôle du gouvernement fédéral

Rapport intérimaire

Volume un : Le chemin parcouru

Le comité sénatorial permanent des Affaires sociales, de la science et de la technologie

Président : L’honorable Michael J. L. Kirby

Vice-président : L’honorable Marjory LeBreton

Mars 2001


TABLE DES MATIÈRES

ORDRE DE RENVOI

MEMBRES

AVANT-PROPOS

INTRODUCTION

CHAPITRE UN

Historique du régime public d'assurance-santé et du rôle du gouvernement fédéral dans le financement des soins de santé

1.1 Le rôle du gouvernement fédéral dans le domaine de la santé et des soins de santé
1.2 Ententes de partage des coûts
1.3 Fonctionnement du mécanisme de financement global du FPE
1.4 Le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux (TCSPS)
1.5 Transferts de points d’impôt et transferts monétaires
1.6 La contribution fédérale aux soins de santé
1.7 L’importance de la stabilité du financement fédéral
1.8 La responsabilité à l’égard des fonds fédéraux liés à la santé

CHAPITRE DEUX

Principes nationaux concernant les soins de santé et la création de la Loi canadienne sur la santé

2.1 Origines de la Loi canadienne sur la santé
2.2 Définition/interprétation des principes nationaux et de leur application
2.3 Application des sanctions en vertu de la
Loi canadienne sur la santé
2.4 La Loi canadienne sur la santé est-elle encore pertinente?
2.5 Commentaires du Comité

CHAPITRE TROIS

Attentes de la population à l’égard du système de soins de santé

3.1 Les soins de santé soulèvent d’importantes préoccupations à l’égard de la politique gouvernementale
3.2 Les Canadiens sont préoccupés par la qualité, l’accessibilité et l’universalité des soins de santé
3.3 Les soins de santé constituent une priorité
3.4 Les soins de santé : un domaine qui requiert une collaboration entre les gouvernements fédéral et provinciaux
3.5 Forte adhésion aux principes de la
Loi canadienne sur la santé
3.6 Appui décroissant à l'égard des frais modérateurs et des établissements privés
3.7 Commentaires du Comité

CHAPITRE QUATRE

Tendances des dépenses de soins de santé

4.1 Tendances globales – de 1975 à 2000
4.2 Dépenses du secteur public et dépenses du secteur privé
4.3 Catégories de dépenses
4.4 Comparaisons internationales
4.5 La santé constitue une priorité dans les provinces
4.6 Commentaires du Comité

CHAPITRE CINQ

L'état de santé et le concept de santé de la population

5.1 L'état de santé des Canadiens
5.2 Comment le Canada se compare-t-il aux autres pays?
5.3 Dépenses de santé et état de santé
5.4 Le concept de santé de la population

5.5 Qu'est-ce qui fait que les Canadiens sont en bonne ou en mauvaise santé?
5.6 Commentaires du Comité

CHAPITRE SIX

Mythes et réalités

6.1 Mythes entourant l’escalade des coûts des soins de santé
6.2 Mythes entourant le financement public
6.3 Mythes entourant la
Loi canadienne sur la santé
6.4 Mythes entourant la privatisation
6.5 Mythes entourant le recours aux soins de santé
6.6 Mythes entourant l’état de santé de la population
6.7 Mythes entourant la nécessité d'un changement
6.8 Mythes entourant les fournisseurs de soins de santé

CONCLUSION

Les prochaines étapes

ANNEXE A - LISTE DES TÉMOINS


ORDRE DE RENVOI

Extrait des Journaux du Sénat du 1er mars 2001 :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur LeBreton, appuyée par l'honorable sénateur Kinsella,

Que le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie soit autorisé à examiner pour en faire rapport l'état du système de soins de santé au Canada. Plus particulièrement, que le Comité soit autorisé à examiner :

  1. les principes fondamentaux sur lesquels est fondé le système public de soins de santé au Canada;
  2. l'historique du système de soins de santé au Canada;
  3. les systèmes de soins de santé dans d'autres pays;
  4. le système de soins de santé au Canada - pressions et contraintes;
  5. le rôle du gouvernement fédéral dans le système de soins de santé au Canada;

Que les mémoires reçus et les témoignages entendus sur la question par le Comité dans la deuxième session de la trente-sixième législature soient déférés au Comité;

Que le Comité présente son rapport final au plus tard le 30 juin 2002;

Que le Comité soit autorisé, par dérogation aux règles usuelles, à déposer tout rapport auprès du greffier du Sénat si le Sénat ne siège pas à ce moment-là; et que le rapport soit réputé avoir été déposé à la Chambre du Sénat.

Après débat,

La motion, mise aux voix, est adoptée.

ATTESTÉ : 

 

Le greffier du Sénat,
Paul C. Bélisle


MEMBRES

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie

L’honorable Michael J. L. Kirby, président
L’honorable Marjory LeBreton, vice-présidente

et les honorables sénateurs :

Catherine S. Callbeck
Erminie J. Cohen
Joan Cook
Jane Marie Cordy
Joyce Fairbairn
Alasdair B. Graham
Janis G. Johnson
Lucie Pépin
Douglas Roche
Brenda Robertson
* Sharon Carstairs (ou Fernand Robichaud)
* John Lynch-Staunton (ou Noel A. Kinsella)

Dont la nomination a été approuvée en vertu d’une motion du Sénat :

Les honorables sénateurs :

Callbeck, *Carstairs (ou Robichaud), Cohen, Cook, Cordy, Graham, Fairbairn, Kirby, Johnson, LeBreton, *Lynch-Staunton (ou Kinsella), Pépin, Roche, Robertson

Autres sénateurs ayant participé aux travaux du Comité au cours de la première session de la trente-septième legislature et de la deuxième session de la trente-sixième législature :

Les honorables sénateurs :

Atkins, Banks, Keon, Losier-Cool, Mahovlich, Meighen, Morin, Murray, Robichaud F. et Wilson

* Membres d’office


AVANT-PROPOS

Le système de soins de santé public du Canada a toujours donné lieu à des débats enflammés. Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie avait donc un défi de taille à relever : servir de forum pour permettre une discussion rationnelle des enjeux touchant le rôle du gouvernement fédéral dans le système de santé. Et c’est dans ce but qu’il a entrepris la présente étude.

Il présente ici le rapport de la phase 1 de son étude, fruit de ses travaux jusqu’à présent et premier d’une série de cinq rapports. Pour préparer l’avenir, nous devons savoir comment nous sommes arrivés jusqu’ici. C’est ainsi que nous nous penchons, dans ces pages, sur l’histoire du système de santé public du Canada, sur ce que nous savons des facteurs qui déterminent l’état de santé de la population et sur certains mythes et certaines réalités qui entourent le débat sur les soins de santé. C’est, en somme, le chemin parcouru.

Dans la phase 2, nous examinerons les pressions qui s’exerceront sur le système de santé au cours des prochaines années. Dans la phase 3, nous verrons comment certains pays ont structuré leur propre système, notamment divers pays qui ont un système universel sensiblement différent de celui du Canada. Dans la phase 4, nous tirerons des leçons des trois premières phases (passé, pressions futures et systèmes d’autres pays) et dégagerons des options pour le renouvellement et la réforme du rôle du gouvernement fédéral dans le système de santé. Ce quatrième rapport servira de base à un vaste débat avec des Canadiens de tous les horizons et de toutes les régions. Dans la phase 5, nous présenterons les résultats de ce débat, ainsi que nos recommandations pour opérer des changements.

Ce premier rapport n’aurait pas été possible sans le concours de nombreuses personnes de tous les coins du pays. Le Comité tient à remercier tous ceux qui ont témoigné devant lui ou lui ont fait parvenir des mémoires pour l’éclairer sur l’histoire du système de santé public du Canada, sur l’évolution de l’état de santé des Canadiens, sur les défis qui nous confrontent et sur les moyens à prendre pour améliorer notre système dans l’avenir. Bien que déposé au cours de la 37e législature, le présent rapport n’aurait pas vu le jour sans le vif intérêt et la précieuse contribution des membres du Comité permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie de la 2e session de la 36e législature, ainsi que des nombreux sénateurs qui sont venus entendre les témoins ou remplacer certains membres de temps à autre. Le Comité se réjouit à l’idée de poursuivre son travail dans une atmosphère tout à fait non partisane, axée sur la recherche du consensus.

Le Comité espère que vous suivrez le débat avec intérêt et que vous vous y joindrez. C’est le maintien de notre programme social le plus précieux qui est en jeu. Nous nous devons de voir à ce que son avenir fasse l’objet d’un débat à la fois rationnel et objectif.

L’honorable Michael J.L. Kirby

L’honorable Marjory LeBreton
Président Vice-présidente

 INTRODUCTION

En décembre 1999, au cours de la deuxième session de la trente-sixième législature, le Sénat a confié au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie le mandat de faire le point sur l’état du système canadien de soins de santé et d’examiner l’évolution du rôle du gouvernement fédéral dans ce domaine. Le Sénat a renouvelé ce mandat à la première session de la trente-septième législature, lequel se lit comme suit :

Que le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie soit autorisé à examiner pour en faire rapport l'état du système de soins de santé au Canada. Plus particulièrement, que le Comité soit autorisé à examiner :

  1. les principes fondamentaux sur lesquels est fondé le système public de santé au Canada;
  2. l'historique du système de soins de santé au Canada;
  3. les systèmes de santé publics dans d'autres pays;
  4. le système de soins de santé au Canada - pressions et contraintes;
  5. le rôle du gouvernement fédéral dans le système de soins de santé au Canada.(1)

Pour s’acquitter de ce mandat à la fois vaste et complexe, en février 2000, le Comité a amorcé un examen pluriannuel à facettes multiples, comportant cinq phases principales. Le tableau 1 renferme de l’information sur chacune des phases et leurs échéanciers respectifs.

 TABLEAU 1

examen des soins de santé : les phases et les échéanciers proposés

Phases

Contenu

Échéance visée

Publication du rapport

Phase un

Contexte historique et aperçu

Automne/hiver 2000

Mars 2001

Phase deux

Tendances futures, leurs causes et répercussions sur les coûts des soins de santé

Hiver/printemps 2001

Juin 2001

Phase trois

Modèles et pratiques d’autres pays

Hiver/printemps 2001

Juin 2001

Phase quatre

Document d’élaboration de solutions de rechange

Été 2001

Septembre 2001

Phase cinq

Audiences sur le document des solutions de rechange et élaboration de la version définitive du rapport et des recommandations

Automne 2001

Mars 2002

 

Le présent rapport a pour but de rendre compte des témoignages obtenus durant la première phase de l’examen des soins de santé. Les objectifs de la phase un étaient les suivants :

  • retracer le rôle du gouvernement fédéral dans le système canadien de soins de santé et, plus particulièrement, examiner la législation fédérale initiale concernant les soins hospitaliers et médicaux;
  • réexaminer la raison d’être de l’adoption de la Loi canadienne sur la santé;
  • étudier l’évolution du financement fédéral des soins de santé;
  • passer en revue les faits les plus importants et les tendances ayant la plus grande incidence sur le système canadien de soins de santé, à la fois sous l’angle des dépenses en soins de santé et des indicateurs de l’état de santé;
  • étudier la perception actuelle du système, notamment l’opinion publique et les questions faisant l’objet de consensus ou de désaccord chez les experts canadiens reconnus;
  • examiner les mythes et les réalités actuels du système canadien de soins de santé.

Afin d’atteindre les objectifs de la phase un, le Comité a accueilli une gamme variée de témoins, notamment : des anciens ministres et sous-ministres fédéraux et provinciaux de la santé; des économistes de la santé; des spécialistes de l’histoire du Canada, de l’administration de la santé publique, de la politique gouvernementale et de l’éthique en santé; des représentants de Santé Canada et du ministère des Finances; certaines organisations de soins de santé; des sondeurs canadiens; ainsi que des représentants de l’Institut canadien d’information sur la santé. Nous les remercions de leurs précieuses contributions.

Aux fins du présent examen, nous entendons par soins de santé toute activité dont l’objectif principal est d’améliorer ou de maintenir la santé ou d’en prévenir la détérioration. Cette définition est très large et englobe la promotion de la santé, la prévention des maladies, la protection de la santé, la santé publique et la recherche sur la santé, ainsi que les services diagnostiques et le traitement des maladies. Elle comprend également un large éventail de lieux de prestation de services (hôpitaux, domicile, communauté, cliniques, etc.) et toute une panoplie de fournisseurs de services (médecins, infirmiers, infirmiers praticiens, pharmaciens, physiothérapeutes, soignants, etc.).

Notre définition s’écarte de la gamme restreinte de services de santé visés par la Loi canadienne sur la santé, qui couvre uniquement les services hospitaliers et médicaux. En outre, en raison du virage ambulatoire qui favorise la prestation de soins à domicile et de soins communautaires (au lieu des soins en établissement), de plus en plus, de nombreux services ne sont pas visés par la Loi.

Il faudra à notre avis tenir compte de ces deux notions — les soins de santé au sens large et l’application étroite de la Loi canadienne sur la santé — car toute réforme du système public de soins de santé, lequel est actuellement centré sur la Loi canadienne sur la santé, repose peut-être sur une vision plus large de ce que constituent la santé et les soins de santé.

Le présent rapport compte six chapitres. Le chapitre 1 contient des renseignements historiques sur le régime public d’assurance-santé au Canada et la contribution du gouvernement fédéral au financement des soins de santé. Le chapitre 2 retrace l’évolution des principes pancanadiens au sein du système des soins de santé et leur application ou administration par le gouvernement fédéral. Le chapitre 3 porte sur les attitudes et les attentes, actuelles et passées, de la population à l’égard du système de soins de santé. Le chapitre 4 renferme un bref examen des tendances d’hier et d’aujourd’hui en matière de dépenses en soins de santé, notamment des données comparatives du Canada et d’autres pays de l’OCDE. Le chapitre 5 présente de l’information sur l’état de santé des Canadiens et explique les concepts de « déterminants de la santé » et de « santé de la population ». Le chapitre 6 traite des mythes et des réalités en vue de dissiper bien des malentendus et de permettre un débat éclairé et fondé sur les soins de santé.


CHAPITRE UN

Historique du régime public d'assurance-santé et du rôle du gouvernement fédéral dans le financement des soins de santé

L’histoire du régime public d’assurance-santé au Canada est depuis longtemps un sujet d’étude vaste et complexe. Le rôle du gouvernement fédéral dans le domaine des soins de santé, particulièrement en ce qui concerne les mécanismes de financement, a considérablement évolué au fil des ans.(2)

La prestation et le financement des services de santé sur une base universelle fait l'objet d'études depuis des années. Plusieurs commissions se sont penchées sur la question dans les années 30 et 40.

Abby Hoffman, conseillère principale en matière de politiques,
Santé Canada (13:1).

 

1.1 Le rôle du gouvernement fédéral dans le domaine de la santé et des soins de santé

Au cours des audiences du Comité, quelques témoins ont présenté dans ses grandes lignes le fondement du rôle fédéral dans le domaine de la santé et des soins de santé. Voici un compte rendu de leurs observations.

Même si les gouvernements provinciaux assument la responsabilité de la prestation des soins de santé, le domaine de la santé ne relève pas exclusivement de l'un ou l'autre des gouvernements. Il existe des mécanismes bien établis et bien conçus pour assurer une collaboration entre les gouvernements dans le domaine de la santé.

Abby Hoffman, conseillère principale en matière de politiques
Santé Canada (13:5).

En vertu de la Constitution, les provinces ont la responsabilité d’assurer des soins de santé à la majorité des Canadiens; toutefois, le gouvernement fédéral a aussi des rôles et des responsabilités dans des domaines liés à la santé et aux soins de santé. Sa première responsabilité (et la plus directe) consiste à assurer l’accès des soins de santé à certains groupes, notamment les soins primaires aux Premières nations et aux collectivités inuites, ainsi que d’autres services aux vétérans et au personnel de la GRC, du Service correctionnel et des Forces armées.

Le deuxième domaine de responsabilité a trait à la catégorie générale de la protection de la santé. Par exemple, il incombe à Santé Canada de régir la sécurité et l’efficacité des médicaments et des dispositifs médicaux; le ministère des Pêches et des Océans veille à la salubrité du poisson et des fruits de mer que nous achetons; et Environnement Canada contrôle la qualité de nos terres, de notre air et de notre eau.

Le troisième volet du rôle fédéral dans le domaine de la santé englobe la promotion de la santé, la prévention des maladies et les stratégies de sensibilisation. Ces stratégies visent principalement à sensibiliser et à informer les gens, et à les encourager à jouer un rôle actif dans l’amélioration de leur santé et de leur mieux-être.

La mission qui est celle du gouvernement fédéral dans le domaine de la santé, consiste à aider les Canadiens à protéger et à améliorer leur santé. Nous le faisons en travaillant dans trois champs d'activité. Il y a d'abord la politique et les systèmes de santé nationaux, et particulièrement notre système de soins de santé financé par l'État. Il y a ensuite le travail que nous accomplissons sur le plan de la promotion de la protection de la santé, y compris la prévention des maladies et des accidents. Notre troisième champ d'action concerne les services de santé et de soins mis à la disposition des Premières nations et des Inuits.

Abby Hoffman, conseillère principale
en matière de politiques,
Santé Canada (13:5).

Le quatrième domaine d’intervention fédérale est celui de la recherche en santé. Depuis 40 ans, le gouvernement fédéral fournit un financement considérable par l’intermédiaire du Conseil de recherches médicales (CRM). En 1999, ce rôle a été élargi, par la création des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), qui remplacent le CRM. Les IRSC constituent le principal organisme fédéral de financement de la recherche en santé au pays.

La cinquième sphère de responsabilité du gouvernement fédéral, et peut-être la plus importante, est le soutien financier aux systèmes provinciaux de soins de santé. Selon le professeur Keith Banting, directeur de la « School of Policy Studies » à l’Université Queen’s (Kingston, Ontario), l’intervention fédérale dans les soins de santé provinciaux découle principalement du « pouvoir de dépenser » prévu dans la Constitution :

Selon la Constitution, le pouvoir de dépenser est réputé appartenir au gouvernement fédéral qui fait des paiements aux particuliers, aux institutions ou aux gouvernements provinciaux, et qui fait même des paiements dans des champs d'action pour lesquels, selon la Constitution, il n'a ni pouvoir législatif, ni pouvoir réglementaire. [...] Ce pouvoir n'est pas à proprement parler inscrit dans la Constitution, mais un certain nombre d'autres instances en ont fait cette interprétation constitutionnelle. C'est ce pouvoir qui a été à la base de l'avènement au Canada de l'État-providence et du développement d'une politique en matière de santé.(3)

En vertu de son pouvoir de dépenser, le gouvernement fédéral peut appliquer des fonds qu’il a prélevés au moyen de mesures fiscales ou autres, et fixer des conditions à l’utilisation de ces fonds. Il a été signalé au Comité que le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral est à la base du transfert des fonds consacrés à l’utilisation des soins de santé ainsi que de l’administration et de l’application de la Loi canadienne sur la santé. Comme nous le verrons plus loin, le gouvernement fédéral joue un rôle important dans l’appui financier aux systèmes provinciaux de soins de santé, et ce, depuis de nombreuses années.

 

1.2 Ententes de partage des coûts

La forme actuelle du régime public d’assurance-santé au Canada est le fruit d’une évolution étalée sur cinq décennies. Avant la fin des années 40, la médecine et l’assurance privées dominaient les soins de santé au Canada, et l’accès aux soins dépendait de la capacité de payer.

Tom Kent, ancien sous-ministre fédéral et conseiller principal en matière de politiques auprès de Lester B. Pearson, a fait valoir que l’objectif qui sous-tendait la politique fédérale en matière de soins de santé était essentiellement d’assurer un accès en temps opportun aux services de santé requis, sans obstacle financier excessif :

Les Canadiens qui se souviennent de l'époque qui a précédé l'assurance-santé ne constitueront plus sous peu qu'une minorité, si ce n'est déjà fait. Bien sûr, ce qu'était la vie avant que n'existe l'assurance-santé constitue la principale raison qui a mené à sa création. Comme vous le savez tous, autrefois, se faire soigner pouvait représenter un désastre financier même pour les biens nantis, et nombreux étaient les pauvres qui ne se faisaient pas soigner lorsqu'ils en avaient besoin. La politique de l'assurance-santé visait tout simplement à rectifier cette situation et à faire en sorte que les gens puissent obtenir des soins médicaux lorsqu'ils en avaient besoin, sans égard à quelque autre considération que ce soit.(4)

Le mouvement vers un régime d’assurance-santé financé par l’État s’est amorcé en 1947 lorsque la province de la Saskatchewan a adopté un régime d’assurance public et universel pour les services hospitaliers. Puis, en 1957, le gouvernement fédéral a adopté la Loi sur l’assurance-hospitalisation et les services diagnostiques afin d’encourager l’établissement de régimes d’assurance-hospitalisation dans toutes les provinces. Dans le cadre de cette loi, le gouvernement fédéral proposait de partager les coûts des services hospitaliers et diagnostiques avec les provinces, de manière à peu près égale(5). Le versement des fonds fédéraux était lié à certaines conditions : les provinces convenaient d’offrir les services assurés à tous leurs résidents, suivant les mêmes modalités et conditions. En 1961, toutes les provinces avaient conclu des ententes mettant sur pied des régimes d’assurance-santé qui prévoyaient une couverture universelle en ce qui a trait aux soins médicaux aux patients hospitalisés.

En 1964, la Commission royale d'enquête sur les services de santé a recommandé au gouvernement fédéral de conclure avec les provinces des ententes sur le partage des coûts de services de santé complets et universels pour les citoyens, affirmant que l'accès sans frais aux soins de santé pour tous les Canadiens était équitable, rentable et responsable sur le plan social.

Abby Hoffman, conseillère principale en matière de politiques,
Santé Canada (13:10).

En 1962, la Saskatchewan a encore une fois ouvert la voie en élargissant l’assurance-santé publique aux services médicaux offerts à l’extérieur des hôpitaux. En 1964, la Commission royale d’enquête sur les services de santé, présidée par l’honorable juge Emmett Hall, a recommandé que le gouvernement fédéral mette sur pied un régime public d’assurance-soins médicaux semblable à celui offert aux résidents de la Saskatchewan. En réponse au rapport de la commission Hall, le gouvernement fédéral a adopté en 1966 la Loi sur les soins médicaux, qui prévoyait que le fédéral assumerait environ la moitié des coûts des services médicaux admissibles(6). Pour avoir droit aux fonds fédéraux, les régimes provinciaux d’assurance-santé devaient satisfaire à quatre conditions en matière d’administration publique, de transférabilité, d’universalité et d’intégralité. En 1972, toutes les provinces avaient élargi leurs régimes d’assurance-santé de manière à inclure les services de médecin.

En 1966, le gouvernement fédéral a mis sur pied le Régime d’assistance publique du Canada (RAPC). Même si l’objectif principal de ce programme fédéral-provincial était le partage des coûts associés aux services d’assistance sociale, le RAPC couvrait aussi les coûts de certains services de santé dont avaient besoin les assistés sociaux mais que le régime public d’assurance-santé et les régimes provinciaux complémentaires ne finançaient pas, principalement ceux des médicaments d’ordonnance ainsi que ceux des soins dentaires et ophtalmologiques.

Au cours des audiences, des témoins ont relevé un certain nombre de désavantages liés aux ententes de partage des coûts, à la fois dans le cadre de la Loi sur l’assurance-hospitalisation et de la Loi sur les soins médicaux :

  • le manque de prévisibilité des coûts pour le gouvernement fédéral;
  • l'extrême lourdeur administrative;
  • l’inflexibilité du financement fédéral, qui nuisait à l’innovation;
  • la perception par les provinces qu’il s’agissait d’une ingérence fédérale dans un domaine de compétence provincial.

Selon l’honorable Marc Lalonde, ancien ministre de la Santé et ministre des Finances du gouvernement fédéral, vu que les transferts fédéraux aux provinces étaient liés aux initiatives provinciales en matière de dépenses, les programmes à coûts partagés s’avéraient trop coûteux pour le gouvernement fédéral; de plus, les coûts étaient imprévisibles :

Du côté du gouvernement fédéral, [...] nous étions pris à payer 50 p. 100 de ce que les provinces voulaient dépenser dans les domaines couverts sans avoir quoi que ce soit à dire sur l'allocation de ces dépenses par les gouvernements provinciaux. Il y avait alors un désir de grande prévisibilité dans les obligations du gouvernement fédéral [...].(7)

Tom Kent, que certains considèrent comme le fondateur du régime d’assurance-santé canadien, a fait valoir que ces ententes de partage des coûts étaient à la fois lourdes à administrer et perçues comme une ingérence dans un domaine de compétence provincial :

[...] Toutefois, comment ces 50 p. 100 des coûts étaient-ils calculés? Pour l'assurance-hospitalisation, les provinces avaient signé des accords qui exigeaient d'elles qu'elles fournissent des rapports détaillés et consentent à ce que le fédéral avalise une bonne part de leurs décisions. On s'est opposé, en principe, à cela sous prétexte qu'il s'agissait d'une ingérence dans une compétence provinciale et d'une distorsion des priorités provinciales. De plus, et c'était important autant pour les gouvernements provinciaux que pour le gouvernement fédéral, le système était lourd à administrer.(8)

Jusqu'alors, les provinces devaient présenter des rapports détaillés sur leurs programmes, et les fonctionnaires fédéraux devaient décider si tel ou tel programme par exemple un foyer pour personnes âgées relevait ou non de l'enveloppe à frais partagés. Beaucoup de décisions de détail ont été prises à Ottawa, ce qui, en réalité, représentait une intervention beaucoup plus lourde et un contrôle administratif beaucoup plus accentué du champ de compétence provincial.

Keith Banting, Université Queen’s ( 9:64)

M. Lalonde a également signalé que les provinces s’inquiétaient du manque de souplesse du financement découlant de la loi fédérale, car ce financement se limitait aux services hospitaliers et médicaux. À son avis, il en résultait une distorsion de la répartition des ressources affectées aux soins de santé et un effet néfaste sur l’innovation :

[...] le régime en force décourageait l'innovation et concentrait les ressources dans des domaines plus coûteux comme la santé, l'assurance-hospitalisation et l'assurance médicale. [...] Avec le temps, on s'est aperçu que cette conception des soins de santé était plutôt étriquée et qu'il y avait une alternative moins coûteuse que l'hospitalisation pour bon nombre de traitements. Malheureusement, cette alternative n'était pas éligible à la participation aux coûts par le gouvernement fédéral. [...] [Par exemple,] le gouvernement du Québec voulait mettre sur pied des centres locaux de services communautaires pour dégorger les hôpitaux, favoriser des services moins spécialisés et plus accessibles à la population. Il faisait cependant face à une situation où il lui fallait absorber 100 p. 100 de ces coûts.(9)

En 1977-1978, on a remplacé les ententes de partage des coûts moitié-moitié par le Financement des programmes établis (FPE), un mécanisme de financement global qui combinait les transferts fédéraux destinés aux services hospitaliers et aux soins médicaux et les transferts destinés à l’éducation postsecondaire. La même année, le gouvernement fédéral a aussi mis sur pied le Programme des services complémentaires de santé (PSCS) afin d’offrir aux provinces une aide financière destinée aux soins ambulatoires, aux soins intermédiaires en maison de repos, aux soins en établissement pour adultes et aux soins à domicile. Les transferts dans le cadre du PSCS étaient liés au mécanisme de financement global du FPE.

Le nouveau système, qu'on allait appeler financement forfaitaire, faisait en sorte que le gouvernement fédéral verse aux provinces une contribution générale pour couvrir les dépenses de santé et d'éducation postsecondaire. Il n'y aurait dès lors plus cette étroite correspondance entre les dépenses et les transferts, en ce sens que le gouvernement fédéral ferait un virement forfaitaire qui ne serait pas calculé en fonction de ce que les provinces auraient dépensé, mais qui augmenterait au fil du temps parallèlement à la croissance de l'économie. Le montant du transfert n'aurait dorénavant plus rien à voir avec le montant dépensé par la province.

Keith Banting, Queen’s University (9:64).

 

1.3 Fonctionnement du mécanisme de financement global du FPE

Dans le cadre du FPE, chaque province recevait un montant égal par habitant pour les soins de santé et l’éducation postsecondaire. Théoriquement, environ 70 % des transferts au titre du FPE étaient affectés au volet « soins de santé » et 30 %, au volet « éducation ». Cette répartition était arbitraire, étant donné que le FPE était un mécanisme de financement « global ». Contrairement aux programmes à coûts partagés, les transferts au titre du FPE n’étaient pas fonction des dépenses de la province affectées aux soins de santé et à l’éducation postsecondaire. De plus, les pourcentages signalés ci-dessus ne reflétaient pas nécessairement la répartition mise en application au niveau provincial, puisque les provinces avaient la possibilité d’utiliser les transferts du FPE suivant de leurs propres priorités.

Les droits des provinces au titre du FPE comportaient deux volets : un transfert fiscal et un transfert monétaire. Dans le cadre du transfert fiscal, le gouvernement fédéral cédait une marge fiscale aux provinces en leur transférant des points d’impôt. Pour ce faire, il réduisait ses taux d’imposition et les provinces augmentaient les leurs d’un niveau équivalent. Ainsi, il y avait une réaffectation des recettes entre les deux ordres de gouvernement : les recettes fédérales étaient réduites d’un montant équivalent à l’augmentation des recettes des gouvernements provinciaux. Le fardeau fiscal des contribuables demeurait le même puisque, même s’ils déboursaient davantage en impôt provincial, ils versaient moins en impôt fédéral(10). Le transfert monétaire – un versement périodique par chèque – comblait la différence entre les droits totaux au titre du FPE de chaque province et la valeur du transfert fiscal.

Au départ, on calculait le versement de base au titre du FPE en se reportant à un montant par habitant initial, déterminé en 1975-1976, puis rajusté chaque année à l’aide d’un facteur de progression lié au taux de croissance du produit intérieur brut (PIB)(11) par habitant(12). Pour calculer la valeur totale des droits d’une province au titre du FPE, on multipliait le montant par habitant initial par le facteur de progression, puis par la population de la province.

En vue de réduire le déficit fédéral, le facteur de progression a été modifié à plusieurs reprises. En 1983-1984 et 1984-1985, on a plafonné le facteur de progression associé au volet de l’éducation à 6 % et à 5 % respectivement (si on avait utilisé la formule tenant compte de la croissance du PIB, le volet du PFE consacré à l’éducation aurait augmenté de 9 % en 1983-1984 et de 8 % en 1984-1985). Quant aux autres années, le facteur de progression était le même que pour le volet des soins de santé.

GRAPHIQUE 1.1

 

De 1986-1987 à 1989-1990, on a réduit de 2 % le facteur de progression utilisé pour calculer les droits totaux au titre du PFE. Après cette période, et jusqu’en 1994-1995, on a gelé les transferts par habitant à leurs niveaux de 1989-1990, si bien que les paiements de transfert ont augmenté en fonction de la croissance démographique de chaque province (environ 1 %). En 1995-1996, on a diminué le facteur de progression de 3 %, entraînant un facteur de progression négatif (presque –1,0 %, selon la Division des relations fédérales-provinciales du ministère des Finances); ainsi, il y a eu une réduction des transferts par habitant, puisque la croissance du PIB était inférieure à 3 %.

Le graphique 1.1 illustre l’évolution des droits totaux au titre du FPE, à la fois en dollars courants et en dollars constants. En termes de dollars courants, il y a eu une croissance continue des paiements de transfert totaux destinés aux soins de santé, bien que le taux de croissance ait diminué considérablement à la fin des années 80. Cependant, après un rajustement tenant compte de l’inflation et la conversion en dollars constants (1992), on constate que les droits des provinces destinés aux soins de santé ont commencé à diminuer en 1989-1990. À cause de son déficit et de sa volonté de réduire ses dépenses, à la fin des années 80 et au début des années 90, le gouvernement fédéral a progressivement restreint sa contribution réelle aux soins de santé provinciaux.

Pour nous faire une idée de l’ampleur de la réduction du financement fédéral, nous avons demandé à la Bibliothèque du Parlement d’estimer le manque à gagner des provinces découlant des contraintes imposées à la croissance des transferts du FPE destinés aux soins de santé. Nous avons utilisé deux méthodes de calcul. La première méthode détermine la différence entre les droits réels assignés par le FPE aux soins de santé et la valeur hypothétique des transferts fédéraux si le FPE n’avait subi aucune modification. La seconde méthode est différente, car elle compare les modifications apportées par la loi à la formule du FPE d’une période à la suivante. Elle détermine la différence entre les droits réels assignés par le FPE aux soins de santé et le niveau des transferts que les provinces auraient obtenus en supposant le maintien des mesures en vigueur lors de la période précédente. Le tableau 1.1 présente les résultats de ces calculs. Bien qu’il faille considérer ces données avec prudence, il est clair que les provinces ont subi des pertes continuelles de 1986-1987 à 1995-1996 pour ce qui est des transferts fédéraux destinés aux soins de santé.

Certains témoins ont avancé que, même s’il ne s’agissait pas de l’objectif initial du FPE, le mécanisme de financement global a permis au gouvernement fédéral de réduire son engagement financier à l’égard des soins de santé. Par exemple, l’honorable Marc Lalonde a formulé le commentaire suivant :

Je tiens à souligner que l'intention à l'époque n'était d'ailleurs pas de réduire la contribution fédérale aux services déjà couverts, mais il est évident que les événements subséquents ont démontré qu'il était peut-être plus facile pour le gouvernement fédéral de le faire en vertu du programme de 1977 qu'antérieurement .(13)

TABLEAU 1.1

ÉVALUATION DU MANQUE À GAGNER DES PROVINCES IMPUTABLE AUX CONTRAINTES IMPOSÉES À LA CROISSANCE DES TRANSFERTS AU TITRE DU FPE POUR LES SOINS DE LA SANTÉ

 

Résultats – 1ère méthode de calcul (en dollars)

Résultats – 2e méthode de

calcul (en dollars)

1986-1987

1987-1988

1988-1989

1989-1990

1990-1991

1991-1992

1992-1993

1993-1994

1994-1995

1995-1996

226 309 946

486 176 584

779 908 361

1 119 885 311

2 235 404 086

3 091 649 580

3 516 854 362

3 688 879 572

3 935 164 742

4 533 434 766

226 309 946

486 176 584

779 908 361

1 119 885 311

1 923 289 637

2 428 407 569

2 485 271 924

2 287 699 962

2 152 824 719

2 270 889 679

TOTAL

23 613 667 310

16 160 663 692

Source : Ministère des Finances et Bibliothèque du Parlement.

Toutefois, un tel désengagement a nui à la visibilité du gouvernement fédéral dans le domaine des soins de santé :

Il était plus difficile, évidemment, d'évaluer spécifiquement la contribution fédérale à chaque programme puisque vous aviez des versements qui couvraient un ensemble de programmes et qu'il n'y avait pas une allocation spécifique comme antérieurement, à l'assurance médicale. [...] Sans aucun doute, il en est résulté une certaine réduction de la visibilité politique de la contribution fédérale.(14)

Le graphique 1.2 illustre les voies divergentes suivies par les transferts monétaires et les transferts fiscaux, à la suite des limites imposées au taux de croissance général des droits au titre du FPE. Tandis que les transferts monétaires destinés aux soins de santé ont diminué continuellement entre 1986-1987 et 1995-1996, la valeur des transferts fiscaux a augmenté en termes réels au cours de la première moitié des années 90. Il est devenu clair que, à moyen terme, les contraintes imposées au taux de croissance des droits au titre du FPE destinés aux soins de santé auraient tari les transferts monétaires dans certaines provinces. Nous abordons la distinction entre les transferts monétaires et fiscaux de manière plus approfondie à la section 1.5 plus loin.

GRAPHIQUE 1.2

 

1.4 Le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux (TCSPS)

Dans le discours du budget de 1995, le gouvernement fédéral a annoncé qu’il prévoyait fusionner le FPE et le RAPC en un nouveau mécanisme de financement global appelé le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux (TCSPS), qui engloberait les transferts destinés aux soins de santé, à l’éducation postsecondaire et à l’aide sociale. Avec l’entrée en vigueur du projet de loi C-76, la mise en œuvre du TCSPS est survenue en 1996-1997. Depuis, la Loi sur les accords fiscaux entre le gouvernement et les provinces, qui régit le TCSPS à l’heure actuelle, a fait l’objet de modifications à cinq reprises, au moyen des mesures législatives suivantes : le projet de loi C-31 (1996), le projet de loi C-28 (1998), le projet de loi C-71 (1999), le projet de loi C-32 (2000) et le projet de loi C-45 (2000). Le tableau 1.2 rend compte des diverses mesures législatives ayant eu une incidence sur le TCSPS.

 

TABLEAU 1.2

Bref historique du TCSPS

1995

Le budget annonce que, à compter de 1996, le FPE et le RAPC seront remplacés par un mécanisme de financement unique, le TCSPS. Pour 1995-1996 (projet de loi C-76) :

  • la croissance du FPE est fixée au niveau de croissance du PNB moins 3 %;
  • le RAPC est gelé aux niveaux de 1994-1995 pour toutes les provinces;
  • les droits au titre du TCSPS sont fixés à 26,9 milliards de dollars pour 1996-1997 et à 25,1 milliards pour 1997-1998;
  • ces droits pour 1996-1997 seront répartis entre les provinces dans la même proportion que le total des droits au titre du FPE et du RAPC pour 1995-1996;
  • la valeur des transferts en espèces est obtenue de façon résiduelle : elle est égale à la différence entre les transferts des points d’impôt et l’ensemble des droits au titre du TCSPS.
1996

Le budget annonce un mécanisme quinquennal de financement du TCSPS de 1998-1999 à 2002-2003 (projet de loi C-31) :

  • pour 1996-1997 et 1997-1998, les droits au titre du TCSPS sont maintenus à 26,9 et 25,1 milliards de dollars respectivement. Puis, pour 1998-1999 et 1999-2000, ils sont fixés à 25,1 milliards. Pour les trois exercices subséquents, ils augmenteront en fonction d’un facteur de progression, soit la croissance moyenne du PIB au cours des trois années précédentes moins un coefficient prédéterminé (2 % en 2000-2001, 1,5 % en 2001-2002 et 1 % en 2002-2003);
  • un plancher des transferts en espèces d’au moins 11 milliards de dollars par année est établi;
  • une nouvelle formule de répartition est mise en place pour tenir compte des différences dans la croissance démographique des provinces et pour réduire de moitié d'ici 2002-2003 les disparités existantes dans le calcul des droits – un premier jalon dans la direction d'une répartition égale par habitant.
1998 Un projet de loi est adopté (C-28), fixant le nouveau plancher des transferts en espèces du TCSPS à 12,5 milliards de dollars entre 1997-1998 et 2002-2003. Par conséquent, les droits totaux au titre du TCSPS varient directement selon la valeur des points d’impôt et le transfert en espèces n’est plus déterminé de façon résiduelle.
1999

Le budget prévoit une bonification du TCSPS se chiffrant à 11,5 milliards de dollars sur cinq ans, expressément pour les soins de santé (projet de loi C-71) :

  • huit milliards de dollars sous forme d'une majoration du TCSPS et 3,5 milliards de dollars sous forme d'un supplément au TCSPS, pour permettre aux provinces et aux territoires de prélever des fonds sur trois ans en fonction de leurs besoins. Le supplément est versé aux provinces selon un montant égal par habitant;
  • le plancher des transferts en espèces est aboli, la nouvelle législation prévoyant un montant pour ces transferts dépassant la limite des 12,5 milliards de dollars; de même, le facteur de progression servant à calculer la croissance des droits totaux au titre du TCSPS disparaît, puisque ces derniers ne sont plus fixés par la loi et varient directement selon le montant des transferts en espèces;
  • la formule de répartition provinciale est modifiée pour que les droits au titre du TCSPS soient calculés sur la base d'un montant égal par habitant d'ici 2001-2002;
  • la loi prolonge le TCSPS jusqu'en 2003-2004.
2000 Le budget annonce 2,5 milliards de dollars de plus pour le TCSPS afin d’aider les provinces et les territoires à financer l'enseignement postsecondaire et les soins de santé (projet de loi C-32). Ces crédits sont versés dans un Fonds du supplément du TCSPS, et les provinces et les territoires reçoivent un montant identique par habitant. Les provinces peuvent utiliser leur part du supplément en tout temps, sur une période de quatre ans (de 2000-2001 à 2003-2004).

2000

Le TCSPS est prolongé d’un an, soit jusqu’en 2005-2006, et le montant total des droits à ce titre est porté à 21,1 milliards de dollars sur une période de cinq ans (projet de loi C-45). Les transferts en espèces bonifiés doivent s’appliquer aux trois domaines visés par le TCSPS, dont le développement de la petite enfance, et sont attribués aux provinces de sorte que celles-ci reçoivent la même somme par habitant.

Source : Ministère des Finances (http://www.fin.gc.ca/FEDPROVF/hisf.html) et Bibliothèque du Parlement.

 

La structure du TCSPS ressemble à celle du FPE, étant donné que le TCSPS comporte à la fois des transferts monétaires et fiscaux. Cependant, contrairement au FPE, le TCSPS prévoyait un plancher pour les transferts monétaires. On a établi le plancher monétaire, d’abord fixé à 11 milliards de dollars puis majoré à 12,5 milliards en 1997-1998, pour s’assurer que la croissance de la valeur des points d’impôt n’éroderait pas le transfert monétaire(15). De nombreux témoins ont signalé que, en créant le TCSPS, le gouvernement fédéral a prévenu l’érosion de sa capacité de veiller à ce que les provinces respectent la Loi canadienne sur la santé.

La loi sur le TCSPS précise la manière dont les droits totaux seront répartis entre les provinces. Initialement, on ne calculait pas les droits des provinces sur la base d’un montant par habitant. Avec le projet de loi C-76 (1995), la répartition pour l’année 1996-1997 était fondée uniquement sur la part des transferts obtenue par chaque province dans le cadre du RAPC en 1994-1995 et dans le cadre du FPE en 1995-1996. Puis, avec le projet de loi C-31 (1996), les droits de chaque province pour 1997-1998 étaient basés sur les transferts obtenus dans le cadre des programmes antérieurs, ainsi que sur le ratio entre les croissances démographiques cumulatives de la province et du Canada. De 1998-1999 à 2002-2003, la formule de répartition devait être similaire à celle de 1997-1998, mais en tenant compte de la proportion de la population nationale au sein de chaque province et en appliquant aussi un coefficient de pondération. Cette modification de la formule visait à réduire les écarts entre les provinces en matière de transferts par habitant, sans toutefois verser les mêmes montants par habitant.(16)

Avec l’adoption du projet de loi C-71 en 1999, on a modifié encore une fois la méthode de répartition des transferts au titre du TCSPS. La nouvelle méthode permet une répartition moins axée sur la part provinciale initiale (basée sur les programmes précédents du FPE et du RAPC) et reflétant davantage le poids démographique des provinces. Ainsi, les transferts au titre du TCSPS se dirigent progressivement vers une répartition par habitant identique entre les provinces. En fait, il est prévu que, d’ici 2001-2002, toutes les provinces recevront une part égale par habitant des droits au titre du TCSPS.

Cette répartition égale des droits par habitant doit toucher les transferts monétaires et fiscaux, et pas seulement les transferts monétaires. La contribution monétaire fédérale par habitant variera encore d’une province à l’autre. Toutes les provinces qui bénéficient de la péréquation obtiennent, comme dans le passé, une contribution monétaire au titre du TCSPS plus élevée que la moyenne provinciale générale. En effet, ces provinces ont besoin d’une majoration des transferts monétaires fédéraux par habitant pour que leurs droits atteignent la moyenne nationale(17) . De leur côté, les provinces plus riches recevront une plus grande part de leur soutien fédéral sous forme de points d’impôt et une part moindre découlant des transferts monétaires.

Par conséquent, si le volet monétaire du TCSPS était attribué sur la base d’un montant identique par habitant, les droits totaux par habitant seraient plus élevés pour les provinces où les revenus sont plus élevés, car leurs points d’impôt produisent des recettes plus importantes. Aux yeux du gouvernement fédéral, des droits totaux par habitant égaux assure un soutien fédéral équitable à toutes les provinces, sans égard aux différences quant aux recettes et aux taux de croissance économique des gouvernements provinciaux.(18)

Comme chacun sait, le TCSPS représentait une réduction des paiements en espèces au moment où le gouvernement fédéral réduisait ses dépenses pour résorber le déficit. Toutefois, la valeur des points fiscaux a continué de croître au fur et à mesure que l'économie a progressé.

Abby Hoffman,
conseillère principale en matière de politiques,
Santé Canada (13:9).

 

Comme l’indique le graphique 1.3, l’adoption du projet de loi C-76 (1995) et la mise en œuvre du TCSPS ont entraîné d’importantes réductions des transferts fédéraux aux provinces. De 1995-1996 à 1996-1997, les droits totaux au titre du TCSPS (exprimés en dollars courants) ont diminué de 3,0 milliards de dollars, soit de 10 %. Au cours de la même période, les transferts monétaires ont chuté de manière encore plus marquée, de quelque 3,7 milliards de dollars, soit de 20 %. L’année suivante, l’ensemble des droits au titre du TCSPS a encore reculé de 1,1 milliard de dollars (soit de 5 %), tandis que les transferts monétaires étaient réduits de 2,2 milliards de dollars (soit de 15 %). Les modifications découlant des projets de loi C-28 (1998) et C-71 (1999) ont renversé ces tendances à la baisse pour ce qui est de l’ensemble des droits au titre du TCSPS et du volet des transferts monétaires.

GRAPHIQUE 1.3

 

Combinés, les projets de loi C-32 (2000) et C-45 (2000) ont donné lieu, quant à eux, à une progression notable de l’ensemble des droits au titre du TCSPS ainsi que des transferts en espèces. Le premier prévoyait l’injection d’un montant supplémentaire s’élevant à 2,5 milliards de dollars, devant être octroyé aux provinces sur la base d’une répartition égale par habitant. Le second a été adopté pour donner suite à une entente fédérale-provinciale en matière de santé conclue le 11 septembre 2000 à l’issue d’une réunion des premiers ministres; cette entente prévoyait un investissement supplémentaire du fédéral totalisant 21,1 milliards de dollars au titre des transferts monétaires. Elle s’est également traduite par l’octroi de 2,3 milliards de dollars supplémentaires en fonds ciblés pour aider les provinces à acheter du matériel médical (1 milliard de dollars), à améliorer les systèmes d’information à l’appui des services de santé (0,5 milliard de dollars) et à réformer la prestation de soins de première ligne (0,8 milliards de dollars).

On s’attend à ce qu’en dollars courants les droits totaux au chapitre du TCSPS atteignent un nouveau sommet d’environ 31 milliards de dollars en 2000-2001, soit légèrement plus qu’avant les compressions de 1996-1997, et que les transferts monétaires égalent leur record en 2002-2003. Toutefois, en dollars constants (de 1993-1994), l’ensemble des droits ne dépassera son niveau de 1995-1996 qu’en 2002-2003, et les transferts monétaires ne connaîtront jamais plus leur sommet de 1993-1994. Dans le même temps, la valeur des transferts fiscaux au titre du TCSPS continue de croître; de 1997-1998 à 2000-2001, une proportion plus élevée du TCSPS a été assurée sous la forme de transferts fiscaux.

Bien que le gouvernement fédéral ait adopté des mesures en vue de mettre fin aux réductions des paiements de transfert au titre du TCSPS et d’assurer la croissance des transferts (notamment au moyen des projets de loi C-28, C-71, C-32 et C-45), il n’a pas réussi, selon les provinces, à rétablir le volet monétaire aux niveaux antérieurs. À plusieurs reprises, les gouvernements provinciaux ont pressé le fédéral de faire en sorte que les transferts monétaires remontent à leurs niveaux de 1994-1995 et d’inclure un facteur de progression propre à assurer une croissance appropriée du TCSPS. À leurs yeux, il s’agirait d’une grande amélioration en vue de stabiliser et de soutenir le système canadien de soins de santé.(19)

 

1.5 Transferts de points d’impôt et transferts monétaires

Le gouvernement fédéral et les provinces ne sont pas d’accord sur ce qui constitue la contribution fédérale aux soins de santé, parce qu’ils n’ont pas la même perception des transferts fiscaux. Le gouvernement fédéral estime que les transferts monétaires et fiscaux devraient être considérés comme une seule et même chose puisqu’ils représentent un coût pour le Trésor fédéral et que les deux contribuent aux recettes provinciales. Par conséquent, il inclut le volet fiscal dans son calcul de l’ensemble des droits au chapitre du TCSPS.

Cependant, les provinces ne croient pas qu’il soit légitime de compter la valeur des points d’impôt comme faisant partie du transfert au titre du TCSPS. Elles avancent que les points d’impôt constituent un transfert ponctuel et permanent survenu il y a 23 ans; ces points d’impôt font maintenant partie intégrante de l’espace fiscal des provinces. De plus, elles affirment que durant les deux dernières décennies le gouvernement fédéral a plus que récupéré la marge fiscale qu’il avait cédée en 1977. Aux yeux des provinces :

[...] la méthode fédérale consistant à inclure les points d’impôt a eu pour effet, en particulier au cours des dernières années, de donner l’impression que le transfert au titre du TCSPS est plus important qu’il n'est vraiment et les coupures relatives au TCSPS plus modestes qu’elles ne le sont réellement.(20)

Durant nos audiences, les témoins ont fait valoir des opinions divergentes sur les transferts fiscaux. Dans son exposé au Comité, l’hon. Monique Bégin a laissé entendre que les points d’impôt devraient être retirés entièrement du calcul du TCSPS et que seul l’argent devrait être transféré aux provinces. À son avis, cette approche aurait pour effet à la fois de préserver le rôle du gouvernement fédéral à l'égard de l’établissement et du maintien des principes nationaux et de permettre aux gouvernements provinciaux de compter sur une contribution stable. Cette suggestion ne pourrait être mise en œuvre que si le gouvernement fédéral acceptait de renoncer à recouvrer le coût engagé au moment où il a transféré les points d’impôt aux provinces.

J'écarterais tout simplement les points d'impôt du chemin. Je pense qu'ils empoisonnent tout le système et n'aident à rien. S'il faut dire que c'était une mauvaise mesure politique, soit. C'était une mauvaise mesure politique, mais je continue de croire fermement que c'était la seule solution possible à l'époque. Peut-être auraient-ils dû donner moins de points d'impôt et plus d'espèces.

L’hon. Monique Bégin (16:8)

De son côté, l’hon. Marc Lalonde a affirmé que les transferts fiscaux étaient encore une contribution fédérale valide :

Je pense également que la contribution sous forme de points fiscaux ne devrait pas simplement être passée par pertes et profits. Le gouvernement fédéral, à un moment donné, a cédé une part de son assiette fiscale. Cette contribution, à mon avis, existe toujours. Il y a moyen de l'évaluer, d'évaluer la contribution du Parlement fédéral aux programmes provinciaux dans les domaines de la santé et des autres services couverts par le nouveau système, c'est-à-dire l'éducation postsecondaire, la santé et l'assistance sociale.(21)

M. Lalonde a également fait valoir au Comité que les transferts fiscaux étaient, et demeuraient, un compromis raisonnable pour ce qui est de l’intervention fédérale dans un domaine de compétence principalement provincial. En outre, en 1977, ils semblaient le seul moyen de conclure un accord avec toutes les provinces :

En substance, c'était un arrangement politique avec les provinces. Nous avons acheté la paix à un certain prix, cela ne fait pas de doute. [...] L'enjeu était politiquement très important au Québec en particulier, mais les provinces en général se plaignaient de ce que le gouvernement fédéral dépense dans un domaine de compétence provinciale. Nous répliquions que nous nous servions simplement de notre pouvoir de dépense constitutionnel. Il était évident que ces programmes resteraient en place pendant longtemps. Certaines provinces avaient des points fiscaux qui leur rapportaient davantage qu'à d'autres, et les provinces disaient avec insistance qu'elles seraient beaucoup plus rassurées, moins à la merci du gouvernement fédéral, si au moins une partie du transfert prenait la forme de points fiscaux.(22)

En somme, il n’y a pas de réponse unique à la question de savoir comment comptabiliser les points d’impôt. Keith Banting a fait valoir que les deux points de vue – celui du gouvernement fédéral et celui des provinces – sont valables :

Il n'existe pas de réponse monolithique à la question de savoir ce qu'est la contribution fédérale au système de soins de santé. Les provinces sont parties du principe que les points d'impôt qui leur sont transférés font simplement partie de leur assiette fiscale et que la contribution fédérale revient simplement à un transfert pécuniaire. Le gouvernement fédéral pour sa part dit pas du tout, cette contribution est composée à la fois du transfert pécuniaire et de la valeur des points d'impôt qui ont été transférés en 1977, majorés selon la croissance de l'économie. Par conséquent, il y a deux réponses à cette question. Les provinces et le gouvernement fédéral ont tous deux raison. Tous deux définissent le système d'une façon différente et, chacun de leur point de vue, ils ont raison.(23)

 

1.6 La contribution fédérale aux soins de santé

Alors, quelle est la contribution fédérale aux soins de santé? Dans le cadre des ententes de partage des coûts de 1957 et de 1966, la part fédérale était d’environ 50 % des services hospitaliers et médicaux admissibles couverts par les régimes provinciaux d’assurance-santé. Cela ne correspondait pas à 50 % de tous les coûts des soins de santé publics encourus par les provinces.

Avec la mise en œuvre du FPE, une portion théorique des paiements de transfert était attribuée aux soins de santé. Toutefois, dans le cadre du TCSPS, il n’y a pas d’affectation spécifique aux soins de santé, même pas une affectation théorique. Par conséquent, il est impossible de déterminer exactement combien le gouvernement fédéral consacre aux soins de santé.

Je tiens à dire qu'il est difficile [...] d'établir exactement combien le gouvernement fédéral consacre à la santé, étant donné que le TCSPS laisse une grande marge de manoeuvre. Lorsqu'on calcule la contribution fédérale à la santé en faisant la même répartition entre la santé, l'enseignement postsecondaire et la sécurité sociale que pour le FPE et le Régime d'assistance publique, avant l'entrée en vigueur du TCSPS, chaque fois que les gouvernements [des provinces] consacrent 3 $ à la santé, le gouvernement fédéral donne 1 $. C'est actuellement un sujet de discussion, mais il est indéniable que sa part correspond au tiers des dépenses publiques.

Abby Hoffman, conseillère principale en matière de politiques,
Santé Canada (13:10).

Santé Canada a fourni une évaluation de la contribution fédérale aux soins de santé, calculée en supposant la même répartition théorique entre soins de santé, éducation postsecondaire et aide sociale qu’à la période précédant le TCSPS, c’est-à-dire au temps du FPE et du RAPC. Cette évaluation a servi à calculer la part fédérale des dépenses des gouvernements provinciaux dans le domaine des soins de santé.

À l’aide de cette information, on a élaboré le graphique 1.4, qui illustre l’évolution des dépenses en soins de santé en fonction de la source de financement, de 1977-1978 à 2003-2004. Les données, fournies par Santé Canada, indiquent que les dépenses en soins de santé provenant des fonds provinciaux en 1999-2000 devraient correspondre à 65 % des dépenses totales en soins de santé faites par le secteur public. Ainsi, la part fédérale pour cette année-là est d’environ 35 %. Si on n’inclut pas les points d’impôt dans la contribution fédérale, alors la proportion des dépenses en soins de santé par les gouvernements provinciaux s’élève à environ 82 %, tandis que l’apport fédéral est de 18 %.

GRAPHIQUE 1.4

 

Les données de Santé Canada indiquent aussi que la part provinciale des dépenses publiques en soins de santé augmente régulièrement depuis la fin des années 70, quelle que soit la méthode de calcul utilisée. Pendant ce temps, la part fédérale estimative a diminué. La valeur des transferts fiscaux et le financement fédéral direct(24) augmentent légèrement, mais la part des transferts monétaires diminue beaucoup. L’investissement fédéral supplémentaire dans les soins de santé découlant du projet de loi C-45 (2000) pourrait toutefois renverser cette tendance à la baisse.

 

1.7 L’importance de la stabilité du financement fédéral

Selon Tom Kent, les gouvernements fédéraux qui se sont succédés ont, au fil des ans, joué un rôle majeur dans la réduction de l’engagement fédéral à l’égard des soins de santé, en limitant la croissance des paiements de transfert aux provinces ou en les réduisant. Il a déclaré que l’affectation des fonds fédéraux aux soins de santé devrait se faire en rapport avec les coûts provinciaux et qu’un financement fédéral stable assurerait l’uniformité et la cohérence des régimes provinciaux d’assurance-santé :

J'ai vu dans ma province des coupures radicales et arbitraires et des décisions qui ne tenaient compte que du court terme. Le ministre des Finances voulait avoir un déficit réduit l'année suivante, et on coupait. On a mis les infirmières au Québec à la retraite anticipée. Nous leur avons fait une offre qu'elles ne pouvaient refuser. Maintenant, nous sommes à court d'infirmières. Nous réembauchons celles qui veulent revenir et leur payons des primes conséquentes pour cela. Nous sommes même obligés d'envoyer des gens se faire soigner aux États-Unis, aux frais de l'État. Tout cela était prévisible. Nous savons aujourd'hui quels seront les besoins de la population au cours des prochaines années. Il est incroyable de voir des situations comme celle-ci, et c'est totalement inacceptable. Je comprends pourquoi les Canadiens sont autant indignés et portés à dire : « Que le diable emporte vos deux gouvernements, c'est votre travail de réparer les dégâts, faites-le ».

J'espère que vous recommanderez au gouvernement fédéral, à l'issue de vos délibérations, d'assurer au moins un financement de base stable pour les dix prochaines années.

L’hon. Marc Lalonde (15 :23-24).

Pourtant, jusqu'à présent, la principale attaque qu'a dû essuyer l'assurance-santé n'est pas le risque que soit créé un système de soins de santé à deux niveaux, ni M. Klein ni qui que ce soit d'autre. Ce sont les gouvernements fédéraux des dernières années. L'assurance-santé ne se fonde pas que sur des principes visant uniquement les provinces. Elle se fonde sur des principes qui visent aussi le gouvernement fédéral, dont le plus crucial et celui qui veut que le gouvernement fédéral s'engage à partager les coûts des provinces. Depuis 1977, on respecte de moins en moins cet engagement et, en 1995, on en a complètement fait fi. En 1997, comme vous le savez, on a modifié la forme de financement qui se fait par le biais d'un transfert fiscal plutôt que par un transfert pécuniaire. Cette formule a ses mérites, mais on a aussi saisi l'occasion pour se fonder non plus sur le coût total des soins de santé de la province, mais plutôt sur le produit intérieur brut. Par la suite, le gouvernement fédéral a décidé unilatéralement d'en tenir de moins en moins compte et, avec le TCSPS, le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, les derniers vestiges de cette formule ont disparu. Le transfert est devenu une somme arbitraire déterminée uniquement en fonction des positions politiques et financières du gouvernement fédéral. La pression politique qui s'est exercée depuis a permis le rétablissement d'une part des sommes qui avait été supprimées, mais le principe de l'engagement du fédéral à partager les coûts n'a pas été rétabli, lui. [...]

Pour le meilleur et pour le pire, la prestation des soins de santé relève des provinces. Il y aura collaboration et il pourrait y avoir uniformité à l'échelle du pays avec l'aide du palier fédéral. Toutefois, ce qui importe, ce n'est pas tant par quelle somme d'argent cette aide se traduira, mais plutôt, si on veut planifier la prestation de soins de santé complets et efficaces, la garantie qu'ils seront financés. Le gouvernement doit assurer sa part du financement s'il tient à ce qu'il y ait des programmes nationaux uniformes, et il importe que la part du fédéral soit calculée en fonction des coûts qu'assument les provinces.(25)

La plupart des témoins ont convenu de l’importance de transferts fédéraux stables et prévisibles. Toutefois, Guillaume Bissonnette, directeur général de la Direction des relations fédérales-provinciales et de la politique sociale, à Finances Canada, a signalé au Comité qu’il fallait trouver un équilibre judicieux entre le concept de la stabilité du financement et les notions d’adéquation, d’abordabilité et de durabilité :

[...] Je dirais que nous essayons de concilier plusieurs notions contradictoires. Nous devons bien entendu, tenir compte de l'importante notion d'abordabilité. Nous devons également tenir compte de la notion qui en est en quelque sorte le corollaire. Combien est suffisant? Nous devons également tenir compte d'une notion dont on parle souvent dans le contexte de l'environnement et qui est également valable dans ce contexte; il s'agit du concept de durabilité dans le temps ou de stabilité.

Ces deux types de concepts sont, bien entendu, contradictoires. On ne peut pas prendre d'engagements en matière de stabilité. Un engagement est très sérieux et, lorsque la situation évolue dans le monde — et personne ne peut contrôler ce qui se passe dans le monde —, on constate qu'il n'est plus possible de le tenir. On ne veut pas prendre d'engagements en ce qui concerne la « suffisance », par exemple, pour constater ensuite qu'on n'a pas les moyens de les respecter; cela est valable pour les deux paliers de gouvernement.

Par conséquent, on essaie en quelque sorte de faire un compromis entre toutes ces notions. Nous essayons également, je présume, de tenir compte du fait que d'autres priorités en matière de dépenses ont tout autant d'importance. La santé est importante pour l'avenir du pays mais l'enseignement postsecondaire, la recherche et l'innovation aussi. Ils sont essentiels au développement de notre pays.(26)

Durant les audiences du Comité, les témoins ont présenté des points de vue divergents sur le mécanisme qui servirait à offrir davantage de transferts fédéraux pour les soins de santé et les programmes sociaux. Mme Bégin, par exemple, a suggéré qu’il y ait un programme spécifique pour les soins à domicile et les soins primaires. À son avis, cela devrait être mis en œuvre au moyen d’une nouvelle loi parallèle à la Loi canadienne sur la santé.(27)

De son côté, Tom Kent a fait valoir qu’un appui financier distinct ne servirait pas la mise en place d’un système intégré, efficace et coordonné de prestation de soins de santé :

Honnêtement, cela me fait grogner que d'entendre, surtout dans les cercles fédéraux, parler de soutien financier distinct pour les soins à domicile, l'assurance-médicaments ou tout autre sujet qui est le sujet de l'heure. Cela ferait du bruit politiquement, mais cette compartimentalisation des services de soins de santé serait désastreuse. On peut dispenser efficacement des soins de santé de grande qualité en fonction des besoins, mais seulement si, au sein de la collectivité, on sait gérer de façon coordonnée tous les éléments du système de soins de santé. Ce n'est pas en prévoyant des budgets distincts pour chacun de ces éléments qu'on réformera les soins de santé.(28)

L’hon. Claude Castonguay, ministre de la Santé du Québec dans les années 60, reconnu comme le fondateur de l’assurance-santé dans cette province, croit que le gouvernement fédéral ne devrait pas destiner des fonds à des programmes spécifiques de soins primaires et de soins à domicile, mais plutôt offrir un financement souple qui permettrait aux provinces d’affecter les sommes selon leurs propres besoins et priorités :

Le gouvernement fédéral [...] a proposé de hausser sa participation financière par le truchement d'un nouveau régime national de soins primaires et de soins à domicile. Les provinces trouvent ce projet à tout le moins inapproprié alors qu'elles sont aux prises avec les multiples problèmes des régimes déjà en place. Elles invoquent avec raison le fait qu'elles connaissent ce qui doit être fait et que ce sont des fonds additionnels dont elles ont le plus besoin. Au lieu du programme qu'il propose, le gouvernement fédéral pourrait jouer un rôle tellement plus utile en apportant aux provinces une aide financière de transition. Cette aide aurait pour but de donner aux gouvernements des provinces une marge de manœuvre qui leur permettrait de développer de nouvelles approches et d'apporter à leurs régimes des changements capables de résorber de façon durable la crise actuelle. Au milieu des années 60, le gouvernement fédéral a créé une caisse d'aide à la santé pour permettre à l'ensemble des provinces de mettre en place les ressources et les équipements nécessaires à l'établissement de l'assurance-santé. En s'inspirant de cette initiative fort utile, le gouvernement fédéral pourrait créer une caisse d'aide à la transition pour aider les provinces à apporter les changements nécessaires à leurs régimes respectifs. La création d'une telle caisse, dans laquelle il pourrait verser à tout le moins les sommes qu'il aurait allouées au programme de soins primaires et à domicile, donnerait au gouvernement fédéral un rôle essentiel tout à fait compatible avec sa responsabilité en matière de santé de même que la visibilité qu'il recherche dans ce domaine. Contrairement au programme de soins primaires et de soins à domicile, cette approche comporte l'avantage de ne pas inciter les provinces à hausser de façon permanente le niveau de leurs dépenses en santé alors qu'elles ne sont même pas en mesure de financer adéquatement les régimes en place.(29)

 

1.8 La responsabilité à l’égard des fonds fédéraux liés à la santé

La question de la responsabilité financière a été évoquée à de nombreuses reprises au cours de nos audiences. On a fait valoir au Comité que la notion de responsabilité financière a considérablement évolué au fil des ans :

[...] Je pense que la notion de responsabilité financière a évolué. Alors qu'autrefois on essayait de retrouver la trace de la moindre dépense, on a progressivement opté pour une conception plus moderne de la responsabilité financière fondée sur l'évaluation des résultats.

On pourrait retracer l'histoire de ces transferts depuis la Seconde Guerre mondiale. En fait, on n'a jamais cessé d'essayer d'exiger des preuves de dépenses. Quand on suit l'évolution de la notion de responsabilité financière, on constate que, dans les années 40, le gouvernement fédéral faisait littéralement des inspections dans les hôpitaux provinciaux pour vérifier s'ils étaient conformes à des normes précises.

Dans les années 50, on a adopté une formule un peu plus souple, celle du partage des coûts, en vertu de laquelle nous avons convenu de partager les coûts en ce qui concerne un panier bien précis de services médicaux et hospitaliers.

Avec la création du FPE, nous avons modifié, une fois de plus, la notion de responsabilité financière qui cessait dès lors d'être fondée rigoureusement sur l'utilisation des intrants et leur comparaison. Cette nouvelle forme de responsabilité financière, fondée essentiellement sur un transfert global, s'appuyait sur quelques principes généraux; pour le reste, on comptait sur les provinces.

Depuis l'adoption du contrat social cadre, notre conception de la responsabilité financière est nettement plus axée sur les résultats que sur une justification rigoureuse des dépenses.

D'une certaine façon, on s'intéresse davantage aux extrants qu'aux intrants et notre conception de la responsabilité financière a complètement changé.(30)

Il est clair que la notion de responsabilité financière a changé de manière radicale au cours des quarante dernières années. Le virage récent de l’évaluation des intrants à l’évaluation des résultats est particulièrement important. Durant la majeure partie du dernier siècle, l’évaluation de l’assurance-santé était basée sur les intrants. Bien que nous sachions comment les fonds destinés aux soins de santé ont été répartis entre les médecins, les établissements, les lits d’hôpitaux, etc., il est étonnant de constater notre ignorance quant au rendement de ces investissements. Nous devons entreprendre de mesurer la qualité du système de soins de santé par ses résultats et non ses intrants. C’est essentiel pour apprendre à dépenser les fonds gouvernementaux plus judicieusement.

Pour ce faire, nous avons besoin de meilleurs renseignements. Les gouvernements seront alors en mesure de prendre des décisions plus éclairées au sujet de la gestion, de la prestation et du financement des soins de santé.

La communication de meilleurs renseignements permettra aussi de s’assurer que les gouvernements rendent compte aux Canadiens de leur utilisation des fonds destinés aux soins de santé. À la phase deux de la présente étude, le Comité se penchera sur les questions ayant trait à l’information en matière de santé, notamment la prise de décisions fondées sur des données probantes et axées sur les résultats, ainsi que le rôle possible du gouvernement fédéral dans ce domaine.


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