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La Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre

Projet de loi modificatif--Troisième lecture

12 décembre 2023


Honorables sénateurs, je prends de nouveau la parole à l’étape de la troisième lecture pour vous demander d’appuyer le projet de loi C-234, Loi modifiant la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, bien qu’il ait été amendé. Comme vous vous en doutez peut-être, je tiens d’abord à exprimer ma frustration et ma déception à l’égard du fait que ce projet de loi a été modifié à deux reprises, d’autant plus que ces amendements avaient déjà été débattus, comme on l’a mentionné en comité, et qu’ils avaient été rejetés dans cette Chambre de second examen objectif lorsque mes collègues ont rejeté le rapport du Comité de l’agriculture et des forêts. L’industrie était très reconnaissante envers les députés qui n’ont pas appuyé le rapport.

Il y a quelques semaines, de nombreux acteurs du secteur agricole m’ont fait part de leur soutien à cette décision. Je suppose que c’est aussi le cas pour beaucoup d’entre vous qui avez voté contre. Alors que j’étais à la COP 28 à Dubaï la semaine dernière, j’ai été réveillé pendant la nuit par plusieurs courriels provenant d’intervenants qui exprimaient leur grande déception quant à l’adoption du premier de ce qui est maintenant deux amendements adoptés dans cette Chambre. J’ai moi aussi été déçu d’apprendre qu’une majorité de nos collègues appuyaient un amendement semblable à celui qui figurait dans le rapport du Comité de l’agriculture et des forêts, que cette Chambre a rejeté. Chers collègues, lors de la COP 28, il est devenu évident que la décision prise dans cette Chambre la semaine dernière a eu des répercussions au-delà de nos frontières et dans le monde entier. J’ai entendu la déception suscitée par l’amendement de la part de nombreux intervenants que j’ai rencontrés à la COP 28 à Dubaï. À titre d’information, chers collègues, depuis que ce projet de loi est au Sénat, j’ai reçu plus de 2 500 lettres et plus de 2 000 courriels de la part d’agriculteurs, d’éleveurs et de producteurs, qui m’ont tous fait part de leur appui à une version non amendée du projet de loi C-234.

Depuis la semaine dernière, un certain nombre de personnes m’ont à nouveau contacté pour exprimer leur déception à l’égard du projet de loi amendé. Ils ont utilisé des mots et des commentaires comme « le Sénat fait de l’obstruction », « le Sénat ne comprend pas notre situation », « certains sénateurs sont vraiment mal informés », « le Sénat méprise les agriculteurs, n’est-ce pas? » et « il est temps de se débarrasser du Sénat ».

Chers collègues, ces commentaires me dérangent beaucoup.

Je ne suis pas fier de ce qui s’est passé au Sénat ces dernières semaines au sujet du projet de loi C-234. Nous avons laissé tomber un segment très important de la population canadienne, et je demeure inquiet de ne pas avoir suffisamment bien fait mon travail en tant que sénateur représentant le milieu agricole au Canada, car c’est ce qu’on m’a demandé de faire lorsque le premier ministre m’a invité au Sénat.

Bien que je pense qu’il s’agit maintenant d’un projet de loi très imparfait et que l’industrie est d’accord avec moi à ce sujet, nous devons l’adopter maintenant afin de le renvoyer dès que possible aux représentants élus qui ont voté en faveur de sa version initiale. Ils pourront alors décider s’ils acceptent ou non ce projet de loi amendé.

Même si j’espère qu’il en sortira peut-être quelque chose de positif et qu’il nous reviendra dans sa forme initiale, comme mon honorable collègue le sénateur Wells l’a déjà indiqué, le parcours de ce projet de loi amendé à l’autre endroit pourrait être long et difficile.

Ce sont les agriculteurs, les éleveurs et les producteurs canadiens qui sont les perdants dans tout cela. Honorables collègues, en appuyant ce projet de loi amendé de manière à ne soutenir que le séchage du grain effectué par les agriculteurs de partout au pays, nous pouvons encore démontrer notre détermination à offrir à nos agriculteurs, à nos éleveurs et à nos producteurs un environnement qui favorise leur épanouissement afin qu’ils puissent continuer de faire ce travail essentiel qui consiste à nourrir notre grand pays.

Bien que — et je le répète —, il soit extrêmement regrettable que ce projet de loi ait été modifié, nous devons continuer à témoigner notre soutien aux milliers d’agriculteurs qui en bénéficieront.

Chers collègues, les agriculteurs sont progressistes. Ils sont ambitieux, déterminés et désireux d’employer des technologies novatrices afin de permettre au secteur agricole de progresser. Les agriculteurs comprennent l’importance de l’innovation et du progrès pour lutter contre les changements climatiques, et ils ne cesseront d’innover. Or, ce n’est pas en limitant leurs capacités financières et en les obligeant à porter le fardeau injuste d’une taxe sur leur gagne-pain qu’on les y encouragera. Ce n’est pas non plus en leur imposant une réglementation plus stricte, comme celle que le gouvernement examine et étudie, qu’on les y incitera.

Honorables collègues, je vous demande respectueusement de voter en faveur de ce projet de loi modifié, au nom des agriculteurs et des producteurs locaux que vous représentez. Adoptez ce projet de loi sans attendre pour exprimer votre soutien aux agriculteurs, aux éleveurs et aux producteurs qui nous nourrissent trois fois par jour, sept jours sur sept et 365 jours par an. Quel que soit le motif qui vous anime, tout ce que je vous demande, c’est de voter en faveur des agriculteurs, des éleveurs et des producteurs qui bénéficieront des mesures prévues par le projet de loi C-234 modifié. Ils implorent le gouvernement d’alléger le fardeau de la taxe sur le carbone.

Ensemble, nous pouvons assurer un avenir meilleur et plus prospère à certains agriculteurs et, ce faisant, nous pouvons soutenir ceux qui subviennent quotidiennement à nos besoins.

Merci, meegwetch.

L’honorable Tony Dean [ + ]

Honorables sénateurs, tout d’abord, je tiens à dire, en réponse à notre ami et à notre collègue le sénateur Black, que les agriculteurs, les éleveurs et les producteurs n’ont pas de meilleur allié que vous, sénateur Black, pour défendre leurs intérêts et dénoncer les problèmes auxquels ce secteur est confronté. Si ce n’est pas une opinion unanime, je suis certain que nous sommes nombreux à le penser.

Le sénateur Dean [ + ]

Je vais parler brièvement du projet de loi C-234. Je voudrais d’abord remercier mes collègues et tous ceux qui ont apporté leur importante contribution au débat. Nous en avons appris beaucoup au sujet du séchage du grain et du chauffage des bâtiments agricoles, n’est-ce pas?

Je voudrais mettre en relief certains des arguments qui m’ont le plus convaincu au cours des débats. En commençant, pour que ce soit clair, chers collègues, je n’ai reçu aucun appel téléphonique. J’ai gardé l’œil sur mon téléphone et j’ai attendu qu’il sonne, mais en vain.

La sénatrice Ringuette nous a rappelé que le directeur parlementaire du budget a publié un rapport le 15 juin 2023 indiquant que plus de 90 % de l’essence et du diésel employés par les agriculteurs sont déjà visés par une exemption de la taxe sur le carbone. C’est un bon début. Un rapport d’Agriculture et Agroalimentaire Canada indique que les carburants les plus utilisés dans les exploitations agricoles sont l’essence et le diésel, tous deux visés par une exemption. Cependant, la majorité de l’équipement de séchage fonctionne au gaz naturel ou au propane, deux combustibles assujettis à la redevance fédérale sur les combustibles, dans les provinces et territoires où elle s’applique, et c’est de cela que nous avons parlé.

Dans son rapport, le directeur parlementaire du budget a ajouté qu’avec cette exemption, près de 10 % des émissions de carbone du Canada feraient l’objet d’une exemption. En ce qui concerne le séchage du grain, qui est visé par la taxe, selon l’information reçue, Agriculture et Agroalimentaire Canada estime qu’en ce qui a trait au séchage du grain, le coût moyen de la tarification de la pollution peut correspondre, selon la province, à 0,05 % à 0,38 % des coûts de fonctionnement nets d’une exploitation agricole moyenne, ce qui équivaut à un montant de 210 $ à 774 $. Voilà pour le séchage du grain.

Le sénateur Dalphond nous a dit que la part des dépenses consacrée aux combustibles de chauffage pour les bâtiments agricoles représente moins de 1 % des dépenses de fonctionnement des exploitations agricoles canadiennes. Pour être très précis, elle représentait 0,9 % des dépenses en 2019, 0,8 % des dépenses en 2020 — y compris la taxe sur le carbone — et le même pourcentage en 2021. Ainsi, la tarification du carbone qui s’applique au séchage du grain et aux combustibles de chauffage compte pour moins de 1 % des coûts de fonctionnement d’un agriculteur.

Le sénateur Woo nous a rappelé que les incitatifs offerts grâce à la redevance sur le carbone pour l’agriculture, en particulier les incitatifs économiques pour l’adoption de technologies plus écoénergétiques, peuvent aider à compenser les émissions tout en réduisant les coûts pour les agriculteurs à long terme. Bon nombre de ces technologies sont déjà accessibles; d’autres ne le sont pas, mais offrir cet incitatif est une première étape importante pour encourager les secteurs à forte intensité carbonique à investir dans des technologies plus efficaces. Si on accorde un répit à ces secteurs dès maintenant, cela ne fera que rendre la transition plus difficile dans l’avenir, et cette transition est inévitable.

Les amendements du sénateur Woo et du sénateur Dalphond répondent tous les deux à ces préoccupations. L’amendement du sénateur Woo ferait passer la période de transition prévue par le projet de loi de huit ans à trois ans, tandis que celui du sénateur Dalphond viendrait restreindre l’exemption pour qu’elle ne s’applique qu’au séchage du grain et non au chauffage des bâtiments agricoles.

Je souhaite parler brièvement du paysage agricole du Canada. Comme bon nombre d’entre nous le savent, le croient et le constatent, il y a encore beaucoup de petites fermes au Canada. Toutefois, l’envergure des exploitations agricoles connaît de profonds changements. Tout ce paysage connaît une transformation rapide et considérable tant en ce qui concerne la taille des entreprises que leur structure financière. Un nombre croissant de fermes se constituent en société.

En 2021, environ un quart des fermes du Canada étaient considérées comme des sociétés, détenues ou non par une famille. Il s’agit d’une augmentation par rapport à 2015, alors qu’un cinquième des fermes faisaient partie de cette catégorie. Le nombre de fermes constituées en société augmente constamment depuis quelques décennies, notamment parce que, comme on le sait, au fil du temps, le traitement fiscal des sociétés est devenu de plus en plus avantageux par rapport à celui des petites entreprises.

D’après Statistique Canada, en 2020, plus de la moitié des revenus d’exploitation totaux du Canada provenaient de 4,1 % des exploitations agricoles, qui appartenaient toutes à la catégorie de revenu de 2 000 000 $ et plus. On parle bien de plus de 50 % des revenus agricoles, chers collègues, comparativement à 41,5 % cinq ans plus tôt.

Par ailleurs, les exploitations agricoles des trois premières classes de revenus, soit de 500 000 $ à 1 million de dollars, de 1 million à 2 millions de dollars et de plus de 2 millions de dollars, ont représenté 82,3 % des revenus d’exploitation en 2020, soit une augmentation de 75 % par rapport à l’année précédente.

Un rapport de données d’Agriculture et Agroalimentaire Canada nous indique que les coûts doivent normalement varier selon la taille de l’exploitation agricole. Les exploitations les plus importantes ont des coûts supérieurs à la moyenne, tandis que les petites exploitations ont des coûts inférieurs à la moyenne. Bien que les coûts de séchage ne soient pas nécessairement proportionnels à la taille de l’exploitation agricole, il devrait normalement y avoir une forte corrélation.

Quoique le revenu brut moyen d’un producteur de grain et d’oléagineux canadien soit de 460 000 $ par année, plus de 2 000 producteurs ont des revenus dépassant les 2 millions de dollars par année, ce qui fait que la tarification de la pollution par le carbone pourrait leur coûter passablement plus cher que les moyennes provinciales. Si vous voulez être honnêtes au sujet des effets de ce projet de loi, chers collègues, vous devez admettre qu’il aidera les grandes entreprises d’exploitation agricole industrielle à s’emparer d’une plus grande part de marché en leur accordant un allégement fiscal. C’est le même genre d’aide que ces entreprises auraient reçue grâce au projet de loi C-208, dont certains d’entre vous se souviendront comme le projet de loi des agriculteurs et des pêcheurs et qui a été adopté très rapidement par le Sénat il y a quelques années. Il visait à aider les exploitations agricoles à se constituer en personnes morales. Chers collègues, les petites exploitations agricoles profiteraient bien entendu de ce que prévoit le projet de loi C-234, mais les grandes exploitations d’envergure industrielle seraient de loin les plus avantagées.

Enfin, je voudrais parler brièvement des changements climatiques et de la carboneutralité, qui semblent avoir été des sujets marginaux dans ce débat. La sénatrice Ringuette a posé une question très pertinente : quel est le coût des changements climatiques pour notre économie?

Tandis que nous débattons au Sénat du coût économique pour les agriculteurs, nous devons reconnaître le coût pour nos enfants, pour nos petits-enfants et pour leur capacité à vivre confortablement sur cette planète, qui est déjà fortement menacée. La température augmente chaque année. Nous battons des records en matière de températures extrêmes et de catastrophes naturelles dans le monde entier. Nous savons que le Canada se réchauffe deux fois plus vite que le reste du monde et que l’Arctique se réchauffe trois fois plus vite. Cette situation n’est pas viable, et nous devons tous faire des sacrifices sur le chemin vers la carboneutralité — surtout les entreprises puisqu’elles sont les plus grandes productrices d’émissions.

Si nous avions adopté le projet de loi dans sa forme initiale, je pense que nous aurions affaibli la stratégie du Canada pour atteindre la carboneutralité. Certains collègues ont laissé entendre que le gouvernement l’avait déjà affaiblie avec ses exemptions pour le mazout domestique, et je pense qu’il s’agit d’un argument raisonnable.

Le gouvernement a certainement permis à d’autres groupes et à d’autres provinces de prétendre qu’ils devraient être exemptés de la taxe sur le carbone. Chers collègues, nous ne devrions pas encourager la voie des exemptions. Nous le devons aux générations futures. En outre, je crois que le projet de loi C-234, tel qu’amendé, parvient à trouver le juste équilibre entre tous ces éléments. Merci beaucoup.

L’honorable Pat Duncan [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour dire quelques mots et ajouter quelques observations à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-234, tel qu’amendé.

Comme je l’ai dit dans mon discours lors du débat à l’étape du rapport, le fédéralisme est difficile. Les négociations fédérales‑provinciales-territoriales et nos relations avec les Autochtones diffèrent d’un bout à l’autre de ce vaste pays. Notre situation au Canada doit être l’une des formes les plus difficiles — si ce n’est la plus difficile — de fédéralisme au service d’une population répartie sur un vaste territoire.

Néanmoins, malgré ces difficultés, les gouvernements de toutes les allégeances politiques et à tous les échelons lancent un certain nombre d’initiatives, notamment des mesures législatives, dans le but de répondre aux besoins des citoyens, tout en se rappelant que nous faisons partie d’une communauté mondiale.

Parfois, ces initiatives connaissent assez facilement du succès, et parfois, comme ma tante écossaise avait l’habitude de le dire : « C’est simplement que l’impossible prend un peu plus de temps. »

La plupart des Canadiens — et je suis sûre que la sénatrice Dasko pourrait me dire combien — reconnaissent que les changements climatiques sont un problème mondial et que le Canada a un rôle à jouer à cet égard. La partie impossible, du moins, dans le discours public, semble maintenant être de savoir comment persuader autant que possible la population d’apporter des changements pour relever les défis des changements climatiques.

Les gouvernements dûment élus — les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, les administrations municipales et les gouvernements autochtones et des Premières Nations — cherchent des options. Le Canada, s’appuyant sur des données scientifiques et économiques — comme l’ont expliqué des sénateurs qui en savent plus que moi sur le sujet —, a mis en place une taxe sur le carbone afin d’encourager une réduction de l’utilisation des combustibles fossiles. Il a beaucoup été question de la taxe sur le carbone dans les discussions sur le projet de loi C-234. Je voulais ajouter le point de vue du Yukon à nos délibérations ici pour montrer à quel point une solution universelle ne convient pas à tous dans cette fédération.

Le Yukon a adhéré au régime fédéral de la taxe sur le carbone parce que nous sommes tout à fait d’accord avec l’idée de réduire les émissions et que nous faisons de notre mieux pour y arriver. Pendant que nous débattions de ce projet de loi, le gouvernement a décidé d’exempter de la taxe sur le carbone les ménages qui chauffent leur maison au mazout. Certains ont dit qu’il s’agissait d’un allégement injuste accordé aux Canadiens des provinces de l’Atlantique. L’exemption s’applique au Yukon. Il est important de connaître le contexte et la situation au Yukon, et je suis heureuse d’avoir l’occasion de représenter ma région.

C’est compliqué. Au Yukon, l’électricité provient à 93,9 % de l’hydroélectricité. La Société d’énergie du Yukon a récemment installé quatre nouvelles éoliennes après avoir mis hors service celles installées en 1993 et en 2000. On estime que les éoliennes fourniront de l’électricité à 650 foyers. C’est un ajout des plus bienvenus à l’approvisionnement en électricité.

Chers collègues, vous savez peut-être que la mairesse Cabott de Whitehorse m’a récemment informée que la population de sa ville avait augmenté de 12,5 %. Les logements bâtis pour cette population utilisent, dans l’ensemble, le chauffage électrique, dont le coût varie de 150 $ à presque 1 000 $ par mois selon la période de l’année et la température à laquelle les gens règlent leur thermostat.

La majeure partie de notre énergie provient de l’hydroélectricité, avec de l’énergie éolienne maintenant utilisée comme énergie d’appoint. Les Premières Nations autonomes et certaines n’ayant pas signé d’accord définitif installent des parcs solaires dans leurs communautés. Des milliers de Yukonnais ont installé des panneaux solaires. Une installation de stockage d’énergie par batteries à l’hydrogène est en cours de construction. Ces initiatives sont le fruit de partenariats bénéficiant d’une aide financière substantielle du gouvernement du Canada, du gouvernement du Yukon et des sociétés de développement des Premières Nations du Yukon.

Malgré ces efforts, le Yukon a un besoin urgent de plus d’électricité. La centrale hydroélectrique de Whitehorse est également alimentée tout au long de l’hiver par des génératrices au diésel, parfois jusqu’à sept, qui fonctionnent jour et nuit. Le carburant de ces génératrices arrive par la route de l’Alaska, transporté par train double de type B, dont le moteur est alimenté au diésel — soit à partir de l’Alberta ou de l’autre extrémité de la route — ou acheminé depuis le port de Skagway, en Alaska. Le carburant utilisé est le diésel. On se sert du carburant le plus sale pour apporter encore plus de carburant sale. En tout, 49 % des Yukonnais se chauffent au diésel. De nombreux Yukonnais se chauffent au bois, une option également polluante pour l’environnement; 4 % utilisent du propane; les autres se chauffent à l’électricité, certains avec le bois comme chauffage d’appoint.

En septembre, il en coûtait près de 1 200 $ pour remplir, au Yukon, un réservoir de mazout destiné à chauffer une maison, y compris presque 200 $ en taxe sur le carbone. En octobre, le prix n’était que la moitié de cela environ. Toutefois, il faut dire que l’automne est chaud.

Pourquoi ne pas chauffer au gaz naturel? Eh bien, c’est une autre histoire. Sénateurs, certains se rappellent peut-être le traité de 1972 entre le Canada et les États-Unis qui prévoyait que le gaz de l’Alaska serait transporté le long de la route de l’Alaska, un corridor de transport qui existait déjà.

Il va sans dire que vous êtes les bienvenus si vous voulez venir dans mon bureau pour y admirer l’autocollant à parechoc qui est affiché au mur et qui dit, si vous me pardonnez le langage non parlementaire, « le Canada [mon postérieur], c’est le gaz de l’Alaska ». En fait, un autre mot que « postérieur » est employé. Le gaz est transporté vers le sud, et les Yukonnais ne reçoivent pas de gaz naturel.

Les thermopompes sont une autre solution de rechange et elles ont fait leurs preuves au Yukon. Malheureusement, je sais qu’à moins 30 degrés, il faut un système d’appoint électrique. Je sais aussi que, lors d’entrevues récentes à la radio avec l’installateur des thermopompes, nous avons appris qu’il y avait des problèmes de chaîne d’approvisionnement. Si vous voulez obtenir une thermopompe et si l’installateur est disponible, il reste que cela coûte cher. Et je vous renvoie alors de nouveau à mon argument au sujet de la disponibilité de l’électricité.

Le projet de loi C-234 concerne spécialement l’agriculture. L’agriculture est en pleine croissance au Yukon et nous pourrions la comparer à une jeune pousse dans la forêt qu’est le secteur agricole canadien. Elle n’en est pas moins importante.

L’exploitation agricole Mandalay Farm produit 4 400 œufs par jour, vendus sous la marque Little Red Hen Eggs, ce qui représente un total approximatif de 1,6 million d’œufs par année. Pour une population d’environ 45 000 habitants, dont le nombre ne cesse d’augmenter, cela correspond à 15 % des œufs consommés au Yukon. Les autres œufs sur le marché, outre ceux provenant de quelques petits producteurs locaux, arrivent tous par camion diésel qui emprunte l’autoroute. Mandalay Farm dépense près de 35 000 $ par année en propane pour chauffer ses poulaillers. Le chauffage principal est alimenté au diésel, mais il est accompagné d’un chauffage d’appoint au bois. En passant, une corde de bois de chauffage peut coûter de 400 $ à 500 $.

Est-ce que le prix de la douzaine d’œufs Little Red Hen Eggs sera moins cher à l’épicerie après l’adoption du projet de loi C-234? Probablement pas, car les agriculteurs sont des preneurs et non des décideurs de prix. Est-ce que la situation financière de Mandalay Farm serait plus avantageuse si le projet de loi C-234 était adopté dans sa version originale? Oui, absolument.

Le Yukon compte deux installations de séchage du grain et elles fonctionnent au propane. Ce sont de petites entreprises, mais si le projet de loi C-234 avait été adopté dans sa version d’origine, cela aurait été plus avantageux pour elles.

Je voudrais dire brièvement si oui ou non le projet de loi C-234 est une exemption. Je ne pense pas que ce soit le cas. Des fonctionnaires ont déclaré au comité qu’il ne s’agissait pas d’un oubli. J’ai le plus grand respect pour les fonctionnaires canadiens. J’ai moi-même été députée et j’éprouve un grand respect pour les députés du Parlement et les députés provinciaux qui ont fait du porte-à-porte pour parler aux citoyens. C’est tout à fait compréhensible, car des amis agriculteurs du Sud de l’Alberta m’ont dit la même chose. Auparavant, il travaillait pour le gouvernement albertain et s’occupait du crédit agricole et du financement de l’agriculture. Il m’a confirmé explicitement l’importance du chauffage pour les exploitations avicoles, en particulier, et pour les séchoirs à grains, surtout dans le Nord de l’Alberta.

Dans le cadre de l’exemption accordée à l’industrie agricole, un fonctionnaire d’Ottawa ne considérera peut-être pas qu’il s’agit d’un oubli d’exclure les séchoirs à grains et les exploitations avicoles, le propane et le gaz naturel, alors que les pêcheurs et l’agriculture ont reçu une exemption. Mais la personne qui fait du porte-à-porte pour obtenir des votes va se faire demander : « Pourquoi? Ce n’est pas juste que ceux qui utilisent du diésel obtiennent une exemption à la taxe sur le carbone, et pas moi. »

Chers collègues, j’ai soutenu le projet de loi dans sa forme initiale pour toutes les raisons que j’ai mentionnées. Ce que je ne peux pas soutenir et ce qui me met en colère, m’attriste et me déçoit vraiment en tant que Canadienne et en tant qu’électrice, c’est que la politique a profondément polarisé le débat. Il ne s’agit plus de savoir s’il s’agit d’une inclusion appropriée dans une exemption déjà accordée à l’agriculture, mais de slogans politiques et de politique partisane.

Je trouve cela particulièrement frustrant, chers collègues, car je pensais sincèrement qu’au Sénat, nous pouvions faire mieux, que nous pouvions dépasser les messages préparés, les campagnes et les divisions politiques, et trouver une solution au problème. Je suis attristée que nous n’y parvenions pas. Comme je l’ai dit précédemment, je pense que l’impossible prend un peu plus de temps. Je vous remercie de votre attention.

L’honorable Frances Lankin [ + ]

Honorables sénateurs, je tiens à remercier les personnes qui ont contribué au débat de ce soir de manière réfléchie et respectueuse. Sénateurs Black, Dean et Duncan — ma bonne amie —, nous sommes dans des camps opposés sur cette question, mais nous passons beaucoup de temps à discuter et à apprendre les uns des autres. J’apprécie les contributions respectueuses de ces sénateurs.

Permettez-moi de commencer cette intervention dans le débat en disant ce que je ne ferai pas ce soir. Je ne ferai pas d’accusations ad hominem ni d’autres déclarations de ce genre au Sénat, et je ne me livrerai pas à des attaques personnelles. Je ne participerai pas à la dénonciation de mes collègues qui ont passé tant de temps à examiner ce projet de loi et à déterminer quelle est la meilleure approche selon eux.

Je respecte la diversité des opinions au Sénat, tant celles des partisans que des détracteurs du projet de loi, et je reconnais que beaucoup d’entre nous avons adopté notre position dans ce débat pour diverses raisons et à l’issue d’un raisonnement différent. Nous pouvons discuter de cela les uns avec les autres. J’espère que, un jour, nous adopterons les sages paroles de votre grand-mère, qui a dit qu’il nous faudra peut-être un peu plus de temps, mais que le Sénat y parviendra. C’est ce à quoi nous aspirons pour ce qui est de la réforme de cette institution et du travail à valeur ajoutée que nous effectuons pour les Canadiens. Je crois que si nous mesurons notre réussite selon ce critère, nous échouons lorsque nous ne nous comportons pas comme je viens de le décrire.

J’appuie ceux qui, comme vient de le mentionner le sénateur Dean, sont sceptiques par rapport à la décision du gouvernement d’exempter de la taxe sur le carbone le mazout utilisé à des fins de chauffage domestique. Je n’appuie pas cette décision du gouvernement, quoique je m’empresse de dire à ma chère collègue de l’Île-du-Prince-Édouard que j’appuie toutefois l’offre de mesures de soutien supplémentaires aux propriétaires résidentiels qui chauffent toujours leur habitation au mazout.

Je ne crois pas qu’une exemption soit la meilleure mesure à adopter. Le gouvernement aurait pu avoir recours à de nombreux autres moyens. Par exemple, il aurait pu bonifier les remboursements accordés, comme il l’a déjà fait dans le cadre de cette mesure, et aller encore plus loin en ce sens. Il aurait pu prévoir une autre subvention. Il aurait pu consentir ce soutien sans compromettre ses orientations stratégiques en matière de tarification du carbone, ce qui, à mon avis, à l’heure actuelle, en plus de l’adoption des technologies disponibles, est l’une des mesures les plus importantes que nous devons prendre pour relever le défi existentiel auquel notre planète fait face. C’est quelque chose que nous devons faire non seulement pour notre pays, mais aussi pour notre planète.

Cependant, je suis favorable à l’aide et aux subventions que le gouvernement a décidé d’accorder pour l’installation de thermopompes. Il s’agit là d’une mesure complémentaire brillante, tout comme les mesures destinées à aider directement ceux qui se chauffent au mazout.

Je vous ai dit ce que je ne ferai pas ce soir. Ce que je vais faire par contre, en plus de respecter les opinions qui sont exprimées, c’est d’essayer de rectifier les faits et de consigner au compte rendu certains des faits publiés qui contredisent certaines choses qui ont été dites, assurément à l’autre endroit, mais ici aussi. Il s’agit d’un discours qui a été amplifié dans Twitter ou X et dans certains reportages des médias, et je crois que cette campagne a été orchestrée par certaines des personnes dont la contribution au débat a été moins que respectueuse, ce que j’ai déjà mentionné à propos d’autres interventions ce soir.

Je sais que nous cherchons parfois les mots pour décrire les interventions des autres. C’est parce que nous pensons au décorum de cet endroit, au respect que nous devons avoir envers cette institution en tant que parlementaires et à ce qui constitue un langage non parlementaire. Certaines personnes ont fait des blagues au sujet de différents projets de loi et ont dit des choses comme : « On ne peut pas appeler un chat, un chat. » Alors, nous trouvons d’autres mots pour nous exprimer. Un autre mot que j’ai entendu est « faussetés » et l’expression « c’est faux ». Quand je dis que je veux rectifier les faits, c’est que je veux corriger les faussetés qui ont été prononcées ici.

La première fausseté concerne les thermopompes. Lorsque j’ai pris un congé de maladie récemment parce que j’avais la grippe — certaines personnes sont au courant que je m’étais absentée —, j’ai regardé tous les débats à ce sujet. J’ai suivi le débat sur un amendement et le débat à l’étape de la deuxième lecture, et j’ai entendu une déclaration catégorique comme quoi les thermopompes ne fonctionnent pas dans notre pays en raison des multiples journées au cours d’une année où la température descend à -40 degrés Celsius. Mes amis, à cause des changements climatiques, de telles journées se font de plus en plus rares. Cela dit, il y en a encore. Il y a 22 ans, lorsque mon époux et moi avons bâti notre maison, nous voulions y faire installer une thermopompe. J’habite dans le Nord de l’Ontario, et à l’époque, les thermopompes n’étaient pas assez perfectionnées, donc ce que nous avons entendu au Sénat était peut-être vrai il y a 22 ans.

Une multitude de rapports ont été produits. J’ai lu des rapports d’entreprises qui installent des thermopompes dans le Nord de l’Ontario. Elles sont dépassées par la demande en raison des subventions que le gouvernement a annoncées et de l’Initiative canadienne pour des maisons plus vertes, dont je fais la publicité en ce moment et qui aura épuisé son enveloppe budgétaire en mars, je crois. J’espère que le prochain budget en renouvellera le financement. Je suis également consciente que des entreprises telles qu’Enbridge offrent une subvention pouvant aller jusqu’à 10 000 $ aux Canadiens à faible revenu qui désirent acheter une thermopompe. Il existe du soutien pour les gens qui effectuent la transition. Des agriculteurs m’ont dit que l’installation d’une thermopompe leur permettra de réaliser des économies.

Pour les semaines où il fait 40 degrés sous zéro, la plupart des gens ont un chauffage d’appoint. Dans notre cas, je sais que nous sommes passés du mazout au propane, et nous avons un chauffage d’appoint au bois. Maintenant que la technologie a évolué, je vais passer à l’installation d’une thermopompe.

Des agriculteurs m’ont dit que l’utilisation du propane ou du gaz naturel, qui coûte déjà le quart du prix du mazout, leur permet d’économiser et d’améliorer leur situation financière de façon importante, même si c’est seulement pendant les saisons intermédiaires. La technologie a changé. On ne nous en a pas informés. On nous a plutôt informés d’une fausseté manifeste, pour ainsi dire.

J’ai aussi longuement réfléchi à la question de l’équité. J’ai écouté le sénateur Black et d’autres personnes qui ont avancé cet argument. Au départ, il m’a semblé très convaincant. Une partie de notre travail consiste à examiner les différentes incidences selon les régions. Lorsque j’ai commencé à creuser la question, je me suis rendu compte que l’on nous avait raconté une autre fausseté. Je ne lirai pas les citations, mais j’ai le compte rendu ici, et cette fausseté, c’était que la mesure du gouvernement ne concernait que le Canada atlantique, et non le reste d’entre nous. C’est cela presque mot pour mot, je crois. Pas pour le reste d’entre nous ni pour le reste du Canada. C’est faux. C’est tout simplement faux. Il suffit de regarder comment le programme est conçu, de regarder qui il touchera et de regarder les chiffres.

Je viens de l’Ontario. Du nombre total de foyers qui utilisent le mazout domestique — 266 700 —, la grande majorité se trouve en Ontario. Les citoyens que je représente — je représente tous les Canadiens, mais je suis sénatrice de l’Ontario — sont ceux qui utilisent le plus ce type de combustible de chauffage, qui coûte trois ou quatre fois plus cher que le propane et le gaz naturel. C’est de lui qu’il est question dans le projet de loi dont nous sommes saisis.

Les agriculteurs ont également reçu de l’aide fédérale grâce au projet de loi initial sur la tarification du carbone. Il y avait des exemptions pour l’essence et le diésel, des crédits d’impôt et des remboursements comme ceux dont nous bénéficions tous en ce qui concerne la taxe sur le carbone qui a été imposée. Par ailleurs, ayant été ministre provinciale, j’entends parler de nombreuses mesures provinciales qui aident les agriculteurs et j’y suis tout à fait favorable. Il est question de la production de notre nourriture sur les terres les plus fertiles de notre pays. J’aimerais que tout le monde lutte avec autant d’ardeur pour que l’on protège ces terres au lieu d’autoriser leur développement, comme c’est le cas dans ma province, l’Ontario.

On craint que si les exemptions sont accordées à un groupe d’agriculteurs, ceux-ci perdent également le remboursement. Ils s’en sortiraient peut-être un peu mieux, mais regardons les chiffres. Nous les avons déjà entendus. Je ne vais donc pas m’y attarder. Sénatrice Ringuette, merci beaucoup : vous nous avez fourni des renseignements précieux après avoir mené des recherches auprès du Bureau du directeur parlementaire du budget. Si on tient compte de la taxe sur le carbone qui sera imposée aux agriculteurs dont il est question dans ce projet de loi et qu’on soustrait le remboursement qu’ils recevront — et je sais que c’est difficile à calculer parce qu’il y a de grandes entreprises agricoles et de petites exploitations familiales — en moyenne, dans l’ensemble du pays, le coût supplémentaire pour les agriculteurs sera de 806 $ cette année. C’est quelque chose dont nous n’avons pas non plus été informés durant le débat qui a eu lieu ici, sauf de la part de ma collègue la sénatrice Ringuette.

Permettez-moi de répéter le montant : 806 $. Regardez la rancœur et la polarisation qui ont été suscitées au Canada et, malheureusement, comme l’a dit la sénatrice Duncan, au sein du Sénat.

En guise d’avant-dernier point, je tiens à exprimer mon inquiétude quant à la manière dont le projet de loi a été positionné. Il se peut que certains nouveaux sénateurs n’en soient pas conscients. Je ne peux pas prendre beaucoup de temps pour en parler ce soir, mais je serais prête à le faire à tout autre moment. J’ai écouté nos collègues d’en face parler de l’importance des précédents et des politiques de Westminster en ce qui concerne ce que nous faisons dans cette enceinte. L’une des choses dont nous devons tenir compte est la convention de Salisbury, qui, en bref, indique que si un parti élu au gouvernement a — au cours de la campagne précédente — promis une politique, alors cette politique doit être soutenue lorsqu’elle est présentée au Sénat. On peut apporter des amendements et essayer de l’améliorer, mais il est très rare que l’on tente d’obtenir le rejet du projet de loi.

Ce qui s’est passé ici, chers collègues, c’est le contraire de la convention de Salisbury. Nous nous trouvons dans une situation où on a présenté un projet de loi visant à modifier et à saper l’intention de la loi sur la tarification du carbone que nous avons adoptée dans cette enceinte et sur laquelle le gouvernement a fait campagne avec succès, tant pour former un gouvernement minoritaire que majoritaire.

Quand on fait le contraire de ce que prévoit la convention, on se retrouve avec le projet de loi dont nous sommes saisis. Mon collègue, le sénateur Plett, et moi avons beaucoup de réserves à l’égard des projets de loi d’initiative parlementaire et de la façon dont ils sont étudiés dans cette enceinte. Habituellement, nous n’aimons pas quand ces derniers ont préséance sur les affaires du gouvernement, parce que notre rôle dans cette enceinte est de nous pencher sur les affaires du gouvernement.

Dans le cas présent — et pour ceux d’entre nous qui ont eu de la difficulté à étudier ce projet de loi quand il a été renvoyé ici —, adopter le projet de loi d’origine tel qu’il nous a été soumis équivaudrait à faire l’inverse de ce que prévoit la convention de Salisbury dans cette institution, et ce n’est pas notre rôle. Nous devons être attentifs. Nous ne siégeons pas à la Chambre qui rend des comptes. Nous sommes des représentants de la Chambre de second examen objectif. Nous devons tenir compte du renvoi constitutionnel de 2014 qui précise les domaines de notre champ d’action : la Constitution, la Charte ainsi que les populations autochtones, mais aussi les populations en région, en situation minoritaire et en situation linguistique minoritaire. Voilà quels sont nos domaines de travail. Il y a des limites à ce que nous pouvons faire. Cet endroit ne peut pas tout simplement examiner une préoccupation ou une position à caractère privé. Nous avons la capacité de le faire, mais il faut garder à l’esprit que nous avons été nommés pour examiner les affaires du gouvernement. En prêtant serment, c’est ce sur quoi repose notre engagement.

Finalement, avec la permission et le consentement du Sénat et une certaine ouverture, je voudrais dire quelques mots sur une note plus personnelle. Je m’écarte du projet de loi pour dire qu’au cours de la dernière année, j’ai souvent été absente à cause de la longue maladie de mon mari et de son décès. Vous avez été si nombreux à me soutenir tout au long de cette épreuve. Vous avez tous fait une différence. Il y a une personne parmi vous qui a changé ma vie en choisissant d’agir. Je tiens à remercier personnellement les membres du caucus conservateur qui ont fait un don — je l’ai appris il y a à peine deux mois et je voulais vous envoyer une carte — au projet d’agrandissement de la légion locale. C’était l’endroit préféré de mon mari. Cela en dit long sur lui. Nous y avons passé beaucoup de temps. Le caucus conservateur a fait un don de 200 $ pour ce projet. Lorsque je l’ai appris, excusez-moi, je me suis mise à pleurer tellement j’étais touchée. Merci beaucoup. Merci de m’avoir laissée dire ces quelques mots. Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de participer avec les derniers intervenants au débat, tellement respectueux, sur ce projet de loi. Je vous en suis reconnaissante. Merci.

L’honorable Margo Greenwood [ + ]

Honorables sénateurs, j’espère pouvoir contribuer au présent débat en vous offrant des réflexions diversifiées.

Je commence en soulignant que nous sommes actuellement réunis pour travailler sur les terres ancestrales non cédées du peuple algonquin anishinabe. Je reviendrai constamment dans mon discours au concept même de la terre. Je remercie du fond du cœur les Algonquins anishinabes, qui ont toujours pris soin de ces terres sur lesquelles je vis et je travaille actuellement. C’est grâce à ces terres que j’ai pu connaître le peuple algonquin anishinabe. La terre nous relie tous les uns aux autres.

Honorables sénateurs, je vous invite à prendre un instant pour vous reconnecter à la terre. Nous sommes tous enracinés à notre terre. Chacun d’entre nous est relié à la terre sur laquelle nous nous trouvons. Nous avons tous vécu des histoires sur ces terres, mais c’est par l’endroit où nos pieds sont ancrés dans le sol que nous sommes tous reliés les uns aux autres.

Cela dit, je voudrais remercier les sénatrices Saint-Germain, Clement et Petitclerc pour l’aide qu’elles apportent à leurs collègues du Sénat, de manière à ce que nos voix soient entendues dans cette enceinte. Hiy hiy.

Je prends la parole aujourd’hui à propos du projet de loi C-234, qui vise à modifier la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre. Les modifications proposées auraient pour effet d’exempter certains combustibles et certaines activités agricoles dans les provinces ou les territoires qui n’ont pas de système de tarification du carbone.

Il y a eu beaucoup de discussions, de débats et même des amendements au Sénat. Ces débats et ces discussions ont été aussi instructifs que constructifs. Je prends la parole pour apporter ma contribution à ces débats et à ces discussions. J’espère apporter un point de vue qui, je crois, est trop souvent négligé, que ce soit ici, au Sénat, ou à bien d’autres endroits. Je prends la parole aujourd’hui pour vous raconter des histoires au sujet de la terre. Je prends la parole aujourd’hui pour parler de l’importance du territoire pour la santé et le bien-être des peuples autochtones et de tous les Canadiens. Je vous fais part de ce point de vue dont vous pourrez tenir compte dans le cadre de vos délibérations sur le projet de loi C-234.

Pour de nombreux peuples autochtones, la terre n’est jamais isolée. Évoquer le concept de la terre, c’est parler en même temps de l’eau et de l’air. Parler de la terre, c’est aussi parler de tout ce qui vit dans les réseaux complexes de la vie. Lorsque je parle de la terre, je parle de l’eau, de l’air et de tout ce qui est vivant, passé, présent et futur.

Parler de la terre, c’est aussi parler de culture, de relations, d’écosystèmes, de systèmes sociaux, de spiritualité et de droit.

Chers collègues, de nombreux enseignements sont ancrés dans des histoires. Les histoires nous offrent un potentiel d’apprentissage illimité. Je vous propose une de ces histoires, qui m’a été transmise par Mary Thomas, une aînée Secwépemc de l’intérieur de la Colombie-Britannique.

Par une chaude journée de printemps, je suis allée à la montagne avec Mary. À mi-chemin de la montagne, nous nous sommes arrêtées, et Mary a décrit comment la montagne était autrefois, avec des plantes, des animaux et de petits sentiers qui serpentaient le long de ses flancs. Plus de 80 ans auparavant, elle avait parcouru ces sentiers avec sa grand-mère. Cette dernière lui avait appris à connaître la terre, lui indiquant les différentes plantes et leur utilisation, les refuges des animaux et tant d’autres choses. Quatre‑vingts ans plus tôt, Mary avait marché avec sa grand-mère. Aujourd’hui, elle marchait avec moi.

Mary s’est arrêtée à côté d’un grand pin et a montré du doigt des morceaux de pommes de pin éparpillés à proximité. Elle a dit :

Tu vois ça? Si tu regardes bien, tu trouveras un tas de morceaux et, sous ce tas, une cache de pommes de pin appartenant à un écureuil. Les petites pommes de pin seront disposées en rangées, la tête en bas, de sorte que lorsque les neiges d’hiver commenceront à fondre, l’eau s’écoulera dans la cache et ruissellera sur les pommes de pin sans abîmer les graines qu’elles contiennent. C’est ma grand-mère qui m’a appris cela.

Mary avait demandé à sa grand-mère comment les petits écureuils savaient faire cela. Elle lui avait répondu : « Ils apprennent comme nous et nous transmettent leurs connaissances. »

Pour de nombreux peuples autochtones du monde entier, les humains ne possèdent pas la terre. Au contraire, les humains font partie de la terre; ils en sont issus et existent grâce à elle. Au cœur de l’histoire de Mary se trouve l’enseignement selon lequel même les plus petites créatures ont des vérités à offrir, pour autant que les humains soient prêts à les écouter. Si on les écoute, ces histoires racontent la vérité d’une connectivité avec la terre. Ces histoires parlent de notre interconnexion avec la terre.

Les façons d’être et les savoirs autochtones sont aussi diversifiés que les peuples autochtones eux-mêmes, mais ont des points communs. L’un de ces points est une compréhension profonde et respectueuse du fait que la terre est le point d’ancrage des philosophies autochtones du savoir et de l’être. C’est de la terre que notre compréhension du monde émerge. Notre vision du monde se caractérise par les interrelations entre l’esprit, le monde naturel et les êtres humains.

Le chercheur autochtone Greg Cajete a décrit la relation des peuples autochtones avec la terre comme une « théologie du lieu ». La théologie du lieu exprime notre perception sacrée du lieu, de l’espace et de la terre.

Les peuples autochtones acquièrent leur compréhension spirituelle grâce à leur relation intime avec le lieu et l’environnement — ce sont les éléments qui nous donnent la vie. Ce sont les éléments qui nous donnent un sens en tant que peuples autochtones. Pour Cajete :

La terre est le prolongement de la pensée et de l’être indiens. [...] C’est là que se trouvent nos souvenirs et les os de notre peuple. [...] C’est d’elle dont nous sommes issus!

Examinez à nouveau le sol que nous foulons. Ce sol retient les souvenirs de mon peuple. Ce sol se compose d’un réseau d’êtres, qui tient en place les os des peuples autochtones d’un océan à l’autre. Vos pieds foulent les os des Autochtones, les peuples, les lieux et les histoires de mon peuple.

Les connaissances et les enseignements culturels autochtones sont transmis à l’aide d’histoires, de cérémonies et d’expériences. Ils sont dans la terre. Ce sont les fondements de la condition autochtone. La terre nous apprend à privilégier les relations. La fluidité des connaissances entre le passé, le présent et l’avenir est ancrée dans la terre. La terre honore la langue et l’oralité. La terre est inextricablement liée à l’identité autochtone ainsi qu’à la santé et au bien-être des peuples autochtones et non autochtones.

Dans un discours qu’il a prononcé devant des représentants du gouvernement dans les années 1800, le chef Seattle dit : « Ce que nous faisons à la terre, nous le faisons à nous-mêmes. »

Nous vivons une crise écologique. La terre, l’eau et l’air sont en difficulté. La terre brûle. Le ciel s’étouffe. Les eaux s’assèchent et disparaissent. L’eau, l’air et la terre se détériorent partout.

Je me demande ce qui arrivera si la terre se détériore tellement qu’il n’y a plus d’histoires à raconter autres que des histoires d’épreuves et de chagrins. Je me demande comment je peux contribuer à la santé et au bien-être à long terme de tous les Canadiens. Quelles leçons puis-je tirer des histoires du passé? Quelles leçons puis-je tirer des peuples qui sont ici depuis des temps immémoriaux? Comment protégerons-nous la terre avec toutes nos actions et tous nos soins?

Nous avons tous un rôle à jouer dans la protection de la terre et, par conséquent, de notre existence. Je comprends le débat entourant le projet de loi C-234. Je sais que, à première vue, nous discutons de la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre. De façon plus approfondie, nous parlons de la santé et du bien-être de la terre et de tous les gens.

De nombreux auteurs, lorsqu’ils écrivent au sujet des déterminants de la santé et des Autochtones, évoquent la colonisation, le racisme contre les Autochtones, la perte de la langue et la rupture des liens comme des facteurs essentiels au bien‑être des gens et des communautés. Les Autochtones du Canada subissent de manière disproportionnée le fardeau de la maladie. Notre santé et notre bien-être sont inextricablement liés à la terre. La santé et le bien-être, voire l’avenir même de la santé et du bien‑être de tous les peuples, sont ancrés dans la terre, dans l’eau et dans l’air.

Nous devons non seulement contempler ces réalités d’un point de vue conceptuel, mais aussi ressentir ce dialogue. Que pensez-vous de la santé et du bien-être de vos enfants et de vos petits-enfants? Que pensez-vous de la vitalité de la terre, de l’air et de l’eau? Tenons-nous compte de la vie de la terre alors que nous examinons ce projet de loi ou d’autres projets de loi?

Honorables sénateurs, je demande à tout le monde ici présent de se poser la question suivante : modifier cette loi protégera-t-il la terre? Modifier la loi favorisera-t-il la santé et le bien-être de tous les Canadiens? L’adoption de ce projet de loi fera-t-elle avancer la cause de la réconciliation? Alors que j’examine le projet de loi C-234, ce sont là mes pensées, en plus de tous les autres points de discussion qui ont été présentés en ces murs.

Je termine mon intervention par ces mots de Mary :

Ce n’est pas comment nous nous habillons ou nous agissons, ou encore ce que nous sommes qui nous a permis de survivre. Ce sont les valeurs de notre peuple qui ont été chuchotées, de génération en génération, comme un fil à travers le temps, qui ont assuré notre existence. C’est aux enfants que ces valeurs et manières d’être sont transmises. Ils sont notre avenir et notre survie.

Quelles histoires allons-nous leur raconter?

Honorables sénateurs, je vous remercie. Hiy hiy.

L’honorable Percy E. Downe [ + ]

Honorables sénateurs, je serai très bref.

Ce n’est pas la première fois que je suis inspiré par les propos de la sénatrice Lankin, mon ancienne collègue du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement. J’aimerais revenir sur quelques préoccupations qu’elle a soulevées au sujet du projet de loi C-234.

Elle a parlé de l’Île-du-Prince-Édouard. Il y a un véritable fossé, chers collègues. Il s’agit d’une institution régionale. Il y a un véritable fossé entre ce que comprennent certains de nos collègues et entre les différentes régions du pays. De toute évidence, par rapport à la façon de lutter contre les changements climatiques, il y a un écart énorme entre ce que pensent les gens des centres urbains — et je respecte leurs points de vue — et ce que pensent les habitants des régions rurales.

Je ne connais personne à l’Île-du-Prince-Édouard qui n’utilise pas le mazout pour le chauffage domestique. Dans cette province, il n’y a ni propane, ni pétrole, ni gaz naturel. Tout ce que nous consommons provient de l’extérieur de la province. La dernière fois que j’ai vérifié, les factures d’électricité étaient aussi parmi les plus élevées au Canada. Comme la sénatrice Duncan l’a souligné dans son discours, certains des montants qu’elle a mentionnés ressemblent beaucoup à ce que l’on doit payer en énergie à l’Île-du-Prince-Édouard. Je connais beaucoup de gens qui doivent consacrer plus de 1 000 $ par mois en frais de chauffage pendant la saison hivernale.

Pour ce qui est des thermopompes, il existe un programme provincial en plus du programme fédéral. Tout ménage ayant un revenu de 75 000 $ ou moins a droit à une thermopompe gratuite. Beaucoup de gens ont des thermopompes. J’en ai une et je peux vous dire que, par temps froid, nous avons besoin du mazout. Nous n’avons pas le choix. Sinon, la maison et les tuyaux gèlent. Nous sommes prisonniers de la réalité actuelle. Nous n’aurons pas d’autres options tant que la technologie n’aura pas progressé, car les thermopompes ne fonctionnent malheureusement pas quand il fait particulièrement froid.

Voilà ce qui me préoccupait dans les commentaires que j’ai entendus plus tôt. Pour conclure, j’aimerais ajouter que la convention de Salisbury est un excellent argument lorsque vous êtes du côté du gouvernement et que vous tentez de faire adopter un projet de loi, mais qu’on ne peut pas l’appliquer au Sénat du Canada en 2023. Elle a été conçue dans une situation particulière, en 1945 au Royaume-Uni, alors que le Parti travailliste détenait la majorité des sièges à la Chambre des communes et que la Chambre des lords était occupée par des conservateurs qui avaient hérité de leur siège. Personne, ici, n’a reçu son siège en héritage. Le message que vous transmettez réellement aux sénateurs indépendants qui ont été nommés — je regarde les nouveaux sénateurs — est que votre tâche consiste à examiner les mesures législatives du gouvernement et à les amender, mais qu’au final, vous n’avez pas d’autre choix que de les adopter.

Eh bien, ce n’est pas ce que le premier ministre Trudeau nous a dit dans le cadre de son processus de nomination, que je trouve tout à fait merveilleux. Vous êtes des sénateurs indépendants. Vous faites appel à votre jugement. Vous êtes ici en raison des expériences que vous avez acquises et des emplois que vous avez occupés. Vous n’êtes pas du tout limités par la convention de Salisbury. Je reviendrai sur cette question beaucoup plus en profondeur à une date ultérieure.

Comme je l’ai déjà dit, je suis déçu que le projet de loi C-234 ait été amendé. Deux députés libéraux de l’Île-du-Prince-Édouard — et j’ai remarqué que le sénateur Plett a omis cette précision —, Robert Morrissey, d’Egmont, et Heath MacDonald, de Malpeque, ont voté en faveur de l’amendement. J’ai été guidé par leur sagesse, car ils sont sur le terrain et parlent beaucoup plus que moi aux agriculteurs concernés par cette question. Ils ont appuyé l’amendement, et je les ai appuyés.

Je suis déçu que le projet de loi ait été amendé. Nous ne pouvons qu’espérer que la Chambre des communes nous le renverra.

Merci, chers collègues.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Son Honneur la Présidente [ + ]

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Une voix : Avec dissidence.

(La motion est adoptée et le projet de loi modifié, lu pour la troisième fois, est adopté, avec dissidence.)

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