Le Code criminel—La Loi réglementant certaines drogues et autres substances
Projet de loi modificatif--Troisième lecture
17 novembre 2022
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour m’opposer au projet de loi C-5, la mesure proposée par le gouvernement Trudeau visant à abroger certaines peines minimales obligatoires et à offrir des peines avec sursis pour certaines infractions. Ce projet de loi ne permettra pas d’atteindre l’objectif du gouvernement Trudeau, soit de réduire la surreprésentation des Noirs et des Autochtones dans le système carcéral. Au contraire, il mettra en danger les victimes d’actes criminels — en particulier les femmes victimes de violence familiale — en renvoyant les agresseurs, par le truchement de peines avec sursis, dans les collectivités où leurs victimes vivent dans la peur. Le projet de loi C-5 n’est qu’un exemple de plus de la propension du gouvernement Trudeau à préférer la parole à l’action.
Lorsque le ministre de la Justice, M. Lametti, a comparu devant le Comité sénatorial des affaires juridiques, il a présenté le projet de loi C-5 comme un projet de loi destiné à traiter, à titre d’exemple, « [...] une mère autochtone ayant trafiqué des drogues à très petite échelle pour nourrir sa famille ». L’idée était, bien sûr, que le projet de loi C-5 permettrait des condamnations avec sursis pour certaines infractions et supprimerait les peines minimales obligatoires pour d’autres afin que les juges aient plus de discrétion au niveau des peines les plus légères dans des cas comme celui-ci. Cependant, il y a tout juste deux semaines, la Cour suprême du Canada a confirmé la constitutionnalité des limites imposées par le Parlement aux condamnations avec sursis depuis 2012 et a conclu que, si les circonstances personnelles d’un délinquant doivent être prises en compte, elles ne réduisent pas la gravité de son crime.
Il est dommage que le Comité sénatorial des affaires juridiques, lors de son étude sur la question, n’ait pas eu l’occasion d’entendre plus de témoins pour connaître le point de vue de ceux qui représentent les victimes d’actes criminels. Nous n’avons même pas pu entendre le témoignage de Benjamin Roebuck, le nouvel ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels nommé par le gouvernement Trudeau. Même si M. Roebuck a été nommé le 24 octobre, comme il n’était pas encore entré officiellement en fonction au moment où nous voulions le faire témoigner, on ne l’a pas mis à notre disposition. Étant donné que le poste d’ombudsman des victimes est demeuré vacant pendant plus d’un an, cette situation en dit long sur l’absence totale de considération du gouvernement Trudeau à l’égard des victimes d’actes criminels.
Avec ce projet de loi, le gouvernement faussement féministe du premier ministre Trudeau trahit les femmes. En toute franchise, son analyse comparative entre les sexes plus au sujet du projet de loi C-5 est risible. Dans cette analyse, les femmes sont à peine mentionnées, et on ne dit rien du tout sur les femmes victimes de violence conjugale ni sur la façon dont ce projet de loi les affectera.
Nous avons entendu le discours du sénateur Klyne dans cette enceinte mardi soir, dans lequel il vantait les mérites des analyses comparatives entre les sexes plus. En effet, il a déclaré qu’elles peuvent « accroître la valeur des lois fédérales pour les femmes, y compris les femmes autochtones ». Or, ce n’est certainement pas le cas de l’analyse comparative entre les sexes réalisée dans le cadre du projet de loi C-5. En fait, ce projet de loi ne mentionne les femmes autochtones que deux fois, en disant que leur taux de victimisation avec violence est trois fois plus élevé que celui des femmes non autochtones. Même là, l’analyse ne fait aucune mention des violences commises envers les femmes autochtones par des partenaires intimes. Par exemple, nous savons que les femmes autochtones sont presque deux fois plus nombreuses que les femmes non autochtones à être victimes de violences sexuelles et physiques commises par un partenaire intime ou un membre de la famille. Nous savons également que les femmes autochtones sont plus souvent victimes de formes plus graves de violence conjugale, notamment de violence sexuelle, de violence armée, de coups et d’étranglement.
Pourtant, le projet de loi C-5 du gouvernement Trudeau prévoit des peines d’emprisonnement avec sursis pour les délinquants reconnus coupables d’infractions courantes dans les cas de violence entre partenaires intimes, notamment l’agression sexuelle, le harcèlement criminel et la présence illégale dans une maison d’habitation. Si ce projet de loi vise les femmes — notamment les femmes autochtones —, l’analyse comparative entre les sexes du gouvernement Trudeau devrait se pencher sur les répercussions réelles du projet de loi sur ce groupe, à moins, bien sûr, qu’il sache que cela ne peut être justifié. Or, je soupçonne que c’est ce qui se passe avec le projet de loi C-5.
Le retrait des peines minimales obligatoires et l’ajout de la possibilité de peine avec sursis pour des crimes graves ne feront que créer plus de victimes parmi les femmes vulnérables en relâchant les agresseurs et les criminels dans la collectivité où habite et travaille leur victime. Ce projet de loi fait complètement fausse route.
Les ordonnances de sursis ne sont pas infaillibles. Il arrive même souvent que les délinquants brisent les conditions de ces ententes. Dans une étude au sujet des peines avec sursis menée en Colombie‑Britannique, la chercheuse Dawn North a découvert que le taux de bris dans trois collectivités était de 37,6 %.
Isabel Grant, professeure à la faculté de droit de l’Université de la Colombie-Britannique, a publié une étude indiquant que les hommes coupables de harcèlement criminel à l’endroit de leur partenaire intime trouvent souvent une façon de contourner les ordonnances de non-communication avec leur victime. On peut lire ceci dans l’étude :
On se sert souvent des ordonnances [...] dans les affaires de harcèlement criminel, mais elles arrivent rarement à empêcher le harcèlement et sont parfois contre-productives.
Les criminels deviennent très habiles et apprennent comment contourner les limites fixées par le système de justice pénale et poursuivre leur harcèlement sans enfreindre la loi.
Il convient de souligner que le projet de loi C-5 permettra qu’une peine avec sursis soit accordée à quelqu’un reconnu coupable de bris de prison. Purger une peine de détention à domicile pour s’être évadé de prison, comme c’est ironique. Cela nous persuade-t-il que les délinquants respecteront toutes les contraintes de leur peine avec sursis? Absolument pas. Dans le cas des affaires de violence familiale, le terrible constat est que les conséquences pourraient être catastrophiques, voire mortelles.
La directrice exécutive du London Abused Women’s Centre, Jennifer Dunn, s’est exprimée en ces termes :
La libération conditionnelle n’empêche en rien un contrevenant de commettre un autre acte violent. Les femmes veulent que les tribunaux s’en rendent compte. Oui, les libérations conditionnelles sont assorties de conditions strictes. Or, rien ne garantit qu’elles seront respectées, ce qui peut mettre la vie d’une femme en péril.
Les victimes d’actes criminels, en particulier les femmes vulnérables victimes de violence familiale, vivent déjà dans la peur. Le projet de loi C-5 ne fera qu’aggraver la situation, car il augmentera considérablement la possibilité que l’agresseur d’une femme soit renvoyé dans sa collectivité, voire dans son propre quartier.
Penny McVicar, directrice exécutive de Victim Services of Brant, a expliqué au comité de la justice de la Chambre des communes que les femmes victimes d’abus vivent dans une peur constante :
Je vois déjà trop de victimes ne pas porter plainte à la police parce qu’elles trouvent que c’est un peu comme une porte tournante. Elles portent plainte à la police, le suspect est appréhendé, puis il est remis en liberté avant même que la victime ait eu le temps de mettre en œuvre un bon plan de sécurité.
Je rédige presque quotidiennement des lettres de demande de logement prioritaire pour les victimes qui essaient de se reloger et espèrent trouver un endroit sûr où elles peuvent vivre sans craindre que leur agresseur ne les trouve. Les refuges débordent parce que nous n’avons pas assez de places pour les femmes qui essaient de fuir des délinquants violents.
Éliminer les peines minimales obligatoires pour certaines infractions graves et permettre les peines avec sursis pour d’autres infractions aura pour effet de miner davantage la confiance qu’ont les victimes — et les Canadiens en général — envers le système de justice. En outre, le projet de loi C-5 fera en sorte que les victimes de violence entre partenaires intimes seront moins susceptibles de signaler les agressions si elles se reproduisent.
Le projet de loi C-5 n’aura que des conséquences néfastes sur les femmes, en particulier les femmes autochtones. Le fondement idéologique du projet de loi, qui est invoqué par le gouvernement Trudeau, est que les nouvelles dispositions nous permettront de réduire le taux d’incarcération des délinquants de race noire et des délinquants autochtones, qui est trop élevé.
Cependant, les deux témoins entendus par le Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles qui sont parmi les rares à nous avoir fourni des statistiques — la professeure de criminologie Cheryl Webster et la doctorante Dawn North, du Département de criminologie de l’Université d’Ottawa — nous ont appris que les mesures contenues dans le projet de loi C-5 n’aurait que peu d’effet pour réduire le taux d’incarcération des délinquants autochtones. Voici ce que la professeure Webster nous dit :
[...] les délinquants autochtones en général — et surtout les délinquantes autochtones — sont, somme toute, laissés pour compte. En d’autres mots, d’après les données provenant du Service correctionnel du Canada, c’est-à-dire du gouvernement lui-même, une plus faible proportion de Canadiens autochtones en général — et une proportion encore plus faible de Canadiennes autochtones — auront la possibilité de bénéficier du projet de loi.
La témoin Dawn North est d’accord, et elle dit ceci :
[...] les populations ciblées par le projet de loi C-5 ne vont pas bénéficier de ce texte législatif dans les mêmes proportions, en partie en raison des doutes quant à leur capacité à se conformer aux conditions très strictes associées à une ordonnance avec sursis usuelle, mais aussi parce que le soutien communautaire adéquat n’est pas accessible de façon uniforme.
Mme North a aussi parlé, dans son témoignage, des liens entre les manquements aux conditions des peines avec sursis et les délinquants autochtones :
D’après les recherches, même lorsque les ordonnances de sursis étaient facilement accessibles, les populations ou les délinquants autochtones n’en bénéficiaient pas de façon proportionnelle. Dans certains cas, ils en bénéficiaient, mais pas dans la même proportion que les autres délinquants. Certaines données laissent aussi entendre que les délinquants autochtones ont tendance à afficher des taux de manquement plus élevés, même lorsqu’ils obtiennent une peine avec sursis. Voilà qui devient, bien sûr, un problème puisque l’emprisonnement pour inobservation des conditions influe sur les taux d’incarcération en général.
Étonnamment, plusieurs des témoins que nous avons entendus au comité s’opposaient à toutes les peines minimales obligatoires pour des raisons idéologiques, sans fournir de données probantes pour soutenir leurs affirmations. Certains témoins voulaient éliminer complètement les peines minimales obligatoires, indépendamment de la gravité du crime.
Des témoins et des sénateurs ont même plaidé en faveur de l’abrogation des peines minimales obligatoires dans le cas des condamnations pour meurtre, comme nous l’avons vu, encore une fois, avec l’amendement de la sénatrice Clement cette semaine. Nous avons judicieusement rejeté cette mesure. Son adoption aurait été une énorme erreur, honorables sénateurs.
En raison de l’influence des nouvelles et des émissions de divertissement américaines, bien des gens ont l’impression que le système de justice canadien est beaucoup plus sévère qu’il ne l’est en réalité. Les peines canadiennes sont déjà beaucoup moins sévères que les peines américaines. Même les peines actuelles pour meurtre au Canada ne se comparent pas aux lourdes peines imposées aux États-Unis.
Au Canada, le meurtre au premier degré est passible d’une peine d’emprisonnement à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans, et le meurtre au deuxième degré est automatiquement passible d’une peine d’emprisonnement à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 10 ans.
Le temps passé en détention révèle une autre différence importante entre le système canadien et le système américain. Au Canada, bon nombre de délinquants sont libérés après avoir purgé seulement le tiers de leur peine. Avec le système de libération d’office, ils sont presque tous libérés après avoir purgé les deux tiers de leur peine.
Les peines minimales obligatoires offrent plus de certitude et de prévisibilité à l’égard de la détermination de la peine. Alors que la moitié des Canadiens disent ne pas croire en l’équité du système de justice pénale, nous devons non pas diminuer, mais accroître la confiance des Canadiens dans le processus de détermination de la peine en ce qui a trait aux crimes graves.
Nous devons donner aux victimes d’actes criminels la sécurité dont elles ont besoin pour refaire leur vie sans craindre de rencontrer leur agresseur parce qu’il a été libéré sous condition dans sa collectivité.
Comme cela arrive très souvent, le gouvernement Trudeau a fait fausse route avec ce projet de loi. Il est tellement occupé à faire l’étalage de sa vertu qu’il a complètement raté la cible.
Le ministre Lametti dit qu’avec ce projet de loi, il compte réduire la surincarcération des délinquants noirs et autochtones. Cependant, les données probantes révèlent que le projet de loi C-5 aura peu d’incidence sur les délinquants noirs et n’en aura aucune sur les délinquants autochtones.
Ce genre de comportement est une habitude du gouvernement Trudeau. J’en ai été témoin lorsque j’ai essayé de convaincre le gouvernement de conserver le processus de récusation péremptoire des jurés prévu dans le projet de loi C-75.
De nombreux avocats de la défense ont dit au Comité sénatorial des affaires juridiques qu’ils se servent de la récusation péremptoire pour éliminer les jurés potentiellement racistes ou partiaux afin d’aider les personnes racisées qu’ils défendent. Pourtant, le gouvernement s’est entêté à vouloir la supprimer.
De même, dans le projet de loi C-46, le projet de loi sur la conduite avec facultés affaiblies du gouvernement Trudeau, le gouvernement a permis à la police de faire passer des tests d’alcoolémie aléatoires obligatoires à des conducteurs sans motifs raisonnables. Compte tenu des avertissements selon lesquels les tests aléatoires obligatoires pourraient accroître le profilage racial par la police, je me suis opposée à cette mesure et j’ai proposé un amendement visant à supprimer la disposition. Mon amendement a été adopté par le Comité sénatorial des affaires juridiques et le Sénat. Pourtant, le gouvernement libéral a maintenu de force cette disposition.
Cependant, le mois dernier, la Cour supérieure du Québec a statué que les contrôles routiers sans motif effectués par la police constituent une violation des droits garantis par la Charte.
Lorsqu’il s’agit d’agir dans le véritable intérêt des Canadiens noirs, autochtones et racisés, le gouvernement Trudeau ne manque jamais une occasion de manquer une occasion. On peut en dire autant de ses vaines et fausses platitudes féministes sur les questions qui tiennent vraiment à cœur aux femmes.
Chaque fois que le gouvernement fédéral a l’occasion d’apporter des améliorations, il opte plutôt pour une solution superficielle qui peut paraître bonne, mais qui est, au mieux, complètement inefficace et, au pire, dévastatrice. Le projet de loi C-5 en est un excellent exemple.
Le projet de loi ne fera à peu près rien pour réduire la surreprésentation des Noirs dans le système carcéral. Il n’aura même pas d’effet sur la surreprésentation des Autochtones en milieu carcéral et, paradoxalement, il risque fort probablement d’empirer les choses.
Le projet de loi C-5 met à risque les victimes d’actes criminels, les victimes vulnérables de violence conjugale — la plupart étant des femmes —, et il les repousse dans les griffes du danger. Honorables sénateurs, si vous avez à cœur de remédier à ces problèmes, si vous avez à cœur le bien-être des femmes, la sécurité et une justice véritable, je vous supplie de voter contre ce projet de loi. Merci.
Honorables sénateurs, avant de poursuivre, un vote était prévu à 18 h 11. Il avait été convenu de ne pas tenir compte de l’heure. Je n’ai pas posé la question. Pour des raisons de procédure, je demanderais donc maintenant ceci aux sénateurs : voulez-vous tenir compte de l’heure?
Merci. Nous poursuivons le débat.
Chers collègues, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-5, qui porte le titre de Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
Dans ce discours, je vais aborder deux mesures du projet de loi. La première est l’augmentation du nombre d’infractions permettant, en cas de condamnation, l’imposition de l’emprisonnement dans la collectivité; la seconde est l’abrogation de plusieurs peines minimales d’emprisonnement, y compris en matière d’infractions liées aux armes à feu et au trafic d’opioïdes.
Le projet de loi C-5 favorise le recours à l’emprisonnement dans la collectivité. S’il entre en vigueur, il permettra aux juges d’imposer à des personnes condamnées d’infractions très graves de purger leur peine d’emprisonnement à la maison plutôt qu’en prison.
En effet, le projet de loi C-5 propose d’abroger, entre autres, la règle actuelle inscrite à l’alinéa 742.1c) du Code criminel. Il s’agit de la disposition qui interdit le recours à l’emprisonnement avec sursis lorsque l’infraction comporte une peine maximale de 14 ans ou plus d’emprisonnement, mais pas de peine minimale d’emprisonnement.
Voici quelques exemples d’infractions visées par l’alinéa 742.1c) : les voies de fait graves contre un agent de la paix; le trafic de fentanyl; l’agression sexuelle mettant en danger la vie d’une personne de 16 ans ou plus, si cette agression n’est pas commise avec une arme à feu; l’incendie criminel d’un lieu dont l’accusé sait ou ne se soucie pas qu’il est habité; la conduite d’un véhicule d’une façon dangereuse pour le public et qui cause la mort.
Ces infractions sont intrinsèquement très graves. Il est donc très préoccupant pour la sécurité publique que le gouvernement ait cette volonté de permettre dans ces cas le recours à l’emprisonnement dans la collectivité.
Prenons l’exemple de l’infraction de conduite automobile avec les facultés affaiblies par l’alcool ou la drogue causant la mort, qui est aussi visée par l’alinéa 742.1c). La Cour suprême du Canada a insisté sur le danger que représente cette infraction pour la société. Dans l’arrêt R. c. Lacasse, rendu en 2015, la cour a rappelé ce qui suit à l’égard de cette infraction :
[...] des tribunaux de diverses régions du pays ont reconnu qu’il est nécessaire de privilégier les objectifs de dissuasion et de dénonciation afin de communiquer la réprobation de la société […]
Dans cet arrêt, la cour précise aussi ceci :
Bien que les objectifs de dissuasion et de dénonciation demeurent pertinents dans la plupart des cas, ils revêtent une importance particulière à l’égard d’infractions susceptibles d’être commises par des citoyens habituellement respectueux des lois. En effet, ce sont ces derniers, davantage que les multirécidivistes, qui sont sensibles à des peines sévères. Les infractions de conduite avec les capacités affaiblies en sont un exemple évident […]
En outre, l’arrêt indique ce qui suit :
Chaque année, l’ivresse au volant entraîne énormément de décès, de blessures, de peine et de destruction. Au plan numérique seulement, l’ivresse au volant a une plus grande incidence sur la société canadienne que tout autre crime. Du point de vue des décès et des blessures graves donnant lieu à l’hospitalisation, la conduite avec facultés affaiblies est de toute évidence le crime qui cause la plus grande perte sociale au pays.
Je crains que le projet de loi C-5, en permettant l’emprisonnement dans la collectivité pour une infraction aussi grave qu’est l’ivresse au volant causant la mort, envoie un message contraire à celui adressé par la Cour suprême aux tribunaux partout au pays. Le message de la cour est que ce type d’infraction doit être accompagné de peines qui reflètent le besoin de continuer à dénoncer et à dissuader vivement la commission d’une infraction qui fauche de nombreuses vies au Canada.
Comme je l’ai expliqué, le projet de loi C-5 permettrait l’emprisonnement dans la collectivité pour bien d’autres infractions graves. Je partage sur ce point l’inquiétude que l’inspecteur-chef David Bertrand, du Service de police de la Ville de Montréal, a exprimée devant le comité sénatorial, et je cite :
Quant à l’élargissement de l’admissibilité aux peines avec sursis pour une plus grande gamme d’infractions criminelles, cela risque d’engendrer des effets négatifs non seulement sur la confiance du public envers le système de justice, mais particulièrement sur les plaignants et les victimes qui désirent collaborer avec celui-ci. En diminuant les probabilités d’incarcération, les conséquences des actes commis sont moins apparentes et peuvent diminuer la volonté d’une victime de passer par tout le processus lorsqu’elle porte plainte.
Lorsqu’on pense que la dénonciation peut parfois éviter qu’un autre crime soit commis, il faut plutôt démontrer à la population notre réelle volonté d’assurer leur sécurité et notre volonté de punir le contrevenant en tenant compte de la gravité de son crime, et ce, particulièrement lorsqu’il est question d’infractions comme les agressions sexuelles et la traite de personnes, qui ont des conséquences graves et permanentes sur les victimes.
Pour toutes ces raisons, je suis en désaccord avec la mesure du projet de loi C-5 qui permet l’emprisonnement dans la collectivité pour de nombreuses infractions graves du Code criminel. Or, cette mesure du projet de loi C-5 visait à assurer la conformité au jugement R. c. Sharma de la Cour d’appel de l’Ontario. Me Jonathan Rudin l’a mentionné au Comité permanent de la justice et des droits de la personne dans le cadre de son témoignage à titre de représentant de la firme Aboriginal Legal Services, et je cite :
Comme le résumé législatif l’indique clairement, l’affaire Sharma est l’une des principales raisons pour lesquelles ce projet de loi a été présenté.
Cependant, cette raison ne tient plus aujourd’hui, car ce jugement de la Cour d’appel vient d’être infirmé par la Cour suprême du Canada, comme on l’a mentionné tout à l’heure. En effet, dans l’arrêt rendu le 4 novembre dernier, les cinq juges majoritaires ont jugé constitutionnelles deux des interdictions à l’emprisonnement avec sursis que propose d’abroger le projet de loi C-5. La première, dont j’ai parlé, apparaît à l’alinéa 742.1c) du Code criminel visant les infractions punissables d’une peine maximale de 14 ans ou plus. La seconde est le sous-alinéa 742.1e)(ii) qui interdit l’emprisonnement dans la collectivité pour des infractions passibles d’une peine maximale de 10 ans de prison et qui mettent en cause l’importation, l’exportation, le trafic ou la production de certaines drogues.
Dans cet arrêt, la Cour suprême a rappelé que ces deux dispositions avaient le même objectif. Elles faisaient partie d’un ensemble d’interdictions à l’emprisonnement avec sursis — créé par la Loi sur la sécurité des rues et des communautés et que propose d’abroger le projet de loi C-5 — qui visait à rendre plus clair et plus cohérent le régime de détermination de la peine.
Le jugement Sharma de la Cour suprême a conclu que les tribunaux doivent faire preuve de déférence envers le choix du Parlement d’interdire le recours à l’emprisonnement dans la collectivité pour des infractions graves. Je ne vois donc aucune raison justifiant la nécessité d’abroger cet ensemble actuel d’interdictions à l’emprisonnement dans la collectivité. Le fait de supprimer ces interdictions ne contribuera en rien à la sécurité du public, selon moi.
L’objectif de ces interdictions est clair, selon la Cour suprême, et je cite :
Elles visent à renforcer la cohérence du régime d’octroi du sursis à l’emprisonnement en faisant de l’emprisonnement la peine habituellement infligée pour certaines infractions [...]
C’est bel et bien ce qu’elles font. Les peines maximales sont un indicateur raisonnable de la gravité de l’infraction, et, par conséquent, les dispositions en question ne privent pas les individus de leur liberté dans des circonstances qui n’ont aucun lien avec l’objectif visé.
Or, dans le discours qu’il a prononcé la veille de la parution du jugement de la Cour suprême, le représentant du gouvernement au Sénat a dit ceci au sujet de l’affaire Sharma, et je cite :
La Cour suprême du Canada est saisie actuellement d’une affaire qui concerne une femme autochtone qui a aidé son conjoint à déplacer de la drogue sous contrainte, soit des menaces à elle et à sa fille. À l’heure actuelle, la loi prévoit que cette femme doit aller en prison; elle a fait valoir que le juge chargé de cette affaire devrait au moins avoir la possibilité d’imposer une peine avec sursis, et c’est exactement ce que le projet de loi C-5 permettrait de faire.
Toutefois, le jugement de la Cour suprême nous donne une autre perspective à laquelle j’adhère. Elle conclut que la Cour d’appel a confondu l’analyse de la gravité de l’infraction et celle de la situation du délinquant et des particularités du crime. La Cour suprême croit que la délinquante dans cette affaire, et je cite :
[...] a commis une infraction grave en important de la cocaïne, une réalité à laquelle sa culpabilité personnelle ou l’existence de circonstances atténuantes ne changent rien.
Les juges, en majorité, ont affirmé ce qui suit :
Nous acceptons sans réserve que les circonstances qui ont amené Mme Sharma à importer des drogues sont tragiques et que, de ce fait, sa culpabilité morale s’en trouve atténuée (ce qui s’est traduit par une peine de 18 mois plutôt que par la peine de 6 ans d’emprisonnement réclamée au départ par la Couronne).
Cependant, ces faits ne rendent pas moins grave l’importation de cocaïne, surtout compte tenu de la quantité qu’elle transportait, a rappelé la Cour suprême.
La Cour suprême a ajouté que, bien que la crise relative à l’incarcération des Autochtones soit indéniable, il n’a pas été démontré dans l’affaire Sharma :
[...] les dispositions contestées créaient un effet disproportionné sur les délinquants autochtones par rapport aux délinquants non autochtones ou qu’elles contribuaient à un tel effet.
Je ne suis pas convaincu que cette preuve, jugée manquante par la Cour suprême, ait été faite dans le cadre de l’étude du projet de loi C-5.
En somme, je suis d’avis que le régime actuel d’interdiction de l’emprisonnement dans la collectivité, qui se fonde sur la gravité de la peine maximale de l’infraction, est un moyen légitime dont dispose le Parlement pour faire en sorte que des délinquants trouvés coupables de crimes graves ne purgent pas leur peine de prison à la maison.
Ainsi, je m’oppose au projet de loi C-5, qui déconstruit inutilement un régime cohérent d’interdictions mis en place pour protéger les Canadiens.
Passons maintenant à l’autre mesure du projet de loi C-5 dont je souhaite vous parler, c’est-à-dire l’abrogation de plusieurs peines minimales d’emprisonnement, dont les infractions en matière d’armes à feu.
Je m’y oppose, tout comme de nombreux Canadiens, y compris plusieurs corps policiers. C’est le cas, par exemple, de M. Pierre Brochet, président de l’Association des directeurs de police du Québec et directeur du Service de police de Laval.
Celui-ci a témoigné devant le comité de la Chambre des communes et a dit ce qui suit, et je cite :
En conclusion, l’ensemble des directeurs de police du Québec veut maintenir les peines minimales obligatoires pour les infractions reliées aux armes à feu.
De plus, comme je l’ai dit dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture, le 4 mai dernier, le gouvernement du Québec a demandé, dans une lettre adressée au gouvernement fédéral, de retirer du projet de loi C-5 l’abolition des peines minimales concernant les infractions liées aux armes à feu. Cette demande est tout à fait justifiée, étant donné l’urgence d’agir au Québec pour lutter contre les ravages de la criminalité associée à l’utilisation d’armes à feu illégales.
Dans l’arrêt Dallaire c. R. qu’elle a rendu tout récemment, soit le 21 octobre dernier, la Cour d’appel du Québec a décrit clairement ce contexte en affirmant ce qui suit, et je cite :
La société canadienne réprouve fortement l’usage des armes à feu possédées illégalement par les délinquants qui en font un usage illicite, dangereux et souvent meurtrier. Les événements récents qui ont eu cours au Québec, entre autres dans la région de Montréal, de Montréal-Nord, de Longueuil, de Laval et de Rivière-des-Prairies, confirment ce danger réel pour la sécurité des citoyens et la paix sociale. La possession illégale d’armes à feu et leur usage à des fins criminelles doivent être clairement dénoncés et sévèrement découragés par des peines plus sévères.
J’ai les mêmes préoccupations que M. Brian Sauvé, président de la Fédération de la police nationale, quant à l’abrogation des peines minimales en matière d’armes à feu proposée dans le projet de loi C-5. Celui-ci a dit ce qui suit devant le comité sénatorial, et je cite :
Le projet de loi C-5 supprime certaines peines minimales obligatoires liées au trafic d’armes et aux crimes commis avec des armes à feu. Cette mesure est incompatible avec l’intention exprimée par le gouvernement de réduire la violence armée.
Cette loi maintient des peines minimales obligatoires pour des infractions comme le trafic d’armes, la production d’armes à feu automatiques et le meurtre ou l’homicide involontaire commis avec une arme à feu. Cependant, la lutte contre l’activité criminelle exige des mesures énergiques contre les criminels qui menacent les communautés vulnérables, en particulier contre les activités criminelles qui financent les gangs et le crime organisé, et donne du pouvoir. Le projet de loi C-5 ne s’attaque malheureusement pas à ces problèmes, en particulier si l’on tient compte de l’augmentation du nombre d’infractions liées à des armes à feu au Canada.
En terminant, je m’oppose au fait que le projet de loi C-5 diminuera la sévérité des peines infligées en matière de trafic d’opioïdes, comme le fentanyl. En effet, le projet de loi C-5 abroge les peines minimales d’emprisonnement pour cette infraction, en plus d’autoriser l’emprisonnement dans la collectivité.
À mon avis, le fait de permettre aux juges de prononcer des peines plus clémentes n’aidera pas à dénoncer et à dissuader les délinquants de commettre cette infraction dangereuse. Les tragiques pertes humaines causées par le fléau des opioïdes sont expliquées dans le résumé législatif du projet de loi, qui dit ce qui suit, et je cite :
Entre janvier 2016 et juin 2021, environ 24 626 décès apparemment liés à une intoxication aux opioïdes sont survenus au Canada, et d’avril à juin 2021, on dénombre environ 19 décès par jour.
Je vous invite donc à voter contre ce projet de loi. Merci.
Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
L’honorable sénateur Gold propose, avec l’appui de l’honorable sénatrice Gagné, que le projet de loi soit lu pour la troisième fois.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.
Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.
À mon avis, les oui l’emportent.
Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie de 30 minutes?
Convoquez les sénateurs pour un vote à 19 h 17.