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La Loi interdisant les armes à sous-munitions

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat

19 mai 2022


Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui en tant que porte-parole amicale pour le projet de loi S-225, Loi modifiant la Loi interdisant les armes à sous-munitions (investissements), dont ma collègue, la sénatrice Ataullahjan, est la marraine.

Chers collègues, ce projet de loi majeur porte sur l’argent : l’argent des Canadiens, votre argent et le mien. C’est un projet de loi qui cherche à fournir des éclaircissements aux investisseurs et à favoriser la reddition de comptes. Il vise à limiter et à éliminer un jour les atteintes horribles infligées, surtout à des civils, par une certaine catégorie d’armes. En fin de compte, chers collègues, le projet de loi porte sur la responsabilité mondiale et le leadership humanitaire.

J’aimerais d’abord ramener le sujet plus près de chez nous. À ma connaissance, les bombes à sous-munitions n’ont jamais été utilisées en Amérique du Nord. Cependant, des armes ayant des caractéristiques et des impacts semblables ont été utilisées dans des cas de terrorisme national aux États-Unis.

Honorables collègues, est-ce que vous vous souvenez de l’attentat à la bombe du marathon de Boston en 2013 quand deux bombes ont explosé près de la ligne d’arrivée, transformant immédiatement cet événement d’athlétisme palpitant en scène de chaos sanglante?

À environ 14 h 49 le 15 avril, deux bombes fabriquées au moyen d’autocuiseurs remplis de billes d’acier et de clous ont explosé, tuant deux femmes dans la vingtaine et un garçon de huit ans, et blessant plus de 260 autres personnes. En tout, 16 personnes ont dû se faire amputer une ou deux jambes; la plus jeune amputée étant une fillette de sept ans. Cette tragédie a eu des conséquences dévastatrices immédiates et à long terme pour les gens touchés.

Maintenant, chers collègues, gardez en tête la dévastation humaine de Boston et transportez-vous à l’époque de la guerre du Vietnam. Imaginez, chers collègues, quelle était la situation des agriculteurs, des petits entrepreneurs, des écoliers et des aînés du Laos entre 1964 et 1973, alors que les forces aériennes des États-Unis et la compagnie aérienne de la CIA, Air America, ont lâché 2 millions de tonnes de bombes — plus que l’ensemble des bombes utilisées pendant la Seconde Guerre mondiale — et décimé le pays et sa population.

Le Laos est le pays qui a reçu le plus de bombes par habitant dans le monde. Les États-Unis y ont largué l’équivalent d’une cargaison d’avion toutes les 8 minutes, 24 heures sur 24 pendant 9 ans. En 1975, 200 000 personnes, soit un dixième de la population laotienne, avaient perdu la vie et deux fois plus avaient été blessées. On estime qu’au moins 250 000 personnes ont été tuées ou blessées depuis la guerre par des bombes à sous-munitions non explosées — on parle de gens qui essaient de survivre en travaillant dans leur rizière ou d’enfants qui sont attirés par ces objets brillants.

Une arme à sous-munitions, chers collègues, c’est un contenant rempli de petites sous-munitions. Le contenant peut être un obus, une roquette, un missile ou un autre dispositif. On le largue depuis un avion ou on le lance depuis le sol. La munition explose en plein ciel et relâche une pluie de sous-munitions sur une grande superficie.

Les sous-munitions, ou bombettes, sont souvent de la taille d’une balle de tennis et sont en fait assez semblables aux bombes réalisées à l’aide d’autocuiseurs qui ont été utilisées à Boston, dans la mesure où elles renferment plus de 300 morceaux de métal destinés à éliminer des cibles humaines. L’explosion d’une sous-munition peut causer des blessures mortelles par éclats dans un rayon de 65 pieds et causer des blessures à quiconque se trouve dans un rayon de 328 pieds.

Chers collègues, nous avons maintenant des preuves de l’utilisation d’armes à sous-munitions par les Russes dans leur guerre contre l’Ukraine, notamment lors du pilonnage d’une gare à Kramatorsk, qui a entraîné la mort d’au moins 50 civils, dont des enfants, et en a blessé de nombreux autres.

Des photos prises en Ukraine indiquent que des sous-munitions non explosées jonchent maintenant des quartiers résidentiels de Kharkiv. Des stationnements des centres commerciaux, des rues de la ville et des zones résidentielles sont désormais parsemés de ces armes mortelles et non explosées.

En 2020 et 2021, des armes à sous-munitions ont été employées en Syrie, ainsi que par l’Arménie et l’Azerbaïdjan dans le cadre du conflit du Nagorno-Karabakh. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, au moins 23 gouvernements ont eu recours aux armes à sous-munitions dans 41 pays, parfois contre leurs propres citoyens.

Les États-Unis ont utilisé des armes à sous-munitions au Cambodge. J’ai cité le Laos. Ils en ont utilisé au Vietnam, à la Grenade, au Liban, en Libye, en Iran, en Irak, au Koweït, en Arabie saoudite, en Bosnie-Herzégovine, en Serbie, au Monténégro, au Kosovo, en Afghanistan et au Yémen.

En plus d’y avoir recours en Ukraine, la Russie a utilisé des armes à sous-munitions en Tchétchénie, en Afghanistan, en Géorgie et en Syrie.

Chers collègues, 16 pays ont fabriqué des armes à sous‑munitions, dont les États-Unis, la Chine, la Russie, l’Iran, Israël, la Corée du Nord et la Corée du Sud.

Chers collègues, maintenant que j’ai fourni l’historique et le contexte sur les armes à sous-munitions, tournons-nous maintenant vers le projet de loi S-225.

Le Canada a participé au processus d’Oslo, qui a produit la Convention sur les armes à sous-munitions. Il y a milité pour des dispositions fortes portant sur l’aide aux victimes et sur la coopération et l’aide internationales.

Le processus et la substance de la convention étaient basés sur la Convention d’Ottawa, qui a interdit les mines antipersonnel à la fin des années 1990. Cette dernière a été une importante réussite diplomatique pour notre pays.

Le Canada a signé la Convention sur les armes à sous-munitions le 3 décembre 2008, et il l’a ratifiée le 16 mars 2015; elle est ensuite entrée en vigueur en septembre la même année. La convention interdit l’emploi, la production, le transfert et le stockage de cette catégorie d’armes. Elle prévoit aussi, sur les huit années suivantes, la destruction des armes à sous-munitions stockées, et le nettoyage des zones infestées sur les dix années suivantes; il est aussi question d’aide aux victimes, à leur famille et aux communautés touchées.

Cent dix États sont parties à la Convention sur les armes à sous-munitions, et 13 autres l’ont signée, mais ne l’ont pas encore ratifiée.

Le Canada n’a jamais produit ni utilisé d’armes à sous-munitions, mais nous en avons déjà achetées. Conformément à la convention qu’il a signée, le Canada a détruit ses stocks de plus de 13 000 armes à sous-munitions et de 1,36 million de sous-munitions.

Chers collègues, le projet de loi à l’étude modifierait la Loi interdisant les armes à sous-munitions du Canada.

Lorsque le Parlement a adopté le projet de loi C-6 en 2014, de nombreuses critiques ont été formulées par un certain nombre de députés, de sénateurs et d’organisations de la société civile expertes canadiennes et internationales. Il y a eu la Campagne internationale pour interdire les mines, ainsi que la Coalition contre les armes à sous-munitions, qui a qualifié le projet de loi de pire mesure législative de tout État partie à cette convention. Chers collègues, les critiques ont trouvé que le projet de loi canadien présentait des lacunes pour deux raisons.

Premièrement, les opposants affirmaient alors — et ils affirment encore aujourd’hui — que la loi canadienne sur les armes à sous-munitions permet au Canada de participer avec d’autres pays qui ne sont pas signataires de la Convention sur les armes à sous-munitions, y compris les États-Unis, un de nos proches alliés, à des opérations militaires dans lesquelles des armes à sous-munitions sont utilisées. C’est ce qu’on appelle l’interopérabilité militaire.

Les observateurs ont indiqué qu’il y avait eu une longue bataille interministérielle en grande partie entre le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international de l’époque et le ministère de la Défense nationale, et qu’une décision politique avait été prise pour soutenir la position du ministère de la Défense nationale sur cette disposition de la loi, qui a finalement été adoptée le 6 novembre 2014.

C’est le premier sujet de préoccupation. Mais ce n’est pas l’objet de ce projet de loi.

Le deuxième sujet de préoccupation lié à la loi actuelle sur les armes à sous-munitions est l’absence d’une disposition claire et explicite — et j’insiste sur le mot « explicite » — pour interdire les investissements canadiens dans les entreprises qui fabriquent des armes à sous-munitions ou leurs composants.

Selon des critiques émises tant au Canada qu’à l’étranger, la loi canadienne ne répond pas aux normes de la Convention sur les armes à sous-munitions qu’elle est censée faire respecter, et il est surprenant que le gouvernement libéral n’ait pas agi immédiatement pour corriger la loi dès son arrivée au pouvoir en 2015.

Chers collègues, le projet de loi S-255 dont nous sommes saisis corrige une des échappatoires de notre loi actuelle sur les armes à sous-munitions, soit celle concernant les investissements.

C’est la deuxième fois que la sénatrice Ataullahjan tente de corriger cette importante lacune en présentant un projet de loi modifiant la Loi interdisant les armes à sous-munitions.

En 2017, les sénatrices Ataullahjan et Jaffer, ainsi que l’ancienne sénatrice Hubley ont appuyé le précédent projet de loi S-235 à l’étape de la deuxième lecture. Le Sénat a renvoyé le projet de loi au Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, mais le processus s’est arrêté là.

Sénateurs, comme l’a si clairement expliqué la sénatrice Ataullahjan dans le cadre de son récent discours à l’étape de la deuxième lecture :

Le projet de loi S-225 vise à harmoniser la Loi interdisant les armes à sous-munitions à l’esprit de la convention. En interdisant explicitement les investissements dans la fabrication d’armes à sous-munitions, nous établirions des lignes directrices claires à l’intention des institutions financières canadiennes...

Nous savons que certaines de ces institutions avaient accueilli favorablement l’idée il y a plus d’une décennie. Le projet de loi S-225 élimine d’autres lacunes en interdisant aux institutions financières canadiennes de prêter de l’argent à ces fabricants ou de leur fournir une garantie de prêt.

Honorables collègues, vous vous demandez peut-être — comme moi, d’ailleurs — quelles sont les sociétés canadiennes qui investissent dans les entreprises qui fabriquent des armes à sous‑munition aux États-Unis et dans d’autres pays. Est-il possible que, par inadvertance, au moyen de mes investissements, je fasse en sorte que le Canada contrevienne à cette importante convention? Se peut-il également que je contribue involontairement à la douleur et à la souffrance de gens innocents dans d’autres pays?

Honorables sénateurs, à qui incombe cette responsabilité?

Dans le plus récent rapport de l’organisme Stop Explosive Investments, publié en 2018, sept sociétés canadiennes avaient été identifiées comme ayant investi dans des fabricants d’armes à sous‑munition. Je parle au passé, parce qu’on ne sait pas si elles le font encore. Il s’agit de la Corporation Financière Power, de la Société de gestion AGF, du groupe financier BMO, de l’Office d’investissement du régime de pensions du Canada, de la Banque Scotia, de la Financière Sun Life et de la Banque Toronto-Dominion.

En 2016, quatre sociétés canadiennes — CI Financial, la Financière Manuvie, la Banque Royale du Canada et la Financière Sun Life — ont été nommées à ce qu’on appelle le panthéon de la honte pour avoir investi dans des fabricants d’armes à sous‑munitions. Cette année-là, l’organisme a suivi à la trace 12 milliards de dollars, investis par 49 sociétés mondiales. Le Canada n’est pas seul dans cette affaire.

Le rapport de l’organisme Stop Explosive Investments, qui sera publié plus tard dans l’année, devrait comprendre une liste actualisée des entreprises. Il sera très important pour nous tous de jeter un coup d’œil à ce rapport. Espérons que davantage d’entreprises seront passées du panthéon de la honte au panthéon de la renommée, qui a également été créé. Je suis convaincue qu’il y a eu un certain mouvement.

Chers collègues, je tiens à féliciter Mines Action Canada, la Coalition contre les armes à sous-munitions, PAX, Human Rights Watch, le Comité international de la Croix-Rouge, Humanité et Inclusion, et tous les organismes qui s’efforcent chaque jour de prévenir de futures atrocités dues aux bombes à sous-munitions, d’éliminer les quantités importantes de munitions non explosées dans de nombreuses régions du monde et d’assurer la prise en charge des victimes.

Faire la lumière sur les investisseurs et les entreprises qui produisent ces armes et les aider à passer du panthéon de la honte au panthéon de la renommée est une partie essentielle de cet important travail. Qui voudrait faire cela? Je suis sûr que nos entreprises canadiennes ne veulent pas être là.

Chers collègues, le Canada a une fière tradition de collaboration avec ses partenaires internationaux pour un monde plus pacifique, plus humain et plus juste. Prévenir les violations des droits de la personne et protéger des vies, voilà ce qui motive l’intérêt du Canada à façonner les efforts internationaux de réglementation des armes et à s’y joindre.

Outre la Convention sur les armes à sous-munitions, le Canada est partie à d’autres conventions et accords internationaux portant sur une foule d’autres armes, y compris les armes biologiques ou à toxines, les armes chimiques, certaines armes conventionnelles et les mines antipersonnel. Pour l’instant, le Canada n’est pas partie au Traité sur l’interdiction des armes nucléaires.

Le projet de loi S-225 vise à ce que le Canada redouble d’efforts pour remplir ses obligations au titre de la Convention sur les armes à sous-munitions. Honorables collègues, étant donné que des armes à sous-munitions sont encore déployées dans plusieurs régions du monde, et compte tenu des lacunes observées dans les dispositions législatives en vigueur au Canada, il est temps de renvoyer ce projet de loi à un comité qui se penchera de plus près sur la question.

Honorables sénateurs, avant de conclure, j’aimerais citer une Néo-Écossaise pacifiste, féministe, militante communautaire et membre de l’Ordre du Canada, la regrettée Muriel Duckworth, qui a dit ceci :

[...] la guerre est le pire meurtrier, le pire pollueur, le plus grand créateur de réfugiés, la plus grande cause de famine et de maladie [...]

Je ne sais pas comment on peut sensibiliser les gens qui font de l’argent, qui gagnent du prestige et qui exercent et étendent leur pouvoir en faisant la guerre.

Honorables sénateurs, avec ce projet de loi, nous pouvons empêcher les Canadiens de financer les fabricants de ces horribles instruments qui tuent et mutilent des gens. Espérons que nous pourrons convaincre nos homologues étrangers de suivre notre exemple. Il s’agit essentiellement d’une mesure de plus pour sauver la vie de personnes innocentes et pour prévenir la souffrance humaine.

Je ne peux trouver de meilleure raison de faire avancer l’étude d’un projet de loi. Allons donc de l’avant, honorables collègues.

Wela’lioq. Merci.

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