Le drapeau canadien dans le cadre de la célébration du Jour du drapeau national du Canada
Interpellation--Ajournement du débat
15 février 2024
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de l’interpellation no 20. Comme d’autres collègues, je souhaite parler du drapeau canadien.
Je remercie le sénateur Cardozo d’avoir lancé cette interpellation. Il y a 59 ans aujourd’hui, le 15 février 1965, notre drapeau était hissé pour la toute première fois au sommet de la tour de la Paix. Je me pince encore lorsque je me rends sur la Colline et que je vois le drapeau. Je suis sûr que vous en conviendrez tous : c’est un privilège sans pareil que de pouvoir servir en tant que sénateur canadien, et je ne prends pas ce travail à la légère.
Mon histoire d’amour avec la feuille d’érable — et je ne parle pas des Maple Leafs de Toronto — remonte à plusieurs décennies.
Rejoignez-moi pour remonter le temps jusqu’en septembre 1972.
Je venais de fêter mon 10e anniversaire le mois précédent et j’avais passé la majeure partie de l’été à jouer avec des amis — au soccer, à la plage et au hockey de rue — et à profiter de deux mois de soirées sans devoirs. Toutefois, toute bonne chose a une fin.
Cette année-là, le retour à l’école coïncidait également avec un événement d’envergure internationale à Montréal.
Le 2 septembre, dans l’emblématique Forum de Montréal, situé à quelques rues de la maison où j’ai grandi, on a fait la première mise au jeu pour la Série du siècle de 1972. Pour un grand amateur de hockey qui rêvait d’être une vedette, la Série du siècle était l’événement sportif par excellence. Il s’agissait de l’affrontement de deux superpuissances du hockey dans une série de huit matchs, qui se déroulaient à la fois au Canada et en Union soviétique.
Il n’y avait ni trophée, ni médaille, ni prix en espèces; les deux pays se disputaient le droit de pouvoir se vanter et de revendiquer le titre de meilleur de sa catégorie.
Or, quelle déception quand l’équipe canadienne s’est inclinée 7 à 3 contre les Soviétiques au Forum. Heureusement, deux jours plus tard, à Toronto, Esposito, Cournoyer et les frères Mahovlich, dont l’un est un de nos anciens collègues, ont marqué des buts et égalé la série 1 à 1.
Lorsque la série s’est finalement déplacée à Moscou, le Canada accusait un retard sur les Soviétiques. Nous avons perdu le cinquième match, mais nous sommes revenus en force lors des sixième et septième matchs. Les deux équipes étaient à égalité dans la série. Le vainqueur serait couronné lors du huitième match.
C’était le 28 septembre — l’heure de vérité.
Pour l’occasion, toute mon école, à Sainte-Rita, était rassemblée dans le gymnase pour regarder le match en direct sur un petit téléviseur noir et blanc. La mise au jeu a eu lieu à midi, heure d’ici.
Je m’en souviens comme si c’était hier : l’excitation, le battage médiatique, la pression et la fierté de voir l’élite du Canada vêtue d’un chandail orné de la feuille d’érable nous représenter sur la scène mondiale.
Pour ceux qui sont assez âgés pour s’en souvenir, vous vous rappellerez que le Canada était mené 5 à 3 à la fin de la deuxième période. Nos joueurs n’avaient plus que 20 minutes à jouer.
Pendant l’entracte, j’ai dit à mes amis de ne pas s’inquiéter, que le Canada allait gagner — mon optimisme ne date pas d’hier. Je n’ai pas tendance à parier, mais un de mes meilleurs amis, qui était très sceptique et se moquait de mon optimisme, m’a proposé un pari amical. Je n’ai pas pu résister : il fallait bien maintenir l’atmosphère festive dans le gymnase. Nous avons parié une pièce de vingt-cinq cents, soit le prix du billet d’autobus pour revenir à la maison, que le Canada allait faire une remontée.
Deux minutes après le début de la troisième période, Esposito a réduit l’écart : c’était 5 contre 4. Alors qu’il restait sept minutes, l’une de mes idoles de jeunesse, Yvan Cournoyer, a établi l’égalité. Nous savons tous ce qui est arrivé 34 secondes avant la fin du match. Je ne vais pas crier, mais Paul Henderson... Le but du siècle.
Toute la foule dans le gymnase a bondi sur ses pieds. Les cris de joie fusaient. Des gens se serraient dans leurs bras. D’autres pleuraient. Nous avons tous fièrement brandi nos petits drapeaux canadiens. Bien sûr, je suis reparti avec une pièce de vingt-cinq cents de plus dans mes poches cet après-midi-là, une pièce qui vaut beaucoup plus aujourd’hui.
Les gens célébraient dans la rue, brandissaient leur drapeau et chantaient l’hymne national. Pendant des jours et des semaines, j’ai été étourdi par ce sentiment de fierté.
En fait, cette fierté envers notre pays, qui est représenté par la feuille d’érable, ne m’a jamais quitté. En pensant à ce moment de ma vie, je suis envahi de bons souvenirs et d’un immense sentiment de fierté et d’appartenance. Le drapeau du Canada était au cœur de ce moment. Merci. Meegwetch.
Honorables sénateurs, en prenant la parole aujourd’hui, en ce Jour du drapeau national du Canada, dans cette enceinte qui se trouve sur les terres non cédées de la nation algonquine anishinabe, je suis consciente que nous discutons du drapeau d’un pays né de la colonisation des peuples autochtones. C’est un drapeau qui ne porte plus les symboles propres à l’une des nations colonisatrices, mais qui représente quand même un pays qui, encore aujourd’hui, a du travail à faire en ce qui concerne les relations et la réconciliation avec les premiers peuples et la décolonisation de ce riche territoire que nous partageons.
Lorsque l’ancien premier ministre Lester B. Pearson a commencé à chercher un nouveau drapeau pour le Canada, il voulait un drapeau qui représente un pays émancipé, un pays qui avait atteint un haut degré de maturité et de raffinement, qui avait participé avec bravoure à deux guerres mondiales, qui comptait une population diversifiée et qui s’apprêtait à fêter son centenaire. Il fallait aussi un drapeau qui allait pouvoir unir les Canadiens et les rendre fiers pendant l’année où ils allaient fêter le centenaire du pays et se rendre en grand nombre à un événement qui représentait parfaitement ce pays parvenu à maturité : l’Expo 67 de Montréal.
Chers collègues, le changement est difficile à accepter pour bien des gens, et il était particulièrement difficile, surtout pour un gouvernement minoritaire, de faire accepter le remplacement du drapeau porté par les Canadiens qui s’étaient battus lors des deux guerres mondiales, dont bon nombre étaient encore vivants en 1965.
Chers collègues, nous avons chacun nos souvenirs et notre vécu en ce qui concerne le drapeau canadien, avec ses bordures et sa feuille d’érable stylisée de couleur rouge sur fond d’un carré blanc. La feuille d’érable symbolise de nombreuses choses, comme les Autochtones qui connaissent depuis longtemps les propriétés nutritives de la sève d’érable, et on le trouve depuis longtemps sur les tenues olympiques et les uniformes militaires, ainsi que sur les pièces de monnaie. C’est également ce drapeau qui a inspiré le chant intitulé « The Maple Leaf Forever », qu’Alexander Muir a composé à l’occasion de la Confédération.
Certains d’entre nous se souviennent, malgré tout, du grand débat qu’a suscité la création de notre drapeau, alors que d’autres sont nés dans un Canada où celui-ci flottait déjà depuis quelques années au sommet de la tour de la Paix.
Aujourd’hui, j’aimerais vous faire part de quelques anecdotes personnelles au sujet du drapeau canadien.
Quand j’étais jeune écolière, j’ai découvert le grand débat sur le drapeau parce que, pendant le trajet, mon chauffeur d’autobus scolaire exprimait avec passion ses opinions bien arrêtées. Il voulait que le symbole dominant sur le nouveau drapeau soit un castor. À ce moment-là, j’étais loin de me douter que des milliers de propositions, y compris une avec les quatre Beatles, avaient été envoyées à Ottawa par des Canadiens ayant des opinions bien arrêtées, comme mon chauffeur d’autobus. Des centaines de discours ont été prononcés sur le sujet au Parlement — la plupart pour s’opposer au choix définitif. Avec une bonne conception, un effort herculéen et le leadership de certaines personnes clés, le projet de loi pour officialiser le nouveau drapeau a été adopté à la Chambre des communes par un vote de 163 voix contre 78 et au Sénat par un vote de 38 voix contre 23.
Quand je suis déménagée à Antigonish, en 1997, j’en ai appris davantage sur les origines du drapeau. Laurie Stanley, la fille de George Stanley, l’homme qui a conçu le drapeau, était professeure d’histoire à l’Université St. Francis Xavier. Son père avait été le doyen du Collège militaire royal du Canada. Son mari, John Blackwell, a beaucoup écrit sur l’histoire de notre drapeau, sur le nombre de personnes qui ont participé à sa conception et sur le processus d’examen au Parlement.
Le drapeau, dans sa magnifique simplicité évocatrice, était une source de fierté pour la jeune de 12 ans que j’étais quand j’ai visité l’Expo 67. J’ai alors été exposée pour la première fois à l’incroyable diversité du monde et j’ai vu mon pays, le Canada, être au centre de cet étalage de la richesse culturelle de la planète.
Ce fut pour moi une révélation alors que je poursuivais mon cheminement vers la vie adulte.
Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que j’aie apposé avec fierté un drapeau canadien sur mon sac à dos lorsque j’ai parcouru l’Europe pour la première fois, à l’âge de 17 ans. Dieu merci, les parlementaires qui nous ont précédés n’ont pas choisi la « bannière à feuille d’érable étoilée », une version canadienne de la bannière étoilée américaine, où dix étoiles représentaient les dix provinces au milieu de la feuille d’érable. En tant que jeunes voyageurs, nous cherchions notamment à bien nous distinguer des Américains.
Plus récemment, j’ai été très fière de partager la joie et la fierté d’un grand groupe de nouveaux Canadiens — parmi lesquels se trouvait mon ami Tareq Hadhad, PDG de Peace by Chocolate, lui aussi d’Antigonish — lors de leur cérémonie de citoyenneté canadienne au Quai 21, à Halifax. Le drapeau du Canada est un symbole de sécurité, de liberté et de promesses pour les nouveaux Canadiens qui l’agitaient fièrement ce jour-là. En toute franchise, je dois admettre qu’après l’occupation de notre espace parlementaire et du centre-ville d’Ottawa par le prétendu « convoi pour la liberté », et la façon grossière dont certains ont dégradé le drapeau du Canada et en ont fait leur symbole, il m’a fallu un certain temps avant de pouvoir voir notre drapeau comme avant.
Cela dit, chers collègues, j’espère que nous pouvons maintenant commencer à tourner la page sur cette période de division et de polarisation afin que tous les Canadiens puissent se réapproprier l’unifolié. Il s’agit d’un symbole national emblématique et magnifique. Espérons que, l’an prochain, à l’occasion du 60e anniversaire de notre drapeau, nous pourrons tous le brandir, de la manière qui nous distingue, sans forfanterie, mais avec humilité, avec la fierté d’être qui nous sommes et avec l’espoir de devenir ce que nous nous engageons à être. Wela’lioq. Merci.
J’ai une question à poser à la sénatrice Coyle, mais je voudrais d’abord féliciter tout le monde de leurs excellents discours, qui étaient réfléchis et inspirants. Je voudrais également mentionner que je maintiendrai l’interpellation ouverte pendant au moins une semaine de plus. Je remercie la Présidente et l’huissier du bâton noir d’avoir fait hisser des drapeaux supplémentaires autour de l’édifice aujourd’hui. J’essaie de trouver une question à poser à la sénatrice Coyle.
Merci de votre discours. Je me demande si vous pourriez nous donner un exemple de la façon dont le drapeau a été accepté ou commenté par les autres voyageurs, en Europe ou ailleurs, quand vous avez voyagé avec le drapeau.
Eh bien, quand je suis partie à la découverte de l’Europe à 17 ans, mon chauffeur d’autobus, lui, n’était pas là. Il ne pouvait donc pas être déçu qu’on ne voie pas de castor sur mon sac à dos. Comme beaucoup de gens ici… Je remarque que le sénateur Cuzner a un drapeau canadien sur son sac à dos; je l’ai vu aujourd’hui quand il l’a apporté dans cette enceinte.
En fait, j’ai remarqué deux choses. C’était un moyen pour les Canadiens de se reconnaître à l’étranger, de rencontrer des compatriotes de différentes régions du pays. C’était également une façon d’amorcer des conversations avec des compagnons de voyage d’autres régions du monde. Je n’ai jamais vu quelqu’un brandir le drapeau canadien s’il n’était pas Canadien. Je pense qu’il y a peut-être des légendes urbaines à ce sujet, mais je ne veux pas dénigrer personne.
C’était tellement une source de fierté. Je pense que nous avons adopté ce drapeau juste avant le centenaire parce qu’il y avait un tel élan, un tel sentiment de confiance, une telle fierté par rapport au Canada, et que ce sentiment était partagé par tous ceux d’entre nous qui se sont rencontrés sur la route.