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Les préoccupations continues concernant l'agriculture canadienne, les milieux humides et la réaffectation des terres forestières

Interpellation--Suite du débat

6 février 2024


Je vous remercie, sénatrice LaBoucane-Benson. Je suis encore en train d’assimiler votre vérité et toutes nos vérités. C’est fascinant.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de l’interpellation no 16 du sénateur Black sur les préoccupations que continuent de susciter la réaffectation des terres agricoles, des terres humides et des terres forestières du Canada, ainsi que sur la possible insécurité alimentaire, économique et sociale découlant de la capacité de production réduite de produits agricoles, de pâturages, de produits forestiers et d’aliments, tant à l’échelle nationale qu’internationale.

Je suis heureuse que le sénateur ait présenté cette interpellation, car elle porte sur trois des plus grands défis auxquels notre pays est confronté : le logement, les changements climatiques et la sécurité alimentaire. Tous les ordres de gouvernement auront à relever ces défis et il sera essentiel qu’ils coopèrent si nous voulons réussir sans endommager les précieuses et nécessaires terres agricoles du Canada.

En tant que sénateur, j’ai appris à maintes reprises à quel point les administrations peuvent faire échouer des politiques n’offrant pas de réponses claires sur ce qui pourrait être un bon compromis lorsque les ordres de gouvernement ne se parlent pas. Vous vous souviendrez que lorsque j’ai pris la parole dans le cadre de l’enquête fédérale-provinciale-municipale, j’ai parlé de l’importance primordiale de la collaboration continue entre ces administrations. Ce sera d’autant plus important au cours des prochaines décennies.

Statistique Canada estime que notre pays pourrait compter 56 millions de Canadiens d’ici 2050. Ces Canadiens auront besoin d’un endroit où vivre, et les pratiques actuelles — selon lesquelles de précieuses terres arables constituent des endroits où construire ces maisons — feront en sorte que le Canada perdra une partie de ses terres agricoles, qui figurent parmi ses ressources les plus précieuses.

Partout au pays, les régions urbaines et rurales se font de plus en plus concurrence, et cette friction se fait souvent aux dépens des agriculteurs.

On estime qu’au cours des 20 dernières années, le Canada a perdu l’équivalent de sept petites fermes par jour. Une grande partie de ces terres sont perdues à cause de l’étalement urbain. Selon des rapports de Statistique Canada comparant des enquêtes menées de 1971 à 2011, 642 100 hectares de terres agricoles ont été perdus en raison de nouveaux peuplements autour des plus grandes régions métropolitaines du Canada. Le logement est extrêmement important, comme nous le savons bien, mais, trop souvent, il l’emporte sur la conservation.

Un gouvernement peut souligner le nombre de logements bâtis pour obtenir des gains politiques au cours d’un cycle électoral classique. Cependant, les effets négatifs ne se feront sentir que bien plus tard, lorsque les gouvernements qui ont pris ces décisions sont partis depuis longtemps. Voilà pourquoi nous avons besoin d’un débat national, où tous les ordres de gouvernement se réunissent, assument le fardeau et font les compromis nécessaires pour préserver les terres agricoles de grande valeur.

Il s’agit bien entendu d’un problème à multiples facettes. Il ne s’agit pas seulement d’éviter d’asphalter les terres arables pour contribuer à l’étalement urbain et suburbain; les zones où se jouxtent les villes et les terres agricoles sont tout aussi importantes si l’on veut tenter de trouver un certain équilibre. Il est tout à fait approprié, chers collègues, que nous soyons ici dans notre capitale nationale et que, à seulement cinq kilomètres et demi au sud d’ici, cette rencontre entre ruralité et urbanité se manifeste concrètement.

Certains d’entre vous connaissent peut-être la Ferme expérimentale. Je ne saurais trop la recommander à ceux qui cherchent à entrer en contact avec la nature pendant qu’ils sont à Ottawa. Cette ferme est gérée par Agriculture et Agroalimentaire Canada à l’échelon fédéral, et on y mène des recherches cruciales sur l’optimisation du rendement des cultures et la détermination de l’incidence des changements climatiques sur certaines des denrées alimentaires de base les plus importantes.

Des scientifiques y cultivent des variétés spéciales de blé, de soja, d’orge, de maïs et d’avoine qui pourraient mieux résister aux effets des changements climatiques. Ce sont des recherches importantes.

Cette ferme, située au cœur de la ville, est entourée de maisons et d’appartements, et elle est contiguë à des zones qui ont besoin d’être intensifiées et développées pour répondre à la croissance de la population d’Ottawa.

Un promoteur a proposé de construire deux tours — de 16 et 27 étages — juste au nord-ouest de la ferme. Ces tours devraient comprendre 350 logements locatifs, dont certains pourraient être considérés comme des logements abordables. Le problème réside dans les ombres que les bâtiments projetteraient sur les champs au coucher du soleil. Les terres situées juste au sud-est des tours proposées perdraient l’équivalent de près de 70 jours d’ensoleillement par an. Les chercheurs ne peuvent pas accepter cette situation, qui gâcherait des années de travail dans ces zones cruciales.

Je raconte cette anecdote sans avoir une opinion quant à la solution.

Il n’y a pas de réponse à la fois facile et correcte lorsqu’il s’agit de concilier le logement et les terres agricoles, mais nous avons ignoré le problème trop longtemps, à notre grand détriment. Nous l’avons constaté dans ma province, l’Ontario. La plus grande conversion de terres arables en zones de peuplement s’est produite dans la région du Golden Horseshoe autour de Toronto, qui comprend ma région, Kitchener-Waterloo, qui a perdu à elle seule 28 900 hectares de terres arables de 1971 à 2011.

Au cours de cette période de 40 ans, 85 % de toutes les zones urbaines dans le Golden Horseshoe ont été établies sur ce qui était autrefois des terres agricoles de première qualité. Lorsque des terres agricoles disparaissent au profit de l’étalement urbain, il est peu probable qu’elles soient rétablies un jour. L’action de « sceller » le sol dans le cadre de l’aménagement urbain a des répercussions, notamment une réduction importante de son potentiel de captage du carbone, d’absorption des eaux souterraines et d’accueil de notre chère faune.

J’ai dit plus tôt que ce n’est pas que le pavage qui ruine les terres agricoles. L’étalement urbain qui se heurte aux terres agricoles peut également avoir un effet négatif sur l’agriculture dans cette région. Il y a presque toujours des confrontations entre les propriétaires et les agriculteurs dans les zones où les nouveaux aménagements et les terres agricoles se heurtent. Les nouveaux propriétaires n’aiment pas les odeurs. Ils n’aiment pas les activités bruyantes ou les pesticides utilisés sur les cultures. Les agriculteurs, quant à eux, doivent faire face à des intrus, à des vandales et à des personnes qui jettent des déchets sur leurs terres.

Les nouvelles routes et les commodités de banlieue fragmentent les terres agricoles et rendent le transport plus difficile. Les entreprises comme les abattoirs sont forcées de fermer leurs portes et les agriculteurs doivent parcourir une distance de plus en plus grande pour accéder aux services essentiels à leurs activités. Tout cela compromet la viabilité de l’exploitation agricole et, la plupart du temps, ce sont les agriculteurs qui sont les grands perdants dans ces scénarios et qui finissent par quitter la région.

C’est là qu’intervient ce que l’on appelle la planification des lisières, et je suis fière de dire que ma ville, Waterloo, fait figure de chef de file à l’échelon national pour ce qui est de la prévention de ces différends. Voici un extrait d’un rapport publié par la Fédération de l’agriculture et de la défense de l’environnement de l’Ontario :

La région de Waterloo adopte une approche globale en matière de planification des lisières, une approche qui permet non seulement d’éliminer les différends liés à l’utilisation des terres rurales et urbaines, mais aussi de renforcer l’engagement de la région à préserver le milieu rural à l’extérieur de ses limites urbaines. La région se sert d’éléments importants du territoire pour définir ses limites urbaines, notamment des milieux écologiquement fragiles (zones humides, zones boisées, etc.), des zones rurales protégées et des zones d’alimentation (moraines). Le plan officiel de la région interdit toute expansion urbaine dans les zones ainsi désignées. Au total, ces vastes territoires représentent environ 70 000 acres d’espaces ouverts en permanence. Environ 75 % des limites urbaines sont ainsi protégées, le reste représentant le périmètre à l’intérieur duquel la région souhaite se développer.

La région se sert également de l’aménagement communautaire et de la planification des infrastructures pour renforcer sa lisière urbaine permanente. Les quartiers adjacents à la lisière urbaine ne peuvent comporter d’embranchements routiers se terminant en cul-de-sac au niveau de la zone tampon, ce qui permet d’empêcher une pratique courante qui consiste à prévoir l’élargissement de la zone urbaine. La région exige aussi que les infrastructures desservant les zones périphériques soient conçues pour répondre uniquement aux besoins des terrains situés à l’intérieur des limites actuelles, afin de compliquer fortement la tâche de futurs conseils municipaux qui souhaiteraient autoriser le développement urbain au-delà du périmètre fixé.

C’est une approche à long terme et durable.

Selon ce rapport, chers collègues, encercler la ville d’une bordure permanente a revigoré l’économie agricole à l’extérieur de la zone tampon.

La spéculation et la cession graduelle des exploitations agricoles sont en train de s’inverser, au fur et à mesure que les agriculteurs ont l’assurance que leurs activités resteront rentables indéfiniment, de génération en génération.

Sans vouloir me mêler de politique provinciale, chers collègues, cette stratégie est remise en question depuis quelques années. La région s’oppose activement à ce que l’on considère comme une expansion forcée d’une frontière urbaine qui, selon elle, va trop loin et compromet un développement durable qui préserve de précieuses étendues de terres agricoles pouvant servir à produire ce qu’il faut pour nourrir à la fois le Canada et le reste du monde.

C’est pourquoi, à mon avis, cette interpellation arrive à point nommé. J’ai vanté sans vergogne le bon travail de ma ville pour s’adapter à son essor démographique dans une perspective durable, mais il y a d’autres questions en jeu ici. D’autres régions qui ont été confrontées à des défis différents ont trouvé leurs propres solutions. Il ne s’agit pas pour un ordre de gouvernement de dicter à un autre ce qu’il doit faire. C’est trop souvent le cas, et cela conduit aux politiques décousues et pour tout dire irréfléchies et nuisibles que nous connaissons depuis une quarantaine d’années.

Les administrations municipales et les gouvernements provinciaux et fédéral doivent discuter et tracer une voie durable pour l’avenir, une voie dont ils seront tous responsables à parts égales. Sans cela, chers collègues, ce sera du pareil au même, ce qui, comme nous l’avons vu, mènera nos terres agricoles limitées à la ruine.

Je remercie le sénateur Black d’avoir entamé ce débat et je suis impatiente d’entendre mes collègues, dans les semaines et les mois à venir, sur la manière dont nous pouvons progresser ensemble. Merci, meegwetch.

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