Projet de loi sur le cadre national sur la publicité sur les paris sportifs
Troisième lecture--Ajournement du débat
8 octobre 2024
Propose que le projet de loi S-269, Loi concernant un cadre national sur la publicité sur les paris sportifs, soit lu pour la troisième fois.
— Honorables sénateurs, d’abord, je félicite ma collègue la sénatrice Boyer pour l’adoption de son projet de loi ce soir.
Je prends la parole à l’étape de la troisième lecture du projet de loi S-269, Loi concernant un cadre national sur la publicité sur les paris sportifs. J’ai eu le privilège d’être membre du Comité des transports et des communications au moment de l’étude de ce projet de loi et je veux remercier tous les députés du comité directeur d’avoir invité autant de témoins experts. Je remercie le président et la vice-présidente d’avoir dirigé les discussions, dont certaines étaient fascinantes. Je veux également remercier les autres membres du comité des questions réfléchies qu’ils ont posées, ainsi que de m’avoir permis de prendre part à l’examen article par article le plus rapide auquel je n’aie jamais participé. J’espère que ce sera de bon augure.
Comme je l’ai dit lors de mon discours à l’étape de la deuxième lecture, je voudrais donner un peu de contexte. Beaucoup de nouveaux sénateurs se sont joints à nous, et il est important de se souvenir des raisons qui nous ont amenés jusqu’ici.
En 2021, le Parlement a adopté le projet de loi C-218, qui modifiait le Code criminel en abrogeant l’interdiction de longue date de parier sur le résultat d’une course, d’un combat ou d’une épreuve ou manifestation sportive. L’adoption de ce projet de loi était l’œuvre d’un travail de longue haleine des conservateurs. Les moutures précédentes de cette mesure comprennent le projet de loi C-290, présenté en 2011, qui s’était rendu jusqu’à l’étape de la troisième lecture au Sénat avant la prorogation du Parlement, à l’automne 2013.
Deux autres versions du projet de loi ont été présentées à la Chambre des communes, mais les élections ont entravé l’une d’entre elles lorsqu’elle a été présentée au Sénat. Il convient de noter que le gouvernement Trudeau a également présenté en 2020 son propre projet de loi concernant les paris sur une seule épreuve sportive, le projet de loi C-13. Cependant, étant donné ses similarités avec le projet de loi C-218, le gouvernement l’a retiré.
Pourquoi y a-t-il tant de mesures visant à rendre légaux les paris sur une seule épreuve sportive? On soutenait que cela se produisait de toute façon sur les marchés clandestins illicites, dont bon nombre étaient à l’étranger, alors pourquoi ne pas réglementer cette pratique et la sortir de l’ombre en générant des recettes fiscales au Canada? La majorité d’entre nous à l’époque était d’accord et a voté en faveur du projet de loi C-218, moi y compris. J’ai soutenu ce projet de loi, et je le soutiens toujours. C’est ce qui se passait au Sénat.
Ma vie à l’extérieur du Sénat m’influençait également. Dans le cadre de mes engagements internationaux, j’avais été exposée au côté sombre du sport, et plus particulièrement du sport amateur. Il y avait des matchs truqués, ce que nous appelons maintenant de la manipulation de matchs. En 2012, les Jeux olympiques de Londres ont révélé ce phénomène en direct à la télévision. Des athlètes se sont fait dire par leur entraîneur de truquer les matchs. Cette pratique est très répandue dans d’autres régions du monde, elle représente une industrie considérable, et elle est aussi bien présente au Canada.
Lorsque je suis devenue sénatrice, je me suis acquittée de l’obligation d’organiser pour la dernière fois au Canada un championnat mondial auquel ont participé 60 pays et 800 athlètes. Nous avons travaillé avec le Comité international olympique, ou CIO, afin de créer un programme d’intégrité dans le sport. Conformément aux valeurs canadiennes, un athlète en sol canadien ne pouvait pas entrer sur le terrain de jeu à Markham, en Ontario, sans avoir suivi le programme portant sur la manipulation de matchs et le dopage. Pendant cette période, j’ai aussi appris comment on conditionne des athlètes. Des athlètes sont amenés à manipuler des matchs ou à prendre part à un pari gagnant. Je savais que je devais prendre toutes les mesures possibles à cet égard.
Avec l’adoption du projet de loi C-218, l’interdiction a été supprimée. On a laissé aux provinces le soin de déterminer si elles allaient ouvrir leurs marchés aux entreprises de paris privées. En 2021, l’Ontario l’a fait et a ouvert son marché de jeux en ligne. C’est la seule province à l’avoir fait jusqu’à maintenant, mais l’Alberta semble sur le point de le faire également.
L’une des conséquences imprévues de tout cela — nous ne voyons peut-être pas la gravité de ces conséquences — a été, bien sûr, les publicités. Nous les avons tous vues. Les Canadiens d’un bout à l’autre du pays les ont vues. Selon Raffaello Rossi, un chargé de cours en marketing à l’Université de Bristol, qui a comparu devant le comité, la recherche qu’il a menée avec la CBC a révélé que, lorsqu’ils regardent des sports sur un réseau de chaîne privée, les téléspectateurs sont exposés à trois publicités sur les jeux par minute. Les Canadiens les ont bel et bien remarquées, et il ne leur a pas fallu de temps pour en avoir assez. Selon un sondage mené en février par Maru Group, 75 % des Canadiens estiment qu’il faut protéger les enfants et les jeunes contre les publicités sur les paris sportifs, 66 % estiment que ces publicités ne devraient pas être autorisées lors de diffusions en direct et 59 % estiment qu’une interdiction nationale des publicités devrait être mise en œuvre immédiatement.
De nombreuses entreprises de paris publient de la publicité sur les médias sociaux. Elles visent principalement les enfants et les jeunes, dont bon nombre sont mineurs. Le message sous-jacent de ces publicités, c’est que les paris font partie intégrante du sport, ce que, en tant que fervent partisan du sport, je trouve offensant.
Au début, ces publicités étaient déplorables. Des légendes du hockey et des célébrités défilaient continuellement sur les écrans de tous ceux qui osaient s’asseoir dans leur salon pour regarder un match. Fait encourageant, la Commission des alcools et des jeux de l’Ontario a mis en place un nouveau règlement en 2023, qui interdit l’apparition d’athlètes ou de célébrités dans ces publicités, avec une énorme exception — ils ne pourront prêter leur image que si la publicité contient un message faisant la promotion du « jeu responsable ».
Comme un témoin l’a dit au comité, « Il s’agit toujours de publicités de marque [...] ». Il a ajouté :
[...] il est très pratique de pouvoir dire: « Nous allons vous inonder de publicités et d’occasions de jouer. Vous n’avez qu’à jouer de manière responsable et tout ira bien. »
Cependant, les messages concernant le jeu responsable passent généralement inaperçus. Ils sont écrits en petits caractères au bas de l’écran et ne mentionnent aucun des risques bien documentés de la dépendance au jeu. Or, chers collègues, il est prouvé que les messages explicites sur les risques, comme ceux que l’on voit sur les paquets de cigarettes, sont beaucoup plus efficaces. Il existe des pratiques exemplaires, mais elles ne sont pas encore exercées ici.
Il y a aussi le fait que tout le pays est à la merci d’une seule province en matière de publicité. Je rappelle que, jusqu’à présent, les paris sur les manifestations sportives individuelles auprès des compagnies dont vous voyez les publicités ne sont légaux qu’en Ontario. Cela entraîne de nombreux problèmes. Will Hill, directeur général de la Canadian Lottery Coalition, a dit au comité:
Lorsqu’un joueur d’une autre province que l’Ontario voit l’une de ces publicités à la Soirée du hockey pendant un entracte, qu’il se connecte à son ordinateur et que, sur le site Web d’actualités sportives de son choix, il trouve une bannière numérique d’un exploitant, il a l’impression que le jeu doit être légal. Si je l’ai vu à la télévision et je le vois sur mon ordinateur alors que je suis assis ici au Manitoba, en Saskatchewan ou ailleurs, si cela m’est présenté, c’est qu’il doit y avoir une certaine légitimité. Il y a un vernis de légalité et d’authenticité dans la publicité qui dépasse les frontières de l’Ontario.
Pendant ce temps, qu’est-ce qui empêche un joueur, après avoir été incité par une publicité, de se rendre sur le marché très illicite que le marché légal a été mis en place pour combattre? Les publicités sont également préjudiciables aux jeunes et à d’autres populations vulnérables, comme je l’expliquerai plus tard. Pourquoi une réglementation laxiste dans une province devrait-elle soumettre le reste du pays à ces publicités lorsque les provinces concernées ont décidé, à juste titre, qu’elles pouvaient être préjudiciables?
Cela nous amène au projet de loi S-269 et à la raison pour laquelle je l’ai présenté.
Commençons par ce que ce projet de loi ne fera pas. Il n’interdira pas complètement les publicités sur les paris. Après de nombreux mois de consultations auprès du Bureau du légiste, d’examen de cas et d’écoute de constitutionnalistes comme notre collègue le sénateur Cotter, il a été décidé que les dommages causés par les publicités sur les paris n’atteignent peut-être pas le seuil de dommages que nous observons dans le cas des cigarettes, desquelles, après des décennies de batailles judiciaires, il est effectivement interdit de faire la publicité. C’est le seuil qu’une interdiction devrait atteindre pour être approuvée par la Cour suprême. Bien que mon aspiration et mon approche initiales aient été d’imposer l’interdiction, nous avons décidé qu’il était prudent ici de ne pas laisser le mieux être l’ennemi du bien.
Le présent projet de loi exigerait plutôt que le ministre du Patrimoine canadien élabore un cadre national sur la publicité des paris sportifs. Le ministre doit énoncer :
[...] des mesures visant à réglementer la publicité sur les paris sportifs au Canada en vue d’en restreindre l’utilisation, de limiter les annonces en ce qui a trait à leur nombre, à leur portée et à leur emplacement — ou à toute combinaison de ceux-ci —, et à limiter ou interdire la participation de célébrités et d’athlètes à la promotion des paris sportifs;
des mesures visant à promouvoir, d’une part, la recherche et la communication intergouvernementale de renseignements au sujet de la prévention et du diagnostic du jeu pathologique chez les personnes mineures et, d’autre part, des mesures de soutien destinées aux personnes touchées;
des normes nationales relatives à la prévention et au diagnostic du jeu pathologique et de la dépendance au jeu, et relatives aux mesures de soutien destinées aux personnes touchées.
Ce faisant, le ministre doit consulter :
[...] le ministre de l’Industrie, le ministre de la Justice, le ministre de la Santé, le ministre de l’Emploi et du Développement social, le ministre responsable de la santé mentale et des toxicomanies, le ministre des Services aux Autochtones, et tout autre ministre dont il estime les responsabilités pertinentes;
Il doit alors consulter « [...] des représentants des gouvernements provinciaux et territoriaux, notamment ceux responsables de la protection du consommateur, de la santé, de la santé mentale et des dépendances [...] »
Il doit aussi consulter :
[...] divers intéressés, notamment des auto-intervenants, des prestataires de services et des représentants des milieux de la santé et de la recherche et d’organisations œuvrant dans les secteurs de la publicité et des jeux de hasard qui, de l’avis du ministre, possèdent une expérience et une expertise pertinentes en ce qui concerne le jeu pathologique et la publicité sur les jeux de hasard comme facteur pouvant y contribuer;
[...] des communautés autochtones et des organisations principalement dirigées par des Autochtones;
[...] toute autre personne ou entité que le ministre estime indiquée.
Enfin, cette mesure législative fait référence au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, ou CRTC. Selon l’article 6, le CRTC doit :
[procéder] à l’examen de ses règlements et politiques afin d’en évaluer la pertinence et l’efficacité pour réduire l’incidence des préjudices résultant de la prolifération de la publicité sur les paris sportifs.
En ce qui concerne la reddition de comptes, le CRTC doit présenter ses conclusions et ses recommandations au ministre au plus tard au premier anniversaire de la date de sanction de la présente loi. Le ministre, lui, doit à son tour faire déposer le rapport devant chaque Chambre du Parlement dans les 15 premiers jours de séance de celle-ci suivant la date de sa réception.
Je suis sûre que vous avez la tête qui tourne à cette heure de la journée.
Ce faisant, le projet de loi vise à encadrer les publicités sur les paris sportifs parce que, comme nous le savons tous, le jeu peut causer beaucoup de tort aux gens et à la société. La recherche internationale, qui est en avance sur la nôtre, montre de manière concluante que l’outil le plus efficace pour limiter les préjudices causés par les paris sportifs et d’autres formes de jeu est de limiter les publicités.
La grande majorité des paris sportifs se font dans le creux de la main, et, comme nous l’a dit la Commission de la santé mentale du Canada, le jeu en ligne est extrêmement problématique. Il est plus courant chez les gens qui jouent fréquemment, et, pour certains, cette forme de jeu peut contribuer de façon importante aux problèmes de jeu. En fait, le jeu en ligne pourrait être le facteur de risque le plus important pour le développement d’un trouble lié au jeu d’argent. Il existe une relation de cause à effet entre l’exposition à la publicité sur le jeu et le fait d’avoir une perception positive du jeu, ainsi qu’entre les intentions de jouer et le jeu à proprement parler. Les enfants et les jeunes, ainsi que ceux qui ont déjà des problèmes de jeu, sont particulièrement vulnérables à ces effets.
Pour la personne qui a des problèmes de jeu, le taux de récidive est supérieur à 90 %. Une fois que la dépendance s’installe, il est pratiquement impossible d’arrêter. Un alcoolique peut éviter d’aller dans les bars, mais, pour un joueur compulsif, le simple fait de s’asseoir pour regarder un match de hockey l’expose, comme nous l’avons entendu, à des publicités et à des messages l’incitant à jouer jusqu’à trois fois par minute. Avec un taux de récidive de 90 %, la tentation serait probablement trop forte.
Les méfaits du jeu peuvent avoir de graves conséquences. Il y a, bien sûr, l’aspect financier. Cardus, un groupe de réflexion canadien qui a comparu devant le comité, a constaté que, en Ontario, le compte de pari moyen décaisse 283 $ par mois. S’il s’agit d’un seul compte par joueur, ce qui est peu probable, cela représente 3,2 % du revenu mensuel moyen des ménages canadiens. Les pertes nettes sont donc trois fois supérieures à ce que les experts considèrent comme sans danger, c’est-à-dire pas plus de 1 % du revenu des ménages avant impôts.
Les recherches montrent que lorsque les joueurs dépassent 1 %, ils sont 4,3 fois plus susceptibles de subir des préjudices financiers tels que la faillite, 4,7 fois plus susceptibles de subir des préjudices relationnels tels que la violence conjugale et le divorce, et 3,9 fois plus susceptibles de subir des préjudices émotionnels ou psychologiques tels que la dépression, l’anxiété et ainsi de suite.
Il y a aussi les torts causés à l’économie. Des recherches menées récemment aux États-Unis ont révélé que, dans les États où le jeu a été légalisé, les ménages ont vu une diminution considérable de leurs économies, ainsi qu’une réduction de leurs investissements dans des actifs comme les actions, généralement considérées comme étant plus viables sur le plan financier.
Au comité, certains ont parlé du faible nombre de personnes touchées et se sont demandé si ce projet de loi allait un peu trop loin. Cependant, même une faible proportion d’un grand nombre de personnes représente beaucoup de personnes. Au Canada, même si Statistique Canada estimait, avant la légalisation, que 1,6 % des joueurs présentaient un risque modéré ou élevé de troubles du jeu, cela représentait quand même 304 000 personnes. Les estimations à l’échelle internationale sont beaucoup plus importantes. Selon le Centre de toxicomanie et de santé mentale de Toronto, pour chaque personne aux prises avec une dépendance au jeu, on compte en moyenne huit personnes de son entourage qui subissent des conséquences; il peut s’agir de ses frères et sœurs, de ses partenaires, de ses enfants, de sa famille, et cetera.
Fait inquiétant, depuis 2019, le nombre de joueurs compulsifs a augmenté. Par exemple, Matthew Young, de Greo Evidence Insights, a dit au comité que le nombre de personnes qui appellent la ligne d’aide aux joueurs compulsifs de l’Ontario a augmenté considérablement depuis 2021, principalement en raison des appels liés au jeu en ligne. De plus, un récent sondage en ligne mené par Recherche en santé mentale Canada a révélé que 7 % des Canadiens répondaient aux critères relatifs au jeu compulsif. Cela représente une augmentation de plus de 1 000 % depuis 2018. Nous avons reçu certaines de ces données jeudi soir dernier; ce sont des données assez récentes.
Le taux de problèmes de jeu était encore plus élevé chez les jeunes Canadiens âgés de 18 à 34 ans, atteignant 15 %. Le pire, chers collègues, c’est que le taux de participation aux jeux de hasard a augmenté chez les enfants canadiens. Le Centre de toxicomanie et de santé mentale indique que le nombre d’élèves de la 7e à la 12e année ayant joué en ligne est passé de 4 % en 2019 à 15 % en 2021. Il suffit de se rendre dans une école secondaire et d’en faire le tour pour le constater. Ce n’est pas caché.
Ces jeunes peuvent ou non parier sur des sites réglementés, mais c’est aussi l’effet secondaire de toutes les publicités que nous voyons : la normalisation des paris en tant que partie intégrante du sport. Pour une génération de jeunes qui grandissent en regardant leurs athlètes favoris pratiquer leur sport favori, les paris et les jeux de hasard seront imbriqués dans la façon même dont ils vivent et savourent le sport. Plutôt que de se réjouir quand Connor McDavid marque le but de la victoire, un partisan des Oilers pourrait être déçu parce que ce n’est pas son défenseur qui a marqué, comme le pari accessoire l’avait prédit. La pulsion de parier désincarne le sport. Elle prive le sport de ses bonnes associations culturelles.
Ce phénomène n’a jamais été aussi évident que lors des derniers Jeux olympiques d’été. Si vous les avez regardés à la télévision, vous avez sans doute été inondé de publicités pour une entreprise de paris. J’ai profité de cette occasion pour voir sur quoi on pouvait parier. Il y avait de tout, chers collègues. Chaque épreuve olympique était présentée comme une possibilité de gagner ou de perdre de l’argent rapidement; c’est mal. À mesure que la pratique des paris s’installe dans les sports à coups de contrats de commandite, de publicités, et même de logos sur certains uniformes, l’esprit et l’intention de la compétition s’en trouveront affaiblis.
Le sport peut être très puissant. Il peut inculquer de nombreuses valeurs positives. Il aide les jeunes à acquérir des compétences pour la vie, mais il ne peut pas faire cela s’il offre davantage d’occasions de tricher ou s’il accroît les comportements abusifs. De plus en plus, des athlètes se font menacer et harceler en ligne parce qu’ils ne répondent pas aux attentes des parieurs. Pour lutter contre ces pratiques déplorables et les préjudices causés aux athlètes universitaires, la NCAA américaine a récemment demandé l’interdiction totale des paris accessoires, c’est-à-dire les paris qui portent sur le déroulement d’un match.
En tant que responsable olympique, je trouve franchement dégoûtante l’idée que des athlètes amateurs, tels que les athlètes olympiques, risquent de subir des effets négatifs et qu’une promotion régulière puisse être permise. Ces athlètes amateurs n’ont pas la même plateforme que les professionnels. Bon nombre d’entre eux sont jeunes. À titre d’exemple, la planchiste chinoise Zheng Haohao avait 11 ans quand elle est entrée dans le bol du parc de planche à roulettes installé cet été à Place de la Concorde, à Paris. Il faut agir avant que des athlètes comme elle subissent ces effets négatifs.
En comité, nous avons bien sûr entendu parler des limites de ce projet de loi. Nous savons, par exemple, qu’il est plus difficile de réglementer ce qui se passe en ligne. La publicité sur les médias sociaux peut cibler les personnes les plus vulnérables. Toutefois, je ne pense pas qu’on puisse complètement nier l’effet de la réglementation sur les formes traditionnelles de publicité. Selon une étude menée en 2023 par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, bien que l’écoute de la télévision ait diminué ces dernières années, les jeunes Canadiens âgés de 2 à 11 ans et de 12 à 17 ans ont regardé, respectivement, 12,8 heures et 12,4 heures de télévision traditionnelle par semaine, en moyenne.
Si l’on examine de plus près la diffusion continue de contenu sportif en ligne, on constate que les droits de diffusion canadiens des quatre grandes ligues nord-américaines sont détenus par Rogers et Bell. Ces deux entreprises occupent environ 70 % de ce créneau, par le truchement de Sportsnet et de TSN. Ces diffusions continues en ligne sont généralement semblables à ce qu’on peut voir sur les chaînes de télévision par câble, y compris au chapitre des publicités.
En outre, chers collègues, nous avons entendu au comité la représentante de ThinkTV, qui a dit que, de façon admirable, les entreprises de paris sportifs soumettent déjà leurs annonces en ligne pour s’assurer qu’elles sont conformes aux normes de diffusion à la télévision. Nous avons déjà vu cela dans la pratique avec les entreprises qui vendent de la bière et des spiritueux, et qui, en général, ne produisent pas une série distincte de publicités pour la diffusion en ligne. Elles se conforment à leurs responsabilités au titre du Code de la publicité radiodiffusée en faveur de boissons alcoolisées du CRTC.
Sénateurs, seuls ceux qui ont des intérêts directs dans le jeu et les paris sportifs — les entreprises de paris, les annonceurs et les radiodiffuseurs, et nous avons même reçu des lettres de la Ligue canadienne de football et de la Ligue nationale hockey — s’opposent à ce projet de loi. Les radiodiffuseurs qui ont bénéficié d’un apport de fonds grâce à ces annonces sont bien sûr hésitants à la perspective d’un resserrement de la réglementation applicable aux annonces. Ils soutiennent que ces marques ont besoin de s’établir et qu’elles diminueront naturellement leur promotion au fil du temps.
Je ne suis pas de cet avis, bien sûr. Nous n’interdisons pas complètement la publicité pour les raisons que j’ai déjà mentionnées ce soir. Il s’agit d’un secteur qui a engrangé 2,4 milliards de dollars en recettes l’an dernier. Assurément, ses acteurs ont les moyens de payer des annonces créatives qui correspondent à une approche plus raisonnable et responsable, des annonces qui tiennent compte des mesures de protection autant que des profits.
Un argument qui ne me plaît guère, c’est que nous devrions mener plus de recherches pour déterminer si ces publicités sont réellement nuisibles et que nous devrions attendre qu’elles soient diffusées avant d’essayer d’y mettre un frein. Chers collègues, c’est tout simplement trop risqué. Si nous adoptons cette approche, on causera énormément de dommages, car nous savons où cela va nous mener.
Des pays où les paris sur une seule épreuve sportive et la publicité subséquente existent depuis plus longtemps qu’ici adoptent maintenant des mesures très sévères en matière de publicité et de promotion. Depuis peu, en réponse à la commercialisation excessive du jeu, divers pays européens interdisent presque entièrement la publicité. Ces pays comprennent la Belgique, les Pays-Bas, l’Italie, l’Espagne, la Pologne et, depuis cette année, l’Ukraine.
Lord Michael Grade, qui a présidé un comité de la Chambre des lords sur le jeu compulsif, a eu l’amabilité de faire part au comité de l’expérience du Royaume-Uni. Il nous a dit :
[...] Avec la connaissance que vous avez de ce qui se passe un peu partout dans le monde, particulièrement au Royaume-Uni, en Australie et dans d’autres pays, vous manqueriez à votre devoir — si je peux parler crûment — en ignorant le problème à présent que vous avez légiféré sur la question. Vous devez à présent combler une grave lacune dans la réglementation. Pour tracer la ligne entre la restriction et la liberté de faire des paris, vous pouvez vous appuyer sur plusieurs études de cas. Comme vous en êtes aux premiers stades, vous avez de la chance, d’une certaine manière, d’avoir accès à toute cette jurisprudence et à l’expérience provenant d’un peu partout dans le monde, qui vous aideront à prendre les bonnes décisions pour le Canada.
Voilà, chers collègues, ce que j’essaie de corriger avec la mesure législative qui nous est présentée. Je ne peux pas dire avec certitude à quoi ressemblera le cadre réglementaire s’il est adopté. Toutefois, à la lumière de l’historique des cas, j’ai bon espoir que des limites plus raisonnables seront imposées à ces publicités, en prenant appui sur la recherche et les meilleures pratiques. Après tout, puisque les Canadiens réclament ces modifications, la volonté politique est palpable au sein de toutes les instances gouvernementales pour faire la bonne chose.
Avant de terminer, chers collègues, je tiens à remercier le Dr Bruce Kidd, de l’Université de Toronto et de la campagne Ban Ads for Gambling, qui défend si ardemment les intérêts des jeunes. Le travail qu’il a accompli tout au long de sa vie a été indispensable pour sensibiliser la population non seulement à ce projet de loi, mais aussi à l’ampleur du problème auquel nous sommes actuellement confrontés. Je tiens également à remercier le sénateur Cotter, qui a participé dès le début à la rédaction de ce projet de loi et qui l’a défendu au comité et à la Chambre.
J’aimerais remercier mon personnel et les légistes qui ont fait un excellent travail, en particulier dans les débuts, lorsque nous faisions et défaisions le projet de loi pour voir comment il fonctionnerait le mieux. Ils ont beaucoup contribué à l’élaboration du projet de loi dont nous sommes saisis aujourd’hui et qui, à mon avis, est une mesure législative importante.
Il y a de nombreux experts à saluer et à remercier, mais aujourd’hui, je pense aux centaines de conversations informelles que j’ai eues avec des familles, aux longues lettres racontant des histoires de répercussions du jeu sur les jeunes, aux pères de jeunes garçons qui ne savent plus quoi faire et qui ne connaissent plus leurs fils. Beaucoup d’entre eux regardent ce discours à l’étape de la troisième lecture ce soir.
Aujourd’hui, au nom d’un grand nombre de personnes, je vous demande de soutenir ce projet de loi et de voter en sa faveur. En tant que sénateurs, nous avons le devoir du second examen objectif. Nous avons appuyé, par le nombre, un projet de loi qui porte sur les paris sur une seule épreuve sportive. Il y avait un risque de répercussions négatives. Nous devons résoudre ce problème rapidement. Je vous prie de m’aider à franchir une étape de plus et à renvoyer ce projet de loi à l’autre endroit pour corriger le tir, sans tarder.
Merci. Meegwetch.
Sénatrice Deacon, je vous remercie de votre discours éclairant. Je partage vos préoccupations. Je conviens qu’interdire les publicités sur les jeux de hasard est une initiative louable visant à protéger les membres vulnérables de notre société, entre autres. Cependant, comment pouvons-nous nous assurer que cette mesure ne donne pas par inadvertance un avantage aux applications de paris internationales qui ne sont pas assujetties à la réglementation canadienne, ce qui pourrait nuire au marché légal et réglementé au Canada? Avez-vous pris en compte cette préoccupation?
Merci. Il s’agit là d’une bonne question. Nous en avons parlé au comité, ainsi qu’avec d’autres pays. Nous avons ce que nous qualifions de « médias traditionnels », dont il est question dans le projet de loi, ainsi que des applications nationales auxquelles nos jeunes en particulier sont exposés puis, comme vous y avez fait allusion, des applications internationales ou d’origine inconnue qui peuvent être réglementées ou non. C’est là que des discussions deviennent nécessaires. Nous devons tenter de mieux comprendre comment nos partenaires dans le domaine des jeux, tant au niveau national qu’international, gèrent le problème, déterminer certaines des mesures que nous pouvons prendre et ce que nous ne pouvons pas contrôler. Il ne faut pas régler un problème et en créer un autre. Je pense que c’est ce que vous voulez dire, mais il semble qu’il y ait des leçons et des stratégies que nous pouvons apprendre de certains pays qui ont quelques années d’avance sur nous dans ce domaine.
J’ai aimé votre observation lorsque vous avez dit que, selon des travaux de recherche réalisés à l’étranger, l’approche la plus efficace consiste à limiter ce genre de publicités plutôt que de les interdire complètement. Comme vous, je suis préoccupé par le fait que, quand on regarde un match de hockey ou la télévision, on peut voir des publicités qui mettent en scène de grandes vedettes. C’est un gros problème, pour toutes les raisons que vous avez mentionnées.
Nous vivons dans un marché international où les jeunes ne regardent pas la télévision traditionnelle, même lorsqu’il s’agit de parties de la Ligue nationale de football ou de hockey. Nous vivons dans ce monde, mais pas eux. Sur Internet, il y a d’innombrables applications hébergées un peu partout dans le monde qui diffusent des publicités avec des vedettes.
Notre cadre pourrait-il atténuer les risques à ce chapitre? C’est un problème grave, car ce sont ces publicités qui ciblent les jeunes.
Merci, c’est un excellent point. Nous nous sommes interrogés à ce sujet au comité avec certains de nos témoins, et la question est de savoir ce que nous pouvons faire pour contrôler cela. Il a été question par exemple de l’accès avec une carte de crédit : il y a toutes sortes de paramètres quand on se connecte et qu’on fait les transactions. Certains pays, certaines entreprises disent avoir les choses en main et avoir des moyens pour exclure les jeunes. Nos efforts visent en effet les jeunes en particulier.
Il a même été question des paiements par débit par rapport aux paiements par crédit, des étapes qu’il faut franchir en ligne. On en parle vraiment beaucoup, c’est un sujet chaud. Que peut-on faire? Vous savez que le projet de loi vise les publicités, mais je vois que vous vous préoccupez de certaines de ses implications. C’est là‑dessus qu’il faut vraiment se pencher. Nos partenaires disent qu’ils ont les choses en main. Ils essaient de montrer que les entreprises pratiquent un jeu responsable. Ils travaillent sur les leviers dont ils pourraient se servir pour faire un meilleur tri parmi les personnes qui se connectent en ligne et sur ces applications
Il faut le reconnaître, et je sais qu’il s’agit d’un travail de longue haleine. Quand le gouvernement met un cadre en place, vous m’avez entendu parler des cadres un, deux et trois lors de la consultation. C’est sur le deuxième qu’ils travailleront avec les organismes internationaux.