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Énergie, environnement et ressources naturelles

Motion tendant à autoriser le comité à examiner les effets cumulatifs de l’extraction et du développement des ressources--Ajournement du débat

20 février 2020


Conformément au préavis donné le 5 février 2020, propose :

Que le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles soit autorisé à examiner, afin d’en faire rapport, les impacts cumulatifs de l’extraction et du développement des ressources, et leurs effets sur les considérations environnementales, économiques et sociales, dès que le comité sera formé, le cas échéant;

Que le comité soumette son rapport final au plus tard le 31 décembre 2020.

— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de la motion qui constitue un ordre de renvoi au Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. Comme l’indique la motion, j’aimerais que le comité entreprenne une étude des effets cumulatifs de l’extraction et du développement des ressources, et de leurs effets sur les considérations environnementales, économiques et sociales.

L’intérêt que je porte à l’étude en profondeur de cette question vient de l’examen précédent du comité, qui a porté sur le très controversé projet de loi C-69, connu sous le nom de Loi sur l’évaluation d’impact. Grâce à l’étude du projet de loi, qui a duré plusieurs mois au cours de la dernière législature, nous avons pu entendre, de façon très limitée, diverses parties intéressées et membres de la collectivité parler des effets de l’extraction et du développement des ressources. Il a été question des effets positifs et négatifs. Cependant, puisque l’objet de l’étude du comité était le projet de loi C-69, la discussion est demeurée très technique et elle s’est limitée à la portée dudit projet de loi. Par conséquent, j’espère que le comité profitera du temps dont il dispose pour étudier la question plus large, soit les effets de l’extraction et du développement des ressources, et en faire rapport.

Chers collègues, à cause du projet de loi C-69, de nombreux Canadiens estiment que le pays a atteint un point de rupture. C’est évident lorsqu’on entend parler du WEXIT et que l’on constate la division et le fossé évidents qui existent entre l’Ouest et le reste du Canada. Compte tenu de l’importance capitale de cet enjeu de société, il nous appartient, en tant que sénateurs, de jeter un regard neutre et sans contrainte sur cet énorme problème pour essayer de lui donner un sens.

Comme tous mes collègues, je sais qu’il est pratiquement impossible d’étudier une question aussi litigieuse en faisant totalement fi de ses préjugés ou de ses opinions préconçues. Or, je pense que ces points de vue sont nécessaires, car ils découlent en grande partie de nos liens avec les régions que nous représentons et les gens que nous servons. Ces points de vue — ceux qui reflètent ce que pensent les Canadiens — sont nécessaires pour comprendre, au moyen d’un second examen objectif, ce problème complexe, qui continue de s’aggraver comme une plaie ouverte et qui nuit à l’unité de notre grand pays.

À mon avis, il est important que je fasse preuve d’une transparence, d’une ouverture et d’une honnêteté totales lorsque je m’exprime sur un sujet à l’étude au Sénat, que ce soit en comité ou dans cette enceinte. Je vais donc vous expliquer rapidement mon point de vue sur cette question. En ce qui concerne ma région et les gens que je sers, cette étude nous permettra d’examiner de plus près les impacts de l’extraction et du développement des ressources sur les localités situées en milieu rural et dans le Nord. Naturellement, je m’intéresse avant tout aux collectivités et aux gens du Manitoba.

Au cours des décennies où j’ai travaillé comme professionnelle de la santé en milieu rural et éloigné, j’ai toujours été consciente des impacts de l’extraction et du développement des ressources sur ces régions et les gens qui y résident. D’ailleurs, une bonne partie du travail que j’ai fait en tant que sénatrice a porté directement ou indirectement sur cette question.

En tant que sénatrice, j’ai eu la chance de visiter de nombreuses collectivités qui doivent vivre avec les conséquences de l’extraction et de l’exploitation des ressources dans leur région. Les collectivités que j’ai visitées — et je continue de travailler avec elles — ne sont pas situées seulement au Manitoba, mais dans toutes les régions du pays.

Sans entrer dans les détails, je dirai que, selon ce que j’ai vu et entendu, nombre de collectivités de toutes les régions du pays doivent composer avec de graves problèmes de santé qui sont liés à la dégradation de la qualité de la terre, de l’eau et de l’air, ainsi qu’avec des problèmes de santé causés par les substances toxiques qui, lors de l’extraction et de l’exploitation des ressources, sont libérées et se retrouvent inévitablement dans nos écosystèmes. Dans certaines collectivités, un nombre élevé de cancers rares ont été observés à cause de la proximité des sables bitumineux, des mines d’uranium et des usines de pâtes à papier. Je parle notamment de cancers du sang et du système lymphatique, de cancers du tractus biliaire et de cancers des tissus mous.

On s’inquiète aussi pour les moyens de subsistance, puisque la flore et la faune locales se meurent ou sont forcées de se déplacer. Il y a également des inquiétudes liées à la sécurité physique en raison de l’affluence de travailleurs et de l’établissement de camps de travailleurs. Il y a une corrélation indéniable entre la présence de ces camps de travailleurs et l’augmentation de la violence, des agressions sexuelles, de la prostitution, de la traite des personnes à des fins sexuelles, de l’alcoolisme, de la toxicomanie et des attitudes purement racistes et sexistes qui se reflètent dans le comportement de certains travailleurs et même dans les politiques des entreprises.

Ensuite, il y a des inquiétudes liées à la logistique. L’afflux de travailleurs dans un milieu exerce des pressions sur l’infrastructure et les ressources locales, qui n’ont d’autre choix que de fonctionner au-delà de leurs capacités. Cette situation est exacerbée par la population fantôme, un sous-groupe de gens qui avaient quitté la région à la recherche d’un emploi, mais qui reviennent en bloc pour profiter de ces nouveaux débouchés. Ainsi, les services de santé et les services sociaux déjà déficients dans la plupart des communautés autochtones se détériorent encore plus pour atteindre de nouveaux niveaux d’inégalité.

Cela dit, à mon avis, ces inquiétudes sont en partie contrebalancées par les problèmes dont m’ont parlé les gens de l’Alberta, des problèmes que j’aimerais aborder. Les Albertains sont, avec raison, très préoccupés par le taux d’emploi en dents de scie et la présence de puits abandonnés, y compris les énormes coûts qu’ils devront assumer afin de récupérer et restaurer ces sites.

Honorables sénateurs, par l’entremise de cette étude, il me semble utile de chercher à mieux comprendre les obstacles politiques et techniques qui compliquent l’application de solutions axées sur la nature à un grand nombre de ces problèmes importants. La Société pour la nature et les parcs du Canada parle de ces obstacles à la page 6 de son rapport intitulé Des « solutions nature » pour le climat. Ils incluent :

[...] l’absence de politiques qui reconnaissent et responsabilisent les principaux acteurs responsables des émissions écosystémiques de GES; les difficultés qui se présentent aux décideurs lorsqu’ils envisagent des solutions nature pour le climat comme mesures d’atténuation; les lacunes dans les méthodes de comptabilisation des émissions de GES, qui sous-estiment le potentiel de ces solutions en matière de réduction de GES.

Malgré ce point de vue collectif des Autochtones, j’espère sincèrement, chers collègues, que tous les groupes touchés pourront être traités sur un pied d’égalité dans le cadre de cette étude proposée. Je compte sur votre apport pour concrétiser cet espoir.

Quant à moi, j’aimerais que les voix des peuples autochtones, des groupes environnementaux et de l’industrie aient le même poids. Pour expliquer pourquoi j’insiste sur ce point, je vais attirer votre attention sur les statistiques relatives aux lobbyistes pour la mesure législative environnementale que j’ai mentionnée plus tôt, le projet de loi C-69. On rapporte que plus de 80 % des lobbyistes pour le projet de loi au Sénat représentaient l’industrie. En revanche, 13 % des lobbyistes représentaient des groupes environnementaux, et seulement 4 % représentaient les voix des Autochtones. Qui plus est, ce dernier groupe de lobbyistes venait d’une seule communauté très déterminée, à savoir la nation crie de Fox Lake.

La raison de cet écart dans la représentation est assez simple. Sur le plan des infrastructures et des fonds, l’industrie a une plus grande capacité de se mobiliser pour communiquer efficacement son message à Ottawa, et elle a parfaitement le droit de le faire. De nombreuses communautés autochtones n’ont pas les capitaux requis pour venir ici assez aisément, mais elles devraient pouvoir être entendues de façon équitable.

Honorables collègues, c’est pour cette raison que j’espère que les questions d’équilibre, de neutralité et de respect mutuel seront considérées comme des priorités lors de l’examen de cet ordre de renvoi. Comme je l’ai indiqué, j’ai des opinions et des inquiétudes à cet égard, et je suppose que c’est le cas de chacun d’entre vous.

J’aimerais souligner que j’accueille avec respect tous les points soulevés et les avis, qu’ils concordent avec les miens ou non. J’espère que, globalement, les opinions des sénateurs ainsi que les témoins entendus par le comité chargé de l’étude nous permettront de brosser pour les Canadiens un tableau complet du contexte actuel entourant cette question source de controverse.

J’espère également que le rapport final rendra compte de tous les points de vue. Ainsi, les Canadiens y verront leurs opinions représentées, tout comme celles qu’ils ne seraient peut-être pas portés à prendre en compte. Enfin, j’espère qu’un rapport final équilibré et les recommandations qui y seraient formulées contribueraient à des politiques publiques équilibrées et équitables fondées sur une bonne connaissance de tous les angles de la question.

Honorables sénateurs, j’aimerais expliquer pourquoi je propose cet ordre de renvoi dès maintenant, avant la reconstitution du comité. J’aimerais apaiser les inquiétudes en disant que ma justification est purement pragmatique. Comme nous l’avons tous observé au cours de notre carrière sénatoriale, lorsqu’un comité se met à étudier les projets de loi du gouvernement, les choses ont tendance à se précipiter. Une journée, on nous renvoie un projet de loi du gouvernement, puis, quatre mois plus tard, le Parlement fait relâche, juste comme le comité fait enfin rapport du projet de loi. Ce tourbillon laisse souvent dans son sillage les squelettes de projets de loi d’initiative parlementaire et les ordres de renvoi qui avaient été mis de côté pour accorder la priorité aux projets de loi du gouvernement.

Chers collègues, notre Feuilleton est, pour le moment, relativement dégarni, ce qui est plutôt rare. De plus, lorsqu’ils seront reconstitués, nos comités feront table rase, comme il est prévu lorsque le Parlement est dissout. Plutôt que de perdre un temps précieux en annulant des réunions parce que rien ne figure à l’ordre du jour, je crois que nous devrions faire preuve d’opportunisme et préparer cet ordre de renvoi de sorte que le comité, s’il est formé de nouveau, puisse immédiatement s’atteler à la tâche. J’estime qu’une question ayant une telle importance pour notre pays à l’heure actuelle mérite que les nombreux esprits du Sénat l’étudient et en débattent. Si nous, qui sommes ici pour représenter notre région et sa population, n’entreprenons pas d’étude équilibrée et exhaustive de la question, qui le fera?

On dit que seul, on va vite, mais ensemble, on va loin. C’est dans cet esprit que je demande aux sénateurs de choisir d’aller loin dans leur second examen objectif et d’unir nos forces à l’égard de ce dossier d’importance nationale.

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