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Le discours du Trône
Motion d'adoption de l'Adresse en réponse--Suite du débat
3 décembre 2020
Honorables sénateurs, j’aimerais commencer par une prière dans ma langue.
[Note de la rédaction : La sénatrice McCallum s’exprime en cri.]
Merci, Créateur, de m’avoir accordé le privilège de voir un autre jour, de m’avoir prêté encore une fois le souffle de la vie. Merci de m’avoir accordé le privilège de voir la Terre mère encore une fois, car c’est notre raison de vivre. Si nous n’avions pas la Terre mère, nous n’existerions pas. Merci de m’avoir permis d’être ici et de prendre la parole, et merci de m’aider à accomplir le travail nécessaire. Merci aux aînés, qui me guident pour que je puisse dire ma vérité et qui me donnent le courage de rester debout et protéger ceux que j’aime.
Honorables sénateurs, le 23 septembre, la gouverneure générale a prononcé le discours du Trône dans cette Chambre. En voici un extrait :
Chaque jour, des millions de gens sur la planète font face à des fléaux qui mettent l’âme humaine à l’épreuve. Conditions météo extrêmes. Incendies ravageurs. Pauvreté. Conflits. Discrimination et inégalités. Rarement, toutefois, l’humanité a‑t-elle fait face à un ennemi aussi insidieux, un ennemi invisible qui ne respecte aucune frontière, se répand partout et peut frapper n’importe qui.
Un peu plus loin, on peut lire ceci :
Nous, les Canadiens, avons fait notre part […] en prenant soin les uns des autres.
La gouverneure générale parlait alors de la COVID-19, mais il faut garder à l’esprit que l’humanité entière est depuis toujours confrontée à un autre ennemi commun et insidieux, un ennemi invisible qui se moque des frontières, s’épanouit partout, est intentionnel et ne frappe que certaines personnes. Ce qui le rend encore plus dangereux, c’est qu’il s’est infiltré très profondément dans l’ensemble des structures et des processus de la société canadienne, y compris sur la Colline du Parlement. Cet ennemi invisible, c’est le racisme et la discrimination qui en découlent. Leurs conséquences, par contre, ne sont vraiment pas invisibles.
Il s’agit de conséquences déterminées par la société, et c’est dans les fissures causées par le racisme et la discrimination que la COVID-19, comme les autres parasites, s’épanouit et met la nature humaine à rude épreuve. Comment réagissons-nous, en tant que parlementaires, au racisme et à la discrimination clairement présents dans la culture canadienne? Comment prenons-nous soin les uns des autres?
Tout comme beaucoup de gens croient que la COVID-19 n’est qu’un canular, beaucoup d’autres croient qu’il n’existe pas de racisme au Canada. Comme on le sait, la COVID-19 a toutefois mis en lumière des failles et des lacunes là où la société a manqué de diligence et n’a pas veillé à ce que l’égalité, l’équité et la justice règnent pour tout le monde. La COVID-19 s’en prend aux personnes les plus marginalisées, dont bon nombre n’ont pas la chance de s’exprimer, comme c’est le cas de la majorité des résidents des centres de soins et de ceux qui ont été placés en institution.
La COVID s’en prend aussi à des gens qui peuvent s’exprimer, mais dont la voix attire peu d’attention ou a été réduite au silence, comme celle des Premières Nations, des Inuits et d’autres Canadiens dont les besoins fondamentaux ne sont pas comblés. Quand elles sont causées par l’homme, les inégalités mettent l’âme humaine à l’épreuve d’une manière différente, car elles ont pour source les mauvaises intentions et la malveillance.
Honorables sénateurs, la socialisation vue sous le prisme des politiques et des programmes destinés aux Premières Nations est un bon exemple de racisme institutionnel. La seule réforme fondamentale qui a été envisagée jusqu’ici fut d’ajouter des politiques aux programmes et aux systèmes existants et de trouver des moyens d’atténuer la confusion qui en résultait invariablement. Voilà pourquoi, d’un point de vue historique, le racisme institutionnel dont font l’objet les Premières Nations est constitué de couches et de couches de politiques et de programmes d’une autre époque. Le danger, c’est que le chaos qui en est résulté ne devienne la source de stéréotypes à l’endroit des Premières Nations.
Si vous deviez vivre constamment avec la possibilité que les règles changent soudainement et vous empêchent du jour au lendemain de vous faire soigner, que les règles inscrites dans l’entente de contribution que vous avez signée changent elles aussi du tout au tout et que vous soyez tout à coup privé du financement que vous receviez jusque-là, vous aussi vous auriez la tête qui tourne.
Le danger, c’est que, quand une société refuse de soutenir un segment déjà marginalisé de sa population — en l’occurrence les Premières Nations — ou d’en honorer les droits, le silence qui en découle sert de prétexte aux gens au pouvoir pour continuer à rédiger des politiques et des lois visant à l’asservir encore davantage. Comme on l’a vu dans cet exemple, le grand public s’estime alors en droit d’agir lui aussi de manière raciste et discriminatoire, et ce, en toute impunité et bien souvent avec l’appui des forces de l’ordre — ici la GRC. Si vous saviez le nombre d’anecdotes que je pourrais vous raconter, certaines ayant même le Sénat comme décor.
Par exemple, une sénatrice pense qu’elle peut raconter le récit de ma propre expérience dans un pensionnat autochtone et contester ma version des faits, arguant que la sienne est la bonne, invalidant ainsi complètement mon expérience.
Autre exemple : les Canadiens pensent qu’ils peuvent faire fi de la primauté du droit et d’un arrêt de la Cour suprême, et commettre impunément des actes de violence, comme on l’a vu chez les Mi’kmaqs.
Dans un ouvrage intitulé « A Mind Spread Out on the Ground », à la page 104, Alicia Elliott déclare :
Brent Bezo, dans The Impact of Intergenerational Transmission of Trauma from the Holodomor Genocide of 1932-1933 in Ukraine, explique comment l’Holodomor, la famine imposée qui a tué des millions d’Ukrainiens, a miné la vie des victimes :
[Les survivants de l’Holodomor] racontent que la confiscation des aliments, des biens personnels et de leur domicile les a « dépouillés » et privés complètement de moyens traditionnels pour s’occuper d’eux-mêmes et de leur famille et subvenir aux besoins de celle-ci en toute autonomie. Cette perte a été perçue comme une « destruction » de l’autonomie, un « acte délibéré visant à briser la résistance du peuple ukrainien » et à « lui indiquer qu’il n’accéderait jamais à l’indépendance. »
Elle poursuit ainsi :
Lorsque j’ai lu cela pour la première fois, j’ai eu le souffle coupé. Jamais auparavant je n’avais vu une personne non autochtone résumer avec autant de concision comment fonctionnait l’expérience du génocide subi par mon peuple [...]
À la page 23 du chapitre « On Seeing and Being Seen », Mme Elliott écrit :
J’ai entendu que lorsque nous voyons un être que nous aimons, nos pupilles se dilatent comme si nous voulions le dévorer des yeux indéfiniment.
Je ressens cet amour quand je rencontre d’anciens élèves des pensionnats autochtones.
Honorables sénateurs, lorsque j’ai été nommée au Sénat, je ne m’attendais pas à ce qu’une autre sénatrice écrive sur l’expérience des membres des Premières Nations dans ces pensionnats. Je ne m’attendais pas non plus à ce que son récit soit accepté comme réel par les Canadiens, et que ces derniers croient davantage sa version des faits que la mienne et celle des milliers d’anciens élèves des pensionnats autochtones. Elle s’est non seulement appropriée ces expériences personnelles, mais elle les a aussi présentées sous un faux jour, à partir de seulement quelques exemples.
Son récit, tout comme ses partisans, perpétue les stéréotypes contre les Autochtones en les montrant comme des ivrognes dysfonctionnels et paresseux ne payant pas d’impôt, voulant vivre de l’aide sociale et ayant le culot de ne pas tirer des leçons des « expériences heureuses » dans les pensionnats autochtones. Honorables collègues, pourquoi les projecteurs canadiens sont-ils constamment braqués sur nous de manière négative?
Comme je l’ai dit au début, le racisme insidieux prospère partout, y compris dans cette assemblée. Comme la gouverneure générale l’a dit dans le discours du Trône, « [p]our trop de Canadiens, le racisme systémique est une réalité bien présente ».
Cette histoire racontée par une Blanche était-elle plus « indienne » que celles d’anciens élèves, dont la mienne? Le simple fait d’avoir retiré les histoires publiées sur le site Web n’a pas effacé leurs répercussions. Elles ont le potentiel de perpétuer les pensées racistes et les actes discriminatoires qui peuvent colorer toute une vie. Chose certaine, les histoires ont suscité une vague de lettres haineuses qui sont toujours en circulation.
Comme Mme Elliot l’explique à la page 30 de son livre :
Si vous ne pouvez pas écrire sur nous [...] pour raconter qui nous sommes en tant que peuple, les épreuves que nous avons traversées et ce que nous avons accompli malgré toutes les tentatives de nous en empêcher, si vous ne pouvez pas nous regarder tels que nous sommes et écarquiller les yeux, en faisant de tous les stéréotypes une imposture, une pâle copie, une honte, pourquoi donc vouloir écrire sur nous?
Honorables sénateurs, la sénatrice Beyak a donné un exemple des actes de discrimination de longue date qui sont perpétués envers les anciens élèves des pensionnats autochtones et leurs descendants. Comme le virus qui nous touche tous en ce moment, elle est parvenue à s’infiltrer dans les failles de la relation entre les Premières Nations et les différents ordres de gouvernement et les autres Canadiens. Elle a dénigré un groupe de concitoyens, et elle pense pouvoir s’en tirer à bon compte.
La sénatrice Beyak a été suspendue par le Sénat et a dû accomplir certaines tâches. Ensuite, le Comité permanent sur l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs a présenté un rapport au Sénat dans lequel il recommandait sa réintégration. En temps normal, le rapport ferait l’objet d’un examen par le Sénat et serait mis aux voix.
En raison de la prorogation de cet été, la suspension de la sénatrice Beyak a pris fin et celle-ci a repris ses fonctions sans que le Sénat se soit prononcé au sujet du rapport du comité sur l’éthique. Si l’on fait abstraction du bien-fondé de la suspension, il est troublant que les choses se terminent ainsi.
Chers collègues, c’est troublant pour deux raisons.
Premièrement, si nous prenons au sérieux nos responsabilités de surveillance de la conduite des sénateurs et que nous nous tenons mutuellement responsables de nos écarts de conduite, nous avons le devoir d’aller jusqu’au bout du processus. Nous ne devons pas laisser la prorogation nous empêcher de faire notre travail. Ce n’est pas ce qu’une institution responsable ferait ou devrait faire. Dans l’état actuel des choses, ne rien faire de plus équivaut à déléguer au comité sur l’éthique la décision relative à la réintégration de la sénatrice Beyak. Je ne pense pas qu’une question comme celle-ci puisse faire l’objet d’une délégation du Sénat ni d’une décision du comité sur l’éthique.
Normalement, après la prorogation, le comité présenterait de nouveau son rapport au Sénat et ce dernier continuerait son examen de cette question importante.
La deuxième préoccupation concerne la sénatrice en question dans une situation comme celle-ci. Si un sénateur remplit les conditions de sa réintégration, je considère que ce sont ses pairs qui devraient en décider et non pas le simple fait que la période de suspension a pris fin.
Alors je vous le demande, chers collègues, le Sénat peut-il être une institution crédible s’il ne dispose pas de processus pour régler ce genre de questions en respectant certains principes? À l’heure actuelle, il ne semble pas que nous disposions de ce genre de processus ou, du moins, que nous y ayons recours. C’est ce manque de volonté ou cette incapacité d’agir que nous devons traiter en interne, sous peine de devenir une institution fédérale qui perpétue le racisme systémique.
Honorables sénateurs, comme l’a souligné la gouverneure générale dans le discours du Trône : « Il reste encore du travail à faire, notamment sur le chemin de la réconciliation et dans la lutte contre le racisme systémique. »
Merci.