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Projet de loi modifiant la Loi électorale du Canada et le Règlement adaptant la Loi électorale du Canada aux fins d’un référendum (âge de voter)

Deuxième lecture--Suite du débat

3 décembre 2020


L’honorable Julie Miville-Dechêne [ + ]

Je prends la parole pour donner mon appui à l’étape de la deuxième lecture au projet de loi S-209, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et le Règlement adaptant la Loi électorale du Canada aux fins d’un référendum (âge de voter).

Je remercie la sénatrice Marilou McPhedran de cette initiative lancée en collaboration avec son précieux Conseil jeunesse. Un des membres de ce conseil, la Fransaskoise Janie Moyen est d’avis que les jeunes Canadiens sont instrumentalisés en politique. Les politiciens parlent au nom de la jeunesse, mais la jeunesse n’a pas son mot à dire. J’ai aussi trouvé très pertinent le témoignage de Maisy Evans, âgée de 17 ans, membre du Parlement jeunesse du pays de Galles, qui a participé à la campagne pour l’inclusion des jeunes dans ce pays. Les jeunes Gallois de 16 et 17 ans pourront voter pour la première fois en 2021. Cela n’a pas été facile, a admis Maisy Evans, mais l’argumentaire des jeunes militants a fini par triompher. Si on paie des impôts à 16 ans, pourquoi donc ne peut-on pas voter, afin d’avoir son mot à dire sur la façon dont les deniers publics sont dépensés? Une proportion de 59 % des Gallois consultés a approuvé la réforme, qui a déclenché un véritable débat à travers le pays de Galles.

Lors des élections fédérales d’octobre 2015, le taux de participation des jeunes de 18 à 24 ans était de 57 %, ce qui est beaucoup plus bas que le taux de participation général de 68 %. On s’en est réjoui quand même, car il y avait eu une forte hausse du vote chez les 18 à 24 ans par rapport au dernier scrutin. Au-delà de ce vote hors de l’ordinaire en 2015, on observe un déclin de la participation électorale des jeunes depuis les années 1990. Ce déclin est troublant, car les élections sont considérées comme la principale courroie de transmission de la participation politique des citoyens.

Que faire? L’idée de permettre aux jeunes de 16 et 17 ans de voter est séduisante. Au fil des décennies, on a progressivement abaissé l’âge du vote et élargi ce droit aux locataires, aux femmes, aux Autochtones, aux personnes de couleur et de certaines confessions religieuses, et ce, afin de favoriser une démocratie plus représentative. À chaque étape, les partisans du statu quo ont mis en doute la capacité de voter de telle ou telle catégorie de citoyens.

Souvenons-nous des arguments d’Henri Bourassa, éditorialiste au journal Le Devoir en 1918, selon lequel les femmes ne devaient pas obtenir le droit de vote. Je le cite :

La principale fonction de la femme est et restera — quoi que disent et quoi que fassent, ou ne fassent pas, les suffragettes — la maternité, la sainte et féconde maternité, qui fait véritablement de la femme l’égale de l’homme et, à maints égards, sa supérieure. Or la maternité exclut forcément les charges trop lourdes — le service militaire, par exemple, — et les fonctions publiques. Si l’on persiste à parler de « droits », de « privilèges », je dirai que la maternité vaut à la femme le « droit » et le « privilège » de n’être ni soldate, ni électrice.

C’est encore ce que l’on fait pour les citoyens de 16 et 17 ans quand on invoque leur manque de maturité. Je serais bien curieuse de mesurer la maturité politique de la population en général. Il est clair, en tout cas, que l’âge n’est certainement pas une garantie de maturité. On peut trouver toutes sortes de contre-exemples pour illustrer que la maturité politique n’est assurément pas une caractéristique réservée aux générations plus âgées. Les médias sociaux en regorgent. Si le droit de vote était fondé sur une exigence de capacité, d’autres groupes démographiques pourraient voir leurs droits civiques remis en question.

À 16 ans, un jeune est présumé capable de faire des choix informés : il peut travailler, payer des impôts, devenir membre d’un parti et prendre des décisions sur les soins médicaux qu’il souhaite obtenir ou non. C’est également l’âge du consentement sexuel. Une jeune fille de 16 ans a le droit de décider seule de subir un avortement et a la capacité légale de se marier, puisqu’il s’agit de l’âge minimum prescrit par la loi. Il me semble que ce sont des responsabilités importantes qui indiquent qu’à 16 ans, on a atteint une certaine maturité.

Accorder le droit de vote aux jeunes de 16 et 17 ans pourrait réduire l’apathie politique chez ceux-ci, selon un professeur de science politique de l’Université du Nouveau-Brunswick, Paul Howe. Les jeunes votent moins que ceux des générations précédentes, notamment, selon lui, parce qu’on vit dans une société plus individualiste.

Une enquête européenne a indiqué qu’il y a un lien entre la fréquentation d’un établissement scolaire et la participation électorale. Seulement 50 % des personnes ayant quitté le système de l’éducation à 15 ans votent, contre 80 % pour celles qui l’ont quitté à 20 ans. De plus, ceux qui votent pour la première fois continueront de le faire, parce que voter devient pour eux une habitude, par opposition à ceux qui commencent à voter plus tard. Certains experts avancent que le droit de vote accroîtrait donc la conscience et l’engagement politiques parmi les adolescents. Ces tendances sont intéressantes, car elles suggèrent qu’un jeune de 16 ou 17 ans qui est encore étudiant, et qui vit chez ses parents, sera plus enclin à participer à une élection que les jeunes de 18 à 24 ans qui ont quitté le foyer familial.

Pourtant, il y a une forte résistance à accorder le droit de vote aux jeunes de 16 et 17 ans. Les adversaires les plus tenaces de cette idée affirment que, en raison de leur expérience limitée, les moins de 18 ans sont plus influençables et, par conséquent, plus enclins à voter pour des personnes connues, comme des célébrités. Les jeunes seraient plus enclins à voter pour des partis extrémistes ou pour des partis qui sont contre le système.

Ces arguments ne tiennent pas la route quand on examine la situation dans les pays ou les localités où l’on permet aux jeunes de 16 et 17 ans de voter. Des recherches effectuées dans trois États allemands durant les élections locales ont révélé que les nouveaux électeurs votent différemment de leurs aînés, sans toutefois manifester une tendance uniforme vers la gauche ou la droite. Les jeunes de 16 et 17 ans n’étaient pas particulièrement enclins à voter pour des partis d’extrême gauche ou d’extrême droite dans aucun de ces États.

Plusieurs recommandent d’y aller par étapes et de donner le droit de vote aux jeunes de 16 et 17 ans, dans un premier temps, à l’occasion d’élections locales ou régionales, car ce sont des enjeux qui touchent de plus près les électeurs et qui sont donc plus faciles à comprendre pour les moins de 18 ans.

Soyons francs : 85 % des pays accordent le droit de vote à leurs citoyens à partir de 18 ans, donc à l’âge adulte, mais six pays ont tout de même abaissé l’âge de voter à 16 ans, soit l’Argentine, l’Autriche, le Brésil, Cuba, l’Équateur et le Nicaragua.

L’Autriche est le premier pays membre de l’Union européenne qui a lancé une telle réforme en 2007. Elle a déclenché peu de controverse, car quatre partis sur cinq ont appuyé l’élargissement du droit de vote aux plus jeunes. Plusieurs études montrent que l’impact de cette réforme est généralement positif, mais il faut noter que l’intérêt croissant et le haut niveau de participation électorale chez les 16 à 17 ans dépendent de leur éducation et de leur statut social. Il y a quand même une raison d’être optimiste, et c’est que les jeunes de 16 et 17 ans votent davantage que ceux de 18 à 20 ans et presque autant que les tranches d’âge supérieures. Il faut souligner également qu’il y a eu d’importantes campagnes de sensibilisation.

Je trouve que l’exemple du référendum en Écosse est vraiment inspirant. On a étendu le droit de vote aux 16 et 17 ans spécifiquement pour cette consultation en 2014, et cela a été un succès. En effet, 75 % des jeunes de 16 et 17 ans qui s’étaient inscrits sur la liste électorale ont indiqué avoir voté, et 97 % de ces jeunes électeurs ont indiqué qu’ils voteraient encore à l’avenir lors de référendums ou d’élections. Fait encore plus intéressant, 40 % des jeunes de 16 et 17 ans disent avoir voté différemment de leurs parents. Ils auraient aussi recouru à une diversité de sources d’information plus étendue que les autres groupes d’âge. Il faut dire qu’il s’agissait d’une consultation extraordinaire, puisque les Écossais devaient décider s’ils se séparaient du Royaume-Uni.

Les moins de 18 ans comptent pour le quart de la population canadienne et, pourtant, ils sont dépourvus de représentation politique et ils ont bien peu d’influence sur les questions qui vont affecter leur vie, que ce soit la gestion de l’environnement ou les priorités dans les dépenses gouvernementales. Le comité national canadien pour l’UNICEF s’est prononcé en 2016 en faveur du droit de vote des 16 et 17 ans dans le cadre d’un projet de loi en ce sens émanant d’un député.

Je cite le mémoire de l’UNICEF :

La prescription d’un âge minimal dans le cadre des lois [...] vise généralement à protéger les jeunes contre la prise de décisions ou l’exercice de droits jugés au-delà de leur capacité ou pouvant mettre eux-mêmes ou autrui en danger [...] certains seuils sont arbitraires et fondés sur une présomption de capacité chez l’adulte et d’incapacité chez l’enfant.

Les normes et les croyances qui sont à l’origine de ces prescriptions ne sont pas toujours basées sur des données probantes. En fait, UNICEF Canada a conclu qu’il n’y avait aucun avantage protecteur à interdire aux jeunes de 16 et 17 ans de voter. Oui, la consommation d’alcool ou de marijuana comporte un risque réel, et c’est la raison pour laquelle on en interdit l’achat pour les mineurs, mais personne n’est menacé si les jeunes participent aux élections.

En conclusion, abaisser le droit de vote à 16 ans est un geste démocratique et cela accroîtrait la représentativité de l’électorat. Le Sénat est un bon endroit pour tenir ce débat. Je crois qu’il y a bien peu de risques et qu’il y a tout à gagner en accordant le droit de vote aux 16-17 ans, qui représentent, après tout, seulement 2,9 % du nombre total d’électeurs admissibles.

Merci de m’avoir écoutée.

L’honorable Pierrette Ringuette (Son Honneur la Présidente suppléante) [ + ]

Est-ce que la sénatrice accepterait de répondre à une question?

La sénatrice Miville-Dechêne [ + ]

Oui, certainement.

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) [ + ]

J’espère prendre la parole ultérieurement au sujet de ce projet de loi. Je reviens sur les statistiques dont vous nous avez fait part concernant l’Écosse. Vous avez dit que les personnes âgées de 16 et 17 ans avaient voté différemment de leurs parents. Savez-vous si leur vote a été influencé, disons, par leur enseignant en matière politique? Je suis simplement curieuse, d’autant plus que les étudiants passent souvent plus de temps en classe qu’à la maison. Ma question vise simplement à satisfaire ma curiosité par rapport à ces statistiques.

La sénatrice Miville-Dechêne [ + ]

Dans les études que j’ai consultées, je n’ai rien vu qui indiquait que l’on avait posé cette question aux enseignants, alors je ne connais pas la réponse. Évidemment, les études ne montrent qu’une partie de la réalité. Cela dit, j’ai trouvé plutôt intéressant que 40 % de ces jeunes n’aient pas voté comme leurs parents. En général, l’un des arguments que l’on fait valoir contre l’idée de permettre aux jeunes de 16 ou 17 ans de voter est que ces derniers sont très influençables et qu’ils adoptent généralement l’opinion de ceux qui les entourent. Or, cela peut aussi vouloir dire les parents.

J’ai trouvé ce cas intéressant. Toutefois, comme vous le savez peut-être, cette permission ne valait que pour le référendum. Nous savons qu’un référendum est une occasion très spéciale. De toute évidence, à la lecture de cette étude, j’ai pensé au Québec. Il aurait été intéressant de voir les résultats de nos deux référendums si les jeunes avaient pu voter, puisqu’ils étaient beaucoup plus nombreux que les personnes plus âgées à réclamer l’indépendance. Cela ne fait pas partie de mon discours, mais c’est une réflexion que j’ai eue quand j’ai lu cette étude.

La sénatrice Martin [ + ]

Je suis curieuse de savoir si les écoles secondaires du Québec participent au programme Vote étudiant. À chaque élection tenue en Colombie-Britannique, un scrutin parallèle a lieu dans les écoles et souvent, les résultats en sont différents. Cela aussi est intéressant. Le Québec participe-t-il à ce genre de programmes? C’est une excellente façon de préparer les jeunes à voter lorsqu’ils auront l’âge de le faire.

La sénatrice Miville-Dechêne [ + ]

Malheureusement, je dois dire que l’éducation civique au Québec n’est pas très avancée. Il n’y a pas de tel programme, qui est excellent d’ailleurs. Il y a le Cercle des jeunes parlementaires, qui accueille des jeunes au Parlement, mais il n’existe pas de programme généralisé de vote dans les écoles en marge des élections provinciales.

Quelques écoles organisent des simulations de scrutin, mais elles sont peu nombreuses à le faire.

Son Honneur la Présidente suppléante [ + ]

Sénatrice Martin, il vous reste 25 secondes pour poser des questions.

Sénatrice Miville-Dechêne, demandez-vous cinq minutes de plus?

La sénatrice Miville-Dechêne [ + ]

Non, je ne veux pas retarder les travaux.

La sénatrice Martin [ + ]

Merci.

L’honorable Ratna Omidvar [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi S-209, qui modifierait la Loi électorale du Canada afin d’abaisser de 18 à 16 ans l’âge de voter aux élections fédérales.

Je tiens à féliciter la sénatrice McPhedran des efforts qu’elle déploie afin que les jeunes Canadiens puissent participer à la démocratie. J’appuie son travail dans ce dossier.

J’aimerais commencer en parlant de l’histoire, car historiquement, la désignation de ceux qui peuvent voter n’a jamais été figée. Le droit de vote a toujours évolué, et il en sera probablement toujours ainsi. Comme nous l’avons entendu à maintes reprises, en 1885, seuls les hommes britanniques propriétaires âgés de 21 ans pouvaient voter. Aujourd’hui, tous les citoyens canadiens âgés de 18 ans ou plus peuvent voter, peu importe leur sexe, leur revenu ou leur origine ethnique, et peu importe s’ils sont propriétaires ou non.

Cela dit, chaque fois que le droit de vote a évolué, des gens s’y sont opposés. La sénatrice Miville-Dechêne a souligné certaines des objections que j’ai relevées dans mes recherches. Je suis tombée sur ce qui s’est passé en 1918, lorsque les femmes ont obtenu le droit de vote. Le sénateur Hewitt Bostock a fait valoir ceci :

[Les femmes] seront exposées à des choses qu’elles n’aiment pas, donc il est fort probable qu’elles n’exerceront pas leur droit de vote.

Je suis certaine que de nombreuses femmes répugnent à entendre ce genre de propos.

Je dois dire que j’ai aussi entendu de nombreux arguments contre l’abaissement de l’âge du vote à 16 ans, alors au lieu de vous vanter les vertus de cette idée, je vais plutôt m’employer à faire tomber les objections qui s’y rapportent.

La première qui vient à l’esprit des gens, c’est que les jeunes sont trop jeunes, justement, pour comprendre les tenants et les aboutissants d’une chose aussi complexe que le vote. On ne peut donc pas raisonnablement s’attendre à ce qu’ils fassent des choix éclairés. De plus, le cerveau d’un jeune de 16 ans n’est pas suffisamment développé pour lui permettre de faire des choix logiques. De toute façon, à quoi bon donner le droit de vote aux jeunes de 16 ans, puisqu’ils vont presque assurément voter comme leurs parents le leur dictent? Résumons : les jeunes sont trop jeunes, ils ne sont pas assez mûrs et ils sont trop impressionnables. Ils n’ont pas l’expérience nécessaire pour exercer le plus précieux de tous les droits accordés aux citoyens, celui de voter.

Au lieu de simplement vous donner mon opinion, je me permettrai de vous illustrer ce qui est arrivé là où on a décidé d’abaisser l’âge du vote. En 2007, l’Autriche a accordé le droit de vote aux citoyens âgés de 16 ans et plus. Nous avons donc 13 années de données à étudier. Que nous disent-elles, ces données? Que le taux de participation parmi les Autrichiens de 16 et de 17 ans est sensiblement plus élevé que parmi les électeurs âgés de 18 à 20 ans et qu’il n’est pour ainsi dire pas plus bas que parmi la population en général. On voit donc que, quand les jeunes ont la possibilité de voter, ils le font.

Passons maintenant à la question de la maturité et à l’objection voulant qu’on ne puisse pas faire confiance aux jeunes pour faire des choix éclairés et qu’ils risquent fort de voter simplement pour le principe de voter, sans comprendre les répercussions de leur choix. Autrement dit, ils n’ont pas les connaissances requises pour bien saisir les nuances du discours politique du jour, ce genre de chose.

Chers collègues, en passant, si cela vaut pour les jeunes, je dirais que c’est également le cas pour de nombreux adultes.

Mais, encore une fois, je prends exemple sur les pays qui ont donné le droit de vote aux jeunes afin de déterminer si cet argument tient la route. Une étude menée en Autriche avant l’élection du Parlement européen de 2009 a démontré que les jeunes avaient voté selon leurs préférences politiques tout autant que les électeurs plus âgés. Ils n’étaient pas ignorants du contexte, bien au contraire : ils avaient une préférence politique distincte, qui se traduisait dans leur vote.

Ensuite, il y a l’argument selon lequel les cerveaux des adolescents ne maîtrisent pas les processus logiques qui sont nécessaires pour voter. Selon les neuroscientifiques, dans les scénarios où les tâches sont principalement cognitives, les adolescents présentent des niveaux de compétence similaires à ceux des adultes. Cela signifie que lorsque le niveau de stress est faible et qu’ils ont le temps d’évaluer différents choix, les jeunes sont effectivement capables de prendre des décisions réfléchies. Voter ne se fait pas sur un coup de tête. Au contraire, on a le temps d’y réfléchir. Les jeunes sont capables de prendre des décisions raisonnables, tout autant que les électeurs adultes.

Enfin, sur le plan de l’influence parentale, les gens se demandent à quoi il sert de permettre aux jeunes de voter puisqu’ils ne feront que voter comme leurs parents leur disent de le faire. Je ne peux pas me prononcer au sujet de vos enfants, chers collègues, mais dans ma famille, c’est presque toujours le contraire qui est vrai. Les enfants ont des points de vue, des priorités et des opinions et ils n’hésitent pas à dire aux adultes, surtout à leurs parents, ce qui ne va pas dans le monde.

Comme l’a souligné la sénatrice Miville-Dechêne, avant le référendum sur l’indépendance de l’Écosse en 2014, plus de 40 % des personnes de moins de 18 ans ont indiqué une intention de vote différente de celle de leurs parents. Il est clair que les jeunes ont un esprit bien à eux.

De plus, l’influence ne va pas seulement dans un sens, elle va dans les deux sens. Les jeunes peuvent aussi influencer l’engagement civique et les attitudes de leurs parents. Mes enfants m’ont certainement influencé en ce qui concerne le réchauffement de la planète et les changements climatiques.

Il y a de nombreuses raisons d’examiner sérieusement cette proposition. Elle aura un effet bénéfique sur la participation générale à long terme, car il est probable les jeunes de moins de 18 ans fréquentent encore l’école et vivent encore avec leur famille — deux facteurs qui favorisent la participation, selon les études. Je pense que le fait de permettre aux jeunes de voter leur apprendra à voter dans un environnement plus protégé. À long terme, le taux de participation plus élevé à un jeune âge pourrait devenir une bonne habitude que les jeunes garderont toute leur vie.

Cependant, la raison la plus importante d’accorder le droit de vote aux jeunes est que l’avenir leur appartient. Nous prenons dans cette enceinte des décisions qui ont des répercussions importantes sur leur vie; des décisions concernant le cannabis, l’étiquetage des aliments, l’aide médicale à mourir, ce qu’ils achètent, l’élimination du travail forcé dans les chaînes d’approvisionnement des produits qu’ils achètent, les conséquences de la pandémie sur leur vie et les changements climatiques.

Les jeunes se plaignent souvent que les élites politiques plus âgées contrôlent leur avenir. En leur donnant le droit de vote à cet âge, nous pourrons entendre leurs opinions et les prendre au sérieux.

Je ne veux pas plaider pour l’abaissement de l’âge de voter sans parler de l’éducation civique; l’un ne va pas sans l’autre. En Autriche, par exemple, l’abaissement de l’âge de voter a été assorti de campagnes de sensibilisation et d’un renforcement de la place de l’éducation civique dans les écoles. En ce qui concerne l’éducation civique, l’ensemble des provinces et territoires incluent cette matière dans leurs programmes scolaires. Comme l’a souligné la sénatrice Martin, il existe bien sûr des programmes comme Vote étudiant qui vont dans les écoles et sensibilisent les jeunes. J’aimerais toutefois que la matière devienne obligatoire dans les programmes scolaires au Canada.

Chers collègues, je vais terminer ma brève allocution avec un dernier argument. Les jeunes hériteront des résultats des décisions que nous prenons. Il est temps que nous leur donnions la chance de façonner leur avenir et le nôtre aux urnes. Il s’agit d’une question importante. J’exhorte le Sénat à renvoyer le projet de loi au comité pour qu’il soit examiné de plus près. Merci beaucoup.

Son Honneur la Présidente suppléante [ + ]

Sénatrice Martin, avez-vous une question?

La sénatrice Martin [ + ]

J’ai une question pour la sénatrice Omidvar.

Son Honneur la Présidente suppléante [ + ]

Sénatrice Omidvar, accepteriez-vous de répondre à une question?

La sénatrice Omidvar [ + ]

Absolument.

La sénatrice Martin [ + ]

Merci.

Je conviens que l’éducation civique sera très importante pour les étudiants. Croyez-vous aussi que nous devrions développer la littératie financière des élèves et leur enseigner les principes économiques de base et l’incidence économique des décisions — ces éléments sont également importants — en plus de certains autres programmes?

La sénatrice Omidvar [ + ]

Sénatrice Martin, on voit clairement que nous avons toutes les deux été enseignantes dans notre passé. Nous privilégions toutes les deux une éducation qui cadre avec l’époque. Je ne peux donc qu’être d’accord avec votre affirmation selon laquelle la littératie financière est essentielle pour aider les jeunes à acquérir de la maturité. L’éducation civique devrait comprendre les fondements de la fiscalité, et cetera, pour que les enfants comprennent ce sujet important.

Toutefois, je crois que la véritable difficulté consiste à persuader les systèmes scolaires provinciaux d’augmenter le temps alloué à l’éducation civique. Celle-ci varie considérablement d’une région à une autre du pays. Selon moi, il s’agit d’un sujet très important à étudier en comité.

Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer le projet de loi S-209, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et le Règlement adaptant la Loi électorale du Canada aux fins d’un référendum (âge de voter), qui vise à faire passer l’âge de voter de 18 à 16 ans.

Je remercie la sénatrice McPhedran non seulement de parrainer le projet de loi, mais aussi de m’avoir mise au défi de passer outre ma zone de confort, mes préjugés et ma conviction de savoir ce qui est dans l’intérêt des jeunes.

Comme l’a affirmé la sénatrice McPhedran dans son allocution, l’un des bienfaits potentiels du projet de loi est la revitalisation de la démocratie. Aux yeux d’une femme crie, le projet de loi redynamise les jeunes des Premières Nations et les jeunes métis, inuits et autochtones non inscrits et les appuie dans leur processus d’autodétermination. Les jeunes se font dire sans cesse qu’ils sont les leaders de demain et qu’ils sont l’avenir. Si c’est le cas, tâchons de voir quelles sont les ressources nécessaires pour les aider à faire le travail qui les attend.

Lorsque j’ai découvert pour la première fois l’idée de faire passer l’âge de voter à 16 ans, je n’arrivais pas à comprendre comment on pouvait voter à 16 ans. Lorsque j’ai parlé à d’autres membres des communautés métisses, inuites et des Premières Nations, ils ont exprimé les mêmes réserves que moi. On craignait que cela puisse imposer un fardeau supplémentaire alors que bien des jeunes de 16 ans ont une vie mouvementée et doivent composer avec des changements hormonaux, un traumatisme intergénérationnel, un taux élevé de suicide, des problèmes de violence familiale et un accès inadéquat à l’éducation.

À l’heure actuelle, bien des gens, y compris des politiciens et des décideurs, font fi des préoccupations des jeunes parce qu’ils ne font pas partie de l’électorat, et c’est une bien piètre excuse.

Honorables collègues, lorsque je suis retournée dans ma réserve, dans les années 1990, afin d’offrir des soins en tant que dentiste, j’étais déjà consciente des effets des déterminants sociaux de la santé. Afin d’en apprendre davantage, j’ai fait du travail bénévole dans des comités scolaires et je me suis penchée sur des questions liées à l’éducation, à l’aide sociale et au logement. En tant que présidente d’un comité scolaire, j’ai été témoin du cycle négatif qui se produisait. Les enfants ne comprenaient pas ce qu’on leur enseignait en classe, ou alors il n’étaient pas assez stimulés sur le plan intellectuel, si bien que leur curiosité a diminué, tout comme la fréquentation scolaire.

En tant que dentiste dans ma réserve pendant sept ans, je me rendais dans les salles de classe trois fois par an pour parler aux élèves de la vie dans notre communauté et au Canada. Je leur parlais de la raison d’être des traditions, et je leur demandais quels étaient leurs buts dans la vie. En échange, ils me disaient comment ils imaginaient atteindre ces buts et ce qui, d’après eux, les rendrait des meilleurs élèves.

Les jeunes sont capables d’acquérir les compétences et les atouts requis pour prendre des décisions raisonnables, à condition de disposer des soutiens nécessaires.

En tant que membre d’un comité scolaire, j’ai eu l’occasion de discuter et d’interagir avec les gens dans la communauté, tant les Métis que les membres des Premières Nations, et d’apprendre à connaître de nouveau les attentes des employés, des élèves, des parents et des aînés. J’ai vu de mes propres yeux l’effet de l’intervention du gouvernement dans la vie privée des membres des Premières Nations dans les réserves. Beaucoup des attitudes, des comportements et des traits de caractère qui sont considérés depuis longtemps comme inhérents aux Premières Nations étaient, en fait, le produit du processus ordinaire de socialisation.

Les programmes du gouvernement mis sur pied pour les Premières Nations contribuent grandement à la détermination de la nature de cette socialisation. La dépendance devient donc un rôle social que les membres des Premières Nations doivent apprendre à jouer, rôle qu’ils jouent, d’ailleurs, depuis de nombreuses générations. Cela doit cesser, et nous, les sénateurs, grâce à ce projet de loi, avons maintenant une occasion en or d’appuyer un aspect de l’autodétermination des jeunes, à savoir leur droit de se faire enseigner les compétences nécessaires pour devenir et rester actifs sur le plan politique.

On peut lire ce qui suit dans la préface, à la page 8, du livre The Making of Blind Men: A Study of Adult Socialization, par Robert A. Scott :

Cette étude constitue une analyse de cas percutante d’un handicap humain majeur et d’un ensemble d’institutions sociales conçues pour répondre aux besoins des personnes qui en sont atteintes. Elle présente également des informations de base en sciences sociales qui peuvent être prises en compte pour comprendre le handicap et les méthodes employées par les institutions. L’élément clé de l’étude de M. Scott est présenté au début, que voici :

Le handicap qu’est la cécité est un rôle social appris. Les différentes attitudes et les différents modèles de comportement qui caractérisent les personnes aveugles ne sont pas inhérents à leur handicap, mais sont plutôt acquis par des processus ordinaires d’apprentissage social.

Le processus de socialisation s’étend à de nombreux secteurs de la société, y compris au Sénat. C’est pourquoi il est important de se demander pourquoi tous les processus existent et de comprendre à quoi ils servent.

Honorables sénateurs, à l’invitation de la sénatrice McPhedran, j’ai participé la semaine dernière à une téléconférence avec des élèves de 9e année de partout au pays, y compris d’Iqaluit. L’un des élèves a commenté le manque d’éducation politique des jeunes d’aujourd’hui. Jusqu’à une période assez récente de notre histoire, de nombreux adultes n’étaient pas non plus autorisés à participer activement au processus politique, y compris au droit de vote. Pensons par exemple aux membres des Premières Nations, aux Métis, aux Inuits, aux Chinois et aux Japonais. Pourquoi? Parce que le processus politique est un processus de pouvoir et que le Dominion du Canada n’autorisait aucune dissension. Qu’est-ce qui a changé pour permettre à ces adultes d’entrer dans les rangs des Canadiens émancipés? Le pays y a pourtant survécu.

De nombreuses explications ont été données pour le traitement des Premières Nations par les gouvernements, pour justifier la socialisation, mais non seulement celles-ci sont inadéquates, elles sont fausses. L’une d’entre elles est que les Premières Nations ont des personnalités et des psychologies différentes de celles des autres Canadiens et que nous sommes, en quelque sorte, déficients. Comme si nous menions un combat incessant contre la sauvagerie. On nous estime impuissants, surtout nos dirigeants, que l’on remet en question à chaque occasion. On nous croit capables d’accomplir bien peu nous-mêmes, de faire bien peu pour nous-mêmes. On croit que notre état mental empêche tout développement intellectuel et toute productivité véritables. Impuissance, dépendance, violence : voilà les choses que les jeunes Canadiens doivent attendre des Premières Nations. Raconter un seul côté de l’histoire et perpétuer cette histoire sans poser de question comporte un danger.

À 16 ans, alors que je venais tout juste de sortir du pensionnat, je ne connaissais absolument rien au système politique qui dirige ce pays, pour la simple et bonne raison qu’on ne nous l’avait pas enseigné, et non parce que j’étais incapable de le comprendre. Pourquoi ne nous a-t-on pas appris cela pour que nous puissions participer pleinement à la vie économique, sociale et culturelle du Canada? Cela ne constituait-il pas une partie importante de l’éducation en vue d’éliminer le sauvage en nous?

Honorables sénateurs, confrontée à la nécessité de réfléchir à l’abaissement de l’âge de voter, j’ai pensé à ma mère et à mon père et au fait que leur génération devait travailler dès l’âge de 12 ans; ils pêchaient, ils trappaient, ils coupaient du bois, ils vivaient de la terre même à 40 degrés sous zéro, et ils y arrivaient très bien. Les gens de leur génération devaient travailler et contribuer au fonctionnement de la famille et on leur enseignait les traditions et les connaissances pratiques à transmettre aux autres générations, des connaissances qui permettent de survivre. À leur époque, nombreux étaient ceux qui se mariaient jeunes et qui avaient la responsabilité d’élever une famille. Ce n’était pas unique aux Premières Nations, aux Métis et aux Inuits; c’était la norme dans bien des pays dans le monde. Comment cette époque s’est-elle transformée jusqu’à exclure les jeunes des processus décisionnels?

Beaucoup de jeunes participent déjà à la conversation au sujet de la dégradation et de la destruction de l’environnement et des changements climatiques. Ils savent bien que, sans la terre, l’air et l’eau, les humains ne peuvent survivre. Leurs réflexions vont plus loin que celles de bien des adultes. Ils n’ont pas encore été corrompus par la soif de posséder la terre et de tirer profit des ressources naturelles. Ils veulent avoir une bonne vie et pouvoir respirer de l’air pur, boire de l’eau cristalline et vivre sur un territoire non contaminé.

Lors d’une visite à une école secondaire à Winnipeg, j’ai rencontré des élèves de 9e année qui étudiaient la philanthropie, la justice sociale et les changements climatiques. La conversation que nous avons eue et les questions qu’ils ont posées m’ont montré qu’ils avaient acquis les compétences nécessaires pour réfléchir de façon critique. Au cours de notre discussion, ils ont montré non seulement qu’ils ont des capacités, mais aussi qu’ils sont investis dans leur pays et dans leur monde.

Dans la communauté de Lac Brochet, une réserve dénée éloignée dans le Nord du Manitoba, beaucoup de jeunes s’inscrivent dans les Rangers juniors canadiens dès 12 ans. C’est devenu une tradition familiale. Les sœurs jumelles Taylor et Skylar Veuillot ont commencé à assister aux réunions à 11 ans. Elles ont intégré le programme à 12 ans, suivant les traces de leurs quatre frères et sœurs plus âgés. Six ans et de nombreuses belles expériences plus tard, les jumelles ont été reconnues en 2020 par le ministère de la Défense nationale et ont reçu des bourses d’études universitaires. Elles continuent de servir de mentores à d’autres jeunes et veulent retourner dans la communauté pour y enseigner lorsqu’elles auront terminé leurs études.

Je terminerai, chers collègues, en vous parlant de ce que m’ont dit des élèves de trois classes de cinquième année de l’école intermédiaire General Byng, à Winnipeg, dans la division scolaire no 1. Ils m’avaient invitée à leur parler des pensionnats. Les élèves des trois classes avaient reçu de petites tuiles pour participer au Projet du cœur, comme on l’appelle. Ils ont peint un symbole sur chaque tuile et ont expliqué ce qu’ils avaient appris au sujet des pensionnats. Dans l’une des classes où je suis allée, un groupe a bâti un inukshuk à partir des tuiles. Il a ensuite choisi comme porte-parole un jeune garçon qui m’a dit ceci :

Nous avons choisi l’inukshuk parce que c’est un symbole qui indique la voie à suivre. Nous avons choisi des couleurs qui correspondent aux valeurs. Les bras sont rouges, une couleur qui représente le courage et la compassion. Les jambes sont bleues, couleur qui représente la paix, parce qu’on ne peut pas diriger en l’absence de paix.

J’ai été époustouflée par la grande sagesse de ces jeunes. Le garçon qui avait parlé le dernier dans la dernière classe que j’ai visitée a couru jusqu’à son autobus. Il est ensuite revenu en courant jusqu’à la classe et m’a dit : « Je ne peux pas partir. Je dois raconter mon histoire. » Il m’a dit ceci :

Ma tuile représente le yin et le yang. La vie est une question d’équilibre, et nous avons des expériences négatives et d’autres positives. C’est une réalité que nous apprenons à accepter. Nous pouvons apprendre de ces deux types d’expériences; même les expériences négatives ont beaucoup à nous apprendre.

Ces élèves sont maintenant en 11e année, et je dirais qu’ils sont en bonne voie de devenir des citoyens responsables socialement.

Honorables sénateurs, je vous encourage à appuyer le renvoi du projet de loi au comité pour que vous ayez la chance de voir par vous-mêmes le potentiel oublié de nos jeunes. Merci.

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