Projet de loi sur la Journée nationale de Thanadelthur
Deuxième lecture--Ajournement du débat
21 septembre 2023
Propose que le projet de loi S-274, Loi instituant la Journée nationale de Thanadelthur, soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-274, Loi instituant la Journée nationale de Thanadelthur. Je tiens à vous faire part de mon expérience de l’histoire orale chez les Dénésulines de Brochet et de Lac Brochet. Les Dénés ont conclu le Traité no 10 en 1906, et les Cris sont venus s’installer au début des années 1920. Ils ont vécu ensemble à Brochet, au Manitoba, où ils se sont mariés et ont élevé des familles.
Les jeunes enfants dénés et cris de Brochet ont été envoyés au Pensionnat indien de Guy Hill, où, en tant qu’élèves, nous sommes devenus une famille. Grâce à cette proximité, j’ai eu le privilège d’entendre l’histoire de Thanadelthur, il y a 20 ans, de la bouche de Mme Lucy Antsanen, une habitante dénée de Brochet et de Lac Brochet, qui a subi des traumatismes intergénérationnels liés aux pensionnats. Historiquement, pendant les années où ils apprenaient l’histoire orale, les jeunes Dénés entendaient parler de cette jeune femme remarquable grâce aux histoires transmises par leurs grands‑parents et leurs parents, et c’est encore le cas aujourd’hui.
D’entrée de jeu, chers collègues, je tiens à vous informer que le mot « Chipweyan » est utilisé dans les références historiques. Il s’agit d’un terme péjoratif. Moi, j’utiliserai le terme correct, soit « Dénésuline », qui signifie les premiers peuples. Le mot « Cri » est également un terme colonial. Nous nous appelons les « Athinuwick ».
Honorables sénateurs, il y a plus d’une vingtaine d’années, Mme Antsanen, une jeune Dénée qui détenait une maîtrise en éducation, enseignait à Lac Brochet. Elle a raconté l’histoire de Thanadelthur à ses élèves. Depuis, les jeunes portent du rouge le 5 février afin d’honorer la mémoire de cette ambassadrice de la paix, puisque c’est ce jour-là qu’elle a rejoint le monde des esprits.
Aujourd’hui, je porte moi aussi du rouge en signe de solidarité avec mes sœurs. Je porte aussi les mocassins qui m’ont été remis en 1979 par l’aîné déné St. Pierre.
Cette histoire s’est produite avant que le Canada se métamorphose en pays et que le Manitoba devienne une province. Il n’y avait pas de frontières, seulement des limites aux territoires de chacune des nations autochtones. La traite des fourrures était à son apogée. La Compagnie de la Baie d’Hudon et la Compagnie du Nord-Ouest étaient toutes deux présentes dans les environs d’York Factory.
Thanadelthur est née à la fin des années 1600. Jadis, soit avant qu’ils commencent à coucher leurs histoires sur papier, les Dénés déterminaient l’âge d’une personne en comptant le nombre d’hivers qu’elle avait vécus. Si je le précise, c’est parce que l’âge qui est donné à Thanadelthur varie selon la source consultée, par exemple dans les archives de la Compagnie de la Baie d’Hudson ou dans les récits des historiens. Quoi qu’il en soit, Thanadelthur était une jeune adolescente lorsqu’elle est arrivée au fort de la baie d’Hudson.
Honorables sénateurs, c’est très difficile de nos jours de retrouver le véritable nom des femmes autochtones qui ont marqué l’histoire. Généralement, cette dernière réduisait ces ethenewuks à de simples « Indiennes » ou « femmes autochtones ». À Brochet, quand le prêtre français qui avait vécu parmi nous durant plus de 50 ans a écrit un livre sur nos vies et nos terres, il parlait seulement d’Indiens, comme si nous n’étions pas des êtres humains. Cela se passe de mon vivant.
À une époque où les femmes autochtones figuraient rarement dans les livres d’histoire, vivait cette remarquable jeune fille dénée dont le nom, Thanadelthur, est gravé dans les livres d’histoire pour l’éternité. Comme telle, cette information fait partie de l’histoire orale, certes, mais elle transcende ce support puisqu’elle est également archivée et conservée dans les livres d’histoire ainsi que les outils d’enseignement utilisés dans les écoles. La publication de l’auteur Rick Book intitulée Blackships/Thanadelthur, qui présente la vie et les contributions de cette jeune femme, sert d’outil d’enseignement dans les Territoires du Nord-Ouest.
Chers collègues, durant la vie de Thanadelthur, les Dénés et les Cris étaient de vieux ennemis en guerre. Les anciens des différentes communautés dénées du Manitoba et de la Saskatchewan racontent la guerre entre les deux nations. Lorsque des Cris tombaient sur un campement déné, ils tuaient la majorité des Dénés, mais capturaient les jeunes filles, car elles étaient réputées pour leur ardeur au travail. Inversement, lorsque des Dénés tombaient sur un campement cri, ils ne faisaient pas de prisonniers.
En 1712 et 1713, la famille de Thanadelthur chassait le caribou dans les environs d’Arviat, au Nunavut, lorsque des Cris l’ont attaquée dans son campement et massacrée. Thanadelthur a été emmenée en captivité. Les anciens Cris l’ont appelée Akwakan Iskwew, ce qui signifie « femme esclave ». Les aînés dénés disent qu’elle a survécu parce qu’elle était d’une beauté stupéfiante et qu’elle était très habile.
Thanadelthur fut réduite en esclavage pendant plus d’un an et, à la fin de l’année 1714, elle et une autre jeune femme échappèrent à leurs ravisseurs cris et se dirigèrent vers le nord pour retrouver leur peuple. Sans nourriture ni vêtements chauds, elles se retrouvèrent rapidement dans une situation désespérée. Les filles survécurent grâce aux plantes comestibles, aux baies et au petit gibier qu’elles attrapèrent en chemin. On pense qu’elles utilisaient leurs longs cheveux pour fabriquer des pièges. Au cours de ce voyage, la jeune compagne de Thanadelthur mourut tragiquement, ce qui obligea Thanadelthur à abandonner sa route et à se rendre au fort, dans l’espoir d’y rencontrer les Anglais. Thanadelthur connaissait l’existence du fort, mais elle n’y avait jamais mis les pieds.
Quand elle trouvait des traces dans la neige, elle les suivait, sachant très bien qu’elle risquait d’être tuée si elle tombait sur des Cris. Pourtant, elle suivit les traces qui la menèrent, oscillant entre la vie et la mort, jusqu’à des chasseurs d’oies à Ten Shilling Creek, au sud-ouest de York Factory. Par chance, William Stuart, un employé de la Compagnie de la Baie d’Hudson, se trouvait parmi les chasseurs. Ces derniers ramenèrent Thanadelthur avec eux au fort York, situé près de l’estuaire de la rivière Hayes, dans le Nord du Manitoba.
Le directeur du fort était le gouverneur James Knight qui, quelques jours auparavant, avait prévu d’employer une femme dénée pour conclure la paix entre les Dénés et les Cris afin de pouvoir étendre le commerce des fourrures dans le Grand Nord — dans le territoire des Dénés. Malheureusement, la femme dénée en question décéda, ce qui obligea le gouverneur Knight à envisager d’autres avenues.
Selon les comptes rendus de la Compagnie de la Baie d’Hudson, le mercredi 24 novembre 1714, Thanadelthur est amenée au fort York, qu’on appelle aujourd’hui York Factory, au Manitoba. Thanadelthur dit au gouverneur Knight que son peuple est prêt à commercer avec la Compagnie de la Baie d’Hudson, mais qu’il lui est difficile de commercer aussi loin au sud, puisque les Cris ont des armes à feu, et on sait qu’ils mènent des attaques contre les Dénés.
Le gouverneur Knight et William Stuart sont tous deux impressionnés par l’enthousiasme et l’intelligence de Thanadelthur. Une fois remise de l’expérience éprouvante qu’elle a vécue lors de son évasion, Thanadelthur est envoyée par le gouverneur Knight, accompagnée de William Stuart et d’environ 150 Cris, en mission de paix auprès des Dénés à la fin de juin 1715. Le gouverneur estime que Thanadelthur est la meilleure personne pour amener les deux nations à faire la paix.
Honorables sénateurs, les membres de cette expédition devront alors passer la plus grande partie de l’année dans la toundra et parcourir des centaines de kilomètres. Au cours de ce long et pénible voyage, les réserves de nourriture sont limitées, plusieurs membres de l’expédition tombent malades, et bon nombre rebroussent chemin. Pendant ce périple, Thanadelthur tire profit de ses connaissances et de son savoir-faire approfondis pour assurer sa survie et celle de William Stuart sur le territoire nordique. Elle confectionne leurs habits d’hiver avec des peaux d’animaux ainsi que des raquettes avec des branches et des tendons d’animaux.
Thanadelthur sauve l’expédition de la famine à plusieurs reprises. On calme la faim avec du thé ainsi que de la soupe faite uniquement avec de la neige, des mûres et des peaux d’animaux.
Finalement, le groupe ne compte plus que Thanadelthur, William Stuart, le chef cri et une dizaine de Cris. Près de leur destination, ils trouvent les corps de neuf Dénés, apparemment tués par des Cris. Craignant qu’on leur attribue les morts, William Stuart et les Cris refusent d’aller plus loin.
Thanadelthur demande au groupe de dresser un camp et d’attendre 10 jours pendant qu’elle part à la recherche de son peuple pour négocier la paix. Elle s’aventure seule dans les terres inhospitalières et, quelques jours plus tard, elle tombe sur des centaines de Dénés.
En raison de l’attaque précédente par les Cris, Thanadelthur doit se montrer très persuasive pour convaincre son peuple de l’accompagner jusqu’au camp cri. Au bout du compte, plus de 100 Dénés acceptent. Dans la plus pure tradition épique, elle arrive au camp cri le dixième jour.
Puis, les pourparlers de paix sont entamés. Thanadelthur mène les discussions en sermonnant les parties pour qu’elles fassent la paix. Enfin, à la tête d’une délégation de 10 Dénés, y compris son frère, elle retourne à Fort York en mai 1716.
Au poste de traite, elle fait rapidement partie des principaux conseillers de James Knight. En la consultant sur toutes sortes de plans, il découvre qu’elle est l’une des personnes les plus remarquables qu’il a rencontrées.
Au début de 1717, Thanadelthur tombe malade. Comprenant qu’elle va mourir, elle passe des heures à enseigner le déné à l’un des jeunes travailleurs de la Compagnie de la Baie d’Hudson afin qu’il puisse la remplacer. Elle meurt le 5 février 1717, à l’âge d’environ 16 ans.
Dans le livre intitulé Muskekowuck Athinuwick: Original People of the Great Swampy Land, l’auteur Victor P. Lytwyn donne plus de détails sur cette période :
Lorsque la Compagnie de la Baie d’Hudson a recolonisé York Factory en 1714, elle tenait beaucoup à faciliter la paix entre les Moskégons et les Dénés. La compagnie avait des motifs économiques pour encourager une telle initiative de paix; elle prévoyait d’établir un poste de traite à l’embouchure de la rivière Churchill pour recueillir des fourrures des Dénés. Il y avait également des rumeurs voulant que le territoire des Dénés renfermait des métaux précieux, et la compagnie voulait forger une relation amicale pour exploiter ces ressources minérales. La motivation des Moskégons à faire la paix est plus difficile à établir. Ils n’avaient aucun avantage économique évident à faire la paix avec leurs ennemis ancestraux. Toutefois, l’initiative de paix est logique si on l’examine du point de vue de l’alliance entre les Moskégons et la Compagnie de la Baie d’Hudson. En tant qu’alliés de la compagnie, les Moskégons pourraient avoir participé à l’établissement de la paix avec les Dénés afin de solidifier leur relation avec les commerçants anglais. Un examen attentif de la mission de paix de 1715-1716 clarifie le rôle des Moskégons dans cette initiative. Cette mission de paix a précédemment été analysée par des érudits qui s’intéressent au rôle de la Compagnie de la Baie d’Hudson ou de la femme dénée qui a agi à titre d’interprète.
Grâce à des festins et à des présents, James Knight a persuadé le chef des Moskégons d’entreprendre la mission de paix. Ainsi, 17 hommes et leur famille, soit environ 150 personnes ont suivi le chef moskégon. Accompagnant ce groupe se trouvaient William Stuart et Thanadelthur, qui avaient été capturés par les Moskégons.
Les membres du groupe ont quitté York Factory le 27 juin 1715, et ils se sont dirigés vers le Nord en direction de la rivière Churchill. Puis, on n’a plus reçu de nouvelles des pacificateurs jusqu’au 13 avril 1716, date à laquelle trois Moskégons sont arrivés à York Factory pour signaler que le groupe avait souffert d’un manque de nourriture, ce qui l’avait forcé à se diviser en quatre ou cinq sous-groupes. Selon leurs dires, le chef des Moskégons avait emmené quatre hommes, de même que Stuart et Thanadelthur, en direction des territoires de chasse d’hiver des Dénés. Un autre sous-groupe de huit hommes moskégons a pris une route différente en direction de ces territoires de chasse. Ces huit hommes ont rencontré un groupe de Dénés et ont tué neuf personnes en légitime défense.
Ces deux histoires, qui proviennent de deux sources d’archives, sont essentiellement identiques.
Le 7 mai 1716, le chef des Moskégons est retourné à York Factory avec Stuart, Thanadelthur et quatre Dénés. Stuart s’était joint au chef cri pour faire la démonstration que les deux groupes d’Indiens avaient fait la paix. D’après le rapport de Stuart, le groupe est tombé sur les dépouilles de Dénés tués par des Moskégons. Thanadelthur a accepté d’amener son peuple au camp afin de lui expliquer la situation et d’arriver à obtenir la paix. En dix jours, Thanadelthur est revenue avec 400 Dénés, dont 160 hommes. Le chef des Moskégons a alors expliqué, par l’entremise de Thanadelthur, qui faisait office d’interprète, qu’une paix avait été conclue et il a offert son calumet en signe d’amitié. Les chefs dénés ont accepté et, après deux jours de réunions et d’échange de présents, ils sont repartis chacun de leur côté dans la paix. Le chef des Moskégons a emporté avec lui quatre garçons dénés « adoptés » en signe de paix. Un de ces garçons est demeuré avec le chef et a été traité comme l’un de ses fils.
Honorables sénateurs, comme je l’ai mentionné au début de mon discours, de nos jours, on enseigne en classe les expériences de Thanadelthur en matière d’enseignement et de discussion sur des sujets sensibles. Je vais prendre un exemple donné par Jane Hunt :
Quelles sont les différences entre les conditions de vie de l’époque et d’aujourd’hui? Que faisaient les gens pour trouver de la nourriture (cueillette, chasse, agriculture) et en quoi est‑ce différent d’aller faire l’épicerie comme aujourd’hui? Quelles étaient les aptitudes nécessaires pour survivre dans la nature, dans les petits villages ou dans les villes? Que devaient faire les gens au quotidien pour survivre? Étayez vos idées par vos connaissances et d’autres documents.
Honorables sénateurs, le 13 août 2017, une journée de commémoration a eu lieu à Churchill, au Manitoba, à l’occasion du 300e anniversaire de l’événement. Sous la direction de Mme Lucy Antsanen, de nombreux Dénés et de nombreux Cris se sont réunis à Churchill pour rendre hommage à Thanadelthur et commémorer ce qu’elle a accompli.
De plus, pour son courage, ses talents d’artisane de la paix et son apport à l’histoire du Manitoba et du Canada, Thanadelthur a été nommée « personnage historique national » en 2000 et « exemple historique pour les jeunes » en 2002.
En août 2022, Mme Antsanen et des représentants de la nation dénée du Manitoba et de la Saskatchewan m’ont invitée à Churchill à l’occasion du changement de nom de la place Hudson, qui a alors été rebaptisée « place Thanadelthur ». À cette occasion, j’ai prononcé une deuxième allocution dans le but de présenter des excuses aux Dénés pour les souffrances qui leur ont été infligées.
Les Dénés ont signé le Traité no 10 à Brochet, au Manitoba. Les Cris ont commencé à s’installer au début des années 1920. À bien des égards, les relations entre les Cris et les Dénés ont longtemps été violentes, mais il y a eu des mariages entre ces deux peuples, et ces familles ont duré jusqu’à aujourd’hui. Ma tante et d’autres membres de ma famille sont d’ailleurs Dénés.
Ces relations violentes ont amené les Dénés à quitter leurs terres traditionnelles. Lorsqu’ils ont quitté Brochet en 1974, ils ont perdu la sagesse et le sentiment d’appartenance historique qui s’y rattachaient. Ils ont pris la décision extrêmement difficile de s’installer à Lac Brochet, un endroit sans électricité où ils ont réussi à se forger une place grâce à leur détermination inébranlable.
En 2009, lors de la célébration du centenaire du traité, j’ai prononcé mon premier discours d’excuses aux Dénés parce que c’était la chose à faire. Je reste une amie proche et une alliée de mes frères et sœurs, de mes grands-mères et de mes grands-pères dénés. Mon père et ma mère étaient proches des Dénés, et mon père a rendu visite aux Dénés de Lac Brochet, les a aidés dans les moments difficiles et a célébré les bons moments avec eux. Les Dénés m’ont raconté des histoires sur mes parents. Je n’aurais jamais connu cette facette de mon père si les Dénés ne m’avaient pas raconté ces histoires. Tout au long de ces années, en tant que Cris et Dénés, nous avons continué à nous réunir pour discuter non seulement de notre histoire collective tumultueuse, mais aussi de ce qui nous unit.
Je me suis toujours sentie comme une étrangère sur ces terres car nous nous trouvions sur le territoire historique des Dénés, alors que nous étions Cris. En 2005, lors de notre rassemblement annuel à Brochet, l’aîné Joe Hyslop a déclaré ce qui suit : « Ceci est ma terre et mon territoire. » Prenant la parole après lui, j’ai déclaré que c’était bel et bien le cas, mais que ce territoire était aussi le mien. En effet, c’est sur ce territoire que je suis née et que j’ai grandi, et c’est à celui-ci que je suis attachée depuis ma naissance. J’ai toujours su que nous devions nous efforcer de maintenir la paix, car nous sommes tous membres de la même famille.
Vous voyez, nous étions déjà sur la voie de la réconciliation avant même que ce mot ne soit sur toutes les lèvres. Nous y travaillions activement depuis l’époque de Thanadelthur.
Chers collègues, j’aimerais vous faire part des excuses que j’ai adressées aux Dénés, à Churchill, en août 2023.
Je remercie les Dénés de m’avoir invitée et de m’accueillir sur leur territoire.
J’aimerais commencer par un moment de réflexion sur les mauvais traitements qui ont été infligés aux Dénés tout au long de l’histoire, y compris par les Cris dans ce cas-ci. Je tiens à dire à quel point je suis désolée de la peur, de la douleur, de la souffrance et des humiliations que les Dénés ont vécues durant leurs contacts étroits avec les Cris.
Je sais qu’il n’y a rien que je puisse dire aujourd’hui qui pourrait effacer la douleur et la souffrance que vous-mêmes et vos ancêtres avez vécues, individuellement et collectivement. Cependant, je vous tends la main dans un esprit de sororité et de fraternité, dans l’espoir d’aider à régler notre passé et d’entreprendre un nouveau commencement — ce nouveau commencement pour lequel Thanadelthur a déployé tant d’efforts et œuvré sans relâche.
Mes parents étaient Horace McCallum, de la Première Nation de Peter Ballantyne en Saskatchewan, et Marie Adele Thomas, dont les ancêtres étaient des Métis de Selkirk et de Cumberland House, en Saskatchewan. Ils sont venus tous les deux s’établir à Brochet, dans le territoire visé par le Traité no 10. J’ai grandi dans le camp de piégeage et de pêche jusqu’au moment où j’ai été envoyée dans un pensionnat en 1957. Notre maison à Brochet se trouvait sur l’île, en face du magasin Northern Store. Je pouvais seulement retourner chez moi l’été : c’est le seul moment où les enfants cris et dénés pouvaient quitter le pensionnat Guy Hill pour rentrer chez eux.
Je me souviens des tambours et des jeux de mains auxquels jouaient les Dénés, et ces activités culturelles font partie de mes souvenirs les plus chers. Quand les soirées étaient calmes, on pouvait entendre le son des tambours dans tout le village. C’était les Dénés qui jouaient du tambour. Dans les moments de grand stress de ma vie, je recherchais le son des tambours parce qu’il me rappelait mon foyer et ma parenté à Brochet. Aujourd’hui encore, les tambours restent pour moi un moyen de guérison très puissant. Dans les moments de grand stress, j’ai sollicité les conseils de mes amis et de ma famille cris et dénés, et j’ai cherché du réconfort auprès d’eux. Les Dénés seront toujours un point d’ancrage solide dans ma vie, et j’espère continuer à cheminer avec vous tout au long de ma vie.
Je me souviens d’avoir entendu des anecdotes sur les traumatismes infligés à nos frères et sœurs dénés, qui avaient estimé devoir quitter Brochet pour rendre la vie de leurs enfants plus sûre. Leur décision de déménager leur avait demandé un grand courage, celui de quitter leur territoire d’origine et de refaire leur vie à Lac Brochet. Nous ne devons pas oublier les souffrances et les traumatismes qui ont marqué ce déplacement, ni ce que les Dénés continuent de ressentir à la suite du traitement brutal que les Cris leur ont infligé. Nous devons faire face à la vérité crue et malaisante partout où la violence et les traumatismes sévissent, y compris à Churchill, à Brochet et à Tadoule. Nous devons y faire face et y remédier. Commençons par le récit historique de Thanadelthur et, comme elle, défendons la justice.
Je dois aussi me souvenir de l’existence des traumatismes intergénérationnels. Les injustices historiques de ce genre, que ce soit à Lac Brochet, à Tadoule ou à Churchill, continuent aujourd’hui d’avoir des conséquences sur la pérennité et la vitalité des communautés en cause, leurs lois et coutumes, leur langue, la propriété de leur territoire et leur souveraineté.
Je ne connais pas l’ampleur des horreurs que certaines familles et certaines personnes ont vécues, non seulement à Brochet, mais aussi à Churchill. Dans son livre intitulé Night Spirits, Ila Bussidor a décrit bon nombre des préjudices qui en on découlé et qui en découlent encore aujourd’hui.
Je comprends que les Inuits, les Métis, les Premières Nations et les peuples non autochtones ont infligé des traumatismes aux Dénés de Churchill. Comment entamer le processus de réconciliation ou conciliation? Comment entamer la conversation avec le gouvernement fédéral qui a arraché les Dénés à leur mode de vie nomade et à leurs terres pour les installer de force à Churchill, sans aucune ressource, y compris le logement? Comment le gouvernement reconnaît-il le préjudice que les politiques d’expulsion ont fait subir aux Dénés?
Cerner les conséquences sur les communautés et les individus est un moyen efficace de reconnaître le fondement des distinctions entre les Premières Nations. Comme vous le savez, Thanadelthur, interprète et négociatrice émérite, a joué un rôle diplomatique crucial qui a conduit à la paix entre son peuple, les Dénés, et son ennemi traditionnel, les Cris.
Au nom des Cris, je reconnais le mal qui a été fait à nos frères et sœurs, les Dénés. Les Cris et les Dénés ont leurs propres cultures, et à Brochet, il y a eu un mélange des deux parce que nous vivions ensemble et nous nous sommes aimés. Nous avons eu des familles ensemble. Le Créateur nous a réunis pour une raison, et nous devons honorer l’unité des deux tribus pour cette raison. Pour le bien de nos enfants, nous devons nous retrouver.
J’espère que cette reconnaissance et ces excuses conduiront à un processus de guérison — une reconnaissance de la valeur humaine et de la dignité des Dénés. Comment pouvons-nous commencer à mettre fin au cycle du ressentiment et de la souffrance?
Je ne m’attends pas à un pardon mais, personnellement, je promets de ne pas répéter les traumatismes dont vous avez souffert. Je présente mes excuses dans un esprit de guérison entre les nations crie et dénée.
Il est important que nous ne restions pas les bras croisés. Je suis consciente que les Dénés — en tant que nations souveraines — ont le pouvoir de rejeter cette déclaration et ces excuses.
Je comprends qu’il est important d’accorder du temps pour une réponse, que cette réponse ne sera peut-être pas immédiate, et que lorsqu’elle viendra, elle pourrait ne pas être positive. L’important, c’est de reconnaître qu’une injustice a été commise. C’est pour cela que je suis profondément désolée.
Honorables sénateurs, en juillet dernier, je suis allée chez moi, à Brochet, pour participer aux célébrations du Traité no 10 avec les chefs des Premières Nations de la Saskatchewan et du Manitoba signataires du traité. Nous avons réexaminé et vraiment célébré cette fraternité Dénés-Cris qui est la nôtre. Les Cris ont accueilli les Dénés chez eux, leur ont préparé tous les plats traditionnels, ont joué à des jeux de mains et se sont affrontés dans le cadre de diverses compétitions. On a dansé, chanté, joué du tambour et festoyé. J’oserais dire que ce fut le rassemblement le plus réussi et le plus collégial que nous ayons eu au cours de toutes ces années.
Chers collègues, pour terminer, je tiens à citer ce que le chef Simon Denechezhe, de la nation dénée de Lac Brochet, a dit lors de l’assemblée générale annuelle du 23 août 2023, quand il s’est adressé aux chefs de l’organisme Manitoba Keewatinowi Okimakanak, ou MKO, au sujet d’une résolution qu’il parrainait et qui concernait une journée nationale de Thanadelthur. Le conseiller cri Billy Linklater, un excellent allié qui agissait au nom du chef Michael Sewap de la nation de Barren Lands, appuyait la résolution. Celle-ci — qui demande au gouvernement fédéral d’adopter une loi désignant le 5 février comme la journée nationale de Thanadelthur — a été adoptée à l’unanimité par les chefs du MKO, avec le plein appui du conseil tribal du Keewatin et de leur grand chef, Walter Wastesicoot.
Lorsqu’il est intervenu à propos de la résolution, le chef Denechezhe a dit ceci :
Voici un récit oral qui se transmet d’une génération à l’autre. Les événements dont je vous parle sont survenus au début des années 1700. Mes parents et des aînés me les ont aussi racontés. Ce n’est pas seulement une question de reconnaissance, c’est aussi nécessaire pour avancer sur le chemin de la vérité et de la réconciliation. En tant que Nations, nous devons apprendre à nous respecter et nous reconnaître mutuellement, car c’est ainsi que toutes les nations pourront collaborer. Vérité et réconciliation : nous nous sommes engagés sur cette voie. Il faut le comprendre clairement. Nous devons collaborer entre Nations en ces temps modernes. J’ai entendu très souvent que nous devons nous entraider les unes les autres. Toutefois, il semble toujours y avoir des différends. C’est à nous qui sommes autour de la table d’utiliser notre voix, la voix de nos Nations, car nous devons reconnaître que nous aussi, nous sommes sur le chemin de la réconciliation. Merci. Maci-chok!
En terminant, je vous dis kinanâskomitin. Merci de votre écoute.