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Le Sénat

Motion tendant à exhorter le gouvernement du Canada à déposer un projet de loi afin de geler les indemnités de session des parlementaires, étant donné la situation économique et la pandémie en cours--Suite du débat

3 novembre 2020


L’honorable Julie Miville-Dechêne

Honorables sénateurs, je serai plus brève cette fois-ci.

J’interviens pour appuyer sans hésitation la motion no 33 de la sénatrice Moncion, qui exhorte le gouvernement à déposer un projet de loi afin de geler les indemnités de session des parlementaires en raison de la pandémie. Je remercie tout d’abord la sénatrice d’avoir pris ainsi les devants sur cette délicate question. L’hiver dernier, nous étions plusieurs à être mal à l’aise vis-à-vis de l’augmentation de salaire statutaire que nous avons reçue alors que la pandémie frappait durement les Canadiens. J’ai, comme bien d’autres, remis l’équivalent de cette hausse salariale à des œuvres de charité, mais j’estime que la motion no 33 est un geste plus fort, et qu’il est nécessaire étant donné la prolongation de la crise.

La pandémie fait très mal, vous le savez. Des millions de Canadiens ont perdu leur emploi et un grand nombre ont perdu leur commerce, qui était le fruit de beaucoup d’années d’efforts. L’aide d’urgence qui a été apportée ne peut compenser ces pertes. La deuxième vague frappe fort, et on a fermé à nouveau des secteurs de l’économie. Les emplois sont donc de plus en plus à risque. Face à cette situation, nous, sénateurs, faisons partie, plus que jamais, des privilégiés; nous n’avons pas à nous préoccuper de conserver notre gagne-pain. Notre salaire annuel de 157 600 $ est assuré jusqu’à notre retraite à l’âge de 75 ans.

C’est le cas pour bien d’autres hauts salariés, me direz-vous, mais nous sommes des parlementaires qui parlons publiquement des ravages de la pandémie et de ce que le gouvernement doit faire ou ne pas faire.

Je crois donc que nous devons montrer l’exemple et faire preuve de solidarité au-delà de nos engagements individuels dans nos communautés. Un gel de nos salaires est une façon collective de montrer que nous participons à l’effort collectif, que nous ne sommes pas aveugles face aux difficultés des Canadiens. Je rejette l’argument selon lequel un tel gel n’est que symbolique et n’a donc pas beaucoup de valeur, étant donné le peu d’économies qui seront générées. Les symboles sont très importants en politique, et le Sénat consacre d’ailleurs des heures et des heures de débat à des motions de toutes sortes qui sont hautement symboliques. Un petit sacrifice par rapport à notre rémunération, bien que symbolique, pourrait sûrement contribuer à rehausser notre crédibilité comme institution.

Sans surprise, un sondage Angus Reid réalisé en mai dernier pour la Fédération canadienne des contribuables a révélé que 66 % des répondants étaient d’avis que les politiciens devaient subir une réduction de salaire, étant donné la situation économique. Plusieurs gouvernements n’ont pas attendu de mener des sondages pour agir.

La très populaire première ministre de la Nouvelle-Zélande, Jacinda Ardern, a pris les devants. Dans ce cas-ci, il ne s’agit pas de geler les salaires, mais de faire des coupes. Elle a annoncé à la mi-avril qu’elle-même, son Cabinet et les grands gestionnaires de l’État subiraient une réduction de salaire de 20 % et que les salaires des députés seraient réduits de 10 %, et ce, durant six mois. Cela équivaut à une réduction de paie de 41 000 $ CA pour la première ministre. Elle a expliqué qu’il était important que les politiciens les mieux payés fassent preuve de leadership et montrent leur solidarité envers les travailleurs de première ligne et envers ceux qui ont perdu leur emploi.

Je la cite :

S’il est un temps pour réduire l’écart entre les groupes de personnes occupant diverses fonctions en Nouvelle-Zélande, c’est bien maintenant [...] je suis responsable du pouvoir exécutif [...] et c’est une façon pour nous d’agir [...] Il s’agit de faire preuve de solidarité en cette période difficile pour la Nouvelle-Zélande.

Vous vous rappellerez sans doute que c’est cette même première ministre qui a eu la présence d’esprit et la rapidité nécessaire pour fermer les frontières de son pays et protéger ses citoyens de la COVID-19 et qui, dans la foulée de l’attentat de Christchurch, a nommé la première femme maorie au poste de ministre des Affaires étrangères.

Il a fallu trois mois pour que ces réductions de paie entrent en vigueur en Nouvelle-Zélande, ce qui a ramené le salaire des simples parlementaires à 129 000 $ CA. Il s’agit d’une économie totale de 2,4 millions de dollars.

Une poignée d’autres gouvernements ont emprunté la même voie. La décision est d’ailleurs venue du plus haut niveau politique : en Inde, la paie des ministres et du premier ministre a été réduite de 30 % pour un an. Au Japon, le parti au pouvoir et l’opposition se sont entendus pour diminuer les salaires des parlementaires de 20 % pendant un an. L’Afrique du Sud, le Kenya, Malte, Singapour et la Malaisie ont fait des efforts similaires.

Le Sénat du Canada pourrait tout simplement suivre l’exemple récent du premier ministre Jason Kenney, de l’Alberta, qui, il y a un peu plus d’un an, a réduit son salaire de 10 % pour répondre aux sérieuses difficultés économiques éprouvées par sa province. Les parlementaires albertains ont, quant à eux, subi une réduction de 5 % de leur salaire . C’était la chose à faire dans les circonstances.

Pourquoi serait-ce différent pour les parlementaires fédéraux? Les temps sont durs pour les Canadiens. Pourquoi ne pas faire notre part? Je vous remercie.

L’honorable Percy E. Downe [ - ]

En fait, j’ai deux questions, si le temps le permet.

Je me demandais si vous ne craigniez pas que la motion à l’étude ne corresponde pas à ce que le gouvernement fait présentement. Par exemple, j’étais au Sénat pendant la crise financière de 2008 et le gouvernement avait agi en 2010 afin de réduire ses dépenses. Les sénateurs et le Sénat avaient contribué à cet effort avec plaisir.

Or, le gouvernement actuel fait le contraire. Il dépense davantage et il demande aux consommateurs d’en faire autant. Pourquoi le Sénat ferait-il cavalier seul alors que le reste du gouvernement ne va pas dans le même sens? Cela donnerait l’impression que nous voulons simplement épater la galerie et nous faire lancer des fleurs par ceux qui critiquent habituellement les politiciens. En fait, cela ne ferait que dévaloriser le rôle des politiciens. N’êtes-vous pas inquiète de cette possibilité?

Vous avez raison, ce n’est pas une question simple. Oui, cela pourrait donner l’impression à certains que nous faisons cela pour épater la galerie. Cependant, je crois — ou j’aurais espéré, bien honnêtement — que le gouvernement aurait pu demander aux parlementaires de faire des sacrifices, comme cela s’est produit dans d’autres pays, dont j’ai parlé. Les coupes en question sont venues des présidents et des premiers ministres.

J’aimerais mieux que le gouvernement pose un geste, mais, s’il ne le fait pas, nous devrions le faire. Nous pouvons certainement nous inquiéter de la manière dont cela sera perçu, mais je suis une nouvelle sénatrice qui n’a pas votre expérience. Selon moi, cette mesure est une tentative de répondre un peu plus aux besoins des Canadiens qui sont en difficulté.

Je comprends que c’est un petit geste isolé, mais c’est tout de même un geste. Le Sénat est une institution symbolique, et le symbole ici, c’est que nous ne faisons pas que parler; nous sommes prêts à passer à l’action. De nombreuses personnes pourraient dire que ce n’est pas grand-chose, mais c’est quelque chose.

Je pense sincèrement que cette mesure serait accueillie favorablement par les Canadiens, et qu’elle en vaut la peine. La Chambre des communes devra se prononcer sur la question, mais nous pouvons certainement dégager un consensus ici, au Sénat.

Le sénateur Downe [ - ]

Merci beaucoup de la réponse réfléchie. Je l’ai trouvée très instructive.

Vous m’avez sans doute déjà entendu parler du manque de représentation au Sénat. Par exemple, presque tous les sénateurs qui ont été nommés récemment possèdent un diplôme universitaire — un nombre bien plus élevé que la moyenne canadienne. Sommes-nous en voie de devenir une institution qui représente seulement le 1 % et non pas l’ensemble des Canadiens?

Par exemple, j’ai fait remarquer par le passé que certains d’entre nous ont servi dans la réserve des Forces armées canadiennes, mais que personne au Sénat n’a porté l’uniforme des Forces armées canadiennes à temps plein. Ainsi, aucun sénateur n’est un ancien combattant. Nous n’avons pas d’agriculteurs, de personnes qui vivent de l’agriculture. Le Sénat compte de nombreux défenseurs des agriculteurs : la sénatrice Griffin et le sénateur Robert Black, entre autres. Nous n’avons pas non plus de pêcheurs ni de pêcheuses. Il ne fait aucun doute que ce genre d’expertise pourrait nous être très utile étant donné ce qui se passe au Canada à l’heure actuelle. Le Sénat a besoin de ce genre de personne.

Je ne connais pas la situation financière de tous les sénateurs, mais je me demande si les points que je viens de soulever ne constituent pas d’autres signes que nous sommes en train de devenir une institution destinée au 1 % le plus riche et qui dévalorise les politiciens. Il est très difficile pour les députés d’avoir cette discussion parce qu’elle choquerait les électeurs. J’ai examiné certains chiffres, et, en 1970, un juge de la Cour fédérale était payé 28 000 $ par année, soit 10 000 $ de plus que ce qu’un sénateur ou un député était payé la même année.

En 2020, un juge de la Cour fédérale gagne 314 000 $, soit 182 000 $ de plus qu’un sénateur. Je ne crois pas que quiconque choisisse de devenir sénateur dans le but de s’enrichir, mais nous voulons que le Sénat représente l’ensemble des Canadiens, et vous avez indiqué que bien que le salaire demeure élevé à tous les égards, il n’a pas évolué de façon équivalente aux autres au fil du temps. Je crains que si ce décalage se poursuit, nous rendions l’institution tellement élitiste ou mal vue qu’il sera difficile d’attirer toute personne qui n’est pas déjà bien nantie, comme c’est le cas au Congrès et au Sénat des États-Unis, ou qui ne reçoit pas déjà une pension du secteur privé ou du gouvernement dont il lui est possible de se servir pour arrondir ses revenus.

Sénateur, vous soulevez toutes sortes de questions très intéressantes.

Premièrement, en ce qui concerne la composition du Sénat, je conviens que certaines professions sont davantage représentées que d’autres. Je ne suis toutefois pas certaine que les choses aient déjà été différentes. Quand le Sénat a été établi, il était vraiment réservé à la classe privilégiée, puisqu’il fallait posséder des biens immobiliers d’une valeur de 4 000 $ pour devenir sénateur, une somme considérable à l’époque.

Le Sénat n’est plus aussi élitiste qu’il y a 150 ans, je crois. Vous avez toutefois raison de souligner que nombre de professions, de domaines d’expertise et de spécialités n’y sont pas représentés. Cette situation est problématique quand nous abordons certains sujets.

Deuxièmement, pour ce qui est d’attirer au Sénat des experts ou des gens qui gagnent beaucoup plus d’argent ailleurs, je ne crois pas que le service politique soit une façon de s’enrichir. Nous touchons un salaire décent. Comme vous le savez, le Règlement permet aux sénateurs d’avoir un autre emploi, en plus de leur travail de sénateur, s’ils sont d’avis que le salaire n’est pas suffisant.

Bref, lorsqu’on soutient que nos salaires ne peuvent pas être gelés parce qu’ils n’augmentent pas autant que d’autres, est-ce un bon argument? Je n’en suis pas certaine. Je crois encore, à l’heure actuelle, que la crise est beaucoup plus longue que nous l’avions prévu au départ. Des gens souffrent, et nous devons faire notre part.

Je ne suis pas d’accord avec ceux qui disaient, la semaine dernière, qu’on devrait réserver le même sort aux fonctionnaires. Ce n’est pas la même chose. Certains fonctionnaires gagnent moins d’argent, mais certains en gagnent plus. Les personnes qui s’occupent de la Prestation canadienne d’urgence travaillent d’arrache-pied pour que les chèques soient produits à temps. La situation est donc complètement différente.

En Nouvelle-Zélande, le gouvernement a demandé à ses hauts fonctionnaires d’accepter une diminution de salaire.

Vous soulevez d’excellents arguments, mais même si ce que propose la motion est loin d’être parfait et ne fera pas une grande différence, je crois quand même que nous devrions dire oui.

Son Honneur le Président [ - ]

Souhaitez-vous poser une question, sénateur Housakos?

L’honorable Leo Housakos [ - ]

Une question, oui.

Son Honneur le Président [ - ]

La sénatrice Miville-Dechêne devra alors demander plus de temps.

Sénatrice Miville-Dechêne, votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus?

J’aimerais répondre aux questions de mes collègues, mais c’est au Sénat de décider.

Son Honneur le Président [ - ]

Y a-t-il des sénateurs qui s’opposent à ce qu’on accorde cinq minutes de plus à la sénatrice?

C’est d’accord.

Le sénateur Housakos [ - ]

Sénatrice Miville-Dechêne, je comprends votre point de vue. Ce qui m’inquiète, c’est que, dans les faits, cette motion pourrait alimenter le cynisme de M. et Mme Tout-le-Monde. Avant d’être sénateur, j’ai travaillé de nombreuses années dans différentes entreprises privées, bref dans ce que j’appelle « le vrai monde », et je peux vous dire une chose : tous les amis à qui je parle depuis des mois me disent qu’ils souffrent. Les gens d’affaires, les professionnels du secteur privé, tous voient leur salaire diminuer parce qu’ils travaillent de la maison. Beaucoup de travailleurs ont aussi été mis à pied provisoirement. En moyenne, le chiffre d’affaires des entreprises a chuté d’environ 35 % depuis quelques mois. Ces gens sont durement éprouvés et, un jour ou l’autre, les répercussions sur le Conseil du Trésor se feront sentir elles aussi.

Permettez-moi de vous dire une chose à propos de la fonction publique. Ces jours-ci, nombreux sont les Canadiens qui trouvent qu’il y a deux poids, deux mesures. Ceux qui travaillent pour l’État, comme les députés, les sénateurs et les fonctionnaires, sont privilégiés parce qu’ils n’ont pas subi une baisse de revenus de 35 %, eux. Ils n’ont pas été mis à pied temporairement. Ils travaillent à distance, de la maison, et ils ont droit à la totalité de leur salaire.

À mon avis, la présentation d’une telle motion symbolique alimentera le cynisme. Si nous prenons cette démarche au sérieux, nous devrions appliquer le raisonnement à tous les fonctionnaires, en tenant compte évidemment des défis associés aux conventions collectives. Ne croyez-vous pas que nous devrions subir le même sort que les Canadiens du secteur privé et que la situation devrait se répercuter sur le secteur public?

Sénateur Housakos, je vais vous répondre en français, qui est la langue que je maîtrise le mieux.

Je crois que vous essayez de noyer le poisson. On parle ici d’un gel de salaire au Sénat, et vous dites qu’il faut l’élargir à toute la fonction publique.

Or, vous savez parfaitement qu’il y a non seulement des conventions collectives, mais aussi que, en ce qui concerne l’équité, on retrouve dans la fonction publique des ouvriers et des gens qui font l’entretien. Il n’y a pas seulement ceux que vous avez en tête, qui sont des gens qui ne travaillent pas très fort de la maison. Ce n’est pas cela, la fonction publique. La fonction publique est formée d’un ensemble de salaires différents et de conditions de travail différentes.

Si vous parliez de haut placés qui travaillent dans les cabinets des ministères, ce serait différent, mais je ne crois pas que vous pouvez faire une analogie entre la fonction publique dans sa globalité et nous, qui sommes tous de haut salariés par comparaison au salaire moyen que l’on gagne au pays. En conséquence, je ne crois pas que cet argument soit valable.

Je ne crois pas non plus que le fait de dire que ce geste va engendrer du cynisme est un bon argument. Donc, que doit-on faire? Doit-on se cacher dans un coin et ne rien faire, parce que faire quelque chose est risqué? Je n’ai pas tendance à croire que ce soit la meilleure façon de faire les choses. Je crois plutôt que l’on doit essayer d’agir et, dans le pire des cas, on ne convaincra personne. Je crois que plusieurs événements ont généré du cynisme au Sénat ces derniers temps. Malheureusement, il y a eu des scandales qui se sont prolongés et, chaque fois, le Sénat revient à ces éléments. On pourrait au moins faire quelque chose pour contribuer au bien général.

Le sénateur Housakos [ - ]

Sénatrice Miville-Dechêne, vous donnez l’impression que les personnes qui travaillent dans le secteur privé ne sont pas des gens de classe inférieure moins bien payés. Nous n’avons pas de classe moyenne et personne dans le secteur privé ne gagne un salaire sous la moyenne nationale du pays. Les Canadiens souffrent dans tous les secteurs. Les agriculteurs, ainsi que les camionneurs, les aides-serveurs, les serveurs, les petits entrepreneurs et les grands entrepreneurs. Il y a un sentiment de malaise, de douleur et d’insécurité dans tout le secteur privé.

Si vous travaillez dans le secteur public, peu importe que vous occupiez un emploi bien ou mal rémunéré, vous bénéficiez de la sécurité d’emploi et d’une pension. C’est ce que j’entends lorsque je parle de deux poids, deux mesures.

Étant donné que beaucoup de sénateurs touchent déjà des pensions d’un poste précédant dans la fonction publique et qu’ils reçoivent un salaire pour leur travail en cette institution, je crois que les gens du secteur privé ne seront pas impressionnés par le fait que ces personnes appartenant à l’élite gèlent leur salaire.

Son Honneur le Président [ - ]

Sénatrice Miville-Dechêne, il ne vous reste que 30 secondes pour répondre.

Je voudrais rassurer le sénateur Housakos. Bien sûr, je suis tout à fait consciente du fait que, dans le secteur privé, il y a énormément de tragédies qui se déroulent en ce moment, et je ne veux nullement ignorer cela. J’essayais plutôt de répondre à votre question, qui évoquait la possibilité d’englober le secteur public dans ce gel de salaire. Évidemment, le secteur privé est celui qui souffre le plus en ce moment; c’est évident. Cependant, même si c’est le cas, le premier ministre de l’Alberta, Jason Kenney, a lui-même réduit son salaire à un moment où les choses allaient mal; il est donc possible de le faire.

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