Projet de loi sur la diffusion continue en ligne
Projet de loi modificatif--Message des Communes--Motion d’adoption des amendements des Communes et de renonciation aux amendements du Sénat--Motion d'amendement--Motion de sous-amendement--Débat
26 avril 2023
Honorables sénateurs, j’interviens à nouveau aujourd’hui pour parler de la motion du sénateur Gold concernant le message de la Chambre des communes sur le projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois. Plus précisément, je parle du sous‑amendement proposé par le sénateur MacDonald.
Le sénateur MacDonald propose que le projet de loi C-11 soit modifié de manière à ce que le Sénat insiste sur l’amendement no 3. Il avait tout à fait raison de dire, il y a quelques jours, que cet amendement est vraiment au cœur des amendements que le Sénat a renvoyés à la Chambre il y a quelques semaines.
Chers collègues, le Sénat s’est penché sur le projet de loi C-11 pendant de nombreux mois. Je l’ai déjà dit, mais je dois le répéter : le projet de loi C-11 est un mauvais projet de loi. Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications a entendu 140 témoins, et bon nombre d’entre eux ont soulevé des questions qui les préoccupaient beaucoup. Le ministre lui-même a indiqué que le Sénat avait entendu quelque 42 heures de témoignages.
Pourquoi le Sénat a-t-il entendu autant de témoins au cours d’une si longue période? La réponse à cette question est très simple, collègues : si nous avons entendu un si grand nombre de témoins, c’est parce qu’il s’agissait de Canadiens qui voulaient être entendus et qui méritaient de l’être. Ces Canadiens étaient très préoccupés par le projet de loi, par l’équité, par leur gagne-pain et par le fait que le gouvernement s’ingérait dans des choses qu’il ne comprend pas vraiment. Il s’agissait souvent de Canadiens qui avaient été privés d’une occasion semblable d’être entendus à la Chambre du peuple, la Chambre des communes.
On a déjà parlé du nombre de fois que le gouvernement a imposé la clôture ou la fixation de délais au sujet de ce projet de loi. Même si le gouvernement a honteusement imposé la fixation de délais au sujet de ce projet de loi au Sénat, il avait déjà eu recours à cet outil draconien à plusieurs occasions à la Chambre des communes. Quel en a été le résultat? Les sénateurs se souviendront que le résultat a simplement été le suivant : il y a eu un fiasco après l’autre au Comité permanent du patrimoine canadien de la Chambre des communes. Les députés ont voté au sujet d’amendements qu’ils ne comprenaient pas vraiment. Chose certaine, les Canadiens, eux n’avaient aucune idée de la nature de ces amendements, car on ne leur a fourni aucune explication à leur sujet. Aucun débat n’a été autorisé. Aucune question de la part des représentants du gouvernement n’a été autorisée.
Une motion de guillotine imposée par le gouvernement a été présentée au comité qui a agi en conséquence, soit exactement comme un tribunal fantoche.
J’ai entendu la sénatrice Simons dire ceci il y a quelques jours :
Le Sénat a le devoir de protéger les droits et les libertés garantis par la Charte, y compris la liberté d’expression. Or, même si je pense que le paragraphe 4.2(2) porte effectivement atteinte à la liberté d’expression, il ne le fait pas explicitement. En dépit de la panique, des messages qui visent à fomenter la colère et des arnaques manipulatrices qu’il suscite dans les médias sociaux, ce projet de loi ne vise à censurer personne. Ce n’est pas un complot du Forum économique mondial ni un complot communiste, nazi ou orwellien. C’est simplement un projet de loi qui laisse à désirer.
Ce sont ses paroles. Je ne sais pas si elle a regardé la véritable farce qui s’est produite à la Chambre des communes, où le gouvernement et les députés du NPD ont rejeté les amendements sans même prendre la peine d’en connaître la teneur, mais si ce spectacle n’était pas suffisant pour susciter l’inquiétude quant aux conséquences de ce projet de loi sur la liberté d’expression et de débat dans notre pays, alors je suppose que rien ne pourra déclencher une telle alarme.
Si elle n’a pas été motivée à défendre son amendement après avoir entendu des dizaines de témoins qui ont comparu devant le Comité sénatorial permanent des transports et des communications, alors je suppose qu’il n’y a pas grand-chose qui puisse l’inciter à se battre.
De quel genre de lutte s’agit-il? À ce stade, il s’agissait seulement d’une demande pour que cette question soit renvoyée au gouvernement, au moins une fois de plus, afin de souligner l’importance de cette question pour tant de Canadiens. Nous ne demandions pas que la question soit renvoyée entre les deux Chambres ad vitam aeternam. Juste une fois de plus. Cet amendement n’en valait-il pas au moins la peine? Ne valait-il pas la peine de dire au gouvernement que cette question devait être réexaminée?
Ne vous y trompez pas, chers collègues, les Canadiens sont très préoccupés par de nombreux éléments de ce projet de loi. Cela ne fait aucun doute. Comme le Sénat a pu entendre de manière très détaillée à quel point ce projet de loi aura des effets sur de nombreux éléments du secteur de la radiodiffusion, j’aimerais mettre en lumière certaines de ces préoccupations.
Tout d’abord, l’inflexibilité de la définition du « contenu canadien » a suscité de nombreuses inquiétudes. De nombreux témoins se sont dits très préoccupés par cette question, que le projet de loi C-11 ne règle pas du tout. Des témoins ont expliqué de façon convaincante les implications de cette situation. Quant à lui, le gouvernement soutient que l’approche traditionnelle à l’égard de la définition du « contenu canadien », et je cite, « est au cœur de la définition des émissions canadiennes, et ce depuis des décennies ».
Le gouvernement affirme également qu’amender ces dispositions « enlèverait au CRTC la capacité de s’assurer que cela demeure le cas ». Cette réponse ressemble beaucoup à tout ce que nous avons entendu de la part du gouvernement sur tous les aspects de ce projet de loi, tout au long du processus.
En ce qui a trait à la question précise du contenu canadien, le gouvernement soutient que le principe selon lequel les émissions canadiennes sont d’abord et avant tout du contenu créé par des Canadiens ne peut se définir que d’une seule façon, une façon qui, dans la plupart des cas, doit être celle que choisit le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, ou CRTC.
Le gouvernement soutient aussi que, puisque cette approche est, pour employer ses mots, « au cœur de la définition des émissions canadiennes, et ce depuis des décennies », on doit continuer d’aborder la question de cette façon précise. Comme il l’a fait tout au long du débat, le gouvernement affirme qu’il faut laisser au CRTC un pouvoir discrétionnaire plein et entier. C’est une position qu’il répète presque comme un mantra. Le CRTC doit avoir ce pouvoir discrétionnaire.
C’est un message que nous avons entendu concernant différents éléments du projet de loi, un peu comme un slogan sur lequel on se rabat lorsqu’on est à court de véritables arguments. Nonobstant le fait que le Sénat ait pu entendre des témoins nombreux et variés à ce sujet, le point de vue du CRTC doit toujours être celui qui compte. N’oublions pas que tous les membres du CRTC sont nommés par le gouvernement.
Nous devons être honnêtes et dire qu’il est fort probable que les décisions des commissionnaires refléteront les positions idéologiques et stratégiques du gouvernement.
Honorables collègues, je suis d’avis que cette façon paternaliste et condescendante de définir le contenu canadien n’a pas du tout sa place dans le monde du XXIe siècle. C’est ce qui est ressorti très clairement d’un grand nombre de témoignages entendus au Comité des transports et des communications. Le message commun livré par ces témoins qui évoluent dans le vrai monde, c’est que la définition actuellement utilisée par le gouvernement pour définir le contenu canadien est rigide et désuète.
Évidemment, certains intervenants, qui représentent surtout les grands joueurs, ont dit au comité que la propriété des moyens de production devrait demeurer un élément central de la définition de ce qui constitue ou non du contenu canadien. Nous avons aussi entendu bon nombre de petits joueurs dirent que cette approche est rigide en soi.
Comme on l’a dit à maintes reprises à notre comité, cette approche veut dire que, dans le cas d’une émission comme La servante écarlate, qui est basée sur une histoire écrite par une Canadienne, qui a été filmée au Canada, dont l’histoire parle en partie du Canada, qui est produite à Toronto, qui met en vedette des acteurs canadiens, qui est réalisée avec une équipe de production canadienne et qui rapporte des millions de dollars au Canada ne serait quand même pas considérée comme du contenu canadien, honorables collègues, simplement parce que la compagnie de production est états-unienne.
Cette approche rigide engendre des problèmes considérables. D’une part, elle nuit à l’investissement au Canada. C’est ce qu’ont affirmé très clairement les représentants de certains grands acteurs internationaux lors de leur témoignage. David Fares, vice-président de la Politique publique mondiale de la compagnie Walt Disney, a déclaré ce qui suit au comité le 15 septembre :
[...] au cours des trois dernières années, nous avons versé environ 3 milliards de dollars dans la production de contenu au Canada. Chaque production représente un investissement dans l’embauche et le perfectionnement professionnel de travailleurs canadiens hautement qualifiés et dans les infrastructures. C’est donc à l’avantage de l’ensemble de l’écosystème audiovisuel.
M. Fares a ajouté :
De plus, nous collaborons avec les maisons de production locales [...] Nous embauchons des gens à mesure que nous déployons le système de production virtuelle [...]
Toutefois, il a précisé : « Pour cela, il faut un régime souple. »
Cette position est parfaitement compréhensible. Si un programme de Disney présente au monde entier une histoire canadienne, que Disney embauche des acteurs et des scénaristes canadiens et une équipe de production canadienne et que le programme est filmé au Canada, pourquoi ne le considérerait-on pas comme du contenu canadien qui contribue à la diffusion de la culture canadienne à l’échelle mondiale?
L’amendement proposé par le Sénat visait à remédier au manque de souplesse à cet égard. Cet amendement émanant du Sénat, qui ajoutait une seule ligne au projet de loi, se lisait comme suit :
(1.11) Aucun des critères énoncés aux alinéas (1.1)a) à e) n’est déterminant au regard du contenu de tout règlement pris en vertu de l’alinéa (1)b).
Cet amendement s’appuyait précisément sur ce qu’avaient demandé les témoins.
Wendy Noss, présidente de l’Association cinématographique du Canada, a témoigné devant le comité sénatorial le 4 octobre. Elle a dit ce qui suit :
[...] le CRTC devra être à même de créer une définition moderne et souple de ce qu’est une émission canadienne afin de multiplier les possibilités offertes aux créateurs canadiens, promouvoir le contenu réalisé par les Canadiens, avec eux ou à leur sujet, et faire connaître le contenu canadien dans le monde entier. Nous proposons donc un amendement à l’article 10 pour assurer qu’« aucun facteur particulier ne soit déterminant » [...]
Les sénateurs ont souscrit à cette recommandation et ils ont donc soutenu l’amendement. Toutefois, le gouvernement affirme maintenant qu’il n’est pas souhaitable de permettre une souplesse dans un projet de loi.
Il est assez évident que, à l’interne, même le ministère du Patrimoine canadien comprend qu’une telle position n’est pas viable. Michael Geist, qui est professeur, a obtenu une note récente de la division Radiodiffusion, droit d’auteur et marché créatif du ministère. Elle dit ce qui suit :
[...] nous présumons que les services de diffusion en continu étrangers produisent déjà des émissions qui seraient considérées comme étant du contenu canadien [...] mais qui sont inadmissibles parce qu’elles appartiennent à des intérêts étrangers. En vertu de la réglementation existante, le titulaire des droits d’auteur doit être un Canadien, ce qui empêche les entreprises étrangères telles que Netflix de produire à l’interne leur propre contenu canadien [...] Dans le plus récent modèle de la Direction générale de la radiodiffusion, du droit d’auteur et du marché créatif, nous estimons que ce genre de production de « contenu non officiellement canadien » représente environ 48 millions de dollars par année. Une fois qu’on permettra aux services de diffusion en continu étrangers de produire leurs propres émissions (ce que, présumément, le projet de loi C-11 vise à encourager), ces dépenses seraient réaffectées au contenu canadien certifié.
Ainsi, le ministère du Patrimoine canadien reconnaît, en privé, la réalité. Il admet tacitement le dilemme actuel qu’entraîne l’inflexibilité de la définition de « contenu canadien ». Cela dit, en dépit de tout cela, le ministère et le gouvernement ont rejeté l’amendement du Sénat à cet égard.
Bien franchement, chers collègues, la position du gouvernement reflète un pur entêtement. Au moyen de cette motion de fixation de délai, ils veulent faire en sorte qu’on ne parle plus de cette question. Le gouvernement dit non aux directives législatives et propose plutôt de se fier au processus de réglementation du CRTC qui, vraisemblablement, prendra des années à aboutir. Combien d’emplois et d’occasions seront perdus dans l’intervalle?
Je trouve que l’approche du gouvernement, qui consiste simplement à mettre fin au débat sur cette question ainsi que d’autres, est draconienne. Il a fait exactement la même chose à plusieurs occasions à la Chambre et je trouve cela hautement répréhensible. Je trouve regrettable que les sénateurs nommés par le gouvernement aient simplement acquiescé au déploiement de cette même tactique draconienne.
Il y a ensuite la question de la vérification de l’âge, l’une des autres questions que cette limitation du débat empêchera d’aborder ou d’explorer. J’ai déjà parlé de ce sujet qui concerne l’amendement proposé par la sénatrice Miville-Dechêne pour incorporer une exigence de vérification de l’âge lorsqu’il s’agit de visionner du contenu explicite pour adultes. Après tout, le projet de loi C-11 est une loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois.
Un tel amendement était parfaitement adapté à ce projet de loi et entrait tout à fait dans son champ d’application, et le Sénat l’a donc adopté parce qu’il estimait qu’il était important. Alors pourquoi le gouvernement a-t-il rejeté l’amendement? Pour reprendre les propres termes du gouvernement, il l’a fait pour les raisons suivantes :
...[l’amendement] cherche à légiférer sur des questions relatives au système de radiodiffusion qui vont au-delà de l’intention politique du projet de loi, dont le but est d’inclure les entreprises en ligne, c’est-à-dire les entreprises de transmission ou de retransmission d’émissions sur Internet, dans le système de radiodiffusion
Il s’agit là d’un autre refrain qui a été souvent ressassé.
Dans plusieurs de ses réponses aux amendements du Sénat, le gouvernement reprenait le même argument, selon lequel tel ou tel amendement « s’éloignait de l’objectif stratégique du projet de loi ». Autrement dit, le gouvernement estime que ses objectifs stratégiques sont trop importants pour que ces amendements soient étudiés sérieusement.
Quand le sénateur Gold a commenté cet amendement au comité, il a commencé par faire comme il le fait si souvent, c’est-à-dire qu’il a remercié la sénatrice Miville-Dechêne de l’avoir présenté, mais il a aussitôt ajouté ceci :
Assurer la sécurité de nos enfants n’est pas seulement une priorité pour le gouvernement, mais pour nous tous et pour tous les gouvernements. Le gouvernement est toutefois d’avis que le projet de loi C-11 n’est tout simplement pas la bonne façon d’atteindre cet objectif important et d’accomplir ce travail important.
Quel autre instrument serait assez important pour assurer la sécurité des enfants? N’importe lequel, selon moi.
À entendre le sénateur Gold, le gouvernement entend présenter une mesure législative pour prévenir les méfaits en ligne, le but étant que tous les Canadiens qui vont sur Internet devraient le faire en toute sécurité. Or, le gouvernement a eu huit ans pour agir, et nous attendons toujours. Pour tout dire, rien ne permet même de croire qu’il s’agit d’une priorité pour le gouvernement.
« Assurer la sécurité des enfants » : je ne me souviens d’aucun passage qui aborde ce dossier dans le discours du Trône ni d’aucune grande déclaration politique en ce sens, alors j’imagine que le sénateur Gold comprendra sans doute pourquoi nous sommes plutôt sceptiques.
À au moins deux occasions au cours des dernières semaines, le Sénat s’est exprimé sur cette question. Nous avons récemment adopté le projet de loi d’intérêt privé de la sénatrice Miville-Dechêne, le projet de loi S-210, Loi limitant l’accès en ligne des jeunes au matériel sexuellement explicite. Or, compte tenu de la position du gouvernement concernant l’amendement proposé par le Sénat au projet de loi C-11, il est difficile d’être optimiste quant à la possibilité qu’il appuie ce projet de loi du Sénat.
Je dirais que, si le gouvernement voulait vraiment protéger les enfants en ligne, il aurait appuyé l’amendement en question ou il aurait proposé de le modifier. Or, il n’a rien fait de tel. Protéger les enfants n’est pas une priorité du gouvernement; il en a fait la preuve. Il a d’autres priorités, alors ce problème restera entier.
Quand la motion sera mise aux voix, nous verrons que les sénateurs prétendument indépendants parmi nous ne s’en offusquent pas. En appuyant le projet de loi, nous indiquons que protéger les enfants n’est pas une de nos priorités.
Je crois que les arguments présentés par la sénatrice Miville-Dechêne au comité sont aussi valides aujourd’hui qu’au moment où elle a proposé son amendement et je crois que nous devrions insister sur son amendement. J’espère bien qu’elle insistera sur son amendement.
L’amendement de la sénatrice Miville-Dechêne aurait simplement imposé aux entreprises en ligne de mettre en place des mécanismes, tels que des mécanismes de vérification de l’âge, pour empêcher que des émissions consacrées à la présentation, dans un but sexuel, d’activités sexuelles explicites, ne soient rendues accessibles aux enfants par Internet. Comme elle l’a expliqué, cet amendement vise les contenus pour adultes, c’est-à-dire le matériel pornographique diffusé sur des plateformes en ligne. Elle a souligné que le contenu pour adultes diffusé par les radiodiffuseurs traditionnels relevait déjà de la compétence du CRTC. Son amendement porte exclusivement sur le contenu pour adultes. Comme elle l’a déclaré au comité :
[…] il s’agit simplement de faire en sorte que ces contenus pour adultes, qu’ils soient diffusés en ligne ou par le biais de diffuseurs traditionnels, soient réservés aux adultes. Il n’est donc pas question ici, de quelque manière que ce soit, de censure, mais uniquement d’avoir en ligne le même traitement qu’il y a dans la vie pour ce qui est du contenu pour adultes qui est réservé aux personnes de 18 ans et plus.
Il s’agit là d’un excellent amendement, que nous souhaiterions tous, je pense, voir adopté.
La sénatrice Miville-Dechêne a fait référence aux mémoires que le comité a reçus de groupes favorables à cet amendement. En effet, l’un de ces mémoires, provenant du Centre canadien de protection de l’enfance, demandait au Canada de suivre l’exemple de pays comme l’Allemagne et la France, qui réglementent déjà la vérification de l’âge.
Comme le Centre canadien de protection de l’enfance l’a indiqué au comité :
Les plateformes en ligne, surtout celles qui permettent aux utilisateurs de consulter du contenu sexuellement explicite, sont peu surveillées par le gouvernement. Pourtant, on sait que l’exposition à ce type de contenu peut être très néfaste pour les enfants, surtout s’il s’agit de contenu illégal, violent ou dégradant.
Gardez en tête, chers collègues, que les arguments présentés dans ce mémoire sont repris par de nombreux organismes professionnels de la santé. Alberta Health Services, par exemple, a déclaré que, selon une étude canadienne menée auprès de 470 adolescents, 98 % d’entre eux ont été exposés à de la pornographie. En moyenne, la première exposition a lieu vers l’âge de 12 ans, mais pour le tiers des répondants, elle se produit dès l’âge de 10 ans. Cette même étude a permis de constater qu’un jeune sur cinq est exposé contre son gré à du contenu sexuellement implicite et qu’un jeune sur neuf a été l’objet de sollicitation sexuelle en ligne.
On estime en outre que de 15 à 30 % des jeunes ont déjà sexté, une proportion qui augmente avec l’âge. Comme l’a dit la sénatrice Miville-Dechêne ici même à propos du projet de loi S-210, les effets néfastes de l’exposition continue des enfants à du contenu pour adultes sont bien documentés. Hélas, ces effets touchent une génération entière d’enfants — les vôtres, les miens et nos petits‑enfants.
Selon une étude menée par l’Association du barreau américain, l’exposition excessive à du contenu violent, véhiculant des stéréotypes sexistes ou sexuellement explicites fausse la vision que les enfants ont du monde, les pousse à adopter des comportements à risque et nuit à leur capacité de nouer des relations durables et réussies.
Toujours selon cette étude :
La pornographie est sans doute plus sexiste et plus hostile à l’égard des femmes que les autres images sexuelles véhiculées par les médias. L’agressivité et la violence à l’égard des femmes que l’on trouve dans une grande partie de la pornographie populaire d’aujourd’hui peuvent apprendre aux garçons et aux jeunes hommes qu’il est socialement acceptable, voire souhaitable, de se comporter de manière agressive à l’égard des femmes et de les rabaisser.
Une autre étude de l’American Academy of Family Physicians a constaté ce qui suit :
Les enfants, les adolescents et les jeunes adultes consomment des médias numériques à partir de diverses sources, dont beaucoup sont mobiles et accessibles en tout temps, et offrent une participation à la fois passive et active. Bon nombre de ces plateformes médiatiques proposent du divertissement dont le contenu est passablement violet et met en scène des comportements sexuels et interpersonnels agressifs.
La société a fermé les yeux sur ce problème pendant trop longtemps. Je crois, comme la majorité des sénateurs, que le projet de loi C-11 était un moyen tout à fait approprié de corriger cette situation. Je crains fort que, malgré les assurances du gouvernement, qui a promis d’agir d’ici quelques mois, nous restions sur notre faim.
Je crains également que le projet de loi S-210 tombe tranquillement dans l’oubli.
Si le gouvernement avait été sérieux, il aurait au moins présenté une contreproposition à cet amendement. Or, il n’en a rien fait, et voilà qu’il souhaite aujourd’hui couper court à tout ce qui pourrait s’apparenter à un débat, que ce soit sur cette question ou sur toutes les autres que suscite le projet de loi C-11. J’ai l’impression que les répercussions de cette partie du projet de loi seront néfastes et que ce sont les enfants et les jeunes du Canada qui en feront le plus les frais.
Cela dit, de tous les problèmes qui ressortent du projet de loi C-11, le Sénat aura au moins essayé d’en régler un, et c’est là‑dessus que porte l’amendement du sénateur MacDonald, c’est‑à‑dire l’encadrement par l’État du contenu créé par les utilisateurs.
Que cet amendement ait été présenté au départ par des sénateurs nommés par le gouvernement montre à quel point il s’agit d’une question cruciale. Cela montre également à quel point les témoins entendus par le comité sénatorial ont su se montrer convaincants. La majorité des sénateurs qui en font partie ont jugé que cette question ne pouvait pas être mise de côté.
À mes yeux, cet amendement était à la fois modeste et minimal et il respectait largement la promesse du ministre concernant l’encadrement du contenu créé par les utilisateurs.
J’ai déclaré par le passé, de même que le sénateur McDonald, qu’au cours de son témoignage devant le Comité sénatorial permanent des transports et des communications, le ministre a affirmé catégoriquement :
Nous avons écouté les créateurs sur les médias sociaux, nous les avons écoutés, nous avons compris leurs préoccupations, et nous l’avons rétabli, avec l’exception prévue à l’article 4.2 visant le contenu commercial qui remplit les trois critères. C’est tout.
Les propos du ministre ont peut-être déjà été rapportés, mais ils méritent qu’on s’y attarde. Comme le sénateur MacDonald et d’autres l’ont souligné, le gouvernement a prétendu à maintes reprises que l’article 4.2 ne visait que les contenus commerciaux. Le gouvernement a prétendu avoir écouté les créateurs des médias sociaux, mais les témoignages ont clairement montré que la plupart des créateurs de médias sociaux ne voyaient pas les choses de cette manière.
Par conséquent, comme on l’a dit, l’amendement proposé visait à confirmer les propres paroles du ministre. C’était le seul objectif de l’amendement.
En fait, tout ce que le Sénat a fait, c’est de prendre le gouvernement au mot et de tester son engagement. Or, lorsqu’il a été mis à l’épreuve, le gouvernement a échoué. Il a en effet déclaré qu’il continuerait à se réserver le droit de permettre au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, ou CRTC, de réglementer au besoin les contenus générés par les utilisateurs.
Il ne fait absolument aucun doute que c’est la position du gouvernement. Si ce n’était pas le cas, l’amendement du Sénat ne poserait aucune difficulté au gouvernement.
L’amendement du Sénat pose toutefois des difficultés au gouvernement, puisqu’il a révélé le jeu du gouvernement. Celui-ci a alors décidé qu’il n’avait pas d’autre choix que de mettre cartes sur table et de rejeter l’amendement du Sénat.
Je crois que le rejet de cet amendement aura de vastes ramifications. C’est en effet ce que nous ont dit de nombreux témoins. J’en citerai quelques-uns.
Monica Auer est directrice générale du Forum for Research and Policy in Communications. Quand elle a comparu devant le comité, elle nous a mis en garde contre le pouvoir presque illimité que le projet de loi C-11 donnerait au CRTC. Elle a dit ceci :
Un fait demeure. Même si on répète en boucle aux Canadiens de faire confiance au CRTC, le projet de loi C-11 n’atteindra probablement pas les objectifs visés s’il ne permet pas au Parlement d’exercer une surveillance adéquate à l’égard du travail du CRTC et de son respect des lois, notamment de la Loi sur la radiodiffusion.
Le cinéaste indépendant Justin Tomchuk a témoigné devant le comité le 27 septembre. Voici ce qu’il a dit au sujet de la réglementation du contenu produit par les utilisateurs :
L’alinéa 4.2(2)a) proposé par le projet de loi C-11 indique clairement que mon entreprise sera visée par les directives du CRTC, puisque je tire un revenu direct et indirect de mes efforts artistiques.
L’un des objectifs du projet de loi C-11 est de donner la priorité au contenu canadien pour les Canadiens par l’entremise de mesures de découvrabilité.
En tant que personne ayant construit une entreprise grâce à ces plateformes, je peux dire en toute confiance que ces plateformes sont des algorithmes. Vous ne pouvez pas, de manière réaliste, exiger des résultats en matière de découvrabilité sans forcer les plateformes à modifier leurs algorithmes.
M. Tomchuk a ensuite expliqué quelles seraient les conséquences pour lui et tant d’autres personnes :
Cela aura des conséquences énormes non seulement pour mon entreprise artistique, mais aussi pour tous les producteurs de biens manufacturés, les promoteurs, les commerçants ou les exportateurs canadiens qui utilisent les plateformes de médias sociaux pour rejoindre un public international.
J.J. McCullough est youtubeur et chroniqueur. Lors de son témoignage devant le comité sénatorial le 27 septembre, il a livré un vibrant plaidoyer pour la liberté d’expression et contre la réglementation du contenu généré par les utilisateurs. Il a dit ce qui suit au sujet du projet de loi :
[...] les créateurs de contenu et les consommateurs ne considèrent pas simplement que le projet de loi C-11 est mal écrit — bien qu’il le soit [...] de nombreuses personnes pensent que le projet de loi est foncièrement mal motivé. Parmi les dizaines de créateurs et de spectateurs de vidéos en ligne que j’ai entendus, tous ont été très clairs : ils n’ont aucune envie de vivre sous la botte d’un gouvernement qui a le pouvoir de forcer des plateformes comme YouTube à prôner, à promouvoir, à suggérer ou autrement à encourager certains types de contenus canadiens auprès de Canadiens qui n’ont pas choisi librement de le voir.
Les observations de M. McCullough indiquent clairement que de nombreux Canadiens verront le projet de loi comme une attaque directe contre la liberté d’expression.
Comme cela a été dit précédemment, nous avons entendu cette même mise en garde de la part de sénateurs ici présents. Le sénateur Richards s’est exprimé avec force à cet égard, et ses paroles ont été largement citées à l’extérieur de cette enceinte. Le gouvernement, chers collègues, n’en a nullement tenu compte.
Nous ne devons pas nous faire d’illusions : de nombreuses personnes qui en ont les moyens vont maintenant partir pour montrer leur mécontentement. Elles quitteront le Canada ou se déplaceront pour contourner les restrictions que le CRTC pourrait imposer.
Il se peut que de nombreux sénateurs d’en face ne se soucient pas de cela. Peut-être croient-ils que tout cela n’est que du bluff. Pourtant, les sénateurs devraient s’en préoccuper, car les implications pour la créativité future du Canada sont considérables, chers collègues.
La sénatrice Simons, plus que quiconque, devrait le savoir. Il y a quelques semaines, elle a parlé de la perte de créativité que le Canada a connue à cause des politiques racistes du passé. Or, les mauvaises politiques des gouvernements, accompagnées de messages négatifs, ne sont pas simplement des choses du passé. Lorsque nous élaborons des lois et des politiques, nous devons toujours avoir à l’esprit le risque de voir disparaître des talents nationaux potentiels, sachant que cette disparition peut avoir de nombreuses causes.
Les lois et les politiques gouvernementales qui vont trop loin, ou qui sont perçues comme telles peuvent être extrêmement préjudiciables et dissuader des personnes talentueuses de rester dans le pays. Je suis découragé de voir que tant de sénateurs ont ignoré cela et ont plutôt succombé à l’idée que « toute résistance est vaine ».
J’aurais aimé que le Sénat ne baisse pas les bras à l’égard du projet de loi C-11. En tant que sénateurs, notre rôle est de parler au nom des Canadiens ordinaires dont le gagne-pain sera touché par ces mesures législatives. Il y en a parmi eux qui ont témoigné devant nos comités. Si leurs arguments sont crédibles et que ceux du gouvernement ne le sont pas, alors nous avons l’obligation d’agir pour ces Canadiens et d’être l’instrument de leur volonté. Quand nous échouons à cette obligation, les Canadiens sont tout à faire en droit de remettre en question l’utilité du Sénat en tant qu’institution.
Cette enceinte devrait être plus qu’un lieu de discussion purement théorique où nous adoptons des motions, apportons des amendements mineurs aux projets de loi, pour ensuite décider d’en rester là. Malheureusement, j’ai bien peur que ce soit ce que nous avons fait avec le projet de loi C-11.
Le Sénat a consacré plusieurs mois à entendre les témoins, puis il a timidement proposé quelques amendements au gouvernement — seul un petit nombre d’entre eux pouvant être considérés comme substantiels. Quand le gouvernement a fait savoir qu’il n’était pas intéressé, la majorité des sénateurs dans cette enceinte se sont simplement désistés. Puis, quand certains d’entre nous ont voulu insister, après une journée de débat, notre leader du gouvernement a déclaré : « J’en ai assez entendu. Les Canadiens ne veulent plus entendre ce que vous avez à dire. Vous êtes des conservateurs, ils ne veulent pas votre opinion, » et il a proposé une motion de fixation de délai. Malheureusement, puisque c’est probablement le dernier discours que nous entendrons sur ce sujet au Parlement, je me sens obligé de citer ce que des témoins ordinaires ont affirmé à notre comité au sujet des répercussions déterminantes et lourdes de ce projet de loi.
De nombreux sénateurs pensent sans aucun doute que les avertissements concernant les répercussions négatives du projet de loi sont surestimés et exagérés. Bien que le gouvernement soit clairement déterminé à permettre au CRTC de réglementer le contenu généré par les utilisateurs, de nombreux sénateurs continuent de penser que cela ne signifie rien en réalité. Ils pensent qu’il s’agit simplement de fournir au CRTC une souplesse qu’elle n’utilisera jamais.
Toutefois, que nous apprennent vraiment les témoignages? Il suffit de commencer par ce que l’ancien commissaire du CRTC Ian Scott a déclaré à maintes reprises. Les propos de M. Scott ont été soigneusement répertoriés par le professeur Michael Geist.
En mai 2022, la députée Rachael Thomas a posé la question suivante à M. Scott :
Toutes ces personnes sont des utilisateurs individuels qui créent du contenu. Il semble que le projet de loi, effectivement, les vise ou pourrait les viser. Est-ce exact?
M. Scott a répondu que, « [d]ans sa forme actuelle, le projet de loi contient une disposition qui nous permettrait d’agir ainsi, au besoin ».
Le même mois, M. Scott l’a à nouveau confirmé :
Pour sa part, l’article 4.2 [...] permet au CRTC de prévoir, par règlement, le contenu téléversé par l’utilisateur qui sera assujetti à la Loi suivant des critères très explicites. C’est ce que la Loi prescrit.
Lors d’un échange qui a eu lieu avec la sénatrice Wallin devant notre comité sénatorial et qui a été cité à maintes reprises, la sénatrice Wallin lui a posé la question suivante :
Vous n’allez pas manipuler les algorithmes; vous obligerez plutôt les plateformes à le faire. C’est une réglementation sous un autre nom. Que ce soit fait directement et explicitement ou indirectement, vous allez réglementer le contenu.
M. Scott a répondu très directement et simplement — et veuillez en prendre note —, il a répondu très simplement et directement en disant : « Vous avez raison. »
Plus tard, en réponse à la sénatrice Miville-Dechêne, M. Scott a de nouveau confirmé :
Je ne veux pas manipuler les algorithmes. Je veux plutôt que les fournisseurs le fassent pour obtenir un résultat donné.
Chers collègues, l’intention du CRTC ou son interprétation de cette mesure législative ne laisse place à aucun doute. Je crois que de nombreux profanes ne comprennent pas entièrement ce que cela signifie. Je ne suis pas certain non plus que de nombreux sénateurs dans cette enceinte en comprennent entièrement les répercussions — bien souvent, je n’en suis pas certain moi-même. Cependant, comme les témoins qui ont comparu devant le comité l’ont dit, les répercussions sont d’une grande portée.
Voici ce qu’a dit M. Garrett Levin, président et chef de la direction de la Digital Media Association, au comité le 15 septembre :
Les algorithmes constituent un élément crucial de l’expérience des utilisateurs des services de diffusion continue et des outils de découvrabilité de la musique. Ce sont d’ailleurs à la fois la personnalisation et l’étendue du catalogue qui distinguent la diffusion continue des autres modèles de distribution. Par conséquent, le comité devrait ajouter une disposition qui empêcherait le CRTC d’interférer avec la prise de décision algorithmique.
Les sénateurs et le gouvernement ont répondu que :
La version actuelle de l’article 9.1 du projet de loi interdit au CRTC d’exiger l’utilisation d’algorithmes ou de codes sources en particulier.
Toutefois, comme les témoins l’ont signalé — et le président du CRTC l’a confirmé —, le CRTC établira une politique prévoyant que les plateformes seront tenues de changer leurs algorithmes.
M. Levin a indiqué très clairement ce que cela signifierait, tout comme d’autres témoins.
Jeanette Patell, cheffe des affaires gouvernementales et des politiques publiques du Canada pour YouTube, a déclaré ceci :
M. Scott a également témoigné que le texte permettrait au CRTC de demander aux plateformes de manipuler leurs algorithmes pour produire les résultats requis [...] ce qui donne[rait] au CRTC le pouvoir de décider qui gagne et qui perd.
Nous sommes d’avis que cette approche va en fait à l’encontre des créateurs mêmes qu’elle tente de soutenir. Bâtir et développer un public aujourd’hui, c’est se connecter avec le plus grand nombre d’admirateurs qui aimeront votre contenu, qu’ils soient au Canada ou dans le monde entier.
Comme Scott Benzie, directeur général de Digital First Canada, l’a expliqué, « modifier [les algorithmes], c’est compromettre les entreprises canadiennes et l’accès à leur public ».
Les amendements proposés par les sénatrices Simons et Miville-Dechêne sont loin d’être parfaits, mais il ne fait aucun doute qu’ils ont au moins contribué à résoudre ce problème. Cependant, le rejet par le gouvernement de ces modestes amendements confirme qu’il envisage absolument des politiques qui nécessiteront la manipulation d’algorithmes.
Ce qui m’a toujours frappé dans ce débat, c’est que, d’un côté, il y a le gouvernement et les élites culturelles, et, de l’autre, il y a les Canadiens ordinaires, qui s’inquiètent du pouvoir excessif du gouvernement dont il est question ici.
C’est exactement le message qu’ont véhiculé tous les créateurs, peu importe leur région, qui ont témoigné devant notre comité. Un grand nombre de ces Canadiens n’avaient jamais envisagé de s’exprimer devant un comité parlementaire avant que ce projet de loi ne soit présenté.
Quelles autres entités les membres de notre comité ont-ils entendues et quel était leur message? Leur message était très clair : fichez-nous la paix et laissez-nous libres de faire ce que nous faisons le mieux.
Un de ces témoins, Frédéric Bastien Forrest, est une personnalité du monde de la radio et un créateur de contenu du Québec. Le Comité sénatorial des transports et des communications a entendu son témoignage le 4 octobre dernier. Il a décrit ses vidéos comme des outils à la fois éducatifs et divertissants. Dans le cadre de son travail, il vise à faire sa part dans la société et à donner au suivant. Il a dit tout haut ce que de nombreux Canadiens pensent. Je le cite :
Parfois, il est sain de créer sans gatekeepers. Cela nous permet d’être 100 % nous-mêmes, peu importe nos différences. Cela nous permet de rejoindre un auditoire qui nous ressemble.
Il a imploré le comité comme suit :
En ce moment, je m’adresse à tous les politiciens d’Ottawa, de Vancouver, de Toronto, de St. John’s, de Winnipeg, de Montréal et de Québec. Aidez-nous à renforcer la créativité dans l’univers numérique, parce qu’un créateur est une petite entreprise. Les petites entreprises sont l’épine dorsale de notre économie, et les plateformes Internet permettent aux petites entreprises de créateurs de prospérer. Si nous devons taxer les géants de la technologie, assurons-nous de subventionner les créateurs locaux sur Internet avec cet argent. Ne ratons pas cette occasion de renforcer les créateurs et l’économie. Plus précisément, en ce qui concerne le projet de loi C-11, il faut modifier l’article 4.2 et exclure le contenu généré par les utilisateurs de toute application des règles de découvrabilité.
Voilà une personne qui n’a peut-être jamais comparu devant un comité parlementaire auparavant. Que dit-elle? Ça vaut la peine de le répéter :
[...] Je m’adresse à tous les politiciens d’Ottawa, de Vancouver, de Toronto, de St. John’s, de Winnipeg, de Montréal et de Québec. Aidez-nous à renforcer la créativité dans l’univers numérique. [...] Ne ratons pas cette occasion de renforcer les créateurs et l’économie. Plus précisément, en ce qui concerne le projet de loi C-11, il faut modifier l’article 4.2 et exclure le contenu généré par les utilisateurs de toute application des règles de découvrabilité [...]
Chers collègues, quelle est notre réponse? En réalité, la réponse du Parlement du Canada — et maintenant du Sénat — est tout simplement : « Désolé, mais cela ne nous intéresse pas. » Les sénateurs du gouvernement ont plutôt accepté de clore prématurément tout débat sur un projet de loi controversé présentant de nombreux et graves problèmes, et de forcer l’adoption de ce projet de loi. Chers collègues, c’est tout simplement révoltant.
J’aimerais parler d’un autre témoignage auquel nous n’allons pas donner suite. Vanessa Brosseau, une créatrice de contenu numérique autochtone connue sous le nom de « Resilient Inuk », a déclaré ceci devant le comité sénatorial :
Mes préoccupations quant au projet de loi C-11 sont qu’il entraînera davantage d’obstacles pour les Autochtones qui créent du contenu généré par les utilisateurs et rendra plus difficile pour d’autres créateurs de contenu autochtones d’obtenir le succès que j’ai été chanceuse d’avoir.
Les créateurs autochtones comme moi — les premiers créateurs numériques qui utilisent des plateformes de contenu généré par les utilisateurs comme TikTok et YouTube — n’ont jusqu’à maintenant pas été consultés ou questionnés au sujet de leur opinion sur le projet de loi C-11. [...] je comprends que les organisations culturelles autochtones représentant les artistes traditionnels ont sans doute été consultées, les créateurs numériques indépendants comme moi ne sont pas représentés par ces organisations, et nous avons des besoins et des objectifs différents de leurs membres.
Chers collègues, combien de fois tendons-nous la main aux Autochtones pour les aider? Nous avons ici une occasion de le faire. Lorsqu’il s’agit de questions autochtones, nous avons entendu le gouvernement réaffirmer sans relâche qu’il respecte le principe voulant que rien de ce qui concerne les Autochtones ne se fasse sans eux.
Qu’est-ce que cela signifie au juste, en pratique, lorsque les gens ordinaires des collectivités autochtones sont tout simplement oubliés? À mon avis, c’est une question que tous les sénateurs doivent se poser. Les témoins que j’ai cités et bien d’autres qui ont comparu devant notre comité ne sont que quelques-uns des nombreux Canadiens dont le gouvernement a décidé de ne pas tenir compte. Maintenant, vous choisissez aussi de ne pas en tenir compte. Ceux qui se croient investis du pouvoir de régenter la culture canadienne ont toujours pu se servir de leurs excès réglementaires en toute impunité.
Aujourd’hui, à l’ère d’Internet, cette approche archaïque de la réglementation est inefficace. Grâce à Internet, les créateurs canadiens sont mobiles. Ils ne se laisseront pas facilement réglementer. Comme je l’ai dit, bon nombre pourraient, malheureusement, quitter le Canada, et leur départ sera significatif, mais d’autres trouveront tout simplement d’autres façons de contourner le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes ou CRTC. En ce sens, je crois que le projet de loi C-11 est susceptible de miner davantage le respect déjà amoindri qu’éprouvent beaucoup de gens pour le gouvernement et, en fait, pour le système parlementaire.
J’aurais aimé que la majorité des sénateurs prennent la défense de créateurs comme M. Forrest et Mme Brosseau. J’aurais aimé qu’ils se tiennent debout pour les témoins comme Scott Benzie, Oorbee Roy, Justin Tomchuk et J.J. McCullough, mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Maintenant, le gouvernement sort la guillotine de la clôture pour mettre fin à toute forme de débat. Il faut que les Canadiens qui s’opposent à ce projet de loi ou qui s’en inquiètent sachent que le gouvernement ne veut plus rien savoir d’eux.
Le Sénat a présenté un amendement tout à fait modeste qui aurait permis de protéger les créateurs ordinaires, surtout les petits joueurs. L’amendement à l’étude demanderait au gouvernement de réétudier la question une dernière fois. C’est loin d’être la première fois que le Sénat procède ainsi et c’est ainsi qu’il aurait dû agir encore cette fois-ci, selon moi.
Le sénateur MacDonald a demandé aux sénateurs d’écouter les Canadiens au lieu de suivre les directives du Cabinet du premier ministre. La majorité des sénateurs nommés par le gouvernement ont répondu non. C’est honteux, chers collègues.
Chers collègues, à ce stade, la suite des choses est claire pour tout le monde dans cette enceinte. Premièrement, comme c’est l’usage, 96 % des sénateurs dits indépendants soutiendront le gouvernement sur ce projet de loi. Même si les chances qu’une telle chose se produise sont incroyablement faibles, si ces sénateurs étaient vraiment indépendants, ils ne voteraient pas en bloc une fois de plus, tout en insistant sur le fait qu’ils l’ont fait de manière indépendante. C’est comme si vous jouiez à pile ou face et que vous tombiez sur face 96 fois sur 100, et que vous le fassiez encore et encore sans croire que la pièce est truquée.
C’est un peu hallucinant d’assister à ce qui se passe ici. Hier, nous avons procédé à un vote sur la fixation d’un délai. Dans tous les votes sur la fixation d’un délai dont je me souvienne, les sénateurs du gouvernement ont soutenu la motion et les sénateurs de l’opposition s’y sont opposés. C’est exactement, chers collègues, ce qui s’est passé lors du vote d’hier. Vous pouvez protester, soupirer et faire semblant tant que vous voulez, mais l’empereur est nu. Les Canadiens savent très bien qui sont les sénateurs du gouvernement, qu’ils veuillent ou non l’admettre.
Le deuxième résultat, c’est qu’une vague bleue arrive. Aux millions de Canadiens qui ont suivi le débat sur le projet de loi C-11, et aux milliers d’entre eux qui ont pris le temps de signer des pétitions, d’écrire à leurs députés et d’écrire à des sénateurs, à tous ces gens, j’aimerais dire que je suis désolé. Je suis désolé que notre système politique vous laisse tomber. Je suis désolé que bon nombre d’entre vous aient vraiment cru que le Sénat était indépendant. Cependant, ne vous découragez pas, car Pierre Poilievre a promis qu’il éliminera le projet de loi C-11 lorsqu’il deviendra premier ministre, et le plus tôt sera le mieux. La vie du projet de loi C-11 sera de courte durée.
Je peux vous assurer qu’un gouvernement conservateur défendra tous les créateurs. Il s’opposera aux empêcheurs de tourner en rond dans le domaine culturel. Il s’opposera aux bureaucraties qui vont trop loin et qui étouffent la créativité. Ce jour viendra. Bon courage. Que Dieu bénisse le Canada.
Est-ce que le sénateur Plett accepterait de répondre à une question?
Comme le leader du gouvernement l’a fait hier, je vais répondre à une question pour ensuite céder la parole à quelqu’un d’autre.
Sénateur Plett, vous m’avez citée abondamment, et je vous remercie d’appuyer ainsi mon initiative visant à protéger les enfants des contenus pornographiques.
Toutefois, puisqu’il s’agit d’un débat public, j’aimerais remettre les pendules à l’heure. Comme vous le savez, au-delà de cet amendement, le projet de loi S-210 est déposé aujourd’hui même à la Chambre des communes par la députée conservatrice Karen Vecchio, que vous connaissez bien. Nous avons toutes deux bon espoir que ce projet de loi...
Votre Honneur, la sénatrice Miville-Dechêne a dit qu’elle voulait remettre les pendules à l’heure. Elle peut le faire au cours du débat. Si elle a une question, j’y répondrai. Si elle veut remettre les pendules à l’heure, elle peut prendre la parole pendant le débat et le faire.
Je vais tout de même poser ma question. Pourquoi êtes-vous si pessimiste quant à l’avenir du projet de loi S-210? Détenez-vous des informations vous permettant de dire que ce projet de loi ne sera pas adopté et que l’amendement au projet de loi C-11 est la seule façon de progresser?
Encore une fois, votre question ne porte pas sur le projet de loi C-11, mais sur le projet de loi S-210. Mon allocution portait sur le projet de loi C-11. Je n’ai aucune information selon laquelle il ne sera pas adopté. Encore une fois, comme l’a dit hier le sénateur Dalphond, si ça cancane comme un canard et si ça nage comme un canard, c’est probablement un canard. Le gouvernement a montré qu’il ne se soucie pas particulièrement de l’exploitation des enfants. Il l’a montré avec le projet de loi C-11. Je n’ai aucun espoir qu’il en soit autrement avec le projet de loi S-210. Il est clair que j’appuie ce projet de loi.
Honorables sénateurs, nous amorçons aujourd’hui le débat final sur le projet de loi C-11, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois.
Plus précisément, nous discutons d’abord du sous-amendement que le sénateur MacDonald a proposé à l’amendement qu’avait présenté le sénateur Plett sur la motion principale. Comme vous le savez, nous tenons cette discussion dans le cadre d’un débat restreint à la suite de la présentation et de l’adoption d’une motion d’attribution de temps par le leader du gouvernement au Sénat.
Toutefois, avant de commencer mon intervention sur le sujet précis du sous-amendement du sénateur MacDonald, j’aimerais revenir sur certaines paroles que le sénateur Gold, fier leader du gouvernement, a prononcées hier. En abordant la question de l’attribution de temps, le sénateur Gold a notamment mentionné ceci :
Il est important de nous rappeler que l’objectif initial de la fixation de délai était de permettre non seulement à un gouvernement majoritaire de gérer le temps limité dont dispose une chambre législative, mais aussi à l’organe législatif lui‑même de déjouer les manœuvres visant à ralentir délibérément l’avancement d’un projet de loi.
Puis, le sénateur Gold a ajouté ce qui suit :
En un mot, chers collègues, la fixation de délai peut être soit curative, soit abusive; tout est question de contexte.
Il a conclu en disant ceci :
En outre, honorables collègues, comme des précédents l’illustrent, il n’y a rien d’extraordinaire à la fixation de délai. D’ailleurs, on y a eu régulièrement recours lors des diverses étapes de l’étude des affaires du gouvernement [...]
Or, le sénateur Gold a en outre mentionné que lorsque j’occupais les postes de leader adjoint et leader du gouvernement au cours de la 41e législature, j’ai moi-même eu recours 22 fois à des motions d’attribution de temps. Je ne vais pas contredire le sénateur Gold à cet effet, car c’est tout à fait exact. Toutefois, on ne peut mentionner ce fait en le soustrayant de son contexte. Je répète ce que le leader du gouvernement nous a dit hier : « [...] la fixation de délai peut être soit curative, soit abusive; tout est question de contexte ».
Le contexte était assez simple à l’époque. Les sénateurs libéraux avaient perdu leur majorité au Sénat depuis décembre 2010 et refusaient très fréquemment de collaborer avec le gouvernement pour faire progresser son programme législatif. Toutefois, comme je l’ai mentionné hier soir, nous n’avons jamais utilisé de motion d’attribution de temps à l’étape d’un message à renvoyer à la Chambre des communes, et encore moins à l’étape de la réponse à l’autre endroit. Chaque fois que j’ai utilisé une motion d’attribution de temps, c’était pour faire progresser un projet de loi à l’étape de la deuxième ou de la troisième lecture, quand des projets de loi importants pour le gouvernement s’enlisaient dans les ornières partisanes de l’opposition libérale.
Bref, devant une opposition libérale très bien rodée et rompue aux tactiques obstructionnistes, les sénateurs du caucus libéral — dont faisaient partie à l’époque la sénatrice Ringuette, le sénateur Furey et la sénatrice Cordy — usaient à répétition de mesures dilatoires pour retarder indûment les débats. Évidemment, j’ai dû me servir de cet outil d’attribution de temps qui est mis à la disposition des gouvernements. En fait, c’était l’objectif de l’opposition libérale à l’époque : chaque projet de loi important devait être adopté après l’utilisation d’une motion d’attribution de temps, pour qu’elle puisse s’en servir par la suite dans son narratif partisan contre le gouvernement.
Toutefois, malgré ces tactiques, je tentais toujours de trouver des terrains d’entente avec les leaders de l’opposition. Lorsque ces négociations achoppaient — en raison d’impératifs partisans la plupart du temps — j’avais la responsabilité de faire progresser le programme du gouvernement, et je n’ai jamais hésité à le faire.
Le leader du gouvernement se targuait hier de n’avoir jamais eu recours, tout comme son prédécesseur, le sénateur Harder, à une motion d’attribution de temps. Ce faisant, le sénateur Gold a simplement mis en évidence le fait que lui et son prédécesseur ont toujours réussi à s’entendre avec l’opposition pour faire avancer le programme du gouvernement Trudeau dans les échéanciers souhaités et raisonnables.
La bonne foi de l’opposition ne peut donc être mise en doute, et il est d’autant plus étonnant que le leader du gouvernement impose aujourd’hui le bâillon à nos débats à l’étape de la réponse du Sénat au message de la Chambre des communes.
Comme l’a décidé la totalité des sénateurs nommés par le premier ministre Trudeau, nous devons donc nous conformer à ces paramètres procéduraux et traiter de l’ensemble des amendements et sous-amendements dans un délai tout de même restreint de six heures.
Je reviens donc au sous-amendement du sénateur MacDonald, qui a proposé d’amender la proposition que le sénateur Plett a présentée.
Voyons tout d’abord la nature de l’amendement du sénateur Plett.
Grâce au travail de collaboration de l’ensemble des sénateurs de cette Chambre, le Sénat a adopté 22 amendements au projet de loi C- 11, et dans sa réponse, le gouvernement en a retenu 14, en a rejeté 6 et a soumis 2 contre-propositions d’amendements. La proposition du sénateur Gold vise à ne pas insister et à accepter telle quelle la réponse de la Chambre des communes, car il est guidé par la volonté de son gouvernement libéral.
Au moyen de son amendement à la proposition du sénateur Gold, le sénateur Plett propose, au contraire, d’insister auprès de la Chambre des communes pour que les 22 amendements soient apportés au projet de loi C-11.
Le sénateur MacDonald, lui, souhaite que nous insistions essentiellement sur l’amendement no 3. Il s’agit de l’amendement qui a été refusé dans le message de la Chambre des communes. Cet amendement, s’il était adopté, modifierait le texte, tel qu’il est proposé dans le projet de loi C-11, du nouveau paragraphe 4.2(2) de la Loi sur la radiodiffusion.
Je suis d’accord avec ce que le sénateur MacDonald a affirmé dans son discours du 20 avril dernier :
C’est probablement l’amendement le plus important que le Sénat a apporté au projet de loi C-11, et il s’appuyait sur ce que des dizaines de témoins ont dit au Comité sénatorial permanent des transports et des communications pendant plusieurs mois.
Comme l’a souligné la sénatrice Simons dans son discours du 31 janvier 2023, en l’absence de cet amendement, le CRTC a, et je cite :
[...] le pouvoir de cibler une émission téléversée vers un service de média social si elle génère des revenus de façon directe ou indirecte. Cette exception à l’exception inquiète à juste titre toutes sortes de petits et moins petits producteurs indépendants qui utilisent des services comme YouTube et TikTok pour distribuer leurs émissions, bien qu’ils en conservent le droit d’auteur.
Selon moi, il est incompréhensible et déraisonnable que les députés aient, dans le message qu’ils ont envoyé au Sénat, refusé cet amendement. Je suis d’avis qu’il est donc grandement nécessaire d’insister auprès de la Chambre des communes pour maintenir cette modification au projet de loi C-11.
Rappelons ce que fait cet amendement. Il vient simplement intégrer dans la loi un engagement qu’a fait le 22 novembre 2022 le ministre du Patrimoine canadien devant le comité sénatorial qui étudiait le projet de loi C-11. C’est ce que nous ont rappelé d’ailleurs les sénateurs Plett et MacDonald dans les discours qu’ils ont prononcés le 20 avril dernier. La sénatrice Simons a rappelé, dans son discours du 31 janvier, la promesse qu’a faite le ministre du Patrimoine canadien :
À la suite de la controverse entourant le projet de loi C-10, le ministre du Patrimoine canadien a promis que les utilisateurs de médias sociaux ne seraient pas touchés par le projet de loi C-11 et que seuls les grands diffuseurs qui s’apparentent aux radiodiffuseurs traditionnels le seraient.
Dans ce contexte, le fait que les députés aient refusé l’amendement no 3 dans le message envoyé au Sénat est un élément qui change la donne, car leur message vient contredire l’engagement du ministre. Une telle situation vient donc aujourd’hui accroître les inquiétudes qu’avaient les sénateurs lorsqu’ils ont adopté l’amendement no 3. Aux yeux des sénateurs, cet amendement était nécessaire pour qu’il n’y ait aucune ambiguïté sur l’assurance qu’avait donnée le ministre au comité. Je cite sur ce point le discours de la sénatrice Simons, qu’elle a prononcé à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-11 au sujet de l’amendement n o3 :
Notre amendement au paragraphe 4.2(2) supprime toute mention relative à des revenus, qu’ils soient directs ou indirects. Il vise à déterminer si un contenu a déjà été radiodiffusé par un service commercial traditionnel ou s’il possède un identifiant unique attribué aux enregistrements commerciaux. Autrement dit, selon notre amendement, si un radiodiffuseur comme Rogers ou Radio-Canada rediffuse une partie de baseball ou un documentaire sur YouTube ou Facebook, cette rediffusion serait toujours soumise aux dispositions du projet de loi C-11.
Notre amendement prévoit aussi que si un important producteur de disques comme Sony lançait une nouvelle chanson ou un nouvel album sur YouTube, cela serait traité comme le lancement d’une chanson sur Spotify, Amazon ou TIDAL. Par ailleurs, les créateurs numériques, y compris ceux qui connaissent un succès commercial, seraient clairement et adéquatement exemptés du projet de loi C-11 même s’ils téléversaient leur comédie, leur musique, leur animation, leur film ou leurs épisodes de télé sur YouTube, TikTok, Instagram ou une autre plateforme de médias sociaux dont on ne peut encore prédire ou imaginer l’existence.
Autrement dit, mes amis, le projet de loi concerne maintenant les obligations des plateformes, pas des utilisateurs.
En rejetant cet amendement no 3, le message des députés vient donc confirmer aux sénateurs que la promesse du ministre n’a aucun effet, et donc, que le projet de loi entraîne des obligations pour les créateurs indépendants sur les médias sociaux, et pas seulement sur les plateformes commerciales.
Comme l’a affirmé le sénateur MacDonald dans son discours du 20 avril dernier :
Encore et encore, le gouvernement a prétendu que l’article 4.2 ne vise que le contenu commercial. Encore et encore, les libéraux ont prétendu qu’ils avaient écouté les créateurs en utilisant les réseaux sociaux. Or, la très grande majorité de ces créateurs ont rejeté cette affirmation à maintes reprises, et ils l’ont fait ouvertement devant le comité.
Ce changement important de situation justifie donc que nous envoyions un message clair à la Chambre des communes pour insister sur notre amendement no 3, afin de protéger ces créateurs indépendants contre la forme actuelle du projet de loi C-11, qui, de toute évidence, menace indûment leurs revenus. Merci.
Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet de l’amendement et de la discussion en cours. Je n’ai pas préparé de notes, mais je crois qu’il est temps que j’intervienne pour dire certaines choses et je suis prêt à le faire.
Je suis membre du Comité des transports et j’ai fait partie du comité directeur. Nous avons entendu parler du nombre de témoins reçus, du nombre de réunions, d’amendements, etc. Nous avons entendu que 26 amendements ont été proposés, que 18 d’entre eux ont été approuvés, que 2 ont été légèrement amendés et que 6 n’ont pas été retenus.
Le rejet que j’ai le plus de difficulté à accepter est celui de l’amendement au paragraphe 4.2(2), parce que le ministre nous avait dit qu’on viserait les gros joueurs, mais pas les petits, les petits étant les utilisateurs qui génèrent du contenu.
Il y a donc eu ici de nombreuses discussions et j’ai entendu différents points de vue. J’ai aussi pris le temps de discuter du paragraphe 4.2(2) et du projet de loi en général avec des collègues. C’est la beauté du Sénat : l’expérience apportée par le vécu des gens, qu’il s’agisse d’anciens fonctionnaires, d’avocats, de médecins. Il y a ici des personnes de tous les horizons, ce qui nous donne accès à une abondance d’informations et de points de vue. Je trouve cela fort utile.
Toute ma réflexion n’aura été qu’une longue valse-hésitation : est-ce que j’appuie le projet de loi, les amendements? En tant qu’ancien fonctionnaire... et j’ai beaucoup de respect pour certaines personnes à qui j’ai parlé. Je suis très fier d’avoir passé 32 ans dans la fonction publique. Je suis très fier de nos institutions et des institutions du gouvernement, qu’il s’agisse de la fonction publique, de la Chambre, du Sénat ou des autres.
Nous avons adopté à l’unanimité un amendement au message à l’intention de la Chambre où il était fait mention d’« assurance publique ». Personnellement, j’estime que les lois doivent être claires et j’aurais nettement préféré que le paragraphe 4.2(2) demeure dans le projet de loi. Cela étant, nous avons adopté notre message et l’amendement qui le modifiait, que le leader du gouvernement et celui de mon groupe parlementaire ont retravaillé, en y modifiant quelques mots pour lui donner un peu plus d’allant. Si on me demande mon avis, ce message n’a à peu près aucun poids, mais pour avoir fait partie de cette institution-là, pour faire aujourd’hui partie de cette institution-ci et pour avoir collaboré de près avec l’autre endroit à l’époque où j’étais au Bureau du Conseil privé, je dois continuer de croire que, le moment venu, les électeurs du pays demanderont des comptes à qui de droit.
On nous a donné publiquement l’assurance que le contenu généré par les utilisateurs est exclu. Je dois remercier le sénateur Plett : même si plusieurs points de son discours m’ont donné envie de prendre la parole maintenant, c’est surtout son dernier point qui m’a vraiment poussé à le faire. Il a dit qu’une « vague bleue s’en vient ». J’y vois là l’assurance que le processus démocratique de notre pays suivra son cours. Si les gens sont fâchés contre le gouvernement parce qu’il n’a pas respecté sa promesse — s’il permet la prise de règlements qui contreviennent à cette déclaration très publique, tant devant les comités qu’ailleurs, selon laquelle le contenu généré par les utilisateurs est exclu —, la population se fera entendre.
C’est un aspect qui me préoccupait grandement, mais je tiens à remercier le sénateur Plett de m’avoir aidé à avoir la confiance nécessaire pour prendre la parole à ce stade-ci.
Je voulais vous faire part de ces observations et je vous invite à y réfléchir.
Je remercie mes collègues qui ont pris le temps et qui ont eu la patience d’avoir une discussion avec moi à propos d’où nous en sommes aujourd’hui. Merci.
Le sénateur Quinn accepterait-il de répondre à une question?
Oui.
Merci, sénateur Quinn. Merci de votre discours. Je suis heureux qu’une partie de ce que j’ai dit ait eu un impact sur vous, que ce soit un impact positif ou négatif. J’espère que c’était positif.
Malgré tout, je trouve vos observations curieuses. Dites-vous que, parce que j’ai affirmé que, lorsque nous formerons le gouvernement — pas « si nous formons », mais bien « quand nous formerons » le prochain gouvernement —, nous abrogerons le projet de loi, ce serait une bonne raison d’appuyer ce mauvais projet de loi? Votre raisonnement est-il : « Eh bien, le prochain gouvernement s’en occupera, alors nous pouvons adopter un mauvais projet de loi »?
Sénateur Plett, j’espère que, lorsque vous en aurez l’occasion, vous réfléchirez à ce que j’ai dit. Ce que j’ai dit, c’est qu’une vague bleue s’en venait. Cela n’avait rien à voir avec ce que vous venez de laisser entendre; j’ai parlé d’un processus démocratique à venir, à savoir les élections. Les élections se dérouleront en temps et lieu. Je crois que c’est ce que j’ai dit.
Je vous remercie, sénateur Quinn. Je tiens à dire publiquement j’ai beaucoup aimé travailler avec vous au Comité des transports et des communications. Votre contribution a été exceptionnelle.
Ce sont évidemment les électeurs qui auront le dernier mot, mais n’empêche qu’entre deux scrutins, ils paient environ 127 millions de dollars par année pour que nous venions ici, que nous fassions notre travail de législateurs, de rédacteurs, de représentants et de défenseurs et que nous demandions des comptes au gouvernement.
Ne trouvez-vous pas important que nous honorions nos devoirs constitutionnels, surtout dans un dossier aussi controversé que celui-là? Vous étiez là, sur les premières lignes, et vous avez vu toute la controverse qu’il a suscitée. Vous avez dit tout à l’heure que vous étiez déchiré et que vous ne saviez pas quoi penser du projet de loi.
Alors pourquoi notre assemblée devrait-elle plier les genoux aussi rapidement devant le gouvernement? Il nous est déjà arrivé de renvoyer des mesures législatives à l’autre endroit et d’insister pour des raisons beaucoup moins cruciales qu’aujourd’hui. Ne croyez-vous pas qu’avec tous les témoins qui sont venus s’exprimer sur un sujet aussi controversé, nous devrions — je n’irais pas jusqu’à dire infliger une défaite au gouvernement dûment élu, car il faudra attendre la décision démocratique de l’électorat pour cela... Ne croyez-vous pas que nous avons la responsabilité législative de nous faire le porte-voix de tous ces gens et d’insister au moins encore une fois?
Merci, sénateur Housakos.
J’estime que le comité a fait de l’excellent travail. Je félicite les membres du comité et les membres d’office qui ont participé à l’étude, de même que les témoins qui ont comparu. En tant que membres du comité, nous avons contribué au processus démocratique.
Néanmoins, j’en suis également venu à la conclusion que voici : dans cette enceinte, il a abondamment été question de la Constitution ainsi que du rôle des sénateurs et de leurs droits. J’estime que nous avons fait preuve de diligence raisonnable en tenant des débats de fond au comité et dans cette enceinte. J’en arrive au point où je rappelle que je ne suis pas un élu. Je crois que certains collègues ont dit que si une question est vraiment chère à mon cœur, je devrais me présenter comme député, et briguer les suffrages. Cependant, je crois que c’est au Sénat que je peux faire la contribution la plus valable — vous et moi en avons parlé — en m’employant à faire un second examen objectif des mesures législatives, à les améliorer et aussi à reconnaître que le gouvernement élu a le droit de gouverner et que notre tâche consiste à exiger qu’il rende des comptes. Nous avons exigé que le gouvernement rende des comptes et, à mes yeux, le facteur atténuant tient au fait que nous avons tous convenu d’un message qui assurait notamment aux Canadiens que le gouvernement ne ferait pas ce qu’il a promis de ne pas faire.
Au terme de 32 années au service de la population, j’ai une grande confiance dans nos institutions et je crois que la Chambre et le Sénat maintiendront le cap et exigeront que les élus rendent des comptes, comme doit le faire l’électorat.