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Projet de loi de crédits no 5 pour 2021-2022

Troisième lecture

31 mars 2022


L’honorable Larry W. Smith [ + ]

Honorables sénateurs, j’interviens en ma qualité de porte-parole pour m’exprimer sur le projet de loi C-15, Loi portant octroi à Sa Majesté de crédits pour l’administration publique fédérale pendant l’exercice se terminant le 31 mars 2022.

Le projet de loi C-15 prévoit une somme de 13,2 milliards de dollars que pourra utiliser l’administration publique fédérale, conformément au Budget supplémentaire des dépenses (C) de 2021-2022. Ces fonds sont demandés par les ministères et organismes fédéraux en raison, notamment, de l’évolution des besoins budgétaires qui n’ont pas été prévus dans d’autres projets de loi de crédits.

Je tiens tout d’abord à souligner le travail de nos collègues du Comité sénatorial permanent des finances nationales, qui ont eu la tâche presque impossible d’examiner les documents budgétaires en passant au crible un document de 200 pages, poste par poste, et d’interroger les ministères et organismes au sujet des autorisations supplémentaires demandées. Il s’agit en effet d’une tâche presque irréalisable, car le comité n’a tenu que deux réunions et a entendu 26 témoins dans le cadre de son processus de révision du Budget supplémentaire des dépenses (C) de 2021-2022.

Chers collègues, même si ce genre d’exercice semble être devenu chose courante au Sénat au cours des dernières années, il est néanmoins extrêmement préoccupant. En notre qualité de parlementaires, nous ne disposons pas d’assez de temps pour assurer une surveillance efficace des dépenses du gouvernement au nom des Canadiens. On nous demande d’approuver, dans un délai très serré, des dépenses de plus de 13 milliards de dollars pour les ministères fédéraux, dont bon nombre n’atteignent toujours pas leurs objectifs ministériels. D’autres ministères ne font tout simplement pas rapport des résultats concernant les différents indicateurs de rendement.

Tous les documents budgétaires comportent une partie consacrée aux plans ministériels et aux Rapports sur les résultats ministériels. Les plans ministériels établissent les projets de l’année pour chaque ministère et agence, tandis que les Rapports sur les résultats ministériels font état du rendement des projets. Sur papier, ces renseignements sont utiles pour nous, les parlementaires, dans notre surveillance, mais aussi pour les Canadiens, qui financent l’administration de la fonction publique fédérale.

Le problème, cependant, c’est que le Parlement ne fixe pas d’échéances obligatoires pour le dépôt de ces plans et rapports. Cela signifie qu’on pourrait demander aux parlementaires d’approuver de nouveaux crédits avant d’avoir passé en revue les Rapports sur les résultats ministériels, les résultats de l’année précédente. C’est justement le cas pour l’exercice financier se terminant le 31 mars 2021. Les Rapports sur les résultats ministériels pour l’exercice 2020-2021 ont été soumis en février 2022, soit 10 mois après le 31 mars 2021. Cela signifie que toutes les nouvelles dépenses gouvernementales, à partir du Budget principal des dépenses de 2021-2022, ont dû être envisagées sans aucune information sur le rendement de chaque organisme au cours de l’exercice précédent.

Pour réitérer l’importance des Rapports sur les résultats ministériels, voici le scénario qui s’annonce en ce moment : plus tard aujourd’hui, on nous demandera d’approuver 75 milliards de dollars pour l’administration publique fédérale dans le cadre du projet de loi C-16 pour l’exercice 2022-2023. Cependant, nous n’avons absolument aucune information sur le rendement des ministères en 2021-2022 puisque les Rapports sur les résultats ministériels de 2021-2022 n’ont pas encore été soumis et ne le seront probablement que bien longtemps après l’approbation des crédits supplémentaires par le Parlement.

Si ça ne vous déconcerte pas, qu’est-ce qui le fera?

En plus de ce décalage critique des priorités, les ministères fédéraux n’atteignent pas leurs objectifs ou ne présentent aucun rapport sur le sujet. Selon les données publiées par le gouvernement fédéral, les ministères n’ont pas satisfait à 31 % des indicateurs de rendement du gouvernement et 16 % n’ont pas communiqué de résultats pour l’exercice le plus récent.

Prenons le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes. Au cours de l’exercice 2020-2021, ils n’ont pas atteint 46 objectifs, ce qui représente un peu plus de 37 % des indicateurs de rendement globaux. De plus, le ministère n’a pas fourni de résultats concernant 16 objectifs. Parmi les indicateurs de rendement que le ministère n’a pas réussi à atteindre, il y a le pourcentage des flottes aérospatiales qui sont en bon état de service pour répondre aux besoins de l’entraînement et aux critères de la disponibilité opérationnelle, et le pourcentage des projets qui respectent l’échéancier approuvé pour leur élaboration et leur approbation, qui sont des projets à faible risque et peu complexes. D’autres indicateurs de rendement pour lesquels le ministère n’a pas présenté de résultats comprennent l’efficacité de la force interarmées pour ce qui est d’offrir un soutien en temps quasi réel aux opérations et aux décideurs de haut niveau.

Alors que nous entrons dans une ère importante d’insécurité mondiale, où les pays réévaluent leurs politiques de défense et renforcent leurs capacités militaires, il est essentiel de recevoir des renseignements à jour, complets et pertinents des ministères comme la Défense nationale afin que nous puissions, en tant que parlementaires, assumer efficacement notre rôle dans l’examen des décisions en matière de dépenses.

De plus, honorables sénateurs, j’aimerais souligner un problème de mauvaise planification au sein de l’administration fédérale, une tendance récente que nous devons surveiller de plus près. Le directeur parlementaire du budget a en effet signalé que la quantité de fonds inutilisés — des dépenses approuvées par le Parlement qui n’ont pas été effectuées et au sujet desquelles les autorisations légales arrivent à échéance à la fin d’un exercice financier — a atteint un niveau record en 2021. Selon le directeur parlementaire du budget, les fonds inutilisés exprimés en proportion des autorisations budgétaires votées représentaient près de 7 %, soit environ 13 milliards de dollars, en 2020-2021, en hausse depuis 2017-2018.

La majeure partie de cette hausse des fonds inutilisés au cours des dernières années a été attribuée à la réponse extraordinaire du gouvernement fédéral à la pandémie de COVID-19. L’argument est qu’on a demandé au Parlement d’approuver des sommes sans précédent à une vitesse record afin de réagir à un contexte en rapide évolution. Même le gouvernement a admis au début de la pandémie que la priorité consistait à faire parvenir l’argent aux familles et aux entreprises le plus rapidement possible.

Voici d’ailleurs ce que l’ancien ministre des Finances Bill Morneau avait déclaré aux sénateurs en avril 2020 au sujet de la Subvention salariale d’urgence du Canada :

[...] nous essayons de faire parvenir l’argent aux Canadiens aussi vite que possible et de la manière la plus pratique possible.

Il est important de mettre l’accent sur la tâche difficile à laquelle était confronté le gouvernement au début de la pandémie. Il devait assurer la santé et la sécurité des Canadiens tout en fournissant un soutien financier aux personnes touchées, et le faire le plus rapidement possible.

Toutefois, trois ans après le début de la pandémie, alors que les diverses administrations du pays commencent prudemment à lever les restrictions et à rouvrir leur économie sur les recommandations des responsables de la santé publique, on constate que le gouvernement fédéral continue de mal gérer ses dépenses. À preuve, le projet de loi C-15 accorderait à Santé Canada et à l’Agence de la santé publique du Canada 4 milliards de dollars pour l’achat de tests de dépistage rapide. On retrouve pourtant cette demande de financement dans deux autres mesures législatives déjà à l’étude au Parlement, soit les projets de loi C-8 et C-10.

Le gouvernement fédéral a allégué que la raison de cette double demande de financement est de garantir la distribution sans délai des tests de dépistage rapide au moyen de la première autorisation budgétaire disponible, alors que les autres demandes de financement seraient simplement inutilisées. Honorables collègues, c’est tout simplement une manière inacceptable de gérer les finances publiques. Il ne faut pas tolérer que ce type de pratique devienne la norme. Les ministères fédéraux doivent faire preuve de la diligence attendue afin de faire un usage le plus adéquat possible des deniers publics dès le départ.

Je partage l’opinion du Comité sénatorial des finances, qui a qualifié cette approche de vague et d’inacceptable. Selon moi, cela démontre une mauvaise planification de la part du gouvernement et, encore une fois, nuit à notre capacité d’exercer nos fonctions en tant que sénateurs.

Bien que des écarts sont à prévoir dans n’importe quel budget, parce que les autorisations budgétaires des ministères correspondent à des prévisions de leurs dépenses pour répondre à leurs besoins, l’augmentation constante des écarts au cours des dernières années pourrait devenir un réel problème. En tant que parlementaires, nous devrions continuer de surveiller étroitement les autorisations budgétaires.

Je reprends et appuie les commentaires formulés par le Comité sénatorial permanent des finances nationales dans son rapport sur le Budget supplémentaire des dépenses (C) de 2021-2022. Le comité presse le gouvernement de mettre fin à la pratique qui consiste à dédoubler les demandes de financement et a l’intention de demander des explications claires au Secrétariat du Conseil du Trésor à cet effet.

Honorables sénateurs, en conclusion, j’encouragerais vivement le gouvernement à fixer des dates pour le dépôt obligatoire des plans ministériels et des Rapports sur les résultats ministériels. Ainsi, les demandes de financement concorderaient mieux avec le rendement antérieur. Ajoutons que l’augmentation continue des fonds inutilisés et des affectations bloquées semble indiquer que le gouvernement n’a pas vraiment fait de progrès au chapitre des lignes directrices concernant les plans de dépenses et les rapports. J’exhorte donc le gouvernement à mieux déterminer le niveau de priorité des demandes de financement pour garantir une utilisation efficace et efficiente des ressources. Merci.

Honorables sénateurs, une bonne partie des dépenses prévues dans le projet de loi C-15 et le Budget supplémentaire des dépenses (C) concerne les mesures que continue de prendre le gouvernement en réponse à la pandémie de COVID-19. Nous devons reconnaître une fois de plus qu’en matière de santé, la situation des personnes à faible revenu est considérablement plus difficile que celle des autres Canadiens, comme on l’a vu avant et pendant la pandémie.

Selon les données de l’Agence de la santé publique du Canada, le risque de mourir de la COVID-19 est deux fois plus élevé pour les personnes les plus pauvres que pour les mieux nantis. D’après l’agence, cet écart terrible est lié aux inégalités sociales et économiques qui touchent les personnes vivant sous le seuil de la pauvreté, qui sont plus susceptibles d’avoir des problèmes de santé sous-jacents et invalidants, de ne pas avoir un logis sûr, de travailler dans des conditions dangereuses et de ne pas avoir les moyens de s’absenter d’un emploi au salaire minimum ou d’un travail à la demande, en première ligne, pour rester chez elles.

Cette disparité dans l’état de santé de différents groupes est inacceptable sur les plans humain, social et sanitaire. Elle a aussi des conséquences financières notables. Comme le directeur parlementaire du budget l’a rappelé au Comité des finances nationales lorsqu’il a témoigné au sujet du Budget supplémentaire des dépenses (C), ces conséquences financières comprennent ce qui suit :

[...] premièrement, les coûts pour les personnes elles-mêmes, qui sont empêchées de travailler en raison de leur état de santé. [...] cela entraîne une réduction de revenu et de rémunération, ainsi que du niveau de participation au marché du travail [...] Les personnes dont les résultats en matière de santé sont moins bons ont tendance à avoir des réseaux sociaux plus faibles, ce qui peut mener à un isolement accru [...] Elles doivent souvent engager des dépenses supplémentaires : médicaments, aide, soutien à domicile et autres.

Il y a aussi des coûts qui doivent être assumés par la société [...] Si des gens qui ont de moins bons résultats en matière de santé doivent se retirer de la population active, le fait que des emplois ne soient pas comblés entraîne des coûts pour chacun d’entre nous.

Il y a aussi les coûts liés au traitement des gens. Ces coûts seraient moins élevés si les résultats en matière de santé étaient meilleurs au départ. De façon générale, il est beaucoup plus coûteux de traiter des maladies que de les prévenir.

La dépense la plus importante du projet de loi C-15 découle de la nécessité de traiter les conséquences des inégalités en matière de santé que, par notre négligence, nous avons échoué à prévenir. Trente pour cent du montant des dépenses proposées par le projet de loi, soit 4 milliards de dollars réservés à l’achat et à la distribution de tests supplémentaires de dépistage rapide de la COVID-19, serviront directement à atténuer le risque de la COVID-19 dans les groupes dits vulnérables.

Au Comité des finances nationales, l’Agence de la santé publique du Canada a indiqué que ces groupes comprenaient, entre autres, les peuples autochtones, les personnes de descendance africaine, d’autres populations racialisées, les personnes handicapées, les fournisseurs de services de première ligne et les travailleurs essentiels. Le comité a demandé aux fonctionnaires s’ils s’attendaient à ce que les dernières mesures proposées comblent l’écart de mortalité lié à la COVID-19 pour les Canadiens les plus démunis. En particulier, nous avons demandé comment ces mesures se comparent aux mesures de soutien du revenu qui auraient pu atténuer des inégalités sous-jacentes et donner aux gens les moyens de se prévaloir de mesures comme l’équipement de protection individuelle et la distanciation physique, qui sont nécessaires pour mieux se protéger, protéger leur famille et leur communauté pendant la pandémie.

Nous avons également posé des questions sur la part des dépenses liées à la pandémie, du coût de l’équipement de protection individuelle à celui de la vaccination, en passant par les services de soutien à la santé mentale et tant d’autres mesures nécessaires, qui a servi à répondre aux urgences en matière de santé qui sont attribuables aux inégalités sociales et économiques qui existaient déjà avant la pandémie de COVID-19 et qui ont été exacerbées par celle-ci.

En réponse, l’Agence de santé publique a reconnu que ses propres recherches antérieures ont révélé « des associations solides entre le revenu et la santé au Canada » et que « le fardeau économique direct des inégalités en matière de santé sur les coûts des soins de santé est considérable ».

En 2016 seulement, les inégalités socioéconomiques ont rendu nécessaires des hospitalisations pour soins de courte durée, l’achat de médicaments sur ordonnance et des consultations médicales, ce qui a coûté au moins 6,2 milliards de dollars, soit plus de 14 % des dépenses totales.

Cependant, l’Agence de la santé publique a aussi indiqué qu’elle n’avait pas réalisé d’études de modélisation sur les politiques de santé afin de déterminer les effets des dépenses liées à la pandémie et sur les résultats sanitaires qu’auraient pu avoir des mesures comme de robustes prestations d’aide au revenu pour essayer de pallier les inégalités préexistantes pour les personnes les plus à risque durant la pandémie.

Nous n’avons trouvé aucun ministère qui a fait de telles analyses. Cet échec d’un gouvernement à fournir ce type d’analyse a engendré d’énormes lacunes et une incapacité de planifier, et encore plus de se préparer, pour les changements à venir. Il y a donc une grande érosion de la confiance envers les fondements selon lesquels se prennent les décisions stratégiques concernant la santé, la société et l’économie canadiennes. Au Canada, quand on débat sur la politique, que ce soit au Parlement ou autour d’une table de cuisine, dans le métavers ou dans la rue, beaucoup de gens saisissent bien les conséquences d’être toujours en situation de répondre à des urgences.

Pourtant, trop souvent, lorsque nous examinons les problèmes causés par des décennies d’inaction, nous ne prenons pas en considération le coût réel de ne pas avoir pris des mesures proactives et préventives. Nous nous attardons plutôt au coût initial des mesures audacieuses pour lutter contre la pauvreté et l’inégalité, qu’il s’agisse d’un revenu de base garanti suffisant, de stratégies sur le logement, de prestations d’invalidité, de soins de santé mentale universels, d’assurance-médicaments, de services de garde d’enfants ou d’éducation.

Nous n’envisageons que trop rarement le coût de ne pas avoir agi, le coût qu’on nous demande sans arrêt d’approuver afin de colmater certaines des brèches, mais pas toutes, et pas pour tout le monde.

Chaque année, la pauvreté et les inégalités connexes coûtent aux contribuables canadiens des dizaines de milliards de dollars, qui sont investis notamment dans les soins de santé d’urgence, le système de justice pénale et des mesures comme les refuges ou les banques alimentaires qui donnent aux gens un espoir de survie tout en leur rappelant qu’ils sont constamment au bord d’une crise.

Voilà le coût caché des politiques qui sont considérées comme étant prudentes sur le plan financier, mais qui n’aident pas tous les gens dans le besoin, ou qui n’offrent pas suffisamment de soutien et poussent à leurs limites des systèmes de services sociaux et de santé qui laissent déjà trop de personnes à elles-mêmes. Pire encore que le coût financier, comme nous l’avons vu pendant la pandémie, l’incapacité à combattre ces inégalités coûte aussi des vies.

J’exhorte donc les sénateurs à reconnaître que bon nombre des mesures de ce projet de loi sont essentielles pour composer non seulement avec l’épidémie de COVID-19, mais aussi avec les coûts que les Canadiens continuent d’assumer à cause de l’incapacité du pays à renforcer le filet de sécurité en matière de services de santé et de services sociaux, à combattre les inégalités sociales, sanitaires et économiques, et surtout, à aider les gens à trouver des moyens de se sortir de la pauvreté.

Le coût de notre inaction doit être pris en compte dans notre façon d’analyser et d’évaluer les dépenses gouvernementales. Il doit également nous pousser à déterminer comment ces ressources pourraient être investies différemment afin que les collectivités soient plus fortes et plus justes pour le bien de tous. Meegwetch. Merci.

L’honorable Elizabeth Marshall [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour parler du projet de loi C-15, Loi de crédits no 5, pour l’exercice actuel. Ce texte, qui est la dernière loi de crédits liée à cet exercice, demande au Parlement d’approuver des dépenses totalisant 13 milliards de dollars.

Je veux commencer par remercier mes collègues du Comité des finances nationales, ainsi que le personnel qui soutient le comité.

Cette loi de crédits s’appuie sur le Budget supplémentaire des dépenses (C), qui indique le montant des fonds et les motifs généraux pour lesquels ils seront dépensés. Le Budget supplémentaire des dépenses (C) a été étudié par le Comité sénatorial permanent des finances nationales. Puisque je siège à ce comité, je me suis penchée, comme l’ont fait les autres membres, sur le Budget principal des dépenses et le Budget supplémentaire des dépenses pour l’exercice actuel, qui se termine aujourd’hui.

Mes commentaires portent surtout sur les difficultés et les problèmes que pose l’examen des dépenses prévues du gouvernement. À vrai dire, pendant toutes ces années où j’ai fait l’étude de projets de loi de crédits fédéraux, je n’ai jamais été aussi déçue par le manque de clarté du gouvernement sur l’orientation à prendre pour régler les problèmes liés aux documents financiers et de reddition de comptes.

Je vais soulever quatre points dans mon discours aujourd’hui. Malheureusement, aucun de mes commentaires ne sera positif.

Mon premier commentaire porte sur l’absence d’harmonisation entre le budget et le Budget supplémentaire des dépenses (C) ainsi que l’ensemble des documents du Budget principal. J’ai signalé ce problème à maintes reprises.

Étant donné que le Budget principal des dépenses est présenté au plus tard le 1er mars et que le budget n’est pas présenté avant le mois d’avril, les deux documents budgétaires ne concordent pas. Les nouvelles initiatives budgétaires qui sont annoncées dans le budget d’avril ne sont pas incluses dans le Budget principal des dépenses. Nous allons donc passer le reste de l’année, voire les années qui suivront, à tenter de suivre la mise en œuvre des nouvelles initiatives budgétaires en consultant les budgets des dépenses (A), (B) et (C).

Même s’il est conscient que le contenu des documents budgétaires ne correspond pas à celui du budget, le gouvernement ne fait rien pour tenter de résoudre le problème. Au lieu de cela, il fournit dans chaque budget supplémentaire des dépenses des données qui sont censées faire un « rapprochement » entre les dépenses proposées dans chacun des budgets supplémentaires des dépenses et celles proposées dans le budget. Ce rapprochement est mieux que rien, mais cette façon de faire est déroutante et laisse de nombreuses questions sans réponse.

Pour démontrer en quoi ce décalage pose problème, soulignons que le montant du budget de 2021 réservé aux nouvelles initiatives budgétaires était de 49 milliards de dollars pour l’exercice en cours. Cependant, selon le Budget supplémentaire des dépenses (C), que le projet de loi C-15 vise à mettre en œuvre, le montant réservé aux nouvelles initiatives budgétaires s’élève à 36 milliards de dollars, et non à 49 milliards de dollars. Le lecteur doit donc se demander comment le gouvernement explique cet écart de 13 milliards de dollars.

Est-ce que certaines initiatives budgétaires n’ont pas été entreprises? Si c’est le cas, pourquoi ne l’a-t-on pas fait, et quelles en sont les conséquences?

Il est important de suivre la mise en œuvre des nouvelles initiatives budgétaires, car cela permet de cerner les initiatives dont la mise en œuvre a été retardée pour que le comité puisse alors faire un suivi en vue de déterminer les raisons de ce retard.

Par exemple, le budget de 2021 accordait 2 millions de dollars sur deux ans à Innovation, Sciences et Développement économique Canada pour soutenir la mise sur pied d’un registre accessible au public de la propriété effective, et une somme de 1 million de dollars a été attribuée à l’exercice en cours.

Cette initiative est primordiale pour aider les législateurs à prendre ceux qui sont impliqués dans le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale. Depuis longtemps, le Canada est considéré comme ayant des lois peu mordantes contre le blanchiment d’argent, dont l’application est laxiste. Il est impossible de faire le suivi de la mise sur pied de cette initiative du budget de 2021. Je l’ai cherchée partout, mais je ne l’ai pas trouvée.

J’ai lu avec intérêt un article dans les coupures de presse du Sénat de la semaine dernière indiquant que le budget de 2022 allait être présenté le 7 avril, alors que le Budget principal des dépenses a déjà été publié. Cet article comprenait des commentaires du directeur parlementaire du budget voulant que la tendance des budgets récents mine la surveillance parlementaire des dépenses du gouvernement. Je suis d’accord avec ses commentaires, puisqu’il est impossible de faire le suivi des dépenses du gouvernement.

Ma seconde question concerne les Comptes publics du Canada. On appelle « comptes publics » les états financiers du gouvernement du Canada. Chaque année, on prépare les comptes publics pour l’exercice du 1er avril au 31 mars de l’année suivante.

Les comptes publics comportent trois volumes. Chacun de ces volumes contient des centaines de pages d’information financière présentée tantôt sous forme résumée et tantôt sous forme détaillée. La loi définit une échéance pour la publication des comptes publics. En effet, la Loi sur la gestion des finances publiques exige que les comptes publics soient déposés le 31 décembre, au plus tard.

Les comptes publics contiennent de l’information dont les législateurs et la population ont besoin pour se tenir au courant des activités financières et de la situation financière du gouvernement. Les comptes publics pour l’exercice se terminant le 31 mars 2021 ont été présentés exceptionnellement tard. Il a fallu attendre jusqu’au 14 décembre, à peine trois jours avant l’ajournement de la Chambre des communes pour le congé de Noël et, par conséquent, à peine trois jours avant la date butoir prévue par la loi.

Nous avons passé en revue la date à laquelle les comptes publics ont été présentés au cours des 27 dernières années. Nous sommes remontés jusqu’en 1994. Le dépôt des comptes publics un 14 décembre est la date la plus tardive que nous avons trouvée. Nous utilisons les comptes publics pour examiner les dépenses gouvernementales. Ils auraient dû être présentés des mois plus tôt afin que nous puissions nous en servir pour faire cet examen pendant la session d’automne du Parlement.

Le troisième aspect problématique que je veux soulever est lié au Rapport sur la gestion de la dette. Le ministre des Finances doit, selon la loi, déposer le Rapport sur la gestion de la dette de chaque année devant les deux Chambres du Parlement, un document qui fait état des emprunts qu’il a contractés pendant l’exercice et des mesures qu’il a prises à l’égard de la gestion de la dette publique. Plus précisément, la Loi sur la gestion des finances publiques exige que, dans les 30 jours de séance qui suivent le dépôt des comptes publics, le ministre des Finances dépose le Rapport sur la gestion de la dette du même exercice.

Puisque le gouvernement a retardé le dépôt des comptes publics de 2021 jusqu’à la mi-décembre, il a pu reporter au 28 mars l’échéance pour la publication du Rapport sur la gestion de la dette de 2021, c’est-à-dire il y a quelques jours à peine. Le Rapport sur la gestion de la dette a finalement été déposé le 25 mars, un jour seulement avant la fin du délai prévu par la loi et 359 jours après le début de l’exercice auquel il se rapporte.

Mes honorables collègues se rappellent peut-être que j’ai demandé au sénateur Gold, dans cette enceinte, quand le gouvernement publierait le Rapport sur la gestion de la dette. Ce rapport revêt un intérêt particulier parce qu’il se rapporte à la première année de la pandémie, période durant laquelle le gouvernement a emprunté 345 milliards de dollars.

Étant donné que le gouvernement continue d’enregistrer de lourds déficits, ce qui nécessite l’emprunt de sommes d’argent considérables, le Rapport sur la gestion de la dette aurait dû être déposé plus tôt pour nous aider dans notre examen et notre surveillance des dépenses gouvernementales.

Le quatrième aspect problématique que je veux soulever est lié aux Rapports sur les résultats ministériels. Ces rapports font partie des documents budgétaires. Ils appuient le Budget des dépenses, le Budget supplémentaire des dépenses et les projets de loi de crédits, notamment le projet de loi C-15. Les rapports mettent l’accent sur les mesures prises par les ministères et les organismes afin d’obtenir des résultats pour les Canadiens, tout en continuant de décrire de manière transparente l’utilisation des deniers publics. Cependant, en examinant ces documents, j’ai pris conscience de deux graves problèmes.

Premièrement, les Rapports sur les résultats ministériels ne nous ont pas été remis avant le mois dernier. Autrement dit, nous avons attendu 10 mois pour obtenir des rapports qui portaient sur l’exercice qui s’est terminé il y a 12 mois. Nous avons étudié le Budget principal des dépenses, le Budget supplémentaire des dépenses (A) et (B), le budget et la mise à jour économique de l’automne, sans avoir pu consulter ces rapports en amont. En somme, nous avons dû examiner la quasi-totalité des dépenses faites par le gouvernement durant le présent exercice sans connaître les résultats de ce qu’il avait accompli précédemment.

Le deuxième problème concerne la qualité des renseignements contenus dans ces rapports. Ces rapports qui ont été publiés le mois dernier indiquent qu’il y a 2 722 indicateurs de rendement pour 86 organisations. Sur ces 2 722 indicateurs, 1 242 ont été atteints, soit moins de 50 %. Les rapports précisent que 739 indicateurs n’ont pas été atteints et que 741 restent à atteindre ou ne sont pas disponibles. Si, sur 2 722 indicateurs, nous n’avons pas d’information sur 741 d’entre eux et que 739 n’ont pas été atteints, comment peut-on considérer que ces rapports sont des documents de reddition de comptes?

Le fait que les Rapports sur les résultats ministériels aient été présentés en retard et qu’ils contiennent des données de qualité médiocre complique notre tâche d’analyse des dépenses lorsque nous examinons les demandes du gouvernement pour des dépenses de plusieurs milliards de dollars. Nous devons connaître les résultats des programmes du gouvernement afin d’évaluer les demandes de fonds supplémentaires.

Honorables sénateurs, l’observation que je viens de formuler provient d’une étude réalisée par l’Institut C.D. Howe. Pour les sénateurs qui ne connaissent pas bien cet organisme, l’Institut C.D. Howe est un centre de recherche réputé, généralement considéré comme étant le groupe de réflexion le plus influent du Canada. En décembre dernier, l’Institut C.D. Howe a publié un rapport sur les renseignements financiers présentés aux législateurs et au public par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux du Canada.

Les auteurs ont conclu que la hausse massive des dépenses et des emprunts en réponse à la COVID‑19 et l’ambition de créer de nouveaux programmes sociaux ont coïncidé avec une grave régression au chapitre de la transparence et de la production des renseignements financiers en temps voulu, notamment au niveau fédéral.

Ils se sont concentrés sur trois documents : le budget, le Budget des dépenses, et les comptes publics. J’ai parlé des trois.

Les chercheurs ont accordé à ces documents une note alphabétique reflétant la facilité avec laquelle un utilisateur ayant un intérêt, mais n’étant pas spécialisé dans le domaine pouvait trouver et comprendre l’information censée y être fournie. Les années examinées comprenaient les états financiers de 2019‑2020 ainsi que le budget et le Budget des dépenses de 2020‑2021.

La note A a été accordée aux gouvernements de la Nouvelle‑Écosse, du Nouveau‑Brunswick, de la Saskatchewan, de l’Alberta, de la Colombie‑Britannique et du Nunavut. L’Ontario a reçu la note B. Les gouvernements de Terre‑Neuve, de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, du Yukon, du Manitoba et du Québec ont reçu la note C.

Le gouvernement fédéral a obtenu un F. Une des raisons pour lesquelles il a obtenu cette note est qu’il n’a pas présenté de budget en 2020. Le rapport indique que le gouvernement se dirige vers une note de C pour 2022. Pourquoi un C? Pourquoi pas un A ou à la rigueur un B?

Le rapport affirme également que le budget du gouvernement fédéral pour l’année dernière a été présenté en retard — en avril — et que des données clés étaient ensevelies sous des centaines de pages d’informations peu utiles et répétitives. Voilà qui n’est pas à la hauteur de l’importance de la politique budgétaire du gouvernement fédéral ni digne de l’exemple qu’il devrait donner.

En conclusion, je vais résumer mon intervention de la façon suivante : les documents financiers et de reddition de comptes du gouvernement sont produits beaucoup trop tard pour avoir une utilité réelle. Cette présentation tardive réduit leur valeur. Je parle en particulier des comptes publics, du rapport sur la gestion de la dette et des Rapports sur les résultats ministériels.

En outre, les documents du gouvernement sur le budget et sur le Budget principal des dépenses montrent des plans de dépenses divergents, alors qu’ils devraient correspondre. Les Rapports sur les résultats ministériels devraient donner de l’information sur les résultats liés aux dépenses.

Honorables sénateurs, en ne corrigeant pas la situation, le gouvernement ne rend pas service aux parlementaires et à la population. Les problèmes que j’ai soulevés doivent être réglés. Merci.

L’honorable Tony Loffreda [ + ]

Je vous remercie de votre discours, et je partage vos préoccupations sur de nombreux points. Je suis particulièrement d’accord avec vous sur le fait que l’on demande trop souvent au Comité des finances nationales d’examiner des milliards de dollars de dépenses gouvernementales en très peu de temps. Faire le suivi de sommes d’argent n’est pas toujours une tâche facile, et nous avons été limités à deux réunions pour l’examen du Budget supplémentaire des dépenses (C). Nous n’avons entendu que 5 des 70 ministères qui demandaient des fonds. C’est une situation injuste pour les membres du comité car, bien que nous fassions un travail remarquable — nous faisons un excellent travail que vous et moi prenons très au sérieux —, il semble que ce soit toujours une course contre la montre.

Forte de toutes vos années d’expérience, que proposeriez-vous pour résoudre ce problème? Avez-vous une solution qui nous permettrait de disposer de plus de temps pour examiner les budgets? Faut-il prévoir un plus grand nombre de séances? Le cycle budgétaire parlementaire est-il trop contraignant et rigide? Je sais que le sénateur Smith a proposé l’imposition de dates. J’aimerais connaître votre opinion.

La sénatrice Marshall [ + ]

Je pense que le gouvernement devrait envisager de déposer plus tôt certains documents comme le Budget principal des dépenses et les budgets supplémentaires des dépenses. Je pense qu’il devrait également envisager la possibilité de réaliser des études préalables sur certains des projets de loi à l’étude à la Chambre des communes. C’est le cas, par exemple, du projet de loi C‑8. Je m’attends à ce que le Comité des finances nationales le reçoive. Il s’agit d’un projet de loi très complexe, mais je m’attends à ce qu’il nous soit renvoyé en même temps que notre étude du Budget principal des dépenses et peut-être du Budget supplémentaire des dépenses (A). J’aimerais qu’on accorde plus de temps à une étude préalable.

J’aimerais aussi que les séances soient plus fréquentes. Je trouve que la pandémie a eu un effet terrible sur le Comité des finances nationales. Une réunion par semaine ne suffit pas. Nous devrions revenir à nos deux créneaux horaires, et nous devrions également avoir la possibilité de tenir des séances supplémentaires lorsque le Sénat siège.

Son Honneur le Président [ + ]

Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Son Honneur le Président [ + ]

L’honorable sénatrice Gagné, avec l’appui de l’honorable sénateur Gold, propose que le projet de loi soit lu pour la troisième fois. Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Son Honneur le Président [ + ]

J’ai entendu un non. Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion et qui sont sur place veuillent bien dire oui.

Son Honneur le Président [ + ]

Que les sénateurs qui sont contre la motion et qui sont sur place veuillent bien dire non.

Son Honneur le Président [ + ]

À mon avis, les oui l’emportent.

Je vois deux sénateurs se lever.

Son Honneur le Président [ + ]

L’agent de liaison du gouvernement et le whip de l’opposition se sont-ils entendus sur la durée de la sonnerie?

Son Honneur le Président [ + ]

Si un sénateur s’y oppose, qu’il veuille bien dire non. Le vote aura lieu maintenant.

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