Projet de loi de Jane Goodall
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat
22 septembre 2022
Honorables sénatrices et sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi S-241, la Loi de Jane Goodall.
Aux fêtes de Noël 2020, j’ai amené mon fils admirer Nalani, l’épaulard de Seaworld à Orlando, qui faisait des tours de bassin et des éclaboussements jusqu’à l’endroit où nous étions. Comme parent, vous le savez, il n’y a rien comme le plaisir de voir les grands yeux éblouis de nos enfants. Ébloui, il l’était, fasciné devant cet animal majestueux qui était juste à deux mètres de nous, de l’autre côté d’une vitre. Ce n’était pas la première fois que j’amenais mon fils à ce genre d’endroit, mais cette fois, les choses étaient différentes.
Elles étaient différentes, car, un mois plus tôt, dans cette Chambre, le sénateur Sinclair avait livré un discours percutant sur la première version de ce projet de loi. Je me trouvais donc, d’une part, avec mon fils, excité et émerveillé, installés dans notre siège à la première rangée, toute la famille insouciante, dégustant un burger, alors que, d’autre part, ce magnifique mammifère tournait en rond dans sa cage aquatique, faisant des trucs qui, franchement, n’étaient pas dignes de sa splendeur.
J’avais en tête ce discours du sénateur Sinclair. Les exemples, les études, les données qu’il avait évoquées me confirmaient sans équivoque que cet animal souffrait, souffrait d’abus, n’était pas à sa place. Bref, nos billets d’entrée finançaient un acte de maltraitance, et ce, pour le divertissement éphémère de mon fils.
L’incohérence et l’injustice étaient d’une telle clarté qu’il m’était impossible d’en faire abstraction. C’est d’ailleurs la dernière fois que nous sommes allés dans ce type de parc.
J’étais plus et mieux informée, et je ne pouvais pas me cacher derrière un faux sentiment d’ignorance. Je crois que lorsque nous sommes mieux informés, nous avons la responsabilité de mieux agir. Voilà ce que ce projet de loi nous invite à faire : prendre nos responsabilités et nous engager à faire mieux.
Ce projet de loi est un autre grand pas vers cette transformation de notre relation avec les animaux, notamment ceux que l’on considère comme exotiques.
Ce que l’on ressent instinctivement est maintenant documenté. Ici et ailleurs, les études, les données, les connaissances scientifiques sur les caractéristiques et les besoins des animaux nous incitent à reconsidérer le fait qu’il soit acceptable ou non de les garder en captivité, et dans quelles conditions.
Mettre des animaux en spectacle pour notre simple divertissement, alors que nous n’avons aucune garantie s’ils sont maltraités ou non, n’est plus justifiable. De plus en plus d’organisations, de pays et d’individus se rallient autour de cette conviction. Nos lois se doivent de refléter l’évolution de nos mœurs.
Sabine Brels, docteure en droit de l’Université Laval, dont la thèse porte sur l’évolution et l’universalisation du droit du bien-être animal dans le monde, nous démontre que le droit du bien-être animal est en constante progression. Je la cite :
[...] il existe de plus en plus d’obligations de bientraitance, de réglementations sur le bien-être des animaux, ainsi que d’interdictions générales (ex : cruauté intentionnelle) et particulières (concernant des pratiques spécifiques) [...]
[...] cette étude a mis en lumière une tendance à la convergence progressive des dispositions protectrices du bien-être animal. Celle-ci s’observe à tous les niveaux : au niveau national par le passage des lois anti-cruauté aux lois pro-bien-être; et au niveau supranational par les normes européennes et internationales dans des domaines communs (élevage, transport, abattage, expérimentation).
La sécurité des animaux est un enjeu qui rassemble les Canadiens. En mars dernier, un sondage Nanos révélait que 88 % des Ontariens soutiendraient des règlements qui imposeraient l’obtention de permis pour les zoos de la province et établiraient des normes de sécurité et de bien-être animal.
Que tout cela émane du gouvernement ou des sénateurs, plusieurs discussions se sont tenues dans le but de doter le Canada de normes protectrices visant à améliorer le bien-être des animaux.
Grâce aux efforts constants de l’ancien sénateur Wilfred P. Moore, garder des baleines et des dauphins en captivité est désormais chose du passé. Il faut aussi noter le projet de loi S-238 du sénateur Michael L. MacDonald, concernant les nageoires de requin, ainsi que le projet de loi C-68, qui a rendu illégales les pratiques d’amputation, d’importation et d’exportation d’ailerons de requin qui ne sont pas attachés à sa carcasse.
N’oublions pas non plus le travail inlassable de l’ancienne sénatrice Carolyn Stewart Olsen, qui voulait interdire les essais de cosmétiques sur des animaux. Plus récemment, nous avons étudié le projet de loi C-84, visant à renforcer les protections contre la bestialité et les combats d’animaux. Je profite de l’occasion pour remercier le sénateur Klyne, qui nous amène un peu plus loin dans notre responsabilité en matière de protection des animaux.
Grâce à ce projet de loi, un statut d’animal désigné serait accordé à plus de 800 animaux, choisis notamment pour leur besoin d’espace ou pour lesquels notre climat n’est pas adéquat. C’est le cas notamment des éléphants, des grands singes, des grands félins, des ours, des loups, des phoques, des lions de mer, des morses et de certains primates. D’autres espèces désignées, comme les crocodiles, les pythons géants et les serpents venimeux, ont été sélectionnées pour protéger le public.
Cette protection juridique éviterait à ces espèces désignées d’être acquises ou reproduites en captivité sans l’obtention préalable et obligatoire d’un permis. Ainsi, il serait impossible de les détenir en captivité dans n’importe quel endroit ni de les traiter de n’importe quelle manière.
Soyons clairs. Les zoos, les aquariums et les sanctuaires continueraient à les héberger après avoir obtenu au préalable le statut d’organisme animalier dont la création est prévue dans ce projet de loi. Les critères d’admissibilité seraient conformes aux normes de l’Association of Zoos & Aquariums, l’AZA, ainsi que d’autres organisations à déterminer par le ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada, en consultation avec des experts en bien-être animal. Ces zoos et aquariums ne pourraient pas organiser des spectacles à des fins de divertissement, sauf s’ils disposent d’un permis provincial.
L’une des ambitions de ce projet de loi est l’élimination progressive au Canada du maintien des éléphants en captivité, un objectif que je soutiens de tout cœur. Vous vous en souviendrez tous : à l’étape de la deuxième lecture de la première mouture de la Loi de Jane Goodall, le sénateur Sinclair avait éloquemment illustré l’extrême intelligence des éléphants, des animaux dont les besoins physiques, sociaux et spatiaux sont très complexes. Je vous cite un extrait de son discours :
Par ailleurs, les éléphants sont altruistes. Ils essaient de réanimer les individus malades ou mourants, même les étrangers, en les soulevant avec leur trompe pour les remettre sur leurs pattes. Les éléphants font le deuil des membres de leur troupeau qui meurent, notamment en éparpillant leurs os et en veillant les corps des matriarches décédées.
Tout récemment, 24 scientifiques spécialistes du bien-être des éléphants provenant d’un large éventail de disciplines ont exprimé leur appui à l’objectif de faire cesser progressivement le maintien des éléphants en captivité. Selon ces scientifiques, aucune installation captive ne peut répondre aux besoins biologiques, sociaux, spatiaux, cognitifs et intrinsèques de base des éléphants.
Cela dit, je pense qu’on peut s’entendre pour dire qu’il n’est pas nécessaire d’être un expert pour comprendre que maintenir en captivité le plus grand animal terrestre à l’intérieur — par exemple, au Québec — pendant un long hiver froid est une mauvaise idée. C’est aussi simple que cela.
En adoptant ce projet de loi, le Canada deviendrait un leader dans la protection contre la cruauté ou la négligence envers les animaux.
Il est important de préciser qu’il ne s’agit pas de fermer tous les zoos, les aquariums et les réserves animalières, mais plutôt d’encadrer cette pratique, en gardant au cœur des décisions le bien‑être des animaux. C’est un changement important et révélateur de notre façon de voir quelle est la place de l’être humain, qui choisit de vivre en relation avec les autres espèces, et pas seulement avec le seul dessein de les contrôler.
La désignation de certaines espèces d’animaux en animaux désignés n’entrera en vigueur que six mois après la sanction royale. Cette période pourrait être mise à contribution pour permettre aux propriétaires de s’ajuster.
Malgré une certaine flexibilité, il faut être conscient qu’il y aura nécessairement des conséquences pour les propriétaires ou pour les organismes animaliers qui n’auront pas satisfait aux conditions d’obtention d’un permis autorisant de nouvelles mises en captivité, notamment pour ce qui est des reproductions.
Chaque changement vient avec son lot de répercussions, qui ne sont pas toujours souhaitées, mais qui sont nécessaires pour atteindre un objectif. J’espère que cet aspect de la question sera étudié par un comité afin que des pistes de solution et d’accompagnement puissent être identifiées pour soutenir les organisations qui devront assurer cette phase de transition.
Il y a un autre élément qui devra attirer l’attention en comité, et c’est l’enjeu qu’a soulevé la sénatrice Miville-Dechêne quant au risque de la création d’un système à deux vitesses, à partir du moment où les sept zoos et aquariums qui satisfont déjà aux normes de l’AZA bénéficient d’une protection supplémentaire, parce qu’ils sont nommés dans le projet de loi. Il sera important d’étudier cette question.
Ce projet de loi est le fruit de l’effort d’une coalition que je tenais à mentionner avant de conclure mon intervention. Le sénateur Klyne a collaboré à la rédaction de ce projet de loi avec de nombreuses organisations de défense des animaux. Cinq grands zoos, comme ceux de Granby, Calgary, Toronto ainsi que le Biodôme de Montréal et le parc Assiniboine, à Winnipeg, y ont également contribué. Ces structures jouent déjà un rôle dans la préservation de la faune et ont à cœur la survie des espèces. Je retiens de leur témoignage, qui visait à appuyer ce projet de loi, que, malgré leurs efforts quotidiens pour assurer bien-être des animaux, nos lois ont besoin d’être renforcées.
En passant, le Zoo de Granby, qui a annoncé son appui au projet de loi, prêchera par l’exemple : il prévoit ne plus maintenir d’éléphants en captivité d’ici quelques années.
Permettez-moi maintenant de revenir à l’épaulard Nalani. Même si, malheureusement, il passera le reste de sa vie dans un petit bassin avec d’autres épaulards, SeaWorld a décidé qu’ils seront les derniers à être maintenus en captivité dans le parc. C’est un signe clair que les choses changent, ici et ailleurs, et que le divertissement et les gains financiers ne justifient pas la cruauté envers les animaux. Cela me donne de l’espoir.
Pour ce qui est de permettre à mon fils de découvrir les merveilles de la nature et ces grands animaux, j’ai compris qu’il y avait de bien meilleures façons d’y arriver. Les technologies, par exemple, ont donné les moyens de filmer les animaux de façon non intrusive dans leur milieu naturel à des fins d’éducation, de conservation et même de divertissement.
Vous vous souvenez peut-être tous du magnifique film intitulé La Marche de l’Empereur. Sorti en 2005, ce documentaire long‑métrage français sur la nature raconte le trajet annuel des manchots empereurs de l’Antarctique. Il a fallu un an à deux cinéastes isolés pour tourner le documentaire. Nous pouvons certainement en apprendre beaucoup plus en regardant ce film qu’en observant à travers une vitre des manchots en captivité dans une installation construite par l’homme.
Je suis retournée en Floride, et mon fils voulait voir des dauphins. Je l’ai donc emmené faire du kayak sur l’océan. Je lui ai dit qu’il était bien préférable de les voir dans leur habitat naturel et de les laisser décider s’ils voulaient le rencontrer. Après 40 bonnes minutes, nous avons réussi à voir quelques dauphins au loin, et mon fils était enchanté de pouvoir partager leur environnement. En toute franchise, ils étaient si loin que je ne suis pas certaine si c’était vraiment des dauphins ou plutôt des dispositifs de sécurité nautique, mais j’avais atteint mon objectif.
Pour toutes ces raisons, j’espère sincèrement que ce projet de loi sera transmis à un comité.
Certains enjeux ne sont pas du ressort du Parlement, mais ce n’est pas le cas ici. Le projet de loi à l’étude a été débattu, et je crois qu’il est maintenant temps d’agir. Plus nous attendons avant d’agir, plus les animaux vulnérables devront attendre pour être protégés.
Comme le sénateur Klyne et le sénateur Sinclair avant lui nous ont invités à le faire, donnons-nous les moyens de « prendre la défense de ceux qui ne peuvent se faire entendre ». C’est l’objectif de ce projet de loi dont, je l’espère, un comité sera bientôt saisi. Merci.