Projet de loi sur le moratoire relatif aux pétroliers
Message des Communes--Motion d’adoption des amendements des Communes--Ajournement du débat
19 juin 2019
Propose :
Que, relativement au projet de loi C-48, Loi concernant la réglementation des bâtiments transportant du pétrole brut ou des hydrocarbures persistants à destination ou en provenance des ports ou des installations maritimes situés le long de la côte nord de la Colombie-Britannique, le Sénat :
a)accepte l’amendement apporté par la Chambre des communes à son amendement 2;
b)accepte l’amendement apporté par la Chambre des communes à la suite de l’amendement 1 du Sénat;
Qu’un message soit transmis à la Chambre des communes pour l’en informer.
L’honorable sénateur Harder, avec l’appui de l’honorable sénatrice Bellemare, propose :
Que, relativement au projet de loi C-48, Loi concernant la réglementation des bâtiments transportant du pétrole brut ou des hydrocarbures persistants à destination ou en provenance des ports ou des installations maritimes situés le long de la côte nord de la Colombie-Britannique...
Puis-je me dispenser de lire la motion? Ai-je entendu quelqu’un dire non? Sénateur Mercer, voulez-vous que je la lise en entier?
Que, relativement au projet de loi C-48, Loi concernant la réglementation des bâtiments transportant du pétrole brut ou des hydrocarbures persistants à destination ou en provenance des ports ou des installations maritimes situés le long de la côte nord de la Colombie-Britannique, le Sénat :
a) accepte l’amendement apporté par la Chambre des communes à son amendement 2;
b)...
J’ai déjà entendu un non en réponse à la demande de ne pas lire la motion.
... accepte l’amendement apporté par la Chambre des communes à la suite de l’amendement 1 du Sénat;
Qu’un message soit transmis à la Chambre des communes pour l’en informer.
Nous poursuivons le débat. Le sénateur Harder a la parole.
Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet de la motion d’adoption du message de la Chambre des communes concernant le projet de loi C-48, qui vise à officialiser le moratoire sur les pétroliers au large de la côte nord-ouest du Canada et des côtes d’Haida Gwaii et de la forêt pluviale de Great Bear.
Je tiens, encore une fois, à remercier la sénatrice Mobina Jaffer d’avoir parrainé ce projet de loi avec dévouement.
Le gouvernement a soigneusement examiné l’amendement au projet de loi C-48 proposé par le Sénat. Pendant le débat à l’étape de la troisième lecture, le sénateur Sinclair a expliqué ainsi ce qui justifie l’amendement :
J’ai, moi aussi, des préoccupations en ce qui concerne le projet de loi. Il semble prévoir une interdiction complète de la circulation des pétroliers dans cette région pour une raison qui pourrait être applicable maintenant, mais qui, selon moi, pourrait bien ne plus l’être plus tard [...] En ce qui concerne les façons d’améliorer le projet de loi, je voudrais soumettre une idée au Sénat. Je suis d’avis qu’il faudrait permettre aux communautés de changer d’avis. Si elles s’entendent toutes pour lever l’interdiction, le projet de loi devrait le leur permettre.
Honorables sénateurs, le gouvernement a maintenant accepté en partie cet amendement, de façon à ce qu’il y ait un examen parlementaire obligatoire dans cinq ans. Cet examen sera mené par un comité de la Chambre des communes, par un comité sénatorial, ou par les deux. L’objectif de cet examen parlementaire sera de vérifier les impacts de cette mesure législative sur l’environnement, sur les conditions socioéconomiques et sur les peuples autochtones du Canada.
Au cours de la législature qui s’achève, le Sénat a montré à quel point ses comités pouvaient mener leurs travaux de façon exhaustive et flexible, notamment au moyen d’études nécessitant des déplacements et d’études conjointes par plusieurs comités.
Dans son étude de l’amendement du Sénat, l’autre endroit a décidé de ne pas retenir la proposition de lancer l’évaluation économique et environnementale régionale dans un délai de 180 jours. Lundi, le secrétaire parlementaire du ministre des Transports, Terry Beech, a expliqué pourquoi l’autre endroit avait pris cette décision. C’est principalement parce que le gouvernement voulait accorder un répit et une tranquillité d’esprit aux peuples de la côte nord du Pacifique, particulièrement ceux qui sont titulaires de droits constitutionnels prévus à l’article 35, en ce qui a trait à l’intégrité environnementale de leur territoire et de leurs pêches.
Au cours des dernières décennies, ces communautés ont vécu une longue série de consultations coûteuses et répétitives, qui ont parfois été source de querelles et qui portaient toutes essentiellement sur la même question : accepter ou non les cargaisons de pétrole lourd dans leur région.
Voici une liste non exhaustive de ces études : l’étude du projet de loi C-48 par le Comité sénatorial des transports en 2019; les consultations de Transports Canada auprès des collectivités et des principaux intéressés en 2016 et 2017 avant la présentation du projet de loi C-48; l’examen du projet d’oléoduc Northern Gateway d’Enbridge mené par la commission d’examen conjoint en vertu de la Loi sur l’Office national de l’énergie et de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale entre 2010 et 2012; le rapport du Comité d’examen public relativement au moratoire du gouvernement du Canada visant les activités pétrolières et gazières extracôtières dans la région de la Reine-Charlotte, en Colombie-Britannique, préparé en 2004 pour le ministère des Ressources naturelles du Canada; l’examen scientifique mené en 2002 par la Colombie-Britannique du moratoire sur les activités pétrolières et gazières au large de la province; le rapport de 1986 de la Commission d’évaluation environnementale du projet d’exploration au large de la côte Ouest nommée par le gouvernement fédéral et le gouvernement de la Colombie-Britannique; la commission d’enquête sur les ports pétroliers de la côte Ouest en 1977; et le Comité spécial de la pollution environnementale de la Chambre des communes, en 1970 et 1971.
Comme M. Beech l’a fait valoir pendant son discours, il est important de souligner qu’un bon nombre de ces examens nous viennent d’organismes de réglementation et de fonctionnaires, et non de politiciens. Ils étaient de nature technique et scientifique et n’ont pas permis de résoudre les désaccords politiques fondamentaux qui planent sur cette question.
À l’appui de la motion qui nous occupe, la chef Marilyn Slett, présidente des Premières Nations côtières, a indiqué que les gens qu’elle représente souffrent actuellement de ce qu’elle a qualifié de « lassitude à l’égard des consultations ». Elle a indiqué que les personnes qu’elle représente aspirent aux années de calme et de réflexion que leur apporterait ce message. De plus, la chef Slett a exprimé sa gratitude aux sénateurs pour l’essence de l’amendement et les efforts qu’ils ont déployés pour parvenir à un meilleur consensus.
Dans cinq ans, en raison de l’examen parlementaire prévu dans le message qui nous est adressé, les parlementaires des deux Chambres auront l’occasion d’entendre de nouveau des spécialistes, des intervenants et des titulaires de droits constitutionnels après une période raisonnable dans ce contexte.
Les comités de la Chambre des communes et du Sénat pourront alors formuler des recommandations, et potentiellement proposer de nouveaux projets de loi ou changements réglementaires fondés sur cet examen.
À ce sujet, je signale également que le projet de loi C-48 établit une autorité gouvernementale pour modifier par voie de règlement l’annexe où l’on mentionne les hydrocarbures persistants. Cela pourrait se produire en plus du calendrier d’examen proposé et donnerait au gouvernement la souplesse nécessaire pour réagir à tout progrès scientifique ou technologique lié au transport, à la sécurité marine et à l’intervention en cas de déversement.
De plus, je signale au nom du gouvernement que le message qui nous est adressé contient également une contribution stratégique du Sénat au projet de loi C-69.
Comme les sénateurs le savent, dans ce projet de loi, en hommage indirect de Wayne Gretzky, le gouvernement a accepté ou modifié 99 amendements. Une de ces propositions a été ajoutée pour apporter des précisions juridiques. Ce changement au projet de loi C-48 vise à faire en sorte que la définition de « peuples autochtones du Canada » ait la même signification, sur le plan juridique, qu’au paragraphe 35(2) de la Loi constitutionnelle de 1982. C’est une autre amélioration apportée au projet de loi par le Sénat. Dans le même ordre d’idées, j’ajouterais qu’à mon avis, beaucoup de sénateurs ont fait un travail de la plus grande qualité dans l’exercice de leur fonction sur ce projet de loi d’initiative ministérielle.
En adoptant le projet de loi C-48, j’espère que nous n’oublierons pas que cette politique du présent gouvernement s’inscrit dans un programme énergétique et environnemental plus vaste. De l’avis du gouvernement, le développement économique et la protection de l’environnement vont de pair. Hier, le premier ministre a fait une annonce importante liée à cette politique économique et environnementale. Comme vous le savez, le Cabinet a maintenant approuvé le projet d’expansion Trans Mountain. Ce projet élargira l’accès des économies régionales et nationale du Canada aux côtes aux fins de l’exportation des produits énergétiques canadiens. Les producteurs de pétrole de l’Alberta et de la Saskatchewan auront ainsi accès aux marchés mondiaux.
Le projet générera des emplois pour la classe moyenne partout au Canada. L’entreprise compte entamer les travaux au cours de la présente saison de construction. Le premier ministre a aussi indiqué que chaque dollar gagné par le gouvernement fédéral grâce à ce projet sera investi dans la transition du Canada vers l’énergie propre.
Tandis que les Canadiens travaillent à opérer la transition vers l’énergie durable, il est logique que le pétrole canadien soit transporté par pipeline, un mode de transport plus sécuritaire et efficace que le train. En plus du pipeline Trans Mountain, le gouvernement a appuyé deux autres projets de pipeline, en Alberta et en Saskatchewan, grâce auxquels on acheminera les ressources pétrolières canadiennes vers des marchés étrangers. Je parle de la canalisation 3 et du pipeline Keystone XL, vers les États-Unis.
Le gouvernement est d’avis que ces nouveaux oléoducs et ses autres politiques soutiendront et feront croître les économies nationale et régionales basées sur l’énergie. Parmi ces politiques, mentionnons l’appui ferme du gouvernement envers le projet de LNG Canada, qui construira un pipeline de 40 milliards de dollars pour le transport du gaz naturel liquéfié vers Kitimat, dans le Nord de la Colombie-Britannique. Le projet constitue le plus gros investissement privé de l’histoire canadienne et il produira un boum économique dans les secteurs des ressources naturelles et de la construction au Canada, dont profiteront de nombreuses communautés et entreprises autochtones de l’intérieur.
À l’étape de la deuxième lecture, la sénatrice Cordy a dit ici que, grâce au pipeline de LNG, le Canada aura accès au chemin le plus court pour l’exportation du gaz nord-américain vers l’Asie. En effet, il permettra au gaz canadien de faire le trajet Kitimat-Tokyo en 8 jours, alors qu’il faut 20 jours depuis le golfe des États-Unis. Au plus fort de la construction, les pipelines, le terminal maritime et les installations de production de LNG créeront environ 10 000 emplois.
Encore une fois, comme l’a dit la sénatrice Cordy au Sénat, le projet générera potentiellement des milliards de dollars en recettes publiques directes. Cet investissement dans le secteur énergétique inclura des contrats de construction pour les entreprises autochtones à hauteur de centaines de millions de dollars.
De plus, l’intensité carbonique de ce projet sera la plus faible de toutes les installations de gaz naturel liquéfié dans le monde.
Sur le plan géographique, le pipeline de gaz naturel liquéfié sera situé au cœur de la région visée par le projet de loi C-48. Les gens de la région appuient en général le projet et ils sont heureux qu’il permette aux marchés asiatiques d’abandonner le charbon en faveur d’un carburant plus propre. Le projet appuiera donc les efforts internationaux visant à atténuer les changements climatiques.
Désormais, le gaz naturel liquéfié jouera un rôle important dans l’avenir énergétique du Canada.
Je mentionne un dernier point concernant la politique du gouvernement visant l’exploitation et l’exportation des ressources énergétiques du Canada. Beaucoup de témoins qui ont comparu devant le Comité permanent des transports et des communications, dont un représentant du gouvernement de la Colombie-Britannique, voient dans la possibilité de raffiner des produits de pétrole à valeur ajoutée au Canada un compromis entre les intérêts énergétiques en Alberta et le risque d’un déversement au large de la côte nord du Pacifique. Il y a une ouverture à l’égard des possibilités dans le nord du Pacifique. Les collectivités de la côte nord considèrent les produits raffinés comme une voie à suivre.
Tout en bâtissant des économies nationales et régionales fondées sur les ressources énergétiques, le gouvernement a également mis en place les politiques environnementales les plus solides de l’histoire du Canada. Au cœur de ces politiques se trouve la taxe sur le carbone. C’est un incitatif financier visant à modifier pour le mieux le comportement des consommateurs. En fait, 70 p. 100 des Canadiens recevront un montant supérieur à que ce qu’ils auront payé au titre de cette taxe. Cet incitatif amènera les gens à acheter des véhicules moins énergivores et à voyager de façon plus écologique. La taxe sur le carbone est essentielle à la crédibilité du pays, étant donné le rôle de chef de file mondial que joue le Canada pour lutter contre les changements climatiques et freiner l’accélération et l’extinction de masse des animaux et des autres formes de vie sur la planète.
Le projet de loi C-69 est en outre un élément crucial de cet objectif global, à l’heure où le Canada met sur pied un processus d’évaluation environnementale qui respecte les intérêts économiques et environnementaux.
Le Sénat n’a pas compté ses heures pour donner son point de vue et trouver le juste équilibre. D’ailleurs, je le répète, le gouvernement a accepté ou modifié de nombreux amendements que nous lui avons proposés.
Pendant cette législature, le gouvernement a pris d’autres mesures constructives pour protéger l’environnement, y compris récemment avec le projet de loi C-55 sur les zones de protection marines et le projet de loi C-68 concernant le rétablissement des stocks de poissons et de leurs habitats. Encore une fois, ce dernier projet de loi a été amélioré grâce aux travaux du Sénat.
Honorables sénateurs, au nom du gouvernement, je vous remercie tous de l’excellent travail accompli dans l’examen du projet de loi C-48. Je vous demande d’appuyer la motion dont nous sommes saisis pour valider la décision prise à l’autre endroit et pour que les politiques qui composent cet ensemble puissent entrer en vigueur en même temps.
Le sénateur Harder accepterait-il de répondre à une question?
Oui.
J’ai constaté, avec intérêt, sénateur Harder, que la principale raison que semble invoquer le gouvernement pour prévoir un moratoire sur les pétroliers d’une durée de cinq ans — si on suppose qu’il y aura examen dans cinq ans — est qu’on veut « accorder un répit et une tranquillité d’esprit » aux résidants de la côte nord.
Sénateur Harder, qu’est-ce que le gouvernement et vous penseriez de l’idée d’accorder « un répit et une tranquillité d’esprit » aux promoteurs du projet d’oléoduc Eagle Spirit, maintenant menacé, ou aux Albertains qui veulent qu’on leur donne les moyens nécessaires pour faciliter l’accès aux marchés asiatiques?
Sénateur, je vous remercie de votre question et de votre persistance.
Je dirai simplement que le moratoire actuel est toujours en vigueur, et que nous nous efforçons de lui fournir un cadre législatif. Comme je l’ai dit, le gouvernement du Canada est toujours favorable aux pipelines, que ce soit par rapport aux États-Unis ou à Trans Mountain. Nous cherchons à atteindre un équilibre entre l’intégrité environnementale chère aux Canadiens et la défense de certains intérêts économiques, notamment ceux du secteur des ressources naturelles en Alberta et en Saskatchewan. On demande au Sénat de souscrire à ce genre d’équilibre grâce à ce projet de loi et aux autres projets de loi dont nous sommes ou dont nous avons été saisis.
Merci beaucoup. Je comprends que le gouvernement du Canada croit que, en agissant ainsi, il peut atteindre cet équilibre. Cependant, sénateur Harder, les sénateurs savent maintenant que le secteur canadien de l’énergie doit accéder aux marchés de l’Asie et de l’Inde. Même si nous espérons que le projet de la canalisation 3 et le projet d’expansion du pipeline Trans Mountain iront de l’avant, ce n’est pas chose certaine. Nous savons aussi que ces projets permettront seulement d’acheminer des produits vers le sud des États-Unis. Cela ne règle pas le problème fondamental auquel fait face l’Alberta. Je pense que nous pouvons tous convenir que le moratoire sur les pétroliers ne fera que retarder, voire supprimer, la capacité d’acheminer l’énergie canadienne vers les marchés asiatiques.
Ce serait le cas, sénateur, mais vous devez savoir que le gaz naturel liquéfié est très en demande en Asie. Ne confondons pas les choses. Il y a une volonté d’aller de l’avant avec ce projet majeur de gaz naturel liquéfié pour favoriser l’accès aux marchés asiatiques.
Par ailleurs, il faut reconnaître que le marché pétrolier mondial est quelque peu fongible, dans la mesure où il remplace des sources d’énergie à haute intensité carbonique par des sources d’énergie à faible intensité carbonique. À l’avenir, le gouvernement cherchera à établir un juste équilibre, et c’est un choix politique que, pour ma part, j’appuie.
Le sénateur Harder accepterait-il de répondre à une autre question?
Bien sûr.
J’ai prêté une oreille attentive. Je n’ai pas écouté la totalité de votre discours, mais le sénateur Black a certainement couvert les éléments importants du moratoire.
Le sénateur Harder, vous avez fait mention à plusieurs reprises d’un pipeline de gaz naturel liquéfié. Savez-vous qu’il ne s’agit pas d’un projet de pipeline? Ce projet comporte deux volets. Il y a d’abord le pipeline qui va du Nord-Est de la Colombie-Britannique jusqu’à la côte nord de cette même province, puis il y a une usine où le gaz naturel est liquéfié. Le pipeline achemine du gaz naturel, non encore liquéfié. Il faut présenter les choses comme elles sont.
Saviez-vous que ce n’est pas du gaz naturel liquéfié qui est acheminé par ce pipeline, mais bien du gaz naturel qui est ensuite transformé sur la côte?
Il va sans dire que je suis au courant et j’ai...
N’agitez pas les bras. Le sénateur devrait présenter les choses comme il faut.
C’est ce que je fais, sénateur. D’ailleurs, j’ai été associé à des entreprises qui évoluent sur le marché du gaz naturel liquéfié.
Honorables sénateurs, la dernière fois que je suis intervenu au sujet du projet de loi C-48, j’ai parlé de l’amendement proposé par le sénateur Sinclair. Je me suis réjoui que le Sénat adopte cet amendement et que le projet de loi C-48, tel que modifié, soit renvoyé à la Chambre.
Lundi, nous avons reçu un message de l’autre endroit nous informant qu’une partie de l’amendement était acceptée, mais que certains éléments en avaient été rejetés. J’étais déçu que l’amendement n’ait pas été accepté dans son intégralité. J’ai écouté attentivement les arguments avancés et j’ai bien pris connaissance des explications que le gouvernement a fournies pour justifier ce refus.
Je cite le secrétaire parlementaire du ministre des Transports, M. Terry Beech. Il a dit :
[...] pour ce qui est des consultations, il y a une certaine lassitude, surtout dans les collectivités du Nord de la Colombie-Britannique et chez les Premières Nations côtières, après des années d’examens et d’études [...]
En fin de compte, on n’en finira jamais de débattre plusieurs des facteurs scientifiques qui mettent en doute la sécurité et la sagesse de transporter du pétrole brut au large de cette côte. Rien ne nous permet de croire qu’une autre étude longue et coûteuse menée immédiatement après l’entrée en vigueur du projet de loi C-48 résoudrait ces divergences d’opinions [...]
À un moment donné, il faut prendre une décision en fonction des meilleures données probantes disponibles et en faisant appel au jugement des parlementaires sur ce qui est juste et raisonnable, tout en tenant compte de l’approche globale du gouvernement du Canada sur les enjeux énergétiques et environnementaux ainsi que sur la réconciliation avec les Premières Nations.
Honorables sénateurs, rien dans ces propos ne permet d’étayer la position du gouvernement. Il n’y a rien non plus pour réfuter la position que nous prônions avec notre amendement. Il s’agit d’une déclaration de principe, point à la ligne. Il s’agit d’un choix politique de la part du gouvernement, et chacun sait que les choix politiques, chers collègues, sont normatifs.
Cela dit, le Sénat a tout à fait le droit, voire le devoir, de proposer d’autres solutions quand il est saisi d’un projet de loi — d’initiative ministérielle ou autre — s’il estime que c’est préférable au statu quo, et c’est exactement ce qu’il a fait dans ce cas-ci.
Les sénateurs ont tout à fait le droit de ne pas partager l’avis du gouvernement au sujet de ses politiques, mais rien ne me permet d’aller jusqu’à dire que nous devons insister pour avoir gain de cause si le gouvernement campe sur sa position.
C’est d’autant plus vrai à l’approche d’une campagne électorale. Le choix politique qu’ont fait les libéraux deviendra inévitablement un élément de leur plateforme, ce qui est d’ailleurs déjà le cas. Puisque nous sommes si près des élections, je ne pense pas qu’il nous appartienne de nous ingérer dans ce qui est essentiellement un choix politique et un élément de la plateforme du gouvernement qui fera certainement l’objet d’une vigoureuse contestation par les autres partis.
C’est pour cette raison, chers collègues, que je serais porté à ne pas insister sur notre amendement. Je serais porté à appuyer la motion du sénateur Harder voulant que nous acceptions le message, que le projet de loi passe à l’étape de la sanction royale et que nous laissions la population dire au gouvernement ce qu’elle pense de cette mesure législative aux prochaines élections.
Merci.
J’ai une question.
Accepteriez-vous de répondre à une question, sénateur Woo?
Oui.
Sénateur Woo, je l’ai mentionné dans mon discours, mais n’avez-vous pas appuyé le projet de pipeline Northern Gateway, qui passait par le port de Kitimat?
J’appuie l’accès aux côtes depuis des années afin que le Canada puisse acheminer ses ressources ailleurs qu’en Amérique du Nord et ainsi obtenir de meilleurs prix que ceux qu’il touche en limitant ses exportations aux États-Unis.
Lorsque vous avez été nommé au Sénat, Nathan Cullen, qui était alors un député, a critiqué votre appui au projet Northern Gateway, ce qui a suscité une certaine controverse. N’étiez-vous pas un partisan du projet d’oléoduc Northern Gateway avant votre nomination au Sénat et, plus précisément, avant la présentation de ce projet de loi? Oui ou non?
J’ai toujours été favorable à l’accès aux côtes. Cependant, comme nous le savons tous, chers collègues, la faisabilité d’un pipeline dépend du nombre d’autres pipelines qui se rendent jusqu’à la côte et des stocks de pétrole à l’échelle du marché mondial.
Le marché pétrolier évolue très rapidement. Je me souviens — c’était il y a à peine 10 ans — du débat sur le secteur de l’énergie parmi les économistes. Ils cherchaient à établir si nous avions atteint le pic pétrolier. Aujourd’hui, nous débattons de la question de savoir si nous approchons du pic de la demande de pétrole. Je ne sais pas si nous en sommes à ce point. Toutefois, je sais que tout promoteur d’un deuxième pipeline vers la côte Ouest devra se pencher sérieusement sur la faisabilité du projet maintenant qu’il semble que le projet TMX se réalisera.
Le sénateur Woo accepterait-il de répondre à une question?
Oui, bien sûr.
Je suppose que nous pourrions débattre des témoignages que nous avons entendus devant le Comité des transports. Je pense qu’on peut conclure, comme l’a signalé la sous-ministre déléguée, que, pour appuyer l’interdiction des pétroliers, on doit se fier à des données scientifiques. Par ailleurs, il n’existe pas d’interdiction de pétroliers comparable dans le monde ni ailleurs au Canada, du moins certainement pas dans la baie Placentia ou la baie de Fundy.
Si je me fie à vos commentaires, sénateur Woo, j’en conclus que les meilleures données auxquelles vous vous fiez sont la lassitude occasionnée par les consultations.
Sénateur Black, je crains que vous m’ayez mal compris. J’appuie l’amendement qui aurait permis la tenue d’une évaluation régionale des répercussions environnementales, économiques et sociales de la circulation de pétroliers, ainsi que des activités connexes au large des côtes du Nord de la Colombie-Britannique. C’est l’approche que j’aurais privilégiée.
Tout à l’heure, dans mes observations, j’ai dit que le message reçu de l’autre endroit ne présente pas de nouvelles données probantes justifiant l’interdiction des pétroliers. Il ne présente pas de nouvelles données probantes nous indiquant qu’il faut lever l’interdiction des pétroliers. Il s’agit simplement d’un choix politique.
Le gouvernement a déclaré qu’il existe énormément de renseignements, que les Canadiens en ont assez entendu et que c’est la décision qu’il va prendre. On peut s’opposer à cette décision, mais le gouvernement a fait un choix politique.
Des élections auront lieu dans quelques mois. Il s’agit déjà d’une question électorale brûlante. Laissons le gouvernement défendre sa décision. Nous ne devrions pas nous opposer à un choix politique fait par le gouvernement, car celui-ci est élu.
Vous venez de lancer un débat philosophique intéressant. Je poserais simplement la question suivante, sénateur Woo : devrions-nous agir ainsi même si la politique est mauvaise?
C’est là où nous pouvons avoir une discussion et un débat intéressants, étant donné que, comme l’a souligné le sénateur Harder dans son discours, il y a quelques éléments probants à ce sujet. Selon un certain nombre d’études qui remontent aux années 1970, si je ne m’abuse, un déversement de pétrole au large pourrait être dévastateur pour la région.
Vous vous rappellerez que, il y a à peine deux semaines, dans mon discours sur l’amendement du projet de loi C-48, j’ai dit que le risque d’un déversement catastrophique de pétrole était tout aussi hypothétique que le risque que des actifs du Nord de l’Alberta deviennent inutilisables parce que les deux étaient imaginaires à ce stade-ci.
Je maintiens toujours cette position. Le gouvernement a décidé que le risque de déversement au large est réel. Il veut mettre en place le moratoire. Il a fait un choix politique. C’est son droit. J’aurais aimé que nous disposions de plus d’éléments probants. J’aurais aimé que le gouvernement prenne le temps et qu’il fasse l’effort de recueillir davantage de données avant de mettre en place une interdiction permanente, mais c’est à lui qu’il revient d’assumer la responsabilité de sa décision, et nous ne devrions pas lui mettre des bâtons dans les roues.
Sénateur Woo, j’ai une dernière question. Compte tenu de ce que vous avez dit — et je trouve que c’est justifié, puisqu’une campagne électorale approche et qu’il ne se passera rien avant que les élections soient passées —, serait-il raisonnable de s’attendre, en supposant qu’il y ait un changement de gouvernement et que le nouveau gouvernement propose d’abroger le projet de loi, à ce que vous preniez la parole pour appuyer cette mesure?
Sénateur Tannas, dans mon discours, j’ai dit qu’il incombe au Sénat de proposer d’autres solutions, d’en débattre et, parfois, de les proposer relativement à tout projet de loi du gouvernement dont nous sommes saisis.
Si un nouveau gouvernement a inscrit dans son programme électoral qu’il entendait abroger ce projet de loi, il a le droit de le faire. Lorsque le projet de loi sera présenté ici, il nous incombera toujours de le contester, comme nous l’avons fait pour le projet de loi C-48. Mais si, après l’étape de la troisième lecture et après les amendements, le gouvernement au pouvoir dit qu’il s’agit d’une préférence, que la mesure ne viole ni la Constitution ni les droits des minorités et qu’elle ne brime aucunement les minorités ou d’autres groupes, nous devrions nous plier à la décision du gouvernement.
Puis-je poser une question au sénateur Woo?
Bien sûr.
Sénateur Woo, je trouve intéressant que vous parliez du respect des droits des minorités puisque, lorsque nous avons débattu tous les deux du projet de loi C-48, il y a quelques semaines, nous avions des opinions divergentes à propos de mon amendement et de mes efforts en vue de protéger les droits de la nation nisga’a, détentrice des droits. J’ai indiqué que la nation nisga’a jugeait l’amendement proposé par le sénateur Sinclair inacceptable, et vous vous êtes montré sceptique à ce sujet, je crois.
Saviez-vous que la présidente de la nation nisga’a, Eva Clayton, a écrit une lettre au sénateur Sinclair le 13 juin? Elle y rejette l’amendement en expliquant qu’il ne règle aucune des préoccupations que la nation nisga’a a soulevées à de multiples reprises. De plus, elle rejette la disposition de non-dérogation et demande que la partie 3.2 de l’amendement du sénateur Sinclair soit complètement supprimée parce qu’elle viole certains droits des Autochtones garantis par la Constitution.
Je n’ai pas vu cette lettre. Ce que je sais, c’est qu’il y a un désaccord à savoir si les droits des Nisga’as issus de traités seraient, dans les faits, bafoués par cette interdiction dans la mesure où il s’agit d’activités qui, de l’avis de certains, ne sont pas couvertes par le traité.
Je suis heureux de m’en remettre aux spécialistes qui ont formulé ce point de vue. Je sais que, si les Nisga’as croient fermement que leur droits sont bafoués, ils prendront des recours juridiques. Je crois qu’ils ont dit que c’est ce qu’ils feraient. Nous devrions surveiller de près cette affaire pour nous assurer que leurs droits sont respectés.
Honorables sénateurs, comme vous le savez, la Chambre des communes a rejeté le principal élément de l’amendement proposé par le Sénat au projet de loi C-48 sur l’interdiction de pétroliers. Je vous rappelle que cet amendement comportait trois parties : une évaluation régionale, telle que prévue dans la nouvelle Loi sur l’évaluation d’impact, le projet de loi C-69, qui aurait été mise en œuvre six mois après l’entrée en vigueur et dont les modalités auraient été négociées par le gouvernement fédéral, les gouvernements de la Colombie-Britannique, de l’Alberta et de la Saskatchewan, ainsi que par les Premières Nations concernées; la tenue d’un examen parlementaire après cinq ans; une disposition de non-dérogation visant à affirmer les droits des Autochtones et à les protéger. Le gouvernement a accepté la disposition de non-dérogation et l’examen parlementaire, mais pas l’évaluation d’impact régionale.
Dans la législation fédérale, les dispositions de non-dérogation sont importantes, mais elles sont la norme lorsqu’il est question des peuples autochtones. Qu’il n’y en ait pas eu une dans le projet de loi C-48 semble être une omission flagrante. Comme plusieurs d’entre vous le savent, les examens parlementaires ont un défaut majeur : il est possible qu’ils ne soient pas menés, même s’ils sont prévus par la loi. Cinq ans, c’est long, et il se peut que les parlementaires cessent simplement de se soucier d’une question en particulier.
En outre, dans le contexte du projet de loi C-48, un examen parlementaire ne permettra pas d’obtenir les mêmes données scientifiques et de tenir les mêmes consultations étendues qu’une évaluation d’impact.
L’évaluation régionale était un élément majeur de l’amendement proposé par le sénateur Sinclair. C’était une proposition intéressante, parce qu’elle venait combler une lacune relevée par de nombreux témoins au comité quant à l’absence de données rigoureuses.
Pourquoi la côte nord de la Colombie-Britannique mérite-t-elle une plus grande protection que les autres côtes du Canada? La région est-elle plus susceptible de faire l’objet d’un déversement pétrolier que les autres eaux navigables? Dans quelle mesure la technologie moderne réduit-elle les risques de déversement? Existe-t-il d’autres moyens de protéger la côte nord de la Colombie-Britannique hormis l’interdiction complète des pétroliers? Voilà quelques-unes des questions auxquelles une évaluation d’impact régionale aurait procuré des réponses solides.
L’interdiction des pétroliers est une politique radicale. Elle revient à employer une hache là où un scalpel est de mise. Elle dresse une région du pays contre une autre. À mon avis, elle ne tient pas compte de l’intérêt national, qui consiste à protéger l’environnement, oui, mais également à favoriser l’exploitation de nos ressources naturelles et l’accès aux marchés mondiaux. Le défi national du gouvernement consiste à trouver un juste équilibre, et non à placer tout son poids d’un seul côté de la balance.
Certains diraient que la décision d’hier à l’égard de l’oléoduc Trans Mountain règle la question. Je ne suis pas d’accord. Si l’expansion de l’oléoduc Trans Mountain se concrétise rapidement, elle aidera manifestement, mais elle ne constitue ni une solution définitive ni une solution suffisante au problème de l’enclavement des ressources naturelles du Canada.
Puisqu’une majorité des sénateurs estimaient que le projet de loi C-48 n’était pas bien équilibré et allait nuire au pays, nous avons cherché un compromis acceptable pour les sénateurs de toutes les régions, notamment pour les sénateurs autochtones. Certains ont proposé un corridor. Le gouvernement a dit non. Certains ont proposé une disposition de caducité. Le gouvernement l’a rejetée.
Enfin, nous avons proposé une évaluation d’impact régionale. Cet amendement aurait dû plaire au gouvernement. Premièrement, il permettait d’aller de l’avant avec l’interdiction. Deuxièmement, une évaluation régionale, telle que proposée dans l’amendement du sénateur Sinclair, permettrait une réconciliation entre les Premières Nations préoccupées, le gouvernement fédéral et les provinces impliquées dans le conflit actuel.
Enfin, le concept d’évaluation régionale vient du projet de loi C-69 du gouvernement.
Soyons clairs sur ce qu’était la situation il y a une semaine, lorsque le sénateur Sinclair a conçu cet amendement. N’eût été l’amendement, il paraissait fort probable que le projet de loi C-48 serait défait au Sénat. Le gouvernement n’aurait pas pu faire adopter son projet de loi visant à interdire les pétroliers sur la côte nord de la Colombie-Britannique.
Chers collègues, compte tenu de tout cela, je dois dire que je ressens aujourd’hui une certaine frustration, pour ne pas dire une très grande frustration, mais la question qui se pose aujourd’hui n’est pas de savoir comment canaliser notre déception collective. Nos décisions doivent être raisonnées plutôt qu’émotives. Faut-il insister sur notre amendement? Quelles sont les conséquences de la décision que nous prendrons à cet égard?
Le gouvernement a fait valoir plusieurs raisons pour justifier sa décision. La plupart sont de nature technique et auraient facilement pu être surmontées. La volonté politique peut déplacer les montagnes.
Le gouvernement dit aussi que les Premières Nations côtières ont été consultées, qu’elles ressentent une certaine lassitude relativement à tous les examens qui ont été menés et qu’elles méritent un répit et une tranquillité d’esprit. Ce sont ses mots.
Avec tout le respect que je dois au gouvernement, il est difficile de comprendre en quoi notre proposition de compromis, qui n’empêchait en rien l’interdiction des pétroliers, aurait plus perturbé leur tranquillité d’esprit que, disons, les prochaines élections. Puisqu’il s’agit d’une politique hautement controversée, l’interdiction des pétroliers sera toujours assujettie à un certain niveau d’incertitude politique.
Nombre d’entre nous croient, et c’est la position du gouvernement, que le Sénat devrait presque toujours s’incliner devant la Chambre des communes lorsque la loi fait suite à un engagement électoral. Cette position est basée sur la convention de Salisbury que vous connaissez bien.
Je souligne deux choses. Premièrement, l’applicabilité moderne de la convention a été contestée au Canada et au Royaume-Uni. Les choses ont changé considérablement depuis la signature de la convention de Salisbury-Addison dans les années 1940. Par exemple, le pouvoir exécutif est nettement plus puissant qu’auparavant. Comme lord Strathclyde l’a noté en 1999 :
[...] la Chambre [des lords] de la convention de Salisbury n’existe plus.
On pourrait certainement en dire autant du Sénat du Canada.
Lord Rippon de Hexham a déclaré :
La doctrine [...] [la doctrine de Salisbury ] [...] ne doit s’appliquer que lorsque [...] un parti a exposé absolument clairement sa politique à l’occasion d’une élection générale.
Voilà où le bât blesse dans le cas qui nous intéresse ici. Il n’a pas été question de l’interdiction des pétroliers dans la plateforme nationale des libéraux. Il s’agit d’un engagement pris par la Colombie-Britannique dont il a rarement été fait mention ailleurs au Canada. Par conséquent, on ne peut pas dire que l’ensemble des Canadiens ont voté en faveur d’interdire la circulation des pétroliers sur la côte nord de la Colombie-Britannique. Cette promesse électorale ne se compare ni à la légalisation du cannabis ni aux dépenses en infrastructure. Le mandat du gouvernement à cet égard est imprécis.
Il y a un an, nous faisions face à une situation très similaire lors du débat sur le projet de loi C-45 sur la légalisation du cannabis. Le Sénat avait proposé certains amendements, dont un sur la culture à domicile qui nous tenait, à plusieurs d’entre nous, particulièrement à cœur. Le gouvernement a rejeté cet amendement et nous faisions alors face au même dilemme : faut-il insister sur notre amendement ou non? Permettez-moi de citer ce que j’ai dit à ce moment-là :
[...] nous devrions examiner tout ce que nous faisons à l’aune de la réputation et de la crédibilité du Sénat. Comme vous le savez, la crédibilité du Sénat est fragile. Les travaux sérieux menés sur le projet de loi C-45...
— et on pourrait certainement dire la même chose des projets de loi C-48 et C-69 —
... ont contribué à renforcer sa crédibilité, mais, à ce stade, tout faux pas risquerait de compromettre les gains modestes que nous avons faits. On ne devrait insister que dans des circonstances relativement rares, lorsque le sujet revêt une importance spéciale par rapport à notre rôle constitutionnel, lorsque nous sommes prêts à mener le combat à terme, lorsque l’opinion publique est — ou pourrait être — de notre côté, sauf circonstances exceptionnelles, et lorsqu’il est réaliste de croire que nous pouvons convaincre le gouvernement de changer d’avis ou le forcer à le faire.
Honorables sénateurs, je soutiens humblement que quatre critères pourraient nous guider dans une telle situation. Appliquons-les au cas qui nous occupe.
Un : le sujet revêt-il une importance spéciale par rapport à notre rôle constitutionnel? À cette question, je réponds « oui » sans hésitation. L’interdiction de circulation des pétroliers proposée est devenue une question d’unité nationale. Deux régions du pays sont en désaccord. Le Sénat peut agir et il devrait le faire. Outre les intérêts des régions, l’unité nationale et la protection de la Constitution sont sans l’ombre d’un doute des éléments de notre mandat.
Deux : sommes-nous prêts à mener un dur combat à terme? À mes yeux, insister une fois et laisser tomber ensuite est une perte de temps et d’énergie. Si nous décidons d’insister sur un amendement, nous devons être disposés à mener une longue bataille avec la Chambre des communes. Même si j’ai l’impression qu’un grand nombre de sénateurs sont déçus de l’intransigeance du gouvernement, jusqu’ici, je n’en ai pas entendu beaucoup dire que nous devrions sortir l’artillerie lourde.
Trois : si nous nous opposons à l’autre endroit, bénéficierons-nous de l’appui d’une grande partie de la population? Il s’agit d’une question cruciale, car elle détermine a) si nous pouvons gagner une telle partie de bras de fer et b) si l’impasse législative aidera ou nuira à la réputation du Sénat. Franchement, dans le cas présent, je doute que la majorité des Canadiens nous appuient. La plupart considéreraient un affrontement entre le Sénat et la Chambre des communes comme un autre exemple d’abus de pouvoir de la part de la Chambre haute non élue, ce qui ne ferait que nuire à la réputation du Sénat.
Quatre : si l’opinion publique n’est pas de notre côté, nous ne convaincrons pas le Cabinet de changer de mentalité. Nous avons essayé de convaincre le gouvernement en faisant preuve de logique et nous avons fait appel au compromis. Nos efforts ont été en vain.
Seule la possibilité d’une chute dans les sondages pourrait persuader le gouvernement de changer de cap. Je ne pense pas que cela se produira avec le projet de loi C-48. C’est le Sénat qui perdra des points dans les sondages.
C’est avec un pincement au cœur que j’arrive à la conclusion que le projet de loi visant à interdire la circulation des pétroliers ne répond pas à trois des quatre critères que j’ai énoncés l’année dernière.
Honorables sénateurs, il est bien tentant de mettre notre poing sur la table. Cependant, lorsque vient le temps de voter sur une question si sérieuse, il faut mettre de côté nos émotions et écouter la voix de la raison.
En français, il existe deux mots distincts pour parler de compromis : il s’agit des mots « compromis » et « compromission ». Le premier, « compromis », est honorable et essentiel. Le second, « compromission », est un arrangement conclut par lâcheté ou par simple intérêt. La compromission se fait au mépris de ces principes.
Après avoir déjà accepté plusieurs compromis relativement au projet de loi C-48, en sommes-nous arrivés à la compromission? À accepter l’inacceptable? Je ne le crois pas.
Si nous nous fions un peu à notre mémoire, nous pouvons conclure que, dans cinq ans, nous lancerons une étude parlementaire sur l’interdiction des pétroliers sur la côte nord de la Colombie-Britannique.
De plus, grâce au travail du Sénat, les droits des Autochtones sont clairement affirmés et protégés dans le projet de loi. Ces gains ne sont pas très significatifs, mais ils existent, et cela signifie beaucoup.
Je ne souscris pas à l’amendement du sénateur Harder, qui supprime le principal élément de l’amendement du Sénat, sa partie la plus importante. Je n’en demeure pas moins convaincu que, même si je n’aime pas cette conclusion, on ne peut pas reprocher au Sénat de ne pas insister sur le principal amendement qu’il a présenté. Comme je l’ai déjà dit, je suis fermement convaincu que le Sénat ne sortirait pas vainqueur d’un affrontement avec l’autre endroit.
J’ai été nommé au Sénat pour défendre ma région tout en tenant compte des intérêts nationaux — protection des minorités, promotion et maintien de l’unité nationale, évidemment —, mais j’ai été également nommé au Sénat pour participer à sa réforme. Lorsque le premier ministre m’a appelé il y a trois ans pour discuter de ma nomination au Sénat, je ne lui ai posé qu’une seule question : « Est-ce que les nouveaux sénateurs seront indépendants? » Il m’a répondu : « Oui, absolument ».
« À condition qu’ils votent comme moi. »
Pour moi, cela voulait dire que je pouvais — et que je devais — voter selon ma conscience.
Aujourd’hui, ma conscience et mes convictions concernant la réforme du Sénat m’amènent à la même conclusion, même si je crois encore que le gouvernement a raté une formidable occasion en rejetant le compromis proposé par le sénateur Sinclair. Je suis par ailleurs certain que le projet de réforme du Sénat, auquel nous participons tous, pourrait être affaibli, voire mis en danger, par un affrontement irréfléchi et prolongé avec l’autre endroit.
Le jour viendra, honorables sénateurs, où le Sénat prendra l’extraordinaire initiative de s’engager sérieusement dans un combat avec l’autre endroit. Le jour viendra où un sujet donné revêtira tellement d’importance pour la Chambre de second examen objectif qu’elle sera résolue à mener une bataille historique. Ce jour viendra, j’en suis convaincu, mais ce n’est pas aujourd’hui, honorables sénateurs. Merci.
Honorables sénateurs, lorsque le Sénat est saisi de projets de loi controversés comme celui-ci, on croit souvent que, s’il exerce le pouvoir qui lui a été conféré lors de la Confédération de 1867 de rejeter les mesures législatives du gouvernement, soit il en découlerait une crise majeure, soit ce serait un affront à la démocratie.
On a répété à maintes reprises que ce n’est pas le rôle de la Chambre haute nommée de faire de l’obstruction aux projets de loi adoptés par la Chambre des communes élue, surtout lorsqu’il s’agit de projets de loi qui donnent suite à des promesses électorales explicites du gouvernement.
Ce serait important si c’était historiquement exact, mais, entre 1867 et 2015, le Sénat a rejeté 129 projets de loi simples, dont 50 étaient des projets de loi d’initiative ministérielle. Au cours de cette période, beaucoup d’autres projets de loi du gouvernement ont été retardés au comité ou sont morts au Feuilleton et n’ont jamais pu être mis aux voix.
Malgré le refus du Sénat d’adopter les projets de loi du gouvernement, le pays n’a pas connu de crise constitutionnelle, et le système parlementaire ne s’est pas effondré. Le Sénat a rejeté des projets de loi même lorsque le gouvernement avait une promesse électorale explicite à remplir.
Par exemple, lors de la campagne électorale fédérale de 1993, Jean Chrétien, le chef de l’opposition à l’époque, avait dit que, s’il était élu, il annulerait les changements prévus par le gouvernement précédent concernant l’aéroport Pearson de Toronto. Lors de la campagne électorale de 1993, M. Chrétien a promis un examen indépendant du projet de réaménagement de l’aéroport Pearson. Il a déclaré ceci au cours de la campagne :
Je préviens tout le monde que, si nous formons le gouvernement, nous nous pencherons sur cette transaction et, s’il le faut, nous adopterons une loi pour l’annuler.
Que s’est-il passé? M. Chrétien a remporté les élections de 1993 et il est devenu premier ministre; il a examiné l’accord; il a décidé qu’un projet de loi était nécessaire; le gouvernement a présenté et adopté un projet de loi à la Chambre des communes, mais ce dernier a été rejeté au Sénat du Canada, malgré la promesse électorale claire et le mandat que le premier ministre Jean Chrétien a reçu de la population canadienne en gagnant les élections de 1993. La promesse électorale n’aurait pas pu être aussi claire, mais le Sénat a quand même rejeté le projet de loi.
Les sénateurs qui ont rejeté le projet de loi avaient peut-être en tête les paroles du tout premier premier ministre du Canada. Comme nous le savons tous, sir John A. Macdonald a dit :
Où serait l’utilité de la chambre haute, si elle ne devait pas exercer, en temps opportun, son droit d’amender ou modifier la législation de la chambre d’assemblée? Il ne faut pas que ce soit un simple bureau d’enregistrement des décrets de la chambre basse [...]
Que s’est-il passé après le rejet de l’Accord de l’aéroport Pearson, le projet de loi C-28? Le gouvernement était mécontent et contrarié, mais le Canada n’a pas sombré dans le chaos.
On a également répété que les sénateurs ne peuvent pas — et ne doivent pas — rejeter un projet de loi du gouvernement qu’ils n’aiment pas simplement en raison de différences idéologiques ou politiques, car ce n’est pas au Sénat de bloquer la volonté démocratique des électeurs.
Chers collègues, dites cela aux femmes du Canada alors que, en 1991, le Sénat a rejeté un projet de loi visant à restreindre l’accès à l’avortement que le gouvernement du premier ministre Brian Mulroney avait fait adopter à la Chambre des communes.
Il convient également de signaler que les sénatrices conservatrices qui se sont opposées au projet de loi avaient toutes été nommées au Sénat par le premier ministre Mulroney, celui-là même qui tentait de faire adopter ce projet de loi. Le Sénat a dit non à la Chambre des communes, et des membres du caucus d’un parti politique partisan ont tenu leur bout et ont voté selon leur conscience. Voilà, chers collègues, à quoi ressemble un véritable Sénat indépendant.
Que dire des autres exemples dans l’histoire du Canada et du Sénat, lorsque le Sénat aurait pu voter différemment, mais a choisi de ne pas le faire? Un exemple, parmi bien d’autres, qui me vient à l’esprit est celui de la Loi sur les mesures de guerre lors de la crise du FLQ.
Le Sénat a-t-il pris la bonne décision, ou la décision populaire à l’époque, et le Sénat a-t-il failli à son devoir?
Devant la pression publique intense, je comprends que les sénateurs aient voté comme ils l’ont fait; toutefois, les sénateurs, comme les juges, qui restent en fonction jusqu’à 75 ans, bénéficient de la sécurité d’emploi justement pour pouvoir voter selon leur conscience, et non parce qu’ils ont peur ou se sentent redevables.
Chers collègues, malgré la pression publique, nous devons nous poser la question suivante : la raison d’être du Sénat est-elle d’éviter de faire des vagues ou de tenir des votes et de prendre des décisions qui résisteront à l’épreuve du temps?
Dans les moments difficiles que peut connaître notre pays, à quel point est-il important que le Sénat tienne bon devant des gouvernements successifs qui veulent faire adopter rapidement leurs mesures législatives? Les gouvernements veulent toujours que leurs mesures législatives soient adoptées rapidement. On promet de régler des problèmes dans le futur, mais je me demande toujours pourquoi nous laisserions passer l’occasion de régler des problèmes toute de suite.
Au fil des ans, en plus de rejeter des projets de loi du gouvernement, le Sénat a simplement retardé des projets de loi et empêché la tenue de votes. Certains projets de loi n’ont pas été renvoyés au comité, d’autres n’ont jamais vu l’issue de leur étude en comité et d’autres encore n’ont jamais fait l’objet d’un vote final.
C’était plus facile à faire avant que les règles ne soient changées au cours des dernières années. Par exemple, dans les années 1980 et 1990, à l’époque où Allan J. MacEachen était leader des libéraux au Sénat, on a paralysé des projets de loi sur divers sujets, comme la fusion du Conseil canadien et du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada ou la redistribution des sièges de la Chambre des communes avant les élections de 1997. L’opposition du Sénat a poussé le gouvernement à abandonner ces projets de loi.
En outre, un important projet de loi sur l’assurance-chômage est mort au Sénat et une nouvelle loi sur le transport n’a jamais vu le jour en raison de l’opposition du Sénat — encore une fois, pas de vote.
Figurent aussi à la liste des projets de loi qui ont été bloqués des mesures sur les brevets pharmaceutiques, les réfugiés, les droits d’auteur et des initiatives liées à l’énergie, et j’en passe. Le plus célèbre cas est celui où le Sénat a refusé de voter sur l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis avant la tenue des élections fédérales. Lorsque l’affaire est devenue un enjeu électoral, le gouvernement a gagné et le Sénat l’a immédiatement adopté.
Après l’obtention d’un mandat clair, le Sénat a adopté le projet de loi. Étant donné qu’il ne reste que 100 jours avant le déclenchement des prochaines élections, d’aucuns pourraient faire valoir qu’on devrait demander que le gouvernement obtienne un mandat des Canadiens concernant, entre autres, les projets de loi C-48 et C-69.
Chers collègues, c’est la déclaration populiste la plus facile à faire au Canada pour critiquer le Sénat, qui est nommé. On demande « Comment osent-ils? », peu importe ce que nous faisons.
Toutefois, un jour, les Canadiens pourraient élire un premier ministre qui a les mêmes traits de caractère que l’actuel président américain Donald Trump. C’est à ce moment qu’ils voudraient que le Sénat agisse comme contrepoids, comme les Pères de la Confédération le voulaient et qu’ils se demanderaient pourquoi le Sénat a été neutralisé par le précédent récent qui consiste à ne pas rejeter les projets de loi du gouvernement, et pourquoi il ne sert qu’a tout adopter les yeux fermés.
Voici une citation de John A. Macdonald que j’ai mentionnée plus tôt :
Où serait l’utilité de la chambre haute, si elle ne devait pas exercer, en temps opportun, son droit d’amender ou modifier la législation de la chambre d’assemblée?
Les mots que je retiens sont « en temps opportun ». C’est une décision que chaque sénateur doit prendre à chaque vote et pour chaque projet de loi. Je voulais ajouter le contexte historique à cette discussion en faisant ces observations. Je vous remercie, chers collègues.
Honorables sénateurs, je suis heureux de ne pas avoir proposé l’ajournement et que le sénateur Downe ait eu l’occasion de prendre la parole. Nous ne sommes pas souvent sur la même longueur d’onde concernant les votes, mais nous sommes d’accord sur le rôle de notre institution. J’aimerais maintenant proposer l’ajournement du débat à mon nom.