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Le Code criminel

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Débat

16 décembre 2020


L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition)

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-7, qui vise à élargir le régime de suicide assisté au Canada.

Chers collègues, il est rarissime de pouvoir s’adresser à l’une ou l’autre des deux Chambres du Parlement pour débattre d’une mesure législative qui définit les circonstances dans lesquelles les gens vivent ou meurent. J’espère sincèrement que chacun d’entre nous saisit bien tout le poids des décisions que nous prendrons à l’égard de ce projet de loi, et je souhaite que personne ne cède à la pression de l’échéancier que le gouvernement a lui-même imposé au Sénat.

Comme plusieurs d’entre vous s’en souviendront, j’ai participé activement aux débats sur le projet de loi C-14 en proposant des amendements visant à améliorer les mesures de sauvegarde. J’ai mentionné à ce moment-là que je m’opposais à toute forme de suicide assisté. En revanche, le vote que nous avons tenu sur le projet de loi C-14 ne visait pas à légaliser le suicide assisté. C’est la Cour suprême du Canada qui a imposé cette décision au Parlement. Le vote sur le projet de loi C-14 portait sur des paramètres et sur des mesures de sauvegarde.

Il y a certes eu énormément de désaccords lorsque nous nous efforcions de trouver un juste équilibre, mais j’ai dit à maintes reprises que les échanges dans le cadre de ce débat sont les plus humains et respectueux auxquels j’ai participé dans cette enceinte. Tout le monde semblait comprendre que chacun d’entre nous cherchait à faire preuve de compassion dans ses échanges, même si parfois nous étions en profond désaccord. Malheureusement, les débats dans l’autre endroit ont pris un mauvais tournant lorsque le ministre Lametti a empêché les députés d’exprimer des opinions dissidentes sous prétexte qu’il s’agissait d’obstruction partisane ou de comportements dignes d’une droite religieuse effrénée. Je suis heureux que nous ayons fait preuve de compassion et de respect pour les opinions des autres dans cette enceinte tout au long de notre débat sur ces questions difficiles.

Chers collègues, nous ne sommes pas réunis ici aujourd’hui en raison d’une décision de la Cour suprême du Canada. Nous sommes ici en réponse à une décision de la Cour supérieure du Québec, une décision prise par une seule juge dans une seule province — pas la Cour suprême ni même une cour d’appel. Le gouvernement Trudeau a pris la décision fort inhabituelle et sans précédent de ne pas défendre sa propre loi et de ne pas porter la décision en appel, et de saisir plutôt cette occasion pour élargir le régime d’aide médicale à mourir du Canada bien au-delà des exigences établies dans l’arrêt Truchon.

Toutefois, pour ce qui est des questions de constitutionnalité, je m’en remets aux juristes distingués du Sénat. Nous avons la chance d’avoir les points de vue des sénateurs Carignan, Batters et Gold — le sénateur Gold a prononcé un discours passionné hier —, ainsi que des sénateurs Cotter et Dalphond. Par ailleurs, hier, la sénatrice Pate a pris la parole à titre d’avocate. Chers collègues, je ne fais que donner quelques exemples. Ils sont beaucoup plus nombreux.

Lundi soir, notre débat respectueux a quelque peu dérapé quand mon cher collègue le sénateur Harder, qui n’avait pas réussi à étayer son affirmation selon laquelle des députés conservateurs faisaient de l’obstruction, a laissé entendre que ma question visait à détourner l’attention des enjeux constitutionnels entourant le projet de loi. Je ne sais trop pourquoi le sénateur Harder croit que je tenterais de détourner l’attention du Sénat des lacunes d’un projet de loi du gouvernement libéral. Néanmoins, je peux assurer à tous les sénateurs que ce n’est pas le cas. J’ai beaucoup de préoccupations majeures au sujet de cette mesure législative, dont je vous parlerai, et j’estime que les gens comme le sénateur Harder et moi devraient laisser l’analyse constitutionnelle aux experts.

Avant de participer aux audiences du comité sur le projet de loi C-7, j’étais au courant de la décision scandaleuse du gouvernement de ne pas défendre sa propre loi. Je savais aussi qu’on avait retiré des mesures de sauvegarde existantes, apparemment sans raison, et certainement avant que le Parlement ait eu la chance de procéder à l’examen quinquennal du régime actuel.

Je suis ravi que le sénateur Gold ait suggéré que le Sénat amorce un tel examen puisque la Chambre des communes n’arrive pas à mettre de l’ordre dans ses affaires. Personnellement, j’étais contre l’élargissement de l’accès au suicide assisté sous toutes ses formes, et je n’ai pas changé d’avis. Toutefois, j’étais loin d’imaginer les effroyables lacunes de ce projet de loi avant d’entendre ce que les 81 témoins avaient à dire lors de leur passage tout au long de la semaine. Depuis mon arrivée au Sénat, je pense qu’aucun autre projet de loi n’a fait l’objet d’un désaccord aussi généralisé, autant de la part des experts que des personnes qu’il touche de près.

Chers collègues, chaque jour dévoile un aspect plus sombre de la situation dans laquelle nous nous trouvons et de ce qui nous attend si ce projet de loi est adopté dans son libellé actuel.

Des experts internationaux ont déclaré qu’avec ce projet de loi, le Canada sera le pays où le régime d’aide médicale à mourir est le plus permissif. Le Dr Trudo Lemmens, sommité internationale en droit médical, a déclaré au comité qu’en vertu de ce projet de loi et contrairement à tous les autres pays, le suicide assisté ne sera pas utilisé comme une option de dernier recours. Cette inquiétude a été soulevée à maintes reprises tout au long de l’étude du comité.

Tous les autres pays exigent que toutes les autres options de traitement soient mises à disposition et envisagées pour les personnes susceptibles d’avoir de nombreuses années ou décennies à vivre. Comme l’a dit le Dr Lemmens au comité :

Il s’agit d’un écart par rapport aux obligations professionnelles et juridiques que leurs normes de conduite imposent aux fournisseurs de soins. Les patients ne peuvent pas forcer leur médecin à leur prodiguer consciemment un traitement qui serait contraire à ces normes de conduite professionnelle et non indiqué sur le plan médical. Il n’est pas inhabituel que l’accès à certaines interventions soit conditionnel à l’essai d’autres approches, et c’est le moins que l’on puisse exiger si ce qui est demandé au médecin est une aide à mourir. En imposant comme unique condition d’avoir envisagé toutes les options, le projet de loi n’offre pas la protection que garantit la relation unique entre un patient et le fournisseur de soins de santé, il prive le patient du soutien essentiel du fournisseur de soins et il fait fi de la nature radicale de l’aide médicale à mourir.

Des médecins nous ont signalé que le projet de loi à l’étude avait pour effet de faire simplement du suicide assisté l’une des options offertes dans la gamme des bons soins médicaux. Les médecins pourraient être obligés de présenter le suicide assisté à leurs patients en même temps que toutes les autres options thérapeutiques. Ce n’est pourtant pas une option parmi tant d’autres, mais bien l’option finale et irréversible, chers collègues.

Certains des experts qui connaissent le mieux les régimes de suicide assisté en vigueur dans le monde nous ont prévenus qu’une grande prudence était de mise, particulièrement à la lumière de l’une des dispositions les plus inquiétantes du projet de loi C-7.

Un praticien pourra désormais administrer le suicide assisté à un patient dont la mort naturelle est jugée raisonnablement prévisible et qui a donné un consentement préalable, sans avoir à obtenir un consentement final de la part du patient s’il estime que celui-ci a perdu ses capacités. Comme simulacre de mesure de sauvegarde, le projet de loi prévoit que, dans les cas où le patient manifeste « par des paroles, sons ou gestes, un refus que la substance lui soit administrée ou une résistance à ce qu’elle le soit », le consentement préalable est considéré comme annulé.

Toutefois, le projet de loi indique également :

Il est entendu que des paroles, des sons ou des gestes involontaires en réponse à un contact ne constituent pas une manifestation de refus ou de résistance pour l’application de l’alinéa (3.‍2)c).

Il est impossible de qualifier cette disposition autrement que de hautement subjective — à tel point qu’elle est dangereuse, selon moi.

Le comité a entendu parler du cas d’une femme atteinte de démence en Hollande. Elle n’était pas inconsciente, mais elle a été jugée incapable de prendre une décision. On lui a administré des médicaments pour l’assoupir. Au moment de faire l’injection, elle a résisté physiquement. La famille a aidé le médecin à maintenir la patiente en place. On lui a finalement injecté la substance mortelle et elle est morte. Je trouve cela profondément troublant.

Des témoins ont déclaré que si cette pratique de consentement préalable était autorisée au Canada, toute résistance physique à la mort devrait mettre un terme immédiat au processus.

D’autres pays ont également cherché à régler le déséquilibre du pouvoir qui existe entre les médecins et les patients en s’assurant que toutes les discussions sur l’aide médicale à mourir sont lancées et dirigées exclusivement par les patients. La Dre Ramona Coelho a donné un aperçu du pouvoir et de l’influence profonds qu’un médecin exerce sur un patient, en particulier un patient vulnérable qui n’a pas de soutien, d’éducation ou de ressources. Certains groupes ont parlé de responsabilité sacrée. Le simple fait de se faire offrir l’option du suicide assisté peut suffire à inciter un patient vulnérable à en faire la demande.

Honorables collègues, nous avons entendu l’histoire de Roger Foley, un homme de London, en Ontario, qui est atteint d’un trouble neurologique limitant sa capacité de bouger ses bras et ses jambes. Hospitalisé depuis des années, M. Foley a maintes fois réclamé des soins à domicile. Or, des médecins praticiens lui ont plutôt offert l’aide au suicide à au moins quatre reprises, même s’il n’avait exprimé aucun intérêt à mourir. Il a enregistré l’une de ces conversations, et cela a fait l’objet d’une vaste couverture médiatique. Cet enregistrement a même attiré l’attention du rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des personnes handicapées, qui a réagi en écrivant une lettre sévère dans laquelle il exprimait ses vives inquiétudes et formulait des recommandations fermes.

D’autres États ont reconnu ce déséquilibre des pouvoirs et le risque de contrainte qui existe quand les médecins offrent l’aide au suicide à un patient vulnérable n’ayant pas fait une telle demande. Dans l’État de Victoria, en Australie, par exemple, on a inscrit dans la loi l’exigence selon laquelle les patients doivent être ceux qui entament les discussions sur l’aide au suicide.

Quand j’ai soulevé cette question auprès de la ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et de l’Inclusion des personnes handicapées, elle semblait aussi mal à l’aise que moi à propos du manque de protection. Elle a dit qu’elle était très préoccupée par le traitement réservé à Roger Foley et a suggéré que son cas n’était pas unique. Elle n’a pas écarté la possibilité d’une telle conversation.

Lorsque je lui ai demandé si elle serait en faveur d’un amendement à cet effet, elle a répondu qu’elle était tout à fait ouverte à cette idée. Cette réponse m’a réjoui, mais quel ne fut pas mon étonnement de voir cet amendement proposé au comité de l’autre endroit et rejeté par les députés libéraux qui, de toute évidence, avaient reçu la directive de s’y opposer.

Chers collègues, il est complètement aberrant que nous ouvrions ce régime davantage et étendions le suicide assisté aux personnes ayant un handicap ou une maladie chronique qui n’approchent même pas la fin de leur vie avant même d’avoir pris des mesures pour prévenir une coercition telle que celle vécue par Roger Foley.

Honorables sénateurs, comme vous le savez, le projet de loi C-7 étend l’accès au suicide assisté aux Canadiens handicapés qui ne sont pas près d’atteindre la fin de leur vie. La réponse de la communauté des personnes handicapées est puissante et effarante. Pourtant, le gouvernement n’en tient aucunement compte. Tous les organismes nationaux de défense des intérêts des personnes handicapées au pays s’opposent au projet de loi, sans exception.

D’ailleurs, 72 d’entre eux ont signé une lettre publique exhortant le gouvernement à en appeler de l’arrêt Truchon. Dans cette lettre, ils présentent plusieurs arguments faisant valoir que l’absence d’un tel appel serait désastreuse pour la communauté des personnes handicapées. Notamment, ils soutiennent que :

Ce jugement enchâssera les stéréotypes et exacerbera la stigmatisation des Canadiens en situation de handicap, aggravant l’adversité vécue et l’oppression subie par ce groupe vulnérable.

Krista Carr, vice-présidente à la direction d’Inclusion Canada, a déclaré : « Notre plus grande crainte a toujours été qu’un handicap devienne une raison valable pour un suicide assisté par l’État. » Elle a ajouté : « Le projet de loi C-7 est notre pire cauchemar. »

La communauté des personnes handicapées ne comprend pas pourquoi le gouvernement se donnerait la peine de distinguer un groupe protégé par la Charte, à savoir les personnes handicapées, pour leur offrir le suicide assisté alors qu’elles ne sont pas en fin de vie. Elles disent qu’il y a d’autres groupes privés de leurs droits qui sont victimes de discrimination et qui connaissent également des souffrances intolérables. Le suicide est plus fréquent chez les personnes victimes de discrimination systémique ou dont la société dénigre la valeur, et la prévention doit donc être notre priorité.

Mme Carr a résumé les graves préoccupations de la communauté des personnes handicapées au Canada en déclarant ceci :

Le fait d’inclure un handicap comme un état justifiant un suicide assisté équivaut à déclarer que la vie de certaines personnes ne vaut pas la peine d’être vécue, un principe terrible sur le plan historique ayant des conséquences qui devraient tous nous terrifier, et qui terrifient clairement l’ensemble des personnes handicapées, [ainsi que] leur famille.

Nous savons que les idées suicidaires sont fortes. Pourtant, comme l’ont dit les experts en prévention du suicide, souvent, ces idées ne durent pas.

Voici ce qu’a déclaré au comité la Dre Leonie Herx, de la Société canadienne des médecins de soins palliatifs :

Le désir de mourir et les demandes d’aide médicale à mourir sont souvent des manifestations de la douleur, de la colère, de la perte et du désespoir que ressentent les patients qui reçoivent un diagnostic dévastateur ou dont l’état se détériore.

Cela débouche souvent sur une consultation sur l’aide médicale à mourir, avant même que les soins palliatifs ne soient évoqués.

Selon des résultats de travaux dans le domaine de la psychiatrie et des soins palliatifs publiés par Harvey Chochinov, le désir de mourir chez les personnes atteintes d’une maladie en phase terminale peut varier et se dissipe souvent en deux semaines. Honorables collègues, il serait irresponsable de ne pas tenir compte de cette réalité.

Par exemple, David Shannon, un avocat de l’Ontario qui vit avec un handicap, a rédigé une chronique sur ce projet de loi récemment. Il a raconté que, pendant sa première année d’université, à l’âge de 18 ans, il a subi, lors d’une mêlée de rugby, une lésion médullaire qui l’a rendu quadriplégique. Il a mis des années à s’en remettre. Il a précisé que, bien qu’il n’a jamais été suicidaire, il a connu bien des gens dans une situation semblable qui l’étaient. Il est convaincu que, si ce projet de loi avait été adopté à l’époque de son accident, un médecin lui aurait offert la possibilité de mourir, et sa vie aurait été effacée. Il a dit ceci :

Ce soir-là, un bon médecin se serait couché avec la satisfaction d’avoir fait ce qui est juste. Je tiens à dire qu’il aurait eu tort de croire cela.

Honorables collègues, si les personnes qui seraient les plus touchées par ce projet de loi nous disent que c’est leur « pire cauchemar », alors il y a un problème, et nous devons les écouter.

Je tiens à remercier les personnes handicapées d’avoir défendu leurs droits, et je veux qu’elles sachent qu’elles ont été entendues.

Comme vous le savez, chers collègues, ce projet de loi crée un système à deux vitesses doté d’ensembles de mesures de sauvegarde distincts selon que la mort est raisonnablement prévisible ou non. Ces mesures sont plus rigoureuses lorsqu’un patient n’est pas en fin de vie. Or, le projet de loi à l’étude élimine de manière préventive les mesures de sauvegarde prévues dans la loi actuelle. Bien entendu, cette décision est prise avant que nous ayons procédé à l’examen parlementaire prévu dans le projet de loi C-14 cinq ans après sa sanction et, par le fait même, avant que nous disposions de données suffisantes pour justifier l’élimination de toute mesure de sauvegarde existante.

Par exemple, le gouvernement a supprimé la période de réflexion de 10 jours du régime actuel. C’est tout à fait injustifiable. L’adoption d’une période de réflexion partout dans le monde, qu’elle soit de 10 ou de 14 jours, découle des travaux reconnus mondialement de M. Harvey Chochinov — qu’on a mentionné plus tôt —, qui a constaté que le désir de mourir chez les patients en phase terminale fluctue et disparaît souvent en moins de deux semaines.

Lorsqu’on a interrogé la ministre Hajdu concernant l’élimination de cette mesure de sauvegarde, elle a déclaré que souvent, lorsqu’une demande officielle est soumise, cela fait suite à de longues conversations difficiles avec la famille et les médecins, et lorsque la personne en est arrivée à prendre cette décision, il serait inutile et cruel de l’obliger à attendre 10 jours de plus.

Or, la ministre passe complètement à côté de la question. Nous savons tous que les mesures de sauvegarde ne sont pas adoptées pour les cas ordinaires ou évidents dont elle parle, mais pour les cas tout à fait à l’opposé : pour empêcher la mort inutile ou injustifiée dans les situations où il existe une zone grise, où le médecin évaluateur n’est peut-être pas au courant des idées suicidaires et dépressives du patient ni ne sait si elles sont passagères. Il serait complètement irresponsable d’éliminer toute période de réflexion.

Le Dr Harvey Schipper, professeur de droit et de médecine et expert sur l’aide médicale à mourir, a témoigné du danger de nous engager précipitamment, sans données probantes ni compréhension de l’expérience vécue, dans une voie qui aura d’immenses répercussions pour la société. Je l’ai interrogé sur l’élimination des mesures de sauvegarde. Voici ce qu’il m’a répondu :

À mon avis, nous n’avons pas les preuves nécessaires pour supprimer la moindre mesure de sauvegarde.

Il a mentionné qu’en ce moment, nous disposons seulement de données négligeables. Il a poursuivi ainsi :

Il est tout à fait insensé de supprimer la période de réflexion. C’est contraire à ce que nous dit la biologie.

Il a également discuté de la nécessité de préserver le deuxième témoin indépendant et a rappelé au comité que nous parlons de mettre activement fin à la vie de quelqu’un.

Même l’ancienne procureure générale Jody Wilson-Raybould s’est dite très préoccupée par la décision apparente du gouvernement de faire abstraction des instructions de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Carter, en ce qui concerne tant des mesures de sauvegarde rigoureuses que de la nécessité d’un consentement clair. Le gouvernement a clairement abandonné les directives de la Cour suprême en éliminant de manière préventive la mesure de sauvegarde la plus importante et en permettant la renonciation au consentement final.

Chers collègues, il convient de noter que la suppression de ces mesures de sauvegarde n’a absolument rien à voir avec la décision Truchon. Plus alarmant encore, le gouvernement propose de supprimer ces mesures même s’il ne dispose pas de suffisamment de données pour le justifier.

En raison de l’élimination des mesures de sauvegarde et de l’énorme élargissement de la portée du régime canadien de suicide assisté qui sont proposés dans le projet de loi, de nombreux médecins et praticiens sont terrifiés par l’absence de protection visant à leur permettre de refuser de participer en toute légalité. Le projet de loi C-14 comprenait une disposition inapplicable qui laissait entendre qu’aucun praticien ne devrait avoir à administrer l’aide médicale à mourir contre son gré. Cependant, après que la disposition a été interprétée par les collèges provinciaux, nous avons constaté qu’elle n’offrait que peu de protection aux médecins, voire aucune.

Ce thème est revenu souvent durant les audiences. Bien que certains ont tenté de faire fi de la question en la qualifiant de préoccupation de nature purement religieuse, ce n’est clairement pas le cas. Pour beaucoup de médecins, le fait de participer à la mort d’une personne pose des problèmes d’ordre éthique, surtout s’ils sont d’avis que des options de traitement sont accessibles. Maintenant que le problème s’applique aussi aux Canadiens handicapés qui ne sont pas en fin de vie, encore plus de médecins craignent de se compromettre sur le plan éthique et moral.

Dans le débat sur la liberté de conscience, le plus grand malentendu est l’idée selon laquelle les médecins seraient forcés d’assurer un aiguillage efficace. Ce malentendu découle d’une conception erronée de l’aiguillage efficace. Comme l’Association médicale canadienne l’a si bien dit au cours de notre discussion sur le projet de loi C-14 :

[...] un renvoi revient essentiellement à approuver une procédure, ce qui risque d’être problématique sur le plan moral pour de nombreux médecins.

La Dre Ramona Coelho a souligné que le concept de renvoi était mal compris par certains membres du comité. Elle a expliqué que lorsqu’un médecin fait un renvoi, il affirme que quelque chose est bon pour son patient et qu’il aiguille simplement celui-ci vers un spécialiste pour que celui-ci termine le traitement.

Comme je l’ai déjà dit, étant donné que cette mesure législative place le suicide assisté sur un pied d’égalité avec les autres options de traitement, les médecins demandent plus que jamais à être protégés. Pour ceux qui craignent un manque d’accès à l’information, sachez que l’Alberta, la Colombie-Britannique et le Manitoba ont déjà mis en place des mécanismes rigoureux d’auto-aiguillage qui permettent aux médecins d’orienter les patients qui souhaitent se renseigner sur l’aide médicale à mourir vers les ressources appropriées. Il ne devrait donc y avoir aucune obligation d’aiguiller les patients.

Tous les médecins à qui nous avons parlé n’ont aucune objection à fournir un numéro de téléphone ou une adresse de site Web pour permettre à un patient d’avoir accès à l’information dont il a besoin. Voilà tout ce que ces praticiens nous demandent, chers collègues.

Plusieurs nous ont dit avoir l’intention de quitter le pays ou de cesser de pratiquer la médecine si cette mesure législative est adoptée dans sa forme actuelle. Par conséquent, les médecins ne devraient pas être forcés de participer au processus. Étant donné la divergence d’opinions au sein du corps médical quant au caractère éthique du suicide assisté, cela semble être une demande très raisonnable dans une société pluraliste et dans un esprit de compromis.

L’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario a pris les devants la semaine dernière en distribuant un sondage aux médecins en prévision de la nouvelle mesure législative. Ce sondage pose aux médecins des questions suggestives comme : « Faudrait-il informer les patients de toutes leurs options de soins de fin de vie? » ou encore « Un médecin devrait-il entraver l’accès de ses patients à l’aide médicale à mourir? »

De nombreux médecins en Ontario se demandent si les résultats du sondage seront utilisés plus tard pour montrer que les médecins approuvent de façon générale le fait d’offrir le suicide assisté aux patients, qu’ils en aient fait la demande ou non. Des médecins craignent que le sondage soit un signe qu’on redouble d’efforts pour les obliger à aiguiller efficacement les patients. Chers collègues, il est donc encore plus urgent de répondre à leur simple demande visant à inclure des mesures de protection explicites de la liberté de conscience.

Je le répète, certains ont tenté de dire qu’il s’agissait d’une question de liberté de religion, mais ils font fausse route et tiennent seulement compte d’une partie des praticiens concernés. Ce point a été soulevé par des organismes représentant diverses confessions, mais des bioéthiciens, des médecins de famille, des psychiatres et des médecins de soins palliatifs ont également indiqué qu’ils éprouveraient une immense détresse si on les obligeait à aiguiller des patients, car cela irait à l’encontre de leur jugement professionnel.

L’Association des infirmières et infirmiers autochtones du Canada a parlé de la nécessité de mettre en place des mesures de protection explicites de la liberté de conscience pour les infirmiers et les infirmiers praticiens autochtones. Ils veulent être sûrs qu’ils n’auront pas à offrir ce service si une telle chose va à l’encontre de leur jugement ou de leur système de valeurs. Comment pouvons-nous justifier le fait d’étendre si radicalement ce régime sans offrir une protection fondamentale aux médecins et aux infirmiers?

Un grand nombre de témoins autochtones ont exprimé leurs préoccupations à l’égard du concept de la sécurité culturelle. Par exemple, Marilee Nowgesic, directrice générale de l’Association des infirmières et infirmiers autochtones du Canada, a expliqué au comité que la Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits compte 672 membres d’un bout à l’autre du pays Canada. La majorité de ces infirmières et infirmiers travaillent au sein de leur propre communauté, qui sont souvent de petite taille. Elle a dit :

Nous savons que cela cause des problèmes additionnels parce que l’infirmière devient alors marquée, et c’est pourquoi je dis qu’il faut vraiment protéger la liberté de conscience des travailleurs de la santé. Vont-elles être punies parce qu’elles n’ont pas fait leur devoir d’infirmière? Vont-elles subir des sanctions de la part de la collectivité pour avoir enlevé une vie?

Voilà pourquoi nous essayons de dire au gouvernement de mettre ce dossier en suspens le temps de mener des consultations plus approfondies.

Cela dit, chers collègues, j’espère que les voix autochtones au Sénat participeront à ce débat et feront part de leur point de vue sur comment nous pouvons trouver un juste équilibre. Cette préoccupation est partagée par de nombreux praticiens autochtones. Plus que jamais, nous devons veiller à ce que le concept de la sécurité culturelle soit pris en considération.

Honteusement, le gouvernement n’a pas effectué de consultation véritable auprès des Autochtones. Peut-être que s’il l’avait fait, il aurait mieux compris les graves préoccupations des communautés autochtones avant de rédiger le projet de loi. En fait, chers collègues, le gouvernement n’a nullement consulté les Inuits et les Métis. À l’égard du dossier le plus essentiel qu’il nous sera jamais donné d’étudier et de mettre aux voix, le gouvernement a choisi d’abandonner son devoir de consulter.

Lorsque j’ai demandé aux quatre représentants de groupes autochtones qui ont témoigné devant le comité si, selon eux, nous devrions mettre ce projet de loi en veilleuse, l’une d’eux a timidement répondu « peut-être », mais les trois autres ont répondu « oui » sans hésitation.

Au cours de l’étude préalable, la préoccupation la plus répandue et la plus commune chez les témoins était probablement la suivante : nous n’offrons pas à la plupart des Canadiens qui sont admissibles à l’aide au suicide un choix équitable et honnête entre la vie et la mort, que l’on pense aux soins palliatifs ou aux mesures de soutien pour les personnes handicapées ou atteintes d’une maladie chronique. En fait, en élargissant l’accès au suicide assisté avant d’améliorer ces systèmes, nous faisons en sorte qu’il soit plus facile de mourir que de vivre.

La représentante de la Société canadienne des médecins de soins palliatifs a affirmé que « le manque d’accès aux soins palliatifs au Canada est une tragédie nationale ». Elle a cité une étude publiée en novembre 2020 qui a conclu que la participation des soins palliatifs auprès des patients qui demandent l’aide au suicide était totalement inadéquate. Dans cette étude, les deux tiers des patients n’avaient pas accès à un médecin en soins palliatifs dans la collectivité, et 40 % n’avaient reçu aucun soin palliatif avant de demander la mort. S’ils n’ont pas accès rapidement à des soins palliatifs de haute qualité, les patients qui souffrent sont peut-être portés à croire que l’aide au suicide est la seule solution qui s’offre à eux.

Chers collègues, comment pourrions-nous justifier un élargissement aussi profond et aussi rapide de l’accès au suicide assisté avant d’offrir aux patients une autre option? Certains sénateurs ont soutenu, pendant le débat, que ces deux activités pouvaient se produire en parallèle. C’est une possibilité, bien sûr, mais nous savons que les choses ne se passent pas ainsi. Les sénateurs en question sont aussi ceux qui demandent que le projet de loi soit adopté d’ici vendredi. L’accès aux soins n’aura pas encore été amélioré quand le projet de loi recevra la sanction royale. Il est scandaleux et franchement injustifiable d’offrir aux patients une aide à mourir avant de leur offrir la possibilité d’une vie acceptable.

Si les soins palliatifs étaient considérés comme un service essentiel et bénéficiaient d’un financement adéquat partout au pays, les Canadiens auraient réellement le choix entre la vie et la mort. Ce qui se passe, au contraire, c’est que nous nous engageons sur une voie qui fera du régime d’aide médicale à mourir du Canada le plus radical sur la planète, et que nous sommes censés trouver rassurant que le gouvernement affirme considérer l’amélioration de l’accès aux soins comme une « priorité absolue ». Chers collègues, je ne saurais trop répéter à quel point il est contraire à la morale et à l’éthique de faciliter l’accès au suicide assisté avant de garantir que tous les Canadiens auront accès à des soins palliatifs s’ils en ont besoin.

Le comité a entendu parler de Canadiens qui ont demandé le suicide assisté parce qu’ils souffraient de solitude, de dépression ou d’un manque de contacts sociaux et qu’ils n’avaient pas le soutien nécessaire pour vivre. La COVID-19 a intensifié ces problèmes, comme on le sait.

Mme Catherine Frazee a livré un témoignage que je considère comme le plus déchirant et le plus bouleversant de tous ceux que le comité a entendus. Elle a également mis le comité en garde contre cette proposition d’élargissement, surtout compte tenu des immenses lacunes du système de soutien actuel. Elle a cité deux cas préoccupants, parmi tant d’autres, où des patients ont été pénalisés alors que la loi actuelle s’applique et, comme elle l’a dit, seront pénalisés par la nouvelle loi radicalement élargie.

De nombreux sénateurs n’ont pas eu l’occasion d’entendre le témoignage de Mme Frazee. Je présente à l’avance mes excuses à ceux qui l’ont déjà entendu, car je vais répéter, pour les autres, une partie de ce qu’elle a dit. Mme Frazee a parlé du cas de deux hommes.

Archie Rolland était atteint de sclérose latérale amyotrophique. Il recevait de bons soins dans l’établissement où il était placé. Sa maladie était très avancée et nécessitait des soins spécialisés. Cependant, pour des raisons d’économie, il a été transféré, contre son gré et sans son accord, dans un autre établissement où le personnel n’était pas formé pour lui prodiguer les soins particuliers dont il avait besoin. Ce changement a eu des répercussions profondes pour lui : il s’est retrouvé sans aucun moyen de communication, sans pouvoir utiliser d’ordinateur pour correspondre et communiquer avec les gens et pour obtenir de l’aide lorsqu’il ne pouvait pas respirer. Sa vie est devenue un enfer.

Lorsque sa mère était là pour l’aider, il a documenté toutes les souffrances qu’il a endurées en raison des soins inadéquats qu’il a reçus. Il a demandé l’accès à un personnel qualifié, comme il y avait eu droit auparavant. S’il n’avait pas attiré l’attention d’un journaliste de la Gazette de Montréal, qui a mis son histoire en lumière, nous n’aurions rien su de sa vie ou de sa mort.

À la fin de sa vie, Archie Rolland a déclaré :« Ce n’est pas la SLA qui me tue, c’est mon combat pour de meilleurs soins, pour des soins décents ». Il a donc choisi l’aide médicale à mourir. Comme l’a dit la Dre Frazee :

[...] Dans le système de surveillance actuel, il apparaît simplement comme quelqu’un qui a choisi l’aide médicale à mourir, et qui était en effet proche de la fin de sa vie. Mais ce n’est pas ce qu’il voulait. Ce n’est pas ce qu’il a choisi.

Le deuxième cas que la Dre Frazee a porté à notre attention est celui de Sean Tagert, qui était aussi atteint de sclérose latérale amyotrophique. Il avait brillamment aménagé sa demeure, où il habitait avec sa famille et son fils de 12 ans, dont il avait la garde partagée et à qui il était entièrement dévoué. M. Tagert réclamait deux heures supplémentaires de soins à domicile par jour — deux heures, honorables sénateurs — et il s’est battu bec et ongles pour les obtenir, mais en vain. On lui a dit qu’il devrait se rendre dans une institution et qu’il ne pourrait pas apporter les nombreux dispositifs technologiques qu’il avait développés pour donner un sens et une valeur à sa vie, et qu’il devrait déménager à quatre heures de l’endroit où vit son fils. Il vivrait donc ses derniers jours sans voir son fils ou passer de temps avec lui.

La Dre Frazee a conclu en ces termes :

Il a donc lui aussi choisi l’aide médicale à mourir, et c’est parce qu’il a porté son cas à l’attention du public que nous le savons. Autrement, nous n’en aurions aucune idée. Il serait juste une autre personne qui répondait à tous les critères et qu’on a aidée à mourir. Mais il a qualifié la décision de son autorité sanitaire locale — le refus des soins dont il avait besoin — de « condamnation à mort ». Il n’est pas mort de la SLA. Il est mort de notre négligence.

Lorsque j’ai demandé à la Dre Frazee quelles leçons nous pouvions tirer de ces cas dans le cadre du projet de loi C-7, elle ma répondu ceci :

La leçon que nous en avons tirée, c’est que même en vertu de la loi actuelle, qui est trop restrictive aux yeux de certains et qui prévoit des mesures de protection très étendues, il y a des gens qui souffrent pour des raisons qui ne sont pas liées à leur handicap ou à leur maladie. Ils souffrent de la négligence sociale. Nous n’y prêtons même pas attention. Si nous élargissons la portée du régime — je pense que le comité doit le comprendre maintenant, avec tous les témoignages qu’il a entendus —, le problème ne fera qu’empirer.

J’espère sincèrement qu’elle avait raison, chers collègues. J’espère que nous avons maintenant compris.

Pourtant, le ministre Lametti a choisi de rejeter cavalièrement ces craintes et d’imputer la vaste opposition que rencontre ce projet de loi à la droite religieuse, laquelle, à l’entendre, serait incontrôlable. Même en faisant abstraction du caractère offensant des propos du ministre, qui décrit les croyants comme un groupe marginal qui doit être contrôlé, celui-ci sait pertinemment que son projet de loi a été condamné par la plupart des spécialistes, des médecins, des spécialistes étrangers, des personnes handicapées, des Autochtones et des constitutionnalistes entendus par le comité ainsi que par la procureure générale qui était en poste quand l’arrêt Carter a été rendu et qui y a donné suite. Il a même été critiqué par des membres de son propre caucus. Le ministre préfère détourner l’attention d’un texte profondément bancal en déformant grossièrement la réalité et en perpétuant les préjugés entretenus par son parti, selon lesquels l’opinion des croyants ne vaut rien.

Le mépris et le manque de respect manifestés à l’égard des Canadiens religieux sont désormais les marques de commerce du gouvernement libéral.

Mes opinions, que ce soit sur ce projet de loi ou sur les autres questions sur lesquelles je suis appelé à me prononcer, sont profondément ancrées dans ma foi, dans mon éducation et dans mon vécu, et je suis convaincu qu’il en va de même pour chacun de nous, chers collègues. Nous avons tous des principes et des valeurs inébranlables qui sont le fruit de nos expériences de vie. Or, pour certains, la vie, c’est aussi la foi.

La différence, de taille, est que j’estime que le ministre Lametti a tout à fait droit à son opinion, à son point de vue et à ses croyances. Je crois qu’il devrait être entendu. Or, il ne me rend pas la pareille. Je crois fermement qu’il existe une vaste gamme d’opinions valides sur ce sujet et sur d’autres enjeux, alors que le gouvernement a montré qu’il juge qu’il y a une bonne opinion et une mauvaise.

Certes, mes croyances définissent grandement mes valeurs, surtout en ce qui concerne mon point de vue sur le suicide assisté. Je ne m’en excuse pas.

Cependant, je répète que nous ne débattons pas de la légalisation du suicide assisté. Le ministre Lametti sait pertinemment qu’aucun des enjeux importants dans ce projet de loi ne repose sur un motif religieux. Il en profite néanmoins pour insulter les croyants au passage. Pourtant, tout ce que les groupes religieux demandent, ce sont des mesures adéquates de protection de la liberté de conscience pour les médecins et les praticiens. Le gouvernement a fait fi des préoccupations des Canadiens tout au long du processus et il procède maintenant à la promotion des intérêts personnels du ministre.

Nous devrions nous rappeler que le ministre Lametti a voté contre le projet de loi C-14, présenté par son propre parti en réponse à l’arrêt Carter, parce qu’il ne croyait pas que la mesure était assez permissive. En revanche, le Sénat a fait un travail exceptionnel en présentant des points de vue clés et en examinant attentivement le projet de loi. Après avoir blâmé la droite religieuse pour ces contraintes de temps, le ministre Lametti dit maintenant aux sénateurs d’ignorer essentiellement ce qu’ils ont entendu, de s’atteler sérieusement à la tâche et d’adopter le projet de loi d’ici vendredi.

Examinons la chronologie, chers collègues. Je l’ai déjà fait à deux reprises hier lors de mes questions, mais je vais le faire de nouveau.

En septembre 2019, la Cour supérieure du Québec a déclaré inconstitutionnelle la disposition exigeant que la mort soit raisonnablement prévisible. Bien sûr, le ministre Lametti n’a pas interjeté appel de cette décision parce que, de toute évidence, elle lui offrait la possibilité de mettre en place le régime permissif qu’il avait toujours voulu.

Le cour a donné au gouvernement Trudeau jusqu’en mars 2020 pour réviser la loi. C’est six mois entiers. Le ministre Lametti et la ministre Hadju ont déposé le projet de loi C-7 la dernière semaine de février, et le temps commençait déjà à manquer. Ils ont demandé à la cour une prolongation de quatre mois, soit jusqu’en juillet 2020. Dans la lettre, on indique que la prolongation « donnerait au Parlement le temps d’examiner et d’adopter les modifications proposées. »

La prolongation a été accordée.

Puis, à l’approche de juillet, le gouvernement a demandé une autre prolongation, cette fois pour six mois, en invoquant la pandémie comme argument. La cour a accédé à la demande — nouvelle date butoir : le 18 décembre 2020. Le gouvernement a ensuite prorogé le Parlement pour couvrir le scandale qui l’éclaboussait, faisant ainsi mourir au Feuilleton son propre projet de loi. Après le retour du Parlement, il a fallu une semaine et demie au gouvernement pour présenter un projet de loi identique. C’était le 5 octobre 2020, il y a plus de deux mois.

La Chambre a renvoyé ce projet de loi au Sénat à la fin de la semaine dernière, et nous a publiquement demandé de faire adopter à toute vitesse, en quelques jours, cette mesure législative qui porte sur une question de vie ou de mort. Il est vraiment épouvantable qu’un ministre fasse pression sur le Sénat pour qu’il approuve automatiquement un projet de loi qui comporte des lacunes fondamentales et qui, à mon avis, ne devrait jamais être adopté. Cela fait suite à la précédente demande de prolongation des libéraux, dans laquelle ils demandaient à la Cour d’accorder au Parlement le temps d’examiner et d’adopter les modifications proposées.

Le Sénat a déjà effectué une étude préalable de ce projet de loi afin de pallier à la piètre gestion du temps du gouvernement, et c’est ainsi que ce dernier réagit maintenant.

Vendredi dernier, le ministre Lametti a demandé la prolongation du délai, mais cette fois-ci, le délai demandé est considérablement plus court, ce qui indique, encore une fois, son manque de respect envers cette Chambre. Il a demandé à ce que le délai soit prolongé seulement jusqu’à la fin de février, ce qui, en réalité, ne laisserait au Sénat que trois semaines de séance pour débattre du projet de loi, l’étudier en comité, examiner des amendements, se prononcer sur ces amendements et renvoyer le projet de loi à la Chambre des communes. Je suppose que le ministre estime qu’il ne faudra pas beaucoup de temps pour balayer tout le travail du Sénat du revers de la main et rejeter ses amendements, comme la Chambre le fait constamment.

Même avec la prolongation demandée, le ministre dit avoir bon espoir que le Sénat adoptera ce projet de loi à toute allure en quelques jours. Dans sa lettre visant à demander la prolongation du délai, le ministre dit ceci :

Bien qu’il y ait un représentant du gouvernement au Sénat, il n’y a pas de caucus affilié au parti qui forme le gouvernement, de telle sorte qu’il est difficile de prédire dans combien de temps le projet de loi sera adopté au Sénat.

Il dit essentiellement que les sénateurs indépendants de cette Chambre, qui étudieront ce projet de loi crucial de façon indépendante, posent problème lorsqu’il s’agit de respecter l’échéance déraisonnable imposée par le gouvernement. Non, monsieur le ministre, les sénateurs indépendants, qui ne font que leur travail en étudiant ce projet de loi, ne sont pas à blâmer pour le non-respect de l’échéance. Il ne faut pas non plus rejeter la faute sur les députés conservateurs qui ont osé poursuivre le débat à l’étape de la troisième lecture. Le gouvernement n’a que lui-même à blâmer pour avoir raté une autre échéance.

Ensuite, le gouvernement Trudeau, par l’intermédiaire du sénateur Gold, notre leader au Sénat, présente un plan d’action. Je sais qu’il a dû avoir du mal à le faire et je suis reconnaissant aux sénateurs de la collaboration dont ils ont fait preuve même aujourd’hui. Cependant, je vais lire la citation suivante, car je pense qu’elle vient du ministre Lametti :

C’est le délai qui nous a été imparti. Lundi, nous procéderions à la deuxième lecture. Mardi, nous terminerions l’étape de la deuxième lecture. Nous tiendrions le vote à cette étape et nous renverrions le projet de loi au comité mardi. Mercredi, l’étude en comité aurait lieu. Jeudi, le comité ferait rapport. Nous aurions le débat à l’étape du rapport à la troisième lecture. Vendredi, le débat à l’étape de la troisième lecture et le vote auraient lieu, suivis de la sanction royale ou du rapport à la Chambre avec des propositions d’amendement.

Je ne sais pas où, dans ce laps de temps, il y aurait eu du temps pour des amendements, voire un second examen objectif.

Surtout, ce calendrier est une insulte pour les Canadiens qui ont témoigné, qui nous ont écrit et qui ont téléphoné à nos bureaux afin de défendre les Canadiens vulnérables. Le Sénat n’a jamais passé — et j’espère sincèrement qu’il ne passera jamais — une seule semaine à débattre des circonstances dans lesquelles les Canadiens vivent et meurent, certainement pas après les témoignages déchirants que nous avons entendus de la part des personnes les plus touchées.

Je suis très content que nous ayons pu, en collaboration avec le leader du gouvernement au Sénat, faire des progrès dans des délais raisonnables.

Ce projet de loi ne franchira pas l’étape de la troisième lecture vendredi. Alors que nous subissons des pressions indues de la part du gouvernement, il est important de rappeler les avis de constitutionnalistes que nous avons obtenus la dernière journée de l’étude préalable. Aucun d’entre eux ne pensait que l’étude du projet de loi devait se faire selon l’échéancier arbitraire imposé par la Cour supérieure du Québec. Ils nous ont clairement expliqué ce qu’il adviendrait si la loi était invalidée au Québec, mais qu’elle demeurait en vigueur partout ailleurs au Canada. Tout pourrait bien fonctionner, et il en résulterait probablement un renvoi à la Cour suprême du Canada qui serait très approprié étant donné que ce projet de loi va à l’encontre de l’arrêt Carter de plusieurs façons.

Par conséquent, avec tout le respect que je vous dois, monsieur le ministre Lametti, peu importe la réponse à votre demande de prolongation de délai, le Sénat n’a pas l’intention de précipiter l’adoption de ce projet de loi.

Je tiens à remercier les sénatrices Jaffer et Batters, les sénateurs Campbell et Dalphond ainsi que l’ensemble du comité pour leur excellent travail au cours duquel ils ont entendu une vaste gamme de témoins — je n’ai jamais vu un comité effectuer une étude aussi exhaustive, et encore moins dans le cas d’une étude préalable — et ils ont veillé à ce que ce projet de loi fasse l’objet de l’étude préalable rigoureuse qu’il méritait.

Je tiens également à remercier tous les témoins courageux pour leurs témoignages percutants. Vous avez tous enrichi notre réflexion, et nous comprenons maintenant beaucoup mieux ce sur quoi nous sommes appelés à voter.

Chers collègues, en général, à l’étape de la deuxième lecture, je recommande que nous adoptions le projet de loi afin qu’il puisse être étudié plus en profondeur par un comité. Toutefois, j’ai déjà examiné en détail le projet de loi actuel. J’ai du mal à me résoudre de voter pour son adoption, quelle que soit l’étape. De nombreux Canadiens ont encore le sentiment d’avoir été exclus de la discussion actuelle et méritent d’être entendus, mais le projet de loi est tellement dangereux que je suis enclin à saisir la première occasion pour en bloquer l’adoption.

Chers collègues, j’ai hâte d’écouter la suite du débat. Bien sûr, mes collègues du caucus et moi réfléchirons au choix que nous ferons lors du vote à l’étape de la deuxième lecture. Je vous remercie beaucoup de votre attention.

L’honorable Jim Munson [ + ]

Le sénateur souhaite-t-il répondre à une question?

Certainement, monsieur le sénateur Munson.

Le sénateur Munson [ + ]

Merci, sénateur, de votre discours enflammé. Je partage certaines de vos préoccupations.

Comme c’était le cas en 2016, certains d’entre nous ont de la difficulté à aborder cette question délicate. Je suis devant un dilemme, car j’estime vraiment important de mourir dans la dignité et j’appuie ce qui s’est fait jusqu’ici pour aider les gens à mourir dans la dignité. Cependant, je crois aussi au droit des personnes handicapées de vivre dans la dignité. Voilà ce qui me place dans un dilemme. J’ai écouté de nombreux discours éloquents prononcés aujourd’hui, et nous en entendrons beaucoup d’autres. Voici la question que je vous pose. Vous avez indiqué ce que le gouvernement devrait faire, à votre avis, notamment en ce qui a trait aux soins palliatifs et à de nouveaux programmes, mais nous sommes à la Chambre haute et nous en sommes à l’étape où nous proposerons des amendements, qui seront acheminés à l’autre endroit. Le projet de loi sera probablement amendé; c’est certainement ce qu’on entrevoit. Ensuite, le projet de loi sera renvoyé à l’autre endroit. La dernière fois, l’amendement a été rejeté. En tant que membres de la Chambre haute, nous avons accepté la décision de l’autre endroit.

Jusqu’où le Sénat devrait-il aller dans l’exercice de ses fonctions? Il s’acquitte de sa tâche en ce moment, en écoutant tous ceux qui ont pris la parole : les témoins et quelque 80 groupes et organismes. À votre avis, qui a le dernier mot? Est-ce cette Chambre ou la Chambre élue?

Tout d’abord, sénateur Munson, je suis d’accord qu’il faut trouver une solution afin que les gens puissent vivre dans la dignité. Cela devrait être notre principale préoccupation. Je tenais à le répéter bien que ce ne soit pas le sujet de votre question. Des soins palliatifs devraient être disponibles. Mon père a bénéficié d’excellents soins palliatifs.

Jusqu’où devrions-nous aller? Nous devrions apporter des amendements pour corriger les failles que nous constatons. Nous avons entendu 81 témoins, sénateur Munson, et je crois qu’aucun d’entre eux n’a dit qu’il s’agissait d’un bon projet de loi, pas même la ministre des personnes handicapées. Je ne sais pas si les ministres Lametti et Hajdu faisaient partie de ces 81 témoins mais, si c’est le cas, ils étaient évidemment favorables au projet de loi. Aucun des autres témoins ne l’appuyait, toutefois, et il s’agissait de gens de tous les horizons.

Bref, nous apporterons des amendements, et je crois que la Chambre a déjà une bonne idée de ceux qui me semblent nécessaires. Je crois que nous avons aussi un devoir envers les Canadiens. Ils nous disent qu’il s’agit d’un projet de loi bancal. J’ai toujours été convaincu, sénateur Munson, que lorsque nous constatons des failles dans un projet de loi, il est de notre devoir de tenter de les corriger.

J’ai perdu le fil de ma pensée.

Nous devrions amender le projet de loi; nous devrions tenter de l’améliorer. C’est ce que j’ai toujours pensé. Nous ne devrions pas nous contenter d’avoir comme objectif de voter contre un projet de loi. J’aimerais le faire. Vous dites que nous nous sommes entendus la dernière fois. Dans mon cas, c’est faux. Je crois que chaque fois que la mesure a été mise aux voix, j’ai voté contre. Évidemment, si j’ai pu le faire, c’est que je faisais partie de l’opposition à l’époque, comme c’est le cas aujourd’hui d’ailleurs.

Sénateur Munson, je ne crois pas qu’il soit possible de corriger suffisamment le projet de loi pour que je décide de l’appuyer à l’étape de la troisième lecture. Je ne crois pas que ce soit possible, mais je réserve mon jugement. J’appuierai certains amendements. Je crois cependant que nous avons un devoir envers les Canadiens. Il ne s’agit pas d’un projet de loi de finances; la survie du gouvernement ne dépend pas de son adoption. Nous devons nous acquitter de ce devoir si le projet de loi est aussi problématique que ce que nous ont dit les témoins. Le comité tiendra d’autres réunions et recevra d’autres témoins, puis il produira son rapport. Par contre, j’ai entendu des membres du comité affirmer qu’il ne fallait pas adopter ce projet de loi, qu’il fallait immédiatement l’abandonner. Je ne suis pas certain que ce soit la solution que je préconise, mais je pense qu’il faut des amendements.

C’est une question que je me pose chaque jour, sénateur. Je ne suis pas un élu. Je suis un sénateur nommé. Jusqu’où pouvons-nous aller? Lorsque c’est une question de vie ou de mort, sénateur Munson, je crois que nous devrions aller jusqu’au bout.

Le sénateur Munson [ + ]

Merci pour ces commentaires. Votre réflexion allait vraiment bon train juste avant cette brève interruption, quelle qu’en soit la cause, le chouchou de quelqu’un quelque part. Mais vous étiez là. Vous avez répondu à la question et vous y avez bien répondu.

Vous avez parlé de la vie et de la mort : c’est exactement ce dont ce projet de loi parle. Il y avait une date butoir et elle sera reportée. Le comité ne se penchera pas sur cette question et nous ne voterons pas avant la mi-février. Nous le savons. Néanmoins, la vie, la mort, c’est une réalité de tous les jours. Donc, dans le cas de ce projet de loi, son étude et la façon dont elle se déroule — certains diraient dont elle traîne en longueur —, nous faisons simplement notre devoir. Est-ce bien une bonne chose pour nous, toutefois, qu’après que les amendements sont allés à l’autre endroit puis nous sont revenus, cette partie de ping-pong commence? Cela fait 17 ans que je siège au Sénat et c’est la première fois que je vois cela. Est-ce que nous faisons notre devoir quand nous nous renvoyons le projet de loi d’une Chambre à l’autre?

Nous l’avons renvoyé une fois, la dernière fois, si ma mémoire est bonne. Puis, il est revenu, et nous avons cédé à ce stade. On l’a donc déjà renvoyé. Je suis certain que c’est arrivé un certain nombre de fois avant que vous et moi ne siégions ici. Quoi qu’il en soit, sénateur Munson, je ne voterai jamais pour un projet de loi qui enlèverait les mesures de sauvegarde que le gouvernement a retirées et à cause duquel des personnes, à l’instar de Roger Foley et de John Taggart, préféreraient s’enlever la vie, alors qu’on devrait leur permettre de vivre dignement. Je regrette, mais jamais je ne céderai sur ce point et jamais je n’approuverai cela. Peu importe le nombre de fois que le Sénat doit retourner le projet de loi à la Chambre des communes. Ce projet de loi élimine des mesures de sauvegarde qui, selon moi, sont essentielles. Je le répète, je respecte l’opinion de mes collègues. Les sénatrices Pate et Miville-Dechêne nous ont parlé des mesures de sauvegarde hier. D’autres l’ont fait également. Sans ces mesures de sauvegarde, je n’appuierai pas le projet de loi.

L’honorable Denise Batters [ + ]

Sénateur Plett, accepteriez-vous de répondre à une question?

Absolument.

La sénatrice Batters [ + ]

Sénateur Plett, vous avez eu l’occasion de participer à bon nombre des réunions tenues par le Comité sénatorial des affaires juridiques il y a trois semaines afin d’étudier la teneur du projet de loi. D’ailleurs, vous y avez participé très activement. Je me souviens que, à un moment très émouvant, vous avez demandé à un groupe de témoins de la communauté autochtone si le gouvernement devrait mettre le projet de loi C-7 en veilleuse. Vous l’avez mentionné dans votre discours. Si mon souvenir est bon, trois des quatre témoins ont répondu que oui, nous devrions faire une pause, tandis que, si je ne m’abuse, l’autre témoin a répondu « peut-être ».

Cette opinion découle en grande partie du manque flagrant de consultations menées auprès de la communauté autochtone par le gouvernement. Je me demandais si vous pourriez nous en dire davantage à ce sujet, surtout étant donné que l’enjeu est une question de vie ou de mort.

Je vous remercie, sénatrice Batters. Je dois prendre garde à ne pas faire comme hier soir. Je n’aime pas m’adresser directement à une personne qui se trouve derrière moi sans la regarder.

Sénatrice Batters, vous avez absolument raison. Nous souhaitons discuter de ce projet de loi et non pas du bilan général du gouvernement, mais celui-ci n’a certes pas consulté suffisamment les communautés autochtones, et pas uniquement dans ce dossier. Non seulement les communautés inuites et métisses n’ont pas été consultées convenablement, mais elles n’ont pas été consultées du tout. Vous avez absolument raison : en substance, ces quatre témoins autochtones étaient outrés et troublés par l’absence de consultation. Je dois d’ailleurs vous dire que le quatrième témoin — je ne veux toutefois pas lui faire dire ce qu’il n’a pas dit, car il semblait incertain — était aussi catégorique que les trois autres quant à l’absence de consultation. À mon avis, il est honteux qu’un grand groupe comme celui que forment tous les Inuits et tous les Métis au Canada n’ait pas du tout été consulté.

La sénatrice Batters [ + ]

Sénateur Plett, l’un des nombreux témoins importants ayant participé à l’étude préliminaire du Comité des affaires juridiques est la Dre Ramona Coelho, médecin de premier recours pour les patients handicapés. Elle a fait remarquer que les patients vulnérables peuvent interpréter un médecin évoquant l’option du suicide assisté non pas tant comme un choix pour eux, mais comme une instruction. Elle a témoigné en disant ce qui suit :

[...] ils prendraient ça pour une directive, contrairement au patient autonome bien nanti qui peut y voir une prise de décision partagée. La suggestion s’ajoutant à leur fragilité, leur insécurité, peut les pousser à confirmer que, oui, ma vie ne vaut pas la peine d’être vécue. C’est très dangereux.

Sénateur Plett, je sais que vous avez interrogé un certain nombre de témoins sur cet enjeu particulier, y compris la ministre Qualtrough, selon laquelle une demande de suicide assisté devrait être initiée par le patient, et non par les médecins concernés, même pour présenter cela comme étant une option. Pourriez-vous nous dire pourquoi vous pensez qu’il s’agit d’un enjeu d’une telle importance?

Merci. L’une de mes plus grandes préoccupations porte effectivement sur la coercition. On a proposé l’aide médicale à mourir à quatre reprises à Roger Foley. Il ne l’a jamais demandée, mais on la lui a proposée quatre fois. Je crois que nous pouvons tous nous mettre à la place de Roger Foley. Peut-être pas, mais imaginez que vous êtes handicapé, que vous ne pouvez pas vous débrouiller seul, que vous dépendez des autres et qu’un médecin que vous respectez vous dit que vous êtes peut-être un fardeau pour la société et que celle-ci se porterait mieux sans vous.

Ce cas de figure concernant les personnes handicapées peut aussi s’appliquer aux aînés. J’ai déjà parlé de ma mère, qui a 92 ans. Elle occupe actuellement une chambre dans un établissement. Quelqu’un pourrait l’encourager à recourir à l’aide médicale à mourir en lui disant : « Vous savez, Mme Plett, vous prenez beaucoup d’espace ici, et il serait beaucoup mieux utilisé par quelqu’un d’autre. » À mon avis, les personnes handicapées ressentent exactement la même chose. Elles ont besoin d’être encouragées et de se faire montrer à quel point elles ont de la valeur grâce à leur sagesse et à leurs connaissances. Elles ont besoin d’encouragements.

Ce sont les patients qui devraient toujours être à l’origine des demandes de suicide assisté. Personne d’autre ne devrait proposer d’y avoir recours. Personne, qu’il s’agisse d’un membre de la famille ou d’un médecin. C’est quelque chose que le patient doit vouloir sincèrement. Merci de votre question.

L’honorable Ratna Omidvar [ + ]

Le sénateur Plett accepterait-il de répondre à une question?

Oui, certainement.

La sénatrice Omidvar [ + ]

Merci, monsieur le sénateur. Je souhaite revenir plus particulièrement sur vos observations concernant les personnes handicapées. J’ai entendu ce que vous avez dit, et j’ai lu et entendu le témoignage de Catherine Frazee et d’autres personnes handicapées; j’ai beaucoup de sympathie pour les personnes qui sont dans cette position. Je crois, comme l’a dit le sénateur Munson, que nous devrions leur donner toutes les chances de vivre dans la dignité. C’est un point important.

Cependant, j’aimerais que vous nous disiez ce que vous pensez du point de vue de Nicole Gladu, qui a un handicap et qui est l’une des deux personnes au Québec dont l’affaire s’est rendue devant la Cour supérieure du Québec. Les décisions dans ces deux affaires nous ont amenés au point où nous en sommes aujourd’hui. Mme Gladu a déclaré que chaque cas est différent et doit être évalué en fonction des circonstances qui lui sont propres, et que le fait d’exclure toutes les personnes qui ne sont pas en fin de vie naturelle est une violation des droits que leur confère la Charte. Que lui diriez-vous?

Sénatrice Omidvar, d’emblée, je me dirais heureux de ne pas avoir à lui répondre. Je le dis très sincèrement. J’ignore ce qu’endurent ces personnes, sénatrice Omidvar. Je suis foncièrement contre le fait qu’une personne puisse se suicider ou qu’on aide une personne à se suicider. C’est dans mon sang, pour ainsi dire. C’est une conviction. J’ai été élevé ainsi. Je veux vous faire comprendre ce qui motive mon point de vue.

Or, si je fais abstraction de cela, je dirais qu’il ne devrait peut-être pas y avoir de règle universelle. Je parle des lacunes et des faiblesses inhérentes au projet de loi qui font que des personnes souhaitant vivre pourraient subir des pressions pour mettre fin à leurs jours. Voilà de quoi je parle. Je ne parle pas de personnes en pleine possession de leurs facultés. Nous n’en sommes pas encore là. Je ne suis pas en faveur du suicide assisté pour les personnes dont la seule raison de la demande est un trouble ou une maladie mentale. Si la personne est en pleine possession de ses facultés, c’est autre chose.

Encore une fois, j’ai eu une conversation avec mon bon ami Steven Fletcher, que beaucoup connaissent. Il a traversé d’horribles épreuves et il m’a dit que, pendant de nombreuses années, il souhaitait mourir. Lorsque l’on discute avec une personne comme lui, on arrive à une décision différente que si l’on discutait avec Roger Foley.

Voilà pourquoi, sénatrice, je crois que nous devons prendre une décision globale sur ce qui ne peut pas être fait, parce que si l’on considère individuellement les cas, chaque cas sera unique. Je suis désolé. Cela ne répond probablement pas à votre question, sénatrice, mais c’est probablement le mieux que je puisse faire à ce sujet.

La sénatrice Omidvar [ + ]

Sénateur Plett, selon mon expérience, aussi limitée soit-elle, les personnes handicapées qui ont toute leur tête réussissent souvent très bien à défendre leurs intérêts, étant donné qu’elles doivent négocier au quotidien d’une manière que vous et moi ne pouvons pas nous imaginer, puisque nous ne sommes pas handicapés. Je crois que si ces personnes font leurs propres choix en fonction de leur vie et de leur réalité, je vous dirais : qui sommes-nous pour les empêcher de bénéficier de ces modifications à la loi?

Permettez-moi de répondre par une autre question. Un jour, si je n’en peux plus de vivre, devrais-je pouvoir prendre une arme à feu pour m’enlever la vie? Plusieurs me diraient peut-être « oui, tu devrais pouvoir le faire, Don », mais j’espère qu’ils seraient plus nombreux à me dire « non ».

Vous demandez simplement : qui sommes-nous pour empêcher une personne de demander le suicide assisté ou qui sommes-nous pour empêcher une personne de se suicider? Il faut d’abord et avant tout miser sur notre système d’aide, parce qu’il s’agit de mettre fin à la vie. Tâchons de trouver des moyens d’inciter les personnes à vivre, au lieu de les inciter à mourir.

L’honorable Mary Coyle [ + ]

Le sénateur Plett accepterait-il de répondre à une question?

La sénatrice Coyle [ + ]

Je vous remercie infiniment, sénateur Plett, de votre discours et de votre importante contribution au débat du Sénat sur le projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir). Comme les autres intervenants qui se sont exprimés avec éloquence jusqu’à présent, vous nous avez aidés à soumettre ce projet de loi important sur le plan sociétal à un second examen objectif. Vous avez soulevé dans vos observations des questions d’une importance fondamentale. Comme vous, je suis convaincue que nous avons tous de vives préoccupations sur le plan intellectuel, éthique, moral et spirituel en étudiant ce projet de loi qui nous oblige à trouver le juste équilibre entre les avantages que cette modification importante au Code criminel peut apporter à la population canadienne et l’importance d’éviter ses effets préjudiciables pour les Canadiens, en particulier ceux qui sont les plus vulnérables.

Sénateur Plett, vous avez tenu un discours éloquent et éclairé sur les possibles effets préjudiciables du projet de loi C-7. Sachez que je partage nombre de vos préoccupations. J’estime notamment qu’il est impératif d’entendre l’avis des personnes handicapées, de leurs familles et des organismes qui les représentent. Ces organismes nous ont demandé de veiller à ce que notre société se penche avant tout sur les façons d’améliorer les possibilités qui sont offertes aux personnes qu’ils représentent afin qu’elles puissent vivre dans la dignité. Ces intervenants ont aussi demandé à être consultés plus en profondeur au sujet du projet de loi C-7, notamment en ce qui a trait aux mesures de sauvegarde.

Je souhaite vous poser une question semblable à celle de la sénatrice Omidvar : comment, à votre avis, devrions-nous répondre aux Canadiens vulnérables qui nous demandent de les écouter et de respecter leur souhait d’obtenir un soulagement final à leurs souffrances intolérables, c’est-à-dire l’accès à l’aide médicale à mourir, pour qu’ils puissent mourir dans la dignité? Que devrions-nous dire à ces personnes qui, comme la regrettée Audrey Parker, sont mourantes, mais qui n’ont pas actuellement le droit de donner leur consentement préalable et qui choisissent donc, malheureusement, de mourir plus tôt qu’elles n’auraient choisi de le faire autrement, de peur de perdre la capacité de donner leur consentement?

Que devrions-nous dire aux personnes handicapées partout au Canada qui nous disent que leurs souffrances et leur état sont à ce point graves qu’elles veulent avoir le même accès à l’aide médicale à mourir que celui accordé à M. Truchon par la Cour supérieure du Québec?

Comment pouvons-nous concilier ces questions, ces demandes concernant le respect des droits avec nos préoccupations concernant les dommages possibles dont vous avez parlé? C’est vraiment de cela qu’il est question dans ce débat. Je tiens sincèrement à le savoir, sénateur Plett, et croyez-moi, je n’ai pas la réponse, mais j’aimerais savoir quelles pourraient être vos réponses à ces questions. Merci.

Sénatrice Coyle, pour répondre simplement à votre question, comme je l’ai déjà dit, je n’ai pas non plus de réponse à tout cela.

En gros, je préférerais m’asseoir au chevet d’une personne pour lui donner d’innombrables raisons de vivre et la soutenir en lui fournissant des soins palliatifs appropriés. Mais on dit essentiellement — c’est-à-dire le gouvernement — qu’au lieu d’investir davantage dans les soins palliatifs, il faudrait plutôt trouver un moyen de permettre aux gens de hâter leur mort.

Madame la sénatrice, quand nous considérons des situations comme celle de Sean Tagert ou comme celles… Je vais parler d’un cas survenu à Landmark, dans ma collectivité, et qui me touche de très près. En effet, une jeune femme de ma famille est décédée, et les dernières semaines de sa vie, elle ne pouvait bouger que les paupières. C’était tout ce qu’elle pouvait faire. Mais jusqu’à la toute fin, quand elle pouvait encore communiquer, sa famille était à son chevet. Ils l’ont soutenue. Elle a reçu tous les soins dont elle avait besoin, et elle voulait vivre. Elle voulait que ses enfants soient à ses côtés jusqu’à ce qu’elle s’éteigne naturellement.

De toute évidence, la situation se décline de diverses façons. Comment puis-je répondre à une question qui ne m’a pas touché personnellement? Je peux vous donner l’exemple de quelqu’un qui voulait vivre. Néanmoins, j’estime que tant qu’on n’a pas tenté par tous les moyens d’améliorer la vie d’une personne, il ne faut pas essayer de trouver des moyens de hâter sa mort.

L’honorable Salma Ataullahjan [ + ]

Sénateur Plett, accepteriez-vous de répondre à une question?

Certainement, madame la sénatrice.

La sénatrice Ataullahjan [ + ]

Sénateur Plett, on m’a demandé hier combien de groupes racialisés et combien de groupes confessionnels avaient été consultés, mais je n’ai pas obtenu de réponse. J’aurais peut-être dû poser la question au leader du gouvernement au Sénat. Je me demande si vous le savez, si vous avez une réponse à me donner.

Malheureusement, sénatrice Ataullahjan, je ne sais pas si des groupes racialisés ou confessionnels ont été consultés. On nous a dit à maintes reprises que le gouvernement avait mené de vastes consultations. Pourtant, les témoins au comité ont affirmé que les consultations étaient insuffisantes ou qu’il n’y en avait eu aucune. Ce que je sais, comme je l’ai dit plus tôt, c’est qu’aucun groupe inuit ou métis n’a été consulté. Les communautés autochtones ont été très peu consultées.

En ce qui concerne les groupes confessionnels, nous avons entendu les points de vue d’un certain nombre d’organisations, y compris le Conseil canadien des imams, l’Église Unie et la Conférence des évêques catholiques du Canada, pour n’en nommer que quelques-unes. Tous les groupes confessionnels s’opposaient aux changements prévus dans le projet de loi, mais ils n’ont pas été consultés.

Enfin, à ce que je sache, aucun groupe racialisé n’a été consulté. Chose certaine, sénatrice Ataullahjan, le gouvernement — je ne sais pas si j’ai besoin d’en ajouter — aurait eu amplement le temps de le faire. Il a eu 16 mois. Oui, des élections ont eu lieu, mais les libéraux ont ensuite prorogé le Parlement. Puis, il a fallu attendre deux mois avant qu’ils agissent. Ce projet de loi porte le numéro C-7. Pourquoi n’est-il pas le projet de loi C-2? Pourquoi ne l’ont-ils pas présenté plus tôt? C’est le projet de loi C-7. Ils ont présenté toutes sortes d’autres mesures législatives dont nous n’avons pas encore été saisis. Puis, au bout du compte, ils doivent précipiter l’adoption de ce projet de loi.

Sénatrice, vous, moi et tous nos collègues ici avons approuvé, durant la pandémie, des projets de loi d’initiative ministérielle prévoyant des centaines de milliards de dollars de dépenses. Ces projets de loi laissaient à désirer, mais le gouvernement les renvoyait en toute hâte au Sénat et nous donnait un jour pour les approuver. Il nous faisait savoir que si nous ne les approuvions pas, il dirait à tous les Canadiens que nous ne voulions pas les aider.

C’est de cette façon que le gouvernement a traité le projet de loi à l’étude. Le sénateur Munson a demandé ce que nous devrions faire. Je pense que nous pouvons montrer aux Canadiens ce que le Sénat doit faire quand le gouvernement présente une mesure législative sans mener les consultations appropriées et qu’il désire que nous l’adoptions à toute vapeur. Je crois que nous devrions demeurer inébranlables. Nous devrions peut-être trouver un moyen de consulter les groupes mentionnés, mais le travail qui a été fait est insuffisant.

La sénatrice Ataullahjan [ + ]

Je vous remercie de votre réponse, sénateur Plett. Je vous ai posé cette question parce que, en tant que musulmane, je me sens responsable des 1,5 ou 1,6 million de musulmans canadiens, et que ces derniers me poseront des questions. Il semble que je n’ai pas de réponse à leur donner. Si le gouvernement a consulté un seul imam pour 1,5 ou 1,6 million de personnes, ce n’est pas suffisant.

Je vais maintenant vous poser une question que j’ai posée hier au sénateur Gold. Plus tôt cette année, le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des personnes handicapées a averti que, si toutes les personnes qui sont malades ou qui présentent une incapacité, mais qui ne sont pas en phase terminale, avaient accès à l’aide médicale à mourir, la société pourrait en conclure que la mort vaut mieux que la vie avec un handicap.

Sénateur Plett, y a-t-il un moyen de nous assurer qu’une personne qui demande l’aide médicale à mourir n’a pas fait ce choix en raison de préjugés sociaux, de l’isolement ou d’un manque d’accès à une aide personnelle ou à des services adaptés à son handicap?

Tout d’abord, lorsque vous dites que vous ne savez pas quoi répondre aux personnes que vous représentez, je pense que vous pouvez dire à la communauté musulmane et aux imams qu’ils n’ont pas été singularisés. On n’essaie pas de s’en prendre à eux. Le gouvernement n’a consulté personne, donc vous ne l’avez pas été non plus.

La réponse à votre deuxième question, sénatrice Ataullahjan, porte sur ce que je dis depuis le début. Il faut que nous trouvions un moyen de convaincre les personnes malades, handicapées et qui ne peuvent pas contribuer à la société autant qu’elles le voudraient, qu’elles apportent effectivement une contribution. Elles sont importantes même si elles ne peuvent plus bouger les bras ou les jambes.

Tant que nous cherchons des moyens de les laisser mourir — plutôt que vivre — dans la dignité, c’est exactement ce que nous ferons, car n’est-ce pas la solution de facilité? Adopter ce projet de loi, sénatrice, est la solution de facilité. Si nous voulons prendre la décision qui s’impose, même si elle est difficile, nous devons modifier le projet de loi ou le rejeter.

L’honorable Patricia Bovey [ + ]

Accepteriez-vous de répondre à une autre question, sénateur Plett?

Certainement.

La sénatrice Bovey [ + ]

J’apprécie ce que vous avez dit. D’ailleurs, je tiens à féliciter tous ceux qui ont pris la parole au sujet du projet de loi. J’ai trouvé le niveau des débats excellent et j’apprécie l’honnêteté des intervenants et les préoccupations qu’ils soulèvent.

Si je peux me permettre, j’ai eu à traiter des questions liées à l’ensemble du processus des soins palliatifs et, à chacune des étapes de ce processus, je dois dire que des décisions difficiles doivent être prises.

Sénateur Plett, je suis d’accord avec vous pour ce qui est de vivre dans la dignité, mais je crois aussi à la mort dans la dignité. Je crois que, lorsqu’il s’agit de questions difficiles du genre, si on prend une vue d’ensemble et qu’on tient compte des différentes opinions, on soulève des enjeux contradictoires.

Je voudrais, si vous le permettez, vous parler d’une lettre que j’ai reçue d’une amie. Nous avons ensuite eu une conversation. Son mari est décédé paisiblement après avoir reçu l’aide médicale à mourir à son domicile, sa femme à ses côtés, le 26 octobre. C’était un très brillant avocat. Il s’est battu contre le cancer des os pendant 10 ans et, pendant toute cette période, il a réussi à maintenir une bonne qualité de vie. Cependant, plus tôt cet automne, il a reçu un diagnostic de cancer du pancréas et c’est à ce moment qu’il a décidé de mettre fin à ses jours. Il voulait absolument mourir dans la dignité, de la même manière qu’il avait vécu dans la dignité.

Le problème auquel ils ont été confrontés — et dont nous avons longuement débattu hier soir — était la période d’attente de 10 jours qui est actuellement prévue par la loi. Dans son cas, c’était vraiment difficile parce que sa situation médicale était telle que sa qualité de vie diminuait et ses douleurs augmentaient. Finalement, il a arrêté de prendre de la morphine afin de pouvoir être en pleine possession de ses facultés le 10e jour pour confirmer la décision qu’il avait prise.

Je sais que certains disent qu’un délai de 10 jours est un trop long. D’autres disent que ce n’est pas assez long. Je sais que je m’éloigne un peu du sujet dont vous parlez, sénateur Plett, mais j’aimerais beaucoup entendre ce que vous pensez de la situation d’un citoyen canadien éloquent et accompli qui a pris une décision après avoir réfléchi mûrement et attentivement à la question.

Son épouse m’a dit ceci :

Celui qui aura été mon époux pendant 40 ans est décédé, mais le fait que j’aie pu partager cette expérience avec lui dans notre maison et savoir avec certitude qu’il a atteint son objectif de mourir dans la dignité a énormément contribué à ma propre guérison.

Je connais bien ces situations de guérison. J’aimerais donc avoir votre avis sur la période d’attente de 10 jours qui est actuellement prévue par la loi et la modification proposée dans le projet de loi.

Je vous remercie, sénatrice Bovey. Je vous assure, madame la sénatrice, que je crois fermement qu’il faut faire en sorte que les gens meurent dans la dignité. En fait, je m’insurge plutôt contre l’idée de hâter la mort.

Je n’étais pas au chevet de ma belle-mère lors de son décès. Nous sommes arrivés trois minutes après. Toutefois, j’étais auprès de mon beau-père lorsqu’il a rendu son dernier soupir. J’étais aussi au chevet de mon père lorsqu’il est décédé. Tous les deux sont morts dignement et sans avoir demandé d’aide. Ils ont reçu de la morphine jusqu’à la toute fin, mais ils sont morts dans la dignité. Je ne crois pas qu’il faille hâter la mort pour qu’elle soit digne.

En ce qui concerne le monsieur dont vous parlez, il était heureusement lucide à la toute fin, mais c’est loin d’être le cas de tout le monde. À défaut d’une période de réflexion, une personne aux prises avec des douleurs extrêmes prend une décision... J’ai parlé plus tôt de cette dame aux Pays-Bas qui a manifesté de la résistance physique au moment où on lui a injecté la substance pour mettre fin à ses jours. Il doit y avoir une période de réflexion, car les gens peuvent changer d’avis.

Je ne connais pas le cas de la personne dont vous parlez, sénatrice Bovey, et je ne veux donc en aucun cas juger de la décision qu’elle a prise. J’ignore également si cette personne aurait pris une décision différente si la période de réflexion n’avait pas été mise en place. Toutefois, je pense que la période de réflexion de 10 ou 14 jours représente une mesure de sauvegarde qui doit absolument rester en place. Je souhaiterais même que cette période soit plus longue. Les gens peuvent passer de mauvaises journées et de mauvaises semaines, mais leur état peut s’améliorer un peu pendant quelques semaines.

Je suis préoccupé par l’élimination de plusieurs mesures de protection, car ces dernières ont été mises en place pour une raison spécifique. C’est pourquoi j’ai interrogé hier la sénatrice Batters sur le scénario de la pente glissante. Je pense que chaque décision que nous prenons nous entraîne un peu plus loin sur cette fameuse pente glissante.

À mon avis, sénatrice Bovey, nous devrions conserver ces mesures de sauvegarde, voire élargir leur portée.

La sénatrice Bovey [ + ]

Sénateur Plett, je ne suis pas certaine si je vais poser une question ou seulement faire un commentaire. La veuve m’a également dit ceci :

Mon époux accordait beaucoup d’importance à la qualité de vie, et non à sa durée. Lui seul pouvait définir cette qualité.

Son époux et elle savaient que s’il prenait la morphine dont il avait besoin contre la douleur au cours des derniers jours, il n’aurait pas été lucide le 10e jour, alors qu’il devait prendre sa décision. Il n’a donc pas pris de morphine.

Elle a ajouté — et j’aimerais savoir ce que vous en pensez :

Je peux affirmer sans équivoque que le processus comprend tellement de mécanismes de contrôle que ces derniers obstacles toujours en vigueur — et qui sont visés par les modifications — sont inutiles et cruels.

Comment trouvons-nous le juste milieu, sénateur Plett, entre donner aux gens le temps dont ils ont besoin — et vous avez bien raison, les gens ont leurs bons et mauvais jours — et nous attaquer à ce qui est inutile et cruel? Selon vous, comment devrions-nous définir cet équilibre alors que nous étudions le projet de loi?

Je peux uniquement répondre en disant que, à mon avis, il n’est pas cruel de tenter de garder une personne en vie. Je crois que c’est utile et que c’est ce que nous devrions faire.

L’honorable Pierre J. Dalphond [ + ]

Chers collègues, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-7, une étape du processus parlementaire qui est définie comme suit dans la deuxième édition de La procédure et les usages de la Chambre des communes, publiée en 2009 :

L’étape de la deuxième lecture se caractérise par la tenue d’un débat général sur le principe du projet de loi. Le Règlement ne mentionne pas expressément cette pratique, mais celle-ci est profondément ancrée dans la tradition procédurale de la Chambre. Le débat doit donc porter sur le principe du projet de loi et non sur ses dispositions particulières.

Autrement dit, notre vote à l’étape de la deuxième lecture vise à appuyer ou non le principe du projet de loi, qui est d’étendre l’accès à l’aide médicale à mourir.

Le projet de loi découle d’un jugement de la Cour supérieure du Québec rendu le 11 septembre 2019, qui a rejeté les arguments du procureur général du Canada et du procureur général du Québec sur la validité de l’un des critères d’admissibilité à l’aide médicale à mourir qui se trouve dans le Code criminel, soit le critère de la « mort naturelle raisonnablement prévisible », ainsi que du critère de « fin de vie » de la Loi concernant les soins de fin de vie du Québec.

Ceux qui étaient au Sénat en juin 2016 quand le projet de loi C-14 a été adopté se rappelleront que la majorité des sénateurs estimaient que ce critère allait à l’encontre de l’article 7 de la Charte des droits et libertés. En ce qui concerne l’article 7 de la Charte, la Cour suprême du Canada s’est exprimée en ces termes dans une décision unanime rendue en 2015, dans l’affaire Carter c. Canada , disant :

[...] nous ne sommes pas d’avis que la formulation existentielle du droit à la vie exige une prohibition absolue de l’aide à mourir, ou que les personnes ne peuvent « renoncer » à leur droit à la vie. Il en résulterait une « obligation de vivre » plutôt qu’un « droit à la vie », et la légalité de tout consentement au retrait d’un traitement vital ou d’un traitement de maintien de la vie, ou du refus d’un tel traitement, serait remise en question. Le caractère sacré de la vie est une des valeurs les plus fondamentales de notre société. L’article 7 émane d’un profond respect pour la valeur de la vie humaine, mais il englobe aussi la vie, la liberté et la sécurité de la personne durant le passage à la mort. C’est pourquoi le caractère sacré de la vie « n’exige pas que toute vie humaine soit préservée à tout prix ». Et pour cette raison, le droit en est venu à reconnaître que, dans certaines circonstances, il faut respecter le choix d’une personne quant à la fin de sa vie.

Cependant, le gouvernement et la Chambre des communes ont refusé l’amendement du Sénat, et le Sénat a finalement décidé de ne pas insister. Comme prévu, le critère a été rapidement remis en question. Dix jours seulement après l’adoption du projet de loi C-14, Julia Lamb, une femme dans la vingtaine atteinte d’amyotrophie spinale, et l’association des libertés civiles de la Colombie-Britannique ont lancé une contestation constitutionnelle devant la Cour suprême de Colombie-Britannique.

Le 13 juin 2017, la Cour supérieure du Québec a été saisie d’une autre contestation par Jean Truchon et Nicole Gladu.

M. Truchon était alors âgé de 49 ans. Depuis sa naissance, il était atteint d’une paralysie cérébrale spastique avec triparaisie. Cette condition l’a laissé complètement paralysé, à l’exception de son bras gauche, qui était fonctionnel et qui lui a permis, jusqu’en 2012, d’effectuer certaines tâches quotidiennes et de se déplacer en fauteuil roulant. M. Truchon a reçu l’aide médicale à mourir en avril dernier.

Mme Gladu, aujourd’hui âgée de 74 ans, est née avant l’époque de l’inoculation généralisée au vaccin contre la poliomyélite. Elle a contracté une forme paralysante aiguë de la maladie à l’âge de 4 ans et y a survécu. Elle en est ressortie avec des séquelles importantes, notamment une paralysie résiduelle du côté gauche et une scoliose sévère causée par la déformation progressive de sa colonne vertébrale.

Leur dossier a été mis en état, puis entendu au début de 2019. Le procès a duré 31 jours et s’est étalé sur deux mois. Vingt-quatre témoins ont été entendus, dont 17 experts. La cour a aussi entendu huit intervenants, y compris des représentants du Conseil des Canadiens avec déficiences, de l’Association canadienne pour l’intégration communautaire, de l’Alliance des chrétiens en droit, du Collectif des médecins contre l’euthanasie et de Dying With Dignity Canada. Plusieurs de ces groupes sont d’ailleurs venus témoigner de nouveau devant le Comité des affaires juridiques il y a deux semaines.

Le 11 septembre 2019, après six mois de réflexion, la juge Baudouin a rendu sa décision, soit un peu plus de deux ans après le début des procédures judiciaires, ce qui est normal pour un dossier de cette nature. Au sujet de l’exigence de la mort imminente, la juge Baudouin a écrit ce qui suit :

La restriction imposée par l’État selon laquelle la mort doit être raisonnablement prévisible avant de pouvoir demander l’aide médicale à mourir a une portée excessive puisqu’elle empêche certaines personnes, comme M. Truchon et Mme Gladu, capables et bien renseignées, qui satisfont à toutes les autres conditions protectrices de la loi et qui expriment un désir rationnel de mettre fin à leur souffrance à cause de leur condition grave et irréversible, de demander cette aide.

La juge Baudouin poursuivait ainsi :

En ce sens, la restriction excède largement l’objectif visé à un point tel qu’elle ne possède aucun lien véritable avec l’objectif de protéger des personnes vulnérables qui pourraient être incitées à mettre fin à leur vie dans un moment de détresse. Elle leur impose plutôt de devoir faire le choix cruel dont parle la Cour suprême...

— dans l’arrêt Carter —

... en ce qu’elle les force soit à souffrir de manière intolérable pour un temps indéfini qui peut durer des mois, voire des années, ou à mettre fin à leur vie par leur propre moyen, tout cela pour satisfaire à un principe de précaution général.

Il est intéressant de noter que le principe de précaution général a aussi été rejeté récemment par la Cour suprême du Canada dans le jugement Procureur général de l’Ontario c. G, auquel les sénateurs Gold et Carignan ont fait référence dans leurs excellents discours.

Je reviendrai sur cet arrêt dans le cadre de l’étude du comité et à l’étape de la troisième lecture, mais, pour l’instant, je m’en tiendrai au principe du projet de loi C-7, soit l’élargissement de l’accès à l’aide médicale à mourir.

Nous nous rappelons tous qu’au moment où la décision Truchon a été rendue, nous étions en pleine élection générale. En fait, le Parlement a été dissous la journée même où le jugement a été rendu public, le 11 septembre 2019. Le 3 octobre, le gouvernement du Québec annonçait qu’il n’allait pas interjeter appel de la décision. Une semaine plus tard, le 10 octobre, durant le débat électoral en français, le premier ministre Trudeau a fait une annonce similaire.

Autrement dit, les deux ordres de gouvernement ont décidé de ne pas se prévaloir de leur droit de porter la cause en appel devant la Cour d’appel du Québec. Il est fort probable qu’un arrêt de cette cour dans cette affaire aurait été recevable par la Cour suprême du Canada. Certains témoins et certains sénateurs considèrent qu’il n’était pas judicieux de ne pas porter la cause en appel. Bien que je respecte leur opinion, je ne suis pas d’accord.

Bien sûr, interjeter appel aurait donné quelques années de plus aux deux ordres de gouvernement avant d’avoir à rendre une décision, le temps que la Cour suprême du Canada mène à bien son processus d’appel. Les deux gouvernements ont plutôt décidé de braver la tempête, sachant qu’en définitive, c’est aux législateurs, et non aux tribunaux, qu’il revient de définir les paramètres de l’accessibilité à l’aide médicale à mourir et les mesures de sauvegardes connexes.

Bien entendu, les critères d’admissibilité et les mesures de sauvegarde adoptés par le Parlement ou par une province doivent être conformes à la Charte des droits et libertés. À ce sujet, les rôles institutionnels des tribunaux et des parlements sont différents, comme l’a récemment déclaré la Cour suprême dans l’affaire Ontario c. G :

[...]la législature est souveraine en ce sens qu’elle jouit du pouvoir exclusif d’adopter, de modifier et d’abroger des lois comme elle l’entend, tandis que les tribunaux demeurent les gardiens de la Constitution et des droits qu’elle confère aux particuliers.

Chers collègues, on entend souvent dire que les politiciens se cachent derrière la toge des juges pour éviter de prendre des décisions difficiles. Cette fois-ci, cependant, les deux gouvernements ont décidé d’agir. Ils l’ont fait en tenant compte des enseignements tirés non seulement de la décision de la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Truchon, mais aussi de celle de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Carter et des décisions prises par le Sénat en 2016.

Pourquoi? La réponse à cette question a été donnée à de nombreuses reprises. C’est parce que les deux gouvernements croient aux principes d’autonomie et d’égalité des individus, notamment le droit de ne pas être forcé de recourir à d’autres solutions inhumaines comme refuser de se nourrir et de s’hydrater, ou utiliser un moyen violent pour mettre fin à leurs souffrances persistantes et intolérables.

Tous les Canadiens ont été informés de la décision du gouvernement Trudeau. Les Canadiens ont eu l’occasion d’interroger tous les candidats sur la décision de ne pas faire appel dans l’affaire Truchon, et donc sur la décision même d’élargir l’accès à l’aide médicale à mourir.

La semaine dernière, ceux qui ont été élus lors des dernières élections générales ont parlé haut et fort. Le projet de loi C-7 a été adopté par 213 voix pour et 106 contre. Dans cette majorité, de 2 contre 1, il y a des membres de tous les partis de la Chambre des communes, dont 13 députés conservateurs, tous les députés du Bloc et du NPD présents alors et tous les députés verts et presque tous les députés libéraux; c’est important de le dire. Ce résultat est vraiment significatif compte tenu de la nature du projet de loi, de sa complexité et de l’ensemble plus vaste de questions difficiles qu’il soulève sur les plans juridique, social, personnel et éthique.

Chers collègues, c’est dans ce contexte que nous devons maintenant voter à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-7.

Je sais que certains d’entre vous, comme de nombreux témoins que nous avons entendus au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, s’opposent à l’aide médicale à mourir sous quelque forme que ce soit. Je respecte votre opinion, mais le projet de loi C-7 ne doit pas être perçu comme une autre occasion de s’opposer au principe de l’aide médicale à mourir.

Comme l’a déclaré la Cour suprême, le gouvernement a le devoir constitutionnel de fournir l’aide médicale à mourir aux Canadiens qui veulent mettre un terme à leurs souffrances persistantes et intolérables causées par une maladie grave ou irrémédiable, et qui souhaitent le faire paisiblement, en lieu sûr, entourés de leurs proches. C’est une question de respect pour la dignité et l’autonomie de tous les citoyens dans une démocratie. C’est pour ces raisons que je voterai en faveur du projet de loi C-7 à l’étape de la deuxième lecture, projet de loi qui vise à mettre fin à la négation d’un droit constitutionnel garanti en vertu de l’article 7 de la Charte.

Cela ne veut pas dire que je suis d’accord avec toutes les parties du projet de loi. Comme vous le savez, j’ai exprimé de sérieuses préoccupations quant à l’exclusion proposée des personnes dont la maladie mentale est la seule condition sous-jacente. D’autres pourraient souhaiter davantage de mesures de sauvegarde par rapport à des situations particulières. Je me réjouis donc à la perspective de débattre des différentes mesures proposées dans le projet de loi C-7 avec mes collègues du comité et à l’étape de la troisième lecture. Merci, meegwetch.

L’honorable Diane Bellemare [ + ]

Le sénateur Dalphond accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Dalphond [ + ]

Oui, si on m’accorde du temps supplémentaire pour répondre à la sénatrice.

Le sénateur Dalphond [ + ]

Puis-je avoir cinq minutes de plus?

La sénatrice Bellemare [ + ]

Sénateur Dalphond, étant donné que vous avez été juge à la Cour supérieure et à la Cour d’appel du Québec, j’en appelle de votre expérience pour nous éclairer un peu plus sur la situation qui prévaudrait si le projet de loi C-7 n’était pas adopté. Qu’arriverait-il au Québec? Y aurait-il un vide juridique? Pouvez-vous nous donner des précisions à ce sujet?

Le sénateur Dalphond [ + ]

Je vous remercie, sénatrice Bellemare. C’est une question intéressante et fort importante. Comme vous le savez, le gouvernement a déposé une demande de prolongation. Celle-ci sera entendue demain par la Cour supérieure du Québec.

La situation juridique au Québec est la suivante : à la suite du jugement rendu par la Cour supérieure en septembre 2019, la partie de la loi qui exige que la mort de la personne soit imminente est invalide, inconstitutionnelle et non applicable. Cependant, à la demande des procureurs généraux, le jugement a été suspendu et la Cour supérieure a accordé un délai de six mois, ce qui signifie que la déclaration d’inconstitutionnalité ne s’appliquera pas pendant six mois. Ce délai est relativement court, parce que la norme est plutôt de 12 mois. Cela dit, la Cour supérieure a renouvelé la prolongation du délai à deux occasions. Une autre demande lui a été présentée en ce sens, ce qui donnera un délai d’environ 15 à 17 mois au total. Ce n’est pas très différent de la situation du jugement Carter, où la Cour suprême avait accordé 12 mois, ainsi qu’une prolongation du délai, à l’époque où le gouvernement était majoritaire.

Maintenant, qu’en est-il de la situation au Québec? Au Québec, la loi est inconstitutionnelle et la déclaration d’invalidité constitutionnelle ne s’applique pas. Si la Cour supérieure décide de prolonger encore le délai demandé, jeudi ou vendredi, cette déclaration d’inconstitutionnalité sera toujours sans effet au Québec jusqu’à la fin février. Entretemps, la loi continuera de s’appliquer au Québec.

Si, par ailleurs, la Cour supérieure décide de ne pas renouveler la prolongation du délai, le jugement prendra effet et la disposition exigeant que la mort soit imminente ne sera plus applicable au Québec. Cela signifie que le Québec ne se retrouvera pas devant un vide juridique, car la loi s’appliquera sans l’exigence selon laquelle la mort doit être imminente. Ainsi, lorsque des médecins recevront une demande d’aide médicale à mourir dans ces circonstances, ils devront décider d’en prendre le risque et de s’exposer à des poursuites criminelles de la part de la Couronne ou d’un citoyen.

Dans les autres provinces, si l’effet n’était pas suspendu, ce jugement ferait en sorte que, dès demain matin au Nouveau-Brunswick, en Alberta, ou en Colombie-Britannique, toute personne pourrait demander l’aide médicale à mourir et faire une requête pour obtenir une exemption constitutionnelle à laquelle le procureur général du Canada ne pourrait pas s’opposer, parce qu’il ne pourrait pas affirmer que l’exigence contenue dans le Code criminel s’applique en Ontario ou au Nouveau-Brunswick et qu’elle est constitutionnelle. Le procureur général a reconnu qu’elle était inconstitutionnelle en ne faisant pas appel de la décision. Nous allons nous trouver dans la même situation que celle que nous avons connue dans l’affaire Carter, où, pendant un an, étant donné qu’il n’y avait pas de nouvelle loi, les parties se sont adressées aux cours supérieures pour demander des exemptions constitutionnelles. En Alberta, il y en a eu 25, et il y en a eu des centaines qui ont été demandées à travers le Canada, car il n’y avait plus de loi qui s’appliquait. C’est ce genre de situation d’anarchie totale qu’il faut éviter en demandant une nouvelle prolongation. J’espère que la Cour supérieure va nous l’accorder, et j’espère également qu’elle est soucieuse de maintenir la règle de droit et d’éviter l’anarchie au pays jusqu’à ce que le Sénat ait étudié le projet de loi C-7 et que le gouvernement en ait disposé. J’espère que cela répond à votre question, sénatrice.

La sénatrice Bellemare [ + ]

J’ai une question complémentaire. Je comprends bien que la situation serait chaotique, mais le cas de l’avortement n’est-il pas semblable au cas de l’aide médicale à mourir? Il n’y a pas de pratique uniforme à travers le Canada. La question n’est pas réglée non plus en matière de droit criminel.

Le sénateur Dalphond [ + ]

Si la Chambre y consent, je demanderais cinq minutes de plus pour répondre à la question de la sénatrice Bellemare.

Le sénateur Dalphond [ + ]

Encore une fois, c’est une question très intéressante qui m’oblige à faire une distinction. Vous vous souviendrez que, en matière d’avortement, la loi a été déclarée inconstitutionnelle dans la décision Morgentaler. Par la suite, le gouvernement de l’époque a proposé un projet de loi qui a été adopté à la Chambre des communes, mais qui, à l’étape de la troisième lecture au Sénat, a reçu exactement le même nombre de votes pour et contre. Cela a fait en sorte que le projet de loi n’a pas été adopté. Le résultat de tout cela, c’est que, depuis ce moment-là, il n’y a pas de loi relative à l’avortement au Canada.

Ce n’est pas la même chose que ce qui se produit dans la situation actuelle, où le Code criminel s’applique toujours et où il y a un encadrement en place. Il n’y a pas d’encadrement en place en matière d’avortement.

La sénatrice Omidvar [ + ]

L’honorable sénateur accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Dalphond [ + ]

Avec plaisir.

La sénatrice Omidvar [ + ]

Merci, monsieur le sénateur, et merci de vos observations. J’aimerais parler un peu de l’exclusion des troubles de santé mentale dans cette modification législative de l’aide médicale à mourir. Beaucoup estiment que cette exclusion est inconstitutionnelle. Ils ont peut-être bien raison. Toutefois, à court terme, le projet de loi C-7 traite de son intention en ce qui a trait à la maladie mentale dans le préambule. Le préambule dit :

Attendu [...] que des consultations additionnelles et d’autres délibérations sont nécessaires pour décider s’il est indiqué de fournir l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes d’une maladie mentale lorsque celle-ci est la seule condition médicale invoquée et, le cas échéant, pour décider de la manière de le faire [...].

Je sais que les tribunaux ne tiennent pas compte des préambules. Toutefois, le préambule explique l’intention de la loi et cela, comme nous l’avons déjà entendu au Sénat, les tribunaux en tiennent compte dans leurs décisions. Ainsi, à court terme du moins, d’ici à ce que le gouvernement examine l’application du projet de loi C-14 et présente éventuellement un nouveau projet de loi, croyez-vous que l’exclusion pourrait, temporairement, résister à une contestation judiciaire?

Le sénateur Dalphond [ + ]

Sénatrice Omidvar, je vous remercie de votre question. Bien sûr, je ne parlerai pas en tant que juge, car je ne suis plus juge. La question porte toutefois sur le sens de cette partie du préambule qui, je pense, illustre le principe de précaution. Il y a la question de l’opposition entre le principe de précaution et le droit garanti par la Constitution d’avoir accès à quelque chose. Si je me fie au jugement de la Cour supérieure du Québec et au récent arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Ontario c. G, je soupçonne que s’il faut trouver un juste milieu entre le principe de précaution et le droit à l’autonomie garanti par la Constitution, celui-ci penchera plus en faveur du droit constitutionnel que de la précaution.

La sénatrice Omidvar [ + ]

Merci.

L’honorable Claude Carignan [ + ]

Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Dalphond [ + ]

Bien sûr, sénateur Carignan.

Le sénateur Carignan [ + ]

Sénateur, je vous ai écouté parler et je ne suis pas sûr de vous avoir bien compris. Vous avez parlé d’anarchie. Je suis un peu estomaqué d’entendre cette expression. J’imagine que la langue vous a fourché parce que, dans tous les jugements de la juge Baudouin, dans tous les jugements au sujet de la prolongation des différentes ordonnances de suspension, on a dit que, de toute façon, même si cette prolongation n’était pas accordée, il n’y aurait pas de vide juridique. C’est seulement la notion de mort naturelle raisonnablement prévisible qui serait supprimée, et tout le cadre juridique qui a été adopté est conforme à l’arrêt Carter, avec des critères très spécifiques. On est loin de l’anarchie.

Le sénateur Dalphond [ + ]

Le sénateur Carignan a raison de me corriger. Le mot « anarchie » n’est pas le bon mot. Je voulais dire que, comme la Cour suprême l’a dit, la suspension de l’application de la déclaration d’inconstitutionnalité vise à préserver la règle de droit et à faire en sorte qu’elle soit applicable de manière uniforme et qu’elle soit aussi respectée entretemps.

L’honorable Mary Jane McCallum [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole afin de participer au débat au sujet du projet de loi C-7, qui a pour objet de modifier la législation relative à l’aide médicale à mourir. Mon intervention repose sur des discussions que j’ai eues avec des groupes qui campent des deux côtés du débat, certains qui appuient le projet de loi à l’étude et d’autres qui ont fait part de préoccupations quant au processus qui a mené à la présentation du projet de loi. Si, au départ, j’avais l’intention d’appuyer l’adoption du projet de loi, les informations que m’ont communiquées les intervenants autochtones et les fournisseurs de services, en particulier dans le milieu des personnes handicapées, me préoccupent beaucoup. Mon rôle en tant que sénatrice d’origine crie est de porter la parole de ces groupes.

Chers collègues, les enjeux liés aux consultations ne sont pas nouveaux et ils constituent un problème constant qu’aucun gouvernement ne semble prêt ou apte à prendre en compte et à régler. Tant que des consultations ne seront pas menées de façon exhaustive et responsable, nous risquerons toujours de violer non seulement les droits des populations autochtones du Canada, mais aussi ceux des populations non autochtones. Il y a aussi la possibilité de heurter émotivement et psychologiquement la communauté des personnes handicapées, qui craint que le projet de loi mène à des pertes de vie. Comment en sommes-nous encore arrivés là?

Honorables sénateurs, dans le cadre des conversations que j’ai eues au sujet de ce projet de loi crucial, j’ai parlé avec la Dre Sara Goulet, une professionnelle de la santé qui se rend en avion dans les communautés nordiques des Premières Nations pour leur fournir des soins de santé. La Dre Goulet est aussi responsable de clinique aux services de santé Ongomiizwin et doyenne associée aux admissions à la faculté de médecine Max Rady de l’Université du Manitoba. La Dre Goulet a participé, le 3 février 2020, à une table ronde sur l’aide médicale à mourir organisée par le ministre de la Justice, David Lametti, et le secrétaire parlementaire Arif Virani. Cette discussion visait à recueillir des perspectives autochtones sur ce qui allait devenir le projet de loi C-7.

Une dizaine de personnes ont pris part à la réunion du 3 février. Sauf erreur de ma part, il s’agit de la seule fois de tout le processus législatif où le projet de loi C-7 a été discuté avec des Autochtones ou des organismes les représentant. Je dois avouer que cela me fait franchement tiquer, chers collègues. Une seule table ronde avec une poignée de participants, ce n’est pas ce qu’on peut appeler des consultations adéquates et encore moins exhaustives.

Voici ce que la Dre Goulet m’a alors dit :

La réunion elle-même portait sur la tenue de consultations adéquates, et c’est tout ce dont les participants ont parlé [...] or, le groupe n’a pas eu l’occasion de faire connaître son avis ni de présenter la perspective de tous les peuples autochtones du Canada.

Les participants ont expressément fait savoir aux représentants du gouvernement qui étaient présents qu’ils n’avaient pas eu l’impression de pouvoir véritablement donner leur avis ni transmettre l’information qui était attendue d’eux. Ils ont insisté sur le fait qu’ils ne pouvaient pas parler au nom des autres groupes, organismes et communautés autochtones. Il aurait dû s’agir d’un signal clair pour le gouvernement, qui aurait dû comprendre que cette table ronde ne pourrait jamais au grand jamais équivaloir à des consultations responsables.

Chers collègues, la Dre Goulet a aussi mentionné qu’elle était le seul médecin à prendre part à la réunion. Elle a indiqué que les participants voulaient mener une vaste consultation sur le sujet, dans diverses communautés autochtones, afin de commencer à saisir l’impact de la loi actuelle sur eux et leurs citoyens. De toute évidence, on n’a pas fait d’accommodements en ce sens. Dre Goulet a voulu me faire comprendre ceci :

Beaucoup de peuples autochtones ne savent pas que l’aide médicale à mourir peut être fournie. Ceux qui vivent dans des communautés isolées n’ont même pas eu l’occasion d’entendre parler de la loi.

Honorables sénateurs, on m’a fait savoir que les participants à cette réunion se disaient très préoccupés par le fait que les Autochtones du Canada ont un accès limité à des soins de santé efficaces et adaptés à leur culture. Cette expérience est aggravée par un accès insuffisant à des aliments, de l’eau potable, des logements sûrs et une éducation qui favorise les pratiques culturelles et la résilience. Les participants présents se demandaient comment des professionnels de la santé pouvaient être convaincus que toutes les autres options de traitement ou de services avaient été offertes au patient avant que celui-ci ne choisisse de mettre fin à ses jours.

Je cite Dre Goulet encore une fois :

Bref, nous n’en savons pas assez et nous n’avons pas mené suffisamment de consultations pour prendre de bonnes décisions concernant la politique de l’aide médicale à mourir et son impact sur les peuples autochtones du Canada.

Voilà toute une déclaration, chers collègues, et j’espère que tous la prendront au sérieux.

Par ailleurs, la Dre Goulet a généreusement indiqué son intention de participer à ce qu’elle a décrit comme « un véritable processus de consultation sur ce sujet », qui pourrait idéalement inclure d’autres professionnels de la santé et intervenants autochtones qui souhaitent discuter d’une question essentielle qui peut changer des vies.

Honorables sénateurs, j’ai aussi eu la chance de discuter avec M. Neil Belanger, directeur général de la British Columbia Aboriginal Network on Disability Society, ou BCANDS. Comme la Dre Goulet, M. Belanger faisait partie des participants à la table ronde de février dernier que j’ai mentionnée plus tôt. Il a dit ceci :

Il n’y a eu aucune consultation concrète auprès des peuples autochtones au sujet de ce projet de loi. À ma connaissance, il n’y a eu qu’une rencontre, à laquelle j’ai participé, mais peu de groupes autochtones y ont assisté, et personne à part la [BCANDS] n’a tenu compte des personnes handicapées.

Honorables collègues, étant donné que les militants pour les droits des personnes handicapées ont constamment exprimé leurs inquiétudes à l’égard de ce projet de loi, il est alarmant d’entendre M. Belanger dire que les problèmes qui sont soulevés maintenant — et qu’il avait déjà portés à l’attention des responsables du gouvernement en février — n’ont pas été pris en considération de manière adéquate.

Pendant nos délibérations, je trouve que c’est M. Belanger qui a le mieux décrit la situation en disant ceci :

Cela devrait être un motif suffisant pour abandonner les modifications proposées. Si nous voulons respecter la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, l’autodétermination et la réconciliation, mais que cette mesure est imposée sans tenir compte des voix [des personnes handicapées autochtones], le Canada envoie un message clair à propos de son engagement envers ces processus.

[...] Nous ne pouvons pas, de bonne foi et en toute conscience, faire des recommandations qui excluraient les Autochtones handicapés de ce processus, ce qui les exposerait à encore plus de risques dans un système de santé où il a déjà été démontré que leur sécurité est précaire. Ce projet de loi doit être renvoyé à la Cour suprême, et les personnes handicapées, qu’elles soient autochtones ou non autochtones, doivent être incluses dans le processus.

Honorables sénateurs, pourquoi imposer aux personnes handicapées et aux Autochtones la responsabilité supplémentaire d’appuyer un projet de loi qui les expose personnellement à un risque accru? On leur dit essentiellement : « Nous vous demandons d’appuyer ce projet de loi, malgré le fait qu’il accentuera inévitablement vos souffrances. » Pourquoi les placer dans une situation où ils ont l’impression que la Cour suprême du Canada est leur seul mécanisme de sécurité — une option qu’ils peuvent difficilement se permettre?

Dans le cadre du débat, on a dit qu’il est inacceptable qu’une seule personne continue à vivre en souffrant inutilement. Je fais valoir qu’il est également inacceptable qu’une seule personne soit contrainte à recevoir l’aide médicale à mourir par un professionnel de la santé à la conduite immorale et indifférente.

Honorables collègues, les Autochtones au Canada ont déjà accès à une forme d’aide médicale à mourir, à cause du racisme systémique qui existe dans notre système de santé. Nous n’avons qu’à penser aux présumés professionnels qui étaient censés fournir des soins à Brian Sinclair et à Joyce Echaquan. Le racisme systémique est un problème fondamental, qui est grandement ignoré dans le projet de loi. Ce manque de considération pourrait avoir des conséquences mortelles. Est-ce vraiment un risque que nous souhaitons prendre?

Honorables collègues, je trouve stupéfiant que, dans cette Chambre de second examen objectif, on s’attende à ce que nous précipitions l’étude d’un projet de loi qui pourrait causer des torts incommensurables aux personnes handicapées et aux Autochtones du Canada. Ce projet de loi, en particulier à cause du deuxième volet des modifications qu’il propose et de l’administration de l’aide médicale à mourir aux personnes dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible, est simplement trop précaire pour ces groupes marginalisés et vulnérables. Il s’agit d’une mesure législative sérieuse qui doit être étudiée sérieusement, et non approuvée sans discussion. C’est pour ces nombreuses raisons que j’hésite à appuyer ce projet de loi crucial qui, selon divers groupes, comporte des lacunes graves et fondamentales. Merci.

La sénatrice Ataullahjan [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir). Bien qu’il devait être au départ un mécanisme exceptionnel pour éviter les souffrances durant les dernières phases du processus de la mort, le projet de loi C-7, dans sa forme actuelle, nécessite encore des amendements majeurs, puisqu’il est discriminatoire envers les personnes handicapées, qu’il exclut les Canadiens souffrant de troubles mentaux et qu’il est devenu un processus lourd pour les patients qui n’en sont pas à la fin de leur vie.

Divers amendements ont été proposés au gouvernement, mais ils ont malheureusement tous été rejetés. Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a mené une étude préalable sur ce projet de loi et il a présenté un rapport à ce sujet. Plus de 80 témoins ont exprimé leur point de vue aux membres du comité sur une période de cinq jours.

Les principales lacunes de ce projet de loi sont décrites dans le rapport du comité, daté du 10 décembre 2020. J’aimerais souligner certaines de ces préoccupations à l’égard de la Charte canadienne des droits et libertés, qui ont été exposées dans le rapport.

L’une des principales préoccupations à l’égard de la Charte concerne l’élimination du critère de la mort raisonnablement prévisible. Un patient dont la seule affection est un handicap ne pouvant pas être soulagé par notre système de santé pourrait devenir admissible à l’aide médicale à mourir. D’après d’importants organismes nationaux de défense des personnes handicapées, cette mesure législative serait discriminatoire envers les personnes handicapées.

Selon une enquête réalisée par le gouvernement en 2017, il y avait 6,2 millions de Canadiens handicapés, ce qui représente 22 % de la population canadienne. Près d’un quart de la population a au moins une incapacité.

L’élimination de l’exigence voulant que la mort naturelle soit raisonnablement prévisible supprime une mesure de sauvegarde essentielle qui protège les personnes les plus vulnérables contre la possibilité qu’elles soient forcées de demander l’aide médicale à mourir.

En février dernier, une rapporteuse spéciale des Nations unies sur les droits des personnes handicapées a dit ceci :

Si toutes les personnes qui sont malades ou qui présentent une incapacité, mais qui ne sont pas en phase terminale, pouvaient obtenir l’aide médicale à mourir, la société pourrait en conclure que la mort vaut mieux que la vie avec un handicap...

Les gens devraient avoir le droit de mourir dans la dignité, mais ils ne devraient pas avoir le droit de mourir à cause de la stigmatisation sociale ou de la pénurie de soins et de services médicaux.

L’autre grande préoccupation liée à la Charte soulevée par le comité juridique est la mise en place d’une nouvelle procédure plus contraignante pour les patients qui ne sont pas en fin de vie. Des témoins ont insisté sur le fait qu’il est discriminatoire de supprimer des mesures de sauvegarde. L’opposition a également proposé quelques amendements au cours des dernières semaines pour corriger les principales lacunes du projet de loi C-7, mais ils ont tous été rejetés par le gouvernement.

Le premier des nombreux amendements que propose l’opposition concerne les droits et libertés des plus vulnérables d’entre nous. Veiller à l’instauration de mesures de protection est une tâche qui ne doit pas être prise à la légère. Il est malheureux que le procureur général souhaite supprimer la période d’attente de 10 jours relative à l’aide médicale à mourir. L’élimination de la période d’attente prescrite empêchera qu’une personne revienne sur sa décision quant à son maintien en vie ou à sa mort. Précipiter des décisions existentielles ne constitue pas une approche raisonnable pour les plus vulnérables.

Selon le premier rapport annuel concernant l’aide médicale à mourir produit en 2019, 3,6 % des patients qui ont fait une demande ont choisi de la retirer par la suite. Ce sont 263 personnes sur 7 336 qui ont changé d’idée. Prévoir une période donnant l’occasion aux personnes qui demandent l’aide médicale à mourir de changer d’idée est essentiel pour prévenir la mise en œuvre de décisions irréversibles.

L’opposition recommande également d’interdire aux professionnels de la santé d’aborder eux-mêmes le sujet de l’aide médicale à mourir avec leurs patients. Les médecins et les infirmières praticiennes devraient respecter des conditions structurelles strictes afin que les personnes vulnérables soient protégées contre la mort. Des 6,2 millions de Canadiens handicapés, 1,6 million n’ont pas les moyens d’obtenir l’aide, les appareils ou les médicaments sur ordonnance dont ils ont besoin. Les problèmes d’accès aux services médicaux requis ne devraient pas constituer une voie acceptable vers l’admissibilité à l’aide médicale à mourir. Seul le patient devrait pouvoir soulever la question de l’aide médicale à mourir et, à partir de ce moment, un professionnel de la santé pourra lui parler de cette possibilité comme dernier recours. C’est une autre mesure de protection que le gouvernement a rejetée.

Des mesures de sauvegarde additionnelles, fondées sur les opinions exprimées par tous les groupes de défense des droits des personnes handicapées qui s’opposent au projet de loi dans sa version actuelle, ont aussi été présentées au gouvernement. Le projet de loi C-7 rend la situation de ces personnes encore plus précaire en supprimant l’exigence selon laquelle deux témoins doivent signer les demandes d’aide médicale à mourir. En assouplissant les critères d’admissibilité de sorte qu’un seul témoin soit nécessaire, on encourage et accélère dans les faits la mort des patients au lieu de prolonger leur vie. Le rejet de ces recommandations se traduit en un élargissement de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir par le biais de l’abolition de mesures de sauvegarde cruciales.

J’ai eu le privilège de participer à la séance du 27 novembre du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Catherine Frazee, qui est professeure émérite à la School of Disability Studies de l’Université Ryerson, faisait partie des témoins ce jour-là. Étant elle-même handicapée, elle connaît bien la discrimination et l’inégalité que vivent les personnes ayant un handicap. Le comité a parfaitement compris son opposition au projet de loi C-7, surtout lorsqu’elle a dit ceci :

Chaque fois que nous sortons dans l’espace public, notre présence dérange, nos corps sont traités sans respect et nos façons d’être font peur et attirent la pitié. Cette inégalité, nous la sentons au plus profond de notre être, bien qu’elle soit restée invisible aux yeux des rédacteurs de ce projet de loi.

La professeure Frazee a livré un témoignage à la fois éloquent et très émouvant. Je suis certain que je n’étais pas la seule personne à avoir les larmes aux yeux ce jour-là. La professeure Frazee a expliqué avec beaucoup d’éloquence que la souffrance des personnes handicapées n’est pas causée par une maladie débilitante, mais plutôt par la négligence de la société à leur endroit. Sa déclaration et les 80 autres témoignages d’experts dans leurs domaines respectifs présentés sur une période de cinq jours m’ont laissée avec plus de questions que de réponses.

En effet, ce projet de loi vise à offrir aux Canadiens vivant avec une maladie chronique ou un handicap un choix et une dignité dans la mort qu’ils n’ont pas dans leur vie. La nature capacitiste de notre société peut donner aux personnes handicapées l’impression de constituer un fardeau pour leur famille, leurs amis et l’ensemble de la société.

Spring Hawes, une femme qui vit avec une lésion de la moelle épinière depuis 15 ans, a dit ceci :

En tant que personnes handicapées, nous sommes conditionnées de telle manière que nous nous voyons comme un fardeau. On nous inculque l’idée que nous devrions être désolés d’exister et reconnaissants de la tolérance de ceux qui nous entourent. On nous laisse souvent entendre que notre vie vaut moins que celle d’une personne sans handicap. Notre vie et notre survie dépendent de notre amabilité.

Ce point de vue rejoint les préoccupations du Dr Ho concernant le projet de loi C-7. Au cours de ses 20 années de pratique de la médecine, il dit avoir vu de nombreux patients atteints de maladies chroniques qui auraient renoncé à vivre, car ils se considéraient comme un fardeau pour leur famille ou la société. S’ils avaient eu accès à l’aide médicale à mourir à l’époque, ils auraient peut-être choisi d’y recourir prématurément.

Le Dr Ho craint que les personnes qui souffrent de dépression en raison de leur situation ou d’un traumatisme puissent prendre une décision irréversible hâtive ou prématurée.

De plus, Krista Carr, vice-présidente exécutive d’Inclusion Canada, a exprimé l’opinion suivante :

Par le passé, les personnes handicapées ont historiquement été dévalorisées et marginalisées au Canada […]

Le fait d’inclure un handicap comme un état justifiant un suicide assisté équivaut à déclarer que la vie de certaines personnes ne vaut pas la peine d’être vécue […]

Nous avons tous entendu parler de Roger Foley, un homme de 45 ans qui est atteint d’une maladie neurodégénérative ayant entraîné son hospitalisation. Il est incapable de se déplacer et de prendre soin de lui-même et il croit au droit à la « vie assistée ».

M. Foley dit qu’il a été contraint par des mauvais traitements, de la négligence, un manque de soins et des menaces à demander l’aide médicale à mourir. Il a déclaré ceci :

Par exemple, quand j’ai réclamé de l’aide pour pouvoir vivre chez moi et y recevoir des soins à domicile autogérés, l’éthicien et les infirmières de l’hôpital ont essayé de me pousser vers l’aide à mourir en menaçant de me facturer 1 800 $ par jour ou de me forcer à quitter l’hôpital sans avoir accès aux soins dont j’ai besoin pour vivre. J’ai senti des pressions de la part du personnel pour me convaincre d’opter pour l’aide à mourir plutôt que de voir mes souffrances allégées grâce à des soins dignes et empreints de compassion.

Le personnel de l’hôpital a manqué à son devoir de me fournir ce qu’il faut pour vivre [...] Une spécialiste chargée d’examiner mon dossier a conclu à un manquement au devoir de me fournir ce qu’il faut pour vivre et à un cas de grossière négligence.

Le comité a également entendu Jeffrey Kirby, professeur de bioéthique à l’Université Dalhousie. Le Dr Kirby a longuement parlé de l’importance des déterminants sociaux de la santé, qui influent beaucoup sur la manière dont les gens sont traités. Il a présenté une réalité alarmante dans sa déclaration :

[...] les services de soins palliatifs intégrés laissent à désirer dans la plupart des régions du Canada, en particulier dans les régions rurales. Bien entendu, le financement des services de santé mentale est dérisoire par rapport au fardeau de la maladie mentale au Canada. Le financement est vraiment pitoyable, de l’ordre de 3 ou 4 % à 10 % selon la province ou l’administration considérée.

D’après les témoignages que nous avons entendus lors des audiences du comité, les 86 mémoires et les innombrables courriels et appels téléphoniques que mon bureau a reçus au sujet du projet de loi C-7, un examen et un débat exhaustifs sont justifiés. Le suicide étant l’une des principales urgences de santé publique du XXIe siècle, nous devons veiller à ce que le projet de loi n’entraîne pas une vague de suicides.

Puis-je vous rappeler que le gouvernement a eu 16 mois pour adopter le projet de loi. Néanmoins, il nous presse maintenant de parvenir à un consensus alors qu’il s’agit d’un projet de loi complexe ayant des conséquences majeures sur la vie de Canadiens qui ont déjà du mal à accéder aux services de santé nécessaires. Les maladies chroniques et les handicaps ne devraient pas être une condamnation à mort au Canada.

Par conséquent, pour des raisons éthiques, je ne peux pas appuyer le projet de loi en principe. J’espère qu’il sera renvoyé au comité et ensuite à l’autre endroit. Je vous remercie.

L’honorable Mobina S. B. Jaffer [ + ]

Honorables sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier tous les sénateurs qui se sont déjà exprimés sur le projet de loi C-7. Chacun d’entre vous a contribué avec compassion à ce débat très difficile. J’apprécie et je salue votre courage de nous faire connaître vos opinions et expériences sur l’aide médicale à mourir. J’ai beaucoup appris en vous écoutant, et je vous remercie sincèrement de vos discours éclairants.

Honorables sénateurs, je prends également la parole devant vous aujourd’hui pour parler d’une question de vie ou de mort. Je prends la parole aujourd’hui pour parler de l’aide médicale à mourir à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi. Comme nous le savons tous, honorables sénateurs, nous en sommes à l’étape de la deuxième lecture, où nous discutons du projet de loi avant qu’il ne soit étudié plus en détail en comité. Nous aurons encore du temps pour en débattre à l’étape de la troisième lecture.

L’aide médicale à mourir est littéralement une question de vie ou de mort. Elle vise à éviter des souffrances intolérables et à permettre de mourir dans la dignité et sans douleur. L’étude du projet de loi C-7 porte sur la mise en œuvre du régime d’aide médicale à mourir, les mesures de sauvegarde qui y sont prévues et, plus important encore, les personnes qui sont directement touchées par cette mesure.

L’aide médicale à mourir touche les personnes les plus vulnérables, les plus malades, mais il ne s’agit pas d’une option de traitement, et elle ne devrait pas être considérée comme telle. Elle est censée être une solution de dernier recours pour les personnes qui souffrent de problèmes de santé incurables qui s’accompagnent souvent de grandes souffrances. Elle est destinée aux personnes comme Julia Lamb, de la Colombie-Britannique, pour qui l’attente à laquelle il faut se soumettre avant d’obtenir l’aide médicale à mourir est longue et menaçante lorsqu’on est aux prises avec des souffrances intolérables.

L’aide médicale à mourir offre à ces personnes la possibilité de mourir dans la dignité et de mettre fin à des douleurs intolérables et impossibles à soulager. Cependant, c’est à la personne concernée qu’il revient d’en faire la demande.

J’estime que l’aide médicale à mourir doit exclusivement faire suite à la demande du patient ou de la personne concernée et ne doit pas être la solution choisie par un professionnel de la santé ou la famille. Elle ne vise pas à pousser au suicide. Elle vise plutôt à soulager la souffrance d’une personne et à lui offrir un choix en ce qui concerne sa propre vie. Seule la personne qui souffre peut décider d’envisager cette solution.

Un choix qui vient d’abord du patient permettrait aussi d’éviter de faire sentir aux patients que leur vie n’a pas de valeur ou qu’ils n’ont aucun espoir d’améliorer leur état de santé.

Comme l’ont souligné la Dre Herx et plusieurs autres personnes, si le médecin traitant amorce la conversation sur l’aide médicale à mourir, cela peut avoir des effets dévastateurs pour le patient.

Honorables sénateurs, en 2016, les Canadiens ont choisi d’incorporer l’aide médicale à mourir dans notre système juridique. Ils ont choisi d’exercer un certain pouvoir sur leur vie, et c’est notre devoir, tout en rendant l’aide médicale à mourir accessible pour respecter leur choix, d’empêcher que des personnes puissent mettre fin à la vie d’autrui sans raison valable.

En pensant aux moyens de protéger les personnes handicapées, nous sommes amenés à penser à d’autres groupes de personnes marginalisées, comme les personnes racialisées, les Autochtones et les immigrants, et à songer aux graves préoccupations concernant leur accès aux services de base de santé physique et mentale, sans parler de l’accès à l’aide médicale à mourir, dans les régions rurales ou urbaines. Dans tous les contextes, l’aide médicale à mourir devrait être considérée comme une solution de dernier recours.

Avant d’examiner la demande d’un patient à l’aide médicale à mourir, on devrait lui offrir tous les services adéquats de santé physique ou mentale qui sont disponibles pour sa condition. C’est notre responsabilité en tant que parlementaires de veiller à ce que le gouvernement respecte l’engagement pris sous serment de prendre soin de tous les Canadiens, de toutes les identités.

L’aide médicale à mourir n’a jamais été conçue pour les personnes handicapées. Elle l’a été pour les personnes en proie à des souffrances intolérables et irrémédiables. Ce n’est que dans une telle situation que les personnes malades devraient pouvoir recourir à l’aide médicale à mourir. Je comprends les inquiétudes exprimées par les personnes handicapées, mais il y a de nombreuses mesures de sauvegardes et elles feront l’objet d’un examen en comité.

Les mesures de sauvegarde sont une autre composante de l’aide médicale à mourir qui revêt une importance fondamentale. Le débat entourant l’aide médicale à mourir fait la distinction entre les personnes dont la mort est raisonnablement prévisible et celles qui se retrouvent devant une vie de souffrances sans aucune fin en vue. C’est notamment le cas de Julia Lamb, une concitoyenne de la Colombie-Britannique qui, dans sa déclaration écrite, a exprimé ce qui suit au sujet de la période d’attente de 90 jours imposée aux personnes dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible :

[...] si je choisis d’avoir recours à l’aide médicale à mourir — je ne peux décider quels seront les derniers jours de ma vie, et je risque d’endurer des souffrances interminables parce que mes souffrances ne sont pas jugées comme étant égales à celles d’une personne dont la mort est plus facile à prédire. Un projet de loi qui est censé permettre de faire un choix et de mettre fin à la sensation d’être désespérément enfermée dans une souffrance intolérable pourrait plutôt me rendre prisonnière d’une atroce période d’attente de 90 jours.

Les mesures de sauvegarde relatives à l’aide médicale à mourir exigent aussi le consentement final des personnes dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible, et, à cet effet, Mme Lamb avait ceci à dire :

Comme ma santé est grandement compromise, je pourrais perdre ma capacité de consentement pour différentes raisons. Si je n’ai pas la possibilité de renoncer au consentement final, je pourrais donc perdre le droit d’obtenir une aide à mourir. Cette possibilité me fend le cœur puisque j’ai lutté pendant des années pour faire respecter mes droits.

Honorables sénateurs, nous avons entendu beaucoup d’observations à propos du projet de loi C-7 depuis quelques jours, mais je crois qu’il faut aussi entendre ce que disent les Canadiens qui ont une expérience personnelle de l’aide médicale à mourir. La sénatrice Bovey a déjà dit quelques mots au sujet de Mme Ruth Wittenberg, qui a écrit ceci :

Je vous écris aujourd’hui pour vous supplier d’appuyer le projet de loi C-7 sur l’aide médicale à mourir, que le Sénat étudie maintenant.

Mon mari, Paul Jarman, a pu obtenir l’aide médicale à mourir plus tôt cette année. Il a lutté contre un cancer des os pendant 10 ans, mais il avait pu maintenir une qualité de vie qui nous convenait à tous les deux. À l’automne, il a reçu un diagnostic de cancer du pancréas et il a décidé de mettre un terme à sa vie pendant qu’il avait encore sa dignité et un contrôle sur sa vie. Il est mort en paix, à la maison, alors que j’étais à ses côtés.

La sénatrice Bovey a aussi mentionné d’autres propos de Mme Wittenberg, que je ne répéterai pas aujourd’hui.

Je souhaite vous parler aussi de la lettre que m’a écrite Mme Penny Mills. Elle souligne que depuis l’affaire Sue Rodriguez, la Cour suprême a rendu des décisions favorables dans deux autres causes, celles de Gloria Taylor et de Kay Carter. Elle ajoute ensuite ceci :

Sue Rodriguez s’est demandé : « Si mon propre corps ne m’appartient pas, à qui appartient-il? » La plupart des mesures de sauvegarde associées à l’aide médicale à mourir protègent très peu les personnes atteintes de sclérose latérale amyotrophique.

La sclérose latérale amyotrophique fait graduellement perdre l’usage des muscles. Personnellement, je suis atteinte d’une forme rare de la maladie, et mes muscles à moi deviennent comme de la guenille, alors que les autres patients ont plutôt tendance à paralyser.

Quand les muscles de la gorge finissent par lâcher, nous avons tendance à nous étouffer avec notre salive et nous avons de plus en plus de mal à parler et à avaler. Les muscles de nos jambes cessent graduellement de fonctionner, puis, dans un ordre impossible à prédire, ceux des pieds, des pouces, des doigts et des mains. Nous avons besoin d’une cane pour nous déplacer, puis d’un déambulateur, d’un fauteuil roulant et finalement d’un fauteuil électrique. Ceux qui vivent assez longtemps finissent par ne plus pouvoir rien faire sauf cligner des yeux.

Je tiens à préciser que la maladie progresse différemment chez chacun. Voilà pourquoi on ne peut pas juste nous placer dans un centre d’hébergement et de soins de longue durée et considérer que notre cas est réglé. Ce serait dangereux, surtout avec ce que nous a appris la COVID-19.

Mme Mills poursuit ainsi :

D’aucuns voudraient que nous attendions 10 jours. Pour les gens comme moi et comme Sue, Gloria et Kay, ce sont 10 jours de plus à être incapables de bouger, de parler et de manger.

Je sais depuis six ans que je veux l’aide d’un médecin pour mourir. Ce n’est pas ce qu’on pourrait qualifier de coup de tête, mesdames et messieurs les sénateurs. Je ne sais pas quand je partirai, mais je SAIS que je partirai. Comme l’a dit Sue Rodriguez : « Si ce n’est pas mon corps, à qui appartient-il? »

Je m’inquiète toutefois pour ceux qui sont incapables de parler ou d’écrire et à qui on refuse le droit de mourir avec l’aide d’un médecin ou de donner des directives anticipées. C’est tellement cruel. Combien de personnes aimeraient mieux mourir qu’être parquées quelque part? Quelle est la différence avec une personne qui souhaite ne pas être réanimée?

Et encore ceci :

Les personnes atteintes de sclérose latérale amyotrophique sont en danger dans les centres d’hébergement et de soins et dans les hôpitaux parce que cette maladie est très peu connue des travailleurs de la santé.

Lorsque j’ai été hospitalisée pour une fracture de la hanche, des médecins sont venus me voir. J’étais toute une nouveauté pour eux. La sclérose latérale amyotrophique est tellement rare. J’imagine que c’est la raison pour laquelle les amendements du Sénat ne s’appliquent pas à nous. Une infirmière m’a presque fracturé le genou en tentant de redresser ma jambe, qui était tordue par un spasme. Une autre m’a presque tuée en tentant de me faire boire de l’eau alors que j’étouffais.

Honorables sénateurs, elle poursuit ainsi plus longuement et affirme : « Il s’agit de mon corps, laissez-moi exercer mes choix et mourir au moment opportun. »

Honorables sénateurs, un des derniers points que je souhaite aborder est le consentement final. La Dre Stefanie Green, présidente de l’Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l’aide médicale à mourir, qui administre l’aide médicale à mourir depuis plus de quatre ans au Canada, a attiré notre attention sur ce qui suit :

En 2019, une enquête auprès des prestataires de l’aide médicale à mourir a montré que 85 % des prestataires ont vécu personnellement une situation où, au moment de donner l’aide médicale à mourir, le patient ne pouvait plus donner son consentement final, en raison d’une détérioration subite de ses facultés.

La Dre Green a poursuivi ainsi :

Je peux vous dire, d’expérience, à quel point cela est horrible. Les proches du patient vont supplier le médecin de procéder. C’est très douloureux pour tout le monde et je ne vois pas vraiment qui nous protégeons si nous ne pouvons pas donner l’aide médicale à mourir comme prévu dans ces circonstances. Cependant, je peux voir très clairement qui nous faisons souffrir.

Honorables sénateurs, les médecins prennent très au sérieux leur devoir de prodiguer des soins. Durant tout le processus de l’étude préalable, pas un seul médecin ne nous a dit qu’ils croyaient que n’importe qui devrait administrer l’aide médicale à mourir...

L’honorable Lucie Moncion (Son Honneur la Présidente suppléante) [ + ]

Sénatrice Jaffer...

La sénatrice Jaffer [ + ]

Pourrais-je disposer d’encore cinq minutes?

La sénatrice Jaffer [ + ]

Je vous remercie, chers sénateurs.

Les médecins prennent très au sérieux leur devoir de soigner leurs patients. Durant le processus de l’étude préalable, aucun médecin n’a dit qu’il croyait qu’on puisse administrer l’aide médicale à mourir sans en avoir examiné avec soin et de façon consciencieuse les conséquences.

La Dre Green ajoute qu’elle ne connaît aucun médecin prodiguant des soins de santé avec compassion qui a été poursuivi pour avoir administré l’aide médicale à mourir. C’est un choix que fait le médecin.

Honorables sénateurs, tous ceux qui me connaissent savent que je suis une musulmane pratiquante et que j’affiche clairement ma foi. Vous m’entendez souvent parler de ma foi musulmane et en 2016, j’en suis venue à la conclusion que j’étais à la fois une musulmane pratiquante et une parlementaire. En tant que musulmane pratiquante, je fais ce qui est bien selon mes croyances. En tant que parlementaire, par contre, je dois prendre des décisions en fonction de ce que les Canadiens veulent sans laisser ma foi peser dans la balance, car j’ai l’honneur d’être sénatrice. En tant que sénatrice, je dois être à l’écoute des Canadiens afin de bien les servir. Je vous remercie beaucoup, chers collègues.

La sénatrice Jaffer [ + ]

Oui, certainement.

La sénatrice Bovey [ + ]

Merci, sénatrice. Je gardais secrète l’identité de la personne qui a écrit la lettre que, à l’évidence, vous avez aussi reçue. Effectivement, j’ai discuté avec ma bonne amie Ruth Wittenberg hier soir. Comme vous le savez tous, j’ai vécu à Victoria pendant de nombreuses années. Ma connaissance de cette question remonte aux années 1980, lorsque le Dr Scott Wallace était député provincial en Colombie-Britannique, et il était mon médecin. C’était un ami proche de Sue Rodriguez, alors il s’agissait de discussions uniquement philosophiques à l’époque.

Après avoir déménagé à Winnipeg, j’ai rencontré un collectionneur d’œuvres d’art qui s’est par la suite rendu en Suisse, je crois que c’était en 2014 ou en 2015, pour obtenir l’aide médicale à mourir, parce que ce n’était pas encore possible au Canada.

Sénatrice Jaffer, ma question concerne plusieurs des enjeux dont vous avez parlé, comme le délai requis, la communauté des personnes handicapées et d’autres enjeux qui me posent problème dans le projet de loi. Je serai honnête, j’ai du mal à accepter certains éléments du projet de loi. Cependant, avec les connaissances juridiques que vous avez et l’expérience que vous avez vécue lors du débat au Sénat en 2016, diriez-vous que les enjeux dont nous discutons présentement sont nouveaux? Je me souviens des années 1980 et 1990 et du début des années 2000, alors que je n’étais pas une parlementaire, mais une simple Canadienne qui observait la situation. Les enjeux sont-ils les mêmes aujourd’hui qu’à l’époque?

La sénatrice Jaffer [ + ]

Une partie des questions n’a pas changé. Vous pouvez entendre dans ma voix qu’il s’agit de questions déchirantes. Elles me gardent réveillée la nuit. Est-ce que je prends les bonnes décisions? Tout comme chacun de vous, j’ai du mal à peser le pour et le contre. Il faut mettre de côté nos propres sentiments et écouter la douleur des personnes qui nous parlent.

Selon moi, l’une des mesures de sauvegarde essentielle que nous avions mises en place était la période de réflexion de 10 jours. Or, maintenant, la population nous dit que ces 10 jours sont insupportables une fois qu’ils ont pris leur décision. Beaucoup de gens appellent mon bureau pour dire : « Il ne vous appartient pas de décider à quel moment je vais mourir. C’est ma décision. Mon choix. N’essayez pas de décider pour moi. » La même chose vaut pour le délai de 90 jours.

Honorables sénateurs, au cas où j’aie omis de le mentionner, j’ai lu les lettres de Penny Mills et de Ruth Wittenberg avec leur autorisation. Cela dit, cette décision est probablement la plus importante que vous et moi serons jamais appelés à prendre. Tout ce que nous pouvons faire...

La sénatrice Jaffer [ + ]

Non, j’aimerais seulement dire quelques mots.

Tout ce que nous pouvons faire, c’est écouter la population. Merci.

La sénatrice Jaffer [ + ]

Puis-je avoir cinq minutes de plus, s’il vous plaît?

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