Projet de loi sur la Journée nationale de Thanadelthur
Recours au Règlement—Décision de la présidence
29 octobre 2024
Honorables sénateurs, je voudrais exprimer mes réflexions et préoccupations concernant l’ajournement du débat qui vient de se produire et le catalyseur de cet ajournement.
Je tiens à souligner que j’ai présenté ce projet de loi au Sénat à l’étape de la première lecture le 19 septembre 2023 et que j’ai prononcé mon discours à l’étape de la deuxième lecture le 21 septembre 2023. Au cours de la période de plus d’un an qui s’est écoulée depuis lors, il n’y a eu aucune autre intervention à ce sujet avant celle de la sénatrice McPhedran cet après-midi.
Je tiens également à faire valoir le respect dont j’ai fait preuve tout au long de l’étude du projet de loi S-274 au Sénat. Jusqu’à présent, j’ai écrit deux fois aux quatre leaders et à leurs adjoints, le 13 septembre et le 7 octobre, pour demander que le vote à l’étape de la deuxième lecture puisse avoir lieu à la suite des observations de la sénatrice McPhedran. Je cite ma lettre du 7 octobre :
La sénatrice McPhedran fera part de réflexions supplémentaires sur le projet de loi, mais je souligne que d’autres interventions ne pourraient pas ajouter grand-chose qui ne serait pas une régurgitation des idées et des faits présentés dans ces deux interventions. Par conséquent, je demande encore une fois que le vote puisse avoir lieu à la suite de ces observations dans l’espoir que l’importance de ce projet de loi de réconciliation puisse être mieux comprise grâce à une étude en comité.
J’ai donc donné un préavis d’un mois et demi à ma demande de vote sur ce projet de loi, qui moisit au Feuilleton depuis plus de 13 mois.
J’en suis réduite à me demander pourquoi la demande de vote a été refusée et pourquoi l’ajournement a été proposé par les conservateurs. À mon avis, la seule raison logique est qu’un porte-parole n’a pas encore prononcé son discours. Votre Honneur, cela va au cœur de mon recours au Règlement, et c’est pourquoi je vous demande de rendre une décision à ce sujet.
Le Règlement du Sénat est très clair. Un porte-parole n’a pas à se prononcer au sujet d’un projet de loi avant un vote, pas plus qu’un projet de loi ne doit passer une période précise au Feuilleton ou qu’un nombre précis d’intervenants ne doivent prendre la parole avant qu’on puisse passer au vote. Je le concède, cette pratique entourant le discours du porte-parole est en quelque sorte devenue la norme et la façon de faire à laquelle on s’attend, mais cette généralisation n’est pas une obligation.
Selon un mythe répandu et une méprise perpétuée par certains de manière très convaincante, être porte-parole octroierait à la personne le pouvoir et l’autorité fantastiques d’imposer son véto à un projet de loi ou d’en retarder, d’en dicter ou d’en faire dérailler la progression. C’est tout simplement faux. Toutefois, cette idée est perpétuée depuis si longtemps que je crains que de nombreux sénateurs y croient à tort et la considèrent comme un fait, ce qui n’est certainement pas le cas.
D’ailleurs, il en va de même pour un sénateur qui demande qu’on ajourne le débat en son nom. La tenue d’un ajournement donne à ce sénateur la priorité pour prendre la parole lors du débat sur le projet de loi, certes, mais cela ne lui donne aucun pouvoir particulier pour entraver les travaux si la question est mise aux voix. Bref, bien que je ne partage pas le point de vue selon lequel la pratique habituelle consiste à supposer que le porte-parole prendra la parole et que le parrain fera preuve de considération en lui accordant du temps de parole, je soutiens, tout d’abord, qu’il n’est pas absolument nécessaire que le porte-parole prenne la parole avant un vote. Ce mythe s’est transformé en l’expression d’une autorité qui n’existe pas et dont cette Chambre ne relève pas. De plus, cette prétendue nécessité et l’obligation selon laquelle un projet de loi doit demeurer inscrit au Feuilleton pour une durée inconnue et arbitraire ne sont appliquées que lorsque la majorité les juge appropriées.
Je tiens également à rappeler ma déférence à l’égard de ce projet de loi, car le débat à l’étape de la deuxième lecture est en attente depuis plus d’un an. Mes deux lettres réclamant une mise aux voix, qui constituent une demande explicite depuis plus d’un mois et demi, représentent également une déférence totale.
Pour en revenir au rôle du porte-parole au Sénat, le Règlement du Sénat ne le mentionne que deux fois dans son intégralité. L’article 6-3(1)d) précise que le porte-parole peut prendre la parole pendant un maximum de 45 minutes aux étapes des deuxième et troisième lectures. Ensuite, la section des définitions définit le porte-parole d’un projet de loi, en précisant simplement que, même si le porte-parole est souvent le deuxième sénateur à prendre la parole au sujet d’un projet de loi, ce n’est pas toujours le cas. Il ne dit rien de plus en ce qui concerne le droit de parole.
Le document connexe au Règlement du Sénat, La procédure du Sénat en pratique, affirme ce qui se trouve dans le Règlement, mais c’est là tout ce qu’on y trouve. La procédure du Sénat en pratique ne confère ni ne précise aucun autre rôle, pouvoir ou autorité que le porte-parole peut détenir.
Pour résumer cet argument, le porte-parole n’a pas le droit d’imposer son veto ou de dicter la progression d’un projet de loi, qu’il ait pris la parole ou non. Bien qu’il soit peut-être d’usage qu’un porte-parole prenne la parole au sujet d’un projet de loi, un examen du Règlement du Sénat et de La procédure du Sénat en pratique confirme qu’un porte-parole n’a pas de pouvoirs si fantastiques qu’un projet de loi ne peut pas être mis aux voix s’il n’a pas pris la parole. Cela s’apparenterait à une prise d’otage législative.
Si un sénateur est en mesure d’indiquer où, dans l’un ou l’autre de ces documents, une telle autorité est établie, je serais heureuse de l’entendre. J’invite d’ailleurs tous mes collègues à trouver la réponse, car ce serait une bonne occasion d’approfondir nos connaissances. Inversement, si un sénateur n’est pas en mesure d’indiquer exactement où est la règle ou l’article qui confère légitimement cette autorité, il faudra peut-être admettre qu’un tel pouvoir n’existe pas en réalité et qu’aucun sénateur ne détient le pouvoir de dicter l’état d’avancement d’un projet de loi à la Chambre haute.
Il est également très important de noter que la soi-disant obligation pour un porte-parole de s’exprimer est apparemment appliquée de manière arbitraire. Par exemple, au printemps dernier, 10 projets de loi différents ont été mis aux voix avec un nombre négligeable d’intervenants et un temps de parole minime devant le Sénat. Le vote à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-281 a eu lieu le 29 mai 2024. Le sénateur Housakos, le parrain, a été le seul à présenter un discours; nous n’avons pas entendu de porte-parole. Le vote à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-259 a eu lieu le 30 mai 2024. Le parrain, le sénateur Loffreda et quelqu’un d’autre du Groupe des sénateurs indépendants ont pris la parole au sujet de ce projet de loi; il n’y a pas eu de discours de porte-parole. Le projet de loi C-320 a été lu pour la deuxième fois le 30 mai 2024. À l’étape de la deuxième lecture, le vote a été tenu après deux discours, le même jour, sans autre débat.
Le projet de loi C-321 a aussi été présenté le 30 mai 2024. Il a lui aussi fait l’objet d’un vote à l’étape de la deuxième lecture après que deux discours aient été prononcés, le même jour, sans autre débat.
De plus, la même semaine, deux autres projets de loi ont fait l’objet d’un vote bien que seulement deux sénateurs aient prononcé un discours à leur sujet — les projets de loi S-17 et S-260 —, et un autre projet de loi a été adopté après que seulement trois sénateurs en aient parlé, le projet de loi S-279.
Dans un cas plus récent, les sénateurs se souviendront sans doute de ce qui s’est passé avec le projet de loi C-49, Loi modifiant la Loi de mise en œuvre de l’Accord atlantique Canada — Terre-Neuve-et-Labrador et la Loi de mise en œuvre de l’Accord Canada — Nouvelle-Écosse sur les hydrocarbures extracôtiers et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois. À l’issue de l’étude de ce projet de loi faite par le comité, moi-même et l’un de nos collègues, le sénateur Prosper, avions clairement fait savoir que nous souhaitions intervenir sur le projet de loi à l’étape de la troisième lecture. Cependant, notre droit au débat a été rejeté en faveur de la troisième lecture, qui s’est déroulée en une seule séance.
Il est évident que l’application arbitraire et inégale des conventions procédurales constitue un grave désavantage pour certaines personnes dans cette enceinte, en particulier les personnes qui n’occupent pas un poste de pouvoir ou d’autorité. Si un plus grand nombre de sénateurs semblent vouloir prendre la parole sur ce projet de loi, alors pourquoi accorde-t-on aux sénateurs le droit de reporter indéfiniment leur intervention après une année de stagnation, alors que d’autres sénateurs se voient refuser le droit de prendre la parole sur un autre projet de loi lorsqu’ils demandent simplement à ce qu’on ajoute une deuxième journée de débat? C’est insensé.
Votre Honneur, je m’en remets respectueusement à votre diligence et à votre sagesse dans ce dossier important. Cependant, je vous exhorte à vous prononcer sur ce rappel au Règlement dès maintenant, si vous le jugez opportun. Si nous consultons très brièvement les spécialistes de la procédure que nous avons la chance de compter parmi nous, je suis sûre que nous pourrons rapidement confirmer ce que je mets de l’avant, et que nous pourrons ainsi faire des progrès dans cette enceinte. Merci.
Madame la sénatrice, vous avez soulevez des points très intéressants. Je vous remercie.
Le Sénat a adopté l’ajournement du débat sur le projet de loi S-274 en suivant la procédure appropriée. Les problèmes décrits ne sont pas de nature procédurale, puisque la motion d’ajournement du débat ne portait pas sur le rôle de porte-parole, et le rappel au Règlement n’a pas été établi.
Propose :
Que la séance soit maintenant levée.
— Votre Honneur, permettez-moi d’abord de préciser au moins une chose aux fins du compte rendu. Le vote qui vient d’avoir lieu a été de 38 voix pour et de 25 voix contre. Nous sommes 9 dans le caucus conservateur. Pourtant, on nous a accusés d’avoir retardé les travaux. Je ne suis donc pas sûr de comprendre le calcul, à savoir que 38 moins 9, cela fait 29. Donc, que ce soit 29 contre 25 ou 38 contre 25, je pense que le résultat aurait été le même. Je trouve donc un peu troublant que l’on blâme un caucus en particulier dans cette affaire.
Votre Honneur, il est évident que des tensions ont éclaté et que les nerfs sont à vif. Je pense que la meilleure chose à faire, c’est de retourner dans nos bureaux et dans nos chambres, de dormir là‑dessus et de revenir frais et dispos demain. J’espère que le gouvernement aura un projet de loi à nous proposer. Pour l’instant, il semble qu’il ne soit pas en mesure de nous en renvoyer un, mais peut-être que demain, il pourra se ressaisir et nous renvoyer un projet de loi d’initiative ministérielle dont nous pourrons débattre, et nous serons alors heureux de poursuivre nos travaux, comme il se doit.
Sur ce, Votre Honneur, je propose l’ajournement du Sénat.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée.)