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Le Sénat

Motion tendant à inviter le premier ministre à recommander à la gouverneure générale de révoquer le titre honorifique « honorable » de l’ancien sénateur Don Meredith--Ajournement du débat

18 octobre 2022


L’honorable Josée Verner [ + ]

Conformément au préavis donné le 17 octobre 2022, propose :

Que, à la lumière des rapports du conseiller sénatorial en éthique datés du 9 mars 2017 et du 28 juin 2019 concernant les manquements de l’ancien sénateur Don Meredith au Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs ainsi que de la déclaration faite au Sénat le 25 juin 2020 par le président du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration exprimant des regrets aux victimes de l’inconduite de M. Meredith, le Sénat invite le premier ministre à demander à Son Excellence la gouverneure générale de prendre les mesures nécessaires pour révoquer le titre honorifique « honorable » de l’ancien sénateur Don Meredith.

— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour proposer que le Sénat invite le premier ministre à demander à Son Excellence la gouverneure générale de prendre les mesures nécessaires pour révoquer le titre honorifique « honorable » de l’ancien sénateur Don Meredith.

Vous vous souviendrez que j’avais déposé une motion semblable en février 2020. Cette motion est morte au Feuilleton quelques mois plus tard, lors d’une prorogation parlementaire.

Vous vous souviendrez également qu’au cours de cette période, notre institution a entrepris un processus très important pour réparer les torts ainsi que les souffrances qui ont affecté — et affectent encore aujourd’hui — les victimes de Don Meredith. Un pas important a notamment été fait le 25 juin 2020, lorsque l’honorable Sabi Marwah, qui présidait le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration, a prononcé une déclaration solennelle et historique dans cette Chambre, où il a exprimé des regrets aux victimes au nom de tous les sénateurs et de l’institution du Sénat dans son ensemble. Il s’agissait de la chose « honorable » à faire.

Par ailleurs, d’autres pas ont été faits en ce sens. On peut songer notamment aux compensations financières qui ont été versées aux victimes. On a également pensé à l’avenir en adoptant la nouvelle Politique du Sénat sur la prévention du harcèlement et de la violence et en développant des formations qu’ont dû suivre les sénateurs et les employés. Cela dit, je demeure convaincue que nous devons faire un dernier pas afin de compléter ce processus de réparation, et c’est ce que je vous propose de faire avec la motion que je présente aujourd’hui.

Honorables sénateurs, je suis bien consciente qu’il s’agit d’une procédure extraordinaire inédite depuis la création de ce Parlement en 1867. Or, elle a trait à des circonstances tout aussi extraordinaires dans la longue histoire de notre institution.

Nous sommes tous privilégiés de siéger dans cette Chambre et de porter le titre d’« honorable » à des fins honorifiques et protocolaires. Ce titre est d’ailleurs inscrit au sixième alinéa du Tableau des titres à employer au Canada, où il est stipulé que nous porterons ce titre à vie. Ce tableau fait partie des directives protocolaires de Patrimoine canadien pour faciliter l’organisation d’événements spéciaux auxquels différentes personnalités politiques de la scène fédérale ou provinciale sont invitées à participer.

Cela m’amène à vous poser la question suivante : qu’est-ce que l’honneur? En quoi une personne peut-elle vraiment être qualifiée d’« honorable » au-delà d’un titre officiel? Dans sa plus simple et juste expression, le dictionnaire Le Robert définit une personne honorable de cette façon : « qui est digne, estimable, respectable ». Dans un contexte parlementaire, ce même dictionnaire apporte cette précision : « qui attire la considération, le respect, la dignité ».

Ces caractéristiques se trouvent indirectement enchâssées dans notre commission de nomination. Celle-ci a été signée par le gouverneur général du Canada, conformément à la recommandation du premier ministre, en raison « de l’espoir et de la confiance particuliers » qu’ils ont exprimés à l’égard de chacun d’entre nous.

Dès lors, nous sommes réputés « honorables » pour la durée de notre mandat. Nous avons aussi le privilège de conserver ce titre jusqu’à la fin de nos jours, après notre retraite ou notre démission du Sénat. Ainsi, ce titre nous permet notamment d’assister à des cérémonies ou à des funérailles d’État aux côtés des sénateurs qui sont en fonction.

Honorables sénateurs, nous comprenons aussi que ce titre comporte des responsabilités et des obligations importantes. À cet égard, l’article 7.1 du Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs stipule que nous devons adopter une conduite qui respecte les normes les plus élevées de dignité et nous abstenir de tout acte qui pourrait déprécier la charge de sénateur ou l’institution du Sénat. L’article 7.2 énonce que nous devons exercer nos fonctions parlementaires avec dignité, honneur et intégrité.

Honorables sénateurs, deux rapports du conseiller sénatorial en éthique, l’un publié le 9 mars 2017 et l’autre le 28 juin 2019, ont déterminé que l’ancien sénateur Don Meredith avait contrevenu aux articles 7.1 et 7.2 de notre code. Il est inutile de rappeler les constats accablants de ces deux rapports. Cependant, nous devons tous nous poser très sérieusement la question suivante : comment se fait-il qu’un ancien sénateur lié à ces événements puisse conserver son titre d’« honorable »? Voudrions-nous vraiment le côtoyer lors de cérémonies d’État ou constater qu’il utilise toujours son titre dans le domaine public?

Chers collègues, nous avons souligné le 15 octobre dernier le cinquième anniversaire du mouvement #MoiAussi, qui a ramené au-devant de l’actualité des réflexions et des discussions que j’avais déjà lancées en février 2020. Ainsi, certains d’entre vous, dont la sénatrice Miville-Dechêne, qui appuie ma motion, m’ont récemment encouragée à aller encore une fois de l’avant, étant donné la reprise normale des délibérations du Sénat. Je tiens d’ailleurs à les remercier.

Cette motion répond également à un souhait exprimé par certaines victimes au cours de conversations privées qui se sont tenues avec moi ainsi qu’avec d’autres collègues. Hautement symbolique, il s’agit d’une mesure importante pour elles. Dans ce contexte, nous n’avons aucune autre option que celle d’inviter le premier ministre à demander à la gouverneure générale de prendre les mesures nécessaires pour révoquer le titre honorifique « honorable » de l’ancien sénateur Don Meredith.

N’oublions pas que, dans notre régime constitutionnel, seul le premier ministre peut recommander à la gouverneure générale la nomination d’un sénateur, ainsi que l’octroi du titre « honorable » associé à cette fonction. Il est donc la seule personne en autorité au Canada à pouvoir recommander à la gouverneure générale d’utiliser sa prérogative afin de retirer ce titre à Don Meredith.

Par conséquent, je sollicite votre appui pour parler d’une seule voix dans cette Chambre afin d’envoyer un message clair au premier ministre dès maintenant. Cette décision soulignera notre détermination à faire ce dernier pas dans cette affaire malheureuse qui nous a toutes et tous entachés.

Je vous remercie de la considération que vous porterez à cette motion et j’espère pouvoir compter sur votre appui.

L’honorable Julie Miville-Dechêne [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole brièvement aujourd’hui pour appuyer la motion de la sénatrice Josée Verner. Il est entendu que cette motion et le débat que nous tenons aujourd’hui n’ont aucun lien avec quelque procédure que ce soit, devant quelque tribunal que ce soit.

Je prends la parole à titre de sénatrice, bien sûr, mais aussi comme femme. Je ne doute pas que mes collègues masculins au Sénat partagent mon indignation, notre indignation, mais, en ce cinquième anniversaire du mouvement #MoiAussi, il est clair que les enjeux dont nous parlons maintenant résonnent particulièrement chez les femmes.

La question dont nous débattons aujourd’hui concerne uniquement le retrait du titre d’« honorable » de l’ex-sénateur Meredith. J’aimerais toutefois rappeler deux choses qui ne font pas l’objet d’un débat.

La première, ce sont les actions de Don Meredith qui ont mené au scandale, aux enquêtes et à sa démission du Sénat. Tout est décrit en détail dans les deux rapports du Bureau du conseiller sénatorial en éthique. Ce qu’on y trouve est révoltant — une espèce de manuel du tyran et de l’agresseur, convaincu d’être au-dessus des lois. Il ne faudrait pas laisser le passage du temps effacer le caractère grave et répugnant de ces gestes. C’est le minimum que nous devons aux victimes.

L’autre chose qui me semble indiscutable, c’est que Don Meredith a déjà perdu son honneur, du moins, à l’extérieur de cette enceinte. Ses gestes l’ont disqualifié de la considération du public. Il a souillé son nom et l’image du Sénat.

Pourtant, Don Meredith garde encore son titre d’« honorable ». Il s’agit d’une incohérence gênante et ridicule. Le Sénat n’a pas le pouvoir d’enlever ce titre. Il ne peut que presser le gouvernement de demander à la gouverneure générale de le faire.

À la base, je n’aime pas les titres qu’on accorde aux personnes en raison de leur fonction. Je note d’ailleurs que le Québec n’utilise plus ces titres parlementaires depuis 1960. Cette pratique rejoint mes préférences. Pour ma part, je n’ai jamais utilisé le titre d’« honorable », même si je crois évidemment à l’importance d’être honorable dans l’exercice de mes fonctions.

J’ajoute que ce serait une chose que de limiter l’utilisation de ces formules aux débats parlementaires, où ils peuvent contribuer à maintenir la civilité des échanges. Cependant, je n’ai pas beaucoup d’attachement pour ces titres quand ils sont utilisés à l’extérieur du Parlement.

C’est particulièrement le cas lorsqu’ils sont utilisés par des gens qui s’en sont montrés indignes. La conseillère sénatoriale en éthique du Sénat a constaté dans son rapport que Don Meredith a violé son obligation de maintenir, et je cite :

[...] une conduite qui respecte les normes les plus élevées de dignité […] et il doit s’abstenir de tout acte qui pourrait déprécier la charge de sénateur ou l’institution du Sénat.

Dans cette affaire, je pense que les faits parlent d’eux-mêmes.

Le processus d’enquête a été rigoureux et il s’est étalé sur quatre ans, ce qui est très long, trop long. Aujourd’hui, nous avons enfin une manière symbolique de boucler la boucle et de mettre un point final à cet épisode qui a nui à la réputation de notre institution.

Je vous exhorte, honorables collègues, à mettre cette question aux voix maintenant. Merci.

L’honorable Raymonde Saint-Germain

La sénatrice Miville‑Dechêne accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Miville-Dechêne [ + ]

Certainement.

Sénatrice, j’aimerais d’abord vous remercier et vous féliciter, de même que la sénatrice Verner, de votre initiative qui, je crois, est une initiative d’intérêt.

La sénatrice Verner, lors de son discours, a parlé d’un « processus extraordinaire, inédit dans l’histoire du Sénat », ce qui est vrai; cependant, parce que cela est vrai et nonobstant la noblesse de la cause et le désir profond que je pourrais moi-même avoir que ce que l’on souhaite voir arriver à cet ex-sénateur arrive rapidement, je crois quand même qu’il n’y a pas matière, ce soir, à priver des collègues qui veulent également intervenir dans le débat sur cette question et qui aimeraient peut-être s’assurer de la constitutionnalité de la motion que nous présentons.

Je pense qu’il n’y a pas de raison de les priver de cette occasion, alors, pourquoi donc cette précipitation à demander le vote maintenant?

La sénatrice Miville-Dechêne [ + ]

Nous avons eu cette discussion, la sénatrice Verner et moi. Comme vous le savez, c’est d’abord l’initiative de la sénatrice Verner, mais j’ai bien sûr immédiatement accepté de la seconder. Il s’agit d’un débat difficile. C’est un débat que nous ne voulons pas prolonger étant donné la nature des faits qui nous salissent tous un peu. L’idée n’est donc pas de tenir un débat long avec une pause en raison d’un ajournement du débat; il s’agit tout de même d’une histoire qui traîne et qui nous fait mal depuis longtemps. L’idée d’avoir un débat court où l’on s’entend tous est évidemment une idée qui me plaît.

Je comprends toutefois ce que vous nous dites. J’ai le sentiment, étant donné que cette affaire fait partie de notre histoire depuis longtemps, que les sénateurs se sont fait une idée. Après tout, est-ce si difficile de s’entendre sur le fait que le sénateur Meredith ne mérite pas son titre d’« honorable »? Cela tombe sous le sens. Les deux rapports que j’ai relus sont dévastateurs, et ce sont des rapports produits par notre conseillère sénatoriale en éthique, grâce à nos mécanismes internes. J’ai donc le sentiment que la question est relativement simple.

J’ai consulté des gens avant de rédiger ce texte, afin de m’assurer qu’il respectait les différents écueils juridiques possibles. Est-ce qu’il y a des problèmes constitutionnels? Je suis certaine que la sénatrice Verner a fait rédiger cette motion par un légiste qui a une formation. Je ne suis évidemment pas juriste, mais a priori je ne vois pas de problème constitutionnel. Voilà mon point de vue.

Je pense que, au nom du droit des sénateurs de s’exprimer sur une question aussi importante et au nom de la responsabilité que nous avons de nous assurer que ladite motion est constitutionnelle — encore une fois, ce n’est pas contre l’objectif à atteindre que je me prononce —, je propose l’ajournement du débat en mon nom.

Son Honneur le Président [ + ]

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Son Honneur le Président [ + ]

J’ai entendu un « non ». Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Son Honneur le Président [ + ]

Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Son Honneur le Président [ + ]

À mon avis, les oui l’emportent.

Son Honneur le Président [ + ]

Je vois deux sénateurs se lever. Y a‑t‑il entente au sujet de la sonnerie?

Son Honneur le Président [ + ]

Le vote aura lieu à 21 h 37. Convoquez les sénateurs.

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