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Projet de loi sur la diffusion continue en ligne

Projet de loi modificatif--Message des Communes--Motion d’adoption des amendements des Communes et de renonciation aux amendements du Sénat--Débat

20 avril 2023


Honorables sénateurs, je propose pour commencer quelques réflexions sur les obligations, les pouvoirs et les droits constitutionnels du Sénat, qui ont été redéfinis à point nommé dans le contexte d’un gouvernement qui ne cherche qu’à faire adopter son projet de loi.

Au Canada, les projets de loi doivent être approuvés par les deux Chambres. Nous sommes ici pour proposer des observations réfléchies sur les projets de loi, pour demander des comptes aux gouvernements et pour résister à l’accumulation inutile de pouvoirs par les gouvernements.

Nous ne sommes pas tenus par la loi ni par la Constitution de nous en remettre à la Chambre élue, qui a des droits et des pouvoirs, tout comme le Sénat.

Un second examen objectif n’est pas seulement une tournure de phrase, c’est une obligation que nous avons. Nos amendements ne sont pas le fruit des caprices d’un groupe de discussion désigné. Nous sommes des parlementaires. Nous sommes des membres d’une Chambre légitime ayant une voix légitime et une contribution valable à apporter. Nous ne devons pas simplement être tolérés, recevoir une tape dans le dos ou nous faire dire que nous avons fait du bon travail en comité, mais que nous devons maintenant retourner dans notre chambre.

À la Chambre élue, les députés ministériels ont fait fi du processus des comités et du processus de consultation. Leur arrogance était choquante. Nous n’avions pas d’autre choix que d’offrir aux Canadiens une voix et une tribune pour exprimer leurs préoccupations légitimes à propos de ce projet de loi sans précédent. Ces préoccupations ont été entendues, et nos amendements reposent sur ces témoignages.

Je suis profondément déçue que le gouvernement ait rejeté l’amendement le plus important. Les chiffres ne sont pas tout. Certes, le gouvernement a accepté certains de nos amendements, alors nous devrions les compter et nous en réjouir. Celui qui a été rejeté était essentiel au projet de loi. Nos collègues les sénatrices Miville-Dechêne et Simons, qui partagent bon nombre des préoccupations que d’autres personnes et moi avons à l’égard du projet de loi, ont proposé un libellé qui offrirait à une génération de créateurs de contenu l’assurance qu’ils ne seraient pas visés par les dispositions du projet de loi et, par extension, par les pouvoirs réglementaires et financiers du CRTC.

Le gouvernement a déclaré que les créateurs de contenu n’étaient pas censés être visés par le projet de loi. Nous lui avons proposé le libellé, mais il l’a explicitement rejeté. Les universitaires, les experts et, bien sûr, les créateurs de contenu ont dit craindre que le gouvernement puisse décider de réglementer l’ensemble de leur secteur aux termes des dispositions du projet de loi.

Si le gouvernement voulait vraiment s’assurer que les créateurs de contenu ne soient pas soumis aux dispositions intrusives du projet de loi, il devrait l’inscrire dans la loi.

Je pense que la justification du rejet du gouvernement, soit le document présenté par le sénateur Gold, révèle son véritable point de vue. Il veut avoir le pouvoir, aujourd’hui et à l’avenir, d’exercer un plus grand contrôle sur le contenu en ligne qui est, bien sûr, publié sur Internet.

Le message expliquant pourquoi l’amendement a été rejeté indique ceci :

… parce qu’il affecterait la capacité du gouverneur en conseil de tenir des consultations publiques et d’émettre des instructions en matière de politique à l’intention du CRTC afin d’établir la portée appropriée de la réglementation des services de médias sociaux en ce qui a trait à leur distribution d’émissions commerciales, et empêcherait le système de radiodiffusion de s’adapter aux changements technologiques au fil du temps;

Il est probable que vous ne puissiez comprendre ce que cela signifie sans avoir assisté aux dizaines, voire aux centaines d’heures de travail de notre comité, mais il s’agit d’un coup de force cynique. Avec tout le respect que je dois à la sénatrice Simons, il ne s’agit pas seulement d’une légère entrave à la liberté d’expression, mais d’une menace implicite. Le gouvernement n’avait peut-être pas l’intention de le faire, mais, par son langage, il nous a mis la puce à l’oreille et a avoué ce qu’il avait l’intention de faire depuis le début.

Il est clair aujourd’hui que le gouvernement veut pouvoir contrôler le contenu des utilisateurs qu’autorise le CRTC, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, et conserver ce pouvoir de réglementation à l’avenir. Ce pouvoir sera accordé au gouvernement en place et à tous les gouvernements qui suivront, leur donnant à tous la capacité de diriger la politique du CRTC sur, entre autres, le contenu canadien, sans même définir ce que cela signifie. Le gouvernement devrait avoir pour mission de promouvoir et de protéger les contenus sélectionnés. C’est donc incroyable qu’il puisse décider d’exclure d’autres contenus de la politique du CRTC.

Sans l’amendement du Sénat, le projet de loi vise toujours les baladodiffusions, les vidéos YouTube et les autres types de contenu qui n’ont pas encore été créés. Le gouvernement cherche à pouvoir réglementer de futures avenues ou de futurs types de contenu généré par les utilisateurs sans même avoir à passer par le Parlement, évitant ainsi les débats et les études. Comme des ministres l’ont déjà laissé entendre au cours de ce débat qui s’est étiré sur des années, ils veulent exercer un plus grand contrôle sur le contenu qu’ils pourraient désapprouver ou qu’ils souhaiteraient rendre moins accessible parce qu’il critique le gouvernement. Il ne s’agit pas d’une théorie du complot. C’est ce que certains ministres ont exprimé tout haut et publiquement.

Ce serait une erreur de penser qu’en imposant un fardeau réglementaire de plus en plus lourd aux services de diffusion en continu et aux créateurs de contenu — et en accordant au gouvernement en place la capacité de dicter la politique du CRTC pour contrôler le contenu — nous obtiendrons en quelque sorte un meilleur contenu et un plus grand accès à des sources diversifiées d’information. C’est plutôt l’antithèse de la liberté d’expression dans une société démocratique.

Imposer des quotas de contenu canadien par l’entremise du soi-disant concept de la découvrabilité représente également, en plus des préoccupations que j’ai déjà soulevées, des politiques ouvertement et exagérément protectionnistes qui avantageront un petit groupe et qui nuiront à la majorité. Cette approche va foncièrement à l’encontre du concept de l’Internet ouvert.

Je tiens à souligner la rigueur du travail accompli par mes collègues, que ce soit ici ou au comité, qui ont bien tenté de rendre le tout plus digeste pour les Canadiens, mais aussi plus juste et plus réaliste pour les créateurs de contenu. Le gouvernement a beau avoir rejeté le principal amendement de la Chambre de second examen objectif que nous sommes, je continue à croire que, si les véritables intentions du gouvernement se reflétaient vraiment dans ce texte, il aurait eu notre appui. Pour l’instant, ma conscience m’interdit de l’appuyer. Si ce que vous cherchiez, c’est un imprimatur démocratique, c’est ce que nous vous avons offert, puisque nous vous donnions l’occasion d’inscrire vos belles paroles et vos promesses dans la loi.

L’honorable Andrew Cardozo [ + ]

Honorables sénateurs, c’est un véritable plaisir pour moi de parler du projet de loi C-11 à l’occasion de son retour devant le Sénat. Ce texte législatif tombe à point et il est nécessaire, car il actualise la Loi sur la radiodiffusion, qui a été adoptée il y a plus de 30 ans, en 1991, c’est-à-dire à une époque où Internet en était à ses balbutiements et où la programmation n’était pas encore dans l’air du temps. Pour avoir travaillé avec la loi de 1991 il y a de nombreuses années, quand j’étais commissaire au CRTC, je suis très bien placé pour vous dire qu’elle a besoin d’être mise à jour.

A cette étape-ci, notre tâche consiste à étudier les 26 amendements proposés par le Sénat et les 20 auxquels la Chambre des communes a donné son aval plus tôt ce mois-ci. Selon moi, c’est beaucoup, 26 amendements. Cela dit, la Chambre a approuvé 77 % de ce que lui proposions.

Quelle que soit l’issue du vote au Sénat, le processus auquel a été soumis ce projet de loi illustre parfaitement le fonctionnement de notre système bicaméral dans de ce qu’il a de meilleur et de pire. Un ministre présente un projet de loi à la Chambre. Cette dernière le renvoie à son tour au comité concerné, qui y apporte plusieurs amendements. Une fois adopté par la Chambre, le projet de loi est renvoyé au Sénat. Au terme d’un second examen objectif, le Sénat propose de nouveaux amendements et renvoie la mesure à la Chambre. Les députés, qui sont des représentants élus, acceptent la plupart de nos amendements et le projet de loi est renvoyé au Sénat, qui doit voter sur la mesure après s’être penché sur les amendements acceptés ainsi que sur ceux qui ont été rejetés. À cette étape, le projet de loi est soit renvoyé à la Chambre, soit transmis à la gouverneure générale pour la sanction royale et la proclamation qui précèdent la prise d’effet.

Cela dit, ce processus est également un exemple parfait du haut niveau de démagogie politique qu’il a entraîné, notamment à cause des tactiques dilatoires et des tentatives de financement qu’il a suscitées pendant de nombreux mois. Cette mesure a entraîné un énorme degré de mésinformation et de désinformation, mais demeure néanmoins un cas intéressant parce qu’elle a donné lieu à une campagne massive en ligne au cours des derniers mois. Il s’agit soit d’une exception à la norme qui consiste à élaborer les politiques de manière constructive, soit de la nouvelle norme qui consistera plutôt à mener des campagnes extraparlementaires partisanes et clivantes en évacuant complètement le caractère constructif. Il est fort regrettable de constater que les faits sont de plus en plus remplacés par des tactiques alarmistes et polarisantes.

J’appuie l’adoption de ce projet de loi, car il est grand temps de moderniser cette vieille loi pour tenir compte du monde en ligne étant donné l’évolution rapide du secteur de la production audiovisuelle et la présence toujours croissante des géants mondiaux du Web. Ce projet de loi, tel que modifié, inclut la plupart des éléments nécessaires dans ce monde en ligne qui est devenu si omniprésent depuis aussi loin que 1991.

Voici les lignes de faille que je relève dans ce débat. La discussion se résume ainsi : voulons-nous un minimum de surveillance exercée par une entité agissant sous l’autorité du Parlement et d’un gouvernement élu démocratiquement ou voulons-nous d’un far west contrôlé par les géants du Web comme YouTube, Netflix et Amazon Prime? Voulons-nous voir le gouvernement et la démocratie canadienne en action ou voulons-nous laisser libre cours aux caprices toujours changeants de milliardaires étrangers qui ont prouvé qu’ils se soucient peu, voire aucunement des gens et de la société, et encore moins des Canadiens? Contrairement à un organisme public canadien, nous n’avons pas le moindre recours à l’égard de ces géants du Web.

Quoi qu’en disent les nombreux messages qui nous sont envoyés, qu’ils soient authentiques ou générés par des algorithmes, ce projet de loi ne menace pas le contenu généré par les utilisateurs. Il ne menace ni la liberté d’expression, ni la liberté de religion, ni cette nouvelle chose à la mode appelée « la liberté d’offenser » qui, je le crains, se transformera en « liberté de haïr », puis, bientôt, les gens réclameront la protection de ces soi-disant droits et libertés dans la Charte.

L’article 2 du projet de loi C-11 énonce explicitement que les utilisateurs de services de médias sociaux qui téléversent des émissions pour les transmettre à d’autres et qui ne sont pas affiliés au service ne seront pas assujettis à la réglementation et l’article 4 précise que la loi ne s’appliquera pas aux émissions téléversées vers une plateforme de médias sociaux par des utilisateurs non affiliés du service. Ces exclusions prévues aux articles 2 et 4 signifient que les utilisateurs de médias sociaux pourront transmettre leur contenu sans être réglementés par le CRTC.

En ce qui concerne la liberté d’expression, l’article 12 précise que le conseil doit agir d’une manière qui respecte la liberté d’expression dont jouissent les utilisateurs de médias sociaux.

À mon avis, le projet de loi n’a jamais visé à opposer le CRTC à la population. Jusqu’à quel point pouvons-nous être naïfs? Les géants du Web ont-ils complètement pris le contrôle de notre capacité à penser? Pensons-nous tous qu’ils sont innocents et blancs comme la neige et que la démocratie est l’incarnation du diable?

Soyons clairs. Lorsqu’on se penche sur le soutien au contenu en ligne, les chiffres qui proviennent des médias sociaux sont secrets et peuvent facilement être créés par des algorithmes entièrement manipulés par des robots et des trolls.

Comme nous sommes voisins des États-Unis, ce projet de loi porte plutôt sur le Canada, sur notre identité et sur ceux qui travaillent ici. Le Canada mène depuis longtemps un combat afin de bâtir sa propre culture et ses propres industries culturelles, et d’étendre ses auditoires culturels. Il porte sur notre pays, sur nos emplois et sur notre identité. Avec la croissance du monde numérique, ce combat est devenu plus urgent, pressant et difficile.

En tant qu’ancien commissaire du CRTC, j’aimerais dire un mot au sujet de cet organisme. Même si certains ont déjà cité un ancien président et un ancien commissaire national opposés au projet de loi C-11, je tiens à souligner qu’Ian Scott, le plus récent de ses anciens présidents et moi-même, un ancien commissaire national, l’appuyons sans réserve. Cela illustre parfaitement que le gouvernement nomme une variété de personnes à ce conseil. Cela démontre que le CRTC est une organisation dynamique connectée à la société et constituée de Canadiens aux opinions variées qui sont passionnés par les sujets qu’ils traitent. Ne me demandez surtout pas de commencer à m’exprimer avec passion sur ce sujet.

J’aimerais brièvement parler du processus décisionnel du CRTC. Il faut garder à l’esprit que les commissaires sont nommés par le gouvernement pour une période de cinq ans. Le site Web de l’organisation présente leur biographie et la durée de leur mandat respectif. Toutes les décisions du CRTC reposent sur des processus publics. D’ailleurs, tous les Canadiens peuvent y participer et exprimer leur point de vue. On ne parle pas de manigances secrètes, d’algorithmes incompréhensibles, de gouvernements étrangers, de partis politiques, ni de grandes multinationales.

En tant que sénateurs, nous avons la possibilité de rencontrer des lobbyistes jusqu’à la minute précédant un vote. Toutefois, les commissaires du CRTC doivent agir en toute transparence dans leurs discussions dès le premier jour d’une audience publique. Chaque élément de communication doit être rendu public — aucune conversation secrète.

J’aimerais vous raconter une anecdote qui est survenue quand je siégeais au CRTC, au tout début de mon mandat. C’était dans le cadre d’une audience pour une chaîne de télévision chrétienne avec deux entités concurrentes. La rivalité était intense. Laissez-moi vous dire que les parties ne faisaient pas preuve de charité chrétienne l’une envers l’autre. Contrairement à ce qu’enseigne la Bible, elles ne tendaient pas l’autre joue.

Il est arrivé au moins deux fois, pendant deux pauses, que des hommes me suivent dans les toilettes parce qu’ils voulaient attirer mon attention sur des points qu’il faudrait soulever pendant l’audience. J’ai dû leur expliquer que le lobbying devait avoir lieu dans le lobby, et non aux toilettes, et que s’ils me communiquaient des renseignements dans ces lieux, il me faudrait les divulguer à mon retour dans la salle d’audience. Il aurait pu être un peu embarrassant d’expliquer où et comment j’avais pris connaissance de ces renseignements.

J’étais au CRTC depuis peu et je ressentais le besoin de protéger ma réputation.

Le point à retenir, c’est que toutes les communications doivent être faites en public, au vu et au su de tous; on évite toute conversation secrète.

Cela dit, quand il s’agit de réglementer la technologie comme le prévoit la loi de 1991, la souplesse est essentielle. C’est en grande partie grâce à un article formulé en termes généraux que le CRTC a été en mesure de réglementer, et même de réglementer pour s’assurer que les Canadiens aient accès à Internet. L’alinéa 5(2)f) dit simplement ceci :

(2) La réglementation et la surveillance du système devraient être souples et à la fois :

f) permettre la mise au point de techniques d’information et leur application ainsi que la fourniture aux Canadiens des services qui en découlent;

Il s’agit d’une disposition qui a été introduite en 1991. Les gens n’avaient aucune idée de ce qu’allait être Internet et, pourtant, ces quelques mots, « permettre la mise au point de techniques d’information », ont permis au CRTC de réglementer Internet dans la mesure où il le fait en prenant des règlements subséquents.

Permettez-moi de vous donner un exemple concret de la façon dont la loi et les règlements peuvent faire avancer les choses. Il s’agit de l’exemple de la licence du Réseau de télévision des peuples autochtones, qui a été accordée lors d’une audition après 1998-1999.

La loi stipule au sous-alinéa 3(1)d)(iii) que le système de radiodiffusion doit refléter « la société canadienne ainsi que la place particulière qu’y occupent les peuples autochtones ».

C’est sur cette base que les candidats ont pu déposer leur demande, et c’est sur cette base que nous avons pu leur accorder une licence. Ensuite, on entre dans les détails, et c’est là que les règlements entrent en jeu, car nous devions prendre en compte trois types de contenu : le contenu canadien, le contenu francophone et la programmation autochtone. Il s’agissait d’une chaîne qui promettait de diffuser des programmes autochtones.

Si ces chiffres avaient été définis dans la loi, nous n’aurions pas pu faire ce que nous avons fait. Ce que nous avons fait, c’est élaborer une formule qui prévoit une grande proportion d’émissions autochtones — à peu près 90 % — et un contenu canadien un peu moins important que la normale parce qu’il n’y avait pas beaucoup d’émissions autochtones au Canada à l’époque. Il n’existait pas de système de télévision national et, par conséquent, il n’y avait pas beaucoup d’émissions autochtones produites au Canada.

Nous voulions également qu’il y ait des programmes en français, puisqu’il n’y aurait qu’une seule station. En ayant la possibilité de réduire le contenu canadien initialement, pour assurer la présence de contenu autochtone accessible dans le monde entier, nous avons pu leur donner une licence.

L’autre chose que nous avons pu faire, c’est de réglementer le mode de diffusion. D’une part, nous leur avons imposé une redevance obligatoire — c’est-à-dire que tous ceux qui reçoivent APTN devaient payer une redevance de 18 cents par mois — ainsi qu’une disponibilité obligatoire.

Aujourd’hui, chaque chaîne au Canada est soit payante, comme CBC News Network ou Sportsnet, soit obligatoirement diffusée, comme CBC ou CTV. Personne d’autre n’a les deux. Toutefois, comme il s’agissait de règlements, nous avons pu utiliser les deux pour fournir à APTN la licence qui garantissait sa viabilité.

Voici ce qu’il en est de la loi et de sa réglementation. Si on incluait toute la réglementation dans la Loi sur la radiodiffusion, d’une part la loi serait beaucoup plus longue, et, d’autre part, il serait presque impossible de la modifier pour tenir compte de l’évolution de la technologie et des besoins des Canadiens.

Autrement dit, les lois du Canada qui découlent de l’adoption d’une mesure législative par la Chambre des communes et par le Sénat tendent à demeurer en place pendant 15, 20 ou 25 ans peut-être — dans le cas qui nous intéresse ici, il s’agit de 30 ans. Les règlements pris au terme de consultations exhaustives sont plus faciles à modifier et à mettre à jour.

En conclusion, je tiens à dire ceci : une fois que le projet de loi C-11 sera adopté et que son intention sera claire et définitive, les consultations auront lieu et il sera possible de prendre des règlements. J’estime que ce projet de loi établit un équilibre juste et logique entre ce qui figure dans la loi et ce qui figurera dans la réglementation. Plus il y aura de détails dans la loi, moins il y aura de marge de manœuvre pour tenir compte de l’évolution de la technologie et des besoins des Canadiens.

J’aurais souhaité aborder quelques autres points, notamment au sujet des propos de certains députés et des promesses de certains partis politiques à l’égard de ce projet de loi, mais je dois m’arrêter ici faute de temps. Merci.

L’honorable Leo Housakos [ + ]

Le sénateur Cardozo acceptera-t-il de répondre à une question?

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Comme hier, le temps dont nous disposons est presque écoulé.

Le sénateur Housakos [ + ]

Je lui poserai ma question plus tard, en privé, autour d’une tasse de café.

L’honorable Brent Cotter [ + ]

Honorables sénateurs, je souhaite parler brièvement en faveur du message du Sénat concernant le projet de loi C-11, auquel le sénateur Tannas a proposé une modification au libellé qui, d’après ce que je comprends, a été approuvée par le représentant du gouvernement.

Même si j’aurais préféré que l’autre endroit appuie tous les amendements que le Sénat a proposés au projet de loi C-11, à mon avis, le fait qu’elle a accepté la majorité de ces amendements et qu’elle a pris, ou exprimé, un engagement plus ferme envers l’indépendance du contenu généré par les utilisateurs répond aux attentes légitimes de cette assemblée.

Mes remarques porteront moins sur le projet de loi en tant que tel — le sénateur Cardozo ayant très bien répondu aux questions à cet égard — que sur le rôle institutionnel du Sénat, de même que les limites de son autorité aux termes du cadre constitutionnel — du partenariat, si on peut dire — entre notre assemblée, l’autre endroit et les Canadiens.

Permettez-moi de commencer par une métaphore. Nous sommes nombreux à vivre une relation amoureuse. Dans le cadre d’une telle relation, je voudrais que vous imaginiez que vous avez convenu de laisser votre partenaire ou conjoint décider où vous prenez vos vacances chaque été. Cette année, votre conjoint ou partenaire vous informe que vous passerez vos deux semaines de vacances à l’Île‑du-Prince-Édouard. Vous l’écoutez, mais vous lui dites que vous préféreriez passer deux semaines à Regina.

Votre conjoint ou partenaire vous donne la réponse suivante : « D’accord, j’ai écouté. Je vais modifier le plan. Nous passerons une semaine à l’Île-du-Prince-Édouard et une semaine à Regina. Puisque tu aimes tant la plage, nous louerons un chalet près de l’océan. » Vous entendez la réponse et vous répondez : « Non, je veux vraiment que nous passions deux semaines à Regina. » Sans surprise, votre conjoint ou partenaire répond : « Quelle partie de “c’est moi qui décide où nous allons en vacances” n’as-tu pas comprise? »

Plus important encore, cette façon de prendre ou de ne pas prendre des décisions peut mettre la relation à rude épreuve et finir par la compromettre.

Dans le contexte qui est celui de la relation — ou du partenariat institutionnel — entre le Sénat et l’autre endroit, les questions de cette nature sont autrement plus conséquentes. Quant à savoir qui des deux a le dernier mot, l’accord entre les deux Chambres est profondément ancré dans la Constitution. Il ne s’agit donc pas d’une négociation entre les dirigeants des deux institutions, mais d’un accord issu de l’architecture constitutionnelle du pays. Le cadre à l’intérieur duquel évolue cette relation est donc non négociable.

Pour ce qui est de savoir qui décide et combien de fois le partenaire qui n’a pas le pouvoir de prendre la décision finale peut dire « non, moi je veux aller à Regina », quelques éléments peuvent guider notre réflexion.

Je suis loin d’être un spécialiste, alors je me suis fié à d’autres qui connaissent mieux cette grande question que moi. Commençons par remercier ceux qui doivent l’être. Le magnifique ouvrage Réfléchir sur notre passé pour aborder notre avenir, par la sénatrice Seidman et l’ancien sénateur Joyal, permet de mieux comprendre le Sénat et ses pouvoirs, mais aussi les limites à ses pouvoirs. Emmett Macfarlane a publié dernièrement un livre sur le Sénat portant le titre plus ou moins élégant de Constitutional Pariah. Je me suis également reporté à l’arrêt rendu en 1914 par la Cour suprême du Canada à la suite du renvoi sur la réforme du Sénat ainsi qu’à divers documents que la Bibliothèque du Parlement a réunis pour moi et qui traitaient de l’étendue des pouvoirs de la Chambre haute et analysaient la doctrine de Salisbury. Les employés du sénateur Quinn se sont aussi penchés sur la question, et j’ai pu profiter de leurs travaux.

Par ailleurs, je recommande ces lectures et probablement la lecture d’autres documents d’information, et j’aurais aimé en prendre connaissance dès mon arrivée au Sénat.

Le principe relatif à Salisbury — que je ne mentionnerai que brièvement — a une histoire très précise à la Chambre des lords britannique, mais il se résume ainsi : la Chambre haute doit faire preuve de déférence à l’égard des politiques et du programme législatif de l’assemblée élue, en particulier si ces derniers faisaient partie d’un programme électoral envers lequel le parti au pouvoir s’était engagé.

J’en viens maintenant à mes arguments. Je ne soutiendrai pas que le principe de Salisbury est une convention entièrement applicable à notre cadre, mais plutôt qu’il offre une orientation sur ce que j’appellerai l’autorité démocratique limitée d’une Chambre non élue du Parlement.

Bien plus profondément que mon objection permanente aux vacances à l’Île-du-Prince-Édouard, l’objection permanente à la volonté de l’autre Chambre remet en question la relation elle-même, et il est utile de garder à l’esprit que la structure de la relation est en fait un accord collectif entre les parlementaires et les personnes qu’ils représentent, et c’est à nos risques et périls que nous y dérogeons.

L’argument de base qui constitue implicitement le fondement de cet accord est que la volonté de l’assemblée élue représente essentiellement la volonté du peuple. Et si la volonté de l’assemblée élue fait fausse route, il existe un mécanisme politique — les élections — grâce auquel les membres de l’assemblée élue et le gouvernement qui dirige cette assemblée peuvent être tenus de rendre des comptes. On ne peut pas dire que ce soit le cas de cette enceinte dont les membres ne sont pas élus.

J’ai un autre point à soulever à propos de ce raisonnement, mais je tiens à formuler, à ce stade, deux observations qui me semblent très pertinentes dans le cadre du Sénat.

Nous jouissons d’une latitude relativement à la reddition de comptes et d’un degré d’indépendance qui sont très différents de ceux l’autre endroit, et différents de ceux de presque toutes les autres institutions publiques du pays. Comme il en a été question hier lors de la discussion sur la question initialement soulevée par le sénateur Downe, la combinaison du principe du privilège parlementaire, des attentes à l’égard des sénateurs selon lesquelles ils doivent s’exprimer avec audace et fermeté et du pouvoir limité du Président de réglementer les observations confère aux sénateurs un degré d’indépendance remarquable.

Sur ce point, certains ont fait valoir que cela élargissait pour ainsi dire nos « libertés ». À mon avis, c’est le contraire. Cette situation nous oblige non pas à étendre la portée de notre latitude vis-à-vis de la contrainte, mais à autoréguler ce pouvoir dans l’intérêt de l’institution et par respect pour celle-ci.

Cela s’applique aussi aux décisions que le Sénat doit prendre comme institution, par exemple s’il doit continuer de faire pression sur la Chambre des communes pour qu’elle adopte les amendements au projet de loi C-11 qu’elle a rejetés. Autrement dit, il insisterait pour passer ses vacances à Regina.

Ma deuxième observation est la suivante : si le Sénat non élu cherche à imposer sa volonté de façon plus musclée — en se livrant, disons, à un « troisième examen objectif » motivé surtout par des convictions politiques —, cela pourrait avoir un effet boomerang. En effet, à un moment donné, il y aura un changement de gouvernement. Certains espèrent que cela se produira bientôt.

Le sénateur Cotter [ + ]

D’autres, en revanche, espèrent que cela se produira plus tard, voire jamais.

Le sénateur Cotter [ + ]

Quoi qu’il en soit, ce jour arrivera. À ce moment-là, le chef de l’opposition se rendra de l’autre côté pour occuper un autre siège au Sénat; le leader du gouvernement fera probablement le chemin inverse pour occuper un siège de l’opposition ou d’un autre groupe. J’imagine qu’ils s’arrêteront au milieu de la salle pour échanger leurs cartables. Le chef de l’opposition remettra son cartable de questions et de critiques, et le leader du gouvernement remettra son cartable de réponses ou, comme le sénateur Plett le dirait, de « non-réponses ».

À ce moment-là, un Sénat plus musclé, plus axé sur la confrontation et moins tenu de rendre des comptes aura toute la liberté, en s’appuyant sur ce précédent potentiel, d’entraver inlassablement les initiatives du nouveau gouvernement.

Par conséquent, pour les sénateurs qui ont envie de s’opposer à la volonté de l’assemblée élue dans ce cas-ci — et, en toute honnêteté, je serais moi-même tenter de le faire sur un ou deux points —, il est important de penser aux conséquences négatives à long terme de l’approche qu’ils souhaitent peut-être ardemment adopter aujourd’hui, mais qu’ils pourraient regretter.

Mon dernier point porte sur le lien établi entre la « volonté du peuple » et une initiative en particulier. Je chercherai à déterminer si ce lien est bien réel ou s’il est plutôt ésotérique, puisqu’il est fondé sur le seul fait qu’un gouvernement donné a été élu — à certains égards, c’est le talon d’Achille du principe de Salisbury.

Pouvons-nous citer une initiative particulière et prouver que cette initiative est liée à la volonté du peuple? Il n’y a pas de preuve irréfutable, mais il existe au moins une preuve tangible si un gouvernement, lors de sa campagne électorale, s’est engagé à prendre une initiative, s’il a été élu et s’il met en œuvre cette initiative.

Ainsi, en plus du principe général, plus le cœur d’une initiative du gouvernement est proche d’un engagement électoral, plus il est justifié de respecter la volonté de l’autre endroit.

C’est le cas ici. L’engagement de réformer la Loi sur la radiodiffusion faisait partie du programme électoral de 2021 du parti au pouvoir, et du discours du Trône.

En conclusion, le Sénat a fait son travail. Nous avons examiné cette mesure législative en long et en large, comme nous l’avons presque tous indiqué, tant au sein du comité qu’ici dans cette enceinte. Nous avons proposé une série de considérations réfléchies, dont bon nombre ont été adoptées, et certaines ont été rejetées. Nous avons préparé un modeste « troisième examen objectif » non législatif.

Notre travail, dans les limites de notre pouvoir constitutionnel, a été fait et bien fait. Il ne serait pas judicieux, à mon avis, d’aller plus loin, de résister davantage, car nous dépasserions, selon moi, les limites de notre pouvoir institutionnel. Nous devrions souligner ce bon travail et féliciter ceux qui sont derrière et qui nous ont convaincus d’adopter les amendements proposés par le Sénat et de dire oui à la version modifiée de ce message. Entendons-nous donc pour passer nos vacances à l’Île-du-Prince-Édouard. Merci beaucoup.

Le sénateur Housakos [ + ]

Le sénateur Cotter accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Cotter [ + ]

Oui.

Le sénateur Housakos [ + ]

Je vous remercie. Je tiens à rappeler qu’il est écrit noir sur blanc dans la Constition que vous invoquez que, lorsque nos ancêtres ont créé le Sénat, il avait les mêmes pouvoirs, privilèges et prérogatives que la Chambre des communes, comme l’exige le régime de Westminster.

Nous devons aussi garder à l’esprit, chers collègues, que, quand le Sénat a été créé, le « père de la Confédération », John A. Macdonald, a clairement dit qu’il serait indépendant de l’autre endroit et qu’il devait être le porte-voix de ceux qui n’étaient pas représentés adéquatement à l’autre endroit.

Un premier ministre après l’autre — et je pourrais vous donner des tonnes d’exemples, à commencer par l’ancien premier ministre Chrétien et même l’ancien premier ministre Harper, qui avait pourtant du mal à reconnaître la légitimité de notre institution —, tous ont répété que, lorsqu’un gouvernement élu pose un geste qu’un grand nombre de Canadiens jugent odieux, c’est au Sénat d’intervenir et de faire entendre leur voix, car il a la légitimité pour ce faire.

Voici ma question : je dois admettre que votre intervention m’a beaucoup inquiété. Si le Sénat a perdu une bonne partie de sa légitimité aux yeux de la population depuis quelques dizaines d’années, c’est sans doute parce qu’elle se demandait si celui-ci n’était pas au fond qu’un club de débat plus prestigieux que les autres et une chambre d’écho.

Le sénateur Cotter [ + ]

Je ferai deux observations, si vous le permettez sénateur Housakos.

Premièrement, il est fort probable que, à un certain moment dans l’avenir, quelqu’un fasse des observations comme celles que vous venez de faire et que vous répondiez exactement comme je le fais.

Deuxièmement, j’estime très discutable votre argument selon lequel une affirmation continue du pouvoir parlementaire par une assemblée non élue est un moyen d’améliorer la confiance du public dans l’institution que constitue le Sénat. Merci.

L’honorable Percy E. Downe [ + ]

Je remercie le sénateur Cotter de son intervention. Je tends à souscrire à la plupart de ses observations. Cela dit, je suis sûr qu’il n’a pas fait exprès de ne pas expliquer plus en détail tous les rôles que le Sénat a joués au fil des années.

Il y a de nombreux exemples de situations où le Sénat a rejeté la proposition de la Chambre des communes. Le meilleur exemple est probablement l’engagement que le gouvernement conservateur a pris avant les élections de 1993 à l’égard de l’aéroport de Toronto. L’opposition libérale a promis que, si elle était élue, elle allait annuler cette décision. M. Chrétien a remporté les élections, et son gouvernement était majoritaire à la Chambre des communes. La Chambre a adopté les changements proposés pour annuler la décision. Le projet de loi a ensuite été renvoyé au Sénat, et les sénateurs libéraux ont eux aussi voté contre la proposition, car ils voyaient cela comme une loi rétroactive.

Le parti de l’opposition a pris un engagement électoral, il a remporté les élections et il a tenu parole, mais le Sénat a rejeté la proposition de la Chambre des communes tout de suite après les élections.

Il y a des exceptions à toutes les règles. J’estime que ce n’est pas toujours nécessaire, mais il y a des situations où le Sénat devrait s’opposer à la volonté de la Chambre des communes.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Sénateur Downe, avez-vous une question?

Le sénateur Downe [ + ]

Êtes-vous du même avis?

Le sénateur Cotter [ + ]

J’ai compris la question. Je suis un peu troublé que quelqu’un de votre province n’ait pas au moins souligné la métaphore que j’ai utilisée. Cela dit, je ne suis guère un expert — puis-je terminer ma réponse?

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Honorables sénateurs, y a-t-il consentement pour accorder au sénateur Cotter le temps de terminer sa réponse?

Le sénateur Cotter [ + ]

J’ai deux brèves observations à formuler, sénateur Downe, et je vous remercie de vos réflexions. Dans mes recherches, qui n’étaient pas absolument exhaustives, j’ai trouvé deux exemples. Vous en avez cité un, et l’autre exemple est celui de l’accord de libre-échange. J’accepte l’idée qu’il puisse facilement y avoir des exceptions, mais, à mon avis, il doit s’agir d’exceptions vraiment très importantes. Je ne pense pas que ce soit le cas ici. Merci.

L’honorable Pierre J. Dalphond [ + ]

Honorables sénateurs, j’imagine que le moment est venu pour moi de prendre la parole, puisque les discours précédents mènent à ce que je vais dire. Je devrais peut-être dire : « C’est au tour du juge. »

Honorables sénateurs, aux termes de la Loi constitutionnelle de 1867, les deux Chambres doivent s’entendre sur le libellé d’un projet de loi avant que ce dernier puisse être envoyé à Rideau Hall pour la sanction royale en vue de son entrée vigueur.

Lorsque les deux Chambres travaillent de façon réellement indépendante, il est possible que la Chambre à laquelle est renvoyé un projet de loi après son étude dans la Chambre d’où il émane arrive à la conclusion, après son étude, que le projet de loi doive être amendé.

Évidemment, le Règlement du Sénat contient des dispositions qui s’appliquent dans une telle situation. Celles-ci se trouvent au chapitre 16, intitulé « Messages au Sénat et rapports avec la Chambre des communes ». Le Règlement parle des échanges de messages entre les deux Chambres et de la façon de traiter ces messages.

Vous le savez, nous avons apporté 26 amendements au projet de loi C-11 adopté par la Chambre des communes et nous avons envoyé un message à l’autre endroit pour l’en informer. Le gouvernement a passé en revue ces amendements et a proposé d’en adopter 18 tel quel et 2 avec des modifications et de rejeter les 6 autres. Après délibération, la majorité des députés — les élus de trois partis — ont accepté la proposition du gouvernement minoritaire et un message a été envoyé au Sénat pour nous en informer.

Dans une telle situation, l’article 16-3(2) prévoit que le Sénat peut accepter le message de la Chambre des communes ou insister — je le répète, insister —, sur un ou plusieurs de ses amendements, malgré le rejet initial de ceux-ci par la Chambre. À mon avis, le Sénat ne devrait insister sur un amendement rejeté que dans des circonstances très précises, compte tenu du rôle de chaque Chambre et de la relation qu’elles doivent entretenir en vertu de la Constitution.

En d’autres termes, à ce stade-ci du processus parlementaire, nous devons adopter une approche fondée sur des principes et ne pas nous fier à nos opinions politiques, économiques, sociologiques, ou autres, sur le projet de loi.

En ce qui concerne le rôle du Sénat dans notre démocratie, la Cour suprême du Canada a déclaré dans le Renvoi relatif à la réforme du Sénat qu’en vertu de la Constitution, notre rôle était celui d’un « organisme législatif complémentaire chargé de porter un second regard attentif aux projets de loi ».

La Cour en est arrivée à cette conclusion parce qu’en vertu de la Constitution, les députés doivent être élus, tandis que les sénateurs sont nommés par la Couronne. Ainsi, seuls les députés sont tenus de rendre des comptes aux électeurs sur les projets de loi que le Parlement est susceptible d’adopter.

Dans un article détaillé sur le sujet, publié en 2019 dans le National Journal of Constitutional Law, le sénateur Harder a écrit que le Sénat doit :

[faire] preuve de retenue par rapport aux projets de loi mettant en œuvre la plateforme électorale du gouvernement lorsque ceux-ci ont reçu l’aval de la Chambre des communes, conformément aux principes sous-jacents de la Convention de Salisbury (ce qui n’exclut aucunement des amendements qui amélioreraient le projet de loi).

 — et —

[...] comme le veut la tradition, qu’il respecte la volonté de la Chambre lorsque celle-ci a refusé, modifié, ou adopté certains amendements du Sénat, mais pas tous; [...]

Je suis d’accord. Je suis toujours d’accord avec le sénateur Harder. S’il en était autrement, on se trouverait à remplacer notre démocratie par une oligarchie dont les membres sont nommés. Ainsi, les opinions politiques d’un sénateur indépendant ne devraient pas être une raison suffisante pour insister sur l’adoption d’un amendement. De plus, selon notre Constitution, les tribunaux sont les arbitres ultimes dans les débats sur l’étendue des droits protégés par la Charte canadienne des droits et libertés ou sur la répartition des pouvoirs entre le Parlement du Canada et les provinces. C’est pour cette raison que, lorsque l’étendue des droits garantis par la Charte n’est pas clairement établie, nous devons nous adresser aux tribunaux pour qu’ils rendent une décision à ce sujet. Par ailleurs, les cas où nous devrions insister sur un amendement parce qu’il correspond à l’idée que nous nous faisons de l’étendue du droit en question sont rares, voire inexistants.

À l’occasion de l’étude du projet de loi C-45 sur la légalisation du cannabis, et après avoir consulté de nombreux précédents et lu beaucoup d’auteurs, j’ai offert une grille d’analyse en cinq questions que je me permets de reprendre.

Premièrement, le rejet d’un amendement, s’il est accepté, entraînera-t-il l’adoption d’une loi qui constituera une violation manifeste ou très probable de la Constitution ou de la Charte des droits et libertés? Si la réponse n’est pas évidente, il faut laisser aux tribunaux la mission de répondre à cette question.

Deuxièmement, l’objet du projet de loi a-t-il été un enjeu de la campagne électorale pour le gouvernement, ou s’agit-il plutôt d’une question extrêmement controversée pour laquelle le gouvernement n’a pas reçu de mandat lors des dernières élections?

Troisième question : la preuve faite devant les Chambres démontre-t-elle que les assises pour rejeter un amendement sont clairement mal fondées et que le message reçu est manifestement déraisonnable sur ce point?

Quatrième question : le rejet de l’amendement démontre-t-il que la majorité des députés veut porter atteinte aux droits d’une ou de plusieurs minorités? Démontre-t-il un mépris des droits linguistiques ou favorise-t-il une région au détriment d’une autre?

Cinquième et dernière question : le message de la Chambre des communes écarte-t-il un amendement visant à prévenir des préjudices irréparables à l’intérêt national?

À mon avis, vu la réponse aux cinq questions que je viens d’énumérer, le message concernant le projet de loi C-11 ne justifie d’insister sur aucun des amendements rejetés. En réponse à la première question, je ferai remarquer que le rejet d’aucun des six amendements n’entraînera de violation manifeste de la liberté d’expression. Je reconnais que Michael Geist, un expert du droit d’Internet de l’Université d’Ottawa, exhorte le Sénat à insister sur l’amendement lié au contenu généré par les utilisateurs. Dans sa lettre d’opinion publiée le 11 avril dans le Globe and Mail, M. Geist dit :

Les pouvoirs de réglementation conférés par le projet de loi C-11 risquent de mener à la rétrogradation de contenu généré par les utilisateurs dans le fil des abonnés, rendant ces voix plus difficiles à trouver.

Toutefois, dans la même lettre d’opinion, M. Geist confirme que le projet de loi C-11 ne censurera personne.

Le débat sur le projet de loi C-11 se caractérise par un discours survolté dans les deux camps : certains soutiennent que le projet de loi n’aura pas d’incidence sur le contenu généré par les utilisateurs alors qu’il est évident qu’il en aura, tandis que d’autres insistent pour dire qu’il censurera ce que les Canadiens peuvent dire en ligne, alors que ce n’est pas le cas.

En ce qui concerne le rejet de l’amendement proposé par les sénatrices Simons et Miville-Dechêne, une chose importante à considérer, selon moi, est que tout éventuel règlement du CRTC régissant le contenu des médias sociaux devra d’abord franchir les étapes d’un processus officiel — comme nous en informe le sénateur Cardozo — qui prévoit notamment la publication du projet de règlement de même que des occasions, pour les parties intéressées, de faire valoir leur point de vue.

Il y a aussi un niveau supplémentaire de surveillance du fait que le gouverneur en conseil peut donner des instructions au CRTC et que celles-ci doivent être d’application générale. Ces balises nous protègent contre les propositions sur la liberté d’expression qui pourraient aller trop loin. De plus, tous les règlements à venir devront se conformer à la Charte canadienne des droits et libertés et seront sujets à contestation devant un tribunal fédéral. Les tribunaux fédéraux seront toujours là et continueront de former un rempart supplémentaire pour la protection des droits. J’en conclus donc que le rejet des six amendements ne constitue pas une violation claire de la Charte.

Passons à la deuxième question : ce projet de loi aborde-t-il un sujet extrêmement controversé à propos duquel le gouvernement n’a pas reçu mandat d’agir? La réponse est bien évidemment non. Le projet de loi C-11 figurait dans la plateforme électorale d’au moins trois partis politiques aux deux derniers scrutins et, dans le contexte minoritaire qui est le nôtre, il a été adopté par une majorité de députés représentant ces trois partis.

Ma troisième question porte sur les données et la documentation fournies aux deux Chambres : permettent-elles d’établir de manière non équivoque que le rejet de tel ou tel amendement est manifestement déraisonnable? En fait, ce serait même le contraire. Selon ce qu’on en sait, les principales parties intéressées approuvent le gouvernement d’avoir rejeté le plus important des amendements à avoir été mis de côté.

Après avoir reçu le message du Sénat, le gouvernement a répondu que l’amendement en question l’empêcherait de mener des consultations publiques et de donner des instructions au CRTC afin qu’il définisse adéquatement la porte des règlements encadrant les composantes des réseaux sociaux ayant trait aux programmes commerciaux et pourrait empêcher le système de radiodiffusion de s’adapter aux changements technologiques à venir.

En outre, je note que la position privilégiée par l’autre endroit, telle qu’elle a été proposée par le gouvernement, est soutenue par la Coalition pour la diversité des expressions culturelles (CDEC). Située à Montréal, cette organisation représente 360 000 créateurs francophones et anglophones et 2 900 entreprises du milieu culturel canadien.

Le 31 mars dernier, après l’adoption par les députés du message proposé par le gouvernement, le coprésident de la CDEC, Bill Skolnik, a déclaré ceci, et je cite :

Dans un climat acrimonieux et marqué par la désinformation, nous saluons le travail et le courage des élu(e)s qui, depuis deux ans, appuient sans relâche le secteur culturel et veillent à la pérennité de notre souveraineté culturelle.

Hélène Messier, coprésidente du même organisme, a pour sa part indiqué ce qui suit, et je cite :

Au cours des derniers mois, les sénateurs et sénatrices se sont livrés à une analyse rigoureuse du projet de loi, lui apportant certaines améliorations. Nous saluons leur travail, mais les invitons aujourd’hui à prendre acte des décisions des élu(e)s et à faire cheminer, le plus rapidement possible, le projet de loi dans son état actuel vers la sanction royale.

Enfin, l’Association des professionnels de l’édition musicale du Québec a déclaré ce qui suit dans un communiqué de presse :

Les députés ont accepté certaines améliorations proposées par le Sénat, tout en rejetant certains amendements rédigés de manière problématique [...]

Donc, dans ce cas-ci, la preuve n’indique pas que la position du gouvernement n’est pas soutenue.

Je passe à la quatrième question. Le rejet de certains amendements est-il indicatif d’un mépris à l’égard de groupes minoritaires, de droits linguistiques ou d’une région? Manifestement pas. Le but de ce projet de loi est de favoriser l’expression des groupes minoritaires et de leur accorder une place dans le monde des médias virtuels.

Enfin, la Chambre a-t-elle rejeté un amendement du Sénat visant à prévenir des torts irréparables à l’intérêt national? Rien dans ce que j’ai entendu ne me permet de conclure que l’on pourrait répondre oui pour l’un ou l’autre des six amendements. Rien ne permet d’affirmer que l’adoption de ce message causerait des torts irréparables à l’intérêt national.

En somme, notre rôle constitutionnel consiste aujourd’hui à accepter ce message et à renvoyer le projet de loi C-11 à Rideau Hall pour qu’il reçoive la sanction royale.

Merci beaucoup. Meegwetch.

L’honorable Andrew Cardozo [ + ]

J’ai une petite question. Merci, sénateur Dalphond. Vos explications, ainsi que celles du sénateur Cotter, sont très intéressantes. Toutefois, vous avez tous les deux mentionné qu’il fallait adopter ce projet de loi même si on ne l’aime pas et que cette pilule est dure à avaler. Que faire alors si l’on est satisfait du message de la Chambre des communes? Est-il toujours approprié de le soumettre au vote? Ne vaudrait-il pas mieux éviter toute cette discussion très intéressante?

Le sénateur Dalphond [ + ]

Je suppose que c’est un peu comme dans les tribunaux. Le premier critère est celui de l’impression générale. Si elle est bonne, je suis porté à favoriser la réponse. Toutefois, ce n’est pas le critère à appliquer dans ce cas.

Ce qui importe dans le cas présent, c’est de respecter ce que nous dicte notre rôle constitutionnel pour faire suite à ce message. Certains aiment le message, d’autres non, mais ce n’est pas la réponse à fournir.

La réponse à fournir est de déterminer si, après analyse, nous avons l’autorité constitutionnelle de dire non et d’insister sur un ou plusieurs amendements. La réponse, comme j’ai tenté de l’expliquer dans mon discours, est qu’il n’y a aucune raison qui justifie d’insister sur l’un ou l’autre des six amendements rejetés. Merci.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet de la réponse du gouvernement aux amendements proposés par le Sénat au projet de loi C-11.

Chers collègues, après des mois de réunions du comité sénatorial et le témoignage de 140 personnes, comme l’a souligné plus tôt le sénateur Housakos, dont des Canadiens qui, de leur propre aveu, n’avaient jamais témoigné devant un comité parlementaire, nous avons la réponse du gouvernement aux amendements que le Sénat a proposé.

Cette réponse est claire et est la suivante : le gouvernement n’a que faire des préoccupations graves soulevées par les personnes venues témoigner devant le Comité sénatorial des transports et des communications.

Bien sûr, le gouvernement a fait de belles affirmations pour dire qu’il écoutait et qu’il avait soigneusement étudié les amendements du Sénat. Lorsqu’il s’est exprimé sur la question, le ministre Rodriguez a prétendu que le gouvernement acceptait la majorité des amendements. Si on fait le calcul, cette affirmation semble être techniquement vraie.

Or, si on prend en compte l’essence des amendements acceptés par le gouvernement, on constate qu’il a rejeté tous les amendements plus substantiels proposés par le Sénat.

La vérité, c’est que, dans sa réponse, le gouvernement a jugé tolérables les amendements qui n’avaient pas d’incidence réelle sur le projet de loi. Si un amendement allait avoir une incidence importante sur le projet de loi, il a été rejeté par le gouvernement.

C’est l’essence de la réponse du gouvernement et je sais que de nombreux Canadiens sont très déçus.

Lorsque le ministre a comparu devant le Comité des transports et des communications le 22 novembre dernier, il a fait la déclaration suivante :

Je suis né avec l’esprit ouvert [...] alors [...] Le principe général est que nous sommes ouverts à [...]

 — des amendements —

[...] mais ce projet de loi a été proposé après de nombreuses consultations sur l’ancien projet de loi, le projet de loi C-10, que vous avez aussi étudié. À présent, le projet de loi C-11 a été étudié, et il y a eu des consultations à l’échelle du pays. Vous avez accueilli quelque 120 témoins, ce qui est incroyable. Vous avez fait un travail incroyable. Nous croyons que ce projet de loi est bien équilibré, mais nous sommes, évidemment, prêts à examiner [des] amendements.

Je pense que le mot clé dans cette réponse est que le ministre et le gouvernement étaient prêts à « examiner » les amendements. Cependant, certains sénateurs sont probablement mécontents du fait qu’ils ont consacré très peu de temps à cet examen.

Le rejet de certains des amendements de fond du Sénat par le gouvernement révèle que nous avons un gouvernement qui n’est tout simplement pas disposé à entamer un dialogue sérieux avec les Canadiens qui ont des préoccupations fondamentales au sujet du projet de loi.

Chers collègues, nous devons à nouveau nous rappeler que les amendements de fond qui ont été proposés en relation avec le projet de loi C-11 ont été proposés après que le comité a entendu un nombre presque sans précédent de témoins sur cette mesure législative.

Il ne s’agit pas d’amendements que les sénateurs ont simplement conçus tout seuls.

De nombreux témoins très bien informés ont comparu devant notre comité. Il s’agit de témoins dont le gagne-pain sera affecté par ce projet de loi — des témoins qui étaient très préoccupés par les répercussions de ce projet de loi sur la liberté d’expression.

Le Sénat a essayé de parler au nom de ces nombreux Canadiens.

De mon point de vue, les amendements du Sénat ne sont pas allés assez loin pour répondre aux nombreuses préoccupations soulevées au sujet du projet de loi C-11.

De mon point de vue, amendements ou pas, le projet de loi C-11 reste un mauvais projet de loi qui comporte de graves lacunes.

Même les sénateurs nommés par le gouvernement en face ne pouvaient pas ignorer toutes les questions soulevées par les témoins après qu’elles ont été expliquées à plusieurs reprises au comité.

C’est pourquoi le Sénat a proposé et adopté 26 amendements concernant ce projet de loi.

Je reconnais, chers collègues, qu’en apportant ces amendements, le Sénat essayait d’assumer son rôle constitutionnel. Je crois qu’en ce qui concerne bon nombre des amendements apportés, le Sénat s’est exprimé au nom de la minorité politique du Canada.

C’est une minorité politique qui n’a pas vraiment été écoutée à la Chambre, où le gouvernement a écourté artificiellement le processus des audiences.

En substance, le Sénat a exercé son rôle en fournissant un second examen objectif.

Je crois qu’il serait approprié de passer en revue certains des amendements de fond que le gouvernement a rejetés du revers de la main. En effet, je crois pertinemment que parce que le gouvernement a rejeté ces amendements, il est crucial que le Sénat soit ferme et insiste pour les maintenir.

Premièrement, il y a l’amendement sur la vérification de l’âge de l’utilisateur pour protéger l’enfant qui a été proposé par la sénatrice Miville-Dechêne, avec l’appui de la majorité des sénateurs en comité et dans cette enceinte.

Le comité a reçu un certain nombre de mémoires sur ce sujet en particulier, y compris de la part du Centre canadien de protection de l’enfance. En voici un extrait :

Dans son libellé actuel, le projet de loi C-11 [...] doit respecter les obligations internationales du Canada à l’égard des enfants. C’est pourquoi le projet de loi C-11 devrait intégrer les principes énoncés dans la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant [...] ainsi que dans l’Observation générale no 25(2021) sur les droits de l’enfant en relation avec l’environnement numérique, laquelle indique aux États parties comment mettre en œuvre la Convention dans l’espace numérique.

Le Centre réclame depuis longtemps que le gouvernement réglemente les plateformes en ligne auxquelles les enfants sont exposés. Le secteur de la technologie s’est extraordinairement enrichi par sa poursuite constante de progrès toujours plus rapides, mais les enfants en ont fait les frais. On continue aujourd’hui de créer des programmes et services Internet sans guère se soucier des enfants, alors qu’on apprend de partout qu’ils subissent des préjudices en ligne. Nous ne pouvons plus défendre le statu quo. La législation mise au point pour réglementer les plateformes en ligne ne doit pas oublier de protéger concrètement les enfants.

De même que nous les protégeons contre les dangers du tabac, de l’alcool, de la marijuana ou des films violents, nous devons protéger adéquatement les enfants contre le contenu sexuellement explicite en ligne. La société ne doit pas renoncer à ses responsabilités simplement parce qu’il s’agit de matériel numérique et non physique. Ce ne sont pas les plateformes en ligne qui doivent dicter l’éducation sexuelle des enfants du Canada.

La sénatrice Miville-Dechêne, qui défend cet enjeu au Sénat depuis longtemps, s’est attaquée à ce problème. Elle a présenté un amendement au projet de loi qui disait ceci :

« r.1) les entreprises en ligne doivent mettre en place des mécanismes, tels que des mécanismes de vérification de l’âge, pour empêcher que des émissions consacrées à la présentation, dans un but sexuel, d’activités sexuelles explicites ne soient rendues accessibles aux enfants par Internet;

Cet amendement simple et direct a été adopté par notre comité puis par l’ensemble du Sénat.

Officiellement, le gouvernement s’est bien sûr dit sensible à cet amendement. En fait, il n’a exprimé aucune objection fondamentale quant au principe de l’amendement, mais il l’a tout de même rejeté.

Cette semaine, le sénateur Gold a déclaré une fois de plus que :

[...] la protection des enfants constitue une priorité pour l’actuel gouvernement qui est impatient de présenter une mesure législative sur la sécurité en ligne, dans le but d’assurer la sécurité de l’ensemble des Canadiens en ligne. Cependant, le gouvernement estime que le projet de loi C-11 n’est pas la mesure appropriée pour atteindre cet important objectif.

On ne peut que se demander pourquoi. Je soupçonne que c’est simplement parce que l’amendement proposé par la sénatrice Miville-Dechêne va plus loin que le gouvernement a l’intention d’aller. Ce n’est probablement pas plus compliqué que cela.

Selon moi, si nous ne remettons pas ce rejet en question, nous manquerons à notre devoir envers les Canadiens et nous raterons du même coup une occasion cruciale de mieux protéger les enfants canadiens.

Nous devons donc insister, selon moi, pour que cet amendement soit apporté.

Un autre des amendements proposés par le Sénat et rejetés par le gouvernement visait à mettre à jour les règles obsolètes du CRTC en matière de contenu canadien. Cet amendement répondait à ce que le Sénat avait entendu de la part de nombreux témoins, à savoir qu’une interprétation restrictive des règles relatives au contenu canadien, en vertu de la loi existante, porte gravement préjudice à de nombreux créateurs canadiens et compromet notre capacité à raconter des histoires canadiennes au reste du monde. De nombreux témoins ont indiqué que même si une émission est filmée au Canada, emploie des acteurs canadiens et est écrite par un Canadien, si la société de production n’est pas canadienne, elle ne peut être considérée comme du « contenu canadien ». D’autres témoins ont affirmé que les règles relatives au contenu canadien sont souvent si lourdes qu’il devient impossible pour les petits créateurs de s’y retrouver.

Sur la base de ces témoignages, l’amendement proposait d’incorporer un principe de plus grande souplesse dans la détermination de ce qui est, et de ce qui n’est pas, du contenu canadien. Il s’agissait d’un amendement extrêmement raisonnable et modeste, mais là encore, le gouvernement l’a rejeté.

Le gouvernement prétend l’avoir fait parce que :

[...] le principe que les émissions canadiennes sont d’abord et avant tout du contenu fait par des Canadiens est au cœur de la définition des émissions canadiennes, et ce depuis des décennies, et cet amendement enlèverait au CRTC la capacité de s’assurer que cela demeure le cas [...]

Il est clair que personne au gouvernement n’a lu ou examiné sérieusement les témoignages entendus par notre comité sénatorial sur cette question. Aucun des témoins entendus par notre comité sénatorial n’a contesté l’idée que les émissions canadiennes devraient être « d’abord et avant tout du contenu fait par des Canadiens ». Ce que les témoins ont contesté, c’est la façon dont le CRTC établit les priorités et décide de ce qui est considéré comme une émission canadienne.

Les témoins ont affirmé que notre approche est vieille de plusieurs décennies et qu’elle doit mieux répondre aux réalités d’aujourd’hui en ce qui concerne la production et la diffusion des émissions. Des témoins comme Oorbee Roy, qui, de son propre aveu, est une petite joueuse dans le domaine de la création de contenu, mais qui est néanmoins assujettie à l’interprétation du « contenu canadien » par le CRTC, ont demandé au comité, le 28 septembre, pourquoi le projet de loi n’abordait pas la question de l’iniquité dans la création de contenu canadien.

Elle a critiqué très explicitement la réponse du ministre lors d’une réunion d’un comité de la Chambre, réponse qui consistait simplement à repousser toute la question à une décision future lointaine. Devant notre comité, elle a posé la question suivante :

Pourquoi ce projet de loi repousse-t-il les créateurs de contenu numérique canadien dans l’avenir, mais inclut-il maintenant les plateformes de contenu généré par les utilisateurs? Ne sommes-nous pas les personnes que ce projet de loi est censé aider?

Elle a souligné les obstacles majeurs auxquels se heurteraient les petits créateurs de contenu comme elle pour être approuvés en tant que producteurs de contenu canadien. Elle a demandé :

[...] Dois-je embaucher mon fils de dix ans pour m’aider à soumettre pour approbation chaque élément de contenu de planche à roulettes à titre de contenu canadien? [...]

D’autres intervenants majeurs ont expliqué comment les règles inflexibles en matière de contenu canadien sapent les investissements et rendent plus difficile la diffusion d’histoires canadiennes.

Wendy Noss, présidente de l’Association cinématographique du Canada, a dit au comité :

[...] j’ai presque l’impression qu’on pense que la définition de « contenu canadien » a été gravée sur des tables dans le désert il y a fort longtemps et qu’elle est immuable. [...]

Nous avons une définition des programmes canadiens dans le cadre de la politique canadienne de radiodiffusion, et pour cette raison, quand vous vous associez à des sociétés et services en ligne étrangers qui créent du contenu pour le monde entier, il doit y avoir une approche globale fidèle à l’époque plutôt que de s’embourber dans une approche des années 1970.

Du côté des différents types d’histoires, il peut y en avoir qui se déroulent au Canada, comme Washington Black, de l’écrivaine Esi Edugyan. Il s’agit d’un roman fabuleux, lauréat du prix Giller, qui raconte l’histoire d’un esclave noir qui se rend en Nouvelle-Écosse. L’investissement dans le roman canadien, dans l’écrivaine canadienne et dans l’histoire canadienne est fait par Disney, et la série est filmée en Nouvelle-Écosse. Ce n’est toutefois pas considéré comme du contenu canadien.

Vous avez beaucoup entendu parler d’Alerte rouge, dans lequel tout enfant d’immigrant qui a grandi au Canada, surtout à Toronto, peut se reconnaître. Là encore, il s’agit d’une histoire canadienne.

Les postes dans le milieu créatif canadien qui ne sont pas encore reconnus par cette définition sont légion. Un réalisateur mexicain [...] peut tourner tout son fabuleux contenu à Toronto, avec des équipes de créateurs primées ou nommées aux Oscar, par exemple des décorateurs, des directeurs artistiques, des créateurs de costumes et un producteur canadien, sauf que, si les droits appartiennent à Fox, ce n’est pas considéré comme du contenu canadien.

C’est ce que les témoins ont dit au comité sénatorial, chers collègues.

Aucun témoin n’a remis en question le principe selon lequel le contenu canadien doit être produit par des Canadiens. L’amendement adopté par le Sénat ne l’a pas fait non plus. Tout ce qu’il a fait, c’est d’ajouter des instructions au CRTC pour qu’il fasse preuve de plus de souplesse dans la détermination de ce qui est du contenu canadien.

Pour toute réponse, le gouvernement a rejeté l’amendement du revers de la main.

Bien franchement, chers collègues, les Canadiens méritent mieux.

Un autre amendement important a été proposé par notre collègue le sénateur Downe. Il visait à limiter la publicité qui est conçue de manière à ressembler à de la programmation journalistique. C’était un amendement simple, mais qui touchait à un sujet très important.

Le gouvernement a souvent fait référence à la désinformation. En effet, il a soutenu que ce projet de loi, ainsi que le projet de loi C-18, sont des outils importants pour assurer l’exactitude des nouvelles et des émissions qui sont présentées comme des nouvelles. Le sénateur Downe a donc proposé l’amendement suivant pour empêcher CBC/Radio-Canada de :

[…] conclure [un] contrat ou [un] accord qui entraîne la diffusion ou l’élaboration de messages publicitaires ou d’annonces au nom d’un annonceur qui sont conçus de manière à ressembler à de la programmation journalistique.

En somme, l’amendement du sénateur Downe visait à promouvoir et à protéger la vérité dans la publicité et dans les informations présentées comme des nouvelles — un amendement fort raisonnable, qui appuyait en fait l’objectif déclaré du gouvernement.

Quelle a été la réponse du gouvernement? On aurait pu penser qu’il en aurait été satisfait. Il a rejeté l’amendement au motif qu’il allait, selon lui, au-delà de l’objectif stratégique du projet de loi. Il a affirmé qu’une étude plus approfondie était nécessaire sur la question. Chers collègues, le fait que cet amendement exige une étude plus approfondie est un euphémisme qui signifie que le gouvernement ne voulait pas l’étudier et qu’il ne veut pas se donner la peine de s’engager plus avant sur cette question.

Ce n’est pas ainsi que devraient être traités les différends législatifs entre les deux chambres de notre Parlement. Le Sénat est une chambre de second examen objectif. Lorsque le Sénat s’oppose à une mesure législative du gouvernement, c’est généralement parce qu’il a entendu le point de vue des Canadiens, que ce soit par le biais de témoignages ou d’autres formes de communication.

Les amendements proposés par le Sénat sont habituellement modestes, mais ils portent fort souvent sur des enjeux très importants. En vertu de la Constitution, le gouvernement est tenu de prendre au sérieux les conseils du Sénat, et plus particulièrement quand ils se fondent sur des témoignages importants. À mon avis, dans un très grand nombre de ses réponses aux amendements proposés par notre assemblée, le gouvernement n’a tout simplement pas pris au sérieux ces amendements, ni les témoignages recueillis par les sénateurs lors des réunions des comités.

C’était on ne peut plus évident quand il a rejeté notre principal amendement. Je parle, bien sûr, de l’amendement sur le contenu généré par les utilisateurs proposé par les sénatrices Miville-Dechêne et Simons.

Quand la sénatrice Miville-Dechêne a parlé de cet amendement au comité, elle a affirmé ceci :

Je vous rappelle que le gouvernement et le CRTC ont répété à de nombreuses reprises que les utilisateurs de médias sociaux et les créateurs de contenu ne seraient pas visés par le projet de loi C-11. Cela a été dit et répété.

Malgré tout, nous avons entendu des témoins et des experts dire que l’article 4.2 a une portée trop large et qu’ils ne font pas confiance au CRTC avec un tel pouvoir discrétionnaire. Il y a eu une volonté exprimée au cours de nos audiences pour que nous circonscrivions le type de contenu que le CRTC pourrait réglementer sur les plateformes. Nous avons également entendu que la principale cible visée par l’article 4.2 est le contenu professionnel et non amateur, en particulier le contenu musical autoproduit ou produit par les maisons de disques et les vidéoclips associés.

Sur ce point, la sénatrice Miville-Dechêne avait bien entendu raison. Le gouvernement a affirmé à diverses reprises que le projet de loi ne réglementerait pas le contenu généré par les utilisateurs.

Le ministre du Patrimoine canadien, lorsqu’il a comparu devant notre comité, a expressément déclaré ce qui suit :

Nous avons écouté les créateurs sur les médias sociaux, nous les avons écoutés, nous avons compris leurs préoccupations, et nous l’avons rétabli, avec l’exception prévue à l’article 4.2 visant le contenu commercial qui remplit les trois critères. C’est tout.

C’est ce qu’a affirmé le gouvernement.

Un modeste amendement a donc été apporté au comité, simplement pour confirmer cette affirmation. Comme l’a déclaré la sénatrice Simons lors de la troisième lecture du projet de loi C-11 au Sénat :

[...] à mon avis, l’amendement le plus important que nous avons apporté visait un passage épineux du projet de loi, le paragraphe 4.2(2), que j’aime appeler la disposition de « l’exception à l’exception ». À la suite de la controverse entourant le projet de loi C-10, le ministre du Patrimoine canadien a promis que les utilisateurs de médias sociaux ne seraient pas touchés par le projet de loi C-11 et que seuls les grands diffuseurs qui s’apparentent aux radiodiffuseurs traditionnels le seraient. C’est effectivement ce qui est écrit au paragraphe 4.1(1) du projet de loi, c’est-à-dire que la loi ne s’applique pas à l’émission qui est téléversée vers un service de média social par un utilisateur de ce service.

Par ailleurs, lorsque la sénatrice Miville-Dechêne s’est exprimée sur cet amendement en comité, elle a déclaré :

L’amendement que nous proposons vise à concentrer l’article 4.2 sur la cible visée, soit la musique professionnelle, sans restreindre indûment la latitude du CRTC. Enfin, ces modifications auraient pour effet de concentrer l’article 4.2 sur la musique professionnelle téléchargée par les titulaires de droits d’auteur, ou qui a été jouée en totalité ou en grande partie sur des entreprises de radiodiffusion traditionnelle.

En fait, cela signifie que les youtubeurs, les vidéos amateures ou tout autre contenu non associé à la musique professionnelle ne sont pas visés par le projet de loi C-11.

Au comité, la sénatrice Simons a été plus précise quant à son intention. Elle a déclaré : « Nous espérons que cela nous permettra d’atteindre un compromis réalisable. »

Elle a poursuivi en disant :

J’ai les mêmes préoccupations que le sénateur Manning, la sénatrice Wallin et le sénateur Plett au sujet de l’article 4 qui, malgré les protestations de tous, inclut clairement les créateurs individuels. Nous croyons que cet amendement exclut toutes ces personnes et n’inclut que les très grands producteurs de musique.

C’est un amendement qui a été proposé en consultation avec YouTube, avec TikTok, mais aussi avec toutes sortes de producteurs de musique indépendants québécois, qui ont beaucoup contribué à l’élaboration d’un amendement qui vise les bonnes personnes.

Donc, quelle a été la réponse du gouvernement? Le gouvernement affirme qu’il désapprouve l’amendement pour les raisons suivantes. Selon lui :

[…] il affecterait la capacité du gouverneur en conseil de tenir des consultations publiques et d’émettre des instructions en matière de politique à l’intention du CRTC afin d’établir la portée appropriée de la réglementation des services de médias sociaux en ce qui a trait à leur distribution d’émissions commerciales, et empêcherait le système de radiodiffusion de s’adapter aux changements technologiques au fil du temps [...]

En d’autres termes, selon le gouvernement, le pouvoir discrétionnaire du CRTC est tout simplement plus important que les préoccupations que les créateurs ordinaires pourraient avoir.

Comme l’a souligné la sénatrice Simons plus tôt cette semaine, le raisonnement du gouvernement n’est pas crédible. Elle a fait valoir en particulier que la première partie de la réponse du gouvernement est un peu étrange :

Il n’y a rien dans notre amendement qui aurait empêché le gouvernement de tenir des consultations publiques à tout moment sur n’importe quel sujet. La dernière partie de la phrase est également un peu étrange. Il n’y a rien dans notre amendement qui aurait empêché le système de radiodiffusion de s’adapter aux changements technologiques.

C’est le cœur de la phrase qui importe. C’est là où se trouve la substance — la partie au sujet de l’établissement de la portée de la réglementation des émissions commerciales dans les médias sociaux. C’est précisément là que le bât blesse. Le ministre et le gouvernement nous disent — et disent à tout le monde — sans cesse qu’ils n’ont pas l’intention d’inclure le contenu généré par les utilisateurs et que les Canadiens qui publient des sketches humoristiques, de courts dessins animés ou des comptines pour enfants sur Twitter, YouTube, TikTok et Instagram ne pourront pas être visés par le CRTC. Or, la réponse écrite du gouvernement à l’amendement que nous avons proposé indique qu’il désire justement garder le pouvoir de donner au CRTC la directive de le faire, c’est-à-dire de réglementer la diffusion de contenu dans les médias sociaux.

Ce sont les paroles de la sénatrice Simons.

Soyons clairs au sujet de ce que cela signifie. Le gouvernement dit que les représentants qu’il nomme pour servir au CRTC doivent avoir toute la latitude pour faire ce que le gouvernement prétend qu’il n’a aucune intention de faire, et le CRTC doit avoir de la latitude, malgré les objections que les Canadiens ont soulevées.

Selon la sénatrice Simons, la réponse du gouvernement est très claire : il se réserve le droit de réglementer le contenu des médias sociaux sans que la loi ne l’en empêche.

M. Len St-Aubin est un ancien directeur général de la politique des télécommunications à Industrie Canada. Voici ce qu’il a déclaré le 14 septembre 2022 devant le Comité sénatorial permanent des transports et des communications :

[...] c’est le CRTC, et non pas le Parlement, qui déterminera la portée du règlement et, par le fait même, la mesure dans laquelle il se répercutera sur le marché d’Internet et sur la liberté d’accès des Canadiens au contenu de leur choix.

C’est la seule conclusion à laquelle on peut parvenir compte tenu de la position du gouvernement. C’est indéniablement son intention.

Chers collègues, lorsque nous nous sommes penchés sur le projet de loi C-11 à l’étape de la troisième lecture, il y a quelques semaines, nous avons fait remarquer, de ce côté-ci du Sénat, que les sénateurs devraient « faire preuve de fermeté » devant la réponse probable du gouvernement à leurs amendements.

Même si nous espérions ardemment que le gouvernement nous fournisse des réponses substantielles à ce que nous considérions être des amendements substantiels, cela n’a malheureusement pas été le cas. Le gouvernement nous a répondu qu’il rejette presque tous les amendements substantiels proposés par le Sénat, et ce, passant outre le fait que ces derniers ont été proposés par de nombreux Canadiens ayant témoigné devant notre comité. Essentiellement, cela signifie que le gouvernement dit « non » aux Canadiens.

Quelles sont les répercussions de ce refus? Je pense qu’elles sont très graves, car elles ont un impact sur les droits fondamentaux des Canadiens. Le refus du gouvernement a des répercussions directes sur la liberté d’expression. En disant cela, je sais que des sénateurs penseront que j’exagère, mais ce n’est pas le cas à mon humble avis. Je peux vous donner un exemple très récent.

Plus tôt ce mois-ci, nous avons appris que de hauts fonctionnaires de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada ont demandé aux dirigeants des grandes plateformes de médias sociaux de retirer toute publication d’un article rédigé par Lorne Gunter, du quotidien Edmonton Sun, et d’empêcher les utilisateurs de créer des hyperliens menant à cet article.

L’article en soi prenait appui sur une ébauche de document interne de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, rendant ainsi l’information factuellement correcte, à tous points de vue. Ce que les hauts fonctionnaires n’ont apparemment pas aimé, c’est l’interprétation de M. Gunter à propos des répercussions dudit document.

Que les fonctionnaires de la commission soient d’accord ou non avec M. Gunter sur l’interprétation ou l’analyse qu’il fait du document, que cette interprétation soit erronée ou non, ce qui compte ici, c’est que ces fonctionnaires semblaient considérer qu’il était tout à fait acceptable de demander le retrait du contenu que la commission juge répréhensible et qu’ils se disaient prêts à le faire. Cela devrait tous nous inquiéter.

Nous devrions être horrifiés, chers collègues, par cette tentative d’assaut contre la liberté de parole et la liberté de presse.

De nombreux Canadiens craignent que ce soit là vers où le projet de loi C-11 nous emmène, et de nombreux signes évidents indiquent que ces craintes risquent d’être fondées.

Nous avons souvent entendu des sénateurs affirmer que le Sénat devait défendre les minorités politiques. Je crois également que c’est l’un des rôles clés de la Chambre haute du Parlement. Chers collègues, nous avons entendu des témoignages et des preuves indiquant que les incidences du projet de loi C-11 sont graves et comptent de nombreuses facettes.

En réponse aux témoignages entendus, le Sénat a apporté quelques amendements modestes, mais importants, au projet de loi. Le gouvernement les a presque tous rejetés. Face à cette réponse, je crois que le Sénat ne peut pas simplement céder. Je suis très inquiet d’entendre les sénateurs qui semblent en avoir l’intention.

Cette semaine, la sénatrice Simons a affirmé qu’elle ne croyait pas que renvoyer la balle de l’autre côté de la rue changerait quoi que ce soit.

Je peux assurer à la sénatrice Simons et à tous les sénateurs que, si nous décidons simplement de céder, nous ne changerons pas quoi que ce soit. Si telle est la voie que veut emprunter le Sénat, ma question est la suivante : quel est donc le rôle du Sénat?

Le sénateur Plett [ + ]

Quelle est la raison d’être du Sénat?

Si, après avoir passé quatre mois à entendre des témoins au sujet de cet enjeu, le Sénat baisse les bras dès que le gouvernement dit « non », nous aurons tout simplement manqué à notre devoir législatif. Nous aurons échoué en tant que Canadiens.

Nous ne pouvons pas affirmer être « indépendants » si nous nous inclinons à la première occasion. L’indépendance est autre chose, chers collègues. L’indépendance est autre chose.

Voilà pourquoi nous devrions, selon moi, insister pour que tous nos amendements soient acceptés.

Je m’inquiète surtout pour les petits joueurs qui seront touchés par les effets du projet de loi, des gens comme Oorbee Roy, Vanessa Brousseau, Darcy Michael, Justin Tomchuk, J.J. McCullough, Frédéric Bastien Forrest et Scott Benzie, qui ont tous comparu devant notre comité. Ils ne représentent pas de grandes entreprises ni de grands médias. J’estime, chers collègues, que nous avons à tout le moins l’obligation d’insister pour que ce gouvernement insensible les écoute. Par ailleurs, nous savons — ou du moins nous soupçonnons — tous que le projet de loi comporte des failles importantes et qu’il a des implications notables pour la liberté d’expression et la liberté de presse.

Étant donné ces implications, chers collègues, nous ne pouvons pas abandonner dès que le gouvernement signale qu’il n’a pas l’intention de prendre nos amendements au sérieux.

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