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Projet de loi sur le moratoire relatif aux pétroliers

Troisième lecture--Ajournement du débat

10 juin 2019


Propose que le projet de loi C-48, Loi concernant la réglementation des bâtiments transportant du pétrole brut ou des hydrocarbures persistants à destination ou en provenance des ports ou des installations maritimes situés le long de la côte nord de la Colombie-Britannique, soit lu pour la troisième fois.

— Honorables collègues, je suis heureux d’amorcer l’étape de la troisième lecture en lisant un discours rédigé par l’honorable sénatrice Mobina Jaffer, la marraine du projet de loi C-48. Elle nous regarde peut-être en ce moment. Si c’est le cas, je saisis l’occasion pour lui transmettre nos meilleurs vœux de prompt rétablissement.

Voici les mots de l’honorable sénatrice Jaffer :

Honorables sénateurs, je commence par remercier le sénateur Tkachuk, le président du Comité des transports et des communications, pour tout le travail qu’il a fait sur ce projet de loi et la courtoisie qu’il m’a témoignée. Merci, sénateur.

J’exprime aussi toute ma gratitude à la sénatrice Miville-Dechêne, dont le travail passionné sur le projet de loi est inspirant. Les mots me manquent pour vous remercier de tout ce que vous avez fait pour moi. Je remercie également tous les membres du Comité des transports de votre dévouement et de votre travail dans le cadre de l’étude du projet de loi.

Honorables sénateurs, je suis extrêmement fière de prendre la parole aujourd’hui à titre de marraine du projet de loi C-48, Loi sur le moratoire relatif aux pétroliers. Cette importante mesure législative en matière d’environnement vise à protéger la côte nord de la Colombie-Britannique des conséquences dévastatrices d’un déversement de pétrole.

Pour protéger la côte nord du Pacifique, le projet de loi C-48 inscrit dans la loi un moratoire de longue date sur les navires transportant du pétrole brut ou des hydrocarbures persistants le long de la côte nord vierge de ma province. Il inscrit dans la loi des mesures environnementales qui sont mises en pratique depuis longtemps pour atténuer le risque et l’ampleur d’un déversement potentiel de pétrole dans un écosystème très particulier.

Sur cette côte isolée et vierge, l’effet d’un seul déversement de pétrole brut ou d’hydrocarbures persistants serait catastrophique pour les pêches, le rétablissement des populations d’épaulards et le trésor écologique que représente la forêt pluviale de Great Bear. Un seul déversement dévasterait les eaux riches qui alimentent les Premières Nations côtières qui gèrent cette terre depuis 14 000 ans et qui dépendent de l’océan pour nourrir leurs familles et pour soutenir leur économie marine en pleine expansion.

Honorables sénateurs, le Sénat et le Comité des transports et des communications ont beaucoup entendu parler du fonctionnement du moratoire et de ses objectifs. Par conséquent, je concentrerai mes remarques sur la réponse à la question sous-jacente, qui est la suivante : pourquoi le projet de loi C-48, Loi sur le moratoire relatif aux pétroliers, cherche-t-il à protéger la côte nord du Pacifique du Canada?

Honorables sénateurs, les raisons de légiférer pour protéger cette région sont multiples. Premièrement, les mesures proposées dans le projet de loi C-48 viennent renforcer un héritage de longue date en matière de politique qui existe sur la côte nord de ma province depuis des dizaines d’années. Dans les années 1980, le gouvernement provincial, de concert avec la Garde côtière des États-Unis, a réalisé un exploit remarquable : à la demande de Canadiens inquiets espérant atténuer les effets d’un éventuel déversement de pétrole sur notre précieux écosystème, il a créé la zone d’exclusion volontaire des pétroliers.

Il s’agit d’une politique qui exige que tous les pétroliers américains circulent à 70 milles marins à l’ouest de la côte nord de la Colombie-Britannique. Ainsi, si un pétrolier tombait en panne, ce qu’il transporte ne pourrait pas dévaster la côte nord du Pacifique et les économies locales.

Le projet de loi C-48 se veut le complément de cet héritage de longue date en matière de politique.

La zone d’exclusion des pétroliers ne s’applique qu’aux pétroliers américains qui traversent les eaux canadiennes, et il n’existe actuellement aucune politique qui interdit aux pétroliers canadiens de naviguer au large de cette côte. C’est une lacune que le projet de loi C-48 vise à combler.

Deuxièmement, pour répondre à la question de savoir pourquoi le projet de loi C-48 protège la côte nord de la Colombie-Britannique, nous serions négligents de ne pas parler de l’écosystème vierge et des caractéristiques écologiques particulières qui méritent une protection spéciale. Examinons aujourd’hui les caractéristiques distinguées de la côte nord de la Colombie-Britannique. Le projet de loi C-48 offre une protection sans précédent à la plus grande forêt pluviale côtière de la planète, soit la forêt pluviale de Great Bear. D’ailleurs, la région de Great Bear est de la taille de l’Irlande. Souvent appelée l’Amazone canadienne, la côte de Great Bear est vraiment l’un des plus grands joyaux naturels du monde et elle combine beauté, histoire et culture.

La forêt pluviale de Great Bear est l’une des dernières forêts pluviales tempérées du genre sur la planète. Cet endroit enchanteur qui est parsemé d’anciens cèdres rouges et traversé par des rivières limpides et riches en saumon abrite un ours blanc rare qui n’est ni un ours polaire ni un ours albinos, mais un « ours esprit ». Il s’agit d’un ours noir au pelage de couleur vanille si mystiquement beau qu’il est vénéré par les Premières Nations qui ont vécu parmi ces ours et les ont protégés pendant des millénaires.

Dans ses eaux à marée, la zone marine de Great Bear abrite aussi divers animaux marins en voie de disparition, comme l’épaulard, une espèce menacée qui compte à peine 205 individus, et le saumon quinnat, dont la population est en baisse, pour ne nommer que ceux-là.

Nous devrions saisir cette occasion pour protéger cet écosystème spectaculaire contre un déversement de pétrole en adoptant le projet de loi C-48.

Finalement, le projet de loi C-48 est une étape importante pour la réconciliation avec les communautés côtières des Premières Nations qui ne peuvent pas se permettre de mettre en péril des emplois durables à long terme ni d’assumer les risques liés à un déversement de pétrole dans leur écosystème précieux. Le projet de loi C-48 découle directement de la demande des communautés côtières des Premières Nations qui cherchent à protéger leurs eaux et leurs rivières à saumons pour leurs enfants, leurs petits-enfants et leurs arrières-petits-enfants. À bien des égards, ces eaux sont indispensables à leur vie. Elles créent des emplois et assurent la subsistance de ces communautés. Pour la plupart des Premières Nations qui vivent sur cette côte, le projet de loi C-48 vise à préserver le bien-être économique, culturel et social des communautés qui dépendent des écosystèmes marins sains et qui y sont liées.

Ce sont les Premières Nations côtières dont l’existence, le bien-être et les emplois dépendent des eaux qui les soutiennent, et ce, depuis des milliers d’années. En effet, au Canada, la côte nord du Pacifique est plus qu’une simple étendue de terre. Pour de nombreuses collectivités côtières qui vivent le long de la côte, elle représente un précieux patrimoine et un mode de vie. Joignons-nous aux Premières Nations de la côte pour dire que les transporteurs de pétrole brut et d’hydrocarbures persistants ne sont pas les bienvenus sur la côte nord de la Colombie-Britannique. Nous ne devrions pas nous opposer aux Premières Nations côtières.

Honorables sénateurs, permettez-moi d’expliquer chacun de ces facteurs cruciaux pour justifier le décret d’un moratoire sur les transporteurs de pétrole brut et d’hydrocarbures persistants dans cette région précise.

Le projet de loi C-48 constitue une mesure essentielle pour protéger un écosystème précieux en enchâssant des mesures en complémentarité avec la zone d’exclusion volontaire des pétroliers qui existe déjà. En fait, il n’est pas exagéré de dire que le projet de loi a pris des décennies à voir le jour. En 1977, après l’achèvement de l’oléoduc trans-Alaska, un réseau semblable a été établi pour les pétroliers américains transportant du pétrole brut sur la côte nord de la Colombie-Britannique. Les pétroliers américains ont commencé à circuler dans les eaux canadiennes à une fréquence d’environ trois pétroliers par jour.

Les Britanno-Colombiens et de nombreuses nations autochtones côtières se sont dits inquiets. Ils savent que, si un pétrolier désemparé se mettait à dériver vers le rivage dans la partie la plus au nord de la côte pacifique, ce serait impossible de l’arrêter à temps pour prévenir une catastrophe environnementale. L’industrie pétrolière et la Garde côtière américaine ont compris le message. Peu de temps après avoir été créée, la voie de circulation trans-Alaska a été abandonnée par la Garde côtière des États-Unis au motif que, faute de relevés océaniques suffisants, les eaux de la portion la plus au nord du trajet étaient dangereuses.

En fait, pour mieux comprendre le danger que posent les pétroliers pour le nord de la côte Pacifique, le gouvernement a lancé une étude afin de déterminer ce qui arriverait si un pétrolier désemparé se mettait à dériver dans la partie la plus au nord du littoral. Il a alors découvert que seulement deux bateaux-remorqueurs sont disponibles en cas d’urgence, comme un déversement, et que les deux sont dans l’État de Washington. La Garde côtière canadienne a étudié divers scénarios afin de savoir où aboutirait un pétrolier à la dérive. Elle a calculé qu’il faudrait 37 heures aux deux remorqueurs pour atteindre le cap St. James, à la pointe sud des îles de la Reine-Charlotte, qu’on appelle désormais Haida Gwaii, et 54,5 heures pour atteindre la pointe de l’île Langara, à l’extrémité nord des Charlotte.

Bref, le danger est bien réel, et si un gros pétrolier devenait désemparé près du littoral, il atteindrait le rivage bien avant que les remorqueurs puissent le ramener en sûreté.

Honorables sénateurs, bien que le Canada n’ait jamais interdit légalement la circulation des pétroliers dans la partie nord de la côte de la Colombie-Britannique, nous avons bel et bien, en 1988, créé une zone d’exclusion volontaire des pétroliers en collaboration avec la Garde côtière américaine. Cette zone garantit que les pétroliers américains transportant du pétrole brut et des hydrocarbures persistants se déplacent à 70 milles nautiques à l’ouest de la partie nord de la côte du Pacifique de sorte que, si un pétrolier tombe en panne, il ne dérivera pas jusqu’à la terre ferme habitée par les Premières Nations côtières et ne fera pas des ravages en traversant nos eaux.

Toutefois, comme tous les sénateurs dans cette enceinte le savent, en 1989, il y a eu pire qu’un pétrolier à la dérive: l’Exxon Valdez a dévié de sa trajectoire et a heurté un gros récif, déversant 40,9 millions de litres de brut dans le golfe du Prince William, en Alaska. Les Canadiens ont regardé le désastre environnemental avec horreur, sachant que le riche milieu marin de l’Alaska ressemblait à celui de la Colombie-Britannique, mais aussi avec soulagement, en pensant que cela ne pourrait pas se produire en Colombie-Britannique parce que les pétroliers comme l’Exxon Valdez n’ont pas le droit de naviguer dans nos eaux.

Aujourd’hui, la zone d’exclusion des pétroliers est respectée par les pétroliers américains. La zone est continuellement surveillée par les Services de communications et de trafic maritimes, une division de la Garde côtière canadienne. De plus, des rappels de cette interdiction sont constamment envoyés aux marins dans des avis et des instructions nautiques.

Les navires transportant du pétrole brut traversent les eaux du sud pour se rendre à un terminal situé à Burnaby. Ils suivent une route près de la queue de la zone d’exclusion volontaire des pétroliers, qui est proche des remorqueurs de sauvetage et qui a été laissée ouverte pour permettre aux navires de se rendre aux ports de l’État de Washington.

Bref, la zone d’exclusion des pétroliers fonctionne. À ce jour, il n’y a eu aucune incursion dans la zone. Toutefois, il est important de souligner qu’elle n’est destinée qu’à atténuer la circulation des pétroliers américains sur cette côte. Il s’agit de la lacune que le projet de loi C-48 comblerait.

En tant que Canadiens, nous avons pris la décision consciente de ne pas expédier de gros volumes de pétrole brut dans la région, ce qui contribue à la garder relativement intacte. Autrement dit, le projet de loi C-48 vient renforcer une politique de longue date qui a été largement acceptée par les Britanno-Colombiens et qui demeure la priorité du gouvernement de la province.

En fait, plus tôt cette année, le ministre de l’Environnement et des Changements climatiques de la Colombie-Britannique a fait une déclaration en faveur du projet de loi C-48 :

La côte nord de la Colombie-Britannique est un milieu marin unique et riche sur le plan écologique et apprécié à l’échelle internationale, et encore plus par les communautés dont l’histoire et l’avenir sont liés à sa santé et à sa protection.

Notre gouvernement a fait savoir clairement qu’il est résolu à protéger l’environnement, l’économie et les côtes des effets dévastateurs qu’aurait un déversement de pétrole lourd. Les Britanno-Colombiens n’en attendent pas moins de nous. Notre position demeure la même : nous ne voulons pas que la circulation de pétrole lourd dans les eaux côtières s’intensifie.

En termes simples, le projet de loi C-48 n’a rien d’arbitraire ni de surprenant. Il correspond à une approche mûrement réfléchie concernant la côte nord de la Colombie-Britannique.

Interdire la circulation de pétroliers ailleurs au Canada, par exemple sur la côte Atlantique ou dans la voie maritime du Saint-Laurent, nuirait aux emplois et aux industries en place. Ce n’est toutefois pas le cas dans le Nord de la Colombie-Britannique, en raison d’une politique de longue date que nous respectons depuis des décennies et qui signale que la côte nord du Pacifique doit rester à l’abri des déversements de pétrole.

Le projet de loi C-48 constitue une étape nécessaire pour faire en sorte que les pétroliers canadiens et américains se dirigent vers l’ouest, au large d’une côte qui ne dispose pas de la capacité d’intervention requise pour aider un pétrolier désemparé avant qu’il s’échoue et détruise un écosystème précieux.

Honorables sénateurs, en deuxième lieu, je souhaite parler de l’écosystème extraordinairement immaculé que protège le projet de loi C-48, un écosystème qui mérite notre attention et notre protection.

Tournons-nous vers la belle côte nord de la Colombie-Britannique et la plus grande forêt pluviale tempérée du monde, appelée les « poumons de la Terre » par les résidents en raison de sa production élevée d’oxygène.

Je pourrais moi-même m’oxygéner un peu en ce moment.

Sur la côte nord de la Colombie-Britannique, la terre et la mer sont totalement interdépendantes. L’ours esprit dépend du saumon. Les loups des régions côtières traversent des bras de mer à la nage pour chasser le phoque. Les arbres grandissent plus vite les années où le saumon abonde. Ces interconnexions sont telles qu’un déversement de pétrole en milieu marin aurait des conséquences désastreuses sur la vie sauvage, les animaux marins, l’écosystème et les emplois qu’ils appuient.

Nombre d’études scientifiques font état de l’abondance de poissons, de fruits de mer, de mammifères marins et d’espèces d’oiseaux dans la région. Pêches et Océans Canada a désigné près de la moitié de la région comme « zone d’importance écologique ou biologique » aux termes des critères adoptés par la Convention sur la diversité biologique.

En fait, c’est dans la forêt pluviale de Great Bear que se rencontrent l’une des plus grandes forêts pluviales tempérées de la côte encore intacte et l’un des plus vastes réseaux de rivières sans barrage que remonte le saumon sauvage. En effet, plus de 2 500 migrations de saumon ont lieu chaque année dans ces rivières.

La mer de Great Bear abrite de nombreuses populations de saumon, particulièrement le saumon quinnat, saumon du Pacifique Nord classé récemment comme espèce en voie de disparition par Pêches et Océans Canada. Près de la moitié des stocks de saumon de la Colombie-Britannique est en déclin, et le saumon quinnat risque de disparaître complètement.

Honorables sénateurs, le saumon joue un rôle de premier plan pour l’épanouissement de la forêt pluviale de Great Bear. Il représente une composante essentielle pour la santé de l’écosystème de cette forêt, qui dépend de la saison de la fraie. Certains animaux retardent leur reproduction pour que la période d’allaitement des petits ait lieu durant la fraie du saumon.

Une grande variété de plantes et d’animaux dépendent et profitent de la nourriture que constitue le saumon, un mets nutritif et délicieux, y compris les otaries, les ours et les épaulards, les plus majestueux mammifères qui soient. En fait, la disponibilité du saumon quinnat est l’un des facteurs les plus importants pour prédire la survie et le rétablissement des épaulards du Pacifique Nord qui vivent dans la région située entre le milieu de l’île de Vancouver et le sud-est de l’Alaska.

Leur population a décliné à quelque 250 spécimens au large de la côte nord, et la plus grande menace à leur survie est le manque de saumon quinnat, qui constitue 90 p. 100 de l’alimentation des épaulards. Pour des raisons que les scientifiques ne comprennent pas encore tout à fait, les épaulards du Pacifique Nord changent ne choisissent que rarement une autre espèce que le saumon quinnat comme principale source d’alimentation. Par conséquent, ils vont faire face à une famine étant donné le déclin des remontes de saumon quinnat.

La triste réalité, c’est que l’épaulard du Pacifique Nord passe la plus grande partie de sa journée à chercher de la nourriture, laquelle devient de plus en plus difficile à trouver.

En plus de devoir composer avec une source de nourriture moins abondante, les épaulards du Pacifique souffrent aussi d’une concentration élevée de polluants dans leurs eaux, qui menace leur système immunitaire. Un déversement d’hydrocarbures bruts ou persistants aurait des conséquences catastrophiques pour les épaulards. Un épaulard adulte exposé aux émanations de ces hydrocarbures peut perdre connaissance et se noyer. Ces hydrocarbures peuvent aussi boucher l’évent des baleines et les empêcher de respirer ou de communiquer adéquatement. Même si les épaulards parviennent à échapper aux conséquences immédiates d’un déversement, les hydrocarbures bruts ou persistants peuvent contaminer leur source de nourriture et recouvrir les rives d’une épaisse couche de résidus noirs.

Les conséquences d’un déversement d’hydrocarbures pour ce précieux écosystème et pour les espèces de mammifères marins menacées ou en voie de disparition seraient trop graves pour que l’on prenne ce genre de risque.

Honorables sénateurs, les particularités de cet environnement ont amené le gouvernement de la Colombie-Britannique à mettre en place, en collaboration avec les Premières Nations, la Great Bear Rainforest Act, qui permet de conserver 85 p. 100 de la forêt en interdisant la coupe à blanc à certains endroits.

Plus du tiers de la forêt est protégé par la Great Bear Rainforest Act. Sur le reste de la superficie, les activités d’exploitation des ressources à faibles impacts comme la foresterie et la production d’hydroélectricité seront autorisées pour aider les Premières Nations qui vivent dans la région.

À cet égard, on peut voir le projet de loi C-48, qui propose également des mesures de protection sans précédent, comme un effort complémentaire et cohérent pour protéger l’une des dernières forêts pluviales tempérées.

La forêt pluviale de Great Bear est véritablement l’un des rares endroits sur Terre où l’on peut rencontrer un grizzly qui se cache derrière de gros troncs d’arbres, un épaulard qui plonge dans la mer et un albatros qui prend son essor dans le ciel. Il s’agit d’un écosystème vraiment unique et fragile, un trésor, et nous devons saisir cette occasion de le protéger d’un déversement de pétrole majeur.

Honorables sénateurs, en octobre 2016, le Nathan E. Stewart, un bateau-remorqueur, s’est échoué sur le récif Edge, tout près de Bella Bella, déversant 109 000 litres de diesel et d’autres produits pétroliers. Aux dires des spécialistes, c’était un petit déversement. Toutefois, pour la nation des Heiltsuks, il a été catastrophique. Ce déversement a dévasté un riche écosystème où les Premières Nations côtières récoltent traditionnellement des éléments de la faune et de la flore marines au moyen de pratiques viables transmises de génération en génération. Le pétrole a pollué leur mode de vie. L’échouement s’est produit là où les Heiltsuks et d’autres Premières Nations côtières pêchent les mollusques, les crustacés et la mye.

Pour illustrer l’incidence que ce déversement a eue sur les communautés des Premières Nations de la région, il est important de signaler qu’une localité entière dépend de ce secteur de pêche aux mollusques et aux fruits de mer pour assurer sa subsistance et gagner sa vie. Bella Bella compte une épicerie, une station-service et aucun restaurant. À cause du déversement, les habitants ont été privés de leur seule façon de se nourrir, polluée par la nappe de pétrole.

Les Premières Nations côtières sont des communautés de subsistance. Elles dépendent des ressources naturelles pour répondre à leurs besoins fondamentaux et elles pratiquent la pêche et l’agriculture de subsistance. Les Premières Nations côtières de la côte nord survivent grâce aux ressources marines, non pas par plaisir, mais pas nécessité.

Bella Bella est une petite localité accessible seulement par bateau, par avion et par traversier une fois par semaine. Pareil isolement signifie qu’il est impossible de survivre sans utiliser les ressources terrestres et marines.

Marilyn Slett, présidente des Premières Nations côtières et conseillère en chef de la Première Nation des Heiltsuks, m’a parlé du traumatisme vécu par les membres de cette nation en raison du déversement du Nathan E. Stewart.

Honorables sénateurs, quand le lait coûte 10 $ le gallon et que les poivrons rouges coûtent 8 $ l’unité, il y a de quoi craindre de ne pas être capable de nourrir ses enfants. Ce qui était considéré comme un petit déversement par l’industrie a dévasté une communauté entière.

Dans les grandes villes, nous tenons pour acquis qu’il est facile de se rendre en voiture au supermarché le plus proche pour acheter du saumon et des fruits et légumes frais, mais pour les Premières Nations de Bella Bella, le supermarché, c’est l’eau, et l’épicier, c’est le pêcheur.

Les Premières Nations côtières disent toujours que « si nous prenons soin de la mer, la mer prendra soin de nous ». Dans ces précieuses contrées, les Premières Nations côtières coexistent avec les baleines, les ours, les loups et les saumons, comme le faisaient leurs ancêtres. Voilà pourquoi la protection de leurs ressources est une question de survie. Sans le projet de loi C-48 pour protéger les terres contre les risques de déversement, des milliers d’années de développement durable de subsistance seront menacées.

Ce sont les Premières Nations côtières qui habitent dans la région, notamment dans la forêt pluviale de Great Bear, depuis 14 000 ans. Ce sont les Premières Nations côtières qui occupent le territoire, qui le possèdent et qui y exercent leur souveraineté préexistante sur les terres et les cours d’eau le long de la côte nord, qu’on considère aujourd’hui comme étant la Colombie-Britannique. C’est la voix des Premières Nations côtières qui devrait peser le plus dans ce débat.

Le projet de loi C-48 vient directement des Premières Nations côtières, qui vivent des ressources de la côte et qui ont le droit de gouverner leur territoire et de protéger les eaux en interdisant aux pétroliers de circuler le long de cette précieuse côte. D’ailleurs, la majorité des Premières Nations qui habitent dans la région appuient fortement le projet de loi C-48. Cela comprend les chefs et les dirigeants élus de la nation haïda, des Gitga’at, des Gitxaala, des Heiltsuks, des Kitasoo/Xai’Xais, des Nuxalk, des Wuikinuxv et les leadears héréditaires des Lax Kw’alaams.

Les Premières Nations côtières sont des gens de la mer. Leur culture est inextricablement liée à la santé du littoral et des eaux côtières. La côte est leur source de revenus. Elle les nourrit et elle leur donne des emplois. La côte est leur épicerie, et les eaux du littoral sont leur force vitale.

Permettez-moi de vous donner quelques statistiques. Sur la côte nord de la province, il y a 7 620 emplois qui dépendent du secteur marin dans les territoires traditionnels des Premières Nations côtières. Actuellement, les activités économiques dépendant du secteur marin génèrent 386,5 millions de dollars en revenus annuels. Voici plus en détail la ventilation de ce nombre : la pêche commerciale génère 134 millions de dollars; la transformation des fruits de mer, 88 millions de dollars; le tourisme marin, 104 millions de dollars; le transport marin, 22 millions de dollars. Il y a aussi de nombreuses autres industries qui produisent des revenus pour les Premières Nations côtières.

Honorables sénateurs, je tiens aussi à souligner que les habitants de la Colombie-Britannique ne sont pas les seuls à profiter de l’économie marine. Les Canadiens viennent en grand nombre pour pêcher dans leurs rivières et visiter la côte nord de la province. Pendant la saison de la truite arc-en-ciel, les vols de l’aéroport de Terrace sont complets, et les hôtels, les restaurants et les magasins d’articles de sport attirent beaucoup de clients. Selon le nombre de jours de pêche sportive, la région de Skeena sur la côte nord a la plus grande proportion de visiteurs étrangers des sept régions de pêche de la Colombie-Britannique.

Les répercussions d’un déversement de pétrole le long de cette côte incroyable seraient durables et dévastatrices, en plus de risquer d’anéantir toute une économie entièrement fondée sur la pêche. Il n’est pas surprenant que les Premières Nations côtières s’inquiètent qu’un déversement de pétrole pourrait menacer la viabilité d’une industrie de la pêche diversifiée, qui crée des milliers d’emplois dans la région, des pêcheurs eux-mêmes aux usines de transformation sur les rives.

Le projet de loi C-48 représente un pas important vers la réconciliation avec les Premières Nations qui détiennent ces terres et veulent les protéger pour leurs enfants et les générations qui suivront.

J’aimerais vous lire quelques passages d’un article d’opinion écrit par la chef Marilyn Slett, présidente de Premières Nations de la côte, une alliance regroupant neuf tribus de la côte nord :

Nous demandons simplement que soient préservées la productivité et la sécurité de certains des écosystèmes côtiers les plus riches et les plus diversifiés qui restent dans le monde.

Elle a écrit :

Nous voulons que toutes les générations futures puissent bénéficier d’un environnement sain et d’une économie durable, car l’océan est la source de nos cultures, de nos valeurs, de notre richesse et de notre identité.

Elle poursuit en disant :

L’adoption du projet de loi C-48 permettra à nos nations de se concentrer sur la création d’une bonne économie côtière pour notre peuple au lieu de nous lancer dans des batailles juridiques coûteuses pour les protéger d’intérêts extérieurs qui amèneraient la circulation de pétroliers sur notre côte. C’est nous qui subirions directement les conséquences d’un déversement et nous avons collectivement la responsabilité de protéger les terres, l’eau et les ressources afin d’assurer à nos enfants, à nos petits-enfants et à tous les Canadiens un environnement sain et une économie durable.

En fin de compte, c’est l’héritage culturel de toutes les Premières Nations de ce territoire qui perdrait le plus en cas de déversement.

Le projet de loi C-48 permettra concrètement de favoriser la réconciliation avec les communautés autochtones côtières qui ne peuvent pas se permettre de perdre des emplois durables à long terme ni courir le risque qu’un déversement vienne bouleverser un écosystème d’une si grande valeur.

Grâce à leur longue expérience de la gestion des eaux côtières et en misant ainsi sur la réconciliation, les Premières Nations de la côte Pacifique pourraient bien voir ressusciter très bientôt les zones de pêche autre fois abondantes qui ont été endommagées par l’échouement du Nathan E. Stewart. Elles sont impatientes de voir revivre leurs entreprises de pêche au mollusque et leurs fermes d’élevage, car elles y voient d’excellentes occasions de développement économique.

Qui sommes-nous pour leur dire, après 14 000 ans sur leurs terres ancestrales, comment elles doivent gérer leurs plans d’eau et leur économie?

Certains les ont accusées de vouloir nuire au développement communautaire ou à la création d’emplois. Or, comme l’a dit la chef Slett :

[...] c’est précisément parce que nous appuyons le retour d’économies côtières vigoureuses sur nos terres traditionnelles que nous insistons autant pour que l’environnement et ses écosystèmes soient bien protégés [...]

[...] la poursuite de la prospérité doit concilier la préservation culturelle, le développement économique et la protection de l’environnement.

Honorables sénateurs, si la réconciliation a le moindre sens pour nous, nous devons respecter la volonté des Premières Nations de la côte de la Colombie-Britannique. Individuellement, aucun de ces facteurs ne justifie qu’on protège la partie nord de la province contre les effets dévastateurs d’un déversement de pétrole, mais pris ensemble, oui.

Le projet de loi C-48 ne vise pas à mettre un terme à la circulation actuelle des pétroliers. Il s’agit d’inscrire dans la loi une politique déjà en vigueur afin d’empêcher les superpétroliers transportant du pétrole brut ou des hydrocarbures persistants de se mettre à circuler le long de la côte et afin de réduire les risques au minimum.

Comme nous l’avons constaté, l’imposition d’une interdiction visant les pétroliers au large de la côte nord de ma province découle d’un long processus. Tout a commencé il y a des dizaines d’années. La province a forgé un important partenariat avec la Garde côtière des États-Unis dans le but de protéger nos eaux. En a résulté la zone d’exclusion volontaire des pétroliers. Les fruits de ce partenariat sont encore évidents de nos jours. L’accord est bien respecté.

Même si une zone d’exclusion a vu le jour, elle n’a jamais été assortie d’un mécanisme législatif en bonne et due forme permettant d’officialiser une interdiction visant les pétroliers le long de la côte nord de la Colombie-Britannique.

Aujourd’hui, nous légiférons sur une importante partie de l’histoire.

Honorables sénateurs, je reconnais que bien des gens sont mal à l’aise avec le projet de loi dans sa forme actuelle et envisagent des amendements afin de l’améliorer. Comme le projet de loi relève d’une promesse électorale, je crois qu’il nous revient de faire en sorte que la meilleure version possible du projet de loi soit renvoyée à l’autre endroit. J’espère que nous pourrons respecter l’intention du projet de loi, puisqu’elle nous a été expliquée de bonne foi, et que nous pourrons procéder au vote à l’étape de la troisième lecture le plus tôt possible.

Il est temps que nous nous exprimions et que nous travaillions en collaboration avec la grande majorité des habitants de la côte pour protéger leurs terres et leurs eaux traditionnelles contre la dévastation potentielle causée par une marée noire, un risque qu’ils ne peuvent pas laisser se concrétiser de nouveau.

Je demande respectueusement aux sénateurs de prendre également en considération la volonté des gens qui détiennent les titres de propriété légaux de ces terres depuis des millénaires. Merci.

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