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« Un avocat des Prairies à qui la chance a souri »: le sénateur Doug Black part à la retraite

Inspiré par l’engagement communautaire de ses parents, le sénateur Doug Black a quitté une carrière en droit des sociétés pour se jeter dans la mêlée et représenter l’Alberta au Sénat – l’Alberta tient parfois des élections pour choisir les candidats qui la représenteront. Que ce soit au Sénat lui-même, en comité ou sur la route, le sénateur Black estime que d’avoir pu représenter les Albertains aura été le point culminant de sa vie professionnelle.

Avant son départ à la retraite, en octobre 2021, SenCAplus a demandé au sénateur Black de nous parler de son passage à la Chambre haute.

Avant d’être nommé sénateur, vous étiez avocat en droit des sociétés. En quoi cette expérience vous a-t-elle préparé à vos fonctions sénatoriales?

Pour être un bon avocat, il faut savoir assimiler rapidement et synthétiser une quantité phénoménale de renseignements. C’est excellent pour le travail de sénateur, car quel que soit le dossier, il y a toujours beaucoup de choses à lire et à intégrer. Il faut aussi savoir écouter. Il faut écouter et observer les autres, car il y a toujours un autre point de vue que le sien et c’est toujours utile d’avoir un maximum de perspectives sur un enjeu donné.

Le sénateur Doug Black répond aux questions des journalistes lors d’une conférence de presse sur le rapport Le Canada, toujours ouvert aux investisseurs?, qui a été publié en 2018 par le Comité sénatorial des banques et du commerce.
Le sénateur Doug Black répond aux questions des journalistes lors d’une conférence de presse sur le rapport Le Canada, toujours ouvert aux investisseurs?, qui a été publié en 2018 par le Comité sénatorial des banques et du commerce.   

Vous représentez l’Alberta, qui choisit ses candidats au Sénat lors d’un scrutin. Le premier ministre n’est pas tenu d’en respecter les résultats, mais certains candidats choisis de cette manière ont déjà été nommés au Sénat, à commencer par vous-même. Pourquoi souhaitiez-vous briguer les suffrages et devenir sénateur?

Parce que je crois à la cause publique et que j’aime les politiques publiques. Et aussi parce que j’aime les gens. La politique, c’est exclusivement une affaire de gens. J’adore rencontrer mes concitoyens, voir ce qu’ils ont à m’apprendre et sentir que je les aide. Et puis j’aime l’Alberta.

Quand je me suis présenté, l’Alberta tenait des élections pour choisir les personnes qui devaient la représenter au Sénat, et à l’époque, il était plus ou moins entendu que les personnes ainsi élues seraient nommées, car le premier ministre du temps croyait au bien-fondé de ce processus. Les enjeux étaient élevés, car les noms de 13 bons candidats figuraient sur le bulletin de vote.

Vous êtes profondément attaché à votre province d’origine, l’Alberta. Ce sentiment a-t-il influé sur vos fonctions sénatoriales? 

L’une de mes affiches de campagne disait : « La voix de l’Alberta. Aujourd’hui ». J’estimais alors que l’Alberta gagnerait à être mieux représentée sur les questions qui comptent vraiment aux yeux des Albertains et des Canadiens.

J’estimais, pour avoir œuvré dans le domaine du droit des sociétés et dans le secteur public, que j’avais quelque chose à apporter, dans les dossiers de l’énergie, des études postsecondaires et des arts, et que j’avais la crédibilité nécessaire pour faire valoir mon point de vue. Je considère entre autres que l’Alberta ne se vend pas particulièrement bien. Je croyais pouvoir faire œuvre utile en montrant au Canada que l’Alberta sait être rationnelle et pondérée et qu’on y compte de nombreux Canadiens d’exception.

Mon objectif était de représenter les Albertains ici, à Ottawa, et j’ai fait du mieux que j’ai pu. Pendant mon passage au Sénat, je me suis rendu dans une cinquantaine de localités albertaines et j’ai rencontré des dizaines de milliers de gens. Je me suis fait un point d’honneur de connaître à fond toutes les régions et les secteurs de la province.

Le sénateur Doug Black, à gauche, visite un chantier de construction du pipeline Trans Mountain près d’Edmonton, en Alberta, en février 2020.
Le sénateur Doug Black, à gauche, visite un chantier de construction du pipeline Trans Mountain près d’Edmonton, en Alberta, en février 2020.

Y a-t-il des choses qui vous ont étonné au Sénat?

Y a-t-il des choses qui ne m’ont pas étonné, vous voulez dire!

Dans le milieu des affaires, d’où je venais, ce sont les résultats qui comptent, pas le processus. Mais là, je me suis retrouvé dans un milieu où le processus est extrêmement important et où les résultats – quand il y en a – sont peut-être moins fréquents. Dans mon ancienne carrière, quand je rencontrais quelqu’un, chacun exprimait son point de vue et on tâchait ensuite d’améliorer un peu les choses. Disons que ce n’est pas ainsi que les choses fonctionnent au Sénat.

Comment ai-je réagi? Dès le départ, j’ai présenté un plan de réforme du Sénat en sept points. Dix ans plus tard, les travaux du Sénat sont télédiffusés. Les dépenses des sénateurs sont entièrement publiques. J’étais profondément convaincu, en raison de mon passage dans le monde des affaires, que le Sénat devait se doter d’un comité d’audit indépendant dont les membres seraient indépendants eux aussi, et c’est aujourd’hui une réalité. J’en suis évidemment ravi. Il reste encore certaines choses à accomplir, cela dit, car je demeure d’avis que le Président du Sénat devrait être élu. Le Sénat est une institution exceptionnelle. Oui, il y a des choses à améliorer, mais il ne faut pas non plus jeter le bébé avec l’eau du bain.

Pendant vos années au Sénat, vous avez fait partie de nombreux comités, dont celui de l’énergie, de l'environnement et des ressources naturelles et celui des banques et du commerce. De quelle réalisation êtes-vous le plus fier?

La plus grande force du Sénat, c’est la manière dont ses comités sont structurés. Les comités sénatoriaux ont ce qu’il faut pour figurer parmi les meilleurs cercles de réflexion du pays, car en plus de pouvoir compter sur des gens brillants, ils ont aussi accès à des ressources exceptionnelles et ils peuvent se pencher sur le sujet de leur choix. 

J’ai toujours été d’avis que nous devrions nous intéresser aux « choses qui comptent vraiment ». Quand j’avais le privilège de siéger au Comité sénatorial des banques et du commerce – j’étais d’ailleurs le premier sénateur de l’Ouest à le présider et il y avait des sujets qui, à mes yeux, méritaient qu’on s’y arrête. Je suis par exemple fier de notre rapport sur le Bitcoin et les chaînes de blocs. Nous avons aussi fait une étude sur ce qu’on appelle le système bancaire ouvert, c’est-à-dire axé sur les besoins des consommateurs. Le Canada tire de l’arrière dans ce domaine, et le comité a fait un travail remarquable. Les obstacles au commerce interprovincial coûtent des milliards de dollars à l’économie canadienne. C’est stupide, et nous en avons fait la démonstration dans un rapport solide. Parce que le Canada a toujours eu beaucoup de mal à développer ses infrastructures, j’ai participé à une étude sur la création d’un corridor pancanadien. Il s’agirait d’un tracé consacré exclusivement aux infrastructures, dont nous avons grandement besoin et que nous avons un mal du diable à bâtir. Si le gouvernement y donne suite, toutes ces études permettront d’accroître la productivité et la prospérité du Canada.

De droite à gauche, les sénateurs Doug Black, Carolyn Stewart Olsen et Percy Mockler sont à Fredericton (Nouveau-Brunswick) pour présenter le rapport sur les cyberattaques que le Comité sénatorial des banques et du commerce a produit en 2018.
De droite à gauche, les sénateurs Doug Black, Carolyn Stewart Olsen et Percy Mockler sont à Fredericton (Nouveau-Brunswick) pour présenter le rapport sur les cyberattaques que le Comité sénatorial des banques et du commerce a produit en 2018.

Au comité de l’énergie, les choses étaient un peu plus compliquées, car de nos jours, le gaz et le pétrole ont mauvaise presse au Canada. Je représente l’Alberta, alors ce dossier est très important. Les hydrocarbures sont non seulement le principal secteur d’activité de l’Alberta, mais aussi la principale source d’exportation du pays. J’ai toujours tenu à ce que la voix des entreprises énergétiques responsables puisse être entendue, et je n’ai jamais lésiné sur les moyens pour qu’elle le soit.

Du côté législatif, vous étiez particulièrement actif au Sénat quand celui-ci étudiait des projets de loi susceptibles d’avoir une incidence sur l’Alberta et le secteur de l’énergie. Quels projets de loi vous ont marqué le plus?

Je suis particulièrement fier du projet de loi S-245, la Loi sur le projet de pipeline Trans Mountain, car il fallait absolument que l’Alberta et le Canada puissent acheminer les ressources énergétiques jusqu’aux côtes. Après les déboires qu’avaient connus les pipelines Keystone XL, Énergie Est et Northern Gateway, il ne restait plus que Trans Mountain, qui relie Fort McMurray, en Alberta, et Burnaby, en Colombie-Britannique, et que le gouvernement du Canada a fini par acheter. Il fallait dire haut et fort que ce pipeline revêtait un intérêt national pour le Canada, et c’est ce que faisait le projet de loi S‑245, que le Sénat a adopté. Il s’agissait d’un texte important, car le gouvernement du Canada aurait alors eu la responsabilité de bâtir le pipeline projeté. Il empêchait aussi les groupes d’intérêts situés le long du tracé de s’immiscer dans le processus. Ce n’était pas subtil comme méthode, mais le Sénat a compris que c’était dans l’intérêt du Canada.

Je garde aussi un bon souvenir, non pas du résultat obtenu, mais des travaux – que j’ai eu l’honneur de coordonner – qui ont eu lieu relativement au projet de loi C-69, qui empêche selon moi le Canada de développer ses infrastructures, et au projet de loi C-48, qui interdit aux pétroliers de venir prendre des chargements sur la côte Ouest du pays. Les gens sont conscients de tout ce que j’ai fait pour créer des coalitions afin d’améliorer C-69 et d’enterrer C-48, même si, au bout du compte, je n’ai pas obtenu les résultats escomptés.

Le Canada a dû mettre une croix sur des investissements à cause du projet de loi C-69 et de la restructuration de l’Office national de l’énergie. Aucun projet d’envergure n’a vu le jour depuis ce temps. Et je ne parle pas juste des sables bitumineux : c’est vrai aussi pour les installations portuaires, les chemins de fer, les aéroports, tout ce qui nécessite l’approbation des autorités fédérales. Il faut se demander si l’intérêt du Canada est bien servi. J’ai bon espoir que la loi sera modifiée, car les gens vont finir par comprendre à quel point elle est déséquilibrée quand ils verront le Canada devenir de moins en moins concurrentiel sur la scène internationale.

Le sénateur Black en visite dans une ferme d’élevage située à quelques kilomètres au sud est de Lethbridge, pendant une tournée du Sud de l’Alberta.
Le sénateur Black en visite dans une ferme d’élevage située à quelques kilomètres au sud est de Lethbridge, pendant une tournée du Sud de l’Alberta.

Ce sont, selon moi, les mesures législatives pour lesquelles on se souviendra de moi. Quasiment tous les jours où je suis en Alberta, les gens viennent me voir pour me remercier de ce que j’ai fait dans ces dossiers-là. Je trouve ça réconfortant parce que je ne suis pas quelqu’un de combatif. Je n’avais tout simplement pas le choix de me battre si je voulais faire valoir ce que j’estimais être les intérêts de l’Alberta et du Canada. Parfois, notre boulot nous amène à faire des choses qui ne nous auraient jamais traversé l’esprit jusque-là.

Vous avez déclaré prendre votre retraite du Sénat parce que c’est au tour de quelqu’un d’autre. Quels conseils donneriez-vous aux nouveaux sénateurs, et plus particulièrement à ceux de l’Alberta?

Le Sénat ne ressemble à rien d’autre au Canada. Personne ne peut dire qu’il en comprend le fonctionnement dès son arrivée. Je leur conseillerais de regarder les choses aller pendant un certain temps – rien ne presse, après tout – et d’intervenir quand ils le jugeront nécessaire. Mais au départ, ils devraient se contenter d’observer et d’apprendre. Je leur conseillerais aussi d’apprendre comment fonctionne le processus législatif et la politique en général, mais aussi d’observer les gens, les médias et la dynamique entre les différents groupes.

Je leur conseillerais aussi d’apprendre à connaître les gens de leur région. Il ne faut pas présumer qu’ils ont le devoir de vous connaître. À vrai dire, ils n’en feront même pas l’effort parce qu’ils ne croient pas que le Sénat puisse défendre leurs intérêts. Le Sénat est une tribune extraordinaire. Il faut s’en servir pour connaître les gens, les organismes, les communautés, pour savoir ce qui les préoccupe et pour trouver des moyens de les aider. C’est ce qui est le plus beau de ce travail et c’est ce qui me permet d’être efficace à Ottawa, parce que je sais alors que je peux être le porte-voix de l’Alberta.  

Qu’est-ce qui vous manquera le plus du Sénat?

Ce qui me manquera, c’est la capacité d’être activement au service des Albertains, là où ils vivent. Le fait de pouvoir être à une table du Tina’s Café & Bakery, à Glenwood (Alberta), et de demander aux gens quel est l’impact de la sécheresse sur leur communauté. Je ne peux rien faire contre la sécheresse, mais je peux en apprendre davantage sur l’irrigation et faire connaître aux gens les sources de financement fédérales et provinciales. Je peux écouter les gens et leur dire : « Vous avez ce qu’il faut, collectivement, pour vous en sortir. » Les Albertains savent se tirer d’affaire parce qu’ils sont résilients et bienveillants.

Qu’est-ce qui vous attend après le Sénat?

Je veux défendre les intérêts de l’Alberta au Canada. Avant de devenir sénateur, j’ai créé l’organisme Alberta 2.0 en collaboration avec un groupe formidable d’Albertains et quelques personnes d’ailleurs auxquelles l’Alberta tient à cœur. Nous avons pris conscience qu’il faut élargir l’économie albertaine et y développer d’autres secteurs que le secteur pétrolier et gazier. Nous faisons d’ailleurs d’immenses progrès. Mon engagement va se poursuivre dans le sens d’Alberta 2.0.

Photo officielle du sénateur Doug Black au Sénat.
Photo officielle du sénateur Doug Black au Sénat.

Mon passage au Sénat a été le plus grand privilège de ma carrière. En devenant sénateur, un sénateur élu, de surcroît, j’ai eu le privilège de me mettre au service des Albertains et des Canadiens. Ça n’arrive pas à tout le monde! Je me vois comme un avocat des Prairies à qui la chance a souri.

« Un avocat des Prairies à qui la chance a souri »: le sénateur Doug Black part à la retraite

Inspiré par l’engagement communautaire de ses parents, le sénateur Doug Black a quitté une carrière en droit des sociétés pour se jeter dans la mêlée et représenter l’Alberta au Sénat – l’Alberta tient parfois des élections pour choisir les candidats qui la représenteront. Que ce soit au Sénat lui-même, en comité ou sur la route, le sénateur Black estime que d’avoir pu représenter les Albertains aura été le point culminant de sa vie professionnelle.

Avant son départ à la retraite, en octobre 2021, SenCAplus a demandé au sénateur Black de nous parler de son passage à la Chambre haute.

Avant d’être nommé sénateur, vous étiez avocat en droit des sociétés. En quoi cette expérience vous a-t-elle préparé à vos fonctions sénatoriales?

Pour être un bon avocat, il faut savoir assimiler rapidement et synthétiser une quantité phénoménale de renseignements. C’est excellent pour le travail de sénateur, car quel que soit le dossier, il y a toujours beaucoup de choses à lire et à intégrer. Il faut aussi savoir écouter. Il faut écouter et observer les autres, car il y a toujours un autre point de vue que le sien et c’est toujours utile d’avoir un maximum de perspectives sur un enjeu donné.

Le sénateur Doug Black répond aux questions des journalistes lors d’une conférence de presse sur le rapport Le Canada, toujours ouvert aux investisseurs?, qui a été publié en 2018 par le Comité sénatorial des banques et du commerce.
Le sénateur Doug Black répond aux questions des journalistes lors d’une conférence de presse sur le rapport Le Canada, toujours ouvert aux investisseurs?, qui a été publié en 2018 par le Comité sénatorial des banques et du commerce.   

Vous représentez l’Alberta, qui choisit ses candidats au Sénat lors d’un scrutin. Le premier ministre n’est pas tenu d’en respecter les résultats, mais certains candidats choisis de cette manière ont déjà été nommés au Sénat, à commencer par vous-même. Pourquoi souhaitiez-vous briguer les suffrages et devenir sénateur?

Parce que je crois à la cause publique et que j’aime les politiques publiques. Et aussi parce que j’aime les gens. La politique, c’est exclusivement une affaire de gens. J’adore rencontrer mes concitoyens, voir ce qu’ils ont à m’apprendre et sentir que je les aide. Et puis j’aime l’Alberta.

Quand je me suis présenté, l’Alberta tenait des élections pour choisir les personnes qui devaient la représenter au Sénat, et à l’époque, il était plus ou moins entendu que les personnes ainsi élues seraient nommées, car le premier ministre du temps croyait au bien-fondé de ce processus. Les enjeux étaient élevés, car les noms de 13 bons candidats figuraient sur le bulletin de vote.

Vous êtes profondément attaché à votre province d’origine, l’Alberta. Ce sentiment a-t-il influé sur vos fonctions sénatoriales? 

L’une de mes affiches de campagne disait : « La voix de l’Alberta. Aujourd’hui ». J’estimais alors que l’Alberta gagnerait à être mieux représentée sur les questions qui comptent vraiment aux yeux des Albertains et des Canadiens.

J’estimais, pour avoir œuvré dans le domaine du droit des sociétés et dans le secteur public, que j’avais quelque chose à apporter, dans les dossiers de l’énergie, des études postsecondaires et des arts, et que j’avais la crédibilité nécessaire pour faire valoir mon point de vue. Je considère entre autres que l’Alberta ne se vend pas particulièrement bien. Je croyais pouvoir faire œuvre utile en montrant au Canada que l’Alberta sait être rationnelle et pondérée et qu’on y compte de nombreux Canadiens d’exception.

Mon objectif était de représenter les Albertains ici, à Ottawa, et j’ai fait du mieux que j’ai pu. Pendant mon passage au Sénat, je me suis rendu dans une cinquantaine de localités albertaines et j’ai rencontré des dizaines de milliers de gens. Je me suis fait un point d’honneur de connaître à fond toutes les régions et les secteurs de la province.

Le sénateur Doug Black, à gauche, visite un chantier de construction du pipeline Trans Mountain près d’Edmonton, en Alberta, en février 2020.
Le sénateur Doug Black, à gauche, visite un chantier de construction du pipeline Trans Mountain près d’Edmonton, en Alberta, en février 2020.

Y a-t-il des choses qui vous ont étonné au Sénat?

Y a-t-il des choses qui ne m’ont pas étonné, vous voulez dire!

Dans le milieu des affaires, d’où je venais, ce sont les résultats qui comptent, pas le processus. Mais là, je me suis retrouvé dans un milieu où le processus est extrêmement important et où les résultats – quand il y en a – sont peut-être moins fréquents. Dans mon ancienne carrière, quand je rencontrais quelqu’un, chacun exprimait son point de vue et on tâchait ensuite d’améliorer un peu les choses. Disons que ce n’est pas ainsi que les choses fonctionnent au Sénat.

Comment ai-je réagi? Dès le départ, j’ai présenté un plan de réforme du Sénat en sept points. Dix ans plus tard, les travaux du Sénat sont télédiffusés. Les dépenses des sénateurs sont entièrement publiques. J’étais profondément convaincu, en raison de mon passage dans le monde des affaires, que le Sénat devait se doter d’un comité d’audit indépendant dont les membres seraient indépendants eux aussi, et c’est aujourd’hui une réalité. J’en suis évidemment ravi. Il reste encore certaines choses à accomplir, cela dit, car je demeure d’avis que le Président du Sénat devrait être élu. Le Sénat est une institution exceptionnelle. Oui, il y a des choses à améliorer, mais il ne faut pas non plus jeter le bébé avec l’eau du bain.

Pendant vos années au Sénat, vous avez fait partie de nombreux comités, dont celui de l’énergie, de l'environnement et des ressources naturelles et celui des banques et du commerce. De quelle réalisation êtes-vous le plus fier?

La plus grande force du Sénat, c’est la manière dont ses comités sont structurés. Les comités sénatoriaux ont ce qu’il faut pour figurer parmi les meilleurs cercles de réflexion du pays, car en plus de pouvoir compter sur des gens brillants, ils ont aussi accès à des ressources exceptionnelles et ils peuvent se pencher sur le sujet de leur choix. 

J’ai toujours été d’avis que nous devrions nous intéresser aux « choses qui comptent vraiment ». Quand j’avais le privilège de siéger au Comité sénatorial des banques et du commerce – j’étais d’ailleurs le premier sénateur de l’Ouest à le présider et il y avait des sujets qui, à mes yeux, méritaient qu’on s’y arrête. Je suis par exemple fier de notre rapport sur le Bitcoin et les chaînes de blocs. Nous avons aussi fait une étude sur ce qu’on appelle le système bancaire ouvert, c’est-à-dire axé sur les besoins des consommateurs. Le Canada tire de l’arrière dans ce domaine, et le comité a fait un travail remarquable. Les obstacles au commerce interprovincial coûtent des milliards de dollars à l’économie canadienne. C’est stupide, et nous en avons fait la démonstration dans un rapport solide. Parce que le Canada a toujours eu beaucoup de mal à développer ses infrastructures, j’ai participé à une étude sur la création d’un corridor pancanadien. Il s’agirait d’un tracé consacré exclusivement aux infrastructures, dont nous avons grandement besoin et que nous avons un mal du diable à bâtir. Si le gouvernement y donne suite, toutes ces études permettront d’accroître la productivité et la prospérité du Canada.

De droite à gauche, les sénateurs Doug Black, Carolyn Stewart Olsen et Percy Mockler sont à Fredericton (Nouveau-Brunswick) pour présenter le rapport sur les cyberattaques que le Comité sénatorial des banques et du commerce a produit en 2018.
De droite à gauche, les sénateurs Doug Black, Carolyn Stewart Olsen et Percy Mockler sont à Fredericton (Nouveau-Brunswick) pour présenter le rapport sur les cyberattaques que le Comité sénatorial des banques et du commerce a produit en 2018.

Au comité de l’énergie, les choses étaient un peu plus compliquées, car de nos jours, le gaz et le pétrole ont mauvaise presse au Canada. Je représente l’Alberta, alors ce dossier est très important. Les hydrocarbures sont non seulement le principal secteur d’activité de l’Alberta, mais aussi la principale source d’exportation du pays. J’ai toujours tenu à ce que la voix des entreprises énergétiques responsables puisse être entendue, et je n’ai jamais lésiné sur les moyens pour qu’elle le soit.

Du côté législatif, vous étiez particulièrement actif au Sénat quand celui-ci étudiait des projets de loi susceptibles d’avoir une incidence sur l’Alberta et le secteur de l’énergie. Quels projets de loi vous ont marqué le plus?

Je suis particulièrement fier du projet de loi S-245, la Loi sur le projet de pipeline Trans Mountain, car il fallait absolument que l’Alberta et le Canada puissent acheminer les ressources énergétiques jusqu’aux côtes. Après les déboires qu’avaient connus les pipelines Keystone XL, Énergie Est et Northern Gateway, il ne restait plus que Trans Mountain, qui relie Fort McMurray, en Alberta, et Burnaby, en Colombie-Britannique, et que le gouvernement du Canada a fini par acheter. Il fallait dire haut et fort que ce pipeline revêtait un intérêt national pour le Canada, et c’est ce que faisait le projet de loi S‑245, que le Sénat a adopté. Il s’agissait d’un texte important, car le gouvernement du Canada aurait alors eu la responsabilité de bâtir le pipeline projeté. Il empêchait aussi les groupes d’intérêts situés le long du tracé de s’immiscer dans le processus. Ce n’était pas subtil comme méthode, mais le Sénat a compris que c’était dans l’intérêt du Canada.

Je garde aussi un bon souvenir, non pas du résultat obtenu, mais des travaux – que j’ai eu l’honneur de coordonner – qui ont eu lieu relativement au projet de loi C-69, qui empêche selon moi le Canada de développer ses infrastructures, et au projet de loi C-48, qui interdit aux pétroliers de venir prendre des chargements sur la côte Ouest du pays. Les gens sont conscients de tout ce que j’ai fait pour créer des coalitions afin d’améliorer C-69 et d’enterrer C-48, même si, au bout du compte, je n’ai pas obtenu les résultats escomptés.

Le Canada a dû mettre une croix sur des investissements à cause du projet de loi C-69 et de la restructuration de l’Office national de l’énergie. Aucun projet d’envergure n’a vu le jour depuis ce temps. Et je ne parle pas juste des sables bitumineux : c’est vrai aussi pour les installations portuaires, les chemins de fer, les aéroports, tout ce qui nécessite l’approbation des autorités fédérales. Il faut se demander si l’intérêt du Canada est bien servi. J’ai bon espoir que la loi sera modifiée, car les gens vont finir par comprendre à quel point elle est déséquilibrée quand ils verront le Canada devenir de moins en moins concurrentiel sur la scène internationale.

Le sénateur Black en visite dans une ferme d’élevage située à quelques kilomètres au sud est de Lethbridge, pendant une tournée du Sud de l’Alberta.
Le sénateur Black en visite dans une ferme d’élevage située à quelques kilomètres au sud est de Lethbridge, pendant une tournée du Sud de l’Alberta.

Ce sont, selon moi, les mesures législatives pour lesquelles on se souviendra de moi. Quasiment tous les jours où je suis en Alberta, les gens viennent me voir pour me remercier de ce que j’ai fait dans ces dossiers-là. Je trouve ça réconfortant parce que je ne suis pas quelqu’un de combatif. Je n’avais tout simplement pas le choix de me battre si je voulais faire valoir ce que j’estimais être les intérêts de l’Alberta et du Canada. Parfois, notre boulot nous amène à faire des choses qui ne nous auraient jamais traversé l’esprit jusque-là.

Vous avez déclaré prendre votre retraite du Sénat parce que c’est au tour de quelqu’un d’autre. Quels conseils donneriez-vous aux nouveaux sénateurs, et plus particulièrement à ceux de l’Alberta?

Le Sénat ne ressemble à rien d’autre au Canada. Personne ne peut dire qu’il en comprend le fonctionnement dès son arrivée. Je leur conseillerais de regarder les choses aller pendant un certain temps – rien ne presse, après tout – et d’intervenir quand ils le jugeront nécessaire. Mais au départ, ils devraient se contenter d’observer et d’apprendre. Je leur conseillerais aussi d’apprendre comment fonctionne le processus législatif et la politique en général, mais aussi d’observer les gens, les médias et la dynamique entre les différents groupes.

Je leur conseillerais aussi d’apprendre à connaître les gens de leur région. Il ne faut pas présumer qu’ils ont le devoir de vous connaître. À vrai dire, ils n’en feront même pas l’effort parce qu’ils ne croient pas que le Sénat puisse défendre leurs intérêts. Le Sénat est une tribune extraordinaire. Il faut s’en servir pour connaître les gens, les organismes, les communautés, pour savoir ce qui les préoccupe et pour trouver des moyens de les aider. C’est ce qui est le plus beau de ce travail et c’est ce qui me permet d’être efficace à Ottawa, parce que je sais alors que je peux être le porte-voix de l’Alberta.  

Qu’est-ce qui vous manquera le plus du Sénat?

Ce qui me manquera, c’est la capacité d’être activement au service des Albertains, là où ils vivent. Le fait de pouvoir être à une table du Tina’s Café & Bakery, à Glenwood (Alberta), et de demander aux gens quel est l’impact de la sécheresse sur leur communauté. Je ne peux rien faire contre la sécheresse, mais je peux en apprendre davantage sur l’irrigation et faire connaître aux gens les sources de financement fédérales et provinciales. Je peux écouter les gens et leur dire : « Vous avez ce qu’il faut, collectivement, pour vous en sortir. » Les Albertains savent se tirer d’affaire parce qu’ils sont résilients et bienveillants.

Qu’est-ce qui vous attend après le Sénat?

Je veux défendre les intérêts de l’Alberta au Canada. Avant de devenir sénateur, j’ai créé l’organisme Alberta 2.0 en collaboration avec un groupe formidable d’Albertains et quelques personnes d’ailleurs auxquelles l’Alberta tient à cœur. Nous avons pris conscience qu’il faut élargir l’économie albertaine et y développer d’autres secteurs que le secteur pétrolier et gazier. Nous faisons d’ailleurs d’immenses progrès. Mon engagement va se poursuivre dans le sens d’Alberta 2.0.

Photo officielle du sénateur Doug Black au Sénat.
Photo officielle du sénateur Doug Black au Sénat.

Mon passage au Sénat a été le plus grand privilège de ma carrière. En devenant sénateur, un sénateur élu, de surcroît, j’ai eu le privilège de me mettre au service des Albertains et des Canadiens. Ça n’arrive pas à tout le monde! Je me vois comme un avocat des Prairies à qui la chance a souri.

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