Chapitre
13
Réglementer
l’utilisation du cannabis à
des fins thérapeutiques
Nous
avons vu au chapitre 9 que le cannabis a été utilisé à des fins thérapeutiques
dans diverses sociétés depuis plusieurs milliers d’années, souvent pour les
mêmes conditions physiques que celles pour lesquelles des personnes en font
usage aujourd’hui. Mais à
compter du début du XXe siècle, la communauté médicale a graduellement cessé
de prescrire du cannabis. Divers
facteurs peuvent expliquer cette évolution.
Les développements de l’industrie pharmaceutique au cours du XIXe siècle
ont fourni à la communauté médicale d’autres médicaments, plus stables et
éprouvés cliniquement. L’approche
de la médecine elle-même a changé et conséquemment la conception même de la
santé. Et les drogues issues de plantes source, d’abord l’opium
puis la coca et le cannabis ont fait l’objet d’un interdit par la communauté
internationale, sauf à des fins médicales et scientifiques.
Or, dans le cas du cannabis, il n’y avait pas eu, jusqu’à tout récemment,
d’études permettant d’établir ses propriétés médicales selon les règles
méthodologiques admises.
Néanmoins,
on a vu un regain d’intérêt pour le cannabis thérapeutique à partir des
années 1970, dans les suites notamment de la redécouverte sociale du cannabis
au cours des années 1960 et des travaux qui ont permis d’isoler les
composants actifs de la plante. De
plus, en raison du nombre élevé d’allégations touchant les bienfaits thérapeutiques
du produit, un nombre croissant de personnes ont demandé l’adoption d’une
approche moins restrictive afin de permettre la vente du cannabis aux personnes
qui pourraient tirer profit de cette utilisation.
Au
Canada, aucun essai clinique démontrant sa sécurité et son efficacité
n’ayant été fait, le cannabis ne peut pas être vendu comme produit médical.[1]
Malgré cette interdiction, plusieurs consomment du cannabis à des fins
thérapeutiques sans autorisation légale et divers organismes se sont établis
qui à la fois distribuent du cannabis à des fins thérapeutiques et agissent
comme groupe de pression au nom de ces patients.
Ce
chapitre rappelle les événements qui ont mené à l’adoption récente de la
Réglementation
sur l’accès à la marijuana à des fins médicales qui vise à offrir un cadre d’accès humanitaire à
la marijuana pour les Canadiens gravement malades, tout en poursuivant les
recherches sur son utilisation à des fins thérapeutiques.
Nous décrivons ensuite les dispositions de cette réglementation qui est
entrée en vigueur le 30 juillet 2001.
La dernière section examine sa mise en œuvre et s’interroge sur les
limites intrinsèques à cette approche.
Cadre
entourant la récente réglementation
Article
56 – Loi réglementant certaines drogues et autres substances
La Loi
réglementant certaines drogues et autres substances[2]
interdit une série d’activités associées aux drogues psychoactives,
dont la possession, la culture, le trafic, la possession à des fins de trafic,
l’importation et l’exportation. Ces
activités sont illégales, sauf si elles sont autorisées par les règlements
de la Loi. Par exemple, les Règlements
sur les stupéfiants régissent la distribution légale des stupéfiants.[3]
De plus, avant de mettre en marché un médicament au Canada, la Loi
sur les aliments et drogues[4]
et ses règlements doivent en autoriser la vente. Les règlements de la Loi établissent, entre autres, les
contrôles de la sécurité, de l’efficacité et de la qualité des produits
thérapeutiques. Pour mettre en
marché le cannabis sous la forme d’un médicament au Canada, le promoteur
doit soumettre une « Présentation de drogue nouvelle » au Programme
des produits thérapeutiques de Santé Canada.
Les données fournies sont évaluées pour déterminer les bienfaits et
les risques éventuels associés au médicament avant que sa vente soit autorisée.
D’autres
mécanismes autorisent certaines activités habituellement interdites.
Conformément à l’article 56 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances,
le ministre de la Santé peut faire des exceptions si, selon lui, cette
exception est nécessaire à des fins médicales ou scientifiques ou si elle est
dans l’intérêt public. Dans ces
circonstances précises, toute personne ou catégorie de personnes peut donc être
exemptée de la mise en application d’une ou des dispositions de la Loi. Les activités comprennent la culture et la possession de
marijuana, activités habituellement interdites par la Loi.
En réponse
à la demande croissante pour permettre l’utilisation du cannabis à des fins
thérapeutiques et pour éviter des contestations fondées sur la Charte
relativement à l’usage thérapeutique, Santé Canada a publié un Document
d’orientation provisoire en mai 1999.
Ce document explique les étapes que les Canadiens doivent suivre pour
faire une demande d’exemption relativement à la possession et à la culture
de la marijuana à des fins thérapeutiques, selon l’autorisation fournie dans
l’article 56 de la Loi réglementant certaines drogues et autres
substances. Les candidats doivent
prouver que l’exemption est nécessaire à ces fins et doivent obtenir une
note d’un médecin appuyant cette demande et comprenant les détails sur les
antécédents médicaux et la pharmacothérapie du patient.
Santé Canada revoit les demandes cas par cas, en tenant compte des
besoins médicaux du patient. Les
premières exemptions ont été accordées en juin 1999.
Au 3 mai 2002, 658 exemptions avaient été autorisées,
conformément à l’article 56 ; 501 d’entre elles sont toujours en
vigueur. En ce qui concerne les
autres 157 patients, certains ont l’autorisation de posséder du
cannabis, conformément à la récente Réglementation
sur l’accès à la marijuana à des fins médicales, tandis que d’autres
n’ont peut-être plus besoin de consommer de la marijuana à des fins thérapeutiques. Pour se conformer au processus, les patients devaient limiter
leur culture à la quantité indiquée dans leur lettre de dispense.[5]
Suite
à son engagement de tenir une consultation publique sur le programme
d’exemption de l’article 56, Santé Canada a organisé un atelier de
consultations multilatérales en février 2000. Les participants[6]
ont identifié les points prioritaires suivants :
·
Obtenir une
source de marijuana légale pour les personnes exemptées à l’article 56 ;
·
Attribuer des exemptions pour les personnes soignantes ;
·
Aborder le
besoin de fournir de plus amples renseignements sur l’utilisation de la
marijuana à des fins médicales ;
·
Calmer les préoccupations des autorités policières ;
·
Améliorer le
processus et les outils associés aux demandes se conformant à l’article 56 ;
et
·
Diffuser des
renseignements sur le processus prévu par l’article 56 et les activités
de Santé Canada sur l’utilisation de la marijuana à des fins médicales[7].
Les
renseignements recueillis lors de ces consultations ont été utilisés pour élaborer
la Réglementation sur
l’accès à la marijuana à des fins médicales.
Contestations
fondées sur la Charte – utilisation de la marijuana à des fins thérapeutiques
[8]
Les
tribunaux canadiens ont joué un rôle important pour obliger le gouvernement à
réviser le processus d’exemption puisque diverses contestations de
l’interdiction entourant l’usage de la marijuana à des fins thérapeutiques
ont été couronnées de succès en vertu des libertés fondamentales inscrites
dans la Charte.
Dans Wakeford
c. Canada (1998),[9]
une personne atteinte du SIDA qui consommait de la marijuana pour combattre ses
nausées et sa perte d’appétit, effets secondaires des médicaments qu’elle
prenait contre le SIDA, a demandé une exemption constitutionnelle à
l’interdiction entourant la marijuana dans la
Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
La Cour de l’Ontario (Division générale) a indiqué qu’en refusant
à une personne de choisir elle-même le traitement de sa maladie, la loi
brimait ses droits à la liberté et à la sécurité, tel que prévus par la
Charte. La Cour a soutenu que
l’interdiction de la marijuana n’était pas arbitraire, en autant que les
risques de méfaits associés à la consommation pouvaient être établis.[10]
En ce sens, dans son application générale, la Cour a trouvé que la loi
respectait les principes de la justice fondamentale, tels qu’établis à
l’article 7 de la Charte. Par
contre, l’impact de la loi sur les consommateurs du cannabis à des fins médicales
a soulevé d’autres questions et dans ce contexte, la Cour considérait que
l’interdiction générale était trop vaste et que cette décision de l’état
ne se justifiait pas aux motifs de la prohibition.
La Cour
a déclaré qu’il serait contraire aux principes de justice fondamentale
d’interdire la marijuana lorsqu’elle peut être un traitement médical
significatif dans les cas de maladies débilitantes et mortelles et si aucun
processus procédural ne permet d’obtenir une exemption aux poursuites.[11]
Toutefois, la Cour a observé qu’un tel processus existe dans
l’article 56 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
En conséquence, la Cour a jugé que la Loi respectait les principes de
justice fondamentale – même dans le cas des consommateurs à des fins médicales
et elle a donc refusé de fournir une exemption constitutionnelle à M. Wakeford. Elle a mentionné que, sans un processus d’exemption ministérielle
destiné aux consommateurs à des fins médicales, sa décision aurait été
différente.[12]
Plus tard, en raison de nouvelles preuves démontrant qu’aucun
processus réel n’avait été établi pour traiter les demandes d’exemption
en vertu de l’article 56 de la Loi, M. Wakeford a reçu une exemption
constitutionnelle provisoire pour la possession et la production/culture de la
marijuana. Jugeant l’exemption
statutaire « illusoire », la Cour s’est penchée à nouveau sur le
dossier et a accordé une exemption, qui devait demeurer en vigueur jusqu’à
ce que le ministre de la Santé prenne une décision quant à la demande de M. Wakeford,
conformément à l’article 56 de la Loi.[13]
Dans
l’arrêt R. c. Parker (2000),[14]
la Cour d’appel de l’Ontario est arrivée à une conclusion similaire
relativement à l’impact de l’interdiction générale de la consommation de
marijuana sur la « liberté et la sécurité » des consommateurs à
des fins médicales. Dans ce cas,
le patient – accusé de culture et de possession de marijuana – cultivait et
consommait de la marijuana pour contrôler ses crises d’épilepsie. La Cour a décidé que la prohibition, au sens de la loi pénale,
de la marijuana, vis-à-vis les
consommateurs de bonne foi à des fins
médicales, brimait leur droit à la liberté, conformément à l’article 7,
en raison de la possibilité qu’ils soient emprisonnés. De plus, en empêchant les personnes de pouvoir choisir la
marijuana comme médicament pour soulager les symptômes d’une maladie grave,
l’interdiction brimait aussi les droits à la liberté et à la sécurité,
sans égard à la possibilité qu’elles soient emprisonnées. Dans Parker, la
Cour a aussi décidé que la prohibition générale de la possession de
marijuana ne respectait pas les principes de justice fondamentale. La Cour d’appel s’est référée à la décision du juge
de première instance en ce qui a trait aux troubles médicaux et aux symptômes
sur lesquels le cannabis a un effet thérapeutique :
[Traduction] « En se fondant sur les preuves avancées lors du procès, le juge
de première instance a décidé que la partie défenderesse a pu prouver que le
fait de fumer de la marihuana a un effet thérapeutique sur les nausées et les
vomissements, surtout pour le traitement des cas associés à la chimiothérapie,
à la tension intra-oculaire provoquée par le glaucome, à la spasticité des
muscles provoquée par des lésions à la moelle épinière ou la sclérose en
plaques, aux migraines, aux crises d’épilepsie et aux douleurs chroniques. »
[15]
Nous
notons en particulier que la Cour, dans Parker,
est arrivée à la conclusion que le régime d’exceptions et exemptions prévu
à la loi pour autoriser la consommation à des fins médicales était contraire
aux principes de justice fondamentale. Premièrement,
même si la loi, en théorie, mentionne qu’une personne pourrait obtenir de la
marijuana sur ordonnance de médecin, les preuves présentées dans cette cause
démontraient que : aucun pharmacien ne pouvait remettre un tel médicament
; le gouvernement n’approuverait aucun médecin qui prescrit de la marijuana ;
et il était pratiquement impossible de trouver une source d’approvisionnement
légale au Canada.[16]
C’est pourquoi la Cour a indiqué que cette exception à la loi est
illusoire.[17]
Deuxièmement,
en ce qui a trait aux exemptions ministérielles prévues par l’article 56
de la Loi réglementant certaines drogues
et autres substances, la Cour a conclu que cette procédure était inadéquate
et ne respectait pas les principes de justice fondamentale.
La Cour a décidé que l’article 56 accordant les pleins pouvoirs
au ministre de la Santé était une base inappropriée pour garantir la sécurité
individuelle ou la liberté des personnes dans le contexte de l’accès à un
traitement médical pour soulager les symptômes de maladies graves.[18]
Les principaux points litigieux relatifs au processus d’exemption prévu
par l’article 56 concernaient les pouvoirs du
ministre prévus par la Loi, la transparence du processus, et une définition
claire de la nécessité médicale.
La Cour
est arrivée à la conclusion que l’interdiction générale de posséder de la
marijuana était contraire à l’article 7 de la Charte et ne constituait
pas une limite raisonnable et justifiable en vertu de l’article 1 de la
Charte.[19]
La Cour a donc déclaré l’interdiction de posséder de la marijuana
inconstitutionnelle et sans force exécutoire.
Par contre, la Cour a suspendu la déclaration d’invalidité pendant un
an, afin que le Parlement puisse modifier la loi de façon à inclure des
exemptions adéquates pour la consommation à des fins médicales.
D’ici là, M. Parker détiendrait une exemption personnelle
à l’interdiction de posséder de la marijuana.
Dans l’arrêt Parker, la Cour
a suggéré que sa décision relative au fait que l’interdiction de posséder
de la marijuana violait l’article 7 de la Charte s’appliquerait
probablement aussi à l’interdiction de cultiver.[20]
Réaction
du gouvernement
En
septembre 2000, alors qu’il songeait toujours à faire appel de la décision,
le gouvernement a annoncé qu’il prévoyait adopter une nouvelle réglementation
qui préciserait les circonstances permettant la consommation de marijuana à
des fins thérapeutiques et les procédures d’autorisation.[21]
Une déclaration d’intention
a été publiée le 6 janvier 2001.
Des réunions ont eu lieu avec des parties intervenantes clés identifiées
par Santé Canada.[22]
En
avril 2001, le gouvernement a annoncé les règlements proposés régissant la
possession et la production de marijuana à des fins thérapeutiques.
Ces règlements devaient répondre aux problèmes clés soulevés par la
Cour d’appel de l’Ontario, relativement au processus d’exemption prévu
par l’article 56. Ils comprennent deux composantes principales : 1) les
autorisations permettant de posséder de la marijuana, et 2) les licences
permettant de produire de la marijuana.
Suite
à la période de consultation de 30 jours, période durant laquelle Santé
Canada a reçu des commentaires de 139 personnes et groupes, les
changements suivants ont été apportés aux règlements proposés : le
processus d’application serait géré par le requérant individuel plutôt que
par le médecin ; les restrictions touchant les terres de production seraient
moins sévères et ne comprendraient plus la limite de un kilomètre pour la
culture à l’extérieur près des écoles et d’autres endroits fréquentés
par des enfants ; la formule servant à calculer le nombre de plants permis par
la licence de production serait rajustée pour refléter les récoltes à
l’intérieur et à l’extérieur, ainsi que les marges d’erreur ; et des
dispositions transitoires seraient comprises et toucheraient toutes les
exemptions courantes dans un délai de six mois, pour que tous les patients
puissent avoir l’occasion de se conformer aux nouveaux règlements.[23]
Le
4 juillet 2001, le gouvernement a annoncé que les règlements régissant
la possession et la production de marijuana à des fins thérapeutiques
entreraient en vigueur le 30 juillet 2001.
Réglementation
sur l’accès à la marijuana à des fins médicales
La
Réglementation sur l’accès à la
marijuana à des fins médicales comprend deux composantes principales : les
autorisations permettant de posséder de la marijuana et les licences permettant
de produire de la marijuana. Cette
réglementation, a pour objectif d’offrir un cadre humanitaire pour l’accès
à la marijuana à des fins médicales.
« La réglementation établit un cadre humanitaire qui permet aux
personnes atteintes de maladies graves de consommer de la marijuana, lorsque les
traitements conventionnels s’avèrent inappropriés ou n’offrent pas de
soulagement adéquat aux symptômes associés à leur condition médicale ou à
leur traitement, et lorsque la consommation de marijuana peut avoir un effet thérapeutique
plus important que les risques qui y sont associés. » [24]
Comme
nous le verrons plus en détail, la réglementation ne prévoit l’accès à la
marijuana que dans des circonstances spéciales, c’est-à-dire pour les
conditions médicales graves pour lesquelles les traitements conventionnels ne
soulagent pas adéquatement les symptômes.
Selon Santé Canada, cette situation est attribuable « aux risques
pour la santé associés au fait de fumer, en particulier, ce produit, et au
manque de preuves appuyant les bienfaits prétendus ».[25]
Notons
aussi que l’application de la réglementation est limitée au « cannabis (marijuana) »,
tel qu’apparaissant dans le sous-article 1(2) de l’Annexe II de la Loi
réglementant certaines
drogues et autres substances ;
autrement dit, la réglementation ne s’applique pas aux dérivés du cannabis
(le haschich par exemple).
Autorisation
de posséder
Trois
catégories distinctes d’autorisations de posséder de la marijuana séchée
ont été crées, chacune comportant ses propres conditions de demande.
Dans chaque cas, la demande doit être faite par le patient. La déclaration
doit comprendre des renseignements identifiant le demandeur et indiquant si :
v
Le
demandeur sait qu’aucun avis de conformité n’a été soumis, conformément
à la Loi sur les aliments et drogues,
relativement à la sécurité et à l’efficacité de la marijuana en tant que
médicament, et s’il comprend la signification de ce fait ; et
v
Le
demandeur a discuté des risques associés à la consommation de la marijuana
avec un médecin et il accepte de la consommer aux fins médicales recommandées.
Catégorie 1
v
Admissibilité
: Cette catégorie touche les demandeurs souffrant de symptômes associés à
une maladie et dont on prévoit la mort
dans un délai de douze mois.
v
Conditions
: Un médecin doit fournir une déclaration
médicale qui indique :
·
La condition médicale
du patient et les symptômes associés à cette condition ou à son traitement ;
·
Que le patient
est atteint d’une maladie en phase terminale ;
·
Que le patient
a essayé ou envisagé tous les traitements conventionnels pour les symptômes
présents ;
·
Que la
consommation recommandée de marijuana atténuerait les symptômes ;
·
Que les
avantages de la consommation recommandée de marijuana excéderaient les risques
associés à cette consommation ;
·
Que le médecin
sait qu’aucun avis de conformité n’a été
soumis, conformément à la Loi sur les
aliments et drogues, relativement à la sécurité et à l’efficacité de
la marijuana en tant que médicament ; et
·
La dose
quotidienne recommandée et la durée du traitement.
Catégorie 2
v
Admissibilité
: Cette catégorie vise les demandeurs qui souffrent de symptômes particuliers
associés à certains troubles médicaux graves, notamment :
·
Sclérose
en plaques :
douleur grave et/ou spasmes musculaires persistants ;
·
Lésion
de la moelle épinière :
douleur grave et/ou spasmes musculaires persistants
;
·
Maladie
de la moelle épinière :
douleur grave et/ou spasmes musculaires persistants ;
·
Cancer :
douleur grave, cachexie, anorexie, perte de poids
et/ou nausées;
·
Sida/infection
au VIH : douleur
grave, cachexie, anorexie, perte de poids et/ou nausées ;
·
Formes graves
d’arthrite : douleur intense ;
et
·
Épilepsie :
crises d’épilepsie.[26]
Source : Demande
d’autorisation de possession de marijuana séchée, Catégorie 2 –
Formulaire du médecin spécialiste.
v
Conditions
: Les demandeurs doivent fournir une déclaration d’un médecin spécialiste pour étoffer leur demande.
La déclaration doit confirmer :
·
La condition médicale
du patient et les symptômes associés à cette condition ou à son traitement ;
·
Que le médecin
spécialiste œuvre dans un domaine de la médecine connexe au traitement de la
condition médicale du patient ;
·
Que le patient
a essayé ou envisagé tous les traitements conventionnels pour les symptômes
présents et que ces traitements se sont avérés inappropriés médicalement,
conformément aux raisons indiquées dans la réglementation ;
·
Que la
consommation recommandée de marijuana atténuerait les symptômes ;
·
Que les
bienfaits de la consommation recommandée de marijuana excéderaient les risques
associés à cette consommation, y compris les risques associés à la
consommation à long terme de la marijuana ;
·
Que le médecin
spécialiste sait qu’aucun avis de conformité n’a
été soumis, conformément à la Loi sur
les aliments et drogues, relativement à la sécurité et à l’efficacité
de la marijuana en tant que médicament ; et
·
La dose
quotidienne recommandée et la durée du traitement.
Catégorie 3
v
Admissibilité :
Cette catégorie vise les demandeurs qui présentent des symptômes autres
que ceux décrits dans les catégories 1 et 2.
v
Conditions : Des déclarations de deux médecins spécialistes doivent accompagner la demande.
La première déclaration doit indiquer : tous les points
apparaissant dans la Catégorie 2 ; tous les traitements conventionnels
pour les symptômes qui ont été essayés ou envisagés ; et les raisons, parmi
celles indiquées dans la réglementation, pour lesquelles le spécialiste juge
que ces traitements sont inappropriés médicalement.
Source : Demande d’autorisation de possession de marijuana séchée,
Catégorie 3 – Formulaire du premier médecin spécialiste
v
La deuxième déclaration
doit mentionner, entre autre : que le spécialiste a revu le dossier médical du
patient et les raisons expliquant pourquoi les traitements conventionnels sont
considérés comme étant inappropriés médicalement ; que le spécialiste a
discuté du dossier du patient avec le premier spécialiste et croit que la
consommation recommandée de la marijuana atténuerait les symptômes, et que
les bienfaits de la consommation recommandée de marijuana excéderaient les
risques associés à cette consommation, y compris les risques associés à la
consommation à long terme de la marijuana ; et que le second spécialiste sait
qu’aucun avis de conformité n’a été soumis,
conformément à la Loi sur les aliments
et drogues, relativement à la sécurité et à l’efficacité de la
marijuana en tant que médicament.
Posologie
Le
médecin ou le spécialiste décide de la dose quotidienne.
Si la dose quotidienne recommandée dépasse 5 grammes par jour, le médecin
ou le spécialiste doit indiquer s’il a tenu compte des risques associés à
une dose quotidienne élevée de marijuana, y compris les effets sur les systèmes
cardiovasculaire, pulmonaire et immunitaire, sur la performance psychomotrice du
patient, ainsi que la dépendance possible à la drogue ; et que, selon son
opinion médicale, les avantages qu’offre la consommation de marijuana, selon
la dose quotidienne recommandée, excéderaient
les risques associés à cette dose, y compris les risques
associés à la consommation à long terme de la marijuana.
Quantité maximale qu’on peut posséder
L’autorisation
de posséder précise qu’on peut posséder, en tout temps, une quantité équivalant
à un traitement de 30 jours. Tel
qu’expliqué ci-dessus, le médecin ou le spécialiste fixe une dose
quotidienne utilisée pour déterminer la quantité du traitement de 30 jours.
Durée
En
général, les autorisations de posséder sont valables durant un an et peuvent
être renouvelées.
Licences
de production
Présentement,
il existe deux sources d’approvisionnement légal pour les détenteurs d’une
autorisation de posséder : ils peuvent produire leur propre culture ou demander
à quelqu’un de le faire pour eux. Santé
Canada a indiqué que, dans un avenir rapproché, ils pourront
s’approvisionner auprès d’un fournisseur autorisé.
Seuls
les détenteurs d’une autorisation de posséder (licence de production de
marijuana par le demandeur) ou les personnes qui les représentent (licence de
production de marijuana par une personne désignée) peuvent obtenir une licence
de production. Les personnes désignées
ne peuvent pas être rémunérées pour leurs activités.
Les
conditions qu’il faut respecter pour obtenir une licence de production sont :
v
Une
personne ne peut pas détenir plus d’une licence de production ;
v
Un
emplacement peut être utilisé pour la production de marijuana, pour un maximum
de trois licences différentes ;
v
Le
titulaire d’une licence de production doit adopter des mesures nécessaires
pour assurer la sécurité du produit ;
v
La
production de marijuana à l’extérieur est interdite si le site de production
est situé à côté d’une école, d’un terrain de jeux public, d’une
garderie ou d’un autre endroit public fréquenté principalement par des
mineurs ; et
v
Une
personne ne peut pas obtenir de licence de production par une personne désignée
si elle a été trouvée coupable d’une infraction désignée en matière de
drogues au cours des 10 années précédentes.
La
licence précise le nombre maximal de plants qui peuvent être cultivés.
La licence indique aussi la quantité maximale de marijuana séchée
qu’on peut stocker et, dans le cas d’une personne désignée, qu’on peut
transporter. La quantité maximale
de marijuana qu’on peut cultiver et stocker, en tout temps, varie selon la
dose quotidienne prescrite par le médecin ou le spécialiste, et selon le fait
que les plants sont produits à l’intérieur ou à l’extérieur.
La réglementation porte aussi sur les pouvoirs d’inspection et les
exigences relatives à la tenue de registres.
Autres
dispositions
D’autres
dispositions traitent de sujets tels : les mesures pour assurer la sécurité de
la marijuana que possède la personne autorisée ; la révocation des
licences ; la présentation de
documents aux policiers ; la présentation de plaintes reçues par les
inspecteurs aux autorités policières ; et la diffusion de renseignements
sur un médecin aux services provinciaux chargés d’accorder des licences aux
médecins. Une disposition
transitoire prolonge les exemptions à l’article 56 de six mois après la date
d’expiration.
Santé
Canada a établi un processus de révision permanent pour surveiller
l’efficacité et l’application de la réglementation, et émettre des avis
sur les mesures futures relatives à la fabrication, à la distribution et à la
vente de la marijuana à des fins médicales.
Ce processus prévoit une série d’activités permettant de recueillir
des renseignements et d’obtenir des commentaires sur divers aspects de la réglementation.
Un comité de 15 membres composé de divers groupes intéressés par
la question est en création ; sa première réunion est prévue pour octobre
2002.
Accès
humanitaire?
La
Réglementation sur l’accès à la marijuana à des fins médicales se veut un
cadre d’accès humanitaire à la marijuana reposant sur le principe qu’on
« ne doit pas restreindre, de façon inutile, la disponibilité de la
marijuana pour les patients qui pourraient tirer profit de ses bienfaits ».[27]
Mais
le processus autorisant la possession et la production de marijuana à des fins
médicales ne garantit pas que le cannabis est effectivement rendu disponible
aux personnes qui en ont besoin. En
fait, notre examen de la réglementation et des preuves qui nous ont été
remises nous a convaincus que la réglementation représente un obstacle à
l’accès. Plutôt que d’être
un cadre humanitaire, la réglementation restreint de façon inutile la
disponibilité du cannabis pour ceux qui pourraient en retirer des bienfaits.
L’énoncé
de l’analyse d’impacts accompagnant la réglementation, disait notamment
ceci :
« En raison de l’augmentation de la visibilité et de
l’efficacité prévues du nouveau cadre réglementaire et de la
sensibilisation accrue envers la consommation éventuelle ou les bienfaits médicaux
de la marijuana, on peut, de façon raisonnable, s’attendre à ce que le
nombre de demandes augmente de façon
importante.» (Nous soulignons.)
Comme
nous l’avons mentionné plus haut, 658 exemptions avaient été accordées
en vertu de l’article 56 et 501 exemptions étaient toujours en vigueur.
Le 3 mai 2002, Santé Canada nous a informé que 498 demandes
avaient été reçues en vertu de la Réglementation sur l’accès à la
marijuana à des fins médicales, et 255 autorisations accordées.
De plus, 164 licences de production individuelles et 11 licences
de production par une personne désignée avaient été octroyées.
Les autres dossiers étaient toujours incomplets, exigeant de plus amples
renseignements, ou attendant d’être évalués.[28]
Autrement
dit, presque un an après l’entrée en vigueur de la réglementation,
seulement 255 personnes avaient reçu une
autorisation de posséder de la marijuana à des fins thérapeutiques sur les
498 demandes reçues. Ce
nombre est beaucoup moins élevé que le nombre d’exemptions accordées
conformément à l’article 56 de la Loi
réglementant certaines drogues et autres substances.
Même si, conformément à l’article 56, 501 exemptions sont
toujours en vigueur, il est clair que le nombre de demandeurs en vertu de la réglementation
n’a pas augmenté de façon importante, tel qu’il avait été
raisonnablement prévu. En fait,
nous doutons de l’efficacité du nouveau cadre réglementaire.
À lui seul, le petit nombre de demandes soulève de nombreuses questions
chez tous ceux qui désirent sincèrement offrir un accès humanitaire au
cannabis à des fins thérapeutiques. Les
sections suivantes discutent de certaines questions précises auxquelles il
faudra répondre si on veut rendre le cadre réglementaire réellement efficace
et humanitaire.
Admissibilité
Selon la
réglementation actuelle, les demandeurs doivent obtenir une déclaration d’un
médecin (ou de un ou deux spécialistes) indiquant que la consommation
recommandée de marijuana atténuerait leurs symptômes
et que les bienfaits de la
consommation recommandée de marijuana excéderaient les risques associés à
cette consommation. Le médecin
doit aussi déterminer la posologie quotidienne du demandeur et la durée du
traitement. Médecin est défini
comme toute personne qui peut, selon la loi provinciale, pratiquer la médecine.
Tous
les intervenants ont observé que le fait de demander aux médecins de jouer le
rôle de « gardiens » de la marijuana à des fins thérapeutiques a
créé un obstacle majeur à l’accès et que, comme l’indique Santé Canada,
« il y a là la quadrature du cercle ».
L’Association médicale
canadienne et plusieurs autres organismes médicaux professionnels ont refusé
d’appuyer le nouveau processus d’application fédéral, en raison de problèmes
touchant la sécurité des patients, la posologie et la responsabilité légale
des médecins prescrivant du cannabis.
Ces
réserves n’auraient pas dû surprendre Santé Canada puisqu’au cours des
consultations sur les règlements proposés deux associations médicales et deux
services provinciaux d’émission de permis de pratique médicale s’étaient
opposés à la consommation de marijuana fumée à des fins médicales,
invoquant notamment :
·
Le manque de
preuves scientifiques justifiant la consommation ;
·
Le fait que la
marijuana n’est pas un médicament approuvé ;
·
Le point de vue
selon lequel la consommation de marijuana fumée n’est pas un mode acceptable
d’administration d’un médicament ; et
·
Le point de vue
selon lequel la responsabilité attribuée aux médecins pour la consommation de
marijuana à des fins médicales pourrait créer un conflit avec le code d’éthique
professionnel, relativement à l’utilisation de traitements non approuvés ou
de médecines « douces ».[29]
La
position adoptée par l’Association canadienne de protection médicale (ACPM)
reflète bien les positions adoptées par d’autres personnes et organismes de
la communauté médicale. L’Association
canadienne de protection médicale est une mutuelle de protection des médecins
qui compte 60 000 membres soit environ 95 % des médecins en exercice
au Canada. Elle a averti ses
membres qu’ils pourraient s’exposer à des plaintes touchant leur
responsabilité et des fautes professionnelles s’ils prescrivaient de la
marijuana sans connaître, de façon détaillée, les risques et les bienfaits
de la drogue, ainsi que la posologie appropriée.
Un feuillet d’information distribué aux membres soulignait entre
autres ce qui suit :
« L’Article
69 du Règlement prévoit qu’une autorité chargée de délivrer les permis
d’exercice de la médecine peut demander au ministre fédéral de la Santé
des renseignements au sujet d’un médecin et que le ministre peut fournir ces
renseignements s’il a des motifs raisonnables de croire que le médecin en
question a fait de fausses déclarations en application des dispositions prévues
au Règlement. Cet article du Règlement
est source d’importantes préoccupations, étant donné que les médecins
peuvent, à leur insu, faire de fausses déclarations s’ils sont appelés à
attester des faits pouvant dépasser l’étendue de leur expertise.
Il y a donc augmentation du risque qu’une plainte soit déposée contre
eux auprès de leur collège.
La
marijuana n’étant pas un médicament approuvé, certains pourraient croire
qu’il s’agit d’une médecine douce.
Cela soulève la question importante à savoir si les Collèges
obligeraient les médecins qui aident leurs patients à remplir une demande
d’autorisation de possession de marijuana à se conformer à leur politique en
matière de médecines douces ou parallèles.
L’ACPM recommande aux médecins de se renseigner auprès de leur
organisme de réglementation professionnelle pour connaître leur position à
cet égard.
Compte
tenu des conséquences que peuvent subir les médecins qui dérogent à la
politique de leur organisme de réglementation professionnelle ou de la
possibilité que leur responsabilité médico-légale soit mise en cause, il est
recommandé que les médecins fassent preuve de prudence lorsqu’ils déterminent
s’il y a lieu d’aider un patient à présenter une demande d’autorisation
de possession de marijuana en vertu de ce règlement. » [30]
L’ACPM
a aussi indiqué que les renseignements sur l’efficacité de la marijuana à
des fins médicales pour chaque patient, les risques et les bienfaits relatifs
de la drogue et la posologie appropriée ne sont pas disponibles.
La majorité des médecins ne peuvent donc pas respecter les conditions
de la Réglementation sur l’accès à la marijuana à des fins médicales.
Selon l’association, la réglementation impose « une
responsabilité inacceptable aux médecins membres ».
De plus, elle a indiqué que, « puisque plusieurs médecins ne
connaissent pas l’efficacité, les risques et les bienfaits de la marijuana,
nous croyons qu’il n’est pas raisonnable d’attribuer un rôle de gardien
aux médecins ».[31] L’ACPM a conseillé à
ses membres :
« Dans
le Feuillet d’information ci-annexé, qui a déjà été distribué à nos
membres, nous recommandons aux médecins qui sont saisis d’une demande d’accès
à la marijuana à des fins médicales de la part d’un patient de s’abstenir
de signer le formulaire de déclaration à l’appui de cette demande s’ils
n’ont pas ou estiment ne pas avoir les qualifications requises pour effectuer
l’évaluation préalable à la déclaration.
Nous leur conseillons en outre d’expliquer à leurs patients les
raisons pour lesquelles ils ne peuvent émettre cette déclaration et, le cas échéant,
d’orienter ces patients vers d’autres médecins ayant plus d’expérience
dans la prescription de marihuana à des fins thérapeutiques.
Enfin,
puisque certains médecins, par compassion pour un patient, peuvent croire de
bonne foi que celui‑ci pourrait bénéficier des bienfaits de la marihuana
sur le plan médical, nous leur recommandons de remplir uniquement les parties 1
et 2 du formulaire de déclaration et de NE PAS remplir les parties 3, 4 et
5, laissant ainsi à la discrétion de Santé Canada la décision de traiter ou
non une demande incomplète. » [32]
Il est
évident que, dans ces circonstances, les patients auront de la difficulté à
trouver un médecin qui acceptera de remplir les formulaires de déclaration nécessaires,
et encore plus de difficulté à trouver les spécialistes appropriés.
Cette situation crée un obstacle inacceptable à l’accès. Il faut en conclure que les médecins ne doivent pas devenir
les gardiens de la Réglementation, une responsabilité qu’ils ne désirent
pas prendre. Même Santé Canada
reconnaît qu’il existe un problème.
« Sans
preuve scientifique, les médecins font face à un dilemme juridique.
Dans le cas des autres produits thérapeutiques, les médecins se fient
aux renseignements que Santé Canada diffuse ou analyse par l’entremise du
processus d’examen des médicaments. Ce
sont des renseignements de base sur lesquels les médecins se fondent pour
comprendre les produits. Dans ce
cas-ci, aucune analyse n’existe.
Grâce
à la Réglementation sur l’accès à la marijuana à des fins médicales,
nous avons éliminé l’élément criminel associé à la possession et à la
culture pour vos besoins propres. C’est
le cadre réglementaire en place. Nous
travaillons avec Prairie Plant Systems, tel que l’a mentionné Mme Lynch,
pour élaborer une source de marijuana propre à la recherche qui sera offerte
lors d’essais cliniques légitimes auprès de patients.
D’ici
là, alors que nous commencerons à obtenir les résultats de la recherche et
que la communauté médicale déterminera si elle prescrira ce produit dans des
circonstances légitimes, il existe un problème. »[33]
Nous
ne remettons pas en question le fait que le corps médical doive être impliqué
dans le processus. Mais il faut déterminer
avec précision le rôle du médecin en ce qui a trait à la consommation de
cannabis à des fins thérapeutiques. Les médecins sont formés pour diagnostiquer la condition médicale
d’un patient et les symptômes qui y sont associés, et pour déterminer le
traitement médical de cette condition et des symptômes.
Par contre, la majorité des médecins n’ont pas de connaissances
suffisantes quant aux bienfaits thérapeutiques du cannabis et hésitent à
prescrire ce produit pour différentes raisons, dont son illégalité.
Selon nous, et comme nous l’avons expliqué en détail dans le chapitre
9, une distinction s’impose entre un médicament approuvé et une drogue qui
peut avoir des effets thérapeutiques – même si ces effets n’ont pas encore
été confirmés « scientifiquement ».
Le chapitre 9 énumère les conditions et les symptômes pour lesquels le
cannabis peut avoir un effet thérapeutique. Soyons clairs. Nous ne croyons pas que le cannabis est une drogue
miraculeuse qui traitera ou guérira plusieurs conditions médicales et symptômes.
Par contre, c’est une drogue qui, on le sait, peut offrir un
soulagement efficace de certaines conditions médicales et symptômes, améliorant
ainsi la qualité de vie de plusieurs personnes.
Dans ces
circonstances, le rôle du médecin est de poser un diagnostic de la condition médicale
et des symptômes du patient. Lorsque
le diagnostic identifie l’une des conditions médicales pour lesquelles le
cannabis peut avoir un effet thérapeutique,
le patient serait autorisé à consommer le produit thérapeutique de son choix,
dont le cannabis. Par voie de conséquence,
il faudrait aussi abolir l’exigence selon laquelle tous les autres traitements
conventionnels doivent avoir été essayés ou envisagés, pour que la
consommation de cannabis soit autorisée.
Il n’existe aucune justification expliquant pourquoi le cannabis doit
être un traitement de dernier recours.
Par
ailleurs, l’exigence selon laquelle un spécialiste doit être impliqué peut
clairement entraîner des délais systématiques et longs.
Pire encore, les positions des organismes médicaux rendent très
difficile l’obtention de déclarations de deux spécialistes.
Cette situation crée un autre obstacle injustifié.
« L’exigence
selon laquelle il faut impliquer un médecin spécialiste pour autoriser la
possession de cannabis à des fins médicales est injustifiée, infondée, irréaliste
et répressive. Elle annule la
rapidité de l’accès et impose une charge injustifiée au patient ainsi
qu’au système de soins de santé. Plusieurs
patients attendent déjà pendant 9 à 12 mois avant de consulter un spécialiste.
Cela signifie que les personnes qui attendent d’obtenir
l’autorisation de posséder du cannabis à des fins médicales peuvent
attendre pendant plus de un an. C’est
une attente inhumaine pour ceux qui ont des besoins médicaux urgents.
De plus, cela allongera, de façon inutile, les listes d’attente déjà
longues des spécialistes. Les
personnes qui doivent consulter réellement un spécialiste souffriront
inutilement. » [34]
Le
chapitre 9 identifie les conditions et les symptômes pour lesquels le
cannabis pourrait être autorisé. De
nouveaux symptômes ou conditions pourront être ajoutés, suite à des
recherches continues.
Nous
savons que, selon la Convention unique sur
les stupéfiants de 1961, une ordonnance médicale semble nécessaire
pour fournir ou remettre une drogue visée aux annexes de la Convention.[35]
À ce sujet nous faisons deux observations :
·
Les conventions
internationales sont assujetties aux dispositions constitutionnelles d’un
pays. Or nous avons vu que les
tribunaux canadiens ont décidé que le fait d’empêcher une personne de
choisir la marijuana comme médicament pour atténuer les effets d’une maladie
grave viole les droits de la Charte
canadienne des droits et libertés, sauf si un cadre d’exemption
statutaire permet une telle consommation. Les
tribunaux ont indiqué que, lorsqu’un cadre d’exemption statutaire est
« illusoire », une exemption constitutionnelle sera accordée.
Les positions adoptées par les organismes médicaux au Canada peuvent
rendre le cadre d’exemption de la Réglementation sur l’accès à la
marijuana à des fins médicales « illusoire ».
·
Il convient de
s’en tenir à l’esprit plutôt qu’à la lettre de la Convention.
Bien que le cannabis ne soit pas un médicament approuvé conformément
aux processus traditionnels de recherche clinique, on ne peut pas mettre en
doute ses effets thérapeutiques possibles.
C’est pourquoi le Gouvernement du Canada devrait informer la communauté
internationale qu’il ne respectera pas cette exigence à la lettre et
demandera que des modifications appropriées soient apportées aux conventions
internationales.
Accès
au cannabis
La
capacité des patients de cultiver leur propre marijuana ou de trouver une
personne acceptant de le faire à leur place a aussi fait l’objet de vives préoccupations.
Ce problème est aggravé par la condition voulant qu’une personne ne
puisse pas détenir plus d’une licence de production.
Les problèmes associés au cadre réglementaires incluent : un
manque d’expérience quant à la culture, des produits de qualité et de
puissances inconnues, les risques associés à la sécurité lors de la culture
de la marijuana; etc.
Il
ne fait aucun doute que les patients doivent avoir accès à du cannabis sécuritaire
et de qualité élevée. L’option
de culture individuelle devrait continuer d’être offerte à ceux qui le désirent.
Dans de tels cas, le patient s’inscrirait directement auprès de Santé
Canada. Dans les cas où la culture
individuelle s’avère inappropriée ou impossible, un accès devrait être
autorisé, par l’entremise des Centres
de distribution spécialisés dans le cannabis.
Dotés d’un personnel connaissant les applications thérapeutiques du
cannabis, ces centres seraient en mesure d’informer les patients sur la
posologie, la souche et la puissance les mieux adaptées à leurs conditions.
La mise en place de centres de distribution responsables de
l’approvisionnement en cannabis de qualité élevée se justifie d’autant
plus que, malgré les annonces faites, le Canada n’a toujours pas réussi à
créer une source domestique fiable de marijuana pour la recherche.
De plus, nous sommes convaincus que le gouvernement ne doit pas être le
seul distributeur de cannabis à des fins thérapeutiques.
Présentement, les clubs de compassion jouent un rôle très important
auprès de ceux qui ont besoin de cannabis à des fins thérapeutiques.
Par exemple, la B.C.
Compassion Club Society
est un organisme enregistré sans but lucratif qui distribue du cannabis à des
fins médicales depuis 1997. Il
compte 28 employés et dessert environ 1600 membres.
Avant d’accepter un membre, le club exige une confirmation du
diagnostic et une recommandation du médecin, du naturopathe ou du psychiatre.
Si le médecin refuse de signer la recommandation parce qu’il est hésitant
face au statut juridique du cannabis, ou éprouve des préoccupations quant aux
peines pouvant en découler, le club accepte le patient sans la recommandation
du médecin, selon la gravité du cas. Des
clubs de compassion semblables existent ailleurs au Canada.[36]
Le fait
d’avoir accès à différentes souches de cannabis ayant divers niveaux de
puissance s’avère crucial. Par
exemple, le B.C. Compassion Club Society
stocke, présentement, plusieurs variétés de cannabis.
« Notre
stock quotidien comprend, habituellement, de sept à dix variétés de cannabis,
une ou deux variétés de haschich, de la teinture de cannabis et des produits
de boulangerie. Il est important
que les consommateurs de marijuana à des fins médicales aient accès à
plusieurs souches, car l’effet du cannabis varie selon la souche utilisée et
la méthode d’ingestion. Nous
mentionnons les différences à nos membres, qui peuvent choisir la meilleure
souche de cannabis pour traiter efficacement leurs symptômes. » [37]
Des
tests rigoureux pourraient assurer la distribution de produits de qualité élevée.
L’importance des tests est l’un des problèmes clés.
« Pour
ce qui est des développements sur lesquels nous travaillons et désirons
continuer à travailler, il est absolument crucial d’établir des lignes
directrices strictes quant à la moisissure et au mildiou, aux pesticides, aux
fongicides, aux métaux lourds et les types d’éléments – qui peuvent être
dangereux – qu’on peut trouver dans le cannabis non organique.
Même dans le cannabis organique, certains de ces éléments en
microbiologie peuvent être dangereux pour les gens, surtout les gens dont le
système immunitaire est affaibli. Nous
ne pourrons établir ces normes que lorsque la communauté médicale responsable
des recherches sur la marijuana aura accès aux laboratoires.
Je crois que nous pouvons établir plusieurs types de normes quant à la
sécurité et à la propreté associées à la culture et à la distribution.» [38]
Malgré
que tous s’entendent pour dire que leurs motifs pour distribuer du cannabis à
des patients afin d’atténuer leurs souffrances sont louables, la plupart des
clubs existants ont eu, et ont encore souvent, des problèmes juridiques.
Fonctionnant dans une « zone grise », les personnes œuvrant
dans ces clubs peuvent faire face ou font face à des poursuites.
Par exemple, Philippe Lucas, le directeur de la Vancouver
Island Compassion Society (VICS), a été arrêté et accusé de possession
à des fins de trafic dans le cadre de son travail à la VICS.
M. Lucas a plaidé coupable à l’accusation, mais a récemment reçu
une absolution inconditionnelle. Certains
commentaires du juge qui a prononcé la sentence sont pertinents à nos
discussions. À propos de la
question de l’admissibilité, le juge a indiqué :
[Traduction] « On peut juger la présente cause dans un contexte vaste, pour
lequel, jusqu’ici, les règlements fédéraux et la position du Collège des médecins
ont rendu extrêmement difficile l’obtention d’une autorisation pour
consommer de la marijuana. » [39]
Il a
ajouté ce qui suit sur l’accès à la marijuana :
[Traduction] « De plus, le gouvernement fédéral a, jusqu’ici, été
incapable d’offrir une source légale de marijuana aux personnes qui, selon
Santé Canada, ont besoin du produit à des fins thérapeutiques. La situation est particulièrement complexe pour celles qui
ne peuvent pas cultiver le produit.
…la
Couronne ne peut pas utiliser l’argument selon lequel il existe une option légitime
pour ceux qui ont besoin de la drogue, lorsque les preuves montrent bien que la
drogue n’est, qu’en théorie, offerte par des sources légales. » [40]
En
conclusion, le juge a indiqué :
[Traduction] « J’arrive à la conclusion que, même si M. Lucas a contrevenu
à la loi en proposant du cannabis à d’autres personnes, ses actions
servaient à améliorer le sort de personnes souffrantes.
Sa conduite a amélioré le sort d’autres personnes.
Selon l’analyse de la cour, M. Lucas a amélioré la qualité de
vie d’autres personnes avec peu ou pas de risques pour la société, même
s’il agissait illégalement. Il a
prouvé que le gouvernement est incapable d’offrir un approvisionnement en
marijuana sécuritaire et de qualité élevée aux personnes qui en ont besoin
à des fins médicales. Il a agi
ouvertement, en adoptant des mesures de protection raisonnables.
Il a montré la sincérité de ses principes en déclarant qu’il
poursuivra ses activités. De plus,
la situation montre bien que la société doit régler rapidement ce problème
épineux, que ce soit au Parlement ou à la Cour suprême du Canada.
S’il est de nouveau accusé, il devra faire valoir encore une fois son
point de vue et ne sera peut-être pas absous.
La cour espère que l’intelligence primera jusqu’à la résolution
finale du problème de consommation de marijuana à des fins médicales et non médicales. »
[41]
À
Montréal, deux bénévoles du Club Compassion ont été arrêté 3 mois après
le début de leurs activités. Une
décision devrait être prise à la fin du mois d’août 2002.
Il est par ailleurs encourageant de noter que, Hilary Black, fondatrice
et directrice de la B.C. Compassion Club
Society, a déclaré que les autorités policières ont généralement appuyé
le travail de son organisme. Par
contre, son expérience révèle les limites et les contradictions de la
situation qui prévaut encore actuellement.
« Les
policiers qui sont venus au club de compassion m’ont dit à quel point nous
faisions du bon travail. Ils ont même,
à une occasion, protégé un coffre rempli de cannabis pour nous.
Par contre, un policier a déjà tenu une arme pointée sur ma tête
parce que je me trouvais dans un site de culture.
Pendant que je rencontrais le ministre fédéral de la Santé, Alan Rock,
pour lui fournir des recommandations et des renseignements demandés par Santé
Canada, la GRC a démantelé une serre qui cultivait du cannabis organique à
faible coût pour la Compassion Club Society.
Pendant que je discute avec vous, que je partage nos renseignements en
tant qu’experts en distribution de cannabis à des fins médicales, mes collègues
peuvent être arrêtés, emprisonnés, empêchés de voyager, de travailler et
de distribuer du cannabis aux personnes qui en ont besoin.
La prohibition ne protège pas les Canadiens contre les dangers du
cannabis; la prohibition détruit la vie des Canadiens. » [42]
Puisque
ces organismes fonctionnent présentement dans une « zone grise »,
nous espérons que les autorités policières utiliseront leurs pouvoirs discrétionnaires
de façon libérale et feront preuve d’une réserve raisonnable.
Certains commentaires de Mme Black nous permettent d’être
optimistes à cet égard, mais le climat et les pratiques devront changer dans
d’autres régions du pays.
Pour
créer un système de distribution à des fins thérapeutiques transparent, ces
centres de distribution devraient être autorisés sous licence et réglementés
de façon appropriée. L’une des
conditions de la licence devrait préciser que ces centres ne distribueront que
du cannabis à des fins thérapeutiques aux personnes ayant une condition ou les
symptômes énumérés. De plus,
les centres de distribution devraient garder des dossiers convenables et
produire des rapports périodiques. Ces
renseignements permettraient à Santé Canada de tenir un registre des membres
des centres de compassion et surtout de constituer ainsi une banque de données
précieuses pour la recherche scientifique.
Les dossiers devraient donc inclure des informations sur la condition médicale
du patient et son évolution, les quantités consommées et les effets observés.
Les centres devraient aussi s’assurer que des mesures de sécurité
sont en place et seraient soumis à des inspections pour s’assurer qu’ils
respectent les règlements.
Nous
reconnaissons que ces règlements pourront faire augmenter les coûts d’opération
des centres de distribution, mais nous pensons qu’ils sont essentiels pour
s’assurer qu’il existe des contrôles appropriés de la consommation de
cannabis médicinal à des fins thérapeutiques.
Nous insistons fortement pour que les coûts induits par la réglementation
soient gardés à un minimum, pour que les prix du cannabis n’en réduisent
pas l’accessibilité.
Pour
ce qui est de l’obtention des produits, les centres devraient accepter d’être
approvisionnés par des producteurs accrédités.
Ces producteurs pourront cultiver du cannabis uniquement à des fins thérapeutiques
– la séparation entre le système à des fins thérapeutiques et celui à des
fins récréatives est cruciale. Les
producteurs accrédités seraient réglementés de façon appropriée –
surtout pour s’assurer que des mesures de sécurité sont en place – et
devraient produire des produits sécuritaires et de qualité élevée.
Produits
Présentement,
la Réglementation sur l’accès à la marijuana à des fins médicales
n’autorise que la possession de marijuana séchée.
Aucun autre produit dérivé du cannabis n’est autorisé.
Cette position n’est pas justifiée par la recherche et la pratique
actuelle et nous recommandons que le programme soit étendu de façon à
autoriser d’autres produits dérivés du cannabis.
Coûts
Plusieurs
témoins nous ont dit que les personnes consommant du cannabis à des fins thérapeutiques
souffrent de maladies débilitantes graves qui ont un impact négatif sur leur
situation financière. Nous
reconnaissons que l’assurance-médicaments offerte par les régimes
d’assurance relève, généralement, des provinces. Néanmoins, nous pensons que l’achat de marijuana à des
fins thérapeutiques et l’achat de l’équipement nécessaire à sa
production devraient être considérés, par la Loi
de l'impôt sur le revenu, comme étant des frais médicaux.
Réglementation
sur l’accès à la marijuana à des fins médicales |
Propositions
du comité |
Admissibilité ·
Le médecin doit confirmer la
condition médicale du patient, les symptômes
associés à la condition ou au traitement, que la consommation
recommandée de marijuana atténuerait les symptômes et que les bienfaits
de la consommation recommandée de marijuana seront plus importants que
les risques associés à la consommation. ·
Le demandeur doit consulter un
(catégorie 2) ou deux (catégorie 3) spécialistes pour les symptômes
associés à la condition médicale correspondant à la catégorie 2 et à
la catégorie 3. ·
En général, tous les traitements
conventionnels ont été essayés ou envisagés. ·
Trois catégories d’admissibilité.
|
Admissibilité ·
Le diagnostic d’un médecin ou
d’un autre spécialiste médical accrédité par un collège provincial
des médecins et des chirurgiens devrait suffire pour autoriser la
consommation à des fins thérapeutiques.
·
Éliminer le besoin de consulter
un ou deux spécialistes. ·
Éliminer la condition exigeant
que tous les traitements conventionnels ont été essayés ou envisagés
avant de pouvoir consommer du cannabis. ·
Éliminer les trois catégories et
énumérer les conditions médicales ou les symptômes pour lesquels la
consommation de cannabis serait autorisée – mettre régulièrement la
liste à jour en se fondant sur les recherches pertinentes. |
Accès ·
Les patients doivent cultiver leur
propre approvisionnement ou désigner une personne qui le cultivera à
leur place. |
Accès ·
Les patients pourraient cultiver
du cannabis eux-mêmes ou l’obtenir auprès d’un centre de
distribution accrédité qui s’approvisionne auprès d’un producteur
accrédité. |
Produits ·
Limités au cannabis (marijuana). |
Produits ·
Comprend tous les produits dérivés
du cannabis. |
Posologie ·
Établie par le médecin. |
Posologie ·
Serait déterminée par le
patient, avec l’aide du centre de distribution accrédité. |
Poursuivre
la recherche
Le
Bureau de l’accès médical au cannabis de Santé Canada administre la Réglementation
sur l’accès à la marijuana à des fins médicales.
Il coordonne aussi d’autres initiatives relatives au cannabis, dont la
recherche sur la sécurité et l’efficacité de la marijuana utilisée à des
fins thérapeutiques et l’établissement d’une source canadienne fiable de
marijuana propre à la recherche.
Tel
que mentionné précédemment, Santé Canada a publié un rapport, en juin 1999,
qui annonçait le lancement d’un plan de recherche sur l’utilisation de la
marijuana à des fins thérapeutiques.[43]
Échelonné sur 5 ans, ce plan devait permettre d’évaluer les
risques et les bénéfices de la consommation de marijuana à des fins médicales.
Le plan comprenait les éléments suivants :
v
Des
projets examinant les problèmes de sécurité et d’efficacité associés à
la marijuana fumée et aux cannabinoïdes ;
v
Des
mécanismes d’accès à la marijuana à l’extérieur des projets (par
exemple, les exemptions à l’article 56 discutés plus tôt dans le chapitre)
; et
v
L’établissement
d’une source canadienne de marijuana propre à la recherche.
Recherche
scientifique
Dans
le cadre de la stratégie du gouvernement sur la consommation de marijuana à
des fins médicales, Santé Canada a décidé de commanditer des études pour évaluer
la sécurité et l’efficacité de la marijuana fumée et des cannabinoïdes.
Selon le ministère, les
connaissances sur la valeur thérapeutique de la marijuana fumée sont largement
anecdotiques et les données provenant d’études scientifiques sur la sécurité
et l’efficacité de la marijuana à des fins thérapeutiques sont
contradictoires. Le ministère était
aussi préoccupé par les risques pour la santé associés à la consommation de
marijuana, surtout lorsqu’elle est fumée.
La
stratégie a été élaborée sur l’avis du Comité consultatif d'experts sur
les nouvelles substances actives du Programme des produits thérapeutiques.
Ce comité est un organisme externe composé d’experts scientifiques et
médicaux qui a pour mandat de conseiller le Programme des produits thérapeutiques.
En
partenariat avec les Instituts de recherche en santé du Canada, un organisme
subventionnaire qui assure aussi la validité scientifique des études, Santé
Canada s’est engagé à financer le Programme de
recherche sur l'usage de la marijuana à des fins médicinales à hauteur de 7,5 millions $
au cours des cinq prochaines années. Il se concentre principalement sur la
forme de marijuana fumée, même si des initiatives futures se concentreront sur
la marijuana non fumée et les cannabinoïdes.
Au moins
deux études ont été planifiées :
v
En juillet 2001,
Santé Canada et les Instituts de recherche en santé ont annoncé une
contribution de 235 000 $ pour une étude pilote à l’Université
McGill sur 32 patients afin d’évaluer les effets de la marijuana fumée
sur la douleur neuropathique chronique.
v
En juin 2001,
Santé Canada a accordé un financement de 840 000 $ à la Community Research Initiative of Toronto (CRIT) pour un projet de
recherche sur l’efficacité de la marijuana fumée pour le traitement de la
cachexie chez les personnes atteintes du VIH/SIDA.
Ce projet entamait alors la deuxième des trois phases prévues sur la
marijuana fumée, portant sur les effets aigus du cannabis fumé sur l’appétit
des personnes atteintes du VIH/SIDA. Il
s’agit d’une étude pilote sur échantillon aléatoire, à double insu,
contrôlée avec placebo et croisée.
Toutefois,
aucun de ces projets n’est présentement en cours, car les chercheurs n’ont
pas accès à de la marijuana.
En plus
de ces projets pilotes, Santé Canada a annoncé que de la marijuana de qualité
« recherche » serait fournie aux personnes admissibles qui
accepteraient de fournir des renseignements médicaux à des fins de
surveillance et de recherche. Ici
encore, Santé Canada n’a toujours pas fourni la marijuana aux consommateurs
autorisés.
Santé
Canada a indiqué que les connaissances acquises grâce au programme de
recherche général seraient utilisées, en partie, pour modifier au besoin, la
Réglementation sur l’accès à la marijuana à des fins médicales.
Par exemple, la liste des symptômes énumérés dans la catégorie 2
pourrait être révisée ou la posologie quotidienne précisée.
Santé Canada a aussi indiqué que si les études ne révélaient aucun bénéfice
à l’usage de la marijuana, il remettrait en question l’utilité de la Réglementation.
Il
est évident que des recherches sur les effets thérapeutiques de la marijuana
sont essentielles. Alors qu’on
peut féliciter Santé Canada d’avoir adopter un plan de recherche, nous ne
pouvons que déplorer les délais encourus dans leur démarrage. Les projets pilotes autorisés n’ont pas encore commencé
parce que le Canada doit obtenir la marijuana propre aux études d’une source
américaine. Cela signifie que des
organismes américains, le National
Institute on Drug Abuse dans ce cas-ci, ont le droit de revoir les
protocoles de recherche canadiens pour déterminer s’ils fourniront de la
marijuana aux chercheurs canadiens.
« Le
NIDA, le National Institute on Drug Abuse des États-Unis, était notre première
source de marijuana à des fins de recherche.
C’était plutôt le premier organisme avec lequel nous avons communiqué.
Ils ont des graines et des produits séchés.
Nous négocions toujours avec eux pour obtenir des produits séchés.
Afin
de pouvoir utiliser leurs produits, le ministère de la santé américain et le
NIDA doivent approuver les protocoles qui utilisent le produit en question.
Après que les organismes aient autorisé les protocoles scientifiques,
il faut consulter la DEA pour savoir si elle permettra l’exportation. » [44]
De
toutes manières, le fait que des études additionnelles soient nécessaires ne
signifie pas que la consommation à des fins thérapeutiques se soit pas justifiée
dans certaines circonstances. Les
études en cours – ici et dans d’autres pays comme le démontrera le
chapitre 20 – devraient permettre de vérifier les informations existantes et
d’identifier d’autres conditions médicales ou symptômes sur lesquels le
cannabis aurait un effet thérapeutique. Enfin,
autant la recherche sur la valeur médicinale du cannabis est une priorité,
autant il est nécessaire de mener des études sur des modes d’administration
de rechange aussi efficaces que le fait de fumer le cannabis.
Avant de conclure sur cette question, il nous faut
souligner regretter que l’immense réservoir de connaissances et d’expertise
des clubs de compassion ne fasse pas partie des sources de données du plan de
recherche de Santé Canada. Ces
organismes oeuvrent à la marge du système, nous le savons.
Cela n’empêche pas que
les informations dont ils disposent mériteraient d’être recueillies et
analysées à des fins de recherche.
Nous remettons aussi en question la validité d’études qui
n’utilisent que du cannabis de qualité inférieure et de faible puissance,
qu’il soit fourni par le National
Institute on Drug Abuse ou provienne du
Canada. Nous avions vu au chapitre 9
que la marijuana fournie par le NIDA est, de l’avis de certains chercheurs, de
qualité douteuse pour des études sur les applications thérapeutiques.
Hilary Black, fondatrice et codirectrice de la B.C. Compassion Club
Society, a renchéri :
« Nous
avons créé, en association avec une équipe de chercheurs scientifiques de
Vancouver, un plan de recherche. Par
contre, nous avons essuyé un refus, car nous ne voulions pas effectuer une étude
utilisant un placebo ou du cannabis de qualité inférieure et de faible
puissance fourni par le US National Institute on Drug Abuse.
Toute étude essayant de prouver l’efficacité du cannabis à des fins
médicales qui utilise une herbe de si faible puissance ou de souche inconnue,
tel que le cannabis cultivé au Canada par Plant Prairie Systems, sera un échec.
Il n’y a pas lieu d’importer du cannabis à des fins de recherche,
lorsqu’on tient compte de la qualité élevée de la marijuana et de l’énorme
quantité produite au Canada. Les médecins,
les patients, les compagnies pharmaceutiques, Plant Prairie Systems et Santé
Canada demandent le même type de renseignements que nous pourrions recueillir. Malheureusement, nous n’avons pas les ressources financières
pour effectuer cette recherche. » [45]
Marijuana
propre à la recherche
Santé
Canada voulait d’ailleurs créer une source canadienne de marijuana propre à
la recherche. Le 5 mai 2000,
Travaux publics et Services gouvernementaux Canada a émis un appel de
soumissions pour identifier une source canadienne de marijuana de qualité,
abordable, normalisée propre à la recherche scientifique.
Au départ, la marijuana devait être fournie uniquement aux
scientifiques qualifiés et autorisés à des fins de recherche.
Les critères d’évaluation des propositions reçues comprenaient la
situation financière du soumissionnaire, la compétence de son personnel, les
normes de sécurité, etc. Aucune
expérience en culture de marijuana n’était exigée, même si on demandait de
l’expérience en matière de culture de végétaux destinés à la
consommation humaine.
En
décembre 2000, un contrat a été accordé à Prairie
Plant Systems Inc. (PPS) de Saskatoon.
Cette entreprise devait fournir à Santé Canada une source fiable de
marijuana abordable, de qualité et normalisée à des fins médicales et de
recherche. Santé Canada a annoncé
que, d’ici l’établissement d’une source d’approvisionnement nationale,
elle demanderait au U.S. National
Institute of Drug Abuse de lui fournir de la marijuana propre à la
recherche pour les essais cliniques effectués par des chercheurs au Canada.
PPS
s’est conformé aux exigences du contrat quant à la sécurité.
L’entreprise a reçu l’autorisation de cultiver de la marijuana
propre à la recherche dans une mine abandonnée de Flin Flon, au Manitoba.
Même si cette décision semble en amuser plusieurs, Santé Canada la
justifie en invoquant le niveau de sécurité du site et la possibilité de
contrôler la température, le niveau d’humidité et les conditions de
culture.
Le
premier lot devait être fourni à Santé Canada au début de 2002.
Selon les modalités du contrat de 5 ans de 5,7 millions $
l’entreprise devait :
v
Établir et
faire fonctionner un établissement de culture, de traitement, de fabrication et
de stockage de marijuana ;
v
Effectuer des
tests en laboratoire et le contrôle de la qualité de la marijuana, tout au
long du cycle de vie du produit ;
v
Fabriquer,
emballer, étiqueter et stocker la marijuana ;
v
Distribuer la
marijuana aux personnes autorisées par Santé Canada ; et
v
Se conformer
aux conditions de la Loi réglementant
certaines drogues et autres substances, y compris les mesures de sécurité
et physiques sévères.
Ce
printemps, Santé Canada a révélé que la première culture ne pourrait pas être
utilisée à des fins de recherche en raison de sa qualité variable.
Alors que le ministère espérait obtenir des graines du National
Institute on Drug Abuse, les graines utilisées
provenaient de saisies effectuées par les autorités policières au Canada, de
sorte que la marijuana obtenue était de souches et de caractéristiques
différentes. Santé Canada a
mentionné l’importance de la marijuana propre à la recherche :
« Si
nous rappelons nos commentaires précédents sur les raisons expliquant pourquoi
Santé Canada est impliqué dans l’étude sur la marijuana à des fins médicales,
il s’agit d’obtenir les preuves scientifiques nécessaires pour savoir quels
sont les bénéfices de la marijuana. Pour
obtenir ces preuves scientifiques, il faut avoir un produit de base qui respecte
les normes de recherche. La
question n’est pas de savoir si Prairie Plant Systems a bel et bien cultivé
de la marijuana; il faut savoir si l’entreprise a cultivé un produit qui
respecte les normes de la recherche et qui peut être utilisé lors de
recherches scientifiques légitimes. » [46]
Nous
comprenons cet argument. Nous ne
voyons cependant pas ce qui justifierait qu’on ne peut pas distribuer ce
cannabis aux personnes autorisées à la consommer conformément à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, surtout
lorsque la sécurité du produit, en termes de pesticides, de moisissures, etc.,
n’est pas en cause.
Conclusions
Soulignons
que les modifications que nous proposons à la Réglementation sur
l’accès à la marijuana à des fins médicales
doivent garantir que l’utilisation à des fins thérapeutiques est limitée
aux cas où il y a un réel besoin médical, et que la distribution et la
production sont effectuées à l’aide d’une licence octroyée par le
gouvernement.
Conclusions du chapitre 13 |
|
|
Ø La Réglementation sur l’accès à la marijuana à des fins médicales ne constitue pas le cadre humanitaire qu’elle se proposait d’être et restreint inutilement la disponibilité de la marijuana pour les patients qui pourraient en bénéficier. Ø Le fait que la communauté médicale refuse de jouer le rôle de « gardien » du cannabis thérapeutique et qu’il est impossible d’avoir accès à des sources légales de cannabis semble rendre le présent cadre réglementaire d’exemption « illusoire », soulevant ainsi à nouveau des questions quant aux dispositions de la Charte. Ø La réglementation n’a visiblement pas atteint son objectif d’être plus accessible : en près d’un an, 498 demandes ont été reçues (contre plus de 550 en vertu de l’ancienne exemption) et seulement 255 personnes ont reçu l’autorisation de posséder de la marijuana à des fins thérapeutiques. Ø Il est urgent de modifier les règles d’admissibilité et l’accessibilité au cannabis aux fins thérapeutiques. Ø Les études sur la sécurité et l’efficacité du cannabis n’ont pas commencé car les chercheurs ne peuvent pas obtenir le produit nécessaire pour qu’ils effectuent les études. Cette situation regrettable en soi ne doit pas de surcroît pénaliser davantage les personnes qui ont besoin de cannabis aux fins thérapeutiques. Ø Il est regrettable que le plan de recherche de Santé Canada n’ait pas prévu d’utiliser l’immense bassin de connaissance que détiennent les clubs de compassion. Ø L’élaboration d’une source canadienne de marijuana propre à la recherche a été un échec. |
[1]
La vente de deux drogues commercialisées qui sont associées au
cannabis a été autorisée au Canada :
le Marinol, qui comprend du T.H.C. synthétisé par voie chimique, et
le Cesamet, un cannabinoïde synthétique.
Les deux peuvent être prescrits par les médecins.
[2]
C.S.
1996, chapitre 19.
[3]
Ces drogues apparaissent dans l’Annexe et comprennent l’opium, la
codéine, la morphine, l’héroïne, la cocaïne et le cannabis.
[4]
S.R.C. 1985, chapitre F-27.
[5]
En juin 1999, Santé Canada a publié un rapport annonçant le
lancement d’un plan de recherche sur l’utilisation de la marijuana
à des fins thérapeutiques, et a indiqué que des mesures seront prises
pour établir une source nationale de marijuana propre à la recherche.
Nous discuterons de ces initiatives, de façon plus détaillée, dans
des sections ultérieures du présent chapitre.
[6]
Les participants sont des représentants des autorités policières, des médecins
pratiquants, des chercheurs cliniques, de l’Association nationale des
organismes de réglementation de la pharmacie, de Santé Canada et
d’autres représentants dont l’affiliation est inconnue.
[7]
Résumé de l'étude d'impact de la réglementation accompagnant la Réglementation
sur l’accès à la marijuana à des fins médicales, page 17.
[8]
Cette section se fonde principalement sur la présentation « La
prohibition des drogues et la constitution » au Comité sénatorial
spécial sur les drogues illicites par David Goetz, Division du droit et du
gouvernement, Direction de la recherche parlementaire, Bibliothèque du
Parlement, 1er mars 2001.
[9]
[1998] O.J. No. 3522 (Division générale - Ontario).
[10]
Ibid.,
aux parag. 49-50.
[11]
Ibid.,
au parag. 54.
[12]
Ibid.,
au parag. 66.
[13]
[1999] O.J. No. 1574, aux parag. 11, 31 et 32.
[14]
49 O.R. (3e) 481.
[15]
Ibid.
[16]
Ibid., au parag. 155.
[17]
Ibid., au parag. 163.
[18]
Ibid., aux
parag. 184-185 et 188.
[19]
Ibid.,
aux parag. 191-194.
[20]
Ibid.,
au parag. 190.
[21]
Santé Canada, communiqué de presse, « Le
ministre Rock fait part de l'intention de mettre au point sous peu une
nouvelle approche dans la réglementation de la consommation de marijuana à
des fins médicinales »,
14 septembre 2000.
[22]
Les intervenants clés comprennent des représentants de l’Association médicale
canadienne, de l’Association des pharmaciens du Canada, de la Société
canadienne du sida, de la GRC, du ministère du Solliciteur général, du
ministère de la Justice, de Service correctionnel du Canada et de
l’Association canadienne des chefs de police.
[23]
Santé Canada, Information, Règlement
sur l’accès à la marijuana à des fins médicales – modifications découlant
des consultations publiques, juillet 2001.
[24]
Santé Canada, Information, Accès
à la marijuana à des fins médicales – fonctionnement de la réglementation,
juillet 2001.
[25]
Résumé de l'étude d'impact de la réglementation accompagnant la Réglementation
sur l’accès à la marijuana à des fins médicales, page 8.
[26]
Ces symptômes apparaissent dans une annexe de la Réglementation sur
l’accès à la marijuana à des fins médicales et ont été choisis en se
fondant sur les résultats ou les conclusions de rapports scientifiques et médicaux,
même si les crises associées à l’épilepsie ont été ajoutées suite
à la décision dans la cause Parker.
Cette liste doit être revue régulièrement et devra être modifiée
dès que de nouveaux renseignements sont rendus publics.
[27]
Résumé de l'étude d'impact de la réglementation accompagnant la Réglementation
sur l’accès à la marijuana à des fins médicales, page 13.
[28]
Gillian Lynch, directrice générale, Programme
de la stratégie antidrogue et des substances contrôlées, Santé
Canada, Délibérations du Comité spécial sur les drogues illicites, Sénat
du Canada, première session de la trente-septième législature, 2001-2002,
numéro 22, page 32.
[29]
Résumé de l'étude d'impact de la réglementation accompagnant la Réglementation
sur l’accès à la marijuana à des fins médicales,
page 19.
[30] Association canadienne de protection médicale, Ce qu’il faut faire lorsque vos patients présentent une demande
d’autorisation de possession de marijuana à des fins médicales, octobre
2001.
[31]
Association canadienne de protection médicale, lettre à l’Honorable
Allan Rock, c.r., 8 novembre 2001.
[32]
Ibid.
[33]
Dann Nichols, sous-ministre adjoint, Direction générale de la Santé
environnementale et sécurité des consommateurs, Santé Canada, Délibérations
du Comité spécial sur les drogues illicites, Sénat du Canada, première
session de la trente-septième législature, 2001-2002, numéro 22, pages
37-38.
[34]
B.C. Compassion Club Society, BCCCS
Response to Health Canada’s Proposed Medical Marijuana Access Regulations,
4 mai 2001, page 4.
[35]
Convention unique sur
les stupéfiants, 1961,
Article 30.2.b.i.
[36]
Par exemple, la Vancouver Island Compassion Society compte présentement
235 membres, et le Club de compassion de Montréal compte 130 membres.
[37]
Délibérations du Comité spécial sur les drogues illicites, Sénat du
Canada, première session de la trente-septième législature, 2001, numéro
10, page 36
[38]
Ibid., page
44.
[39]
R.
c. Lucas, cour provinciale de la Colombie-Britannique, Victoria,
dossier : 113701C, para. 47
(Honorable Juge Higinbotham).
[40]
Ibid.,
para. 47-48.
[41]
Ibid.,
para. 49
[42]
Délibérations du Comité spécial sur les drogues illicites, Sénat du
Canada, première session de la trente-septième législature, numéro 10,
page 41.
[43]
Santé Canada, Programme des produits thérapeutiques, Plan
de recherche sur la marijuana à des fins médicales : Un rapport d’étape,
9 juin 1999.
[44]
Gillian Lynch, directrice générale, Programme
de la stratégie antidrogue et des substances contrôlées, Santé
Canada, Délibérations du Comité spécial sur les drogues illicites, Sénat
du Canada, première session de la trente-septième législature, 2001-2002,
numéro 22, pages 47-48.
[45]
Délibérations du Comité spécial sur les drogues illicites, Sénat du
Canada, première session de la trente-septième législature, 2001,
fascicule 10, pages 38-39.
[46]
Dann Nichols, sous-ministre adjoint, Direction générale de la Santé
environnementale et sécurité des consommateurs, Santé Canada, Délibérations
du Comité spécial sur les drogues illicites, Sénat du Canada, première
session de la trente-septième législature, 2001-2002, fascicule 22, page
46.
Chapitre
14
Pratiques
policières
Les
opinions sur la mise en application des lois sur les drogues illicites par la
police sont à tout le moins inconsistantes sinon tout à fait contradictoires.
Certains croient que la police consacre trop de temps, d’efforts et de
ressources aux enquêtes sur les infractions relatives aux drogues illicites, spécifiquement
lorsqu’il s’agit de possession simple et plus encore quand elles impliquent
du cannabis. D’autres – dont la police elle-même – prétendent que
les priorités sont déjà axées sur les trafiquants et les producteurs et que
les accusations de possession, surtout s’il s’agit de cannabis, sont le plus
souvent incidents à la détection d’autres activités criminelles.
Ce
chapitre décrit d’abord les principales organisations responsables de mettre
en application les dispositions de la Loi
réglementant certaines drogues et autres substances (LRDS).
La section suivante examine les pouvoirs qui leur sont impartis ainsi que
les techniques utilisées lors des enquêtes sur les drogues illicites.
Enfin, la troisième section se penche sur les principales statistiques
se rapportant à la police. Ces renseignements devraient permettre de faire la
lumière sur certaines des idées fausses entourant la mise en application des
lois sur les drogues illicites.
Organismes
d’exécution de la loi
Plusieurs
organismes participent à la mise en application des lois canadiennes sur les
drogues illicites, principalement la GRC, l’Agence des douanes et du revenu du
Canada (ADRC), ainsi que les forces policières provinciales et municipales.
Ces intervenants collaborent au besoin avec de nombreux autres organismes
comme la Défense nationale, Pêches et océans et la Garde-côtière canadienne
GRC
Le
rôle et le mandat de la GRC consistent à faire respecter les lois, prévenir
le crime et maintenir la paix, l’ordre et la sécurité. Dans le cadre de la stratégie canadienne sur les drogues, la
GRC participe principalement à quatre aspects, soit la mise en application et
le contrôle, la coordination nationale, la coopération internationale, et les
programmes de prévention.
Sur le
plan national, les responsabilités de la GRC en matière de lutte antidrogues
sont confiées principalement à deux groupes :
v
La
Division de la lutte antidrogues. Comptant
environ 900 employés, ce service est responsable de la lutte antidrogues
au Canada depuis son siège social à Ottawa et ses divisions de lutte
antidrogues dans les diverses régions du pays.
Ce service constitue également une voie de communication rapide avec les
membres de la communauté internationale de la lutte antidrogues.
v
L’Initiative
intégrée de contrôle des produits de la criminalité. Avec environ 415 employés, ce groupe est chargé
d’enquêter sur les personnes ayant accumulé certains produits de la
criminalité et de saisir les actifs provenant d’activités criminelles.
Puisqu’on estime que 90 % des saisies effectuées touchent les drogues,
on considère qu’il s’agit principalement d’une initiative antidrogues. Les 13 unités comptent à leur service des membres des
forces policières fédérales, provinciales et municipales, des conseillers
juridiques, des agents des douanes, des enquêteurs de l’impôt, des
gestionnaires d’actifs et des juricomptables.
Les cas dans ce domaine ont tendance à être complexes et interminables.
Ces deux
services reçoivent également l’aide des autres divisions de la GRC comme les
renseignements et d’autres services d’enquête spécialisés dont la
surveillance électronique et physique. Les
priorités actuelles consistent à enquêter et à arrêter les têtes
dirigeantes des organisations criminelles s’adonnant au commerce des drogues
et à saisir les produits de la criminalité.
La GRC a adopté une approche basée sur les renseignements et effectue
ses enquêtes en fonction de cibles spécifiques – par exemple le crime
organisé. Analysant
l’information qui lui provient de son service de renseignements pour
identifier les principales menaces au pays, elle établit ainsi des priorités
nationales de façon à concentrer ses ressources sur les domaines qui posent le
plus de risque pour les Canadiens. On réévalue, modifie et redéfinit les
priorités nationales en fonction des renseignements recueillis.
Ces priorités – par exemple, celle qui concerne les bandes de motards
hors-la-loi – permettent de s’attaquer plus précisément à certains
groupes. Complexes et pouvant prendre plusieurs années avant d’aboutir, ces
enquêtes demandent des ressources considérables.
Lorsque
la GRC a comparu devant le Comité au mois d’octobre 2001, elle a présenté
les priorités nationales suivantes :
« À
l’heure actuelle, nos priorités stratégiques nationales concernent les
bandes de motards hors-la-loi, le crime organisé asiatique, le crime organisé
italien et le crime organisé d’Europe de l’Est.
Il s’agit là d’objectifs nationaux et non d’objectifs en rapport
avec les drogues. Ce sont là les
objectifs nationaux de la GRC. Ces
groupes sont impliqués dans tous les domaines, mais vous remarquerez qu’ils
prennent part tous les quatre aux activités relatives aux drogues illicites. »
[1]
La
GRC collabore étroitement avec d’autres agences nationales et internationales
pour combattre l’entrée des drogues au Canada.
À ce titre, elle participe régulièrement à des opérations policières
conjointes – menées par des groupes de travail permanents ou temporaires
selon le cas – pour enquêter sur les activités criminelles et échanger des
renseignements. Elle entretient
ainsi des relations étroites avec les services de police provinciaux et
municipaux, Interpol, les Nations Unies, l’Organisation des États Américains,
la Défense nationale, Pêches et océans, le Service correctionnel canadien, la
Garde-côtière du Canada, ainsi qu’avec les autorités douanières et les
agences de lutte antidrogues de par le monde comme la Drug
Enforcement Administration (DEA), le FBI et
les douanes américaines.
Active
aussi dans le domaine de la prévention, la GRC a mis sur pied le Service de
sensibilisation aux drogues. Disposant
d’un budget de 4 millions $ et comptant 31 employés, ce
service agit au niveau local, offrant des cours aux élèves, parents, athlètes,
entraîneurs, employés, employeurs et groupes communautaires.
L’ensemble du personnel de la GRC – et non seulement ces 31 employés
à temps plein en prévention – offre ainsi plus de 10 000 présentations
par année. Parmi les programmes
offerts, mentionnons le Drug Abuse Resistance Education (DARE)[2],
le Programme «Notre bouclier» pour les
jeunes autochtones, le programme Dans
les deux sens : les parents, les enfants et les drogues, ainsi que le
programme La drogue et le sport.
Dans le
cadre des responsabilités policières provinciales et municipales qu’elle
assume de façon contractuelle, la GRC joue aussi un rôle au plan local dans la
lutte antidrogues. Le sergent
MacEachern, coordonnateur de la lutte antidrogues au Nouveau-Brunswick, nous
explique :
« La
GRC est liée par un contrat avec la province du Nouveau-Brunswick et, en tant
que tel, nous offrons des services policiers dans toutes les régions rurales de
la province, dans plusieurs des petits districts et des petites municipalités,
ainsi que dans un grand nombre de municipalités plus vastes.
De plus, nous disposons d’unités fédérales chargées de
l’application de la loi ici et là dans la province, et en matière de lutte
antidrogues, nous avons des bureaux à Bathurst, Moncton, Saint-Léonard, Saint
John et Fredericton.
Autrement
dit, notre personnel d’application de la loi réalise des enquêtes à grande
échelle impliquant les groupes criminels organisés sur les plans provincial,
interprovincial, national et international.
Nos détachements provinciaux ou contractuels doivent s’occuper des
trafiquants de drogue à l’échelle locale ou dans les rues, mais il arrive
souvent, dans le but de contrer un trafic intense sur le plan local, que nos
unités fédérales s’associent à nos détachements afin de réaliser un
objectif précis. » [3]
Même
si nous abordons plus loin les statistiques relatives à la lutte antidrogues,
il est intéressant d’observer que selon Rapport de 2001 de la vérificatrice
générale,[4]
la GRC était responsable d’environ 24 %
de toutes les accusations portées en vertu de la Loi
réglementant certaines drogues et autres substances en 1999.
Comme le démontre le graphique ci-contre, seulement 4 % de ces
accusations étaient attribuables à ses services de police fédérale (soit 2 194
sur un total de 49 585). Dans
ce graphique, le « nombre de personnes accusées » est réparti
selon la gravité des infractions pour un incident donné et il fait référence
au nombre de personnes accusées par la police ou contre lesquelles la police a
recommandé qu’on porte des accusations.
L’Agence
des douanes et du revenu du Canada [5]
L’ADRC
– qui compte présentement plus de 8 000 employés – a toujours joué
un rôle de premier plan dans la lutte antidrogues au Canada et elle est chargée
d’intercepter les drogues au point d’entrée.
Il s’agit là d’une tâche importante, puisque plusieurs des drogues
illicites qu’on retrouve au Canada sont introduites en fraude à nos frontières
– même si cela est moins vrai pour le cannabis dont une partie significative
est cultivée au pays.
La Loi
sur les douanes confère certains pouvoirs aux agents des douanes.
En vertu de l’article 98 un agent peut fouiller toute personne arrivée
au Canada s'il la soupçonne, pour des motifs raisonnables, de dissimuler sur
elle ou près d'elle tout objet d'infraction, effective ou éventuelle, à la présente
loi, tout objet permettant d'établir une pareille infraction ou toute
marchandise d'importation ou d'exportation prohibée, contrôlée ou réglementée
en vertu de la présente loi ou de toute autre loi fédérale. De plus, selon l’article 99, l’agent peut « visiter
toute marchandise importée ».
L’ADRC
fait face à divers types de contrebande dont les armes à feu, l’alcool, le
tabac et les drogues. Tout comme la
GRC, elle fonctionne sur la base de renseignements qui lui proviennent de son
vaste réseau et d’autres organismes d’exécution (au pays et à l’étranger).
Ainsi, son programme de renseignements sur la contrebande travaille étroitement
avec les organismes d’exécution canadiens et étrangers afin d’accumuler
des renseignements, des indicateurs et des tendances lui permettant
d’identifier les cargaisons et/ou individus suspects avant qu’ils
n’arrivent à la frontière.
Les
programmes d’exécution reposent sur la planification stratégique, la gestion
des risques, la collecte et la diffusion des renseignements, les partenariats et
la formation efficace du personnel. La
Direction du renseignement et de la répression de la contrebande – dont la
priorité consiste à s’attaquer aux drogues illicites – est chargée de la
conception, l’élaboration et la mise en application des stratégies relatives
à la contrebande et aux programmes de renseignements. En raison d’un volume croissant, l’ADRC a élaboré le Plan
d’action des douanes afin de moderniser ses processus douaniers et
d’analyse des risques.
Le
service du renseignement et de la répression de la contrebande de l’ADRC est
composé d’agents du renseignement et d’analystes.
Ses diverses unités sont chargées de recueillir des renseignements et
de maintenir des bases de données qui seront diffusés aux agents de première
ligne au pays afin de les aider à identifier les personnes et les marchandises
à risque qui se présentent aux frontières.
En plus
de partenariats avec d’autres organismes d’exécution de la loi au Canada,
comme la GRC et les polices provinciales et municipales, l’ADRC est en
relation étroite avec d’autres administrations douanières, des organismes
nationaux et internationaux d’exécution de la loi et des intervenants
externes dans les domaines de la contrebande, les renseignements,
l’exportation stratégique et le contre-terrorisme tels le United
States Customs Service, la Drug
Enforcement Administration, l’Organisation mondiale des douanes, la Conférence
douanière inter-Caraïbes et l’Interpol.
L’ADRC participe régulièrement à des opérations conjointes de
courte et de longue durée. Par
exemple, les équipes intégrées de la police des frontières (EIPF) sont le
fruit d’une initiative canado-américaine entre plusieurs agences d’exécution
de la loi qui vise à contrer le crime frontalier.
De plus, l’ADRC et la police joignent régulièrement leurs ressources
à celles des organismes d’exécution locaux, provinciaux et américains afin
de combiner leur expertise et leurs renseignements.
L’ADRC participe également à l’Initiative intégrée de contrôle
des produits de la criminalité décrite précédemment.
Parmi
les activités spécifiques à la lutte antidrogues, mentionnons :
v
Recours
à un équipement de détection de contrebande hautement sophistiqué afin de
procéder à des examens non intrusifs visant à faciliter l’identification
des stupéfiants – systèmes à rayons X pour examiner les bagages, les
camions et les chargements mobiles ; appareils à balayage ionique afin de
détecter les quantités infimes de stupéfiants sur presque tout genre de
surface ; équipes de chiens pisteurs déployés un peu partout au pays ;
trousses de détection de contrebande comprenant certains outils utiles comme
des sondes et des fibroscopes ; ainsi qu’un véhicule submersible télécommandé
visant à détecter les stupéfiants et autres articles de contrebande fixés
sous l’eau à la coque des navires.
v
Priorité
accordée à la formation des inspecteurs des douanes dans le domaine de l’exécution
des lois relatives à la contrebande.
v
Utilisation
de divers systèmes d’exécution et bases de données, internes et externes,
afin de permettre aux douaniers et aux inspecteurs d’identifier le niveau de
risque des voyageurs, des transporteurs et/ou des conducteurs.
v
Déploiement
d’un personnel chargé exclusivement de faire respecter les lois afin de
recueillir des renseignements et faire respecter les interdictions en régions.
Les agents régionaux du renseignement collaborent avec les autorités
policières locales, les agents de ciblage, les enquêteurs et les douaniers
pour identifier les mouvements à risque élevé à la frontière.
Les équipes d’intervention mobile se composent de douaniers spécialement
formés et postés partout au Canada pour mener des activités de surveillance
et de vérification, ainsi que des opérations de contrôle auprès de voyageurs
choisis de façon aléatoire. Les
analystes régionaux du renseignement analysent les saisies importantes afin
d’établir des liens avec le crime organisé, et procèdent à des évaluations
des tendances pour tenter d’identifier les risques à venir.
L’ADRC
estime qu’elle est responsable d’environ 50 % de toutes les saisies de
drogues effectuées au Canada.
Polices
municipales et provinciales
À
travers leurs activités normales de police et des escouades spécialisées, les
forces policières provinciales et municipales sont en première ligne en matière
de drogues illicites. Elles font la
plupart des enquêtes et gèrent la plus grande partie des cas de drogues au
Canada. De plus, les membres de ces
corps participent fréquemment à des opérations conjointes avec la GRC et/ou
l’ADRC, ainsi que d’autres organismes d’exécution. Par exemple, on a informé le Comité d’opérations
conjointes présentement menées avec la GRC – et dans certains cas, avec
d’autres organismes d’exécution – ainsi qu’avec la police de Toronto,
la police de Vancouver et la police de Regina.
Coûts[6]
À
diverses occasions, le Comité a demandé aux forces policières de lui fournir
des informations détaillées sur la proportion du temps que les agents
consacrent aux affaires de drogue, le nombre d’agents affectés à la lutte
antidrogues, etc. Dans la plupart
des cas, nous n’avons obtenu aucune réponse à ces questions sauf des énoncés
généraux. Ou bien les forces
policières étaient réticentes à nous fournir ces renseignements, ou encore
leur travail ne se prête pas à ce genre de calculs et personne ne connaît les
sommes consacrées à la lutte antidrogues.
Dans un cas ou l’autre, ce manque de données nous complique la tâche
lorsque vient le temps d’estimer les budgets que la police consacre aux
questions relatives aux drogues et de déterminer si on utilise les fonds
publics à bon escient.
Il
est effectivement difficile d’estimer les coûts de la lutte antidrogues.
Quels sont les éléments de coûts à prendre en compte ?
Quels sont ceux que l’on devrait laisser de côté en raison d’un
manque de données ? Comment définit-on
le coût des éléments ? Comment
devrait-on mesurer chaque élément de coût ?
Peut-on vraiment éviter ces coûts ? Enfin, comment ces divers facteurs influencent-ils la qualité
des résultats ?
Le
Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies (CCLAT) a réalisé
la dernière étude d’importance des coûts de la toxicomanie au Canada.[7]
Cette étude, publiée en 1996, porte sur les données de 1992.
Les auteurs estimaient les coûts de la lutte antidrogues comme suit :
Police Tribunaux Services
correctionnels (incluant la probation) Douanes et
accise Coût
total de la lutte antidrogues |
208,3
M $ 59,2 M $ 123,8 M $ 9,0
M $ 400,3 M $ |
Les coûts
policiers correspondent aux coûts des organismes d’exécution de la loi spécialisés,
comme la Division des stupéfiants (d’alors) de la GRC, ainsi qu’à la
proportion du coût général des opérations policières qu’on peut attribuer
aux crimes reliés aux drogues illicites, incluant les violations directes des
lois antidrogues et la proportion des crimes généraux qu’on peut attribuer
de façon raisonnable aux drogues illicites.
Certaines
données sur la proportion des cas d’homicides et d’agressions où
l’auteur était sous l’influence de drogues illicites étant connues, l’étude
du CCLAT a estimé la proportion de ces cas où l’on pouvait attribuer cette
infraction à une intoxication de l’auteur.
Les auteurs ont proposé que 8 % des crimes violents commis au
Canada étaient attribuables aux drogues illicites.
Il est à noter qu’il n’a pas été tenu compte des crimes contre la
propriété.
Le
nombre d’infractions était utilisé pour mesurer le travail policier.
Pour estimer le coût total du travail de police en matière de drogues,
on a multiplié les dépenses totales des services de police fournies par
Statistiques Canada par le pourcentage des infractions qu’on estimait avoir un
rapport avec la drogue. Selon l’étude, 2,4 % de toutes les infractions étaient
attribuables à la consommation de drogues illicites.
Coûts des services de
police pour la mise en application des lois antidrogues du fédéral Coûts des services de
police pour 8 % des crimes violents Coût total des services de police |
168,4 M $ 39,9 M $ 208,3 M $ |
Les données
sur les Douanes et accises ne tiennent pas compte des programmes financés par
la Stratégie antidrogue.
Bien que
nous ne soyons pas en mesure d’étudier en profondeur les coûts de la lutte
contre les drogues illicites par la GRC, l’ADRC, ainsi que les polices
provinciales et municipales, nous pouvons affirmer sans aucun doute que les coûts
actuels de la lutte antidrogues excèdent considérablement l’estimation de
210 millions $ produite en 1992.
En
effet, le Rapport de 2001 de la vérificatrice générale estimait que la GRC
avait consacré à elle seule environ 164 millions $ à la lutte
contre les drogues illicites en 1999.[8]
Cette estimation reposait sur les données détaillées relatives aux dépenses
recueillies dans le cadre du programme fédéral de la lutte antidrogues.
Ce montant comprenait les coûts découlant directement de l’exécution
des lois antidrogues, ainsi que les coûts dans les domaines connexes comme les
initiatives touchant les fruits de la criminalité, et les douanes et accises.
Ce
montant de 164 millions $ ne concerne que les services de police fédéraux
de la GRC et n’inclut pas les
services de police rendus par la GRC en vertu des contrats avec les provinces et
les municipalités qui constituent cependant l’essentiel des dépenses de la
GRC. On nous a déclaré qu’il était
à l’heure actuelle impossible de déterminer avec précision les coûts en
rapport avec la lutte aux drogues illicites pour ces services.
« Dans
le cas des services de police à contrat, on mène la lutte antidrogues
conjointement avec d’autres services, par exemple, alors que les agents exécutent
des tâches uniformes, soit les tâches policières générales dans les
communautés. Par conséquent, il
est difficile de déterminer la partie du temps consacré aux diverses activités.
Cette difficulté s’accroît lorsque l’infraction en matière de
drogue résulte d’un autre crime, ce qui est souvent le cas.
On
doit tenir compte du fait que le coût des services policiers consiste en grande
partie du salaire et des avantages consentis aux membres.
Pour déterminer avec précision le coût de la lutte antidrogues en matière
de services de police à contrat, il nous faut mesurer le temps consacré à cet
effort.
Alors
qu’on le fait pour les membres de la GRC au niveau fédéral, le système présentement
utilisé pour les services de police à contrat ne permet pas de recueillir
cette information. On s’efforce
présentement d’élaborer un nouveau système qui permettrait possiblement
d’accumuler ces renseignements. Cependant,
en raison de l’éventail des tâches policières effectuées jour après jour,
il est évident que ce serait tout un défi que de faire la distinction nette
des activités relatives à la drogue.
…Permettez-moi
maintenant d’aborder les coûts assumés par les forces policières
provinciales et municipales. Nous
avons récemment mis sur pied un processus visant à identifier les
renseignements existant sur le plan des coûts d’exécution et les lacunes à
ce niveau. Le mois dernier, lors de
la plus récente réunion du Comité national de coordination sur le crime
organisé dont je suis le président, notre ministère a distribué un
questionnaire visant à recueillir des renseignements sur les coûts d’exécution
dans les provinces et les territoires. On
a depuis ce temps remis le questionnaire à plusieurs corps policiers au pays
par l’intermédiaire de l’Association canadienne des commissions de police. Nous attendons impatiemment d’en analyser les résultats dès
que nous les aurons reçus. » [9]
Ces résultats
nous intéressent aussi puisqu’ils constitueraient l’information la plus précise
à ce jour. Comme nous l’avons
expliqué précédemment, il nous est apparu extrêmement difficile, voire
impossible, de connaître la ventilation des coûts des activités de lutte
antidrogues pour les corps de police provinciaux et municipaux.
Même si le chef Fantino du service de police de Toronto a indiqué que
« probablement le tiers de nos ressources sont englouties dans un aspect
ou l’autre de la lutte antidrogues, »[10]
ce type de déclaration ne nous permet pas de tirer des conclusions concrètes
quant aux coûts du maintien de l’ordre.
Cependant, on nous a dit que les enquêtes sur la drogue – en
particulier celles qui visent à coincer les réseaux de trafiquants – peuvent
exiger des ressources intensives.
« Les
ressources ainsi utilisées sont considérables en raison de la nature du
travail. Celui-ci est complexe et,
comme vous le précisez, il implique la surveillance et même parfois l’écoute
électronique. On doit faire appel
à un réseau de gens qui travaillent de façon clandestine. La police requiert un temps énorme afin de réunir une
preuve crédible pour mettre le réseau à jour, établir des liens et procéder
ensuite à des corrélations de tous ces éléments devant la cour. Il s’agit là d’un aspect du travail des policiers qui
demande bien des ressources et qui, par conséquent, est très onéreux pour le
service de police. » [11]
Il
n’est toutefois pas certain que ce raisonnement sur les coûts s’applique également
aux cas de possession de cannabis.
« La
consommation de cannabis, sauf lorsqu’elle coïncide avec une rencontre avec
un agent de police, ne justifie pas une enquête policière, du moins pas dans
cette communauté. Nous ne nous
amusons pas à piéger les gens qui ne font que consommer le cannabis.
Nous les trouvons cependant en nous adonnant à nos activités dans de
nombreuses autres circonstances. Nous
les trouvons dans le cadre des enquêtes relatives au trafic de stupéfiants,
puisque nous sommes alors confrontés à des consommateurs et c’est alors
qu’on porte des accusations. Nous
les trouvons lors des chicanes de ménage.
Nous les trouvons lors des enquêtes touchant les débits de boisson et
parfois lors d’infractions au code de la route.
Leur présence est une conséquence de l’enquête.
Pour
ce qui est de s’attaquer au trafic et à la culture du cannabis, il s’agit là
du principal but de nos enquêtes sur la drogue.
L’argent provenant de la culture et du trafic du cannabis se retrouve
dans les autres types de crimes. Dans
certaines communautés, il s’agit d’un crime plus officiel et mieux organisé,
alors que dans d’autres, il s’agit de groupes de criminels affiliés qui ne
s’y adonnent que pour les profits. C’est
d’ailleurs à ce niveau que nous exerçons nos activités. » [12]
En ce
qui concerne le coût des douanes, l’ADRC a précisé que 75 millions $
sur un budget de l’ordre de 410 millions $ en 2001-2002 ont été
consacrés à l’interdiction des drogues illicites dans des domaines comme les
équipes d’intervention mobiles, les unités régionales, le programme
d’examen des conteneurs, le centre d’expertise marine, les analystes de
renseignements et les agents régionaux du renseignement.
Ces coûts découlent aussi de la technologie de détection de la
contrebande qui comprend les systèmes à rayons X, les spectromètres de
mobilité ionique et le service de chiens pisteurs.
L’ADRC a précisé que les agents participant à la détection de la
contrebande s’occupent non seulement de la lutte antidrogues, mais de la
contrebande en général – quoique l’interdiction des drogues illicites ait
constitué sa principale priorité. Le
rapport 2001 de la vérificatrice générale estimait que l’Agence avait
consacré entre 14 et 36 millions $ pour faire exécuter la loi visant
à interdire les drogues illicites.[13]
Les données
que nous présentons ci-dessous proviennent des sources suivantes :
v
GRC
(services de la police fédérale) : rapport 2001 de la vérificatrice générale
et témoignage devant le comité ;
v
Forces
provinciales et municipales, ainsi que la GRC (sous contrat) : en
multipliant par un facteur de 3,5 % (correspondant à la proportion en 2001
des infractions à la LRDS, soit 91 920 infractions, par rapport au
total des infractions au Code Criminel, soit 2 534 319 infractions et
à la LRDS pour un total de 2 626 239 infractions)[14]
les dépenses totales de 5,0 milliards $ des agences d’application de la
loi (en 1997-1998, les dépenses ont totalisé 4,8 milliards $ - excluant
les dépenses de la GRC, le service de police du fédéral)[15]
; et
v
ADRC
– selon une estimation réalisée à partir des chiffres apparaissant dans le
Rapport de 2001 de la vérificatrice générale (de 14 à 36 millions $)
et le témoignage de l’ADRC devant le comité (75 millions $).
Admettant
qu’il s’agit là d’une méthode de calcul brute et non scientifique qui ne
tient pas compte de facteurs qui pourraient certainement justifier des
ajustements, elle nous permet tout de même d’avoir une meilleure idée des coûts
d’application de la loi en matière de drogues illicites au Canada.
GRC
(services fédéraux)
164 millions $
Polices
provinciale et municipales
175 millions $
ADRC
50 millions $
Total
389 millions $
Compte
tenu du fait que les enquêtes sur les drogues font appel à des ressources extrêmement
importantes, il est permis de penser que la lutte antidrogues représente bien
plus que 3,5 % du budget de la police, le chef Fantino ayant même suggéré
qu’elle pouvait atteindre 33 %
de son budget. Si nous utilisions
un facteur de 15 %, cela porterait le coût des services provinciaux
et municipaux en matière de drogues illicites à 750 millions $.
C’est dire qu’au total, on
consacrerait, chaque année, la somme de presque 1 milliard $ à la
lutte antidrogues. Il est évident
qu’on ne pourrait récupérer tous ces coûts, même sous un régime de légalisation,
puisque les forces policières redirigeraient sûrement les ressources vers
d’autres priorités. Cependant,
on pourrait s’attendre raisonnablement à des économies importantes si on
assouplissait les lois relatives au cannabis.
« …les
économies en termes de coûts d’exécution de la loi si on décriminalisait
la possession sont difficiles à estimer. La
difficulté repose en partie sur le fait que le nombre d’arrestations
attribuables au cannabis a diminué au cours des dernières années à
Vancouver, ce qui reflète la tendance globale qui vise à relâcher l’exécution
de la loi dans les cas de simple possession.
Néanmoins, les activités d’une
exécution plus lâche de la loi permettraient des économies substantielles si
on abrogeait ou si on modifiait la loi. » [16](nous
soulignons)
Pouvoirs
policiers[17]
D’aucuns
disent que l’on a accordé à la police des pouvoirs beaucoup trop vastes pour
l’exécution de la loi en matière de drogues et que, dans la lutte
antidrogues, la société en est venue à tolérer toute une batterie de
techniques d’enquête – écoute électronique, fouilles à nu, recours à
des indicateurs rémunérés, provocation policière, etc. – qui heurtent nos
notions fondamentales de liberté civile. Tenant
compte du fait qu’il soit plus difficile d’appliquer la loi en raison de la
nature même des infractions liées à la drogue, cette section examine les décisions
rendues par les tribunaux sur les pouvoirs et méthodes inusitées demandées
par les services de police dans ces cas. Le
recours à des pouvoirs policiers spéciaux pour l’exécution de la loi en
matière de drogue a une longue histoire comme nous l’avons vu au chapitre 12,
mais cette section porte sur la situation contemporaine.
On
s’entend en général pour dire que la police a besoin de pouvoirs pour faire
respecter la loi et maintenir l’ordre dans notre société.
Lorsqu’elle enquête sur des actes criminels, la police peut employer
des techniques d’enquête moins intrusives comme l’observation et
l’interrogatoire. Dans d’autres
cas, elle peut devoir employer des méthodes plus intrusives comme la
surveillance électronique et la vente surveillée. Ces méthodes, bien qu’elles soient aussi appliquées à
l’égard d’autres actes criminels, sont utilisées beaucoup plus fréquemment
dans les enquêtes visant les drogues.
Il faut toutefois limiter ces pouvoirs pour
protéger les personnes contre les actions policières excessives.
Comme le juge La Forest l’avait formulé : « L’interdiction
qui est faite au gouvernement de s’intéresser de trop près à la vie des
citoyens touche à l’essence même de l’État démocratique. »[18]
Pour déterminer si la conduite de la police est
acceptable, il faut généralement tenir compte d’intérêts conflictuels.
Il y a d’une part les intérêts individuels, et notamment le droit de
ne pas être soumis aux ingérences de l’État, et d’autre part les intérêts
de l’État, et notamment son devoir de protéger la société.
Lorsque ces intérêts s’opposent, il peut être parfois difficile de
s’entendre sur la ligne de démarcation à adopter concernant la conduite de
la police.
Les tribunaux savent que, à mesure que les
crimes deviennent plus subtils, il faut que la police puisse employer des
techniques d’enquête plus perfectionnées pour les dépister.
De plus, dans le cas des infractions liées aux drogues et à d’autres
infractions de nature consensuelle[19],
on sait que les techniques d’enquête ordinaires sont souvent insuffisantes en
raison de la difficulté à dépister ces activités. En général, comme il n’y a pas de « victimes »,
il n’y a personne pour porter plainte ou signaler un crime à la police.
Le Parlement et les tribunaux semblent convenir qu’il peut être
justifié d’accorder des pouvoirs supplémentaires à la police dans ces
circonstances. On estime que la
police doit agir de façon proactive au lieu de réagir comme elle le fait généralement
dans le cas des infractions non consensuelles.
Un exemple de ce point de vue est exprimé dans la déclaration suivante
de l’ancien juge en chef Laskin de la Cour suprême du Canada :
« Le
mode de dépistage des actes criminels réels ou soupçonnés, et de leurs
auteurs, varie nécessairement avec le genre de crime.
Par exemple, lorsqu’il y a violence ou introduction par effraction et
vol, il existe généralement des preuves manifestes de l’infraction que la
police peut utiliser pour retrouver les coupables ; il est fréquent que la
victime, sa famille ou le propriétaire du bien, selon le cas, appelle la police
et lui fournisse des indices facilitant son enquête.
Lorsqu’il s’agit de crimes « consensuels », c’est-à-dire
de crimes impliquant des personnes consentantes, comme dans le cas de la
prostitution, des paris illégaux et de la drogue, les méthodes ordinaires ne
suffisent plus. Les participants,
qu’ils s’estiment lésés ou non, ne portent pas plainte et ne cherchent pas
à obtenir le secours de la police ; c’est justement ce qu’ils veulent
éviter. Si la police veut réprimer
ces infractions que l’opinion publique désapprouve et qui sont d’ailleurs
punies dans notre droit, elle doit prendre des initiatives. » [20]
La
Commission Le Dain a aussi admis la nature particulière des infractions liées
à la drogue :
« L’exécution
des lois concernant les stupéfiants est rendue très difficile par la nature même
des délits tombant sous le coup de ces lois, et notamment par le fait que les
personnes impliquées sont consentantes et agissent de concert, et aussi parce
qu’il y a rarement sinon jamais de victime ayant un sujet de plainte, comme
dans le cas des délits contre la personne ou la propriété.
La police reçoit rarement l’aide de plaignants.
C’est à elle qu’il incombe en majeure partie d’établir la preuve
de l’accusation. En outre,
l’activité se rattachant à l’usage non médical des drogues est
relativement facile à dissimuler. Les
parties intéressées peuvent, d’un commun accord, l’exercer dans des lieux
qui échappent à la surveillance de la police.
Il est également facile de cacher les substances et les instruments
incriminables ou de s’en débarrasser.
Toutes ces difficultés ont
progressivement nécessité le recours à des méthodes exceptionnelles d’exécution
de la loi. » [21]
Fouilles
perquisitions et saisies
Les
pouvoirs spéciaux de fouille, de perquisition et de saisie font depuis
longtemps partie de l’exécution de la loi en matière de drogues illicites.
Ainsi, avant d’être abrogés en 1985, les mandats
de main-forte donnaient aux agents de la paix le pouvoir de perquisitionner sans
avoir préalablement obtenu un mandat. Ces
pouvoirs étaient prévus dans les versions antérieures de la Loi
sur les douanes, de la Loi sur
l’accise, de la Loi sur les aliments
et drogues et de la Loi sur les stupéfiants.
Avant son abrogation en 1985, le paragraphe 10(1)
de la Loi sur les stupéfiants permettait
aux agents de la paix intervenant en vertu du « pouvoir d’un mandat de
main-forte ou d’un mandat » d’entrer dans une maison d’habitation et
de la fouiller « à toute heure » pourvu que l’agent de la paix
ait des motifs valables de croire qu’il se trouvait des stupéfiants dans la
maison « au moyen desquels ou à l’égard desquels » une
infraction avait été commise aux termes de la Loi.
L’article 8
de la Charte a finalement mis un terme aux mandats de main-forte.
De nos jours, c’est la LRDS qui énonce
toutes les conditions de fouille, perquisition et saisie dans le cas des
infractions liées aux drogues. Bien
que ces dispositions soient semblables à celles du Code
criminel en la matière, la police jouit de pouvoirs supplémentaires en
vertu des lois s’appliquant aux drogues illicites. Le paragraphe 11(1) de la LRDS permet à un juge de délivrer
un mandat de perquisition s’il estime, selon l’information qui lui est
fournie sous serment, qu’il existe des motifs valables de croire que les
articles recherchés se trouvent bien là.
Ces articles sont les suivants :
v
Une substance désignée ou un précurseur ayant donné lieu
à une infraction à la LRDS ;
v
Une chose qui contient ou recèle une substance désignée
ou un précurseur visé à l’alinéa précédent ;
v
Un bien infractionnel ;
v
Une chose qui servira de preuve relativement à une
infraction à la LRDS.
Il est possible d’obtenir un mandat même
s’il n’y a pas de raison de croire qu’il y a de la drogue sur les lieux
perquisitionnés, pourvu qu’il y ait des motifs de croire qu’il s’y trouve
l’un des trois autres types de « choses ».
La LRDS
autorise une perquisition « à tout moment ». Il
n’est donc pas nécessaire d’obtenir l’autorisation de perquisitionner de
nuit, comme l’exige le Code criminel.
Un autre
pouvoir spécial est prévu au paragraphe 11(5) de la
LRDS qui permet à la police de procéder
à des fouilles corporelles dans certaines circonstances.
Ce pouvoir n’est pas prévu au Code
criminel, bien que la police ait le pouvoir, selon la common
law, de fouiller une personne arrêtée.
La LRDS donne à la police, dans le cadre de l’exécution d’un
mandat, le pouvoir de chercher sur une personne une substance désignée ou
d’autres articles prévus dans la disposition.
Cela n’est possible que si le policier a des motifs raisonnables de
croire que la personne trouvée sur les lieux désignés par le mandat a en sa
possession une substance désignée ou d’autres articles énumérés dans le
mandat. Cette disposition autorise
donc la police à fouiller une personne même s’il n’y a pas eu
d’arrestation, mais seulement pour ce qui est de certains articles et
seulement si le policier a des motifs raisonnables.
Le paragraphe 11(7) permet à la
police d’exercer sans mandat les pouvoirs que lui confèrent les paragraphes 11(1),
(5) ou (6) en matière de perquisition « lorsque l’urgence de la
situation rend son obtention difficilement réalisable, sous réserve que les
conditions de délivrance en soient réunies ».
Comme nous le verrons plus loin, les perquisitions sans mandat sont
considérées par principe comme non raisonnables, mais les tribunaux prévoient
certaines exceptions. Les règles en ont été résumées comme suit :
[Traduction] « Une
perquisition sans mandat se justifie lorsque, compte tenu de la situation, il
n’est pas possible d’obtenir un mandat, par exemple si c’est un véhicule,
un aéronef ou tout autre moyen de transport susceptible de changer d’endroit
qui fait l’objet de la fouille. C’est
à l’État que revient alors la responsabilité de prouver que l’obtention
d’un mandat dans les circonstances de l’espèce aurait compromis
l’efficacité de l’exécution de la loi.
Lorsqu’il n’existe pas de
pouvoir de fouille en common law concernant les fouilles en « situation
d’urgence», les tribunaux estiment qu’il est nécessaire que la loi
habilitante fasse état d’un pouvoir de perquisition sans mandat dans
certaines circonstances, par exemple en situation d’urgence.
Ces dispositions législatives devraient définir étroitement le type
d’enquête qui permettrait le recours à une perquisition sans mandat. »
[22]
Si la présence de drogues dans un véhicule
peut être considérée comme une situation d’urgence, les tribunaux n’ont
pas encore déterminé avec certitude si la perquisition sans mandat d’un
domicile privé dans le cadre d’une situation d’urgence satisfait aux
exigences constitutionnelles.[23]
Les tribunaux exigeront que la question d’intérêt public invoquée
soit suffisamment impérieuse pour l’emporter sur le droit à la vie privée
associé au domicile d’un particulier, par exemple s’il s’agit de sauver
une vie humaine ou de sécurité.[24]
La Loi
permet également à l’agent de police de saisir d’autres choses que celles
qui sont énumérées dans le mandat s’il a des motifs raisonnables de croire
qu’il s’agit d’articles énumérés au paragraphe 11(1)[25]
et à l’agent de police de saisir toute chose dont il a des motifs
raisonnables de croire qu’elle a été obtenue ou utilisée dans le cadre de
la perpétration d’une infraction (pas uniquement liée aux drogues) ou
qu’elle servira de preuve à l’égard de celle-ci.[26]
La LRDS
traite aussi du recours à la force. L’article
12 prévoit que l’agent de la paix exécutant un mandat peut « recourir
à l’assistance qu’il estime nécessaire » et « à la force
justifiée par les circonstances ». Rappelons
que les dispositions du Code criminel
en matière de fouille et de perquisition ne précisent pas qu’il est possible
de recourir à la force, mais ce recours est prévu ailleurs dans le Code
criminel.
Les articles saisis en vertu de la LRDS
sont soit des biens infractionnels (de l’argent, des automobiles, etc.) ou des
substances désignées (des « drogues »), des règles précises
s’appliquant à la détention et à la confiscation dans chaque catégorie.
La Loi prévoit également la
fouille, la saisie, la détention et la confiscation des produits de la
criminalité relativement aux infractions liées aux drogues en intégrant des
dispositions du Code criminel à cet
égard.
Article 8 de la Charte – perquisitions sans mandat
L’article
8 de la Charte prévoit que chacun a droit à la protection contre les fouilles,
les perquisitions ou les saisies abusives.
Certaines décisions rendues ont trait à la
question de savoir si les perquisitions sont des mesures raisonnables dans telle
ou telle situation et à la question accessoire de savoir si les éléments de
preuve ainsi obtenus peuvent être produits au procès.
Comme nous le verrons plus en détail, une perquisition est généralement
considérée comme raisonnable si elle est autorisée par la loi, si la loi
elle-même est raisonnable et si la perquisition est effectuée de manière
raisonnable.
L’article 8 protège le public contre les
ingérences de l’État en vertu du principe de l’attente raisonnable en matière
de vie privée. Lorsqu’il n’y a
pas attente raisonnable en matière de vie privée, l’article 8 ne
s’applique pas. Par ailleurs, une
diminution de l’attente raisonnable en matière de vie privée (p. ex. dans
les prisons ou aux frontières) abaisse le seuil du caractère raisonnable (p.
ex. en justifiant l’absence de mandat ou en réduisant la norme applicable à
la justification de la perquisition). Le
domicile privé est le lieu où l’attente raisonnable en matière de vie privée
est la plus élevée et pour lequel la protection constitutionnelle est également
la plus élevée.
La Charte
n’exige pas expressément que la police obtienne un mandat avant de procéder
à une perquisition, mais la Cour suprême du Canada, dans l’affaire Hunter
c. Southam Inc., a établi la présomption qu’une perquisition sans
mandat n’est pas raisonnable.[27]
Règle générale, pour qu’une perquisition soit valide, la police doit
obtenir une autorisation préalable (par exemple un mandat de perquisition) et
invoquer des motifs raisonnables et probables pour justifier la demande, afin
d’assurer une protection contre une ingérence de l’État non justifiée.
Il
s’agit là de la règle générale, mais il y a des exceptions. On sait qu’il n’est pas toujours
possible de demander une autorisation préalable.
À l’égard de ces exceptions, les tribunaux exigent qu’un pouvoir de
perquisition sans mandat soit prévu, par la loi ou la common
law. Mais l’existence de ce
pouvoir ne suffit pas, car les tribunaux l’évalueront également pour
s’assurer qu’il est raisonnable. Définissant
ce qui doit être considéré comme raisonnable, les tribunaux ont conclu que
les perquisitions sans mandat doivent généralement être autorisées « seulement
lorsqu’une situation d’urgence rend pratiquement
impossible l’obtention d’un mandat ».[28]
Dans R. c. Grant, la Cour a déclaré
que :
« En résumé, l’article
10 peut validement permettre d’effectuer une fouille, une perquisition ou une
saisie sans mandat en cas de situation d’urgence qui rend pratiquement
impossible l’obtention d’un mandat. On
jugera généralement qu’il y a situation d’urgence s’il existe un risque
imminent que les éléments de preuve soient perdus, enlevés, détruits ou
qu’ils disparaissent si la fouille, la perquisition ou la saisie est retardée. La croyance que des éléments de preuve recherchés se
trouvent à bord d’un véhicule à moteur, d’un navire, d’un aéronef ou
de tout autre véhicule rapide créera souvent une situation d’urgence ;
toutefois, il n’existe aucune exception générale pour ces moyens de
transport. » [29]
Chaque
cas est étudié au mérite, mais plus le degré d’urgence indiqué par la
police dans les circonstances sera élevé, plus le tribunal aura tendance à
considérer raisonnable la perquisition sans mandat.
Fouilles d’une personne
En dehors de quelques dispositions
particulières comme celle que l’on trouve dans la LRDS, le droit pénal fédéral
ne prévoit pas d’autorisation pour la fouille d’une personne.
Ceci dit, la common law prévoit effectivement la fouille accessoire à une
arrestation légale.
Ce pouvoir de common
law est une exception à la règle générale qui veut qu’une fouille soit
précédée d’une autorisation pour être jugée raisonnable.
C’est une exception fort importante, car la plupart des fouilles
corporelles sont effectuées en vertu de ce pouvoir.
Comme nous l’avons expliqué, la LRDS
permet effectivement au policier qui exécute un mandat de perquisition en
vertu de la Loi de fouiller les
personnes présentes sur les lieux à certaines conditions.
En vertu de ce pouvoir prévu par la common
law, une personne ne peut être fouillée qu’après avoir été arrêtée
et seulement dans le but de trouver d’autres éléments de preuve relatifs aux
accusations qui sont portées contre elle ou une arme ou un article quelconque
qui lui permettrait de se sauver ou de commettre un acte de violence.
Bien que la fouille accessoire à une arrestation soit un pouvoir assez
large, il n’y a pas de droit automatique et illimité de fouiller
accessoirement à une arrestation.
Le mode de fouille
Les tribunaux se sont montrés disposés à
examiner de très près la manière dont la fouille d’une personne est effectuée.
Par exemple, dans l’affaire Collins,
une cause jugée en Colombie-Britannique, l’accusée était assise à un bar
qui était censément fréquenté par des trafiquants d’héroïne et leurs
clients. Elle avait été saisie
par deux policiers : l’un d’eux l’avait prise par la gorge, la
rendant à demi inconsciente, tandis que l’autre lui avait ouvert la bouche de
force. Pendant ce temps, trois
capsules d’héroïne s’étaient échappées de sa main droite.
La Cour a estimé que les agents de police n’avaient pas, en l’espèce,
de motifs raisonnables et probables de croire que l’accusée avait des
narcotiques dans la bouche et elle a donc conclu que la fouille n’était pas légale.
Elle a ajouté et conclu que l’admission en preuve de ces éléments
porterait atteinte à la réputation de l’administration de la justice car
cela reviendrait à couvrir et à permettre la perpétuation d’une conduite
inacceptable de la part de la police. Cette décision a été confirmée en appel par la Cour suprême
du Canada. Cela ne signifie pas
qu’une « prise à la gorge » soit nécessairement toujours jugée
inacceptable. Dans l’affaire R. v. Garcia Guiterrez[30],
[Traduction] « une prise à la gorge
avait permis d’empêcher que des éléments de preuve soient avalés et un
coup de poing au plexus avait permis de contraindre le suspect à les cracher.
Sous réserve d’une opinion dissidente vigoureusement formulée, la
majorité de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a conclu que la prise
à la gorge en vue de préserver des éléments de preuve était acceptable dans
les circonstances de l’espèce ».[31]
Les lois
ou règles de common law autorisant la
fouille de personnes ne disent généralement rien de la portée qu’elles
supposent à la fouille en question. Comme
nous l’avons vu précédemment, l’une des conditions d’une fouille jugée
valable est qu’elle doit être effectuée de façon raisonnable.
En ce qui a trait à la fouille d’une personne, le degré d’indiscrétion
peut être tel que la fouille sera considérée comme abusive.
Analysant la question des fouilles corporelles aux frontières, la Cour suprême du Canada a distingué trois catégories de fouilles :
« Il est, à mon avis,
significatif que la jurisprudence et la doctrine semblent distinguer trois types
de fouilles à la frontière. Premièrement,
il y a l’interrogatoire de routine auquel est soumis chaque voyageur à un
port d’entrée, lequel est suivi dans certains cas d’une fouille des bagages
et peut-être même d’une fouille par palpation des vêtements extérieurs.
Il n’y a rien d’infamant à être l’un des milliers de voyageurs
qui font, chaque jour, l’objet de ce type de contrôle de routine à leur entrée
au Canada et aucune question constitutionnelle n’est soulevée à cet égard.
Il serait absurde de laisser entendre qu’une personne qui se trouve
dans une telle situation est détenue au sens constitutionnel du terme et a le
droit, en conséquence, d’être informée de son droit à l’assistance
d’un avocat. Le second type de
fouille effectuée à la frontière est la fouille à nu comme celle à laquelle
a été soumise l’appelante en l’espèce.
Cette fouille est effectuée dans une pièce fermée, après un examen
secondaire et avec la permission d’un agent des douanes occupant un poste
d’autorité. Le troisième type
de fouille, celui qui comporte l’empiétement le plus poussé, est parfois
appelé examen des cavités corporelles ; pour ce genre de fouille, les
agents des douanes ont recours à des médecins, à des rayons X, à des émétiques,
ainsi qu’à d’autres moyens comportant un empiétement des plus poussés. »
[32]
Dans
l’affaire Simmons, le juge en chef
Dickson a ajouté que les différents types de fouille soulèvent des problèmes
différents et des questions d’ordre constitutionnel entièrement différentes
« puisqu’il est évident que plus
l’empiétement sur la vie privée est important, plus sa justification et le
degré de protection constitutionnelle accordée doivent être importants ».[33]
Cette perspective a été confirmée en 1999 par la Cour suprême du
Canada dans l’affaire Monney (discutée infra).
Dans les deux cas, la question de la constitutionnalité de la troisième
catégorie de fouille est restée sans réponse, tandis que les deux premières
ont été jugées raisonnables en vertu de l’article 8, même si elles
sont fondées sur le seul soupçon. Rappelons
que ces causes ont trait aux fouilles effectuées aux frontières.
La Cour
suprême du Canada a précisé ce qui suit concernant les fouilles sommaires
accessoires à une arrestation :
« Jaugeant l’intérêt
public dans l’application efficace et sécuritaire de la loi à la lumière de
l’intérêt public d’assurer le respect de la liberté et de la dignité des
individus, j’estime que la fouille sommaire accessoire à une arrestation légale
concilie ces deux impératifs en ce que l’intrusion minimale que représente
la fouille est nécessaire pour assurer une saine administration de la justice
criminelle. » [34]
Ainsi, lorsque la fouille d’une personne
est justifiée, une fouille sommaire sera généralement jugée raisonnable car
c’est probablement le mode de fouille le moins indiscret.
La
question des fouilles à nu a été examinée dans R. c. Flintoff.[35]
Dans cette affaire, un policier avait arrêté l’accusé sur la scène
d’un accident pour conduite en état d’ébriété.
L’accusé avait été soumis à une fouille à nu avant de passer
l’alcootest, conformément à une politique générale de la police exigeant
que tous les policiers procèdent à une fouille à nu de toutes les personnes
placées en détention au poste, quelles que soient les circonstances de
l’affaire ou la situation de la personne en question.
La Cour a estimé que la fouille était abusive et qu’elle portait
atteinte aux droits garantis par l’article 8 de la Charte.
Elle a déclaré que la fouille à nu n’était pas justifiée en droit
et qu’elle n’était pas accessoire à une arrestation, précisant que
l’atteinte aux droits était « scandaleuse »
et « flagrante » et qu’elle
choquerait la population. Selon la
Cour, la fouille à nu est [Traduction] « l’un des types de fouille les plus indiscrets et « l’un des
modes les plus extrêmes de l’exercice du pouvoir de la police ». La
police peut procéder à une fouille accessoirement à une arrestation, mais
[Traduction] « le degré d’intrusion doit être raisonnable et justifié par un
objectif valable, la sécurité par exemple ».
Dans
l’arrêt R. c. Golden[36]
la Cour Suprême revoit les questions entourant les fouilles dans les cas
d’arrestation et la façon dont on peut procéder à une telle fouille.
M. Golden a été arrêté suite à ce que la police considérait comme
des transactions de stupéfiants dans un restaurant.
Il a été amené vers un escalier où la police a descendu ses pantalons
et ses sous-vêtements et remarqué un petit sachet de plastique transparent
contenant une substance blanche au niveau de la région anale.
La police a tenté de le récupérer, mais l’accusé a résisté.
Il a été escorté au restaurant et les policiers ont demandé aux
clients de quitter les lieux. Ils
ont alors forcé l’accusé à se pencher sur une table et descendu ses
pantalons et son sous-vêtement. Il
a continué de résister aux tentatives de la police visant à récupérer le
sachet de plastique et a accidentellement déféqué – ce qui n’a pas libéré
le sachet de plastique. Les
policiers ont pris une paire de gants de caoutchouc servant à laver la
vaisselle et retiré le sachet alors que l’accusé reposait face contre le
sol. On a procédé à nouveau à
une fouille à nu de l’accusé au poste de police.
Voici ce que la Cour suprême a déclaré concernant les fouilles à nu :
« Alors
que le répondant et les intervenants de la Couronne ont tenté de réduire le
caractère intrusif des fouilles à nu, nous considérons qu’elles représentent
sans aucun doute une atteinte flagrante à la vie privée et qu’elles
constituent souvent une expérience humiliante, dégradante et traumatisante
pour l’individu qui en fait l’objet. On
peut clairement réduire les effets négatifs de la façon dont on procède aux
fouilles à nu, mais même la façon la plus sensible de procéder à ces
fouilles est très indiscrète. De
plus, nous croyons qu’il est important de noter les présentations de l’ACLC
et de l’ALST à l’effet que les Afro-canadiens et les peuples autochtones
sont surreprésentés dans le système de justice pénale et, par conséquent,
qu’ils sont susceptibles de représenter une part disproportionnée des gens
que la police arrête et qu’on soumet à des fouilles personnelles, incluant
des fouilles à nu… Ainsi, on se
doit d’élaborer un cadre approprié afin de régir les fouilles à nu pour
empêcher ces fouilles inutiles et injustifiées avant qu’elles ne se
produisent. »[37]
Dans Golden,
la Cour suprême du Canada a observé que la Couronne n’avait pas démontré
que la fouille à nu de l’appelant avait été effectuée de façon
raisonnable. Elle a soutenu que la
preuve n’avait pas établi que cette situation justifiait une fouille à nu à
l’extérieur du poste de police, surtout que le poste n’était situé qu’à
deux minutes. La Cour a donc conclu
qu’il ne s’agissait pas d’un cas impliquant un besoin urgent et essentiel
de procéder à une fouille à nu « sur le terrain » dans le but de
préserver la preuve.
La Cour
suprême a également mis en garde contre le recours à la force lors des
fouilles :
« Nous
rejetons tout particulièrement la suggestion à l’effet que l’absence de
coopération et la résistance de la personne arrêtée autorise la police à
adopter un comportement ignorant ou compromettant son intégrité et sa sécurité
physiques et psychologiques. Si on
ne s’en tient pas à l’approche générale articulée dans ce cas, il
n’est aucunement nécessaire qu’on collabore à cette violation de la Charte
des droits. Tout recours à la
force ou à la violence doit être nécessaire et proportionnel dans chaque
circonstance particulière. Dans ce
cas, le refus de l’appelant de remettre la preuve ne justifie ou n’atténue
aucunement le fait qu’on ait mené la fouille dans un endroit public et
d’une façon méprisant considérablement sa dignité et son intégrité
physique, et ce, malgré l’absence de raisons raisonnables et probables ou de
circonstances exigeantes. » [38]
Le cas Golden
est important en ce sens que la Cour suprême a adopté un « cadre devant
permettre à la police de décider de la meilleure façon de procéder à une
fouille à nu pour que l’arrestation se déroule conformément à la Charte. »
Ce cadre doit inclure les questions suivantes :
1.
La fouille à nu peut-elle avoir lieu au poste de police et, sinon,
pourquoi pas ?
2.
La fouille à nu se déroulera-t-elle de façon à assurer la santé et
la sécurité de toutes les personnes concernées ?
3.
La fouille à nu sera-t-elle autorisée par un agent de police jouissant
d’un pouvoir de surveillance ?
4.
S’est-on assuré que le ou les agents de police procédant à la
fouille à nu soient du même sexe que l’individu subissant cette fouille ?
5.
Le nombre d’agents de police impliqués dans la fouille ne sera-t-il
que le minimum nécessaire dans les circonstances ?
6.
Quelle est la force minimale qu’on doit employer pour procéder à la
fouille à nu ?
7.
Procédera-t-on à la fouille à nu dans un endroit privé de façon à
ce que personne autre que les individus y prenant part ne puissent l’observer ?
8.
La fouille à nu se déroulera-t-elle le plus rapidement possible et de
façon à assurer que la personne ne soit en aucun temps complètement nue ?
9.
La fouille à nu ne consistera-t-elle que dans une inspection visuelle
des organes génitaux et de la région anale de la personne arrêtée sans
qu’il n’y ait de contact physique ?
10.
Si l’inspection visuelle révèle la présence d’une arme ou de tout
autre élément de preuve dans une cavité corporelle (excluant la bouche),
donnera-t-on au détenu le choix de retirer lui-même l’objet ou de le faire
enlever par un professionnel formé dans le domaine médical ?
11.
Rédigera-t-on un rapport adéquat des raisons pour lesquelles on a procédé
à une fouille à nu et de la façon dont celle-ci s’est déroulée ?
Étant donné la nature des infractions liées
aux drogues et le fait que ces substances sont plus faciles à dissimuler, il
semblerait que des fouilles plus indiscrètes puissent être permises.
Les tribunaux sont assurément conscients des tactiques employées par
les contrevenants pour dissimuler des drogues et ils peuvent être plus disposés
à autoriser la police à agir d’une façon qui, dans d’autres
circonstances, ne serait pas jugée acceptable.
Il est clair cependant, d’après les décisions rendues par les
tribunaux, que plus la fouille est indiscrète, plus elle doit être justifiée
et plus la protection constitutionnelle joue.
Écoles
Dans R.
c. M. (M.R.),[39]
une majorité de la Cour suprême du Canada a également
statué que l’attente raisonnable en matière de vie privée est « beaucoup
moindre » pour les élèves à l’école parce que les autorités
scolaires ont la responsabilité « de
procurer un environnement sûr et de maintenir l’ordre et la discipline dans
l’école ». Les autorités
scolaires (pas la police) peuvent procéder à des fouilles sans mandat :
il leur suffit d’avoir des motifs raisonnables de croire certains faits (et
non des motifs raisonnables et probables).
Ces autorités ne doivent cependant pas être des agents de police.
La Cour a ajouté que les élèves doivent savoir que « cela
peut parfois commander la fouille d’élèves et de leurs effets
personnels de même que la saisie
d’articles interdits ». En
conclusion, la Cour a déclaré que la saisie de marijuana sur un élève fouillé
au cours d’une danse à l’école n’enfreignait pas ses droits aux termes
de l’article 8 de la Charte. Bien qu’elle ait établi les paramètres applicables aux
fouilles raisonnables sans mandat dans ces circonstances, rappelons que la
majorité a expressément limité ses conclusions au contexte des écoles
primaires et secondaires et qu’il « n’a pas été question » des
collèges et des universités.
Frontières
Les
fouilles effectuées par les douaniers à la frontière sont un exemple de réduction
des garanties constitutionnelles pour lesquelles les tribunaux considèrent
qu’il y a une moindre attente en matière de vie privée en raison du
contexte. Dans ce cas, les normes
énoncées dans l’affaire Hunter
peuvent ne pas s’appliquer.
L’article 98
de la Loi sur les douanes[40]
permet aux douaniers de fouiller, dans un délai raisonnable, une personne qui
vient d’arriver au Canada ou qui est sur le point de le quitter s’il a des
motifs raisonnables de soupçonner qu’elle dissimule des articles illégaux
sur elle. La Cour suprême du
Canada a interprété cette norme du point de vue du soupçon raisonnable et non
de la norme plus élevée des motifs raisonnables.[41]
Toute personne sur le point d’être fouillée peut demander à voir un
agent supérieur qui décidera si la fouille doit avoir lieu.[42]
Dans
l’affaire R. c. Simmons[43],
l’accusée avait été tenue de se soumettre à une fouille à nu parce
qu’un douanier était convaincu qu’elle transportait des articles de
contrebande. La décision de la
Cour a confirmé le droit du Canada, à titre d’État souverain, de contrôler
qui et ce qui traverse ses frontières. Le
pouvoir de fouille en question ne remplissait pas les critères énoncés dans
l’affaire Hunter (p. ex.
autorisation préalable et motifs raisonnables), mais la Cour n’en a pas moins
déclaré ce qui suit :
« J’accepte la proposition
de la poursuite que les attentes raisonnables en matière de vie privée sont
moindres aux douanes que dans la plupart des autres situations.
En effet, les gens ne s’attendent pas à traverser les frontières
internationales sans faire l’objet d’une vérification.
Il est communément reconnu que les États souverains ont le droit de
contrôler à la fois les personnes et les effets qui entrent dans leur
territoire. On s’attend à ce que
l’État joue ce rôle pour le bien-être général de la nation.
Or, s’il était incapable d’établir que tous ceux qui cherchent à
traverser ses frontières ainsi que leurs effets peuvent légalement pénétrer
dans son territoire, l’État ne pourrait pas remplir cette fonction éminemment
importante. Conséquemment, les
voyageurs qui cherchent à traverser des frontières internationales
s’attendent parfaitement à faire l’objet d’un processus d’examen.
Ce processus se caractérise par la production des pièces d’identité
et des documents de voyage requis, et il implique une fouille qui commence par
la déclaration de tous les effets apportés dans le pays concerné.
L’examen des bagages et des personnes est un aspect accepté du
processus de fouille lorsqu’il existe des motifs de soupçonner qu’une
personne a fait une fausse déclaration et transporte avec elle des effets
prohibés.
À
mon sens, l’interrogatoire de routine auquel procèdent les agents des
douanes, l’examen des bagages, la fouille par palpation et la nécessité de
retirer en privé suffisamment de vêtements pour permettre l’examen des
renflements corporels suspects, qui sont autorisés par les rédacteurs des
articles 143 et 144 de la Loi sur les douanes, ne sont pas abusifs au sens de
l’article 8. En vertu de la Loi
sur les douanes, les fouilles personnelles ne sont pas systématiques, elles
sont effectuées seulement lorsque les agents des douanes ont raisonnablement
lieu de supposer qu’une personne cache sur elle de la contrebande.
La décision de procéder à une fouille peut faire l’objet d’une révision
à la demande de la personne qui doit être fouillée. Bien qu’à certains égards les fouilles personnelles
puissent être gênantes, elles sont effectuées en privé dans des pièces
destinées à cette fin, par des agents du même sexe que la personne fouillée. Dans ces conditions, exiger d’une personne qu’elle retire
des vêtements jusqu’à ce que la présence ou l’absence d’objets cachés
puisse être établie, ce n’est pas attenter à son intégrité physique
d’une façon qui puisse être considérée abusive au sens de l’article 8 de
la Charte.
Je souligne également que selon
les articles en question : (i) avant qu’une personne puisse être fouillée,
le préposé ou la personne qui effectue la fouille doit avoir raisonnablement
lieu de supposer que la personne qui subit cette fouille peut avoir, cachés sur
elle, des effets sujets à déclaration en douane, ou des articles prohibés, et
(ii) avant qu’une personne puisse être fouillée, elle a la faculté
d’exiger que le préposé la conduise devant un magistrat de police, ou un
juge de paix, ou devant le receveur ou le préposé en chef du port ou lieu.
Si l’un ou l’autre des susdits constate qu’il n’y a pas de motifs
plausibles d’effectuer une fouille, il renvoie cette personne.
Vu les problèmes que pose la répression
du trafic illégal des stupéfiants et l’intérêt important qu’a le
gouvernement à appliquer nos lois douanières, et étant donné que les
attentes en matière de vie privée des gens sont moindres lorsqu’il s’agit
de passer une frontière, j’estime que les articles 143 et 144 de la Loi sur
les douanes ne sont pas incompatibles avec l’article 8 de la Charte. »
[44]
Il convient de noter, aux fins de nos
travaux, que la Cour a mentionné les problèmes que soulève le contrôle du
trafic des drogues illicites comme facteur d’évaluation du caractère
raisonnable de la fouille en vertu de l’article 8 de la Charte.
Le fait que l’attente de respect de la
vie privée soit moindre aux douanes ne réduit cependant pas l’obligation des
autorités de l’État de respecter la Charte,
même si les motifs qui déclenchent la fouille sont raisonnables et que des
drogues sont découvertes durant la fouille.
Avant toute fouille, les inspecteurs doivent expliquer clairement au
sujet les droits qui sont les siens aux termes de la Charte, notamment le droit de consulter un avocat, et son droit de
faire examiner la demande de fouille avant de s’y soumettre, comme le prévoit
la Loi sur les douanes.
Dans l’affaire Simmons, la suspecte avait été laissée dans l’ignorance de sa
situation juridique puisqu’on ne l’avait pas correctement informée de ces
droits. La Cour suprême du Canada
a donc conclu que la fouille n’était pas raisonnable. Les éléments de preuve n’ont cependant pas été exclus
puisque les douaniers avaient agi de bonne foi.
La Cour suprême du Canada a déclaré que
l’article 98 de la Loi sur les
douanes, qui autorise les fouilles en vue de découvrir des articles de
contrebande « dissimulés sur ou près » de la personne,
s’applique aux articles de contrebande qu’un voyageur a ingérés. Dans l’affaire R. c. Monney[45],
la Cour a conclu qu’un douanier qui a des motifs raisonnables de soupçonner
qu’un article de contrebande a été ingéré est autorisé par la Loi
à détenir le voyageur dans une « salle d’évacuation des drogues »
jusqu’à ce que le soupçon puisse être confirmé ou dissipé.
Ce type d’intervention revient à une fouille au sens de l’article 8
de la Charte, mais la Cour a confirmé
que « les attentes raisonnables en matière de vie privée sont moindres
aux douanes que dans la plupart des autres situations » et que la fouille
en question n’était pas « abusive » en l’occurrence.
La Cour a bien précisé que les différents
degrés d’ingérence suscitent des questions d’ordre constitutionnel différentes
(p. ex. celle de l’exigence d’une norme supérieure au soupçon
raisonnable). Elle a formulé
l’avis suivant : « […] le
risque d’atteinte par l’État à l’intégrité physique d’une personne
à l’occasion de fouilles relevant de la troisième catégorie commande le
respect de normes de justification constitutionnelle strictes ».[46]
On voit que les tribunaux appliquent une
norme de protection constitutionnelle inférieure dans le cas des fouilles
effectuées aux frontières. Comme
l’a déclaré la Cour dans l’affaire Monney,
« les arrêts de notre Cour portant sur le caractère raisonnable d’une
fouille ou d’une perquisition pour l’application de l’article 8 en général
ne sont pas nécessairement pertinents pour l’appréciation de la
constitutionnalité d’une fouille effectuée par des agents des douanes aux
frontières canadiennes ».[47]
Surveillance électronique
Comme les infractions liées aux drogues
sont consensuelles, la police recourt souvent à des techniques spéciales pour
faire enquête sur ce genre de crime, parmi lesquelles figure la surveillance électronique.
La Cour suprême a statué que la surveillance électronique constitue
une fouille aux fins de l’article 8 de la Charte,
et ses décisions dans ce secteur ont eu un effet considérable sur les
dispositions du Code criminel visant de
telles techniques. Comme
la surveillance électronique est une ingérence plus large dans la vie privée
que les perquisitions ordinaires, la loi prévoit des garanties procédurales
plus serrées.
L’interception clandestine est souvent employée
en cas d’infraction liée aux drogues, mais elle peut également l’être
dans beaucoup d’autres circonstances où des infractions graves au Code
et à d’autres lois fédérales sont commises.[48]
Le Rapport annuel sur la surveillance électronique publié par le
Solliciteur général en 1998 indique ce qui suit au sujet de l’importance de
la surveillance électronique comme instrument d’enquête :
« La surveillance électronique
est essentielle à la lutte contre le crime organisé, surtout en ce qui
concerne le trafic de drogues. Pour
réduire l’importation et la distribution de drogues illicites au Canada, les
organismes d’application de la loi comptent beaucoup sur l’interception des
communications privées. Il est
indiqué à la section III du présent rapport que la majorité des
autorisations accordées par les tribunaux permettent l’utilisation de la
surveillance électronique dans les cas de trafic de substances réglementées.
Comme par les années antérieures, nombre de ces autorisations étaient
liées à des complots criminels, des crimes qui posent des difficultés à la
police lorsqu’il s’agit de les dépister, de faire enquête et de les résoudre.
[…]L’utilisation
de la surveillance électronique a permis la saisie de grandes quantités de
drogues au Canada. Elle a aussi
permis de réduire la disponibilité de drogues dans la rue et dans les
collectivités et d’aider à la prévention du crime organisé lié à
l’abus de drogue. Sans cet outil
essentiel, la capacité des organismes d’application de la loi de prévenir le
crime et les dommages sociaux qui s’ensuivent serait considérablement
restreinte. »
Il est clair que la surveillance électronique
est un instrument d’enquête efficace, mais c’est aussi une sérieuse
infraction au droit à la vie privée. Voici
ce qu’a déclaré la Cour suprême du Canada à cet égard :
« La surveillance électronique
est à ce point efficace qu’elle rend possible, en l’absence de réglementation,
l’anéantissement de tout espoir que nos communications restent privées.
Une société nous exposant, au gré de l’État, au risque qu’un
enregistrement électronique permanent soit fait de nos propos chaque fois que
nous ouvrons la bouche, disposerait peut-être d’excellents moyens de
combattre le crime, mais serait une société où la notion de vie privée
serait vide de sens. Comme le dit
le juge Douglas, dissident dans l’affaire United States v. White, précitée,
à la p. 756 : [Traduction] « La surveillance électronique est le
pire destructeur de la vie privée ».
S’il est permis à l’État d’enregistrer et de transmettre
arbitrairement nos communications privées, il devient dès lors impossible de
trouver un juste équilibre entre le droit du particulier d’être laissé
tranquille et le droit de l’État de porter atteinte à la vie privée dans la
poursuite de ses objets, notamment la nécessité d’enquêter sur le crime et
de le combattre.
Ce n’est pas nier qu’il est
d’importance vitale pour les organismes chargés de l’application des lois
d’être en mesure de recourir à la surveillance électronique dans leurs enquêtes
sur le crime. La surveillance électronique
joue un rôle indispensable dans la découverte d’opérations criminelles
complexes. Son utilité dans les
enquêtes en matière de stupéfiants, par exemple, a été maintes fois confirmée.
Mais, pour les raisons déjà évoquées, il est inadmissible dans une
société libre que les organes de l’État puissent se servir de cette
technologie à leur seule discrétion. Le
péril pour la vie privée serait tout à fait inacceptable. » [49]
Comme la surveillance électronique est une
ingérence plus large dans la vie privée que les perquisitions ordinaires, la
loi prévoit des garanties procédurales plus serrées. Des
règles semblables s’appliquent à la surveillance vidéo.
Les décisions que la Cour suprême du
Canada a rendues le 25 janvier 1990 dans les affaires Duarte et Wiggins ont eu
un effet important sur les méthodes de maintien de l’ordre, notamment sur les
opérations d’infiltration associées aux infractions liées aux drogues et à
la moralité. Dans l’affaire Duarte[50],
la Cour a confirmé que la surveillance électronique constitue une perquisition
et saisie au sens de l’article 8. Cela
n’est cependant le cas que lorsqu’il existe une attente raisonnable en matière
de vie privée. La Cour a déclaré
que la surveillance électronique non autorisée et l’interception « de
communications privées, par un organe de l’État, avec le consentement de
l’auteur de la communication ou de la personne à laquelle il la destine, sans
autorisation judiciaire préalable, constitue[nt] une atteinte aux droits et
libertés garantis par l’article 8 ». Jusque-là, il était légal
pour la police d’intercepter ce genre de communication pourvu que l’une des
parties y consente. Il est désormais
nécessaire qu’un juge autorise ce genre d’interception de la même façon
que l’interception d’une conversation complètement privée (mise sur écoute)
lorsqu’aucune des parties n’a donné son consentement préalable.
La Cour a également exigé qu’il y ait des motifs raisonnables et
probables, faisant l’objet d’une assermentation de l’agent en question, de
croire qu’il existe à l’endroit que l’on veut perquisitionner des éléments
de preuve d’une infraction. Le
soupçon ne suffit pas.
Dans Duarte,
la Cour suprême du Canada a déclaré que « l’article 8 vise d’abord
et avant tout à assurer le respect de la vie privée », qu’elle définit
comme étant « le droit du
particulier de déterminer lui-même quand, comment et dans quelle mesure il
diffusera des renseignements personnels ».
En conséquence, « on peut difficilement concevoir une activité de
l’État qui soit plus dangereuse pour la vie privée des particuliers que la
surveillance électronique et qui, en conséquence, doive être plus directement
visée par la protection de l’article 8 ».
La Cour a estimé qu’elle ne pouvait plus permettre que la police
« à son entière discrétion
[…] enregistre et transmette nos propos »
sans autorisation judiciaire préalable, parce que cette pratique policière
largement répandue représente un « danger
insidieux » pour « la
marque certaine d’une société libre », à savoir « la
liberté de ne pas être obligés de partager nos confidences avec autrui ». Dans l’affaire Wiggins[51],
l’emploi de « micro-émetteurs de poche » par la police a également
été jugé contraire à la Constitution
pour les motifs exposés dans l’affaire Duarte.
L’arrêt Duarte démontre
bien que, même si la conduite de la police est autorisée par la loi, cela ne
signifie pas qu’elle est raisonnable au regard de l’article 8.
Le Code a depuis été modifié :
il prévoit désormais l’autorisation préalable des interceptions avec
consentement.
En ce qui concerne les interceptions
clandestines, le juge doit s’assurer 1) que c’est dans l’intérêt de
l’administration de la justice et 2) que d’autres procédures d’enquête
a) ont été tentées en vain ou b) ne sont pas susceptibles d’être
fructueuses ou c) que la situation est urgente.
En 2000, dans l’affaire R. c.
Araujo[52],
la Cour suprême du Canada a interprété la deuxième condition énoncée dans
la loi. Elle a précisé que la
norme, dans le cas du point b), ne relève pas de « l’efficacité »,
mais de la « nécessité ». Le
critère est le suivant : il ne doit pas y avoir, pratiquement parlant,
d’autre mode d’enquête valable possible dans les circonstances de ladite
enquête judiciaire.
Article 24
Le paragraphe 24(1) de la Charte prévoit un recours pour les accusés dont les droits selon
la Charte ont été enfreints ou violés :
ils peuvent s’adresser à un « tribunal compétent » pour obtenir
la réparation « convenable et juste ».
Le paragraphe 24(2) permet aux tribunaux d’exclure des éléments
de preuve obtenus dans des conditions enfreignant ou violant les droits garantis
par la Charte si leur admission « est susceptible de déconsidérer
l’administration de la justice ». Les
trois principaux facteurs à prendre en considération sont les suivants :
a) « L’admission des éléments de preuve compromet-elle l’équité du procès?
b) Quelle est la gravité de l’infraction à la Charte? c) Quel serait l’effet de l’exclusion des éléments de
preuve sur la réputation du système de justice? ».
Certains critiquent la façon dont ces
facteurs sont appliqués aux infractions liées aux drogues. Don Stuart, par exemple, estime ce qui suit :
« L’impression que
laissent ces récentes décisions de la Cour suprême et de la Cour d’appel de
l’Ontario, notamment dans les affaires de drogues, est que ces tribunaux
semblent généralement déterminés à ne pas exclure d’éléments de preuve
réels obtenus en violation de l’article 8.
Ces tribunaux ont tendance à engrener la rhétorique relative au troisième
facteur de l’affaire Collins
au sujet de la gravité du délit et de l’effet de l’exclusion des éléments
de preuve fiables sur la réputation du système si cela devait entraîner un
non-lieu. S’il s’agit là de la
principale raison de l’admission des éléments de preuve, il faut y voir une
ironie et une incohérence eu égard à la perspective adoptée dans l’affaire
Stillman,
au sens où la gravité du délit et la fiabilité des éléments de preuve ne
sont pas
des facteurs pertinents lorsque les éléments de preuve compromettent l’équité
du procès. Au Canada, les procès
au criminel en vertu de la Charte
n’ont plus seulement trait à la détermination de la culpabilité ou de
l’innocence de l’accusé, et c’est trahir la Charte
que de préconiser un retour à la période antérieure à la Charte, lorsque la conduite de la police n’était
pas un facteur important. La répugnance
particulière que l’on éprouve à l’égard des infractions liées aux
drogues a bien pu influer sur la réflexion associée au deuxième facteur de
l’affaire Collins,
de sorte que la gravité de l’infraction à la Charte
est indûment sous-estimée. Les
tribunaux, qui sont les gardiens de la Charte, doivent se placer au-dessus de la lutte
antidrogues. Cette catégorie
d’infractions n’exige pas de normes spéciales ou moindres du point de vue
de la Charte. » [53]
La décision d’exclure des éléments de preuve peut être importante ;
si les tribunaux hésitent à exclure les éléments de
preuve, ils risquent de faire passer un message ambigu : les policiers
seront reconnus coupables d’avoir enfreint les droits d’une personne selon
la Charte, mais ils n’auront guère
de raisons de respecter les limites imposées par les tribunaux s’il n’y a
pas de conséquences négatives à leur conduite, c’est-à-dire si les éléments
de preuve ne sont pas exclus.
La
provocation policière et les activités illégales
La
provocation policière et les activités illégales de la police relèvent
toutes deux de la doctrine de l’abus de procédure.
Provocation policière
Dans certains cas, la police a recours à
des indicateurs (y compris des indicateurs rémunérés) ou à des agents
d’infiltration pour obtenir de l’information sur les délits.
Dans le cas des infractions consensuelles, comme celles qui ont trait aux
drogues, l’infiltration d’un groupe et la personnification d’un
participant consensuel sont souvent le seul moyen d’obtenir des éléments de
preuve. Il s’agit généralement
d’observer un suspect et, dans certains cas, de lui donner l’occasion de
commettre une infraction. La police
doit s’assurer que l’indicateur ou l’agent d’infiltration ne vont pas
trop loin. Lorsque les actions de
la police sont excessives, l’accusé peut tenter d’invoquer la doctrine de
la provocation policière.
Les tactiques employées par la police pour donner
à quelqu’un l’occasion de commettre une infraction et les activités illégales
de la police ne sont pas limitées au domaine des drogues, mais on peut dire que
ces tactiques sont plus particulièrement employées dans le cadre des enquêtes
sur ce type d’infraction.
La principale décision concernant la
provocation policière est l’affaire R.
c. Mack qui a été jugée par la Cour
suprême du Canada.[54]
Le juge Lamer (selon son titre d’alors) avait rendu le
jugement unanime de la Cour suprême du Canada. Il avait expliqué que la provocation policière n’est pas
un moyen de défense au fond (comme la nécessité ou la contrainte) et il avait
précisé que la logique de ce moyen de défense n’est pas l’absence de
culpabilité de l’accusé (puisque les éléments généraux du délit sont généralement
présents). Il s’agit plutôt de
la nécessité pour la Cour de préserver « l’intégrité de
l’administration de la justice » et d’éviter l’abus de procédure
judiciaire. La provocation policière
relève donc de la doctrine de common law
de l’abus de procédure. Selon le
juge Lamer, il y a provocation policière lorsque la police dépasse les limites
acceptables. C’est le cas dans
les circonstances suivantes :
v
Les
autorités fournissent à une personne l’occasion de commettre une infraction
sans pouvoir raisonnablement soupçonner que cette personne est déjà engagée
dans une activité criminelle, ni se fonder sur une véritable enquête ; ou
v
Quoi qu’elles aient ce doute raisonnable ou qu’elles
agissent au cours d’une véritable enquête, les autorités font plus que
fournir une occasion et incitent à perpétrer une infraction.
Pour prouver la provocation policière, il
suffit à l’accusé de prouver que l’un ou l’autre de ces critères est
rempli.
D’après les directives énoncées par la
Cour suprême du Canada, les policiers sont tenus de soupçonner raisonnablement
que l’accusé est déjà engagé dans des activités criminelles ou doivent
agir dans le cadre d’une véritable enquête.
L’exigence du soupçon raisonnable a pour raison le « danger
que [la police] n’entraîne des gens qui autrement n’auraient été impliqués
dans aucun crime, et [le fait] qu’on ne doit pas avoir recours à la force
policière simplement pour éprouver au hasard la vertu des gens ».[55]
Pour déterminer si la police est allée
au-delà d’une offre, le tribunal évaluera la liste non exhaustive de
facteurs suivants :
v
Le genre de crime qui fait l’objet de l’investigation et
la disponibilité d’autres techniques pour la détection par la police de sa
perpétration ;
v
Si
l’individu moyen, avec ses points forts et ses faiblesses, dans la situation
de l’inculpé, aurait été incité à commettre un crime ;
v
La persistance et le nombre de tentatives faites par la
police avant que l’inculpé n’accepte de commettre une infraction ;
v
Le
genre d’incitations utilisées par la police, y inclus la tromperie, la
fraude, la supercherie ou la récompense ;
v
Le moment où se situe la démarche de la police, en
particulier si la police a déjà fait enquête au sujet de l’infraction ou si
elle intervient alors que l’activité criminelle est en cours ;
v
Si la démarche de la police présuppose l’exploitation
d’émotions humaines, telles la compassion, la sympathie et l’amitié ;
v
Si la police paraît avoir exploité une vulnérabilité
particulière d’une personne, comme un handicap mental ou l’accoutumance à
une substance particulière ;
v
La proportionnalité de l’implication de la police, comparée
à celle de l’inculpé, y compris une évaluation du degré du dommage causé
ou risqué par la police, en comparaison de celui de l’inculpé, et la perpétration
de tout acte illégal par les policiers eux-mêmes ;
v
L’existence de menaces, tacites ou expresses, proférées
envers l’inculpé par la police ou ses agents ;
v
Si la conduite de la police cherche à saper d’autres
valeurs constitutionnelles.[56]
La Cour suprême du Canada a ajouté que
l’allégation de provocation policière est très grave et qu’il convient de
laisser à l’État un large pouvoir pour élaborer des techniques propices à
la lutte contre la criminalité dans la société.
Ce n’est que lorsque la police et ses agents adoptent des comportements
contraires aux valeurs fondamentales de la collectivité que la doctrine de la
provocation policière doit être invoquée.
La Cour a précisé qu’une suspension de l’instance ne doit être décidée
que dans « les cas les plus
manifestes ».[57]
Dans
l’affaire Mack, la Cour
a précisé que, en matière d’infractions liées au trafic de drogues, l’État
doit disposer de beaucoup de latitude. Ce
type de délit « ne se prête pas au mécanisme traditionnel d’enquête policière ».
La Cour a ajouté qu’il s’agit d’un « crime
aux conséquences sociales énormes, qui cause un dommage considérable à la
société en général » et que « ce facteur, à lui seul, est des plus critiques ».[58]
La Cour suprême a déclaré dans
l’affaire Mack que la mise à l’épreuve
aléatoire de la vertu des gens n’est pas une chose permise car elle risque
d’inciter des innocents à commettre une infraction, mais elle fait une
exception à l’exigence du soupçon raisonnable à l’égard de la personne
incriminée dans le cas d’une véritable enquête portant sur un secteur où
l’on a des motifs raisonnables de soupçonner l’existence d’activités
criminelles.
Il est clair que cette exception peut
s’appliquer aux lieux connus de trafic de drogues. L’affaire R. c. Barnes[59]
en est un exemple : le suspect avait été accusé d’un certain nombre
d’infractions, dont le trafic de cannabis.
Un agent infiltré avait approché l’accusé et son ami parce qu’ils
correspondaient généralement au portrait de gens susceptibles de posséder et
de vendre de la drogue. Après une
brève conversation, l’accusé avait accepté de vendre du hachisch à
l’agent infiltré. L’endroit où
avait eu lieu l’arrestation (une allée piétonnière de six pâtés de
maison) était une zone bien connue de trafic de drogues, et la police y avait
effectué ce qu’on appelle des « achats bidons ».
Pour se défendre, l’accusé avait invoqué la provocation policière.
La Cour suprême du Canada a rappelé les
conditions dans lesquelles il y a provocation policière.
Comme, en l’espèce, la police n’avait pas de soupçon raisonnable
concernant la participation de l’accusé à des activités illicites liées
aux drogues, la conduite de la police équivaudrait à de la provocation à
moins que son stratagème fasse partie d’une enquête en bonne et due forme.
Ainsi, bien que la règle de base veuille que la police n’offre la
possibilité de commettre une infraction qu’à un suspect dont elle soupçonne
de façon raisonnable qu’il est déjà engagé dans des activités
criminelles, il y a exception si cette conduite entre dans le cadre d’une enquête
en bonne et due forme portant sur un secteur où l’on a des raisons de soupçonner
l’existence d’activités criminelles. Si
l’endroit est défini avec « suffisamment de précision », la
police peut offrir à n’importe quelle personne associée à ce secteur
l’occasion de commettre l’infraction en question.
Dans ce cas, la conduite de la police ne serait pas considérée comme
une mise à l’épreuve aléatoire de la vertu des gens.
En résumé, les principaux enjeux de la
provocation policière sont les suivants : la police avait-elle des motifs
ou des soupçons valables justifiant sa décision de viser tel suspect ou
agissait-elle dans le cadre d’une enquête en bonne et due forme? De plus, même si le premier critère est rempli, il faut se
demander si la police a fait plus qu’offrir une occasion en déterminant si
les tactiques employées auraient incité une personne ordinaire à commettre
une infraction. Rappelons,
cependant, que, en ce qui a trait à la provocation policière, [Traduction] « les
situations factuelles peuvent varier énormément, et c’est pourquoi, bien que
des principes généraux commencent à émerger, leur application n’est pas
toujours évidente et risque de donner lieu à des désaccords ».[60]
Les tribunaux estiment que chaque cas doit être évalué isolément, ce
qui complique la tâche de fournir des règles plus précises au sujet de la
conduite de la police.
Activités illégales
Comme nous l’avons vu, à mesure que les
contrevenants deviennent plus subtils, la police adopte de nouveaux instruments
d’enquête pour tenter de suivre cette évolution (y compris les cas où des
policiers enfreignent la loi dans l’exercice de leurs fonctions).
C’est le cas, par exemple, dans les enquêtes relatives aux drogues,
lorsque la police se livre à des activités comme les opérations « d’achat
bidon » et les opérations de vente surveillée par l’intermédiaire
d’agents d’infiltration. Le
recours à des activités policières illégales pour lutter contre le crime
soulève la question de savoir si ce genre de conduite donne lieu à un abus de
procédure tel qu’un sursis de l’instance sera accordé.
La Cour suprême du Canada a déclaré que les activités policières illégales
ne représentent pas nécessairement un abus de procédure.
La légalité des actions de la police n’est qu’un des facteurs à
envisager, « quoiqu’[il soit] important ».
La question des activités policières illégales est importante, mais
elle a moins d’importance dans le cas de l’application de la loi en matière
de drogues. La raison en est que la
loi en matière de drogues prévoit l’immunité des policiers pour des activités
comme les opérations « d’achat bidon » et les opérations de
vente surveillée par un agent d’infiltration.[61]
La principale cause relative aux activités
illégales de la police est l’affaire R. c. Campbell.[62]
La police avait procédé en l’espèce à une vente surveillée par
l’intermédiaire d’agents infiltrés se faisant passer pour des
distributeurs de grande envergure. Les
accusés avaient fait valoir que la conduite de la police était illégale
puisqu’elle s’était engagée elle-même dans le trafic de drogues (la LRDS
et l’exemption qu’elle prévoit n’avaient pas encore été adoptées).
Ils avaient ajouté que cela constituait un abus de procédure.
Selon la
Cour suprême du Canada, la police n’était pas exempte de responsabilité pénale
relativement aux actes commis dans le cadre d’une enquête, à moins que la
loi l’y autorise. La Cour a ajouté
que la question devait être confiée au Parlement : « S’il y a lieu de conférer à la police une certaine forme d’immunité
d’intérêt public pour l’aider dans la "guerre contre la drogue",
il revient au Parlement de circonscrire la nature et la portée de l’immunité ainsi que
les faits qui y donnent ouverture ».[63]
Lorsque des activités illégales présumées de la police sont autorisées
par le système législatif, il n’y a pas abus de procédure.
La Cour suprême du Canada
a ajouté cependant que les activités illégales de la police ne constituent
pas automatiquement un abus de procédure.
La légalité des actions de la police n’est que l’un des facteurs à
envisager, « quoiqu’[il soit] important ».
Cette décision pourrait avoir un effet important sur le mode d’exécution général de la loi au Canada, mais ses répercussions sont moins importantes dans le cas de l’exécution de la loi en matière de drogues. En effet, l’on a modifié la loi pour permettre aux policiers de s’engager dans des activités similaires à celles de l’affaire Campbell.
La LRDS
proscrit diverses activités telles que la possession, le trafic et la
fabrication de drogues, tout en prévoyant certaines exemptions réglementaires,
par exemple l’importation par des revendeurs autorisés et la vente par des
pharmaciens. La Loi prévoit également la possibilité de passer des règlements
ayant trait à l’exécution, par exemple en ce qui concerne l’exemption des
policiers de l’application de la Loi
dans certaines circonstances précisées dans la réglementation.
Elle prévoit également la possibilité de passer des règlements
« relativement aux enquêtes et autres activités policières menées aux
termes de la présente loi par les membres d’un corps policier et toutes
autres personnes agissant sous leur autorité et leur supervision ».
La réglementation prévoit donc un cadre juridique pour les techniques
spécialisées d’exécution de la loi (notamment en ce qui a trait aux opérations
« d’achat bidon » et aux opérations de vente surveillée par
l’intermédiaire d’agents d’infiltration) et elle énonce les paramètres
applicables à ce genre d’activités. La
police s’appuie sur cette réglementation pour se protéger contre les
poursuites.
L’article 3 du Règlement sur les stupéfiants autorise les policiers à posséder
des narcotiques lorsque « cette possession a trait à leurs fonctions et à
leurs objectifs ». De plus, le Règlement
sur l’exécution policière de la LRDS exempte les policiers des
infractions de trafic, d’importation, d’exportation et de production de
drogues et énonce les conditions d’admissibilité à cette exemption.
Des règles différentes s’appliquent selon la source des drogues.
Mais l’intéressé doit en tout temps être un membre actif de la
police et il doit se trouver dans l’exercice de ses fonctions dans le cadre de
l’enquête en question.
La LRDS accorde donc une immunité spéciale aux agents de police. La législation pénale canadienne a été modifiée récemment afin que les policiers jouissent d’une exemption générale en matière de responsabilité criminelle. Elle accorde aux personnes chargées de l’application de la loi et celles qui agissent sous leur direction et leur autorité (« agents de police ») une immunité limitée en matière pénale pour certains actes, commis durant une enquête en bonne et due forme, qui constitueraient par ailleurs une infraction, si certaines conditions sont remplies.[64]
Conclusion
Le
Parlement et les tribunaux comprennent manifestement que, à mesure que les
criminels deviennent plus subtils, la police doit disposer de moyens plus
perfectionnés pour lutter contre eux. En
outre, il est clair que les tribunaux considèrent le commerce des drogues
illicites comme un problème grave. Ils
font souvent état, dans leurs décisions, du caractère sinistre de ce commerce
et de ses effets sur la société. Ils
peuvent être influencés par ces considérations lorsqu’ils doivent déterminer
les limites de la conduite de la police. Ils
sont conscients de la difficulté du travail des policiers et sont souvent
disposés à leur accorder une « latitude considérable ».
En voici un exemple dans une déclaration de la Cour suprême du Canada
concernant la vente de drogues : « C’est
un crime qui a des conséquences dévastatrices pour les individus et la société. De plus, il s’accompagne souvent et tragiquement de
l’usage d’armes à feu. Ce
crime est un fléau social et aucun effort ne doit être ménagé pour
l’enrayer ».[65]
Et voici ce qu’elle a déclaré dans une autre cause : « […]
notre Cour doit également tenir compte du
droit de la société en matière d’application de la loi, notamment dans le
domaine du commerce illégal de la drogue.
Ce fléau endémique dans notre société permet à des criminels
hautement perfectionnés de tirer avantage de la souffrance qu’ils infligent
à d’autres ».[66]
Cependant, la police n’a pas « carte
blanche » pour faire ce qu’elle veut en vue de régler une affaire
criminelle. On doit continuer
d’examiner attentivement les activités de la police afin de s’assurer que
sa conduite ne choque pas la collectivité et ne compromet en rien l’équité
du procès des accusés.
Statistiques
Les données
qui suivent sur les statistiques criminelles en rapport avec la mise en
application des lois relatives aux drogues illicites doivent être interprétées
avec prudence. Il est généralement
admis que les statistiques sur la criminalité compilées par la police reflètent
davantage les activités policières que l’évolution réelle de la société,
tout particulièrement dans le cas des infractions de type consensuel.
De surcroît, comme en d’autres domaines en matière de drogues et plus
largement en matière de justice pénale, les statistiques canadiennes sont
relativement déficientes – ainsi, au delà de quelques données de base, il
est à peu près impossible de connaître les caractéristiques des personnes
qui se retrouvent dans le système de justice criminelle.
Incidents
relatés [67]
Ces
statistiques portent sur les incidents qui sont venus à l’attention de la
police et qui ont été saisis et transmis au Centre canadien de la statistique
juridique en vertu d’un ensemble de catégories criminelles et de définitions
approuvées à l’échelon national. Le
nombre réel d’infractions relatives aux drogues serait bien plus élevé,
puisqu’on peut supposer que la plupart des infractions de ce genre échappent
à l’attention de la police. Comme
c’est le cas des autres infractions de type consensuel, il est impossible de déterminer
avec précision le volume d’activités illégales.
De plus, la comptabilité annuelle ne tient compte que des infractions
les plus graves commises lors de chaque incident criminel, ce qui mène par conséquent
à une sous-estimation du nombre total d’incidents criminels en rapport avec
la drogue, en particulier des infractions impliquant des pénalités moins
graves. Il ne faut pas non plus
confondre le nombre d’incidents relatés avec le nombre d’accusations portées
par la police. Puisque la police
jouit d’une grande discrétion lorsque vient le temps de porter ou non une
accusation, il est clair que le nombre d’accusations sera largement inférieur
au nombre total d’incidents rapportés.
Le
graphique suivant rapporte les données sur le nombre d’incidents signalés
par la police en fonction des crimes les plus graves. Il démontre que de 1983 à 1995, le nombre d’infractions
relatives aux drogues était relativement stable, oscillant autour de 60 000
par année. Cependant, de 1995 à
2000, il y a eu une augmentation d’environ 50 %, le nombre d’incidents
rapportés atteignant presque 88 000.
En 2001, ce nombre a atteint 91 920,
soit une augmentation de 3,3 % par rapport à l’année précédente.
L’augmentation constatée au cours des dernières années
peut être largement imputée aux infractions relatives au cannabis – en 2001,
on a constaté une augmentation de 5,5 % par rapport à l’année précédente.
Ces infractions constituent la majorité de toutes les infractions
relatives aux drogues au Canada. En
2001, on a relaté 71 624 infractions concernant le cannabis, soit presque 77 % de tous les incidents en rapport avec les
drogues. De ce nombre, 70 %
concernaient la possession, 16 % le trafic, 13 % la culture et 1 %
l’importation.[68]
Autrement dit, environ 54 % de tous les incidents rapportés en rapport avec des
infractions touchant la drogue concernaient la possession de cannabis.
Ramenés sur une base du nombre d’infractions par 100 000 de
population, on voit mieux l’évolution et le poids du cannabis :
Infractions sélectionnées
relatives aux drogues, taux par 100 000, Canada 1994-2001
|
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
Cannabis dont
possession |
138 97 |
148 103 |
157 110 |
160 108 |
168 115 |
197 130 |
215 147 |
227,2 |
Cocaïne |
42 |
38 |
37 |
38 |
40 |
39 |
42 |
39,4 |
Total
toutes drogues |
207 |
208 |
217 |
222 |
235 |
263 |
286 |
295,7 |
De 1991
à 2001, le taux d’infractions relatives au cannabis par 100 000
habitants a augmenté de 91,5 %, tandis qu’il diminuait de 31,5 %
pour les infractions relatives à la cocaïne, de 36,1 % pour les
infractions relatives à l’héroïne, et augmentait de 15,0 % dans le cas
des autres drogues. Autrement dit, proportionnellement à la population, le
nombre d’infractions relatives au cannabis a presque doublé au cours de la
dernière décennie.
Au cours
des dernières années, la culture du cannabis, tout particulièrement en
Colombie-Britannique, a soulevé de nombreuses inquiétudes.
Ce type d’infraction a également connu une augmentation importante au
cours de la dernière décennie, passant de 7 incidents par 100 000
habitants en 1990 à 29 en 2001.[69]
Selon une étude récente, le nombre de cas de culture illicite de
cannabis en Colombie-Britannique augmente en moyenne de 36 % par année, et
la taille des cultures augmente en moyenne de 40 % par année.
Selon cette étude, la grande majorité des cas portés à l’attention
de la police en Colombie-Britannique le sont à la suite de plaintes du public,
ce qui signifie que l’augmentation du nombre de cas ne résulte pas d’une exécution
proactive accrue des lois par la police.[70]
Les deux
graphiques suivants portent sur la répartition des incidents selon les
provinces de 1988 à 1997. Il
n’est pas surprenant de constater que les provinces les plus populeuses
viennent au premier rang, soit l’Ontario suivi de la Colombie-Britannique, du
Québec et de l’Alberta.
Les taux
calculés sur la base d’une population de 100 000 habitants révèlent
mieux les tendances. La
Colombie-Britannique a toujours présenté le taux provincial le plus élevé au
pays pour les crimes attribuables à la drogue.[71]
Ainsi, en 2000 le taux était de 563,5 incidents par 100 000,
soit presque le double de la moyenne nationale à 295,7.
Les taux dans les autres provinces sont les suivants : Terre-Neuve
et Labrador (173,1), Île du Prince-Édouard (192), Nouvelle-Écosse (218,3),
Nouveau-Brunswick (346,9), Quebec (262,1), Ontario (256,1), Manitoba (215,9),
Saskatchewan (278,4), Alberta (235,3), Yukon (478,5), Territoires du Nord-Ouest
(597,2) et Nunavut (806,1). On
constate que le taux de délits reliés aux drogues varie énormément entre les
provinces et territoires.
Accusations
Rappelons
que le nombre d’incidents rapportés n’équivaut pas au nombre
d’accusations portées par la police. Dans
certains cas, la police informera Statistiques Canada d’un incident lié à la
drogue, mais on décidera de ne pas accuser le contrevenant.
Cette discrétion absolue dont jouit la police peut susciter de sérieuses
inquiétudes en matière d’application de la loi ; il en sera question
plus loin dans ce chapitre.
Comme le
démontre le graphique suivant, les données disponibles semblent indiquer que
le nombre d’accusations de trafic et de possession pour infractions en matière
de drogues a diminué grandement depuis 1997.
Toutefois, nous ne disposions d’aucune donnée pour trois provinces (le
Nouveau-Brunswick, le Manitoba et la Colombie-Britannique), ainsi qu’un
territoire (Nunavut). De plus, les
données de certains tribunaux québécois n’y sont pas incluses.[72]
Puisque
qu’on ne tient pas compte de trois provinces – en particulier de la
Colombie-Britannique – le nombre réel d’inculpations attribuables à la
drogue au Canada est sûrement plus élevé, d’autant plus que la
Colombie-Britannique a constamment présenté le taux de criminalité le plus élevé
en matière de drogues.
Cependant,
les statistiques de 1997 démontrent que lorsqu’il s’agit d’accuser les
auteurs d’infractions liées aux drogues, la Colombie-Britannique est plus
indulgente que les autres provinces.
« Parmi
les provinces et les territoires, les services de police de la
Colombie-Britannique ont présenté le plus faible taux d’accusation (47 %)
pour des infractions liées aux drogues. Seulement
35 % des incidents en rapport avec le cannabis et 36 % des incidents
concernant « d’autres drogues » ont mené à des accusations,
comparativement à 79 % et 81 % dans toutes les autres provinces
combinées. » [73]
Le
surintendant Ward Clapham de la GRC à Richmond nous a déclaré que pour les délits
de possession de moins de 30 grammes de marijuana, on n’a accusé que 40 personnes
sur 700 cas rapportés en 2000, alors qu’à peine 30 personnes sur 605
ont été accusées en 2001. Soulignons
à nouveau la disparité de l’application de la loi entre les diverses régions
du pays.
En matière
d’infractions liées au cannabis en 2001, les hommes sont plus susceptibles de
faire l’objet d’une accusation. Chez
les jeunes (12 à 17 ans) et les adultes, 88 % des personnes inculpées
pour des infractions liées au cannabis sont des hommes.[74]
Les jeunes comptent pour 18 % des accusations portées en rapport
avec le cannabis.[75]
Alors
que le graphique ci-dessus semble démontrer qu’on dénombre moins de 20 000
accusations attribuables aux drogues en 1999, le rapport 2001 de la vérificatrice
générale indique qu’au cours de cette année, on a accusé tout près de 50 000
personnes pour des infractions liées à la drogue en vertu de la LRDS (dans les
cas où les infractions les plus graves étaient liées à la drogue).
C’est là l’une des conséquences de l’enregistrement des
statistiques en fonction des infractions les plus graves puisque cette méthode
omet de nombreuses infractions, en particulier celles qui s’accompagnent de pénalités
moins graves. Dans la hiérarchie des 152 infractions criminelles, les
délits relatifs au cannabis sont en effet plutôt mineurs :
l’importation ou l’exportation est au 44e rang, le trafic de
plus de 3 000 grammes au 46e, la production au 52e,
la trafic de moins de 3 000 grammes au 120e et la possession de
30 grammes ou moins au 121e.
Sur les
50 000 accusations portées en 1999 en matière de drogues, le cannabis était
impliqué dans 70 % des cas. Dans
43 % des cas liés aux drogues (21 381), l’accusation concernait la
possession de cannabis. Globalement,
54 % des infractions liées aux drogues touchaient la possession.
Puisque le nombre d’incidents relatés a continué d’augmenter, on
peut supposer qu’un plus grand nombre de personnes sont accusées
d’infractions liées à la drogue, en particulier au cannabis.
Avec
plus de 34 000 accusations par année pour des infractions liées au
cannabis et plus de 21 000 accusations par année pour possession de
cannabis, peut-on déduire que la police fait effectivement la chasse aux
infractions pour possession de cette substance ?
Après avoir examiné la preuve, nous ne croyons pas qu’il en soit
ainsi. Néanmoins, plus de 21 000
nouvelles personnes, dont l’infraction la plus grave était la possession de
cannabis, se retrouvent chaque dans les filets du système de justice pénale.
Répétons que ces statistiques reposent sur l’infraction la plus grave
enregistrée lors d’un incident donné.
On nous
a offert plusieurs raisons pour justifier le nombre élevé d’infractions liées
à la possession. Les personnes
chargées de mettre en application la LRDS nous ont répété à plusieurs
reprises qu’elles ne cherchent pas activement ces infractions mais les
trouvent dans le cours normal de leurs opérations.
Malgré que nous ne doutions pas de la véracité de ces déclarations,
on peut dans certains cas – comme on le verra plus loin – remettre en
question les tactiques policières. On
nous a aussi dit que l’infraction de trafic, lorsqu’elle s’étend sur une
certaine période, est considérée comme une seule infraction selon la règle
de l’infraction continue. Les
infractions pour possession, par contre, ne fonctionnent pas de cette façon.
Inquiétudes
Alors
qu’il peut exister des raisons valides à l’incidence élevée des
accusations pour possession, plusieurs se sont dits très inquiets du pouvoir
discrétionnaire dont disposent les corps policiers dans les cas d’accusations
de possession liées à la drogue – surtout dans les cas de possession de
cannabis. Comme nous l’avons
mentionné précédemment, le nombre d’accidents rapportés et le taux
d’accusation varient grandement d’une province à l’autre.
Cette application non uniforme de la loi sur les drogues dans les différentes
provinces et au sein d’une même province nous inquiète.
Ainsi,
M. Kash Heed du service de police de Vancouver, rapportait au Comité que la
possession à faible échelle de quelque drogue que ce soit à Vancouver ne fait
pratiquement l’objet d’aucune accusation de la part de la police à moins de
circonstances aggravantes. Le
service de police préfère concentrer ses efforts sur ceux qui en profitent,
soit les trafiquants et les producteurs. Il
ajoutait, ce que les données tendent à confirmer, que le nombre de poursuites
pour possession de cannabis en Colombie-Britannique est relativement peu élevé
comparativement aux autres provinces, et que des différences importantes
existent à l’intérieur de la Colombie-Britannique – les centres situés à
l’extérieur de Vancouver présentant des taux plus élevés de poursuites
pour possession de cannabis. Il
concluait en disant que la prohibition totale avait « entraîné une
augmentation des coûts d’application de la loi, l’aliénation de certains
groupes de personnes, une mise en application discriminatoire, sans pour autant
dissuader la vente et moins encore l’utilisation ».
Nous
avons estimé que près de 2,5 millions de personnes au Canada ont consommé
du cannabis au cours de la dernière année.
En 2000, 21 381 personnes ont été accusées de possession de
cannabis. Autrement dit, à peine
0,8 % des usagers ont été accusés de possession.
Il est également important de se rappeler que parmi les personnes ayant
consommé du cannabis au cours de la dernière année, plusieurs l’auraient
fait plus d’une fois. Ainsi, le
risque réel de se voir accusé de possession de cannabis est selon toute
probabilité inférieur à 1 %. Cela
soulève certainement des inquiétudes sur le plan de l’équité et remet sérieusement
en question l’efficacité de la loi et son effet dissuasif.
Quelles
sont les conséquences éventuelles d’une application non uniforme de la loi
et d’un pouvoir discrétionnaire absolu dans la décision de porter ou non une
accusation ? Marie-Andrée
Bertrand, faisant référence à une étude réalisée par Nicolas Carrier[76]
a déclaré ce qui suit :
«
Dans une étude qualitative récente des membres du service de police de la
Communauté urbaine de Montréal, on souligne l’ambivalence et la confusion régnant
chez les agents de police de première ligne et leurs réactions variées face
au « problème des drogues ». On
perçoit l’ampleur du problème de façon passablement différente, tout dépendant
des agents et des voisinages qu’ils patrouillent.
Dans l’esprit de certains, tout particulièrement des jeunes
consommateurs de drogues et des « échangeurs », malgré que
« la loi soit la loi » et qu’on doit sans aucun doute la mettre en
application, la possession et la consommation de drogues n’inquiètent pas
vraiment la police. Il est tout
simplement impossible d’instaurer la prohibition.
Il est impossible de déterminer les cas de possession en l’absence de
pouvoirs permettant la fouille et la saisie, sauf « en masse » ou
lorsqu’on arrête des personnes soupçonnées d’autres « crimes ».
Lorsqu’on découvre les cas de possession et les transactions de
drogues sur la place publique, soit par accident ou lorsqu’on enquête sur
d’autres infractions, les agents de police réagissent de façons variées,
tout dépendant de leurs aspirations professionnelles.
Les agents en quête de promotion et d’une spécialisation (qui
souhaitent accéder aux escouades antidrogues ou des crimes sans victime)
refilent les renseignements aux divisions concernées.
Les patrouilleurs qui souhaitent le demeurer ferment les yeux ou
questionnent les suspects afin d’obtenir des renseignements sur leurs opérations
de trafic en échange de promesses d’immunité, ou ils confient ces personnes
qui abusent des substances aux services de traitement, appellent les parents
d’un mineur, etc. » [77]
L’application
non uniforme de la loi constitue une de nos principales inquiétudes, et ce,
pour diverses raisons. Premièrement,
cela entraîne une application discriminatoire, puisque certaines personnes sont
plus susceptibles d’être accusées que d’autres en raison de leurs caractéristiques
personnelles. Alors que les
statistiques nationales actuelles ne permettent pas une telle analyse, on
dispose de données à l’effet que la loi fait l’objet d’une exécution
discriminatoire.
L’étude
de Carrier mentionnée ci-dessus, basée sur des entrevues menées auprès de 21 patrouilleurs
de la région montréalaise, aborde les difficultés de détecter les cas de
possession en raison de l’absence de « victime », du caractère
discret des infractions et des limites constitutionnelles au niveau des fouilles
sans mandat. Elle montre que les décisions
d’un agent de police dépendent de nombreux facteurs, notamment la manière
dont l’agent perçoit le problème des drogues ainsi que ses aspirations
professionnelles, celui qui souhaite obtenir une promotion agissant de façon
davantage proactive aux infractions liées à la drogue que ceux qui se
contentent d’un poste de patrouilleur et qui adoptent, par conséquent, un
caractère plus réactif.
Comment
procède-t-on pour détecter les infractions de possession ?
Les agents ont indiqué qu’on détecte la plupart des infractions
lorsqu’on arrête une personne pour une autre activité criminelle, puisque
cette arrestation permet à un agent de procéder à une fouille sur la
personne. En de rares occasions,
les agents ont détecté l’infraction alors que la personne faisait
ouvertement fi de la loi.
Précisons
cependant que les agents ont également ajouté que certaines personnes
attiraient leur attention et que la présence de certains « signes »
les portaient à croire que ces personnes étaient en possession de substances
illégales. Lorsque les personnes
sont dans une automobile on a mentionné les facteurs suivants :
l’apparence des passagers dans le véhicule ; le modèle et la valeur du
véhicule ; les habitudes de conduite de la personne ; et une vérification
informatique de la plaque d’immatriculation, révélant si la personne était
fichée ou non. Les agents peuvent
aussi arrêter des personnes pour vérification de documents (p. ex., permis de
conduire) ce qui peut mener à détecter la présence de stupéfiants s’il y a
fouille. En ce qui a trait aux piétons,
les policiers faisaient état des facteurs suivants : la personne est un
usager connu ; l’apparence physique de la personne ; ses activités ;
ses relations avec d’autres « suspects » ; et sa relation
avec des lieux qu’on soupçonne de servir au trafic.
Certains agents ont précisé qu’un interrogatoire de ces suspects peut
mener à une arrestation – par exemple, en réalisant qu’un mandat
d’arrestation n’a pas été exécuté – et à une fouille.
Les agents ont également précisé qu’ils ont occasionnellement
appliqué les règlements municipaux et autres lois provinciales dans le but de
connaître le nom d’une personne pour ensuite procéder à une enquête sur
cette dernière. Si une personne
refuse de dévoiler son nom, on peut l’arrêter et la fouiller.
Les agents ont de plus indiqué avoir fait appel à certaines techniques
pour « aller à la pêche ». Alors
que la preuve n’était pas admissible en cour, elle permettait dans certains
cas à l’agent d’obtenir des renseignements de cette personne en échange de
la promesse « de ne pas porter d’accusations » ou bien, elle
permettait à l’agent de saisir la substance illégale.
Malgré
la portée limitée de cette étude, elle indique à quel point la discrétion
dans la façon dont les forces policières exécutent les lois antidrogues peut
mener à la discrimination selon des facteurs comme l’apparence d’une
personne.
Une
autre inquiétude que soulève pour nous l’application inégale de la loi
tient au risque d’aliéner certains groupes de la société. Les personnes ainsi touchées peuvent cesser de respecter la
police et le système de justice criminelle en général.
Il est probable que des solutions juridiques contradictoires suscitent
une atmosphère jetant le discrédit sur l’administration de la justice.
Comme parlementaires, nous considérons cela inacceptable.
Enfin,
soulignons la question fondamentale d’équité et de justice.
Personne ne semble être en mesure d’expliquer la raison pour laquelle
certains se voient accusés et d’autres non.
Il n’est pas surprenant que cette loi fasse l’objet d’une critique
si véhémente.
La
Loi sur les douanes - amendes
Lorsqu’il
est question de l’application des lois antidrogues, on pense généralement
aux accusations déposées et aux saisies effectuées par la police en vertu de
la LRDS. Cependant, dans certaines
circonstances, ce sont d’autres lois qui s’appliquent.
Par exemple, la Loi sur les douanes permet la saisie de marchandises prohibées et
de véhicules utilisés en violation de cette loi. Dans ces cas, une pénalité de nature civile peut être
imposée à l’importateur dans la mesure où, pour reprendre possession de son
véhicule, la personne doit verser une amende.
Le montant de la pénalité est fonction de la quantité de drogues comme
le montre le tableau suivant.
Quantité |
Marijuana |
Haschich |
Huile |
Drogues
contrôlées |
Hallucinogènes |
CocaïneOpiacés |
|||||
220 $ |
8 à 15 grammes |
2 à 4 grammes |
Moins d’un gramme |
De 10 à 20 comprimés |
Entre 1 et 4 doses |
1 gramme ou moins de
400 $ |
|||||
440 $ |
Entre 15 et 30 grammes |
Entre 4 et 8 grammes |
Entre 1 et 2 grammes |
De 20 à 40 comprimés |
Entre 4 et 8 doses |
|
|||||
550 $ |
Entre 30 et 60 grammes |
Entre 8 et 16 grammes |
Entre 2 et 4 grammes |
De 40 à 60 comprimés |
Entre 8 et 12 doses |
|
|||||
660 $ |
Entre 60 et 100 grammes |
Entre 16 et 24 grammes |
Entre 4 et 6 grammes |
De 60 à 80 comprimés |
Entre 12 et 16 doses |
|
|||||
770 $ |
Entre 100 et 150 grammes |
Entre 24 et 32 grammes |
Entre 6 et 8 grammes |
De 80 à 110 comprimés |
Entre 16 et 20 doses |
|
|||||
880 $ |
Entre 150 et 200 grammes |
Entre 32 et 40 grammes |
Entre 8 et 10 grammes |
De 100 à 140 comprimés |
Entre 20 et 24 doses |
|
|||||
990 $ |
Entre 200 et 250 grammes |
Entre 40 et 46 grammes |
Entre 10 et 12 grammes |
De 140 à 160 comprimés |
Entre 24 et 28 doses |
|
|||||
1100 $ |
Entre 250 et 300 grammes |
Entre 46 et 56 grammes |
Entre 12 et 14 grammes |
Dde 160 à 180 comprimés |
Entre 28 et 32 doses |
|
|||||
Pour les quantités excédant
les quantités prévues ci-dessus : |
|||||||||||
|
Pus de 300 grammes: 4 $ pour chaque gramme
additionnel |
Plus de 56 grammes : 20 $ pour chaque gramme
additionnel |
Plus de 14 grammes :
70 $ pour chaque gramme additionnel
|
Plus de 180 comprimés : 8 $ pour chaque
comprimé additionnel |
Plus de 32 doses : 40 $ pour chaque dose
additionnelle |
Plus de 1 gramme : 400 $: $pour chaque
gramme |
|||||
L’ADRC
procédera aussi à l’arrestation de l’importateur, en vertu de la Loi
sur les douanes, pour importation illégale de substances qui sont
interdites, restreintes ou contrôlées en vertu de la Loi ou de toute autre loi
du parlement, notamment la LRDS. Une
fois la saisie et l’arrestation faites, l’agent des douanes informe la
police locale qui décidera si des accusations criminelles seront portées ou
non. Dans certains cas, l’ADRC a
une entente de poursuite avec la force locale de police.
La Couronne décidera ensuite s’il y a lieu d’intenter des
poursuites, selon la nature du cas.
Selon
l’article 6 de la LRDS, l’importation de drogues, sauf lorsque les règlements
l’autorisent, est une infraction quelle que soit la quantité.
Dans ces cas, il n’y a donc pas de seuil de quantité sous lequel une
sanction moins élevée ou une amende peut être imposée.
Toutefois, si la quantité importée est considérée pour usage
personnel et non pour la revente, la Couronne peut choisir de poursuivre pour
possession plutôt que pour importation.
L’ADRC
à Windsor est liée à la GRC de Windsor par une entente qui définit les
directives régissant la décision de poursuite au criminel dans les cas de
saisies de drogues réalisées aux frontières.
Les quantités indiquées ne sont que des guides, mais de façon générale
la GRC n’accusera pas une personne d’importation pour une quantité inférieure
à 50 grammes de marijuana, 20 grammes de hachisch ou 15 grammes
d’huile de hachisch. Dans ces
cas, on procède en vertu de la Loi sur
les douanes. De 1996 à 2001,
presque 99 % des 4 055 saisies de marijuana portaient sur des quantités
inférieures à 50 grammes.
Saisies
Le
tableau suivant porte sur les saisies effectuées par la GRC, l’ADRC, la Sûreté
du Québec, la police provinciale de l’Ontario et les forces de police
municipales à Montréal, Laval et Toronto sur la période 1993-2001.
Drogues
saisies au Canada - 1993 – 2001
|
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
Héroïne |
153 |
85 |
128 |
83 |
95 |
105 |
88 |
168 |
74 |
Cocaïne |
2,731 |
7,915 |
1,544 |
3,110 |
2,090 |
2,604 |
1,116 |
1,851 |
1,783 |
Ecstasy (unités) |
|
|
|
1,221 |
10,222 |
68,496 |
400,000 |
2,069,709 |
1,871,627 |
Marijuana (kg) |
7,314 |
6,472 |
5,500 |
17,234 |
50,624 |
29,598 |
23,829 |
21,703 |
28,746 |
Marijuana |
238,601 |
288,578 |
295,999 |
675,863 |
689,239 |
1,025,808 |
954,781 |
1,102,198 |
1,367,321 |
Haschich (kg) |
56,721 |
36,614 |
21,504 |
25,155 |
6,118 |
15,924 |
6,477 |
21,973 |
6,677 |
Haschich liquide |
669 |
659 |
663 |
805 |
824 |
852 |
434 |
1,240 |
397 |
(Le poids est exprimé en
kilos; en doses pour l’ecstasy.)
Selon
Steve Pudney, professeur au Centre de recherche économique de la Leicester
University, « les données sur la saisie constituent l’information la plus
directe sur la disponibilité des drogues, et ce, même si les drogues saisies
ne contribuent pas aux quantités disponibles ».[78]
Toutefois, les tendances au niveau des saisies de drogues réalisées par
la GRC, démontrent qu’on doit utiliser ces données avec prudence, le nombre
d’interceptions ou les quantités saisies au cours d’une année n’étant
pas nécessairement un indicateur fiable de la disponibilité et du marché des
drogues. Ces données indiquent
plutôt l’impact des mesures de répression actives et passives.
[Traduction] « Les saisies seront
probablement passives en ce sens qu’on assiste à un nombre plus ou moins
constant de saisies en raison des opérations de surveillance et d’enquête
habituelles. Plus la quantité de
drogues arrivant sur le marché est importante, plus le nombre de saisies sera
élevé du point de vue strictement statistique.
Les saisies passives indiquent ainsi de façon positive la taille du
marché. Cependant, les opérations
policières en matière de drogues ont également un effet actif.
Les enquêtes réalisées à partir de renseignements criminels mènent
souvent à la fermeture des sources d’approvisionnement et à l’élimination
d’importantes quantités de ces produits du marché domestique.
Les saisies de ce type ont un effet négatif sur la taille du marché en
ce sens qu’elles limitent l’approvisionnement plutôt que d’en indiquer la
croissance. Lorsque ces deux
facteurs sont en présence, il est difficile de tirer des conclusions évidentes
sur l’approvisionnement à partir des renseignements touchant les saisies. »
[79]
Si, dans
certains cas et pour certains pays, les saisies passives peuvent effectivement
constituer un indicateur positif de la taille du marché, elles peuvent donner
une lecture fausse du marché des drogues au Canada, nos vastes frontières et côtes
maritimes ne facilitant pas la tâche des agents de police et de douanes
d’arriver à des niveaux constants d’interceptions et de saisies.
Les importateurs découvrent sans cesse de nouveaux moyens pour
contourner les autorités en faisant appel à de nouveaux moyens d’entrée,
ainsi qu’à des cargaisons plus importantes mais moins fréquentes, ou vice
versa.
Malgré
ces limites des données sur les saisies, les tendances indiquent que les
saisies de cannabis, en kilogrammes et sous forme de plantes, ont connu une
augmentation passablement importante au cours des dernières années, surtout
lorsqu’on les compare aux saisies de cocaïne et d’héroïne.
Ces données
nous démontrent aussi que la police a accordé une importance accrue aux
infractions liées à la culture de la marijuana. En 1993, la police a saisi moins de 250 000 plants de
marijuana, alors qu’elle en a saisi plus de 1 350 000 en 2001.
Cela pourrait nous porter à croire qu’on a intensifié la culture au
Canada et que la police priorise maintenant les infractions liées à la
culture.
Conclusions
Conclusions
du chapitre 14 |
|
|
Ø Nous estimons que les coûts de la lutte antidrogues au Canada varient entre 700 millions $ et 1 milliard $. Ø La réduction des activités d’exécution de la loi résultant d’une modification des lois antidrogues touchant le cannabis pourrait entraîner des économies substantielles ou faire en sorte que les forces policières réaffectent des sommes considérables à d’autres priorités. Ø En raison de la nature consensuelle des infractions liées aux drogues, on a accordé à la police des pouvoirs d’exécution substantiels et adopté des techniques d’enquête très intrusives. Cependant, ces pouvoirs ne sont pas illimités et ils font l’objet d’un examen de la part des tribunaux canadiens. Ø Plus de 90 000 incidents liés à la drogue sont rapportés chaque année par la police. Plus des trois quarts de ces incidents touchent le cannabis et plus de 50 % de tous les incidents liés à la drogue concernent la possession de cannabis. Ø De 1991 à 2001, la variation du taux en pourcentage par 100 000 de population pour ce qui est des infractions liées au cannabis est de +91,5 ; ainsi, le taux d’infractions liées au cannabis a presque doublé au cours des dix dernières années. Ø Les incidents rapportés en matière de culture du cannabis ont connu une augmentation dramatique au cours des dix dernières années. Ø Les taux d’incidents rapportés varient d’une province à l’autre. Ø Le cannabis a fait l’objet de 70 % des +/- 50 000 accusations portées en 1999. Dans 43 % des cas (soit 21 381), l’accusation était liée à la possession de cannabis. Ø Les taux d’accusations pour infractions liées à la drogue varient considérablement d’une province à l’autre. Ø L’application inégale de la loi suscite des inquiétudes en ce qu’elle peut mener à des formes de discrimination, à l’aliénation de certains groupes de la société, et à la création d’une atmosphère d’irrespect envers la loi ; de façon générale, elle soulève la question de l’équité et la justice. Ø Les statistiques sur les saisies sembleraient confirmer une intensification de la culture du cannabis au Canada et un déplacement des priorités de la police en ce qui a trait à cette infraction. |
[1]
R..G. Lesser, surintendant principal, GRC, Délibérations du Comité
spécial sur les drogues illicites, Sénat du Canada, première session de
la trente-septième législature, 2001, numéro 8, page 11.
[2] Nous discutons plus en profondeur du cas du programme DARE au chapitre 17.
[3]
Présentation au Comité le 5 juin 2002.
[4]
Rapport de la vérificatrice générale du Canada à la
Chambre des communes, 2001, chapitre 11, « Les drogues
illicites : le rôle du gouvernement fédéral, » page 11.
[5]
Cette section repose dans une grande mesure sur le témoignage de Mark
Connolly, directeur général, Direction du renseignement et de la répression
de la contrebande, Direction générale des douanes, Agence des douanes et
du revenu du Canada, Délibérations du Comité spécial sur les drogues
illicites, Sénat du Canada, première session de la trente-septième législature,
2001, numéro 8, pages 33-39.
[6]
Cette section repose dans une certaine mesure sur le document intitulé The
Costs of Drug Abuse and Drug Policy, préparé pour le Comité spécial
du Sénat sur les drogues illicites par Antony G. Jackson, Division de l’économie,
Direction de la recherche parlementaire, Bibliothèque du Parlement, 22 avril 2002.
Nous y revenons aussi au chapitre 21.
[7]
Single, E., et coll., (1996) The
Costs of Substance Abuse in Canada: A Cost Estimation Study, Ottawa :
Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies.
[8]
Rapport de la vérificatrice générale du
Canada à la Chambre des communes, 2001, chapitre 11, « Les drogues
illicites : le rôle du gouvernement fédéral, » page 17.
[9]
Paul E. Kennedy, Sous-ministre adjoint principal au solliciteur général,
Secteur de la police et la sécurité, ministère du Solliciteur général,
Délibérations du Comité spécial sur les drogues illicites, Sénat
canadien, première session de la trente-septième législature, 2001-02,
numéro 22, pages 9-10.
[10]
Le chef Julian Fantino, service de police de Toronto, Délibérations du
Comité spécial sur les drogues illicites, Sénat canadien, première
session de la trente-septième législature, 2001, numéro 5, page 11.
[11]
Le chef Cal Johnston, service de police de Regina, Délibérations du Comité
spécial sur les drogues illicites, Sénat canadien, première session de la
trente-septième législature, 2001-02, numéro 16, page 31.
[12]
Ibid., page 33.
[13]
Rapport de la vérificatrice générale
du Canada à la Chambre des communes, 2001, chapitre 11, «
Les drogues illicites : le rôle du gouvernement fédéral »
page 16.
[14]
Statistiques Canada, Centre canadien de la statistique juridique, Juristat,
Statistiques de la criminalité au Canada - 2001, page 14.
[15]
Statistiques Canada, Centre canadien de la statistique juridique, Juristat,
Statistiques de la criminalité au Canada - 2001, page 14.
[16]
Kash Heed, section des drogues, Délibérations du Comité spécial sur les
drogues illicites, Sénat canadien, première session de la trente-septième
législature, 2001, numéro 10, page 62.
[17]
Cette section s’inspire largement du rapport de recherche préparé pour
le Comité par la Division de la recherche parlementaire : Lafrenière G.,
(2001) Les infractions aux drogues et
les pouvoirs policiers. Ottawa:
Bibliothèque du Parlement. Disponible
sur le site du Comité à www.parl.gc.ca/drogues-illicites.asp
[18]
R.
c. Dyment, (1988) 45 C.C.C. (3d) 244, p. 254 (C.S.C.).
[19] Signalons parmi les infractions consensuelles les paris et la prostitution.
[20] R. c. Kirzner (1977) 38 C.C.C. (2d) 131 (C.S.C.), page 135.
[21]
Rapport de la Commission d’enquête sur l’usage des drogues à des fins
non médicales, Le cannabis, Ottawa, 1972, page 239.
[22]
Brucker, T., (2002) The
Practical Guide to the Controlled Drugs and Substances Act, 3e édition,
Carswell, page 101.
[23] Dans R. c. Feeney, la Cour suprême du Canada a refusé d’aborder la question puisque, selon elle, il n’y avait pas de circonstances pressantes au moment de l’arrestation.
[24] R. c. Godoy, (1999) 131 C.C.C. (3d) 129 (C.S.C.).
[25] Voir la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, paragraphe 11(6).
[26]
Voir la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, paragraphe
11(8).
[27]
Hunter (directeur
des enquêtes et recherches) c. Southam
Inc. (1984) 14 C.C.C. (3d) 97 (C.S.C.).
[28]
R. c. Grant
(1993) 84 C.C.C. (3d) 173 (C.S.C.), page 188.
[29]
Ibid., page 189.
[30]
(1991) 65 C.C.C. (3d) 15 (B.C.C.A.).
[31]
Fontana, J.A., (1997) The Law of Search and Seizure in Canada, 4e édition, Butterworths,
page 396.
[32]
R. c.
Simmons, (1988) 45 C.C.C. (3d) 296 (C.S.C.).
[33]
Ibid.
[34]
Cloutier
(1990) 53 C.C.C. (3d) 257 (C.S.S.), pages 277-278.
[35] (1998) 126 C.C.C. (3d) 321 (Ont. C.A.).
[36]
2001 SCC 83.
[37]
Ibid.,
para. 83.
[38]
Ibid.,
para. 116.
[39]
[1998] 3 R.C.S. 393.
[40]
S.C. 1986 ch.6.
[41]
R.
c. Monney, (1999) 133 C.C.C. 129
(C.S.C.).
[42] La Loi sur les douanes comporte également d’autres dispositions relatives aux pouvoirs des douaniers. Il n’en est pas question ici.
[43] (1988) 45 C.C.C. 296 (C.S.C.).
[44]
Ibid., pages 320-321.
[45] (1999) 133 C.C.C. 129 (C.S.C.).
[46]
Ibid., page 152.
[47]
Ibid., page 151.
[48]
Voir le Code criminel, article 183.
[49]
R. c. Duarte, (1990) 53 C.C.C (3d) 1 (C.S.C..) page 11.
[50] (1990) 53 C.C.C. (3d) 1 ( C.S.C.).
[51] [1990] 1 R.C.S. 30.
[52] (2000) C.S.C. 65.
[53]
Stuart, D., (1999) « The Unfortunate Dilution of Section 8 Protection »,
Queens Law Journal, volume 25, numéro 1,
page 68.
[54]
(1988) 44 C.C.C. (3d) 513 (C.S.C.).
[55]
Ibid.,
page 560.
[56]
Ibid.,
page 560.
[57]
Ibid.,
page 567.
[58]
Ibid.,
page 69.
[59]
(1991) 66 C.C.C. (3d) 1 (C.S.C.).
[60]
Mewett, A.W . et S. Nakatsuru, (2000) An Introduction to the Criminal Process in Canada, 4e édition,
Carswell, page 180.
[61]
Les activités illégales entreprises par des agents de police soulèvent
aussi la question de savoir si ces derniers s’exposent à des poursuites.
Cette question échappe à la portée du présent document.
[62] (1999) 133 C.C.C. (3d) 257 (C.S.C.).
[63] Ibid., page 282.
[64]
SC 2001, chapitre 32.
[65] R. c. Silveira, (1995) 97 C.C.C. (3d) 450, page 496.
[66]
R. c. Grant,
(1993) 84 C.C.C. (7d) 173.
[67]
Le Centre canadien de la statistique juridique nous met en garde à
l’effet que les statistiques sur le crime peuvent être influencées par
de nombreux facteurs tels les rapports présentés à la police par le
public, les rapports de la police au Centre canadien de la statistique
juridique; l’impact des nouvelles initiatives comme les changements au
niveau des lois, de la police ou des pratiques de mise en application; ainsi
que les changements sociaux, économiques et démographiques.
[68]
Statistiques Canada, Centre canadien de la statistique juridique, Juristat,
Statistiques criminelles au Canada - 2001, catalogue no 85-002-XIE Vol. 22,
no 6, page 11.
[69]
Ibid.
[70]
Plecas, D., et coll., (2002) Marihuana
Growing Operations in British Columbia – An Empirical Survey
(1997‑2000), département de criminologie et de justice criminelle
– University College of the Fraser Valley et International Centre for
Criminal Law Reform and Criminal Justice Policy.
[71]
On devrait préciser qu’en 1997, le taux au Yukon et dans les Territoires
du Nord-Ouest était même plus élevé qu’en Colombie-Britannique.
[72]
De plus, les données d’avant 1995 reposent sur des approximations basées
sur une répartition moyenne des accusations au cours de la période
couvrant les années 1995 à 2000.
[73]
Statistiques Canada, Centre canadien de la statistique juridique, Juristat,
Drogues illicites et criminalité au Canada, catalogue no 85-002-XIE, vol.
19, no 1, p. 5. Le terme
« autres drogues » signifie ici : 1) les drogues illégales
autres que le cannabis, la cocaïne ou l’héroïne, et 2) les drogues
contrôlées.
[74]
Statistiques
Canada, Centre canadien de la statistique juridique, Juristat, Statistiques
de la criminalité au Canada - 2001, catalogue no 85-002-XIE, vol. 22, no 6,
page 19.
[75]
Ibid.
[76] Carrier, N. (2000) Discours de patrouilleurs montréalais sur la détection de l’infraction de possession de drogues prohibées. Mémoire de maîtrise. École de criminologie, Université de Montréal. Voir aussi le témoignage de Marie-Andrée Bertrand,
[77] Voir aussi la discussion qu’en fait M. Guy Ati-Dion lors de son témoignage devant le Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites, Sénat du Canada, première session de la trente-septième législature, 29 octobre 2001, fascicule 8, pages 73-74.
[78]
Annexe
B. ‘Commentaires du lecteur externe.’ In Bramley-Harker (2001) Sizing
the UK market for illicit drugs. London: Home Office.
RDS Occasional Paper no 74.
[79]
Ibid.
Chapitre
15
Le
système de justice pénale
Le
chapitre précédent a examiné les rôles et pratiques des agences
d’application de la loi qui sont la porte d’entrée du système de justice pénale.
Que se passe-t-il après l’arrestation et la mise en accusation pour
une infraction relative aux drogues ?
Qui est responsable des poursuites et comment se font-elles ?
Quel type de sanction les personnes condamnées reçoivent-elles ?
Qui aura un casier judiciaire ?
Et comment les tribunaux ont-ils interprété la validité de la loi sur
les drogues ? C’est à ces
questions que ce chapitre tente de répondre.
Poursuites
Le
Service fédéral des poursuites (SFP) du ministère de la Justice est
l’agence principale en matière de poursuites des infractions relatives aux
drogues au Canada. Bien que son
mandat consiste à intenter des poursuites dans chaque province et chaque
territoire en vertu des lois fédérales, son travail consiste principalement en
poursuites relatives aux drogues en vertu de la LRDS.
En
vertu de la LRDS, les provinces peuvent mener les poursuites si une procédure
relative aux drogues a été engagée à la demande du gouvernement provincial.
Présentement, seulement deux provinces (le Québec et, dans une moins
grande mesure, le Nouveau-Brunswick) ont exercé ce pouvoir.
Au Québec, le SFP n’intente des poursuites qu’à l’égard
d’infractions qui ont fait l’objet d’enquêtes par la GRC.
Dans le reste du Canada (à l’exception du Nouveau-Brunswick), le
service intente des poursuites à l’égard d’infractions en matière de
drogues qui ont fait l’objet d’enquêtes par des corps policiers provinciaux
ou municipaux, ou par la GRC.
Le SFP
emploie plus de 300 avocats internes à temps plein dans 13 bureaux
partout au pays et environ 750 agents permanents du secteur privé
effectuant des poursuites en matière de drogues au nom du procureur général
du Canada. De manière générale,
la police enquête au sujet de l’infraction et dépose une accusation qui sera
suivie d’une poursuite, mais dans certaines provinces (telles la
Colombie‑Britannique, le Québec et le Nouveau-Brunswick), la police doit
demander l’approbation de la Couronne avant de déposer une accusation.
Bien
que les affaires complexes représentent encore un pourcentage assez bas des
poursuites menées par le SFP, elles deviennent plus courantes et prennent déjà
beaucoup de temps aux procureurs.
« …La
plupart des affaires sont d’une complexité faible ou moyenne, mais la
complexité des cas augmente. On
estime actuellement que les affaires complexes représentent 7 % du temps
des procureurs. Les affaires
complexes associées au crime organisé nécessitent la participation du ministère
de la Justice dès le stade initial à cause des questions légales liées à la
collecte, à l’organisation et à l’admissibilité de la preuve. » [1]
Le coût total des poursuites reliées aux drogues effectuées par le SFP, s’élève à environ 57 millions $ par année (35 millions $ pour les avocats internes et 22 millions $ pour les agents permanents). Le SFP estime que pour l’année 2000-2001, le coût des poursuites pour possession de cannabis, par rapport au budget global de 57 millions $, s’élevait à environ 5 millions $, soit 10 % du budget total.[2]
Tribunaux
Nous
avons peu d’information sur les coûts des poursuites reliées aux drogues,
pour le système de tribunaux provinciaux.
L’étude du CCLAT sur les coûts des drogues au Canada dont nous avons
parlé au chapitre précédent[3]
estimait les coûts judiciaires pour 1992 à environ 60 millions $.
Avec près de 50 000 personnes par année accusées d’infractions
reliées aux drogues et compte tenu de la complexité accrue de certaines
affaires, on pourrait penser que ces coûts seraient beaucoup plus élevés que
ceux estimés en 1992.
Une
estimation de la vérificatrice générale indique qu’en 1999 les
tribunaux de juridiction criminelle canadiens ont entendu 34 000 affaires
de drogues illicites nécessitant plus de 400 000
comparutions.[4]
D’autres coûts reliés aux tribunaux sont les ressources financières
considérables dépensées pour l’aide juridique.
En 1996/1997, 860 millions $ ont été dépensés pour les
coûts administratifs des tribunaux et en 1997/1998, 455 millions $
ont été dépensés pour l’aide juridique.[5]
Nous ne pouvons dire quelle partie de ces montants concerne les affaires
de drogues illicites.
Les
tribunaux de traitement de la toxicomanie
Le comité
a visité le premier tribunal de traitement de la toxicomanie (TTT) durant son
voyage à Toronto. Établi en 1998
à titre de projet pilote grâce au soutien financier de la Stratégie nationale
sur la sécurité communautaire et la prévention du crime, ce projet réunit
plusieurs acteurs incluant Justice Canada, le Solliciteur général du Canada,
le SFP, le gouvernement de l’Ontario, le tribunal provincial, le Centre de
toxicomanie et de santé mentale (CTSM), le service de police de Toronto, le
service de santé publique de la ville de Toronto et divers organismes
communautaires. Ce projet est
actuellement financé jusqu’en décembre 2004.
Un deuxième
projet pilote a été établi à Vancouver en décembre 2001.
Ce projet utilise aussi un modèle intersectoriel et il doit servir à
assurer une gestion intensive des affaires et à relier les participants aux
ressources communautaires et aux programmes de développement des compétences,
au besoin.
À
Toronto le Centre de toxicomanie et de santé mentale de l’Ontario fournit les
services de traitement aux contrevenants qui ont des dépendances, tandis qu’à
Vancouver ils sont assurés par divers organismes locaux.
Partant
de la prémisse, établie par de nombreuses études, que l’incarcération
seule ne mène pas à une réduction de la consommation ni de l’activité
criminelle s’y rattachant, les tribunaux de traitement de la toxicomanie ont
pour objectif de fournir une réponse plus appropriée aux besoins des
contrevenants qui ont des problèmes de dépendances.
Le système de justice pénale ne dispose généralement pas des outils
lui permettant d’adapter la sanction aux besoins propres des « toxicomanes »
ni aux facteurs qui peuvent être à l’origine de cette dépendance (p.
ex., chômage, itinérance, violence physique ou sexuelle
subie durant l'enfance, discorde familiale, et autres problèmes de santé
mentale et physique).
Les TTT se basent sur des recherches démontrant que les programmes de
traitement des toxicomanes sont plus efficaces que les sentences traditionnelles
pour réduire la criminalité et la récidive chez ces personnes.
Patricia Begin, du Centre national pour la prévention du crime du ministère
de la Justice ajoutait :
« Autre
hypothèse sous-jacente : par les approches axées sur la jurisprudence thérapeutique
tels les tribunaux chargés des affaires de drogue qui visent à assurer la réadaptation
et la réintégration des contrevenants-toxicomanes, le système de justice pénale,
de concert avec les organismes de traitement et les services communautaires,
peut servir d'agent de changement et contribuer à modifier le cheminement de
vie du toxicomane. » [6]
Le TTT
de Toronto fournit un traitement supervisé par le tribunal pour les personnes
présentant une dépendance à la cocaïne et/ou aux opiacés. Les
contrevenants non violents accusés de possession ou de trafic de petites
quantités de crack/d’héroïne, ou accusés d’infractions liées à la
prostitution, sont éligibles au programme.
Dans tous les cas, l’organisme de traitement assure la sélection et
l’évaluation des personnes. L’admission est volontaire mais doit être approuvée par
la Couronne. Les facteurs considérés
incluent les autres accusations criminelles courantes, le risque encouru pour la
communauté et la gravité et les circonstances entourant l’infraction.
Deux parcours ont été établis. Généralement,
le premier parcours est destiné aux personnes ayant un casier judiciaire limité
ou n’en possédant pas et qui sont accusées de possession simple.
Elles sont éligibles à participer au programme avant l’enregistrement
du plaidoyer – une fois le
programme complété, l’accusation est suspendue ou retirée. Le deuxième parcours s’adresse aux contrevenants possédant
un dossier criminel plus grave ou qui sont accusés de trafic. Ils doivent plaider coupable – une fois la phase I du
programme complétée, le contrevenant reçoit une sentence non privative de
liberté et il est mis en liberté surveillée (phase II).
À défaut de compléter la phase I, le contrevenant se verra expulsé et
condamné.
Le système
se base sur une collaboration étroite entre le tribunal et les organismes de
traitement. Les contrevenants
comparaissent régulièrement devant le tribunal – celui-ci siège deux fois
par semaine – où le juge, en consultation avec l’équipe de traitement du
TTT, passe en revue les progrès qu’ils ont réalisés.
L’équipe du TTT inclut le juge du TTT, le procureur de la Couronne,
l’avocat de service, le représentant des services de probation, le personnel
du tribunal, le personnel de liaison entre la communauté et le tribunal, et
ceux travaillant au traitement. Des
décisions ayant trait au traitement futur et à l’implication judiciaire sont
prises. La conformité aux étapes
du processus est encouragée au moyen d’un système de récompenses et de
sanctions graduées – remise en liberté provisoire du contrevenant assortie
de conditions appropriées auxquelles il doit se conformer.
La possibilité de rechute fait partie intégrante du processus de réadaptation
et elles ne mènent pas automatiquement à l’expulsion.
L’honnêteté et la responsabilité sont toutefois importantes.
Le non‑respect d’autres conditions telles que la comparution au
tribunal ou d’avoir omis de fournir un échantillon d’urine, peut résulter
en diverses sanctions incluant la révocation de la mise en liberté pour une période
allant jusqu’à cinq jours.
Chaque
participant est engagé dans un programme de traitement ambulatoire adapté à
ses besoins spécifiques. Le
traitement dure environ une année pendant laquelle le contrevenant travaille étroitement
avec un superviseur. Le traitement
comprend : un counselling individuel et en groupe, une gestion continue du
cas, le dépistage périodique et aléatoire de la consommation de drogues, et
des services médicaux de toxicomanie – incluant le maintien à la méthadone
lorsque nécessaire. Le personnel
thérapeutique collabore aussi étroitement avec les organismes communautaires
et les agences du système judiciaire pour répondre aux besoins des
participants. Pour compléter le
programme, le contrevenant ne doit pas avoir consommé de crack/de cocaïne
et/ou d’héroïne pendant une période prolongée et il doit aussi démontrer
un changement fondamental dans son style de vie impliquant l’amélioration de
ses habiletés interpersonnelles, des conditions de logement stables et appropriées,
et une démarche réussie en matière d’éducation et d’orientation
professionnelle.
L’initiative
du TTT semble être un pas dans la bonne direction mais il faudra attendre les résultats
des évaluations en cours pour connaître l’efficacité de cette mesure.
Même aux États-Unis, où ces programmes existent depuis le début des
années 1980, peu d’évaluations rigoureuses de leurs impacts ont été
effectuées. La plupart ont été
effectuées sur une période de temps limitée, n’incluant pas un suivi à
long terme afin de déterminer s’il y avait rechute ou abus de drogues et récidivisme
criminel, et elles présentent des lacunes méthodologiques notamment sur les
groupes témoins permettant l’attribution des effets constatés aux
interventions du programme. Il est
difficile aussi de comparer les projets canadiens avec les expériences américaines
puisque les sentences minimales et des pénalités plus sévères imposées en général
aux USA constituent un incitatif important pour les participants américains à
demeurer dans le programme.[7]
Patricia
Bégin, directrice de la recherche et de l’évaluation au Centre national de
prévention du crime, a fourni les détails préliminaires suivants sur le TTT
de Toronto :
« Brièvement,
l’évaluation à Toronto repose sur une approche quasi expérimentale.
Le groupe témoin se compose des « clients » jugés
admissibles au programme mais qui ont décidé de ne pas participer, préférant
plutôt passer par les voies classiques de la justice pénale.
Entre
avril 1999, moment où on a commencé à rassembler les données en vue de l’évaluation,
et le 5 octobre 2001, 284 personnes ont été inscrites au
programme. 83 %, soit 234 personnes,
forment le groupe expérimental, et cinquante (17 %) forment le groupe témoin.
Dans
le groupe expérimental, 16,7 % des participants sont encore inscrits au
programme ; 13,7 ou 14 % l’ont terminé avec succès, c’est-à-dire
32 personnes ; et 62 % ont été expulsés.
Le taux de rétention total se situe à 31 %.
Un
aspect que la recherche a permis de mettre en lumière, c’est que le taux de rétention
atteint 50 % lorsque les participants dépassent le cap des trois mois.
Le tribunal essaie, par l’entremise des données, de mieux comprendre
les caractéristiques des clients jugés admissibles mais qui ne réussissent
pas et qui sont expulsés ou qui se retirent durant les trois premiers mois.
…L’évaluation
a permis de constater que le groupe témoin est plus susceptible d’être formé
de jeunes sans emploi ayant une activité illégale comme source de revenu,
ayant un casier judiciaire et ayant été mis en prison plus souvent et accusés
plus souvent d’une nouvelle infraction depuis leur inscription au tribunal des
affaires de drogue. À bien des égards,
le groupe témoin présente un risque beaucoup plus élevé que le groupe expérimental.
Le
taux de récidive moins élevé noté chez les bénéficiaires du programme de
tribunal des affaires de drogue et des services connexes est peut-être lié à
leur degré de risques. Nous
aimerions approfondir la question de savoir si ces différences sont
attribuables à la participation au programme ou au degré moindre de risque et
à la motivation de changer sa vie.
Les
données de l’évaluation dont nous disposons jusqu’à maintenant nous révèlent
ce qui suit : le tribunal des affaires de drogue à Toronto est capable de
mobiliser les contrevenants et de les faire persévérer.
Ceux qui persévèrent ont tendance à terminer le programme avec succès,
et les données de suivi limitées ayant été réunies jusqu’à maintenant
semblent indiquer qu’ils présentent bel et bien un taux de récidive moins élevé
et qu’ils consomment moins de drogue.
Il
y a aussi une réduction de la consommation de drogue et de l’activité
criminelle chez les contrevenants pendant qu’ils participent au programme.
Le taux de réarrestation a tendance à être moins élevé chez le
groupe sujet que chez ceux qui ont été expulsés ou qui font partie du groupe
témoin. Un des défis de l’évaluation,
pour les quelques années à venir, consistera à mieux apparier les groupes de
manière à définir les résultats, les impacts et les effets du tribunal sous
certains aspects clés, qui touchent la consommation de drogue, l’activité
criminelle, la réinsertion « prosociale » au sein de la collectivité,
la stabilité familiale et les choses de cette nature. » [8]
Nous
suivrons avec intérêt les résultats de cette évaluation.
Notons tout de même au passage que le coût d’incarcération en
Ontario par personne s’élève à environ 45 000 $ par année,
tandis que les coûts annuels de traitement des TTT sont évalués à 4 500 $
par personne. Il est évident que
cette approche pourrait mener à des économies importantes pour le système de
justice pénale tout en contribuant à réduire les problèmes de dépendances
aux drogues et de criminalité afférente chez un certain nombre de personnes.
décision
et détermination de la sanction
Les
faiblesses des informations statistiques dont nous avons déjà discuté sont
particulièrement évidentes en ce qui a trait aux décisions ainsi qu’à la détermination
des sanctions liées aux drogues illicites.
La vérificatrice
générale avait aussi soulevé cette question dans son rapport 2001.
« Certains
volets des statistiques sur l’application de la loi comportent des lacunes.
Tout d’abord, il n’existe pas de statistiques nationales sur les
condamnations et les peines infligées relativement aux drogues illicites.
Ainsi, la Colombie-Britannique, le Manitoba, le Nouveau-Brunswick et le
Nunavut ne fournissent pas à Statistique Canada de données sur les tribunaux pénaux
pour adultes. L’utilisation des
statistiques requiert une bonne analyse et une bonne interprétation pour
comprendre les tendances et les causes sous-jacentes. Étant donné que le Canada ne possède pas de données
nationales, il ne peut suivre des tendances importantes comme celles relatives
à la durée des peines à l’apparition de nouvelles drogues ou aux écarts régionaux…
Une
deuxième lacune vient du fait que les statistiques sur les condamnations et les
peines relatives aux drogues sont déclarées selon les catégories visées par
la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, et ne sont pas très
détaillées. Alors que les
statistiques nationales sur les mises en accusation par la police répartissent
le nombre d’accusations liées aux drogues selon le type de substance (par
exemple, héroïne, cocaïne et cannabis) et le type d’infraction (par
exemple, possession, trafic, importation et culture), les statistiques sur les
condamnations ne sont réparties qu’en deux catégories – possession et
trafic. Le rapport 1999-2000 publié
par la Commission interaméricaine de lutte contre l’abus des drogues, qui
fait état des progrès du Canada en matière de réglementation des drogues,
signale la nécessité d’améliorer les statistiques judiciaires sur les
infractions liées aux drogues. » [9]
Malgré
ces faiblesses, nous examinons certaines données dans les pages suivantes.
Le
graphique suivant présente les résultats pour ceux qui sont accusés
d’infractions reliées aux drogues dans certaines provinces.
Il semble qu’à compter de 1995, il y ait eu une augmentation assez
importante du pourcentage d’inculpés dont l’accusation a été suspendue ou
retirée, d’où la diminution du pourcentage d’accusés trouvés coupables.
Il faut cependant noter que ce graphique n’inclut pas les données de
trois provinces (Nouveau-Brunswick, Manitoba et Colombie-Britannique) et d’un
des territoires (Nunavut). De plus,
les données de certains tribunaux du Québec n’y sont pas incluses.
Notons enfin que les données avant 1995 sont basées sur des
approximations établies à partir de la répartition moyenne des accusations
durant la période couvrant les années 1995 à 2000.
En
1996-1997, 64 % des personnes accusées de trafic de drogue ont été
condamnées à une incarcération. La
durée moyenne de la sentence était de quatre mois. La mise en liberté surveillée était la sentence la plus
importante dans 24 % des affaires et l’amende dans 9 % des cas.[10]
Pour les
infractions de possession, une amende était imposée dans 63 % des cas,
d’un montant moyen de 200 $. L’amende
était la sentence la plus importante dans 55 % des cas, la mise en liberté
surveillée dans 22 % des cas et la détention dans 13 % des cas.[11]
Nous
avons été informés que le SFP tente d’identifier et de mettre en œuvre des
mesures de déjudiciarisation lorsqu’elles sont appropriées, par exemple pour
les contrevenants accusés pour la première fois de possession simple de
cannabis. Les projets pilotes de
TTT à Toronto et à Vancouver, font aussi partie des mesures de rechange.
De même, un « projet pilote de poursuite différée » est en
cours au Manitoba où les procureurs demandent un engagement de ne pas troubler
la paix publique pour les contrevenants accusés de possession de cannabis.
Dans ces affaires, les accusations seraient suspendues pendant un an et,
si le contrevenant ne revient pas
devant le système judiciaire, l’affaire est alors classée.
D’autres programmes de « déjudiciarisation » à travers le
Canada nous ont été mentionnés.[12]
Bien que
les données relatives aux décisions et aux peines soient faibles, quelques études
nous donnent un aperçu de ce qui se passe au Canada.
Un document préparé par le Comité permanent de lutte à la toxicomanie
examine les pratiques policières et judiciaires au Québec de 1985 à 1998.[13]
Le rapport démontre que les pratiques varient
non seulement entre les régions du pays mais aussi à l’intérieur même
de la province de Québec. Le
rapport observe aussi que la déjudiciarisation des affaires de possession de
cannabis est loin d’être une pratique courante et qu’on utilise ce recours
davantage dans les affaires impliquant des mineurs où elle est en hausse (20,6 %
en 1990, 48,2 % en 1995, 55,9 % en 1996 et 63 % en 1997). Ici aussi, les pratiques varient considérablement d’une région
à l’autre. Environ 80 % des
personnes accusées de possession de cannabis étaient des adultes, presque tous
des hommes (environ 90 %). Le
rapport indiquait que les sanctions n’étaient pas sévères, particulièrement
où il était question d’une seule infraction.
Pour les adultes, les sanctions imposées étaient principalement des
amendes et la mise en liberté surveillée, exceptionnellement la détention.
Pour les mineurs, la sanction la plus courante était le travail
communautaire ou la mise en liberté surveillée ; la détention était
rarement imposée. Les données
pour Montréal en 1998 indiquent que l’incarcération pour possession de
cannabis est moins probable (13,8 % de toutes les sanctions) que pour les
autres substances, et que de telles sanctions sont plus courtes (50 % étaient
d’une journée et aucune ne dépassait 10 jours).
De plus, les amendes étaient moins élevées (les amendes moyennes pour
le cannabis s’élevaient à 186 $ tandis qu’elles s’élevaient à 277 $
pour la cocaïne).
Patricia
Erickson, une chercheure au Centre de toxicomanie et de santé mentale, a mené
trois études à Toronto en 1974, en 1981 et en 1998 sur les personnes accusées
de possession de cannabis. Ces études
indiquent que les délinquants dans les affaires liées au cannabis étaient, en
vaste majorité, des jeunes hommes (environ 90 % sont de sexe masculin et
plus de la moitié sont âgés de 21 ans ou moins). La plupart (80 %) occupaient un emploi ou étaient étudiants,
et environ la moitié vivaient avec les parents. La plupart des affaires impliquaient un seul chef
d’accusation pour possession simple et les quantités étaient minimes :
dans plus de 75 % des affaires, il s’agissait d’une quantité inférieure
à 14 grammes de cannabis. L’étude
de 1998 démontrait même que 50 % des accusations concernaient des quantités
d’un gramme ou moins.
Dans les
deux premières études, une libération inconditionnelle ou sous condition était
la sentence la plus fréquente, et en 1998, 43 % des cas avaient fait
l’objet d’une mesure de déjudiciarisation.
Selon l’auteure, les sanctions semblaient avoir été accordées de
manière aléatoire et [traduction] « il n'y avait aucun lien entre la
peine imposée et les caractéristiques du contrevenant ou de l'affaire, la
nature des accusations et la quantité de drogue en cause. »[14]
Erickson
au aussi examiné la question de la dissuasion.
Sa première étude indiquait que 92 % des contrevenants
consommaient toujours un an plus tard (dans les études subséquentes, environ
80 % avaient l’intention de consommer ou consommaient encore).
De plus, les données indiquaient que la sévérité de la sanction n’était
pas reliée à la décision de consommer dans le futur.
En fait, le meilleur prédicteur de la cessation de consommation après
avoir été criminalisé était la quantité consommée par le contrevenant par
le passé – moins la consommation était élevée, plus grandes étaient les
probabilités qu’il cesse de consommer. Il
n’y avait pas non plus d’indications que la judiciarisation avait des effets
de dissuasion générale, même si l’auteure admettait que cette question est
beaucoup plus difficile à mesurer.
Bien
qu’elles soient une amélioration certaine de la réponse du système de
justice traditionnel, les mesures de déjudiciarisation semblent élaborées de
manière ad hoc et ne sont pas disponibles de la même manière à travers le
pays. Par conséquent, des
contrevenants qui pourraient en bénéficier n’y ont pas accès.
De plus, les critères d’admission aux diverses mesures semblent
diverger selon les programmes. Il
en résulte une application inégale de la loi où des contrevenants ayant
commis des infractions sont traités différemment selon leur lieu de résidence.
Service
correctionnel
Le
Service correctionnel du Canada (SCC) est responsable des contrevenants purgeant
une peine d’emprisonnement de deux ans ou plus, incluant les individus
reconnus coupables d’infractions graves liées à la drogue. Le SCC estime que :
·
Près de 70 %
des contrevenants (dans le système judiciaire fédéral) ont des problèmes
d’alcool et/ou de drogues ;
·
Plus de la
moitié consommaient des drogues ou de l’alcool lorsqu’ils ont commis le délit
pour lequel ils sont incarcérés ; et
·
Environ 20 %
des contrevenants en prison ont été reconnus coupables d’infractions reliées
aux drogues.
Ces
statistiques indiquent que l’abus de substance devrait constituer une haute
priorité pour le SCC. Cela soulève
deux questions : 1) comment répondre aux enjeux de la disponibilité des
drogues dans les établissements fédéraux ?, et 2) comment fournir les
services de réadaptation aux détenus aux prises avec des problèmes de
consommation de substances ?
En ce
qui a trait aux mesures de sécurité, le SCC effectue des fouilles, des
analyses d’échantillons d’urine et travaille avec la police pour partager
les renseignements relatifs aux problèmes de drogues. De plus, des détecteurs ioniques ont récemment été
installés dans chaque établissement pour aider à détecter l’introduction
de drogues. Il est aussi question
d’avoir un chien-détecteur de drogues dans chaque établissement. Malgré toutes ces mesures de sécurité, il serait difficile
pour le SCC d’affirmer qu’ils gardent avec succès les substances
psychoactives hors des pénitenciers. Les
résultats nationaux provenant d’une analyse aléatoire d’échantillons
d’urine en 2001-2002 démontraient que 12 % des échantillons étaient
positifs pour au moins une drogue.[15]
De plus, une étude récente effectuée dans les établissements au
Québec démontre que 29 % des détenus admettent consommer des drogues
illicites, la plupart d’entre eux consommant du cannabis.
« L'incarcération
ne résout pas nécessairement le problème.
Une étude que nous avons menée récemment dans les pénitenciers
canadiens de la région du Québec montre qu'il y a consommation à l'intérieur
même des murs. Nous avons demandé
aux détenus de nous indiquer leur consommation dans les trois derniers mois
alors qu'ils étaient incarcérés - ce sont tous des hommes détenus - et 16 %
nous ont dit qu'ils avaient consommé de l'alcool, tandis que 29 % nous ont
dit qu'ils avaient consommé des drogues illicites.
Dans la majorité des cas, il s'agit de cannabis, alors que ces mêmes détenus
consommaient de la cocaïne à l'extérieur. C'est un changement très appréciable. Pourquoi consomment‑ils du cannabis alors que le
cannabis est beaucoup plus détectable par l'odeur et par les traces qu'il
laisse dans l'urine? On peut détecter
le cannabis pendant 15 jours après sa consommation alors que la cocaïne
n'est détectable que durant 48 heures au maximum.
Le détenu veut s'évader. La
cocaïne est un stimulant qui le ramène à sa réalité et ce n'est pas ce que
le détenu désire, il veut s'évader. Ce
sont les produits calmants qui ont la cote.
Ce sont parfois des benzodiazépines.
Mais on peut facilement se procurer du cannabis. » [16]
Le SCC
offre divers programmes de traitement aux détenus aux prises avec des problèmes
de drogue, pour les aider à briser le cycle de dépendance et à réintégrer
la communauté. Ces programmes
incluent le programme de prévention de la toxicomanie, le programme CHOIX et un
programme pour les détenus qui purgent une longue peine.
Le SCC a aussi créé des unités de soutien intensif prévoyant des vérifications
et des tests accrus pour soutenir le détenu dans ses efforts pour changer son
comportement face à la toxicomanie. Le bureau de la vérificatrice générale évalue que 53 %
des détenus participent à des programmes de traitement pour toxicomanes
pendant qu’ils purgent leur peine.[17]
En ce
qui a trait à la réduction des méfaits, le SCC fournit le traitement à la méthadone
à certains toxicomanes s’injectant des opiacés et met à la disposition des
détenus de l’eau de Javel pour stériliser les aiguilles.
Le SCC met aussi en pratique d’autres initiatives de prévention des
maladies contagieuses telle la vaccination contre l’hépatite B.
Au début de l’année 2002, le SCC a annoncé un programme de
traitement à la méthadone plus étendu pour les détenus des pénitenciers fédéraux
toxicomanes consommant de l’héroïne et d’autres opiacés.
Le
Centre de recherche en toxicomanie (CRT) du SCC, créé à Montague à l’Île-du-Prince-Édouard
en mai 2001, a pour mandat d’effectuer des études appliquées pour aider les
Services correctionnels à mieux comprendre les questions entourant la
toxicomanie chez les détenus et élaborer des programmes efficaces de
traitement de la dépendance. C’est
le seul centre de recherche établi par un organisme correctionnel qui
s’adresse spécialement aux défis de la toxicomanie.
Avec un personnel de 20 employés, le centre concentre ses activités
de recherche sur quatre domaines : l’élaboration de programme
(programmes de sensibilisation culturelle pour les femmes et les détenus
autochtones) ; la recherche sur les programmes (dans des secteurs tels que
l’intervention communautaire, la méthadone, les unités de soutien intensif
et le syndrome d’alcoolisme fœtal) ; l’évaluation et la surveillance
(pour mesurer les tendances et évaluer le succès des interventions) ; et
la diffusion des connaissances.
Le
principal poste de dépenses du SCC correspond à l’incarcération.
Le bureau de la vérificatrice
générale a évalué qu’en 1999, le SCC a dépensé 169 millions $
pour les drogues illicites : 154 millions $ pour les détenus purgeant
des peines en totalité ou en partie pour des infractions reliées aux drogues ;
8 millions $ pour les programmes de lutte contre la toxicomanie
(incluant l’alcoolisme) ; 4 millions $ pour les programmes de
traitement (p. ex. la méthadone) ; et 3 millions $ pour
effectuer des analyses d’échantillons d’urine.
Les coûts des mesures de sécurité pour contrôler
l’approvisionnement de drogues dans les établissements étaient inconnus.[18]
Estimant la population
actuelle des détenus fédéraux à 13 000 individus, si environ 7 000
d’entre eux participent aux programmes de traitement pour les toxicomanes
pendant qu’ils purgent leur peine, c’est dire que les services
correctionnels dépensent environ 1 150 $ par détenu pour les
programmes de traitement.
Au 31 décembre
2000, 5 779 contrevenants trouvés coupables d’infractions liées aux
drogues étaient sous juridiction fédérale (purgeant leur peine soit dans un
établissement fédéral soit en libération conditionnelle).
Parmi ceux-ci, 3 890 purgeaient des peines pour trafic, 621 pour
importation, 225 pour culture et 2 221 pour possession.[19]
Parmi les 2 548 purgeant leur peine dans un établissement
correctionnel fédéral la répartition est la suivante : 1 613 pour
trafic, 113 pour importation, 82 pour la culture et 1 318 pour
possession.[20]
Rappelons que les détenus purgeant leur peine dans des établissements fédéraux
ont été condamnés à la détention pour deux ans ou plus.
Pour les 3 231 en libération conditionnelle la répartition
selon les infractions est la suivante : 2 312 pour trafic, 508 pour
importation, 145 pour culture et 946 pour possession.[21]
Entre
1995 et 2000, la population carcérale totale pour les infractions liées aux
drogues dans le système fédéral a augmenté de presque 9 %.
Une bonne partie de cette augmentation est reliée à ceux qui sont en
liberté conditionnelle, étant donné que ce groupe a augmenté de 19 %
pendant cette période. Durant la même
période, le nombre d’individus purgeant leur peine dans les établissements a
diminué de 2 %.[22]
À la
fin de l’an 2000, la durée moyenne de l’emprisonnement pour infraction liée
aux drogues était de 2,2 années, et la durée moyenne des libérations
conditionnelles était de 3,7 années, durées moyennes inférieures à
celles des autres infractions (non liées aux drogues). Nous observons aussi que le temps moyen purgé en détention
pour les infractions de possession était de 2,52 années, tandis qu’il s’élevait
à 1,89 année pour trafic, à 1,48 année pour importation et à 0,88 année
pour culture. Pour les libérations
conditionnelles, le temps moyen purgé pour importation était de 4,6 années,
tandis qu’il s’élevait à 3,6 années pour possession, à 3,5 années pour
trafic et à 2,2 années pour culture.[23]
Selon le SCC, le fait que les contrevenants semblent purger plus de temps
pour les infractions de possession que pour les autres infractions liées aux
drogues telles que le trafic, s’expliquerait par le fait qu’ils purgent
souvent des peines pour d’autres infractions, plus graves, rendant les
comparaisons extrêmement difficiles.
Le
graphique suivant présente les données relatives au nombre d’admissions par
région dans les établissements correctionnels fédéraux en relation avec les
infractions liées aux drogues pour l’année 2000 et le nombre de détenus
incarcérés dans les différentes régions du pays, en date du 31 décembre
2000.
Casier
judiciaire
Les conséquences
d’une accusation criminelle sont multiples : avant le verdict il y a des
coûts directs reliés à la comparution devant le système de justice pénale
tels les frais juridiques, le temps passé à l’extérieur du travail, etc.,
et des coûts indirects lorsque l’accusé doit se présenter au poste de
police. Il existe aussi des coûts
émotionnels liés aux inquiétudes du fait d’être accusé d’une infraction
criminelle. L’accusé subit ces
coûts même s’il n’est pas trouvé coupable ou que l’accusation est retirée
plus tard.[24]
Les
sanctions imposées par les tribunaux constituent un autre coût évident pour
les contrevenants, qu’il s’agisse d’une amende ou d’une période de
probation. Finalement, il existe
des coûts subséquents à une condamnation.
Par exemple, une condamnation criminelle peut avoir un impact négatif
sur les perspectives d’emploi et peut représenter un empêchement pour
voyager à l’extérieur du pays. Les
séquelles de la criminalisation affectent tous les contrevenants. Ceux qui reçoivent des sentences plus sévères se sentent généralement
traités de manière injuste, ce qui peut mener à un manque de respect envers
l’administration de la justice.[25]
Le
criminaliste Allan Young a déclaré ce qui suit au Comité :
« Je reçois deux à trois
appels par semaine de citoyens qui, si ce n'est qu'ils fument de la marijuana,
sont autrement respectueux des lois, mais qui ont perdu leur emploi, se sont vu
refuser l'entrée aux États‑Unis ou l'accès à leurs enfants ou à des
emplois au gouvernement. Ces gens
ont été traités comme des criminels de droit commun.
C'est le plus gros problème que pose l'interdiction de la marijuana :
si vous traitez en criminels ceux qui, autrement, sont respectueux des lois, ils
commenceront à perdre tout respect pour des gens comme M. Fontina et ceux qui
s'efforcent de défendre et de protéger nos intérêts. »
[26]
En ce
qui a trait aux coûts d’interdiction du cannabis, le Dr Patricia Erickson a
indiqué que nous avons le choix.
« Il est évident que dans
le contexte de la politique antidrogues des États-Unis, les personnes pour qui
la consommation de drogue est une question d'ordre moral n'attachent pas
d'importance au coût. Le coût
leur importe peu. Ce qui leur
importe, c'est de veiller à ce que la consommation de drogue soit considérée
comme une mauvaise chose. Mais au
Canada, nous avons toujours été plus pondérés et nous nous appuyons
davantage sur les faits. C'est une
nette distinction par rapport aux États-Unis.
Les Canadiens peuvent au moins mesurer les coûts des politiques, en
discuter et envisager d'autres solutions. Nous
ne sommes pas prêts à payer n'importe quel prix. » [27]
Une
condamnation criminelle peut aussi constituer un facteur important lors de toute
interaction future avec le système de justice pénale.
Elle peut : influencer la décision d’un officier de police à
porter une accusation là où il/elle aurait pu autrement utiliser son pouvoir
discrétionnaire ; amener un procureur de la Couronne à choisir de
poursuivre par voie de mise en accusation plutôt que par déclaration sommaire
de culpabilité ; être utilisée dans certaines circonstances dans des
procédures criminelles subséquentes ; et mener un juge à imposer une
sanction plus sévère. Il ne
s’agit pas là de conséquences triviales – surtout lorsqu’il s’agit
d’un délit de possession de cannabis.
Qu’arrive-t-il
en cas d’absolution conditionnelle ou inconditionnelle ?
L’article 730 du Code criminel indique qu’une telle personne est
réputée n’avoir jamais été déclarée coupable d'une infraction.
Pourtant, il est probable que la plupart répondent affirmativement si on
leur demande, sur un formulaire de demande d’emploi ou lors d’une entrevue,
s’ils ont déjà été arrêtés, reconnus coupables ou ont déjà plaidé
coupables pour une infraction criminelle.
Une
condamnation ne signifie pas nécessairement que la personne a un « casier
judiciaire », c’est-à-dire un dossier dans le système du Centre
d’information de la police canadienne (CIPC).
Ce système d’information informatisé utilisé par les services
policiers fournit des renseignements relatifs aux crimes et aux criminels.
La banque de données d’identification (une des quatre banques de données
du CIPC), contient la fiche précise du casier judiciaire dans laquelle les données
sont entrées, à partir de l’information contenue sur la fiche
dactyloscopique. Ce dossier
contient des données signalétiques (telles que l’état du dossier, la
description du sujet, l’historique du sujet (casier, type d’infraction) et
les noms d’emprunt du sujet). Le
casier judiciaire complet est disponible sur demande dans toutes les agences
desservies par des terminaux du CIPC.
Pour les
contrevenants adultes, le casier judiciaire sera détruit dès que surviendra
l’une des deux situations suivantes, soit trois ans après le décès de
l’individu ou lorsque ce dernier atteindra l’âge de 80 ans (toutefois,
dans certaines circonstances, cela ne s’applique pas, par exemple si la
personne a été accusée au cours des dix dernières années).
Les absolutions inconditionnelles ou conditionnelles seront retirées et
archivées comme suit : pour une absolution inconditionnelle survenue le ou
après le 24 juillet 1992, à l’expiration d’une période d’un an
suivant la date de la sentence le casier judiciaire sera archivé pour une période
de cinq ans et ensuite détruit ; pour une absolution conditionnelle
survenue le ou après le 24 juillet 1992, à l’expiration d’une période de
trois ans suivant la date de la sentence, le casier judiciaire est maintenu en
archive pour une période de cinq ans et ensuite détruit.
Toute libération précédant le 24 juillet 1992 sera détruite
sur demande écrite. Lorsqu’un
pardon est accordé, l’information relative à l’infraction est retirée du
CIPC et est classée dans un endroit sûr, distinct et à l’écart des autres
casiers judiciaires (les données sont détruites suivant les directives
mentionnées plus haut). Suite à
un acquittement, l’accusé peut faire une demande au service de police qui
s’est occupé de l’affaire afin que l’information soit supprimée des
dossiers de la police locale et de la GRC.
La GRC acceptera de retourner les empreintes digitales de la personne et
de retirer du CIPC les informations relatives à l’infraction seulement sur
demande du service de police qui s’occupait de l’affaire.
Des règlements spéciaux s’appliquent aux jeunes contrevenants.
Même si
une personne n’a pas de « casier judiciaire », cela ne signifie
pas que la personne n’a pas été reconnue coupable d’une infraction
criminelle. Bien qu’il soit plus
probable que l’existence d’un casier judiciaire puisse entraîner des conséquences
négatives, les questions soulevées ci-dessus s’appliquent aussi à ceux qui
ont été condamnés sans pour autant avoir de « casier judiciaire ».
Selon les circonstances et la façon dont la question est formulée,
l’absence de casier judiciaire peut ne pas être pertinente.
L’infraction
pour possession de moins que 30 grammes de marijuana étant une infraction jugée
sur déclaration sommaire de culpabilité, les empreintes digitales d’une
personne ne devraient plus être relevées suite à son arrestation.
Les empreintes digitales constituant la base du casier judiciaire, cette
seule infraction ne devrait pas mener à la constitution d’un dossier
judiciaire sur CPIC. Toutefois,
avant la réforme de la loi en 1996, les personnes accusées de simple
possession étaient sujettes à l’ouverture d’un casier judiciaire et, au début
des années 1990, plus de 500 000 Canadiens possédaient un casier
judiciaire pour possession de cannabis.[28]
À cause
de la complexité de cette situation, on peut se demander si les personnes qui
ont été condamnées pour une infraction, quelle que soit la sentence imposée
ou s’ils ont reçu un pardon, connaissent leurs droits. Par exemple, lorsqu’elles complètent un formulaire
d’emploi, la plupart des personnes auraient probablement de la difficulté à
répondre à certaines questions reliées à leur passé criminel.
Contestations
judiciaires[29]
On ne s’étonnera pas
que les contestations en vertu de la Charte
concernant la validité des lois prohibant l’usage des drogues aient
jusqu’ici porté sur la marijuana, et non sur des drogues plus dures comme la
cocaïne ou l’héroïne. La
jurisprudence concernant le droit au cannabis à des fins médicales ayant été
examinée au chapitre 13, cette section portera sur les cas où l’on
revendique le droit d’utiliser des drogues à des fins non thérapeutiques (ou
récréatives). Les revendications
relatives à l’usage à des fins médicales ont obtenu plus de succès, mais
les tribunaux prennent plus au sérieux qu’il y a quelques années les requérants
prônant l’usage à des fins récréatives.
Jusqu’ici, au Canada, les tribunaux ont
confirmé l’interdiction législative de l’usage non thérapeutique de la
marijuana. Mais leurs motifs sont
maintenant plus élaborés, nombreux et étayés.
Cela traduit manifestement, du moins en partie, une évolution de la
perception judiciaire de la portée de l’article 7 de la Charte.
Nous n’avons trouvé aucun cas de contestation de l’interdiction de la marijuana ou d’autres drogues en vertu de la Déclaration canadienne des droits. Cela s’explique, du moins en partie, par la façon dont les tribunaux abordent la Déclaration des droits en général et la clause relative à « l’application régulière de la loi » en particulier. C’est avec circonspection que les tribunaux ont appliqué la Déclaration des droits, qui, comme il s’agit d’une loi ordinaire, « ne traduit pas » selon eux « un mandat constitutionnel clair de rendre des décisions judiciaires ayant pour effet de limiter ou de restreindre la souveraineté traditionnelle du Parlement »[30]. De plus, le principe de « l’application régulière de la loi » se limitait, selon le point de vue d’alors, à l’équité de la procédure, et le droit à la « liberté » était visiblement censé signifier uniquement la protection contre la contrainte physique.
Le premier cas de contestation en vertu de la Charte relativement à l’infraction de possession de narcotique illicite (en l’occurrence de la marijuana) fut l’affaire R. c. Lepage (8 mai 1989)[31], portée devant la Cour supérieure du Québec. Cependant, ce jugement n’a pas été publié, et nous n’avons pas pu en trouver d’exemplaire ; nous ne disposons donc pas des motifs de la décision ni des dispositions de la Charte qui y ont été invoquées.
La décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans l’affaire R. c. Cholette (1993)[32] est la première que nous ayons pu trouver qui ait trait directement à une contestation de l’interdiction de la marijuana en vertu de l’article 7 de la Charte. En l’espèce, l’accusé soutenait que l’interdiction enfreignait son droit à la sécurité de sa personne selon l’article 7. L’accusé avait évoqué les bienfaits qu’il retirait de l’usage de la marijuana et contesté les motifs de la décision initiale du gouvernement lorsqu’il a interdit la marijuana en 1923 (l’accusé estimait que cela traduisait un préjugé et un stéréotype antiasiatique) et le maintien de cette interdiction, affirmant que rien ne prouvait que la société subissait des torts importants à cet égard. Le juge Dorgan a rejeté l’argument de l’accusé et conclu que celui-ci n’avait pas fait la preuve que l’interdiction de la marijuana [Traduction] « entrave de quelque manière concrète le droit d’avoir accès à un traitement médical pour des troubles représentant un danger pour la vie ou la santé de l’accusé […]. »[33]
Quatre mois après l’affaire Cholette, la Cour d’appel du Québec a dû répondre à des arguments du même genre dans l’affaire R. c. Hamon (1993).[34] Cette fois, l’accusé s’inspirait d’une conception plus large du droit à la liberté proposée par la juge Wilson dans l’affaire Morgentaler, faisant valoir que la décision de consommer de la marijuana était une décision personnelle. L’accusé estimait par ailleurs que, comme la marijuana ne cause pas vraiment de tort à la collectivité (ou du moins pas plus que le tabac ou l’alcool), son interdiction était arbitraire et irrationnelle et, par conséquent, contraire aux principes de justice fondamentale. Le juge Beauregard, parlant pour la Cour, était disposé à supposer qu’une interdiction pénale arbitraire serait contraire aux principes de justice fondamentale.[35] Mais le tribunal a conclu que cette interdiction n’était pas arbitraire et il a accepté le témoignage du spécialiste invité à comparaître pour le gouvernement selon lequel l’usage du cannabis avait des effets néfastes sur les utilisateurs et sur la collectivité.[36] De plus, le tribunal a rejeté la proposition que la décision du gouvernement de traiter le cannabis différemment du tabac et de l’alcool était injuste.[37] L’autorisation de faire appel de cette décision devant la Cour suprême du Canada fut refusée.
En 1997, dans l’affaire R. c. Hunter[38], le juge Drake de la Cour suprême de la Colombie-Britannique a répondu à une contestation de l’interdiction de la marijuana et de la psilocybine en vertu de diverses dispositions de la Charte. Le juge a rejeté sommairement les arguments de l’accusé selon lesquels les interdictions enfreignaient les droits garantis par l’article 7 en matière de liberté et de sécurité de la personne, déclarant simplement que [Traduction] « les deux lois comportent des interdictions raisonnables contre certains comportements et que la portée de leur application n’est pas exagérée » et invoquant, pour l’approuver, la décision de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Hamon.[39]
Dans les affaires antérieures relatives à
des contestations de l’interdiction de la marijuana (et de la psilocybine dans
l’affaire Hunter) en vertu de
l’article 7 de la Charte, les
tribunaux avaient rejeté ces arguments sans trop s’y attarder.
Cependant, dans deux décisions de tribunaux provinciaux publiées en
2000, des arguments semblables ont fait l’objet d’une analyse plus
approfondie.
La première est l’affaire R. c. Malmo-Levine (et la décision complémentaire Regina c. Caine)[40], qui a fait l’objet d’un jugement de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique publié le 2 juin 2000. En l’espèce, une majorité de la Cour a conclu que la prohibition pénale de la simple possession de marijuana est conforme à l’article 7 de la Charte.
Premièrement, la Cour a décidé que le droit à la liberté garanti à l’accusé par l’article 7 était en jeu du fait que la peine prévue pour l’infraction pouvait être l’emprisonnement et qu’il n’était donc pas nécessaire de décider si l’usage personnel de marijuana à des fins récréatives était un droit garanti par ailleurs dans le cadre du droit à la « liberté ».[41]
S’exprimant au nom de la majorité, le juge Braidwood s’est ensuite attelé à la tâche de circonscrire et de définir les principes de justice fondamentale applicables en l’espèce. Après avoir pris connaissance de la jurisprudence ordinaire et de la jurisprudence constitutionnelle, de la doctrine juridique et de traités de philosophie (notamment de John Stuart Mill), et des rapports de la Commission de réforme du droit, la Cour a accepté l’argument de l’accusé, qui soutenait que les principes de justice fondamentale au sens de l’article 7 de la Charte comportent un précepte formulé comme « principe du préjudice », selon lequel une personne ne doit pas être emprisonnée à moins que ses activités ne risquent de causer préjudice aux autres.[42] De plus, ce principe suppose que le degré de préjudice en question ne soit [Traduction] « ni insignifiant ni négligeable ».[43]
Le « principe du préjudice » considéré comme principe de justice fondamentale s’inscrit dans la foulée de la prémisse avancée par la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Hamon selon laquelle une interdiction arbitraire et irrationnelle est contraire à l’article 7 de la Charte.
Comme dans l’affaire Hamon, la majorité de la Cour dans l’affaire Malmo-Levine a conclu que l’interdiction n’était pas
arbitraire. Le juge Braidwood,
parlant au nom de la majorité de la Cour, a soutenu que l’interdiction pénale
de possession de marijuana satisfaisait le principe du préjudice.
La majorité a conclu que le Parlement avait eu des « motifs
raisonnables » d’interdire la marijuana étant donné les constatations
suivantes au sujet des effets de son usage sur la santé :
v
Affaiblissement de la capacité à conduire, à
piloter ou à faire fonctionner des machines complexes, et à cet égard les
utilisateurs risquent de causer préjudice aux autres comme à eux-mêmes
(quoiqu’on ne puisse pas dire que le nombre d’accidents attribuables à la
consommation de marijuana est important).
v
Risque pour le consommateur de devenir un
utilisateur « chronique ». Environ
5 % des consommateurs de marijuana sont des utilisateurs chroniques, et il
est impossible de prévoir qui est susceptible de devenir un utilisateur
chronique. Si la marijuana était légalisée,
le nombre de consommateurs et donc d’utilisateurs chroniques risquerait
d’augmenter.
v
Risques accrus pour la santé des « personnes
vulnérables », par exemple les jeunes adolescents.
v
Risques de coûts supplémentaires pour le système
de santé et le système d’aide sociale (bien que, aux taux actuels de
consommation, ces coûts seraient « négligeables » comparativement
aux coûts associés à la consommation de tabac ou d’alcool).[44]
Le juge Braidwood a ensuite mis en balance
les intérêts de l’État et les droits de la personne, selon le point de vue
adopté par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Cunningham, pour déterminer si l’interdiction pénale de la
possession de marijuana constituait un « juste équilibre » entre
les intérêts individuels et les intérêts collectifs.
Du point de vue individuel, la Cour a évalué les effets délétères de
l’emprisonnement et de l’établissement d’un casier judiciaire sur la
personne et sa famille. Elle a également
rappelé le manque de respect et de confiance à l’égard des lois antidrogues
qu’alimente l’interdiction de possession de marijuana.
Du côté des intérêts de l’État, la Cour a évalué le fait que le
maintien de l’interdiction puisse servir à limiter autant que possible les préjudices
causés aux utilisateurs éventuels et à la société par l’usage du
cannabis, qui, [Traduction] « si
minimes soient-ils […] ne sont ni
insignifiants ni négligeables ».[45]
La Cour a par ailleurs fait remarquer que, dans la pratique, il y a de
bonnes chances qu’une personne mise en accusation pour simple possession de
marijuana fasse l’objet d’une légère amende ou soit relâchée, à moins
qu’il s’agisse d’un récidiviste.[46]
Il n’en reste pas moins, a-t-elle ajouté, que la menace d’une peine
d’emprisonnement demeure et que, quoi qu’il en soit, [Traduction] « tous
les ans, des milliers de Canadiens se voient attribuer un casier judiciaire en
raison d’une activité remarquablement bénigne ».[47]
Enfin, le juge Braidwood a fait remarquer que le résultat de l’évaluation comparative des intérêts en jeu était [Traduction] « très serré » et que « il n’y avait pas clairement de gagnant ».[48] Il a cependant rappelé que le Parlement doit faire l’objet d’une certaine déférence dans les questions relatives à l’ordre public et il est revenu à sa conclusion que, même si la menace que représente la marijuana n’est pas très grave, il n’était pas nécessaire qu’elle le soit pour que le Parlement intervienne.[49] Du point de vue des principes de justice fondamentale, il suffit d’une « appréhension raisonnée du préjudice ».[50] Comme cela a été démontré, la majorité a rejeté la contestation présentée par l’accusé en vertu de l’article 7.
Dans son opinion dissidente, le juge Prowse, tout en étant d’accord avec une grande partie de l’analyse du juge Braidwood, a estimé que l’article 7 et le principe du préjudice exigeaient un degré de dommage plus élevé que simplement non insignifiant ou non négligeable pour justifier une interdiction pénale. Comme l’accusé avait pu démontrer l’absence de preuves attestant une appréhension raisonnable de tort « grave, substantiel ou important », le juge Prowse aurait conclu que l’interdiction pénale de la simple possession de marijuana enfreignait l’article 7 de la Charte.[51]
Dans l’affaire R. c. Clay[52] (31 juillet 2000), la Cour d’appel de l’Ontario a abordé à peu près les mêmes questions que celles qui ont été traitées dans l’affaire Malmo-Levine. De plus, c’est un tribunal unanime de la Cour d’appel de l’Ontario qui a conclu dans le même sens que la majorité de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique le mois précédent.
Dans l’affaire Clay, le juge Rosenberg, parlant pour la Cour, a accepté le
« principe du préjudice » explicité par le juge Braidwood dans
l’affaire Malmo-Levine.[53]
Il a entre autres rappelé que la notion d’un « principe du préjudice »
contenue à l’article 7 était conforme à la déclaration du juge Sopinka
dans l’affaire Rodriguez, énonçant
que « lorsque la restriction du
droit en cause ne fait que peu ou rien pour promouvoir l’intérêt de l’État
(quel qu’il puisse être), il […] semble qu’une violation de la justice fondamentale sera établie
puisque la restriction du droit du particulier n’aura servi aucune fin valable ».[54]
De plus, en appliquant le « principe
du préjudice » à l’interdiction pénale de la possession de marijuana,
la Cour est parvenue à la même conclusion que la majorité dans l’affaire Malmo-Levine :
comme il existe des preuves que le tort causé par la marijuana n’est ni négligeable
ni insignifiant, le Parlement a des motifs raisonnables d’intervenir comme il
l’a fait, et l’interdiction de la marijuana est donc conforme aux principes
de justice fondamentale au sens de l’article 7.[55]
Dans l’affaire Clay, le juge Rosenberg, a fait remarquer que, si les raisons initiales d’inclure la marijuana parmi les narcotiques prohibés reflétaient peut-être un certain « racisme » et des « craintes irrationnelles et sans fondement », l’objectif, valable celui-là, d’éviter des préjudices aux Canadiens demeurait constant.[56] La Cour a également rejeté (du point de vue de l’analyse constitutionnelle) la pertinence des arguments et des éléments de preuve selon lesquels des substances licites, comme l’alcool et le tabac, causent des dommages plus grands que la marijuana : [Traduction] « le fait que le Parlement n’ait pas pu ou pas voulu interdire l’usage d’autres substances plus dangereuses n’exclut pas son intervention à l’égard de la marijuana, pourvu qu’il ait des motifs raisonnables de le faire ».[57] La Cour a conclu que tel était le cas et elle a confirmé l’interdiction de la possession de marijuana, sauf à des fins médicales (lequel cas a été analysé par la Cour dans l’affaire parallèle R. c. Parker, dont nous avons parlé au chapitre 13).[58]
Comme dans l’affaire Malmo-Levine, la Cour a conclu dans l’affaire Clay que l’article 7 de la Charte avait été évoqué en raison de la possibilité d’emprisonnement, qui renvoyait au droit à la liberté de l’accusé. La Cour a cependant été plus loin dans l’affaire Clay, où elle a répondu à l’argument que l’usage personnel en soi de marijuana était protégé en tant qu’aspect du droit à la liberté et/ou à la sécurité de la personne étant donné la conception élargie de ces droits par la Cour suprême du Canada dans les arrêts B. (R.) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, Nouveau-Brunswick (ministre de la Santé et des services communautaires) c. G. (J.) et Rodriguez (analysés plus haut). La Cour a conclu que l’usage personnel de la marijuana (en dehors de son usage médicinal effectif) ne mettait pas en jeu [Traduction] « l’aspect plus large du droit à la liberté » qui protège la liberté de prendre des décisions « d’importance fondamentale pour la personne ».[59] Il n’entrait pas non plus dans la sphère de l’autonomie personnelle, qui englobe le droit de [Traduction] « faire des choix concernant son propre corps » et le droit [Traduction] « à la dignité humaine fondamentale » en tant qu’aspects du droit à la sécurité de la personne.[60]
La Cour suprême est actuellement saisie des affaires Malmo-Levine, Caine et Clay. La Cour sera appelée à décider si l’article 7 de la Charte contient le « principe du préjudice » et à répondre à la question connexe, soit le seuil de préjudice acceptable : est-il suffisant que le préjudice ne soit « ni insignifiant ni négligeable » ou faut-il qu’il y ait appréhension raisonnable de préjudice grave, considérable ou important ?
Conclusions
Conclusions du chapitre 15 |
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Ø Les coûts reliés aux poursuites pour infractions liées aux drogues en 2000-2001 s’élevaient à 57 millions $ dont environ 5 millions $ correspondaient à des poursuites pour infractions de possession de cannabis, ou environ 10 % du budget total. Ø En 1999, on évalue que les tribunaux de justice pénale canadiens ont traité 34 000 affaires liées aux drogues nécessitant plus de 400 000 comparutions. Ø Les initiatives des tribunaux de traitement de la toxicomanie semblent encourageantes mais il faudra attendre les résultats des évaluations pour s’assurer que ces programmes sont efficaces. Ø Les données relatives à la décision et à la détermination de sanction pour ce qui est des infractions liées aux drogues, sont faibles et il existe un besoin urgent de corriger cette situation. Ø Le Service correctionnel du Canada dépense un montant évalué à 169 millions $ pour faire face aux drogues illicites au moyen de l’incarcération, de programmes de lutte contre la toxicomanie, de programmes de traitement et de mesures de sécurité ; les dépenses pour les programmes de lutte contre la toxicomanie sont relativement peu élevées compte tenu du nombre de détenus qui ont de tels problèmes. Ø Une condamnation criminelle liée aux drogues peut causer un impact négatif sur la situation financière d’une personne, sur ses perspectives d’emploi et restreindre sa capacité à voyager à l’étranger. De plus, cela peut constituer un facteur important lors d’une future implication avec le système de justice pénale. Ø Les cours d’appel provinciales ont jusqu’à maintenant maintenu la constitutionnalité de l’interdiction du cannabis. Elles ont observé que les dommages causés par la consommation de marijuana ne sont ni insignifiants ni négligeables, justifiant ainsi le Parlement d’agir comme il l’a fait, et ont donc conclu que l’interdiction de la marijuana est par conséquent en accord avec les principes de justice fondamentale de l’article 7 de la Charte. Ces décisions ont fait l’objet d’un appel et la Cour Suprême du Canada décidera bientôt si l’interdiction du cannabis à des fins non médicales est constitutionnelle. |
[1]
Rapport de la vérificatrice
générale du Canada 2001, Chapitre
11 – Les drogues illicites : Le rôle du gouvernement fédéral, page 13.
[2]
Croft Michaelson, directeur et avocat général principal, Section de l’élaboration
des politiques stratégiques en matière de poursuites, Justice Canada, Témoignage
devant le Comité spécial sur les drogues illicites, Sénat du Canada,
première session de la trente-septième législature, Fascicule no
22, page 54.
[3]
Single, E., et coll., (1996) Les
coûts de l’abus des substances au Canada : Une étude sur l’estimation
des coûts, Ottawa : Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et
les toxicomanies.
[4]
Rapport de la vérificatrice
générale du Canada 2001, Chapitre
11 – Les drogues illicites : Le rôle du gouvernement fédéral, page 4.
[5]
Statistique Canada, Centre canadien de la statistique juridique, Juristat,
Dépenses de la justice au Canada, catalogue 85-002-XIE vol. 19, no
12, pages 7-9.
[6]
Patricia Bégin, directrice, Recherche et évaluation, Centre national de prévention
du crime, Délibérations du comité spécial sur les drogues illicites, Sénat
du Canada, première session de la trente-septième législature, 2001-2002,
Fascicule no 22, page 57.
[7] Patricia Bégin, directrice, Recherche et évaluation, Centre national de prévention du crime, Délibérations du comité spécial sur les drogues illicites, Sénat du Canada, première session de la trente-septième législature, 2001-2002, Fascicule no 22, page 58.
[8]
Patricia Bégin, directrice, Recherche et évaluation, Centre national de prévention
du crime, Délibérations du comité spécial sur les drogues illicites, Sénat
du Canada, première session de la trente-septième législature, 2001-2002,
Fascicule no 22, pages 58-60.
[9]
Rapport de la vérificatrice
générale du Canada 2001, Chapitre
11 – Les drogues illicites : Le rôle du gouvernement fédéral, page 15.
[10]
Statistique Canada, Centre canadien de la statistique juridique, Juristat,
Drogues illicites et criminalité au Canada, février 1999, page 7.
[11]
Ibid.
[12]
Croft Michaelson, directeur et avocat général principal, Section de l’élaboration
des politiques stratégiques en matière de poursuites, Justice Canada, Délibérations
du comité spécial sur les drogues illicites, Sénat du Canada, première
session de la trente-septième législature, 2001-2002, Fascicule no
22, pages 54-55.
[13]
Comité
permanent de lutte à la toxicomanie, La
déjudiciarisation de la possession simple de cannabis, juin 1999,
pages 11-13.
[14]
Dr Patricia Erickson, recherchiste, Centre de toxicomanie et de santé
mentale, Délibérations du comité spécial sur les drogues illicites, Sénat
du Canada, première session de la trente-septième législature, 2001,
Fascicule no 2, page 90.
[15]
Paul E. Kennedy, sous-solliciteur général adjoint principal, Secteur de la
police et de la sécurité, Solliciteur général du Canada, Délibérations
du comité spécial sur les drogues illicites, Sénat du Canada, première
session de la trente-septième législature, 2001-2002, Fascicule no
22, page 10.
[16]
Serge Brochu, professeur, Université de Montréal, Délibérations du comité
spécial sur les drogues illicites, Sénat du Canada, première session de
la trente-septième législature, 2001, Fascicule no 12, pages 23-24.
[17]
Rapport de la vérificatrice
générale du Canada 2001, Chapitre
11 – Les drogues illicites : Le rôle du gouvernement fédéral, page 15.
[18]
Rapport de la vérificatrice
générale du Canada 2001, Chapitre
11 – Les drogues illicites : Le rôle du gouvernement fédéral, page 18.
[19]
Service correctionnel du Canada, Forum – Recherche sur l’actualité
correctionnelle, volume 13, no 3, septembre 2001, page 25.
La possession en vue de faire du trafic est comprise dans les
chiffres pour le trafic.
[20]
Ibid.
Certains contrevenants peuvent être représentés dans plus d’une
catégorie d’infraction reliée aux drogues.
[21]
Ibid.
Certains contrevenants peuvent être représentés dans plus d’une
catégorie d’infraction reliée aux drogues.
[22]
Ibid.
[23]
Service correctionnel du Canada, Forum
– Recherche sur l’actualité correctionnelle, Profil de la
population de délinquants condamnés pour une infraction liée à la drogue
dans le système correctionnel fédéral canadien, septembre 2001, volume
13, no 3, page 26.
[24]
Dr Patricia Erickson, recherchiste, Centre de toxicomanie et de santé
mentale, Délibérations du comité spécial sur les drogues illicites, Sénat
du Canada, première session de la trente-septième législature, 2001,
Fascicule no 2, pages 82-90.
[25]
Ibid.
[26]
Alan Young, professeur agrégé, Osgoode Hall Law School, Délibérations du
comité spécial sur les drogues illicites, Sénat du Canada, première
session de la trente-septième législature, 2001, Fascicule no 5,
page 27.
[27]
Dr Patricia Erickson, recherchiste, Centre de toxicomanie et de santé
mentale, Délibérations du comité spécial sur les drogues illicites, Sénat
du Canada, première session de la trente-septième législature, 2001,
Fascicule no 2, page 99.
[28]
Patricia Erickson et Benedikt Fisher, Politique
canadienne sur le cannabis : conséquences de la criminalisation, réalité
actuelle et possibilités d’action future, Communication
présentée dans le cadre du Symposium international sur la politique en
matière de cannabis, le droit criminel et les droits de la personne à
Bremen, en Allemagne, du 5 au 7 octobre 1995.
[29]
La présente section est en grande partie inspirée du document intitulé La
prohibition des drogues et la Constitution, préparé pour le Comité spécial
du Sénat sur les drogues illicites par David Goetz, Division du droit et du
gouvernement, Direction de la recherche parlementaire, Bibliothèque du
Parlement, 1er mars 2001.
[30] R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613, par. 639, selon le juge Le Dain.
[31] Bruce A. MacFarlane, Robert J. Frater et Chantal Proulx, Drug Offences in Canada, Aurora (Ontario), Canada Law Book, 1996 (révisé en novembre 2000) (non relié), pages 4-27.
[32]
[1993] B.C.J. no 2616.
[33]
Ibid.,
par. 9.
[34]
20 C.R.R., (2d) 181, [1993] A.Q. no 1656.
[35] Ibid., par.183 C.R.R. et par. 14, [1993] A.Q.
[36] Ibid., par.183-184 C.R.R. et par. 17-20, [1993] A.Q
[37] Ibid., par.185 C.R.R. et par. 22-26, [1993] A.Q