Une coupe impeccable : le sculpteur du Dominion, Phil White, revient sur ses 15 années en tant que sculpteur en chef du Parlement
Il n’y a aucun autre métier comme celui-ci. Il faut remonter aux années 1400 et aux générations de maçons qui ont construit les cathédrales gothiques d’Europe pendant des décennies pour trouver quelque chose de comparable au rôle de sculpteur du Dominion du Canada.
Phil White, la cinquième personne à occuper ce poste, est l’équivalent moderne des maîtres maçons de l’époque médiévale puisqu’il joue les rôles de sculpteur en chef, de maçon, de designer et de conservateur.
En tant que sculpteur officiel du Parlement, il a laissé sa trace non seulement à l’édifice du Centre, mais aussi à l’édifice de l’Ouest, restauré récemment, et à l’édifice du Sénat du Canada, lequel a été modernisé. Il met présentement la touche finale à une carrière des plus remarquables.
Après 15 années de travail aussi exigeant qu’enrichissant, M. White a décidé d’accrocher marteau et ciseau. SenCAplus a discuté avec lui de sa retraite prochaine, du rôle qu’il a joué pour façonner les édifices du Parlement du Canada et de l’héritage qu’il compte léguer au prochain sculpteur du Dominion.
Pourquoi le Canada a-t-il nommé un sculpteur du Dominion?
Le Programme de sculptures du Canada remonte à l’idée originale lancée en 1916 par l’architecte en chef de l’édifice du Centre, John A. Pearson, qui souhaitait laisser des milliers de blocs de pierre vierges un peu partout dans l’édifice à l’intention des futures générations de sculpteurs. Il voulait que le style et le contenu des sculptures évoluent au fil du temps et permettent de documenter l’histoire et la culture du Canada et de la population canadienne en temps réel.
On ne trouve rien de semblable ailleurs dans le monde.
Qui vous a le plus influencé sur le plan artistique?
J’ai beaucoup appris auprès d’une amie de ma mère, Betty Grey, qui était une artiste et une enseignante de Peterborough, là où j’ai grandi. J’étudiais avec elle tous les samedis matins au YWCA, de l’âge de 8 ans jusqu’à l’âge de 12 ans.
Elle nous emmenait pour l’aider à travailler sur des décors pour la troupe de théâtre locale. Voilà qui semble peut-être étrange, mais la conception de décors, c’est-à-dire la création d’éléments destinés à être vus de loin, a beaucoup de points en commun avec la sculpture architecturale. Il faut utiliser la lumière et les ombres, tenir compte de l’angle de la lumière et accentuer les détails pour les faire ressortir de loin.
À cette époque, ma famille se rendait régulièrement en Colombie-Britannique pour rendre visite à des proches et c’est là que j’ai commencé à m’intéresser à l’art de la côte du Nord-Ouest. J’ai vraiment aimé ses lignes fluides et la simplicité de ses formes, notamment dans l’œuvre de l’artiste haïda Bill Reid. On peut voir certaines de ses œuvres au dos de l’ancien billet de 20 dollars. J’ai toujours été intrigué par la façon dont il équilibre les espaces positifs et négatifs.
Comment avez-vous entendu parler du Programme de sculptures du Parlement?
À 17 ans, je vendais mes œuvres à la Whetung Gallery, près de Peterborough. Leur sculpteur vedette était un certain Joe Jacobs qui venait de décrocher une commande pour réaliser une grande sculpture en calcaire de l’Indiana pour les édifices du Parlement. Joe m’a parlé du Programme de sculptures en cours à Ottawa et m’a dit que son œuvre allait être installée dans l’entrée des députés à la Chambre des communes. Son histoire a éveillé mon intérêt.
J’ai appris à connaître le programme alors que je faisais partie du programme de conservation de l’art du collège Fleming, à Peterborough. Dans les années 1980, nous avons fait un voyage à Ottawa et nous avons visité l’ancien atelier de sculpture de Travaux publics, au parc Plouffe. J’ai alors rencontré Maurice Joanisse, qui a repris le poste de sculpteur du Dominion après le départ d’Eleanor Milne et qui est resté sur place pendant quelques années pour me donner un coup de main à la suite de ma nomination. Je ne m’étais pas rendu compte à l’époque que cette rencontre allait avoir une aussi grande influence sur mon avenir.
De quelle œuvre êtes-vous le plus fier?
Personnellement, je crois que les sept autels que j’ai conçus en 2012 pour mettre en évidence les Livres du Souvenir dans la Chapelle du Souvenir de la Tour de la Paix sont les œuvres les plus importantes que j’ai réalisées.
La Chapelle du Souvenir est un endroit très solennel. Nous voulions rendre hommage aux victimes de tous les conflits majeurs auxquels les Canadiens ont participé – y compris la Seconde Guerre mondiale, la guerre de Corée, la guerre des Boers et la guerre de 1812 – et leur accorder le même respect qu’aux personnes que nous avons perdues pendant la Première Guerre mondiale, lesquelles étaient honorées dans l’autel central original.
Ce projet revêt une signification particulière pour moi, puisque des membres de ma famille étaient mentionnés dans le Livre du Souvenir de la Première Guerre mondiale, et ma mère et mon père sont des anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale. C’était très important pour moi de bien faire les choses.
Quel projet avez-vous le plus aimé?
Le travail que j’ai réalisé pour l’édifice du Sénat du Canada a été très gratifiant sur le plan créatif et incroyablement valorisant.
J’ai beaucoup aimé travailler avec les représentants du Sénat, qui m’ont laissé énormément de liberté sur le plan artistique. Autant pour les écus des provinces et des territoires que pour les armoiries du Canada au-dessus de l’estrade du Président ainsi que les trônes du Canada, j’ai toujours eu l’impression que la qualité avait préséance sur l’échéancier.
Vous avez rencontré la reine Elizabeth en 2010, alors que vous aviez quatre projets en cours pour souligner son jubilé de diamant en 2012. Comment la rencontre s’est-elle déroulée?
Je m’en souviens très bien. C’était en juin 2010. Je devais rencontrer la Reine lors d’une cérémonie à Rideau Hall, la résidence du gouverneur général. Nous devions dévoiler ensemble un modèle en plâtre du buste de pierre à son effigie qui se trouve maintenant dans le foyer du Sénat à l’édifice du Centre.
Tout le monde, y compris une rangée entière de caméras et de téléobjectifs, avait pris place le long du mur ou dans un coin de la salle, sauf moi. J’étais en plein milieu de la salle bien en évidence, à côté de cette sculpture de plâtre recouverte d’une couverture de velours.
Ma femme regardait la cérémonie à la télévision, et a remarqué que j’ai passé un très long moment à frotter ma manche gauche avec ma main droite.
La Reine est arrivée, et elle s’est éventuellement approchée de moi. Elle s’est arrêtée pour discuter de la sculpture pendant un certain temps. Elle était très satisfaite du résultat, elle m’a demandé quels matériaux nous avions utilisés et elle m’a demandé où elle serait installée. Après le stress de l’attente, cette discussion était extrêmement agréable.
À mon retour à la maison, ma femme m’a demandé pourquoi je frottais ma manche ainsi. Je lui ai répondu que je suais abondamment et que je m’efforçais d’essuyer la sueur de ma main. Je ne voulais pas tendre une main moite à la Reine.
Le Programme de sculptures du Parlement repose-t-il sur des bases solides?
Oui, je peux dire avec conviction que le Programme est solide, plus qu’il ne l’a jamais été depuis plusieurs dizaines d’années. J’ajouterais que nous continuons à renforcer ces bases. Le « nous » fait référence aux deux assistants que j’ai embauchés il y a trois ans, John-Philippe Smith et Nicholas Thompson.
Philippe a suivi une formation de maçon et est devenu un spécialiste de la sculpture sur pierre à Paris. Il a réalisé des travaux de pierre sur mesure pour des dizaines de maisons patrimoniales à Ottawa et dans les environs, et il était récemment responsable du remplacement des sculptures de l’édifice de l’Ouest.
Nick a obtenu une maîtrise en urbanisme de l’Université McGill et un diplôme de l’Université de Cambridge en conservation des édifices patrimoniaux. Il a aussi terminé le très prestigieux programme de sculpture sur pierre de la City and Guilds Art School de Londres.
Les deux sont d’excellents sculpteurs.
Pourquoi avez-vous décidé de prendre votre retraite maintenant?
Beaucoup de facteurs ont mené à cette décision. D’abord, cette année, je peux obtenir ma pension sans pénalité.
La COVID est elle aussi entrée en ligne de compte. La pandémie m’a fait beaucoup réfléchir. Ce n’est pas tellement le travail en soi qui m’a mené à cette décision, mais plutôt le désir de protéger tous les membres de ma famille, d’éviter les autobus et d’assurer la sécurité de tous. Ce sera plus facile à réaliser en prenant ma retraite.
Que comptez-vous faire de votre retraite?
Vous serez peut-être surpris d’apprendre que je compte faire beaucoup de sculpture.
J’ai accumulé 30 ans d’idées dans ma tête, soit depuis le début de ma carrière à Ottawa. J’ai l’intention de réaliser des projets que j’ai envie de faire depuis des années, sans avoir à suivre un thème précis, à rendre des comptes ou à respecter un échéancier établi. Je vais prendre le temps de faire les choses auxquelles je n’ai pas eu le temps de m’attaquer.
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Une coupe impeccable : le sculpteur du Dominion, Phil White, revient sur ses 15 années en tant que sculpteur en chef du Parlement
Il n’y a aucun autre métier comme celui-ci. Il faut remonter aux années 1400 et aux générations de maçons qui ont construit les cathédrales gothiques d’Europe pendant des décennies pour trouver quelque chose de comparable au rôle de sculpteur du Dominion du Canada.
Phil White, la cinquième personne à occuper ce poste, est l’équivalent moderne des maîtres maçons de l’époque médiévale puisqu’il joue les rôles de sculpteur en chef, de maçon, de designer et de conservateur.
En tant que sculpteur officiel du Parlement, il a laissé sa trace non seulement à l’édifice du Centre, mais aussi à l’édifice de l’Ouest, restauré récemment, et à l’édifice du Sénat du Canada, lequel a été modernisé. Il met présentement la touche finale à une carrière des plus remarquables.
Après 15 années de travail aussi exigeant qu’enrichissant, M. White a décidé d’accrocher marteau et ciseau. SenCAplus a discuté avec lui de sa retraite prochaine, du rôle qu’il a joué pour façonner les édifices du Parlement du Canada et de l’héritage qu’il compte léguer au prochain sculpteur du Dominion.
Pourquoi le Canada a-t-il nommé un sculpteur du Dominion?
Le Programme de sculptures du Canada remonte à l’idée originale lancée en 1916 par l’architecte en chef de l’édifice du Centre, John A. Pearson, qui souhaitait laisser des milliers de blocs de pierre vierges un peu partout dans l’édifice à l’intention des futures générations de sculpteurs. Il voulait que le style et le contenu des sculptures évoluent au fil du temps et permettent de documenter l’histoire et la culture du Canada et de la population canadienne en temps réel.
On ne trouve rien de semblable ailleurs dans le monde.
Qui vous a le plus influencé sur le plan artistique?
J’ai beaucoup appris auprès d’une amie de ma mère, Betty Grey, qui était une artiste et une enseignante de Peterborough, là où j’ai grandi. J’étudiais avec elle tous les samedis matins au YWCA, de l’âge de 8 ans jusqu’à l’âge de 12 ans.
Elle nous emmenait pour l’aider à travailler sur des décors pour la troupe de théâtre locale. Voilà qui semble peut-être étrange, mais la conception de décors, c’est-à-dire la création d’éléments destinés à être vus de loin, a beaucoup de points en commun avec la sculpture architecturale. Il faut utiliser la lumière et les ombres, tenir compte de l’angle de la lumière et accentuer les détails pour les faire ressortir de loin.
À cette époque, ma famille se rendait régulièrement en Colombie-Britannique pour rendre visite à des proches et c’est là que j’ai commencé à m’intéresser à l’art de la côte du Nord-Ouest. J’ai vraiment aimé ses lignes fluides et la simplicité de ses formes, notamment dans l’œuvre de l’artiste haïda Bill Reid. On peut voir certaines de ses œuvres au dos de l’ancien billet de 20 dollars. J’ai toujours été intrigué par la façon dont il équilibre les espaces positifs et négatifs.
Comment avez-vous entendu parler du Programme de sculptures du Parlement?
À 17 ans, je vendais mes œuvres à la Whetung Gallery, près de Peterborough. Leur sculpteur vedette était un certain Joe Jacobs qui venait de décrocher une commande pour réaliser une grande sculpture en calcaire de l’Indiana pour les édifices du Parlement. Joe m’a parlé du Programme de sculptures en cours à Ottawa et m’a dit que son œuvre allait être installée dans l’entrée des députés à la Chambre des communes. Son histoire a éveillé mon intérêt.
J’ai appris à connaître le programme alors que je faisais partie du programme de conservation de l’art du collège Fleming, à Peterborough. Dans les années 1980, nous avons fait un voyage à Ottawa et nous avons visité l’ancien atelier de sculpture de Travaux publics, au parc Plouffe. J’ai alors rencontré Maurice Joanisse, qui a repris le poste de sculpteur du Dominion après le départ d’Eleanor Milne et qui est resté sur place pendant quelques années pour me donner un coup de main à la suite de ma nomination. Je ne m’étais pas rendu compte à l’époque que cette rencontre allait avoir une aussi grande influence sur mon avenir.
De quelle œuvre êtes-vous le plus fier?
Personnellement, je crois que les sept autels que j’ai conçus en 2012 pour mettre en évidence les Livres du Souvenir dans la Chapelle du Souvenir de la Tour de la Paix sont les œuvres les plus importantes que j’ai réalisées.
La Chapelle du Souvenir est un endroit très solennel. Nous voulions rendre hommage aux victimes de tous les conflits majeurs auxquels les Canadiens ont participé – y compris la Seconde Guerre mondiale, la guerre de Corée, la guerre des Boers et la guerre de 1812 – et leur accorder le même respect qu’aux personnes que nous avons perdues pendant la Première Guerre mondiale, lesquelles étaient honorées dans l’autel central original.
Ce projet revêt une signification particulière pour moi, puisque des membres de ma famille étaient mentionnés dans le Livre du Souvenir de la Première Guerre mondiale, et ma mère et mon père sont des anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale. C’était très important pour moi de bien faire les choses.
Quel projet avez-vous le plus aimé?
Le travail que j’ai réalisé pour l’édifice du Sénat du Canada a été très gratifiant sur le plan créatif et incroyablement valorisant.
J’ai beaucoup aimé travailler avec les représentants du Sénat, qui m’ont laissé énormément de liberté sur le plan artistique. Autant pour les écus des provinces et des territoires que pour les armoiries du Canada au-dessus de l’estrade du Président ainsi que les trônes du Canada, j’ai toujours eu l’impression que la qualité avait préséance sur l’échéancier.
Vous avez rencontré la reine Elizabeth en 2010, alors que vous aviez quatre projets en cours pour souligner son jubilé de diamant en 2012. Comment la rencontre s’est-elle déroulée?
Je m’en souviens très bien. C’était en juin 2010. Je devais rencontrer la Reine lors d’une cérémonie à Rideau Hall, la résidence du gouverneur général. Nous devions dévoiler ensemble un modèle en plâtre du buste de pierre à son effigie qui se trouve maintenant dans le foyer du Sénat à l’édifice du Centre.
Tout le monde, y compris une rangée entière de caméras et de téléobjectifs, avait pris place le long du mur ou dans un coin de la salle, sauf moi. J’étais en plein milieu de la salle bien en évidence, à côté de cette sculpture de plâtre recouverte d’une couverture de velours.
Ma femme regardait la cérémonie à la télévision, et a remarqué que j’ai passé un très long moment à frotter ma manche gauche avec ma main droite.
La Reine est arrivée, et elle s’est éventuellement approchée de moi. Elle s’est arrêtée pour discuter de la sculpture pendant un certain temps. Elle était très satisfaite du résultat, elle m’a demandé quels matériaux nous avions utilisés et elle m’a demandé où elle serait installée. Après le stress de l’attente, cette discussion était extrêmement agréable.
À mon retour à la maison, ma femme m’a demandé pourquoi je frottais ma manche ainsi. Je lui ai répondu que je suais abondamment et que je m’efforçais d’essuyer la sueur de ma main. Je ne voulais pas tendre une main moite à la Reine.
Le Programme de sculptures du Parlement repose-t-il sur des bases solides?
Oui, je peux dire avec conviction que le Programme est solide, plus qu’il ne l’a jamais été depuis plusieurs dizaines d’années. J’ajouterais que nous continuons à renforcer ces bases. Le « nous » fait référence aux deux assistants que j’ai embauchés il y a trois ans, John-Philippe Smith et Nicholas Thompson.
Philippe a suivi une formation de maçon et est devenu un spécialiste de la sculpture sur pierre à Paris. Il a réalisé des travaux de pierre sur mesure pour des dizaines de maisons patrimoniales à Ottawa et dans les environs, et il était récemment responsable du remplacement des sculptures de l’édifice de l’Ouest.
Nick a obtenu une maîtrise en urbanisme de l’Université McGill et un diplôme de l’Université de Cambridge en conservation des édifices patrimoniaux. Il a aussi terminé le très prestigieux programme de sculpture sur pierre de la City and Guilds Art School de Londres.
Les deux sont d’excellents sculpteurs.
Pourquoi avez-vous décidé de prendre votre retraite maintenant?
Beaucoup de facteurs ont mené à cette décision. D’abord, cette année, je peux obtenir ma pension sans pénalité.
La COVID est elle aussi entrée en ligne de compte. La pandémie m’a fait beaucoup réfléchir. Ce n’est pas tellement le travail en soi qui m’a mené à cette décision, mais plutôt le désir de protéger tous les membres de ma famille, d’éviter les autobus et d’assurer la sécurité de tous. Ce sera plus facile à réaliser en prenant ma retraite.
Que comptez-vous faire de votre retraite?
Vous serez peut-être surpris d’apprendre que je compte faire beaucoup de sculpture.
J’ai accumulé 30 ans d’idées dans ma tête, soit depuis le début de ma carrière à Ottawa. J’ai l’intention de réaliser des projets que j’ai envie de faire depuis des années, sans avoir à suivre un thème précis, à rendre des comptes ou à respecter un échéancier établi. Je vais prendre le temps de faire les choses auxquelles je n’ai pas eu le temps de m’attaquer.