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Art et architecture

We All Have Something To Do (Nous avons tous quelque chose à faire)

Lorsqu’on m’a invité à choisir une œuvre du Sénat pour écrire, j’ai hésité avant d’opter pour ce choix. D’autres pièces m’intéressaient en raison de leur propriétaire, des personnes représentées, de leur utilisation, ou de leur correspondance à mon degré d’aise ou à mon domaine de connaissances. Pourtant, je revenais toujours à celle-ci. Une déclaration simple, mais forte autant dans son titre que dans sa représentation. Un message si universellement vrai et contenant tant de significations possibles, qui me revenait sans cesse en tête et me poussait à approfondir ma découverte.

Beaucoup de gens savent que Kinngait (Cape Dorset), Nunavut, est un haut lieu de la gravure inuite. Cette forme d’art a été introduite dans la région par James Houston à la fin des années 1950. Les Inuits maîtrisent depuis longtemps la sculpture sur pierre et sur os, et ils possèdent des compétences exceptionnelles en matière de conception, comme en témoignent les magnifiques appliqués en peau de phoque qui ornent leurs vêtements traditionnels, dont les récits sont intrinsèquement liés à la vie quotidienne. Mais cette technique était nouvelle. Complètement nouvelle. Papier, crayons de graphite et encre à report. James Houston a pu encourager certains Sikusalingmiuts à essayer cette technique dans une expérience prouvant que l’esprit d’innovation, porteur de culture inuite depuis des milliers d’années, peut se décliner dans de nouveaux domaines, sur du papier.

Lucy Qinnuayuak était l’une des artistes les plus prolifiques et les plus connues des années où la West Baffin Eskimo Cooperative a établi sa renommée et où les artistes de Cape Dorset ont explosé sur les scènes nationales et internationales. De 1961 à 1983, ses œuvres sont apparues dans tous les catalogues annuels de gravures sauf un, un effort de production et de diffusion supervisé et approuvé par le Canadian Eskimo Art Committee. Les oiseaux imaginaires de l’artiste, ses scènes de gens occupés à vivre au grand air, son ton léger et son humour ont été reproduits, et leurs représentations ont été sélectionnées pour être publiées plus de 100 fois. Tous les catalogues imprimés, aujourd’hui disponibles en ligne, nous offrent un large éventail de connaissances et de perspectives, notamment des entretiens intéressants avec Lucy Qinnuayuak. J’ai été frappée par elle, par son sentiment particulier – seul une fois le processus d’impression terminé, elle pouvait voir si son dessin était vraiment bon – et par son plaisir de savoir que les gens aimaient ses dessins et la connaissaient grâce à ceux-ci, même si elle ne les rencontrera jamais. 

Le titre Nous avons tous quelque chose à faire me rappelle tout simplement que chacun a un rôle dans la vie quotidienne. Ici, nous voyons un homme occupé à pêcher, une femme occupée à tendre des peaux et même un chien qui attend d’être utile. Je vois une histoire de raisons d’être et de partage des tâches pour une bonne dose quotidienne de sentiment de fierté et d’accomplissement.

Il est intéressant de noter que cette collaboration et ce sentiment partagé d’accomplissement se sont également transposés dans l’industrie de la gravure à Kinngait. Certes l’une des artistes les plus prolifiques de Kinngait, Lucy Qinnuayuak ne s’est jamais aventurée, comme bien d’autres, dans les processus de fabrication de pochoirs, de taille de pierre, d’encrage, de pressage ou de tirage nécessaires pour transformer un dessin en une impression publiée. Chacune de ces étapes requiert des compétences et une expertise particulières, et Mme Qinnuayuak avait confiance en ses collègues et respectait le rôle de chacun dans le processus d’impression du collectif. À son avis, ce n’est qu’une fois le processus complet achevé qu’elle pouvait se rendre compte de la valeur de sa contribution à cette entreprise commune. « Nous avons tous quelque chose à faire ».

Aujourd’hui, où me mènera cette rencontre, face à l’image d’une gravure de Lucy Qinnuayuak, qu’un collectionneur privé a prêtée pour être exposée au Sénat du Canada et me raconter une histoire? J’aime penser ceci : le coup de cœur que j’ai eu pour cette œuvre sans savoir pourquoi aurait rendu Mme Qinnuayuak heureuse, même si nous ne nous rencontrerons jamais. C’est mon simple, mais tout indiqué « quelque chose à faire » dans la vie continue de cette gravure.


Vania Gagnon est directrice au Musée de Saint-Boniface à Winnipeg, Manitoba.

Nous avons tous quelque chose à faire

Détails de l'objet

Artiste
Lucy Qinnuayuak
Culture inuite
Salluit, Nunavik (Québec), 1915
Cape Dorset (Nunavut), 1982

Titre
We All Have Something To Do (Nous avons tous quelque chose à faire)

Date
1964

Technique
Gravure sur pierre

Dimensions
H : 89 cm
L : 74 cm

Crédit
Collection de la Couronne pour les résidences officielles de la Commission de la capitale nationaleNational Capital Commission - Commission de la capitale nationale

Droits d’auteur sur l’image
© Dorset Fine Arts

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