L'isolement a des effets néfastes chez les prisonniers
KITCHENER (Ontario) — Une lumière grise se reflétait sur les tuiles du plancher du secteur d’isolement de la prison pour femmes Grand Valley, le vendredi 9 février 2018.
Ce jour‑là, il n’y avait aucune femme dans les cellules exiguës… seulement une trappe à fourmis rouges – seule tache de couleur vive – sous la porte de la cellule de surveillance des détenues à risque de suicide.
Des membres du Comité sénatorial des droits de la personne ont inspecté le secteur lors d’une mission d’étude à la prison pour femmes Grand Valley, à Kitchener (Ontario) et au Centre correctionnel communautaire de Keele, à Toronto.
La mission s’inscrivait dans le cadre de l’étude du comité sur les droits de la personne des prisonniers, qui a déjà mené ses membres à l’intérieur de certaines des prisons les plus tristement célèbres du pays.
Les unités d’isolement et à sécurité maximale de l’établissement Grand Valley ont leur propre morne histoire.
La porte qui mène à la première cellule du secteur d’isolement comporte deux panneaux de verre. La cellule est réservée aux prisonnières qui sont surveillées de près, car elles risquent de se suicider, ou parce qu’elles sont en observation en raison de leur état de santé mentale.
C’est là que le 19 octobre 2007, Ashley Smith est décédée, et ce, même si elle était en observation constante — une surveillance permanente à cause du risque de suicide.
Elle s’était passé un nœud coulant autour du cou, mais à l’issue d’une enquête, le coroner avait affirmé qu’il s’agissait d’un homicide : les gardiens avaient omis de pénétrer dans sa cellule pour retirer le nœud coulant parce que la direction leur avait ordonné d’y entrer seulement si la prisonnière ne respirait pas.
Elle ne pensait pas qu’elle mourrait, car elle s’était dit que les gardiens avaient le devoir de la sauver, mais, comme Howard Sapers l’a constaté au cours de son enquête sur sa mort, « l’enregistrement vidéo montre que le personnel correctionnel n’est pas
immédiatement intervenu face à cette urgence médicale ».
« Je suis tout à fait convaincu qu’un examen externe du placement en isolement
de Mme Smith aurait sûrement permis de trouver des solutions de rechange viables au
maintien en isolement délétère de la détenue dans des conditions très restrictives », a-t-il écrit.
Même un isolement de courte durée risque de porter atteinte à la santé mentale des prisonniers. L’imposition de la solitude avec des interactions humaines minimales — par exemple, on leur donne leurs repas par une fente dans la porte — garantit à toutes fins utiles qu’ils quitteront ce secteur dans un état pire que celui où il était à leur arrivée.
De plus, ce genre de confinement n’est pas limité au secteur d’isolement : les sénatrices se sont entretenues avec des prisonnières placées dans des cellules à sécurité maximale, dans de petites unités, et tenues à l’écart du reste de la population carcérale.
Dans une décision détaillée rendue en janvier 2018 (en anglais seulement) et abolissant des articles de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition qui régissent l’isolement, le juge Peter Leask de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a écrit que le confinement « est une forme d’isolement cellulaire qui expose tous les détenus fédéraux canadiens […] à des risques graves de subir des torts psychologiques ».
« De nombreux détenus risquent de souffrir de blessures mentales permanentes par suite de leur isolement, a‑t‑il écrit. Ces blessures se manifestent le plus souvent par une intolérance continue aux interactions sociales, ce qui a des répercussions sur la capacité des détenus de se réadapter avec succès à l’environnement social de la population carcérale générale et à l’ensemble de la communauté au moment de leur libération. »
Lors d’une audience publique tenue à Kitchener, des témoins ont souligné que la réintégration des prisonniers doit être une priorité du personnel du système correctionnel car la très grande majorité des détenus retourneront dans la communauté.
L’isolement n’est qu’un obstacle à la réintégration.
Le comité a entendu des témoignages selon lesquels les prisonnières de Grand Valley à qui l’on avait accordé un permis d’absence temporaire étaient toujours fouillées à nu à leur retour, sauf si elles avaient été accompagnées par des employés du Service correctionnel du Canada.
Pour les femmes qui ont subi une agression sexuelle, les fouilles à nu risquent d’être particulièrement traumatisantes. Un témoin a indiqué aux sénatrices qu’au moins 68 % des prisonnières avaient été agressées sexuellement.
Une femme incarcérée à l’établissement Grand Valley a affirmé qu’elle refusait de quitter la prison pendant ses menstruations parce qu’il était trop humiliant de devoir retirer son tampon devant les gardiens.
La sénatrice Wanda Thomas Bernard, présidente du comité, la sénatrice Salma Ataullahjan, vice-présidente, la sénatrice Jane Cordy, vice-présidente, et la sénatrice Kim Pate ont pris part à la mission d’étude.
L’étude se poursuit.
Articles connexes
Étiquettes
Nouvelles des comités
L'isolement a des effets néfastes chez les prisonniers
KITCHENER (Ontario) — Une lumière grise se reflétait sur les tuiles du plancher du secteur d’isolement de la prison pour femmes Grand Valley, le vendredi 9 février 2018.
Ce jour‑là, il n’y avait aucune femme dans les cellules exiguës… seulement une trappe à fourmis rouges – seule tache de couleur vive – sous la porte de la cellule de surveillance des détenues à risque de suicide.
Des membres du Comité sénatorial des droits de la personne ont inspecté le secteur lors d’une mission d’étude à la prison pour femmes Grand Valley, à Kitchener (Ontario) et au Centre correctionnel communautaire de Keele, à Toronto.
La mission s’inscrivait dans le cadre de l’étude du comité sur les droits de la personne des prisonniers, qui a déjà mené ses membres à l’intérieur de certaines des prisons les plus tristement célèbres du pays.
Les unités d’isolement et à sécurité maximale de l’établissement Grand Valley ont leur propre morne histoire.
La porte qui mène à la première cellule du secteur d’isolement comporte deux panneaux de verre. La cellule est réservée aux prisonnières qui sont surveillées de près, car elles risquent de se suicider, ou parce qu’elles sont en observation en raison de leur état de santé mentale.
C’est là que le 19 octobre 2007, Ashley Smith est décédée, et ce, même si elle était en observation constante — une surveillance permanente à cause du risque de suicide.
Elle s’était passé un nœud coulant autour du cou, mais à l’issue d’une enquête, le coroner avait affirmé qu’il s’agissait d’un homicide : les gardiens avaient omis de pénétrer dans sa cellule pour retirer le nœud coulant parce que la direction leur avait ordonné d’y entrer seulement si la prisonnière ne respirait pas.
Elle ne pensait pas qu’elle mourrait, car elle s’était dit que les gardiens avaient le devoir de la sauver, mais, comme Howard Sapers l’a constaté au cours de son enquête sur sa mort, « l’enregistrement vidéo montre que le personnel correctionnel n’est pas
immédiatement intervenu face à cette urgence médicale ».
« Je suis tout à fait convaincu qu’un examen externe du placement en isolement
de Mme Smith aurait sûrement permis de trouver des solutions de rechange viables au
maintien en isolement délétère de la détenue dans des conditions très restrictives », a-t-il écrit.
Même un isolement de courte durée risque de porter atteinte à la santé mentale des prisonniers. L’imposition de la solitude avec des interactions humaines minimales — par exemple, on leur donne leurs repas par une fente dans la porte — garantit à toutes fins utiles qu’ils quitteront ce secteur dans un état pire que celui où il était à leur arrivée.
De plus, ce genre de confinement n’est pas limité au secteur d’isolement : les sénatrices se sont entretenues avec des prisonnières placées dans des cellules à sécurité maximale, dans de petites unités, et tenues à l’écart du reste de la population carcérale.
Dans une décision détaillée rendue en janvier 2018 (en anglais seulement) et abolissant des articles de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition qui régissent l’isolement, le juge Peter Leask de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a écrit que le confinement « est une forme d’isolement cellulaire qui expose tous les détenus fédéraux canadiens […] à des risques graves de subir des torts psychologiques ».
« De nombreux détenus risquent de souffrir de blessures mentales permanentes par suite de leur isolement, a‑t‑il écrit. Ces blessures se manifestent le plus souvent par une intolérance continue aux interactions sociales, ce qui a des répercussions sur la capacité des détenus de se réadapter avec succès à l’environnement social de la population carcérale générale et à l’ensemble de la communauté au moment de leur libération. »
Lors d’une audience publique tenue à Kitchener, des témoins ont souligné que la réintégration des prisonniers doit être une priorité du personnel du système correctionnel car la très grande majorité des détenus retourneront dans la communauté.
L’isolement n’est qu’un obstacle à la réintégration.
Le comité a entendu des témoignages selon lesquels les prisonnières de Grand Valley à qui l’on avait accordé un permis d’absence temporaire étaient toujours fouillées à nu à leur retour, sauf si elles avaient été accompagnées par des employés du Service correctionnel du Canada.
Pour les femmes qui ont subi une agression sexuelle, les fouilles à nu risquent d’être particulièrement traumatisantes. Un témoin a indiqué aux sénatrices qu’au moins 68 % des prisonnières avaient été agressées sexuellement.
Une femme incarcérée à l’établissement Grand Valley a affirmé qu’elle refusait de quitter la prison pendant ses menstruations parce qu’il était trop humiliant de devoir retirer son tampon devant les gardiens.
La sénatrice Wanda Thomas Bernard, présidente du comité, la sénatrice Salma Ataullahjan, vice-présidente, la sénatrice Jane Cordy, vice-présidente, et la sénatrice Kim Pate ont pris part à la mission d’étude.
L’étude se poursuit.