Le projet de loi sur l’aide médicale à mourir à l’étude au Sénat
Le projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir), rendrait certaines dispositions du Code criminel régissant l’aide médicale à mourir conformes à la décision d’un tribunal du Québec qui a déclaré inconstitutionnelles certaines dispositions actuelles.
Le 17 juin 2016, un projet de loi qui légalisait l’aide médicale à mourir a reçu la sanction royale. Des dispositions du projet de loi C-14, Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d’autres lois (aide médicale à mourir), ont par la suite fait l’objet d’une contestation judiciaire.
Le 11 septembre 2019, la juge Christine Baudouin, de la Cour supérieure du Québec, a statué que le fait de limiter l’admissibilité à l’aide médicale à mourir aux personnes dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible contrevient à la Charte canadienne des droits et libertés. La juge Baudouin a accordé un délai de six mois au gouvernement fédéral pour modifier la loi avant l’entrée en vigueur de sa décision. Le gouvernement a demandé et obtenu des prolongations et doit désormais modifier la loi d’ici le 26 mars 2021.
Le projet de loi apporte également des modifications dont il n’était pas question dans la décision de la juge Baudouin.
CHRONOLOGIE
Le 6 février 2015
La Cour suprême statue dans l’arrêt Carter c. Canada (procureur général) que les interdictions du Code criminel relatives à l’aide à mourir « sont inopérant[e]s dans la mesure où [elles] prohibent l’aide d’un médecin pour mourir » à une personne adulte capable qui est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolérables.
Le 25 février 2016
Les sénateurs et députés membres du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir présentent le rapport intitulé L’aide médicale à mourir : une approche centrée sur le patient. Le comité y énonce 21 recommandations, notamment que « l’aide médicale à mourir soit accessible aux personnes atteintes de maladies terminales et non terminales graves et irrémédiables leur causant des souffrances persistantes qui leur sont intolérables au regard de leur condition [accentuation ajoutée]. »
Le 14 avril 2016
Le projet de loi C-14, Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d’autres lois (aide médicale à mourir), est présenté en première lecture à la Chambre des communes. Il propose d’autoriser l’accès à l’aide médicale à mourir pour les personnes affectées « de problèmes de santé graves et irrémédiables ». Un des critères employés pour déterminer si une personne est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables est que « sa mort naturelle est devenue raisonnablement prévisible ».
Le 15 juin 2016
Le projet de loi C-14 est adopté à l’étape de la troisième lecture au Sénat, après l’adoption de plusieurs amendements, dont celui de l’ex-sénateur Serge Joyal qui visait à supprimer le critère de la mort raisonnablement prévisible. Étant donné qu’un projet de loi doit être adopté par les deux chambres du Parlement dans une forme identique pour devenir une loi, les députés doivent voter sur les amendements du Sénat.
Le 16 juin 2016
Les députés adoptent certains des amendements du Sénat, mais rejettent celui qui vise à supprimer le critère de la mort raisonnablement prévisible. La ministre de la Justice assure la Chambre qu’elle est « convaincue » que le texte est néanmoins constitutionnel.
Le 17 juin 2016
L’ex-sénateur André Pratte se dit persuadé que le maintien du critère de la mort raisonnablement prévisible est « une grave et cruelle erreur » et exprime le vœu que « les tribunaux vont remédier à cette erreur ». Le Sénat décide de ne pas insister sur ses amendements; le projet de loi est sanctionné et devient loi.
Le 11 septembre 2019
La Cour supérieure du Québec statue dans Truchon c. Procureur général du Canada que le critère de la mort raisonnablement prévisible contrevient à la Charte canadienne des droits et libertés et déclare inopérante cette partie de la loi. La juge suspend sa déclaration d’invalidité pour donner le temps au gouvernement de modifier la loi.
Le 24 février 2020
Le gouvernement fédéral présente un projet de loi qui vise à modifier le régime de l’aide médicale à mourir.
Le 18 août 2020
Le projet de loi meurt au Feuilleton à la prorogation du Parlement.
Le 5 octobre 2020
Le gouvernement fédéral présente le projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir).
Le 3 novembre 2020
Le Sénat autorise le Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles à étudier le projet de loi C-7 avant son renvoi au Sénat.
Le 23 novembre 2020
Le comité des affaires juridiques tient sa première réunion sur le projet de loi C-7, à laquelle comparaît le ministre fédéral de la Justice David Lametti.
Le 10 décembre 2020
Le projet de loi est adopté par la Chambre des communes et présenté au Sénat.
Le 17 novembre 2020
La Cour supérieure du Québec accorde au gouvernement une nouvelle prolongation, cette fois jusqu’au 26 février 2021. Au Sénat, le projet de loi est adopté à la deuxième lecture et renvoyé au Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles.
Le 8 février 2021
Le comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles fait rapport du projet de loi au Sénat sans amendement. Le débat à la troisième lecture débute.
Le 17 février 2021
Le Sénat adopte le projet de loi à la troisième lecture, avec des amendements.
Le 23 février 2021
Début du débat à la Chambre des communes sur les amendements du Sénat.
Le 15 mars 2021
Début du débat au Sénat sur la réponse de la Chambre des communes aux amendements du Sénat.
Le 17 mars 2021
Le Sénat accepte la réponse de la Chambre des communes aux amendements du Sénat.
Le projet de loi reçoit la sanction royale.
LA DÉCISION TRUCHON
La juge de la Cour supérieure du Québec Christine Baudouin, dans Truchon c. Procureur général du Canada, a déclaré inconstitutionnelles certaines dispositions du régime de l’aide médicale à mourir.
Les demandeurs Jean Truchon et Nicole Gladu souffraient de problèmes de santé incurables qui réduisaient considérablement leur qualité de vie.
Truchon, paralysé de naissance sauf pour un bras, a perdu l’usage de son membre fonctionnel à cause d’une condition dégénérative qui s’accompagne de souffrances persistantes et a dû être admis dans un établissement de soins.
Quant à Mme Gladu, les séquelles de la poliomyélite contractée dans son enfance lui causaient aussi des souffrances persistantes. « Chaque respiration est un combat », écrit la juge Baudouin.
Les demandeurs ont néanmoins été déclarés non admissibles à l’aide médicale à mourir parce que leur mort naturelle n’était pas « raisonnablement prévisible compte tenu de l’ensemble de leur situation médicale ». Ils ont fait valoir que ce refus portait atteinte à leurs droits à l’égalité, ainsi qu’à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne tels qu’ils sont garantis par la Charte canadienne des droits et libertés.
Le tribunal leur a donné raison.
Le critère de la mort raisonnablement prévisible « nie aux personnes handicapées et gravement malades le droit de faire des choix fondamentaux en raison de la volonté de vouloir leur assurer une protection », écrit la juge Baudouin. « En voulant les protéger contre elles-mêmes […], l’État envoie pourtant le message qu’il ne les considère pas comme des personnes réellement capables de décider. »
La juge a été particulièrement horrifiée par le témoignage de M. Truchon selon lequel il avait envisagé le jeûne pour mettre fin à ses jours.
« Il sait que c’est long, que l’on souffre terriblement », écrit la juge. Il « répugne au bon sens », dit-elle, que des personnes comme M. Truchon se voient contraintes de recourir au jeûne pour mettre un terme à leur vie.
« Si la loi telle que rédigée ne force pas les demandeurs à vivre, elle les force toutefois à choisir entre souffrir, souffrir encore plus ou se suicider », ajoute-t-elle.
« Ces personnes ont vécu pleinement toute leur vie avec une déficience physique. Ce que les demandeurs recherchent véritablement c’est que la loi reconnaisse à égale mesure la souffrance, la dignité et ultimement l’autonomie des personnes qui comme eux, sont affectées de problèmes de santé graves et irrémédiables, et ce, sans hiérarchie, selon que la mort soit proche ou non. »
La juge Baudouin a déclaré que le critère de la mort raisonnablement prévisible contrevenait à la Charte, mais a suspendu la déclaration d’invalidité, afin de donner le temps au gouvernement fédéral de modifier la loi.
Cependant, la juge a autorisé les demandeurs à recevoir l’aide médicale à mourir avant que la loi soit modifiée. M. Truchon a reçu l’aide à mourir dans un établissement de soins de longue durée de la région de Montréal le 7 avril 2020. Mme Gladu vit encore.
« Le Tribunal restera à jamais marqué par leur témoignage, conclut la juge Baudouin, et tient à leur transmettre son plus profond respect. »
LE PROJET DE LOI
Mort naturelle raisonnablement prévisible
Le projet de loi C-7 abrogerait le critère de la mort naturelle raisonnablement prévisible qui a été déclaré inconstitutionnel par la Cour supérieure du Québec.
L’article 241.2 du Code criminel énonce les critères que la personne doit remplir pour être admissible à l’aide médicale à mourir. Selon l’un de ces critères, elle doit être affectée de « problèmes de santé graves et irrémédiables ».
Le paragraphe 241.2 (2) actuel précise que la personne est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables « seulement si » elle remplit les quatre critères suivants :
- elle est atteinte d’une maladie, d’une affection ou d’un handicap graves et incurables;
- sa situation médicale se caractérise par un déclin avancé et irréversible de ses capacités;
- sa maladie, son affection, son handicap ou le déclin avancé et irréversible de ses capacités lui cause des souffrances physiques ou psychologiques persistantes qui lui sont intolérables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu’elle juge acceptables;
- sa mort naturelle est devenue raisonnablement prévisible compte tenu de l’ensemble de sa situation médicale, sans pour autant qu’un pronostic ait été établi quant à son espérance de vie.
Le projet de loi C-7 abrogerait ce dernier critère.
Maladie mentale
Le projet de loi exclut de l’aide médicale à mourir les personnes atteintes uniquement d’une maladie mentale. Il précise que « la maladie mentale n’est pas considérée comme une maladie, une affection ou un handicap » pour l’application du paragraphe 241.2 (2) du Code criminel (voir ci-dessus).
Mesures de sauvegarde – lorsque la mort naturelle est raisonnablement prévisible
Le projet de loi supprimerait le délai d’attente de 10 jours entre le jour où la demande d’aide médicale à mourir est signée et celui où cette aide est administrée.
Il remplacerait le délai d’attente par une exigence selon laquelle la personne qui éprouve de la difficulté à communiquer doit se voir fournir un moyen de communication fiable afin de faire connaître sa décision de recevoir une aide médicale à mourir et de pouvoir comprendre les renseignements qui lui sont fournis.
Mesures de sauvegarde — lorsque la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible
Le projet de loi instaurerait un délai d’attente de 90 jours pour les personnes dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible. Ce délai d’attente pourrait être raccourci si le médecin praticien et l’infirmier praticien jugent que la personne qui demande une mort assistée risque de perdre bientôt la capacité à consentir.
Il faudrait également informer la personne malade des moyens disponibles pour soulager ses souffrances et lui offrir de consulter des professionnels qui fournissent de tels services. De plus, le personnel médical serait tenu de discuter avec la personne de ces moyens et de s’accorder avec elle sur le fait qu’elle les a sérieusement envisagés.
Consentement
En l’état actuel des choses, le personnel médical doit confirmer le consentement de la personne qui demande une aide médicale à mourir immédiatement avant d’administrer cette aide.
Dans le cas d’une personne dont la mort est raisonnablement prévisible, le projet de loi C-7 autoriserait le personnel médical à procéder sans confirmer le consentement si, entre autres :
- la personne a perdu la capacité à consentir;
- la personne avait conclu une entente écrite pour l’administration de l’aide à mourir à une date déterminée;
- la substance qui entraînera la mort est administrée selon les modalités de l’entente.
Régime de surveillance
Le projet de loi C-7 imposerait un régime de surveillance plus rigoureux de l’aide médicale à mourir en assujettissant le personnel médical et de pharmacie ayant un rôle à jouer dans les cas d’aide médicale à mourir à une nouvelle obligation de fournir des renseignements et en élargissant la portée des renseignements à fournir à Santé Canada.
Pour plus de renseignements, consulter le résumé législatif détaillé du projet de loi C-7 produit par la Bibliothèque du Parlement.
Progression de l'étude au Parlement
En chambre
Deuxième lecture
Le débat en deuxième lecture a débuté le 14 décembre 2020. Le projet de loi a été adopté à la deuxième lecture le 17 décembre 2020 et renvoyé au Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles.
Troisième lecture
Le comité a fait rapport du projet loi sans amendement le 8 février 2021; le débat à la troisième lecture a débuté plus tard le jour même. Le Sénat a adopté une motion afin de regrouper le débat à la troisième lecture en thèmes :
- La maladie mentale et la maladie dégénérative
- Les mesures de sauvegarde et les demandes anticipées
- Les groupes vulnérables et minoritaires, les soins de santé (qui comprend les soins palliatifs) et l’accès à l’aide médicale à mourir
- Les droits à la conscience
- Le processus d’examen et l’entrée en vigueur de la loi
Le Sénat a adopté le projet de loi à la troisième lecture, avec des amendements, le 17 février 2021.
En comité
LCJC - Affaires juridiques et constitutionnelles
Le 3 novembre 2020, le Sénat a autorisé le Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles à procéder à l’étude préalable du projet de loi C-7. Le comité a publié un rapport sur le projet de loi le 10 décembre 2020.
Le projet de loi a été renvoyé au comité lors de son adoption à la deuxième lecture le 17 décembre 2020.
Le comité a complété son étude le 3 février 2021 et a adopté le projet de loi, avec dissidence, sans amendement. Le comité a fait rapport du projet de loi au Sénat le 8 février 2021.
Réunions
Amendements