Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Peuples autochtones
Fascicule 19 - Témoignages du 10 février 1999
OTTAWA, le mercredi 10 février 1999
Le comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui à 17 h 45 pour étudier en vue d'en faire rapport la fonction gouvernementale autochtone.
Le sénateur Charlie Watt (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: La séance est ouverte. D'autres sénateurs se joindront à nous plus tard; ils sont actuellement pris par d'autres comités.
Nous recevons aujourd'hui, de la Société Makivik, Pita Aatami, qui est accompagné de Harry Tulugak et de George Berthe.
Monsieur Aatami, à vous la parole.
M. Pita Aatami, président, Société Makivik:
[M. Aatami s'exprime dans sa langue autochtone]
Comme je viens de le dire en inuktitut, ma langue maternelle, pour moi, l'autonomie gouvernementale c'est cela, c'est être capable de parler dans ma propre langue.
Nous comparaissons ici aujourd'hui pour participer à l'étude spéciale du comité permanent sur l'autonomie gouvernementale des autochtones. Nous vous remercions de la possibilité qui nous est donnée de parler de cette question importante.
Je suis le président de la Société Makivik. À mes côtés, aujourd'hui, se trouvent Harry Tulugak ainsi que notre deuxième vice-président, Johnny Peters, qui dira quelques mots en inuktitut. Ces dernières années, il a été le négociateur en chef de Nunavik dans nos discussions avec les gouvernements fédéral et provincial relativement à la création d'une assemblée et d'un gouvernement pour notre territoire, au Nunavik.
Je précise que Makivik représente tous les Inuit de Nunavik ou, plus précisément, près de 9 000 Inuits bénéficiaires de la Convention de la Baie James et du Nord québécois. Nous sommes de fiers Canadiens qui avons défendu notre pays en plusieurs occasions. Nous sommes également des contribuables qui acquittent pleinement leurs impôts au niveau tant fédéral que provincial.
De plus, nous sommes des entrepreneurs. Par exemple, Makivik exploite deux des compagnies aériennes les plus dynamiques appartenant à des et autochtones, c'est-à-dire Air Inuit et First Air.
Nunavik est le nom que nous donnons à notre territoire dans le Nord du Québec. C'est une région où les Inuits constituent la très vaste majorité et cela comprend toute la région du Québec au nord du 55e parallèle.
Ces derniers mois, nous avons souvent dû expliquer que Nunavik et Nunavut sont deux endroits différents, même s'il s'agit dans les deux cas de territoires inuit portant des noms semblables.
Makivik et son prédécesseur, la Société des Inuits du Nord québécois, ont négocié la création de beaucoup des institutions publiques non ethniques qui fonctionnent actuellement au Nunavik, y compris le gouvernement régional de Kativik et la Commission scolaire de Kativik. Ces organismes publics ont été constitués dans le cadre de notre accord sur les revendications territoriales, pratiquement 25 ans avant que le nouveau territoire du Nunavut ne naisse cette année.
Avant de poursuivre notre exposé, nous devons souligner que la question de la fonction gouvernementale ne représente qu'un élément de notre relation avec le gouvernement fédéral. D'autres éléments de cette relation portent sur les articles 35 et 91.24 des lois constitutionnelles pertinentes, les responsabilités fiduciaires du gouvernement fédéral à l'endroit des Inuit et notre traité récent, la Convention de la Baie James et du Nord québécois.
Il est impossible d'entièrement examiner la nature, l'étendue et la portée de l'autonomie gouvernementale séparément de ces autres aspects de notre relation avec le gouvernement fédéral. Dans ce contexte, il faut d'abord se demander dans quelle mesure le gouvernemental fédéral a respecté ses obligations au titre des diverses composantes de sa relation avec les Inuits du Nunavik.
Malheureusement, en matière de respect de ses obligations à l'endroit des Inuits du Nunavik, le bilan du gouvernement fédéral n'est pas reluisant. Pendant une grande partie des deux dernières décennies, Makivik a dû se livrer à un combat très ardu pour obtenir du gouvernement fédéral qu'il mette entièrement en oeuvre des dispositions essentielles de la Convention de la Baie James et du Nord québécois. En outre, pendant tout ce temps-là, nous avons assisté à une succession d'efforts de la part du gouvernement fédéral visant à nier ses responsabilités constitutionnelles à l'endroit des Inuits vivant au Nunavik. Selon nous, il est malheureusement de plus en plus clair que le gouvernement fédéral a adopté un principe visant à limiter et réduire sa relation avec les Inuits du Nunavik.
Ces dernières années, nos problèmes avec le gouvernement fédéral se sont accrus et il est facile d'en donner des exemples. Le programme d'infrastructure marine du Nunavik faisait l'objet de notre accord d'origine sur les revendications territoriales ainsi que d'un accord de mise en oeuvre signé de nombreuses années plus tard. Pourtant, après tout ce temps, on nous offre un programme qui n'est que l'ombre de ce qui était envisagé à l'origine. Au lieu d'un programme de 120 millions de dollars pour l'ensemble des 14 localités du Nunavik, on ne nous accorde qu'un programme de 30 millions pour trois localités.
La crise du logement dans notre région est l'exemple le plus navrant de l'indifférence marquée du gouvernement fédéral pour les Inuits de Nunavik. En 1995, le gouvernement fédéral a unilatéralement et arbitrairement mis fin à son programme prévoyant la construction de nouveaux logements sociaux pour les Inuits du Nunavik. Rien ne justifiait de supprimer le programme de logement social pour les Inuit tout en maintenant un programme semblable pour les autochtones des Premières nations vivant dans les provinces. D'après l'article 91.24, le gouvernement fédéral a la même responsabilité constitutionnelle pour les Inuit et les autochtones des Premières nations. Et, pour mettre encore plus de sel sur la plaie, la Convention de la Baie James et du Nord québécois garantit que nous avons droit à un programme de logement en fonction des mêmes principes que les Premières nations.
Après avoir épuisé tous les recours habituels pour résoudre cette question, Makivik n'a plus eu que le choix de renvoyer la question à un mécanisme officiel de règlement des différends en 1998.
En attendant, près de cinq ans se sont écoulés depuis que le gouvernement fédéral a arbitrairement mis fin au programme de logement social au Nunavik. Par conséquent, notre région a immédiatement besoin de 425 maisons et des rapports nous signalent des situations où l'on retrouve 23 personnes contraintes à vivre dans une maison qui ne compte que trois chambres à coucher.
Je peux assurer aux membres de ce comité que nous n'avons pas adhéré à la Convention de la Baie James et du Nord québécois ni redéfini nos droits et nos relations avec le Canada pour obtenir moins que si nous n'avions pas signé une entente sur les revendications territoriales.
Le gouvernement fédéral a également déçu les Inuits du Nunavik dans sa façon d'envisager les questions touchant l'autonomie gouvernementale. En 1987, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien a surpris bien de gens lorsqu'il a annoncé que le gouvernement fédéral avait décidé de ne plus assumer la responsabilité première de négocier et de mettre en oeuvre les dispositions d'autonomie gouvernementale touchant les Inuit dans les provinces. Ultérieurement, le ministre a fini par se rétracter, face aux objections vigoureuses de la Société Makivik et de divers organismes inuit nationaux. Toutefois, l'an dernier, l'actuelle ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien a fait des déclarations du même ordre, niant la responsabilité première du gouvernement fédéral à l'endroit des Inuit vivant dans les provinces.
Nous avons déjà ressenti les répercussions de cette déclaration du gouvernement fédéral dans nos discussions sur l'autonomie gouvernementale et nous comprenons maintenant que, pour la première fois, Affaires indiennes et du Nord Canada n'envisagera plus de financer plus de 50 p. 100 de nos frais de négociation. Malheureusement, nous voyons des éléments de la déclaration de la ministre se manifester à une fréquence alarmante dans diverses initiatives, politiques et communications fédérales.
Comme on peut le constater, le bilan du gouvernement fédéral en matière de respect de ses obligations à l'endroit des Inuit du Nunavik laisse beaucoup à désirer. Lorsqu'il s'agit d'examiner l'élaboration de nouvelles relations fondées sur le principe d'une régie gouvernementale autochtone, ce bilan est une source d'incertitude. Cette réserve étant exprimée, nous sommes prêts à faire part de nos vues sur le désir du Nunavik de parvenir à une plus grande autonomie gouvernementale et à l'autosuffisance.
M. Harry Tulugak, adjoint administratif du président, Société Makivik: Pour ce qui est de constituer une administration publique au Nunavik, nos efforts visant à créer l'assemblée et le gouvernement du Nunavik remontent au début des années 60, époque où les habitants du Nunavik, dans un esprit de collaboration, ont commencé à se parler pour se faire part de leurs problèmes communs et rechercher des solutions communes. Au cours des années 70, lorsque nous avons établi la Société des Inuits du Nord québécois, l'objectif à l'origine n'était pas de négocier un accord touchant les revendications territoriales, mais plutôt de revendiquer un gouvernement régional et une représentation adéquate tant au Parlement qu'à l'Assemblée nationale du Québec.
Peu de temps après, le Québec a annoncé son intention de construire le vaste complexe hydroélectrique de la Baie James. L'organisme venait à peine de naître que déjà il se trouvait happé par des négociations territoriales. Les Inuit ont profité de ce processus pour négocier diverses formes d'institutions non ethniques pour leur territoire, y compris la Commission scolaire de Kativik, le gouvernement régional de Kativik, le Conseil de la santé et des services sociaux de Kativik et de nombreux autres organismes. Nos négociateurs avaient l'intention de regrouper toutes ces institutions sous l'aile d'un seul gouvernement dirigé par une assemblée élue.
À l'époque, les gouvernements fédéral et provincial hésitaient à concentrer autant de pouvoirs en un seul organisme, et nos négociateurs ont fini par manquer de temps et ont dû se contenter d'un accord sur une revendication territoriale qui n'offrait pas vraiment un système unifié de gouvernement pour notre territoire.
Cette lacune de l'accord sur les revendications territoriales ne préoccupait pas particulièrement les Inuits parce qu'ils croyaient pouvoir, en temps utile, réunir tous les organismes publics sous le toit unique d'une assemblée élue et d'un gouvernement du territoire. Notre distingué président, le sénateur Watt, est bien au courant de cela.
Au cours des années 80, il y a eu de nombreux efforts visant à établir un processus qui mènerait à la création d'une assemblée et d'un gouvernement du Nunavik. Toutefois, les négociations tripartites sérieuses n'ont commencé qu'en 1994. Les négociations se sont en fait amorcées lorsque le Parti libéral du Québec était encore au pouvoir et elles se sont poursuivies après que le Parti québécois eut été porté au pouvoir.
Avec l'appui des représentants du Nunavik, le gouvernement fédéral a continué de participer à toutes les négociations, même lorsque le gouvernement du Parti québécois, nouvellement élu, a essayé de proposer que le gouvernement fédéral soit exclu.
Bien qu'il y ait eu quelques divergences de vue entre les partis, ces négociations ont été particulièrement réussies. En un peu moins d'un an, environ 75 p. 100 des dispositions de l'accord ont été rédigées.
Les fonctionnaires québécois avaient même commencé à travailler sur l'incontournable mémoire au Cabinet. Malheureusement, tout le processus a été mis en veilleuse du fait de la situation politique entourant le référendum du Québec et nos négociations ont été brusquement freinées. Malgré tous les efforts des Inuits du Nunavik, il s'est révélé impossible de les raviver au lendemain du référendum.
Le processus est resté dans les limbes jusqu'à ce qu'un distingué monsieur, le premier ministre Bouchard, se rende au Nunavik à l'été de 1997. Nous avons profité de l'occasion pour proposer qu'une commission tripartite soit établie, pour faire des recommandations touchant la création d'une assemblée et d'un gouvernement du Nunavik. Nous avons soutenu que le recours à une commission avait été utilisé avec succès pour préparer la création du premier gouvernement du nouveau territoire du Nunavut. Tant le Québec que le Canada se sont dit d'accord avec l'idée d'établir une commission, et les négociations sur le nécessaire accord politique ont commencé pour de bon au début de 1998. L'accord était censé être prêt à être signé quatre mois plus tard. Toutefois, l'intransigeance de dernière minute, d'abord du gouvernement fédéral, puis du gouvernement québécois, a signifié que l'accord n'a pas été prêt à être signé avant l'été de 1998. À ce moment-là, au Québec, les élections générales s'annonçaient à l'horizon et, une fois de plus, le processus a déraillé.
À l'heure qu'il est, le gouvernement fédéral reste prêt à signer, mais nous attendons toujours de voir ce que va faire le Québec. Le résultat, c'est que, après 25 ans et de longs cycles de négociations, nous ne sommes pas plus avancés dans notre objectif de réunir sous l'égide d'une seule assemblée élue les divers organismes publics de notre territoire. Nous devons souligner que les négociations se sont rompues à deux occasions distinctes, sans que cela soit de notre faute.
En ce qui concerne le rôle du gouvernement fédéral, les Inuits du Nunavik sont nettement favorables à une méthode tripartite de négociation et de mise en oeuvre des dispositions d'autonomie gouvernementale pour notre territoire. Évidemment, il nous serait facile de faire diverses recommandations qui seraient également applicables au gouvernement du Québec. Toutefois, nous pensons que le rapport de votre comité aura une grande incidence sur les politiques fédérales et les stratégies relatives à la régie gouvernementale autochtone. Par conséquent, nos recommandations porteront essentiellement sur le rôle du gouvernement fédéral relativement à notre volonté de créer une assemblée et un gouvernement du Nunavik.
À cet égard, le gouvernement fédéral ne devrait pas se contenter de jouer le rôle d'observateur intéressé dans nos négociations. Il est vrai que le gouvernement fédéral s'est normalement dit prêt à participer à nos négociations et qu'il est actuellement prêt à signer notre accord politique visant à établir une commission du Nunavik. Toutefois, il est rare que le gouvernement fédéral manifeste une volonté d'assumer des responsabilités pour faire évoluer le processus de négociation vers une conclusion positive. Il a plutôt tendance à limiter son rôle à la protection de ses propres intérêts, et parfois de ceux d'autres peuples autochtones.
Si le Québec ne signe pas l'accord politique, notre expérience nous révèle que le gouvernement fédéral ne fera pas grand-chose pour sortir le processus de sa paralysie. Nous trouvons cela particulièrement frustrant parce que les obligations fiduciaires associées au paragraphe 91.20(4) indiquent que la négociation et la mise en oeuvre d'un système de gouvernement autochtone est une responsabilité première du gouvernement fédéral.
Au Nunavik, à cet égard, nous sommes des partenaires et des pionniers. Le gouvernement fédéral devrait clairement reconnaître sa responsabilité première à l'endroit des Inuit vivant dans les provinces.
Les Inuits du Nunavik appuient la méthode tripartite de résolution des problèmes autochtones. C'était évident il y a 25 ans lorsque nous avons négocié notre accord sur la revendication territoriale. Aujourd'hui, nous continuons de vouloir des institutions non ethniques et autonomes pour notre territoire, disposition qui permet une participation provinciale considérable dans nos affaires. Si nous avions opté pour des formes d'autonomie gouvernementale strictement autochtones, une bonne partie de cette participation provinciale dans nos affaires aurait été inconstitutionnelle.
Notre perspective semble être conforme au désir du gouvernement fédéral de régler les problèmes autochtones au moyen de dispositions tripartites. Pourtant, le gouvernement fédéral nous récompense de notre acceptation de ces démarches tripartites en envisageant la situation comme une occasion de se délester de ses responsabilités premières à l'endroit des Inuit vivant dans les provinces. La position du gouvernement fédéral à cet égard nous décourage de suivre la voie tripartite.
Le gouvernement fédéral devrait s'interdire de se décharger unilatéralement de ses responsabilités ou de ses frais sur les gouvernements régionaux ou provinciaux. La nécessité d'être constamment en garde contre cette possibilité peut être un obstacle sérieux à la conclusion positive d'accords d'autonomie gouvernementale. Notre expérience quant aux compressions des programmes de logement, par exemple, au Nunavik, nous apprend que le gouvernement fédéral se décharge de ses obligations lorsqu'il en a la possibilité, et que cela peut avoir des conséquences désastreuses.
Avec la création du Nunavut, le gouvernement fédéral devrait adopter des mesures pour affirmer de nouveau son engagement à l'endroit du Nunavik, des Inuits du Labrador et d'Inuvialuit.
La société Makivik et les Inuits du Nuvavik appuient fortement la création du Nunavut et se joindront aux célébrations de leurs frères et soeurs lorsque leur nouveau territoire naîtra le 1er avril de cette année. Nous sommes verts de jalousie à l'idée de ces célébrations à venir et du fait que cette région aura maintenant ses propres institutions publiques.
Toutefois, avec la création de ce nouveau territoire, nous ne voulons pas nous trouver dans la situation où les initiatives du gouvernement fédéral et ses relations avec les Inuits reviendront automatiquement, par défaut, au Nunavut. Nous ne voulons pas être simplement connus comme «les Inuits hors du Nunavut». Malheureusement, nous commençons déjà à voir les premiers signes de cette attitude dans certains ministères fédéraux.
Tout en reconnaissant que l'assemblée que nous proposons pour le Nunavik n'aura pas la même échelle que l'Assemblée législative du Nunavut, nous estimons qu'elle est tout aussi importante pour l'avenir de notre peuple.
Le gouvernement fédéral devrait protéger la zone de compétence de la régie gouvernementale autochtone à l'échelle nationale en invitant les dirigeants autochtones nationaux à participer à des discussions et des processus fédéraux- provinciaux-territoriaux au sujet du fonctionnement et de l'avenir de la fédération canadienne.
Le document de discussion du comité permanent indique que l'autonomie gouvernementale devrait avoir comme objectif premier des initiatives tangibles à l'échelle locale ou régionale. Nous sommes tout à fait d'accord, mais pas au prix de réduire la participation autochtone aux pourparlers fédéraux-provinciaux- territoriaux sur les dossiers d'importance nationale.
Le gouvernement fédéral a choisi d'interdire la participation directe des peuples autochtones aux discussions en cours au sujet de l'union sociale et du rééquilibrage administratif de la fédération canadienne. La justification de cette exclusion n'est pas évidente, étant donné qu'il est facile de voir comment les discussions de ces questions peuvent avoir une incidence directe sur les peuples autochtones et leurs institutions.
Il faudrait noter que, par le passé, les dirigeants autochtones nationaux ont été invités à participer à des conférences constitutionnelles et à d'autres processus touchant l'avenir de la fédération canadienne. Étant donné que seuls les gouvernements ont droit de participer à des forums de ce type, la participation des autochtones à ces processus a, en grande partie, été considérée comme une reconnaissance de fait de l'autonomie gouvernementale des autochtones comme troisième ordre de gouvernement au Canada. À l'inverse, le refus de laisser des autochtones participer à des tribunes de ce type pourrait être considéré comme une dégradation du statut de la régie gouvernementale autochtone au sein de la fédération.
Le gouvernement fédéral devrait travailler avec les peuples autochtones pour élaborer des politiques et des mesures nationales qui encouragent les provinces à pleinement participer à des négociations tripartites pour concevoir de nouvelles formes de gouvernement au Canada.
Nous qui sommes ici aujourd'hui, le sénateur Watt y compris, affirmons avec véhémence que l'autonomie gouvernementale autochtone au Nunavik est notre but.
C'est notre but, et il le demeurera, tant que nous ne l'aurons pas atteint. Nous marquerons les célébrations avec nos cousins du Nord le 1er avril.
Nous en arrivons à cette conclusion parce que nous avons toujours tenté de sortir des sentiers battus dans nos négociations visant à créer une assemblée et un gouvernement du Nunavik. La création d'une assemblée territoriale n'est pas chose nouvelle pour le Canada, mais celle d'une seconde assemblée à l'intérieur d'une province l'est. Nous sommes donc sur le point de créer des précédents.
Il est peut-être assez aisé pour le gouvernement fédéral de saisir ces questions parce qu'il a l'habitude de fonctionner dans un cadre intergouvernemental où interagissent les autorités provinciales et territoriales. En revanche, les provinces n'ont pas l'habitude du partage du pouvoir ni de traiter avec d'autres autorités à l'intérieur de leurs limites territoriales. Leur expérience à cet égard se limite dans la plupart des cas aux relations qu'elles entretiennent avec la municipalité et avec les autorités qui détiennent un pouvoir qui leur a été simplement délégué. Cependant, le modèle municipal n'est certainement pas un tremplin approprié pour lancer des négociations sur l'autonomie gouvernementale autochtone.
Le gouvernement fédéral devrait être disposé à travailler avec les peuples autochtones et les gouvernements provinciaux afin de favoriser l'optique innovatrice requise pour négocier et mettre en place des formes efficaces de gouvernement autochtone au Canada.
Le président: Merci pour cet excellent exposé. La parole est aux sénateurs qui veulent poser des questions.
M. Aatami: Avant qu'on entame la période des questions, Johnny Peters aimerait prendre la parole sur cette question et ses propos seront interprétés en anglais par George Berthe, notre secrétaire.
M. Johnny Peters, deuxième vice-président, Société Makivik (interprétation): Merci de nous avoir invités à comparaître devant le comité. Les peuples du Nunavik ont été les premiers à présenter des revendications territoriales. Or bien que nous ayons été les tous premiers à entreprendre ces négociations et à viser la conclusion de ces ententes, nous sommes toujours à la remorque de nos frères du Nunavut. Le gouvernement a du temps pour les gens du Nunavut et c'est ainsi qu'ils ont maintenant une bonne longueur d'avance. Au Nunavik, nous sommes toujours à la traîne.
Les gens du Nunavik paient des impôts qui sont parmi les plus lourds au Canada. Chaque cent que nous dépensons est taxé et nous en ressentons durement les conséquences. Nous reconnaissons que nous devons payer des taxes, mais notre région est l'une des plus taxée au pays.
Notre situation est unique. Chaque fois qu'on brandit la menace de séparation, nous devenons une monnaie d'échange politique, mais qu'on oublie la séparation pendant un certain temps et le Nunavik sombre à nouveau dans l'oubli. Nous n'existons pour ainsi dire pas sur la carte du pays. Nous aimerions pouvoir dialoguer davantage entre gouvernements à des moments autres que ceux où la séparation ou la sécession sont à l'avant-scène de l'actualité.
Le gouvernement fédéral a la responsabilité des peuples autochtones. Les peuples autochtones qui vivent au Nunavik sont complètement abandonnés par le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial. On ne s'intéresse à nos problèmes que quand on attend quelque chose de nous. Nous nous sentons abandonnés et esseulés.
Le sénateur Andreychuk: La proposition du Nunavut ne vise pas l'autonomie gouvernementale. J'arrive tout juste du comité des affaires juridiques qui examine la question. Il est très clair qu'il s'agit d'un régime pour tous les peuples qui vivent sur ce territoire, qu'on soit Inuit ou non. Dois-je comprendre que vous demandez l'autonomie gouvernementale au sein des structures existantes au Québec?
M. Aatami: Le comité examine le concept d'administration autochtone et c'est naturellement ce que nous voulons. Depuis quelques années, nous travaillons à obtenir quelque chose de très semblable au gouvernement du Nunavut. Toutefois, nous préférerions l'autonomie gouvernementale.
Le sénateur Andreychuk: Je crois savoir que 85 p. 100 de la population du Nunavut est constituée d'Inuits. Chez vous, y a-t-il des Inuits uniquement ou aussi des non-autochtones?
M. Aatami: Tous les habitants de la région seraient visés, peu importe leur origine.
Le sénateur Andreychuk: Vous dites à juste titre dans votre rapport que l'un des dilemmes auquel vous faites face tient au fait que vous négociez à l'intérieur d'une structure fédérale-provinciale. La commission royale d'enquête sur les peuples autochtones préconise la création d'un troisième palier de gouvernement, ce que vous semblez proposer aussi.
Vous avez dit que ne pas souhaiter que ce tiers palier soit municipal mais plutôt autre. Vous en tenez-vous aux recommandations de la Commission royale ou est-ce que vous vous en écartez? Le cas échéant, en quoi votre proposition diffère-t-elle?
M. Tulugak: Je l'ai déjà dit, nous sortons des sentiers battus. On a dit que les peuples autochtones avaient droit à l'autodétermination et c'est ce dont nous discutons au Nunavik.
Ces discussions se poursuivent depuis 25 ans. Nous proposons un régime de gouvernement public non ethnique qui chapeaute toutes les entités publiques qui vont fournir tous les services à toutes les personnes vivant dans nos collectivités. Le concept n'est pas nouveau, il ressemble assez à ce que le Nunavut a obtenu et célébrera le 1er avril. À cet égard, c'est un régime gouvernemental qui est public et non ethnique. Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question.
Le sénateur Andreychuk: Je le crois. Je crois savoir que la Commission royale ne propose pas le modèle du Nunavut. Ce que vous tentez de faire, c'est de concevoir quelque chose qui vous convienne, mais en vous inspirant du modèle du Nunavut plutôt que de la proposition contenue dans le rapport de la commission royale.
M. Tulugak: Je peux affirmer sans équivoque que nous étions en avance sur nos cousins du Nunavut dans le Nord en ce qui concerne les discussions portant sur la notion d'un régime de gouvernement non ethnique. Ils y sont simplement parvenus les premiers. Comme je l'ai mentionné auparavant au cours d'une interview, dans ma naïveté, j'avais l'impression qu'à la fin des années 80, nous étions assez près d'obtenir ce que nous demandions au Nunavik. Les négociations nous avaient jusque-là permis d'obtenir environ 75 p. 100 de ce que nous cherchions à obtenir comme gouvernement à mettre en place au Nunavik. Je croyais bien naïvement qu'on viendrait nous voir et nous demander comment nous nous y étions pris. Or voici que la réalité s'imposera à nous le 1er avril: Ils ont obtenu ce qu'ils voulaient et on ne pense à nous qu'à l'occasion, nous sommes même parfois laissés pour compte, en raison de cette formule tripartite et parce que, malheureusement ou heureusement, nous vivons dans la province de Québec, qui a ses propres débats politiques.
Le sénateur Andreychuk: Nous avons souvent entendu dire que l'approche du gouvernement fédéral ne convient pas à l'objectif des négociations. Ceux qui en vertu de la Loi sur les Indiens et par l'intermédiaire du ministre, ont toujours eu la responsabilité d'assurer tous les autres services aux autochtones, sont aussi ceux qui négocient. Ce qui fait que le «bagage», si je peux m'exprimer ainsi, et le souvenir des relations qu'on a entretenues suivent ceux qui se présentent à la table de négociation. Des groupes ont proposé quelque chose de semblable au cabinet du premier ministre, ou un nouveau ministère qui serait constitué pour négocier et conclure de façon définitive les revendications territoriales restantes et définir les concepts d'autonomie gouvernementale. Est-ce que cette formule vous conviendrait? Ou croyez-vous plutôt que le processus en tant que tel est acceptable mais qu'on n'a pas la volonté politique de le mener à terme?
M. Tulugak: Une décision en ce sens serait tout à fait bienvenue, mais pour l'instant nous constatons qu'on n'a pas la volonté politique de s'engager à fond dans l'examen des aspirations du Nunavik visant à mettre en place un régime de gouvernement public. Nous en serions ravis et, naturellement, il y aurait moins de parti pris si on nous soumettait ce scénario. On ferait ainsi preuve de constance, ce qui a fait défaut jusqu'à maintenant.
Le sénateur Austin: J'aimerais savoir un peu mieux ce qu'il en est de la province de Québec. Dans votre mémoire, vous dites que, à un certain moment, on en était même à rédiger un mémoire au Cabinet relativement à une entente. Je présume que ce que l'on était en train de rédiger correspondait plus ou moins à ce que vous aviez accepté. Pourriez-vous nous préciser ce qu'à votre avis la province de Québec est disposée à accepter eu égard à ce que vous décrivez dans votre mémoire comme un troisième palier de gouvernement?
M. Aatami: Nous avions une ébauche de document de travail avec la province de Québec et qui portait sur cette proposition de gouvernement, mais la succession des gouvernements a toujours entravé nos pourparlers. Or, avec un gouvernement séparatiste au pouvoir, la volonté de celui-ci d'imposer son propre style de négociation entraîne des retards. Nous avons eu une réunion avec eux il y a deux ou trois semaines et ils devraient nous proposer une nouvelle ébauche la semaine qui vient. Toutefois, il se produit toujours quelque chose qui vient nous empêcher de négocier une forme d'autonomie gouvernementale pour la région.
Le sénateur Austin: Dans votre mémoire, vous exposez de façon générale l'historique de vos négociations, tant avec le gouvernement fédéral qu'avec les provinces. Toutefois, on n'y trouve rien sur le rôle qu'un gouvernement régional jouerait au Nunavik. Souhaitez-vous disposer d'un pouvoir sur les écoles, les services de police et les soins de santé? Souhaitez-vous disposer d'un pouvoir de perception d'impôts pour assurer ces services?
Pouvez-vous nous donner une idée de ce que signifierait en réalité l'autonomie gouvernementale si vous l'obteniez?
M. Tulugak: C'est précisément pour mieux cerner ces questions que nous avons proposé, à nos homologues du fédéral et des provinces, d'établir une commission. Nous avons vu que cela a donné d'excellents résultats dans les discussions sur le Nunavut, quand on a créé une commission pour cerner les domaines sur lesquels les nouveau territoire aurait compétence. Actuellement, au Nunavik, un pouvoir est délégué en matière de santé, d'éducation, de services policiers, de service social, d'emploi et en ce qui concerne divers autres services publics qui seront offerts aux collectivités et aux citoyens de la région.
Le sénateur Austin: Est-ce le gouvernement régional de Kativik qui fournit ces services?
M. Tulugak: C'est une entité super-municipale où le gouvernement provincial délègue ses programmes, et il y a aussi un financement fédéral qui est acheminé par l'intermédiaire de la province et accordé au gouvernement régional de Kativik, qui administre certains de ces services publics.
Le sénateur Austin: Des fonds sont transférés par la province et le gouvernement fédéral, en même temps que ces responsabilités?
M. Tulugak: Oui. On en ajoute constamment, mais les nouveaux services qui seront assurés doivent être réunis de façon permanente sous un même toit. C'est ce à quoi nous aspirons, soit une assemblée du Nunavik.
Le sénateur Austin: Comment se compose le gouvernement régional pour l'instant et comment en choisit-on les membres?
M. Tulugak: Les membres sont élus au sein des corporations municipales. Chaque communauté a un maire et on choisit et nomme un membre du conseil pour siéger au gouvernement régional de Kativik. À leur première réunion, ils choisissent leur conseil exécutif. On tient des réunions régulièrement au cours de l'année, et après les élections municipales, une personne est désignée représentante au conseil régional. Celui-ci élit son propre président, le vice-président et le conseil exécutif.
Le choix s'effectue parmi les gens qui vivent dans les collectivités et sans égard à leur origine ethnique. Ce n'est pas qu'une idée théorique, on l'applique dans la pratique.
Le sénateur Austin: Sommes-nous sur la bonne voie? Vous voudriez une forme «d'enveloppe» constitutionnelle pour consacrer la pratique, outre un certain pouvoir additionnel, je présume. Peut-on résumer ainsi vos intentions?
M. Tulugak: Il ne s'agirait pas nécessairement d'une reconnaissance constitutionnelle, mais d'une reconnaissance officielle et établissant qu'une entité du genre d'une assemblée sera reconnue par les gouvernements provincial et fédéral. Cette assemblée recevra une somme forfaitaire étalée sur un certain nombre d'années et l'administrera comme bon lui semble.
Le sénateur Austin: Souhaitez-vous que le gouvernement régional de Kativik soit directement élu par les gens de la région plutôt que par les conseils municipaux, comme cela se fait aujourd'hui? Souhaitez-vous ce changement? Êtes-vous satisfaits de l'actuel mode de sélection des représentants?
M. Tulugak: Le système actuellement en vigueur pour élire et nommer des représentants au Conseil régional de Kativik est satisfaisant pour l'instant, mais nous préconisons une forme de gouvernement plus avancée pour l'avenir. La Commission que nous comptons établir et qui serait constituée des trois parties, le Nunavik, les représentants du fédéral et ceux des provinces, définira précisément comment ces personnes doivent être élues. Je m'occupe personnellement de cette question depuis de nombreuses années.
M. Berthe: Pour reprendre ce que disait M. Tulugak, nous ne voulons pas d'un type de gouvernement qui ne serait qu'un «commis», où un autre gouvernement lui dirait: «Voici, il existe un programme ici, distribuez les fonds, le programme fonctionne». Nous voulons des pouvoirs aussi. C'est le type de gouvernement que nous visons et que tout le monde attend.
Si nous conservons le mode de fonctionnement super-municipal, nous deviendrons en fin de compte des commis du gouvernement sans aucun pouvoir transfrontalier.
Le sénateur Austin: Veuillez définir ce que vous entendez par «pouvoir transfrontalier». Que voulez-vous faire de plus que ce que vous faites déjà?
M. Aatami: Nous voulons prendre nous-mêmes nos décisions pour notre région. Actuellement, les décisions sont prises pour nous. Une fois la décision prise, nous n'avons plus un mot à dire.
Les gouvernements sont censés pouvoir prendre des décisions pour la région et c'est ce que nous voulons pouvoir faire. Nous savons qui nous sommes, ce que nous avons fait depuis toutes ces années. Nous voulons pouvoir faire ces choses nous-mêmes, pouvoir prendre des décisions et continuer de faire partie du Canada.
M. Tulugak: J'ai un exemple bien précis. En matière de santé, il y a deux hôpitaux régionaux, un sur la côte de la baie d'Hudson et un sur la côte de l'Ungava. Récemment, il s'est produit des situations consternantes où le seul moyen de traiter une personne nécessitant des soins médicaux immédiats a été de l'envoyer à Montréal, qui est l'endroit le plus près où l'on trouve des spécialistes. Medivac est le seul moyen dont nous disposions pour évacuer quelqu'un. Dans ces cas-là, la province fournit le transport aérien, et il y a aussi des sociétés aériennes en plus de ce que fournit le gouvernement provincial. Celui-ci assure le transport par jet.
Cela peut prendre des heures. Les pilotes doivent respecter la réglementation fédérale visant le nombre d'heures de vol. Dans des cas de ce genre, je crois que si l'assemblée du Nunavik avait un pouvoir en matière de santé et de prestation de services, nous n'aurions pas autant de tracasseries administratives que maintenant. On ne comprend pas et on ne reconnaît pas les réalités auxquelles nous devons constamment faire face. C'est un exemple bien concret.
Le sénateur Pearson: J'ai du mal à voir quels moyens de négociation vous avez et comment nous pouvons vous aider. Quels moyens de négociation avez-vous auprès du gouvernement fédéral, par exemple?
M. Tulugak: Je pense que vous songez à des moyens comme la représentation par des organisations qui parlent au nom du Nunavik; est-ce à quoi vous pensez?
Le sénateur Pearson: Je me dis que quand quelqu'un est mécontent et veut obtenir quelque chose, il doit examiner la situation et voir par où il faut passer, voir où on peut exercer des pressions pour obtenir un résultat. Si vous êtes parvenus à le faire, pouvez-vous nous en parler pour que nous puissions y réfléchir?
M. Tulugak: À ce propos, je crois que nous disposons de deux importants moyens qui nous permettent de faire valoir nos préoccupations. Le gouvernement régional de Kativik en est un. L'autre, c'est la société Makivik, dont M. Aatami est le président, et dont les représentants régionaux se réunissent deux ou trois fois l'an pour discuter de problèmes locaux et des solutions à envisager.
Ce sont là nos deux ressources, soit le président du conseil régional, du gouvernement régional de Kativik, et le président et le conseil exécutif de la société Makivik. Le gouvernement régional de Kativik a une orientation plutôt provinciale et rend régulièrement visite aux ministres et aux hauts fonctionnaires du gouvernement provincial pour leur faire part de nos préoccupations et de besoins ainsi que des solutions qu'on pourrait appliquer.
La société Makivik, par ailleurs, entretient des rapports avec le gouvernement fédéral et la province. Par exemple, en matière de logement, cette question a une incidence sur l'administration. La situation du logement est déplorable. Je ne crois pas qu'ailleurs au pays on accepterait d'être logé de la sorte. M. Aatami a fait part de cette situation consternante au gouvernement fédéral au cours de rencontres qu'il a eues récemment. Nous avons fait des démarches similaires cet après-midi auprès de la ministre des Affaires indiennes et du Développement du Nord.
Ce sont des leviers que la population du Nunavik utilise pour essayer au moins d'ouvrir les yeux du gouvernement sur certaines situations horribles dans lesquelles nous nous trouvons.
Des ententes qui n'ont pas été entièrement mises en oeuvre devaient remédier à certains des problèmes que nous connaissons.
Le sénateur Pearson: Nous avons eu un exposé de la Commission crie-naskapie sur l'application des ententes sur les revendications territoriales. Avez-vous une commission similaire? C'est un autre moyen d'action. Cela ne permet peut-être pas de tout régler mais c'est un levier. Est-ce que ce serait utile et disposez-vous d'un tel outil?
M. Aatami: Nous avons quelque chose de très similaire à la commission crie, à savoir le Bureau de mise en oeuvre de la Convention de la Baie James. Nous nous réunissons quatre fois par an pour examiner la Convention de la Baie James et du Nord québécois et voir ce qu'il reste à mettre en oeuvre.
Lorsque nous avons vu Jane Stewart aujourd'hui, nous avons parlé de constituer un comité qui préparera quelque chose de concret, pas seulement pour discuter des problèmes mais également pour essayer de trouver des solutions.
Le sénateur Pearson: Ma deuxième question porte sur l'éducation. Il y a un certain temps que je connais l'existence de la Commission scolaire de Kativik, en partie parce que je m'intéresse à la vieille Russie, au nord de la Russie et à certaines relations que cela a permis d'établir à un moment.
La commission scolaire elle-même se trouve à Dorval, n'est-ce pas? Vous préféreriez sans doute que les bureaux de cette commission et tout le reste soient dans le Nord.
M. Aatami: Nous voudrions que tout soit dans le Nord. Comme je le disais tout à l'heure, nous aimerions que les décisions soient prises dans le Nord. Toutefois, un des problèmes vient de ce qu'il s'agit de compétences provinciales. La Commission scolaire de Kativik relève actuellement de la province et nous négocions depuis cinq ans pour qu'on la déménage dans le Nord. Lorsqu'il y a des questions d'argent, cela bloque tout. C'est le problème que nous connaissons actuellement.
Le sénateur Pearson: Je ne suis pas tout à fait sûre de la façon dont cela fonctionne au Québec. Les membres des commissions scolaires sont-ils élus?
M. Aatami: Oui. Ce sont les commissaires qui sont élus par tous les groupes. Chaque groupe élit son commissaire. C'est très similaire au gouvernement régional de Kativik. Les commissaires élisent parmi eux un comité exécutif et un président. Ils sont tous élus par la population mais, dans la majorité des cas, ils doivent venir dans le sud du pays pour se réunir. Ils peuvent avoir des réunions dans le Nord, mais leur bureau central, pour le moment, se trouve à Dorval. Nous essayons de le faire déménager.
La Commission scolaire de Kativik est également un organisme non ethnique.
[Le sénateur Adams parle dans sa langue maternelle]
Le sénateur Adams: Je tiens à ce que mes collègues sachent que Pita Aatami est mon neveu. On m'appelait Aatami aussi et maintenant, on m'appelle Adams. Il a le nom inuit et moi le nom anglais.
À sa gauche, vous voyez Johnny Peters. Nous sommes frères, mais il n'a pas encore les cheveux gris. Il est peut-être plus jeune que moi, mais chaque fois que nous nous voyons, nous nous appelons des frères.
J'ai quitté Kuujjuaq en 1953, et cela ne fait plus partie du Nunavik. Je suis maintenant au Nunavut, dans le nouveau territoire.
Nous avons aujourd'hui une discussion très intéressante pour moi. Nous entendons ce soir une délégation du Nunavik. Cet après-midi, d'autres sénateurs et moi-même avons participé aux réunions du comité sur le projet de loi C-57, la Loi sur le Nunavut.
Je suis arrivé en 1977, il y a 20 ans. Charlie Watt était président de la Société Makivik au moment où fut signée la Convention de la Baie James et du Nord québécois. À l'époque, les subventions du gouvernement fédéral étaient prévues pour environ 20 ans, et je crois que cela a pris fin il y a à peu près un an.
Que s'est-il produit depuis que cette entente est arrivée à échéance? Les négociations se poursuivent-elles?
[M. Aatami parle dans sa langue maternelle]
[Le sénateur Adams parle dans sa langue maternelle]
M. Aatami: J'ai demandé au sénateur Adams de me préciser sa question et il est toujours plus facile pour nous de parler dans notre langue maternelle.
En 1975, lorsque nous avons signé la Convention de la Baie James et du Nord québécois, les fonds ont été déboursés sur plusieurs années. Le dernier paiement remonte à 1996 et nous n'avons reçu aucun fonds depuis lors de la part de l'un ou l'autre des gouvernements. Dans toute la mesure du possible, nous avons essayé d'utiliser l'intérêt gagné sur les indemnisations que nous avons reçues pour faire ce que nous avions à faire dans le Nord.
Je sais que ce n'est pas le moment de parler de nos griefs, mais nous avons toujours jugé que le gouvernement fédéral n'est pas suffisamment présent. Nous sommes obligés d'utiliser ce que nous avons reçu en dédommagement pour construire des centres de loisirs, et cetera. Il n'y a aucune présence fédérale là-bas. Je tenais à ce que vous sachiez que nous avons dû utiliser notre propre argent.
Lorsque nous voyons le gouvernement engager des dépenses dans le sud pour le compte des contribuables, nous essayons de lui rappeler que nous sommes aussi contribuables. Toutefois, nous n'obtenons jamais l'infrastructure nécessaire, comme des foyers pour personnes âgées, des centres pour les jeunes et des centres de loisirs. Ce sont seulement quelques exemples.
Le sénateur Adams: Je sais qu'à l'heure actuelle, la situation est difficile pour votre peuple. Le Nunavut deviendra réalité le 1er avril. Nous sommes contrôlés par le gouvernement territorial depuis 1966, année où il a déménagé à Yellowknife. Que voyez-vous pour l'avenir? Vous faites toujours partie du Québec. Comment voyez-vous actuellement la situation? Je ne veux pas parler de la séparation du Québec. Vous, vous vivez là-bas. Vous savez que ce n'est pas la même chose que de vivre à Montréal et à Québec. Vous avez votre propre culture et vous êtes considérés comme appartenant au peuple québécois.
Que voyez-vous pour l'avenir? Vous parlez votre propre langue. Qu'attendez-vous des gouvernements fédéral et provincial? La seule entente que vous aviez était la Convention de la Baie James et cela n'avait rien à voir avec une revendication territoriale. À l'avenir, envisagez-vous de diriger votre propre gouvernement et de ne plus vous occuper de la province de Québec?
M. Aatami: Comme nous l'indiquions dans notre mémoire, nous sommes envieux du Nunavut mais heureux pour eux. C'est ce que nous souhaitons pour notre région. Nous aimerions que la province du Québec et le gouvernement fédéral collaborent. Le gouvernement actuellement au pouvoir dans la province est séparatiste. Cela dit, il nous faut continuer à collaborer. Nous voulons être en mesure de diriger nos propres affaires et de prendre nos propres décisions dans la région, même s'il s'agit d'un gouvernement non ethnique.
Le sénateur Adams: Êtes-vous en train de négocier actuellement avec le ministère des Affaires indiennes? Je sais que tant que le premier ministre Bouchard sera au pouvoir au Québec, vous ne voulez pas parler de revendications territoriales. Comment pourrez-vous lancer de nouveaux projets? La Convention de la Baie James vous gêne-t-elle pour négocier une entente sur les revendications territoriales?
M. Aatami: Nous sommes en négociation avec les deux gouvernements à ce sujet. Nous avons eu une rencontre avec le gouvernement provincial il y a deux semaines pour voir ce que nous pouvons faire avec ce gouvernement du Nunavik. Nous avons discuté par le passé d'autonomie gouvernementale mais cela s'appliquera à toute la population qui vit dans cette région. Nous l'appelons le gouvernement du Nunavik. Nous examinons cela avec le gouvernement du Québec ainsi qu'avec le gouvernement fédéral.
Nous espérons pouvoir parvenir à une conclusion et commencer à étudier comment gouverner dans cette région au cours des prochains mois. J'espère que nous pourrons bientôt commencer à planifier un gouvernement du Nunavik.
Le sénateur Wilson: Pour changer votre situation, vous devez négocier à la fois avec le gouvernement provincial et avec le gouvernement fédéral et vous semblez vous heurter à un mur sur plusieurs fronts. Vous entendez toutefois poursuivre vos efforts, mais quels alliés avez-vous et quelle stratégie envisagez-vous?
M. Aatami: Je pourrais dire que notre allié est le gouvernement fédéral puisqu'il comprend mieux notre situation. Notre stratégie a toujours été d'avoir un gouvernement non ethnique afin qu'il soit reconnu. Lorsqu'on a un gouvernement ethnique, le monde vous considère comme raciste. Nous reconnaissons toute la population vivant dans la région et nous voulons travailler avec tout le monde.
Ce sera encore notre stratégie. Nous aurons un gouvernement régional, mais nous ferons toujours partie du Québec et du Canada. Nous continuerons de collaborer avec les autres gouvernements.
Le sénateur Wilson: Vous affirmez que le gouvernement fédéral est votre allié, mais ce n'est pas ce que laissent entendre vos propos.
M. Aatami: Nous avons rencontré la ministre des Affaires indiennes, Jane Stewart, pour discuter de l'accord politique que nous étions prêts à signer. Je considère le gouvernement fédéral comme un allié parce qu'il est au moins prêt à signer.
Le sénateur Wilson: C'est un allié possible.
M. Aatami: Oui.
M. Tulugak: Par le passé, les alliances avec le gouvernement fédéral et la province ont eu des hauts et des bas. Les représentants des autres gouvernements ont changé d'avis pour une raison ou une autre, mais pour l'instant, les représentants fédéraux semblent prêts à signer l'accord. Il y a cependant eu des problèmes par le passé. Nous aurions préféré une participation plus intensive de la part des représentants provinciaux au lieu qu'ils se contentent d'acquiescer vu qu'ils étaient déjà à la table.
Par exemple, comme nous nous trouvons au Québec, notre financement a été réduit, et je reconnais que nous sommes partiellement à blâmer, à 50 p. 100 des coûts de négociation. Nous voudrions qu'on réexamine cette politique et qu'on revienne à un financement de 100 p. 100. C'est un exemple.
Le sénateur Wilson: Quand le financement a-t-il été réduit à 50 p. 100?
M. Tulugak: Je ne peux pas vous le dire exactement, mais cela s'est passé il y a quelques années et c'était à l'insistance du Québec.
M. Peters: Je me pose des questions au sujet du peu de gens qui assistent à la réunion. Après avoir posé leurs questions, la plupart sont partis. Est-ce normal?
Apparemment, le gouvernement ne nous appuie pas autant qu'il appuie d'autres autochtones du Canada. Qu'allez-vous faire au sujet de la situation dont nous vous avons parlé?
Le président: Quelqu'un pourrait peut-être expliquer à M. Peters comment nos audiences se déroulent normalement.
Le sénateur Pearson: Je vais essayer de le faire, monsieur Peters.
Les comités du Sénat comprennent en théorie 12 membres. Il y a plusieurs autres comités qui siègent en même temps et les sénateurs vont de l'un à l'autre. Cela ne veut pas dire que les membres de notre comité s'intéressent moins à ce qui se passe. Heureusement, nous aurons la transcription de tout ce qui se dit lors de la réunion.
Tout ce que vous avez dit est non seulement pris en note pour être imprimé, mais c'est aussi enregistré pour la télévision et il y a donc beaucoup plus de gens qui vous voient que vous ne pourriez le penser. Nous pouvons vous garantir que nous prendrons note de tout ce que vous aurez dit et de toutes les autres observations que nous entendons pour faire ce qui convient.
Nous ne sommes pas un groupe exécutif. Nous sommes plutôt une sorte de tribunal qui écoute et essaie d'évaluer et de comprendre ce qu'il entend avant de formuler des recommandations au gouvernement.
M. Aatami: Merci. Je viens de vous entendre dire que votre comité compte d'habitude 12 membres. J'ignore si le sénateur Losier-Cool fait même partie du comité. Quatre sénateurs sont ici maintenant. Je tiens à vous signaler que si nous témoignons devant un autre comité à l'avenir, je voudrais savoir combien de membres compte le comité et quel est le quorum. Il est toujours préférable que tous les membres du comité soient là pour entendre les témoignages. C'est très bien que tout soit enregistré, mais c'est toujours mieux que les gens écoutent en personne au lieu de lire les témoignages ou de les voir sur vidéo. Nous sommes heureux de pouvoir vous présenter notre exposé, mais je conviens avec mon collègue que les membres du comité devraient prendre le temps de venir nous écouter. Nous savons que vous avez d'autres fonctions, mais une fois que vous êtes nommés à un comité, vous devriez assister à ses réunions. Par exemple, je suis moi-même élu. Si je suis nommé à un comité, je ne peux pas simplement dire que je ne peux pas y assister pour telle ou telle raison. La prochaine fois que je témoignerai à un comité, je voudrai savoir combien de membres compte le comité et quel est le quorum avant de commencer à expliquer ce que nous essayons de faire dans notre partie du monde.
Le sénateur Pearson: Je peux vous garantir que nous avons le quorum.
M. Aatami: Je pense que vous l'aviez au début.
Le sénateur Pearson: Il faut quatre membres pour avoir le quorum. Je comprends cependant votre point de vue. Je viens d'être coprésidente d'un comité parlementaire mixte et il est arrivé bien des fois que nous soyons très peu nombreux. Cependant, cela n'a pas réduit la qualité du travail du comité parce que c'était une longue étude, comme celle-ci. Je comprends cependant votre point de vue parce que j'ai déjà moi-même été témoin et que j'étais déçue de témoigner devant un comité lorsque seulement quatre personnes y étaient. Vous ne devez cependant pas être trop déçu parce qu'il y a bien des gens qui vous écoutent et qui tiendront compte de ce que vous avez dit. Ne vous inquiétez pas.
M. Aatami: Les quatre membres du comité qui sont ici maintenant sont probablement les quatre plus forts du comité.
Le sénateur Pearson: Ce sera peut-être à votre avantage.
Le président: Je voudrais poser quelques questions directement reliées à ce que vous avez dit, mais qui portent aussi sur autre chose. Je pense qu'elles portent directement sur la vie quotidienne des Inuit du Nunavik. Nous savons tous que le Nunavut commencera bientôt à exister et qu'il assumera certaines responsabilités administratives, même si le gouvernement fédéral conservera sa compétence relativement à ce secteur géographique. Je sais que Makivik a négocié au nom des Inuit du Nunavik avec le gouvernement fédéral pour des questions qui touchent le secteur au large des côtes, c'est-à-dire la mer, le plateau continental, le lit de la mer et les îles, notamment pour la gestion de l'environnement. Je voudrais savoir où en sont les choses.
Comment se déroulent vos négociations relatives à la nouvelle structure administrative? Cette structure assumera-t-elle des responsabilités administratives jusqu'à la laisse de haute mer dans le secteur de votre activité économique quotidienne? Où en sont les choses?
[M. Aatami parle dans sa langue]
[Le sénateur Watt parle dans sa langue]
M. Aatami: Nous négocions encore les questions reliées à la mer avec le gouvernement fédéral. Cela fait près de cinq ans que durent ces négociations. Nous sommes prêts à nous entendre, mais il y a quelque chose qui manque. Si nous cédons sur un point, nous voulons quelque chose en retour. Sinon, il n'y aura pas d'entente. Comme je l'ai dit, cela fait cinq ans que nous négocions. Les négociations portent sur bien des choses, mais le principal problème vise l'indemnisation et si nous ne pouvons pas nous entendre là-dessus, les négociations échoueront probablement.
Le président: À ce moment-là, seriez-vous autorisés à participer aux structures de gestion qui ont été négociées entre le Nunavut et le gouvernement du Canada?
M. Aatami: Nous avons déjà une entente avec les habitants du Nunavut et le gouvernement fédéral. Nous sommes donc déjà visés par l'entente. Les négociations dont je parlais visent uniquement notre secteur.
Le président: Qu'en est-il de la laisse de haute mer? La nouvelle structure administrative tiendra-t-elle compte du fait que vous avez besoin de ce secteur tous les jours pour votre subsistance? L'a-t-on reconnu d'une façon ou d'une autre?
M. Aatami: Les deux parties se sont entendues pour reconnaître que nous avons compétence dans ce secteur, comme nous l'affirmons depuis le début.
Le président: Quand vous parlez des deux parties, voulez-vous dire le Nunavut et le Nunavik, ou bien le gouvernement fédéral?
M. Aatami: Le Nunavut et le Nunavik.
Le président: Et le gouvernement fédéral?
M. Aatami: Je le répète depuis le début au gouvernement fédéral: «Vous êtes ici depuis 400 ans; les Inuit y sont depuis des milliers d'années. Qui vous a donné le droit de prendre en main ces îles et quand les Inuit les ont-ils cédées? Quand avons-nous cédé ces îles?» Nous ne reconnaissons pas la compétence du gouvernement fédéral à l'égard des îles.
Le président: le gouvernement fédéral a-t-il au moins reconnu qu'il s'agit d'un problème persistant qui doit être résolu?
M. Aatami: Oui, il a reconnu qu'il fallait résoudre le problème. Comme je l'ai déjà dit, nous avons rencontré la ministre des Affaires indiennes et du Développement du Nord pour en discuter. Nous allons continuer d'essayer de régler la question tant que nous n'en sommes pas venus à quelque chose d'acceptable pour les deux parties. Les discussions se poursuivent.
Le président: Mon autre question porte davantage sur le concept de la gestion publique, de la possibilité pour vous de prendre votre propre destin en main.
Quand nous avons négocié avec le gouvernement du Québec dans le cadre de la Convention de la Baie James et du Nord québécois, nous nous sommes assurés que le ministre n'aurait jamais de pouvoir de veto sur les InuitS dans un secteur, soit la langue d'instruction. Je sais que le ministère a refusé de financer la Commission scolaire de Kativik au terme de cet article de la convention. Est-ce encore le cas?
M. Aatami: Nous savons que la commission scolaire de Kativik a imposé certaines conditions, mais nous essayons de trouver une solution. On ne dit nulle part dans la Convention que les choses doivent être d'une façon particulière et c'est de là que vient le problème. Nous allons continuer de faire de notre mieux pour enseigner l'Inuktitut. Notre culture reflète notre identité. Si nous perdons notre langue, c'est comme perdre une partie de notre culture.
Le président: Sénateur Adams, je pense que vous vouliez poser une dernière question.
Le sénateur Adams: Je voudrais simplement ajouter quelque chose à votre question, monsieur le président. Il y a une chose que je veux expliquer à mon ami Pita. Je fais partie de cinq comités et il arrive que les cinq siègent en même temps. Certains sénateurs ne font partie que d'un comité ou deux. Je m'excuse d'avoir été en retard ce soir. Je m'intéresse aux délibérations d'un autre comité qui étudie le projet de loi C-57 sur le tribunal du Nunavut. Cela arrive parfois.
Certains prétendent que les sénateurs sont trop âgés et qu'ils s'endorment au Sénat. Je crois que nous faisons au contraire beaucoup de travail. Certains autres sénateurs et moi avons assisté à d'autres réunions de comité cet après-midi.
J'ai ici une carte du Nunavut que j'ai reçue du ministère de la Justice et je vois un secteur plus foncé sur la carte. Cela veut-il dire que vous avez une entente avec le Nunavut au sujet de certaines des îles et qu'il a déjà remis l'administration de ces îles au Nunavik?
M. Aatami: Oui. Nous avons une entente qui chevauche celle du Nunavut. Nous faisons partie de certains conseils du Nunavut, par exemple pour la faune et l'eau. Nous participons à divers secteurs de l'administration au Nunavut.
Le sénateur Adams: Et vos voisins, les Cris? Y a-t-il un chevauchement pour les ententes territoriales ou la Convention de la Baie James entre vous-mêmes et les Cris?
M. Aatami: Nous commençons à discuter de cette question avec les Cris, surtout dans l'une de nos localités, Kuujjuarapik, où il y a des résidents cris et Inuits. C'est une chose que nous devons régler. La Convention de la Baie James était peut-être claire mais il y a toujours des choses qui ne conviennent pas à une partie ou à l'autre. C'est une chose dont nous discutons avec les Cris.
Le sénateur Adams: Les Cris revendiquent-ils une partie du territoire en plus du secteur au large des côtes?
M. Aatami: Ils ont certaines revendications à propos des secteurs au large des côtes que le gouvernement fédéral a reconnues. C'est une autre chose dont nous devrons nous occuper à l'avenir.
Le président: Nous vous sommes très reconnaissants d'être venus faire votre exposé et vous aurez certainement de nos nouvelles plus tard. Comme vous le savez, votre organisme national, ITC, a aussi un rôle à jouer ailleurs, en l'occurrence à la table ronde sur la gestion publique. Vous pouvez très bien continuer d'essayer de trouver des solutions pour la gestion publique de votre côté et nous aider à formuler des recommandations concrètes.
M. Aatami: Merci de nous avoir donné le temps de faire notre exposé.
Le président: Nos prochains témoins ce soir représentent le Métis National Council of Women.
Je vous prie de nous présenter votre délégation et de faire votre exposé.
Mme Sheila D. Genaille, présidente, Métis National Council of Women Inc.: Bonsoir, monsieur le président. Je suis accompagnée ce soir par Marie Anne Piché, de la Colombie-Britannique, membre et directrice de notre organisme, et par Alma Adams, de l'Ontario, qui est notre vice-présidente.
Vous avez probablement entendu beaucoup de choses à propos de l'histoire des Métis. Depuis l'époque où l'on a formé le premier gouvernement au Canada, le gouvernement fédéral a eu du mal à s'entendre avec les Métis sur le plan politique à cause des conditions imposées aux Métis qui ont eu pour effet de nous déposséder pendant plus d'un siècle. Le gouvernement fédéral a eu systématiquement pour politique d'inciter les Métis à quitter leurs terres traditionnelles dans l'ouest du Canada. La question de l'identification de la population métisse et de garantir une protection juridique pour les critères de citoyenneté métisse reflète les efforts constants fournis par les Métis pour lutter contre ce que le gouvernement fédéral a fait pour les faire disparaître. D'autre part, l'article 91.24 de l'Acte constitutionnel de 1867 et le fait que cet article donne au gouvernement fédéral compétence à l'égard des Métis montrent que le gouvernement fédéral a continué de ne pas tenir compte de ses responsabilités historiques et constitutionnelles envers les Métis, qui sont pourtant l'un des peuples autochtones du Canada.
Bien des historiens ont écrit que la nation métisse a commencé neuf mois après la première rencontre entre les Européens et les Amérindiens. Comme les rejetons de ces unions se mariaient souvent à l'intérieur de leur propre groupe, ils sont vite devenus une force importante. Il y avait deux groupes de Métis, les descendants d'unions entre Anglais et Indiens que l'on désignait sous le nom de sang-mêlé, et les descendants d'unions entre Français et Indiens connus sous le nom de Métis. Les deux formaient un groupe très uni à cause de leurs origines indiennes communes, du commerce des fourrures et de leurs territoires traditionnels dans l'Ouest du pays.
C'est seulement quand les Métis ont constaté qu'on empiétait sur leur mode de vie qu'ils ont formé un mouvement nationaliste fort. Ce sont eux, nos ancêtres, qu'on appelait souvent des sauvages de sang mêlé, qui ont lutté pour leurs droits en 1816, 1849, 1870 et encore en 1885. Avant l'escarmouche de 1816, cependant, les Métis se considéraient comme une race unique. Après la victoire de Seven Oaks, dans ce qui est maintenant le Manitoba, ils ont affirmé leur caractère distinct et déclaré: «Nous sommes la nouvelle nation.»
Sur les plaines de l'Ouest, les deux groupes ont augmenté leurs nombres et se sont mariés entre eux. Ils ont développé une nouvelle culture, qui n'était ni européenne, ni indienne, mais un mélange des deux, et une nouvelle identité, celle des Métis. Cette nouvelle culture comprenait des traditions, une langue, le michif, une combinaison de français, de cri, et d'ojibway et, dans certains cas, de gaélique, et de la musique et des danses qui combinaient des pas des cultures indiennes, écossaises et françaises.
Leurs traditions et leurs connaissances des langues européennes et indiennes ont permis aux Métis de jouer des rôles importants dans les rapports commerciaux entre les Européens et les peuples indiens. On a aussi reconnu le rôle des femmes métisses dans le développement de l'Ouest. À cause de son double patrimoine, la femme métisse possédait les qualités idéales pour devenir la femme d'un commerçant de fourrure et s'occuper de ce commerce. Elle était acclimatée à la vie dans l'Ouest, connaissait les traditions indiennes et pouvait aussi s'adapter facilement à la culture blanche.
Les femmes métisses étaient souvent d'excellentes interprètes et elles ont pu jouer un rôle croissant d'intermédiaires entre les Indiens et les Blancs grâce à leurs connaissances de la coutume et des langues des Indiens. Il est arrivé à une femme métisse de sauver la vie de son mari parce qu'elle comprenait les coutumes et les caractéristiques indiennes. Par exemple, John Haldane, un Nord-Ouest, a échappé au scalp parce que sa femme métisse a pu plaider sa cause auprès d'Indiens hostiles pendant un incident à Rat Portage.
Les Métis formaient une force politique et socioéconomique importante à la rivière Rouge. L'une de leurs principales activités était la chasse au bison qu'ils organisaient et administraient avec beaucoup de compétence. Ces chasses étaient organisées avec une précision militaire et toute la collectivité métisse y participait. La chasse était essentielle à tout le commerce des fourrures du Nord-Ouest parce qu'elle donnait des provisions en grande quantité et à peu de frais sous forme de pemmican pour les postes et les brigades de bateau.
La traite des fourrures a eu une grande influence sur le développement de cette fédération que nous appelons le Canada. Au milieu du XIXe siècle, des villages métis avaient commencé à s'établir aux alentours des 1 000 postes de traite des fourrures des Grands Lacs au delta du Mackenzie. À l'époque, tout comme maintenant, les collectivités métisses partageaient un lien commun, celui des circonstances historiques. Cependant, ce sont les événements bien documentés qui se sont produits au Manitoba et en Saskatchewan au XIXe siècle qui illustrent le mieux les difficultés des Métis.
À partir de 1811, la Compagnie de la Baie d'Hudson a accordé à Lord Selkirk une concession de terre de 116 000 milles carrés dans la vallée de la rivière Rouge, qui correspond aujourd'hui au sud du Manitoba. Les Métis craignaient qu'un afflux de colons perturbe leur économie et les chasse de leur territoire. L'histoire rapporte les efforts des colons afin de restreindre les activités de chasse et de commerce des Métis, qui ont abouti à leur défaite en 1816 lors de l'escarmouche de Seven Oaks.
En 1821, la fusion des compagnies de fourrures rivales, soit la Compagnie de la Baie d'Hudson et la Compagnie du Nord-Ouest, a entraîné la fermeture de nombreux postes, ce qui a incité les Métis francophones et anglophones à aller s'installer dans la colonie de la rivière Rouge. Là, les deux groupes unirent leurs efforts pour défendre leurs intérêts communs et les nombreux mariages entre eux ont renforcé leurs liens.
De 1821 à 1869, des changements démographiques contribuèrent au développement d'une conscience de groupe parmi les Métis. Dans la colonie de la rivière Rouge, entre 1820 et 1870, les Européens et les Indiens furent assimilés par les Métis. En 1869, la population de la colonie de la rivière Rouge, l'une des plus importante, se composait de 5 720 Métis francophones, 4 080 Métis anglophones et 1 600 non-autochtones.
En 1845, la Compagnie de la Baie d'Hudson fut obligée de reconnaître le régime de possession des terres utilisé par les Métis, qui s'inspirait du système d'établissement par lots riverains en vigueur au Québec. La tradition métisse consistait à s'établir sur des lots sans titre officiel de propriété.
Les commerçants et les marchands métis devinrent les partisans les plus éloquents d'un nationalisme métis grandissant. Ils adressèrent une pétition au gouverneur de la colonie de la rivière Rouge pour que soit reconnu leur statut spécial. Les Métis durent continuer à lutter pour conserver leurs terres et leur identité.
En 1846, 1 000 membres de la nation métisse signèrent une pétition qui fut envoyée à la reine d'Angleterre réclamant qu'on remédie aux problèmes suivants: l'absence de droits légaux pour les Métis de la colonie de la rivière Rouge; le manque d'écoles pour les enfants métis à la colonie de la rivière Rouge; le refus de la Compagnie de la Baie d'Hudson de permettre aux chasseurs et aux trappeurs métis de faire du commerce avec qui ils voulaient; les prix élevés que les Métis de la colonie de la rivière Rouge étaient obligés de payer pour les marchandises qu'ils achetaient. Ni la Couronne, ni le gouvernement canadien n'accordèrent aucune attention à cette pétition.
Après son arrivée sur les côtes de l'Amérique du Nord, la Compagnie de la Baie d'Hudson tâcha d'imposer son monopole sur le commerce des fourrures, ce qui finit par provoquer des affrontements avec les commerçants métis. Les Métis estimaient qu'avec les Indiens, ils étaient les véritables propriétaires des plaines de l'Ouest et qu'ils possédaient certains droits que la Compagnie de la Baie d'Hudson n'avait pas respectés. Les Métis contestèrent le contrôle et le monopole de la Compagnie de la Baie d'Hudson. En 1849, Guillaume Sayer, un Métis, fut accusé d'avoir violé ce monopole et la compagnie insista pour qu'il soit poursuivi pour avoir commercé avec les Indiens des États-Unis. Les Métis constituent un corps armé et encerclèrent le palais de justice. Sayer fut reconnu coupable, mais les autorités n'essayèrent pas de le détenir ni de le punir. Lorsqu'il quitta la Cour, la foule se mit à crier: «Le commerce est libre», et mit ainsi fin au monopole commercial de la Compagnie de la Baie d'Hudson.
En 1869, le Parlement britannique adopta l'Acte de la Terre de Rupert par lequel la Compagnie de la Baie d'Hudson vendit le Nord-Ouest au Dominion du Canada. Au cours des négociations qui précédèrent la vente, aucune mention ne fut faite des droits de la majorité métisse de la rivière Rouge. L'historien W. L. Morton a décrit ainsi la situation:
L'un des plus important transferts de territoire et de souveraineté de l'histoire s'effectua comme une simple transaction immobilière.
On prévoyait faire de ce territoire une colonie devienne une colonie canadienne sans autonomie gouvernementale. Voyant leurs terres achetées par un gouvernement étranger qu'entendait promouvoir l'immigration vers l'Ouest de colons blancs de l'Ontario, les Métis résistèrent.
Le gouvernement canadien envoya des arpenteurs chargés de délimiter les terres dans l'Ouest afin qu'elles puissent être mises à la disposition des nouveaux colons, ici encore sans consulter les Métis et sans demander la permission des Métis déjà établis sur les terres en question, ce qui attisa leur ressentiment.
En octobre de cette même année, les Métis formèrent le comité national métis et réclamèrent une république indépendante de la nation métisse. Le comité se composait de John Bruce, qui en était le président et de Louis Riel, le secrétaire, mais en fait, on soupçonne que Riel était le véritable chef du mouvement. Le père Richtot, John O'Donaoghue et Ambroise Lepine en étaient membres actifs. Le comité devait négocier avec le gouvernement pour assurer la protection des terres et des libertés des Métis.
Les négociations furent difficiles. Pour se rendre maîtres de la région de la rivière Rouge, les Métis devaient tenir Fort Garry. Le 2 novembre, Riel et ses partisans s'emparèrent du fort sans qu'un seul coup de feu soit tiré. Le 8 décembre, le comité devint un gouvernement provisoire.
Le président: Veuillez vous assurer de laisser assez de temps aux sénateurs pour poser des questions.
Mme Genaille: Je voulais vous lire ceci parce que je ne savais pas combien de sénateurs étaient au courant de l'histoire du peuple métis. Je vais passer le reste.
Le sénateur Pearson: Nous vous promettons de la lire.
Le sénateur Wilson: Je viens du Manitoba, donc je la connais.
Mme Genaille: Je vous ai donc décrit brièvement qui étaient les Métis, la lutte qu'ils ont du livrer contre les gouvernements fédéraux et provinciaux qui se sont succédé, et je vous ai parlé du gouvernement qui a fait la sourde oreille aux préoccupations du peuple métis. Ce sont autant de facteurs qui ont provoqué les événements dont je vous ai parlé. Je passerai maintenant à la page 17 de mon mémoire et au rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones.
J'aimerais particulièrement attirer votre attention sur la recommandation 4.5.1, à savoir que la négociation politique de nation à nation ou sur une base analogue soit la méthode privilégiée pour la résolution des questions touchant les Métis. Nous approuvons cette recommandation et nous tenons à rappeler au gouvernement fédéral qu'il appartient aux Métis de jouer un rôle de premier plan dans la définition de leur processus. Le gouvernement fédéral ne doit pas imposer aux Métis l'organisation non gouvernementale qui les représente tant à l'échelle nationale que régionale. Il existe des organisations métisses dans la plupart des provinces et des territoires et certaines sont membres d'organisations nationales et d'autres pas. Le Métis National Council of Women croit toutefois que la plupart des Métis n'appartiennent à aucune organisation.
En ce qui concerne la reconnaissance du statut de nation, le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones énonce:
Les divergences d'opinions sont très prononcées quant au statut de nation de certaines communautés autres que la nation métisse.
Je pars du principe que leur définition d'une nation métisse se fonderait sur ce qu'ils appellent le territoire métis, à savoir la partie Ouest du Canada. C'est une supposition mais je crois que c'est ce qu'ils veulent dire.
Bien qu'il ne soit pas facile de dresser une liste définitive des attributs essentiels d'un peuple ou d'une nation, ils incluent à coup sûr une cohésion sociale, une conscience de soi collective, une originalité culturelle et une organisation politique efficace. Si nombre de gens sont convaincus que certaines des autres communautés métisses possèdent déjà ces attributs, d'autres doutent que toutes aient atteint ce stade, à l'exception de la nation métisse. La Commission n'est pas en mesure de trancher.
Je crois également que le gouvernement fédéral n'est pas en mesure de trancher cette controverse. Il y a des Métis d'un bout à l'autre du pays, de la côte Ouest à la côte Est à la côte Nord. La Commission a dit ne pas être en mesure de trancher, et nous demandons au gouvernement fédéral de ne pas présumer qu'il est en mesure de le faire. Les seuls capables de décider ce qu'est la nation métisse sont les Métis eux-mêmes, et nous n'avons pas eu l'occasion de le faire.
De plus, la commission a écrit:
La reconnaissance de la qualité de nation est une fonction essentiellement politique sur laquelle nous avons longuement disserté [...] Comme nous avons recommandé une politique de reconnaissance générale de toutes les nations autochtones, il ne serait guère pertinent pour nous d'essayer ici de régler les questions controversées concernant le statut de groupes particuliers parmi la population métisse du Canada. Cela étant dit, nous voulons livrer sur la question de la nationalité métisse quelques observations éventuellement utiles à ceux qui auront à appliquer la politique de la reconnaissance.
Les auteurs du rapport traitent des différents droits et font mention encore de la nation métisse et des Métis du Labrador. Je tiens à citer cet extrait parce qu'il s'agit d'un aspect intéressant et d'une importance capitale.
[...] Dans certains cas, la décision s'imposerait d'elle-même. Supposons que les gouvernements fédéral et provinciaux proposent de discuter d'une modification constitutionnelle ou de changements d'ordre législatif ou politique qui pourraient affecter les droits de tous les Métis canadiens, mais que les représentants de la nation métisse de l'Ouest et des Métis du Labrador n'aient pas le mandat de parler au nom des Métis à l'extérieur de leur foyer national respectif. Il serait alors impératif d'inviter à la table de négociation les représentants des autres communautés métisses.
Nous aimerions ajouter une précision à propos du fait de n'avoir pas le mandat de parler au nom des Métis à l'extérieur de leur foyer national respectif. Je suis sûr que les statistiques appuieraient notre position, à savoir que ce ne sont pas les limites géographiques du foyer national qui sont pertinentes, mais plutôt la qualité de membres de leurs propres organisations. Le fait qu'une organisation ait un foyer national restreint à une petite région ne signifie pas que tous les Métis de cette région en particulier sont membres de l'organisation. Donc nous contestons ce fait.
La situation serait plus compliquée si un groupe important de personnes se disant d'origine métisse contestaient le refus d'une nation de les accepter, ou exigeaient de participer séparément aux négociations.
Par ailleurs, la situation des femmes métisses dans notre pays pose problème, surtout si l'on tient compte des pratiques d'exclusion de certaines organisations métisses nationales et régionales dans l'ensemble du pays qui prétendent parler au nom des femmes métisses et qui du même souffle les excluent, et aussi des pratiques d'exclusion de certains ministères fédéraux qui suivent le même raisonnement.
Nous souscrivons entièrement à la déclaration suivante de la commission:
Le rôle des femmes autochtones dans le renforcement de la nation ne saurait être sous-estimé et ne doit pas être ignoré. Comme nous l'avons vu, de nombreuses femmes autochtones exercent un rôle spécial dans la formulation, pour l'édification des nations, d'un idéal qui puise dans les meilleurs aspects des traditions de la culture. Cet idéal doit guider la structure actuelle de décisions si l'on veut que la société autochtone devienne, au sein d'une fédération canadienne renouvelée, une réalité vivante, dynamique et égalitaire.
Les auteurs du rapport recommandent de plus que le Canada fournisse une aide financière aux organisations de femmes autochtones. En janvier 1998, le Canada a répondu qu'il fournirait une aide financière aux groupes de femmes autochtones, bien qu'il ne nous ait pas précisé dans quelle décennie ou dans quel siècle il desserrerait les cordons de la bourse, parce qu'il n'a toujours pas répondu aux demandes du Métis National Council of Women, ou bine l'a renvoyé à d'autres organisations à but non lucratif, qu'il s'agisse d'organisations qui excluent les Métis ou d'autres organisations autochtones.
Nous demandons au présent gouvernement, que faites-vous de votre responsabilité? Nous n'avons élu aucune de ces organisations à but non lucratif, nous ne les avons pas envoyées siéger à la Chambre des communes pour décider où nous voulons, en tant que contribuables, que nos dollars soient dépensés. La population du Canada a élu des députés à la Chambre pour prendre ces décisions. S'ils n'assument pas cette responsabilité, nous considérons alors qu'ils ne doivent pas se présenter aux prochaines élections. De toute évidence, ils ne devraient pas siéger à la Chambre des communes et prendre des décisions pour la population de ce pays s'ils abdiquent leurs responsabilités.
Le Métis National Council of Women considère que le gouvernement du Canada n'a pas suivi cette recommandation. Dans son document intitulé: «Rassembler nos forces» il a dit qu'il mettrait des fonds à la disposition des organisations.
Nous entendons souvent les bureaucrates dire, «nous reconnaissons sept organisations autochtones nationales.» Ils nous regardent. N'existons-nous pas? Disparaissons-nous dans le paysage? Ne sommes-nous pas suffisamment intelligentes?
Le Canada a pris la peine de signer des conventions internationales visant à assurer l'égalité aux femmes de ce pays. Or, dans la même seconde, parce que nous sommes des femmes autochtones, nous sommes des citoyennes canadiennes de troisième ordre. Ils ne nous prêtent aucune attention. Ils espèrent que nous disparaîtrons et que nous nous tairons.
Nous n'avons pas l'intention de disparaître. Nous n'avons pas l'intention de nous taire. Nous ne manifestons pas dans les rues ni ne parlons aux journalistes. Nous comparaissons devant des gens comme vous pour nous faire entendre.
Je ne sais pas de quel côté de la Chambre vous siégez, si vous êtes libéraux ou conservateurs; je ne connais pas de sénateurs indépendants.
Le sénateur Wilson: Je le suis.
Mme Genaille: Le Métis National Council of Women demande au gouvernement du Canada: pourquoi reconnaissez-vous certaines organisations à but non lucratif en tant que gouvernements?
La majorité des Métis de ce pays n'ont pas eu l'occasion de décider du type de gouvernement métis qui convient le mieux aux Métis. Comment ce gouvernement servira-t-il nos intérêts? Vous n'avez même pas pris le temps d'aller consulter les gens. Vous ne nous avez même pas fait la courtoisie de nous laisser vous dire ce que nous voulons. Vous choisissez certaines organisations et vous dites: «Femmes métisses, c'est votre parti politique.» Nous répondons: «Non. Nous déciderons. Vous n'allez pas dicter ce que nous devons faire.»
En conclusion, nous reconnaissons effectivement que depuis le début de la Nation métisse plusieurs organisations au fil des ans ont tenu des négociations couronnées de succès. Cependant, comme certains des Inuit qui ont comparu devant vous l'ont dit de façon succincte, les administrations changent. Le dernier gouvernement écoutait le Métis National Council of Women et voulait nous entendre. Certaines organisations autochtones tenaient à s'assurer qu'on nous entende. Les gouvernements changent, les organisations et les administrations changent, et il en va de même de la bonne volonté.
Nous tenons à nous assurer que les femmes du siècle prochain n'auront pas à comparaître devant un comité sénatorial ou un comité de la Chambre des communes dans 50 ans pour répéter ce que nous sommes en train de dire et ce que dit le peuple métis depuis l'avènement de la nation métisse.
Nous tenons à répéter fermement qu'il n'est pas approprié pour un gouvernement quel qu'il soit, que ce soit le gouvernement du Canada ou un gouvernement provincial, de dicter la ou les formes que devrait prendre l'autonomie gouvernementale métisse en en reconnaissant seulement quelques-unes.
Le comité sénatorial a dressé la liste des questions dont il souhaite discuter, en autres, le développement de mécanismes et la définition de stratégies de financement. Les Métis et les Canadiens n'ont probablement aucune idée de ce que coûterait un gouvernement métis. Nous sommes divers sur le plan géographique d'un océan à l'autre. Nous avons peu de territoire.
Nous ne voulons pas calquer les gouvernements qui existent au Canada. Pourtant, le gouvernement actuel nous achemine vers une organisation nationale ou provinciale. D'où viendra l'argent? Le gouvernement du Canada représente ce qu'ils perçoivent comme notre gouvernement. Ils n'ont jamais pris la peine de discuter de la proportion de mon argent en tant que contribuable et femme métisse qui servira à financer notre gouvernement.
Notre nation métisse n'a pas eu l'occasion d'examiner en profondeur et de façon éclairée les questions à propos desquelles vous voulez dicter notre conduite.
Certains des autochtones au Canada sont nettement en avance sur nous. Le Nunavut en est un excellent exemple, tout comme certains traités conclus avec certains groupes indiens.
Le peuple métis est nettement à la traîne. Nous demandons la possibilité de définir et d'élaborer des options, de définir des mécanismes de négociation et de mise en oeuvre, de définir des stratégies de financement, de définir la structure et le gouvernement dont ont besoin les Métis.
Le rapport de la commission royale indique qu'au début du XXe siècle, la nation métisse était déracinée, fragmentée et découragée. Ils tiennent à ce qu'avant la fin de ce siècle, la nation métisse ait repris la place qui est la sienne en tant que population autochtone autonome, autosuffisante, d'une grande vitalité culturelle, à l'intérieur d'une société canadienne plus soucieuse de l'égalité. Les auteurs du rapport étaient très optimistes. Nous ne le sommes pas; nous sommes très pessimistes.
Le XXe siècle tire à sa fin et nous n'avons toujours pas accédé à l'autonomie ni à l'autosuffisance. Nous n'occupons toujours pas la place qui nous revient au sein de la fédération canadienne. Faisons-nous partie d'une économie canadienne soucieuse d'égalité? Je ne le crois pas. Je suis très pessimiste à cet égard, tout comme bien des femmes ici présentes.
La commission royale a aussi dit que les messages exprimés par les femmes se rejoignaient sur plusieurs plans. Elles parlaient des femmes autochtones, qui vivent dans des conditions différentes en des endroits différents. Les femmes autochtones se soucient du bien-être de leurs enfants, de leur famille et de leur collectivité et elles ont des préoccupations qui touchent l'ensemble de notre mandat, à savoir l'éducation, la justice, les terres, les ressources, la gestion des affaires publiques, la santé et l'environnement.
Selon les statistiques, la majorité des femmes autochtones au Canada vivent sous le seuil de la pauvreté. Comme leurs témoignages le révèlent, les femmes autochtones sont souvent exclues de leur collectivité et de la prise de décision, notamment en ce qui concerne leur avenir et celui de leurs enfants. Par leur détermination à vouloir changer leur situation et à participer à ces secteurs d'activité, entre autre, elles envoient un message clair à la commission royale.
Le processus tripartite de négociation de l'autonomie gouvernementale présente des lacunes. Bon nombre d'organisations métisses provinciales, y compris les organisations féminines, ne sont pas reconnues par les conseils métis provinciaux que le Canada et les provinces ont désignés à titre de porte-parole de tout le peuple métis aux fins des négociations tripartites. Par conséquent, les organisations métisses et les organisations féminines qui ne sont pas reconnues par les organisations provinciales sont exclues du processus d'élaboration et de mise en oeuvre de l'autonomie gouvernementale.
C'est une situation très injuste, surtout que l'autonomie gouvernementale des Métis se limite aux services sociaux. Or, ce sont essentiellement des femmes qui assurent bénévolement la prestation de ces services. Le Métis National Council of Women va continuer de s'opposer à l'exclusion des femmes métisses et des organisations féminines métisses du processus d'autonomie gouvernementale.
Nous tenons à vous remercier, mais nous ne resterons pas les bras croisés. Nous allons continuer de nous faire entendre. Je crois que le sénateur Wilson a demandé plus tôt à d'autres témoins qui étaient leurs alliés. Nous écoutions, et à cette question nous répondons que ce sont les tribunaux de ce pays. Si le gouvernement du Canada ou les gouvernements provinciaux ne nous écoutent pas, les tribunaux le feront certainement.
Mes collègues et moi demeurons à votre disposition pour répondre aux questions.
Le sénateur Pearson: Votre exposé était fascinant, et nous avons besoin d'en apprendre davantage. Je suis d'accord avec vous, et je suis persuadé que mon collègue le sénateur Wilson l'est également, que les femmes ne devraient pas être exclues des discussions entourant le processus d'élaboration et de mise en oeuvre de l'autonomie gouvernementale.
Quelle est la source de ce problème dans votre collectivité? Pourquoi les femmes ont-elles été exclues? Vous avez bien dit que c'est ce que les gouvernements ont accepté, et j'en prends bonne note, cependant, les organismes actuels ne sont pas reconnus par le conseil métis provincial. Pourquoi?
Mme Genaille: Je ne peux répondre à leur place. Les organisations évoluent, et les directeurs changent. En termes simples, contrairement à la croyance populaire, ce sont encore les hommes qui détiennent le pouvoir dans les milieux autochtones.
Le sénateur Pearson: C'est une déclaration qui en dit long, et je crois qu'elle est fondée. Nous devrions essayer de changer l'attitude du gouvernement qui contribue à maintenir cet état de chose. C'est peut-être la situation, mais nous ne devrions pas contribuer à renforcer cette division. J'ignore quelle mesure nous pouvons prendre à cet égard, mais nous allons examiner le problème attentivement.
La question des négociations de nation à nation semble dépendre de la définition du terme nation. Si ce dernier n'inclue pas les femmes, le processus est donc imparfait. Avez-vous des observations à ce sujet?
Mme Marie Anne Piché, directrice, Métis National Council of Women Inc.: Je crois que le problème découle en partie de la structure des organisations métisses. Par exemple, le conseil provincial métis en Colombie-Britannique participe aux négociations tripartites sur l'autonomie gouvernementale avec le gouvernement fédéral et la province. Un des problèmes, c'est l'absence de consensus entre toutes les organisations. Certaines d'entre-elles sont exclues et n'ont pas l'occasion de participer au processus décisionnel inhérent aux négociations. Ce qui m'inquiète, c'est que les groupes qui sont exclus des négociations n'ont pas suffisamment voix au chapitre dans l'élaboration ou la mise en oeuvre du processus.
En ce qui concerne les femmes métisses, le processus est encore patriarcal et la principale organisation est dirigée principalement par des hommes. Les femmes ne sont pas suffisamment représentées aux négociations sur l'autonomie gouvernementale. J'aimerais que les femmes aient la possibilité de collaborer à l'élaboration de l'autonomie gouvernementale et des politiques connexes.
De plus, les organisations féminines doivent demeurer indépendantes des grandes organisations. Elles doivent constituer des organisations à part entière. Par exemple, le Métis National Council of Women a travaillé d'arrache-pied au cours des dix dernières années pour créer un groupe féminin uni qui se consacre à l'avancement des causes chères aux femmes métisses. Ce groupe oeuvre également à l'échelle internationale. J'estime qu'il fait un excellent travail et qu'il devrait participer au processus de négociations tripartites.
Mme Alma Adams, vice-présidente, Métis National Council of Women Inc.: Je suis l'un des membres fondateur de la Métis Nation of Ontario. J'étais présidente du Conseil scolaire dans la région où j'ai habité pendant 22 ans. Je pratique la pêche commerciale. Afin de conserver mon poste au sein de la MNO, j'ai dû démissionner de mes fonctions dans les autres comités, car mon poste au sein de la MNO l'exige. J'ai travaillé très fort pour devenir présidente du conseil, et m'occuper des enfants, mais on m'a expulsée.
À la même époque, le Secrétariat d'État, maintenant Patrimoine Canada, nous a donné des fonds pour organiser une réunion de femmes. À l'issue d'un vote, les femmes ont alors décidé de créer leur propre organisation et de se constituer en personnes morales. Nous voulions notre autonomie. Nous voulions être sur un pied d'égalité avec la MNO, mais on nous a dit non, que nous devions nous débrouiller seules. On nous a dit: «Vous ne pouvez pas vous constituer en personnes morales. Vous devez rester parmi nous.» Toutes les subventions doivent leur être versées. Nous avons refusé. Nous voulions agir à notre guise, et pourtant nous voulions continuer d'être chapeautées par la MNO. Jusqu'à présent, cela ne s'est pas produit.
Un sénateur a demandé à un de nos frères Inuits ce que représente le pouvoir. Je peux vous dire ce que cela signifie. Nous voulons pouvoir assurer le bien-être de nos enfants et de nos familles. Le pouvoir est synonyme de bonne éducation et de logements adéquats.
Il y a beaucoup de mères célibataires et de mères mariées. Je suis mariée depuis 26 ans, et j'en suis heureuse. Les mouvements nationaux constitués d'hommes ne se préoccupent pas du bien-être de nos collectivités, de nos enfants et de nos femmes.
Comme vous le savez, les femmes jouent un rôle très important dans la société. Nous sommes des mères, des grands-mères et des épouses. Cette question nous préoccupe beaucoup. Il s'agit d'un mandat très vaste.
L'éducation est également importante. Nous ne recevons de l'aide que dans un seul secteur de l'éducation, l'enseignement du droit, après une période de deux ans. Par conséquent, pour obtenir une bonne éducation, il faut naître dans une famille bien nantie.
Pour ce qui est des soins de santé, j'habite à la périphérie de la réserve. La réserve dispose d'un centre médical, mais je ne suis pas autorisée à m'y rendre, et je ne m'en formalise pas. Nous devons parcourir 160 milles en avion pour accoucher. Dans le Nord, nous devons aussi prendre l'avion. Même si c'est peu important pour les hommes, les femmes aiment bien être accompagnées de leur mari lorsqu'elles accouchent. De plus, les personnes atteintes d'un cancer doivent parcourir 200 ou 300 milles pour se faire soigner.
Voilà les questions qui nous préoccupent et les problèmes que nous voulons régler. Nous ne pouvons pas nous cacher dans nos condos dans un village de 50 habitants. Nous devons pouvoir regarder ces femmes et nos enfants en face.
Nous sommes ici pour nous faire entendre de vous. Ne nous oubliez pas. J'ai déjà rencontré certains d'entre vous, mais je crois que vous m'avez oubliée. J'espère que vous vous souviendrez de moi la prochaine fois. Nous reviendrons. Nous nous soucions de tous les autres. Nous nous soucions de nos soeurs -- Inuits, autochtones, Métisses et Blanches.
J'espère que j'ai été claire, tout ce que nous voulons, c'est de pouvoir contrôler notre destinée. Nous voulons avoir voix au chapitre en ce qui concerne l'autonomie gouvernementale. Nous voulons au moins prendre place à côté des hommes. Mais ils ne veulent rien entendre, même si ce sont des femmes qui leur ont donné la vie.
J'espère que vous comprenez mes propos. Je serai grand-mère en juin, et je veux assurer la protection de mes petits-enfants. De nombreux autochtones assujettis à un traité auront des enfants métis. Ils doivent aussi se réveiller.
Le sénateur Wilson: J'ai appris l'histoire de Seven Oaks à Winnipeg, et j'y ai emmené mes enfants pour leur donner une leçon d'histoire. J'ai vécu au Manitoba la moitié de ma vie et je connais bien votre situation qui m'intéresse vivement.
Je crois que l'élément clé de votre exposé se trouve à la page 20, lorsque vous mentionnez la recommandation 4.2.1 de la commission royale qui dit, en effet, que le gouvernement du Canada devrait fournir des fonds aux organisations féminines autochtones, y compris aux groupes urbains, pour améliorer leur capacité de recherche et leur permettre de participer pleinement à tous les aspects de l'édification de la nation. Vous dites que le gouvernement du Canada a fait fi de cette recommandation. Par conséquent, en tant que peuple métis, vous n'avez pas pu décider du genre du gouvernement qui vous conviendrait le mieux.
Vous avez dit que les tribunaux étaient vos alliés, mais avez-vous une stratégie pour corriger le fait que seulement sept organisations autochtones sont reconnues? Allez-vous devoir vous adresser aux tribunaux ou est-ce que cela constitue une priorité pour vous?
Mme Genaille: Dans un certain sens, c'est une priorité. Comme nous sommes une organisation nationale, il y a un effet domino. Si le Bureau du Conseil privé ne nous reconnaît pas, les autres ministères ne le feront pas non plus. C'est donc important.
Ce qui compte avant tout, c'est qu'il n'y a pas de gouvernement métis au Canada. Aucun traité moderne n'a été signé. Aucun changement n'a été apporté pour nous reconnaître dans la Constitution. En autant que je sache, aucune loi fédérale ne reconnaît un gouvernement métis.
J'ignore comment faire comprendre aux politiciens la différence entre une organisation non gouvernementale ou une organisation sans but lucratif et un gouvernement. Nous voulons non seulement faire reconnaître notre organisation mais aussi faire reconnaître les femmes oeuvrant dans les organisations régionales qui ne sont pas nécessairement membres de notre organisation ou qui font peut-être partie d'une petite organisation communautaire. Nous voulons que le gouvernement reconnaisse qu'il n'y a aucun gouvernement métis et qu'il laisse les Métis décider.
Est-ce que les Métis du Labrador font partie d'une organisation métisse? Je me suis adressée à un groupe de femme à Goose Bay. Elles n'avaient pas de porte-parole national. Elles constituent une organisation métisse communautaire. Si le gouvernement du Canada dit au peuple métis qu'une certaine organisation sans but lucratif les représente sur le plan politique, mais que ce groupe du Labrador n'en a jamais entendu parler, qui donc parle en leur nom? Qui représente les 75 p. 100 de Métis au Canada qui ne font partie d'aucune organisation?
Pourquoi les politiciens croient-ils que les peuples autochtones sont différents? Le Canada compte plusieurs partis politique. Ce comité constitue un bon exemple. Il regroupe à la fois des conservateurs et des libéraux. Est-ce que les autochtones vous ont dit que vous deviez être membres du même parti, que vous deviez adhérer aux mêmes idéaux et idéologies?
Pourtant, à vos yeux, les Métis sont quelque peu différents. Nous sommes censés tous souscrire aux mêmes idées; il ne devrait pas y avoir d'opposition. L'expression et la discussion d'idées contradictoires sont pourtant très salutaires dans un groupe. Pourquoi le gouvernement croit-il que les autochtones sont différents?
Sénateur Adams, qu'est-ce qui les pousse à croire que nous sommes différents?
Le sénateur Wilson: Avant de répondre à cette question, j'aimerais dire que j'ai appris avec beaucoup de satisfaction que le Canada allait signer une convention pour mettre un terme à la discrimination à l'endroit des femmes. Après cette réunion, je me rends directement à un caucus de femmes à Ottawa. Quarante organisations féminines sont en train d'élaborer des stratégies pour suivre et examiner la performance du Canada à cet égard. J'y apporterai une copie de votre exposé.
Mme Genaille: Sénateur Wilson, le Métis National Council of Women s'intéresse avant tout à la situation au Canada, mais il est aussi présent sur la scène internationale. En fait, je dois me rendre à New York pour écouter la déclaration du Canada aux Nations Unies.
Le sénateur Adams: Dans votre mémoire, vous avez fait allusion à la Pauktuutit Inuit Women's Association. Cette organisation a joué un rôle clé dans les revendications territoriales du Nunavut. Lorsque nous avons examiné le mode d'administration du Nunavut, on a décidé que l'assemblée législative serait constituée d'autant d'hommes que de femmes. Je ne comprends pas pourquoi vous n'avez pas les mêmes droits que vos maris.
Cet après-midi, je me suis réjoui de l'adoption du projet de loi C-57, Loi portant modification de la Loi sur le Nunavut relativement à la Cour de justice. Le comité est constitué majoritairement de femmes. Le gouvernement du Nunavut compte 50 ministres, et j'étais heureux que ces gens viennent aujourd'hui pour expliquer le mode de fonctionnement du Nunavut.
En tant que femme au foyer, vous observez ce qui se passe dans la famille. Les femmes exercent un certain pouvoir. C'est le cas des femmes autochtones. Certaines de vos organisations, comme celles des Métis, devraient nous aider à trouver une solution. Voilà ma suggestion. Nous reconnaissons la contribution des femmes. Les hommes devraient chasser, et les femmes devraient s'occuper de la cuisine et du foyer. C'est votre travail.
Mme Genaille: Est-ce que vous me posez une question?
Le sénateur Adams: C'est ma pensée. Comment le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral peuvent-ils affirmer qu'ils ne reconnaissent pas votre organisation? Vous n'avez signé aucun traité. Pourquoi ne vous reconnaissent-ils pas?
Mme Genaille: Il n'appartient pas au gouvernement de décider qui devrait nous gouverner.
Je suis heureuse d'apprendre que le Nunavut fait une place aux femmes inuits; cependant, les femmes de Pauktuutit n'ont pas eu la tâche facile et elles doivent continuer de se battre contre les autorités fédérales. La présidente sortante et moi étions des collègues, et il en est de même de la nouvelle présidente. Lorsqu'ils veulent participer à différentes initiatives, les Inuit de Pauktuutit se font dire par les fonctionnaires fédéraux de s'adresser à la nation Inuit Tapirisat. Tout le monde le sait.
Nous entretenons des pourparlers avec les femmes inuite. Je me réjouis que le Nunavut reconnaisse la place des femmes, mais les Pauktuutit traitent avec le gouvernement fédéral sur la scène nationale, et les portes se referment comme c'est le cas pour nous au sujet de certaines initiatives du gouvernement fédéral. Je l'ai mentionné parce que nous en entendons parler de temps à autre. On compte sept organisations nationales au pays. Nous disons que vous en oubliez deux: les femmes Inuits et les Pauktuutit, qui constituent une organisation nationale autonome, et nous. Nous incarnons une âme nationale. De nombreux problèmes subsistent. Je crois qu'on nous considère comme un parti politique, une prétention que nous n'avons jamais eue. Nous veillons simplement à ce que les femmes puissent se faire entendre et apporter leur contribution.
Le président: Si aucun autre sénateur n'a de questions à poser, je me sens dans l'obligation de répondre à la question que vous avez posée: Qui sommes-nous et que sommes-nous?
D'entrée de jeu, il est toujours difficile de s'intégrer en période de transition. Pour ce qui est de la situation actuelle et de notre place en tant que peuple autochtone, bon nombre d'entre nous servent notre peuple et tentent de le représenter par l'entremise de sociétés sans but lucratif. Ces instruments ne sont que des outils, ils ne constituent pas un gouvernement. Cependant, lorsqu'ils parlent en notre nom, ils ne disent pas: «En tant qu'organisations, nous constituons le gouvernement». Dans un certain sens, ils tentent plutôt d'affirmer: «En tant que peuple, nous constituons le gouvernement». Voilà ma perception des choses. Lorsque différentes organisations agissent de la sorte à l'égard d'un peuple dont elles connaissent peu le style de vie et le fonctionnement, les gens ont tendance à dire: «Nous constituons le gouvernement». Je ne crois pas qu'ils essaient de dire: «En tant qu'organisation, nous constituons le gouvernement».
Si je dis cela, c'est parce que j'ai vécu l'expérience des périodes de transition. Quand nous n'avions rien au Nunavik, nous avons formé une organisation qui nous a servi d'instrument pour plaider, et ensuite, négocier. Les négociations ont abouti mais l'organisation est encore aujourd'hui constituée et dotée d'un numéro d'oeuvre caritative pour fins d'impôt. Nous l'avons mise en veilleuse en 1979. Des sociétés comme Makivik peuvent être rentables; outre le côté commercial, ces organisations peuvent en même temps se doter d'une aile politique pour administrer les droits acquis et surveiller la mise en oeuvre. Une fois créée, Makivik a tôt fait de gérer des millions de dollars. En outre, elle s'adonne à une activité commerciale qui contribue à l'économie. Grâce à cette organisation, nous avons pu créer plusieurs compagnies aériennes et avoir des activités dans le domaine de la pêche, de l'exploitation du pétrole et dans d'autres domaines.
Nous disposons d'un autre instrument -- ce qu'on appelle le gouvernement régional. Pour l'heure, il ne s'agit de rien de plus qu'un gouvernement délégué par la province de Québec.
Aujourd'hui, d'autres témoins vous ont parlé d'un système unifié. Qu'est-ce que cela signifie? Cela signifie que les Inuits essaient d'exercer leur propre compétence dans des domaines qui appartiennent actuellement à deux compétences séparées. Voilà ce qui se passe dans le monde inuit.
D'autres changements s'imposent encore. Je songe ici à «l'ethnicisation» d'un gouvernement éventuel. Cela se produira plus tard. Vous dites: «nous sommes exclues des organisations d'hommes». Je me demande s'il ne s'agit pas là d'une difficulté interne que devraient régler les Métis -- j'entends les hommes et les femmes -- les femmes maintenant des organisations indépendantes de celles des hommes. Il ne faut pas hésiter à instaurer un régime démocratique. C'est à vous de prendre la décision qui n'incombe pas au gouvernement.
Permettez-moi de vous dire qui vous êtes et ce que vous êtes. Plus j'écoute ce que vous avez à dire, mieux je comprends et plus je souhaite vous aider et faire des démarches auprès de ceux qui vous empêchent de vous intégrer totalement à une société dont vous devez être partie prenante. Si vous avez besoin d'un intermédiaire à cet égard, je me porte volontaire, indépendamment de mes fonctions de sénateur.
Mme Genaille: Permettez-moi de répondre. Je comprends vos observations. Je ne pense pas que le peuple métis se trouve encore dans une période de transition. Vous avez dit «faire partie». Effectivement, c'est ce que nous voulons. Toutefois, jetons un coup d'oeil sur la démographie des Métis, en particulier les femmes métisses. C'est bien beau de dire: «Allez-y, faites partie de la société». Nous avons essayé monsieur le président, nous sommes très conscientes d'avoir été à l'occasion exclues, même au comité.
C'est bien beau de dire: «Faites participer les femmes», mais quand le gouvernement du Canada fait en sorte que nous sommes exclues de certaines organisations, nous n'avons aucun recours. Quand le gouvernement du Canada affirme dans le document intitulé: «Rassembler nos forces» que des fonds seront mis à la disposition des femmes autochtones, il faut se demander en quelle année. Allons-nous vivre assez longtemps pour en profiter? Est-ce que ce sera avant la fin du siècle? Suis-je pessimiste? Effectivement, je le suis, car ce gouvernement ne nous a pas donné un sou pour étudier ce que les femmes souhaitent ou ne souhaitent pas.
Effectivement, nous voulons participer à la société et nous voulons y prendre notre place, mais quand les soi-disant leaders disent: «Je ne vous reconnais pas comme présidente du Métis National Council of Women», j'interprète cela comme signifiant qu'on ne reconnaît pas le droit des femmes métisses à se constituer en organisation ou à y adhérer. Comme ma collègue à ma droite vous l'a expliqué, elle a dû renoncer à son siège à l'organisation de la nation métisse de l'Ontario car on voulait la déloger du conseil scolaire. Effectivement, nous voulons participer, mais quand on nous met des bâtons dans les roues et que nous nous effondrons, il nous faut du temps pour nous remettre sur pied. Je vous remercie de vos remarques.
Le président: Merci de votre exposé. Je suis sûr qu'il ne restera pas lettre morte. Il nous faut trouver des solutions aux problèmes que vous avez signalés. Comme je l'ai dit, certains d'entre nous sont prêts à vous aider tant que nous pourrons.
Le sénateur Forrestall: J'ai été un peu étonné tout à l'heure quand vous avez dit que vous n'aviez pas reçu un sou du gouvernement fédéral du Canada. Serait-il indiscret de vous demander où vous obtenez votre budget actuellement?
Mme Genaille: Peut-être que vous avez mal compris. Je parlais du ministre Goodale et du document intitulé: «Rassembler nos forces». Le ministre comme le texte du document affirment que le Canada va mettre des fonds à la disposition des femmes autochtones pour l'étude des questions concernant l'autonomie gouvernementale.
Le sénateur Forrestall: L'a-t-on fait?
Mme Genaille: Non.
Le sénateur Forrestall: Cela ne répond pas à mon autre question. Obtenez-vous de l'argent actuellement?
Mme Genaille: Oui.
Le sénateur Forrestall: Vous êtes ici et vous habitez très loin.
Mme Genaille: Je songeais plus particulièrement au document intitulé: «Rassembler nos forces». Pour reprendre ce que je disais dans mon exposé, nous pensons que les Métis, et moins encore les femmes, n'ont pas eu l'occasion de se pencher là-dessus. Nous rappelons que le Canada avait promis aux femmes autochtones qu'elles pourraient intervenir dans les discussions concernant l'autonomie politique.
Mme Adams: Les présidents d'organisations dans les provinces sont pour la plupart des bénévoles. Nous devons assumer nous-mêmes les frais de téléphone et de télécopieur, et autres frais de ce genre.
Le sénateur Forrestall: Vous avez beaucoup de mérite.
Mme Adams: Nous sommes des ferventes de cette cause.
Le sénateur Forrestall: Continuez.
Mme Adams: Monsieur le président, une dernière chose: la prochaine fois que vos collègues iront à Genève pour déclarer que les femmes jouissent de droits égaux au Canada, dites-leur que ce n'est pas vrai.
Le président: Merci de votre exposé.
Nous accueillons maintenant la représentante du Conseil national des autochtones du Canada, plus particulièrement de l'Alberta.
Mme Doris Ronnenburg, présidente, Conseil national des autochtones du Canada: Bonjour, honorables sénateurs. Avec mes collègues indiens, Keith Chiefmoon et Barbara Wendt, et notre technicien Richard Long, je tiens à remercier le Sénat de nous fournir l'occasion de venir vous parler du gouvernement autochtone. En 1991, le Conseil national des autochtones du Canada (Alberta) a bénéficié d'un financement pour participer au travail de la Commission royale sur les peuples autochtones pour étudier six moyens de financer l'autonomie gouvernementale autochtone autrement qu'à même les deniers publics. Huit ans plus tard, nous poursuivons avec enthousiasme nos efforts de réflexion sur les enjeux touchant le gouvernement autochtone.
Ainsi, le mandat du Sénat comporte les éléments suivants: Tout d'abord, les nouveaux rapports structurels entre les peuples autochtones et les gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux et entre les diverses communautés autochtones elles-mêmes; deuxièmement, les mécanismes de mise en oeuvre des nouveaux rapports structurels et des modèles d'autonomie politique autochtone permettant de répondre aux besoins des peuples autochtones et de parachever ces nouveaux rapports structurels.
Le Sénat et le comité s'attaquent à une tâche gigantesque. Nous vous en félicitons. Nous constatons ici que des sénateurs d'origine autochtone s'intéressent à la question. Je ne connais pas tous les sénateurs qui sont assis autour de la table mais j'en connais certains.
Notre exposé portera sur quatre points: tout d'abord, le gouvernement autochtone et le projet de loi S-14, Loi prévoyant l'autonomie gouvernementale des Premières nations du Canada, et nos six préoccupations concernant l'imputabilité; deuxièmement, le gouvernement autochtone et les sociétés appartenant aux bandes indiennes -- la question des droits des actionnaires à la direction et à d'autres niveaux; troisièmement les problèmes de gouvernement au sein des organisations nationales comme le Congrès des peuples autochtones; et quatrièmement, cinq recommandations visant à fixer les rapports structurels d'imputabilité qui s'imposent entre les communautés autochtones et au sein de celles-ci.
M. Long va commencer par vous exposer nos six préoccupations concernant l'imputabilité, étant donné le libellé actuel du projet de loi S-14. Ensuite Barbara Wendt, aidée de M. Long, vous parlera des droits des membres de la bande qui sont actionnaires des sociétés appartenant à Beaver en général. M. Chiefmoon parlera ensuite des problèmes d'imputabilité dans les organisations nationales autochtones, et le Congrès des peuples autochtones servira de cas de figure. En terminant, j'expliquerai les cinq recommandations que le Conseil national des autochtones du Canada (Alberta) souhaite faire ce soir. Nous sommes prêts à développer notre pensée un autre jour, au besoin, et à aborder d'autres aspects de cet énorme sujet.
Tout d'abord, nos six préoccupations concernant l'imputabilité, étant donné les dispositions actuelles du projet de loi S-14.
M. Richard Long, directeur exécutif, Conseil national des autochtones du Canada: Bonsoir, honorables sénateurs. Chemin faisant, j'ai remarqué les sculptures de neige qui se trouvent sur la Colline. La sculpture de l'Alberta est un énorme bloc de glace. J'ai demandé aux sculpteurs ce que cela représentait et ils m'ont répondu que c'était «blanc» et que je devrais repasser dans quelques jours. Cela illustre peut-être l'autonomie gouvernementale -- un énorme bloc de glace que nous essayons de sculpter.
Pour l'occasion, on m'a demandé de me prononcer sur une question technique. J'ai l'intention de le faire mais je demande votre indulgence. Le Sénat est saisi du projet de loi S-14 et votre tâche est de l'examiner. Ce soir, je me propose d'aborder certains aspects techniques du projet de loi.
Ce projet de loi est un document important. En fait, il est révolutionnaire. Nous l'avons analysé avec soin. Vous, les sénateurs, on vous demande d'envisager le gouvernement indien sous un angle révolutionnaire. Inutile de dire que nous vivons à une époque de bouleversement. Vous voudrez sans doute consulter le numéro du magazine Time de ce mois-ci que l'on vend aux États-Unis et au Canada. L'article vedette, sur une dizaine de pages, vous intéressera étant donné le travail que vous entreprenez. Croyez-moi, je ne travaille pas pour les rédacteurs de cette revue. Il s'agit d'un article très fouillé sur l'autonomie gouvernementale des Indiens. Il est question des revendications territoriales, de l'APN et de tout ce dont vous discutez ici en comité.
Le sénateur Pearson: Il s'agit sans doute de l'édition canadienne.
M. Long: Il y a également des choses sur toute l'Amérique.
Ici ce soir, et vous au Sénat, nous essayons de réfléchir sérieusement à l'évolution que représente le processus naissant d'autonomie gouvernementale du peuple indien. Vous essayez d'imaginer la meilleure façon de s'y prendre. Il faut bien dire que le travail que vous entreprenez est capital. Je demande votre indulgence, que vous m'écoutiez, car je souhaite apporter ma contribution à ce processus.
Je constate que mon discours se trouve à la page 23 du magazine. Ce que je vais vous expliquer se trouve donc dans cet article.
Les efforts que l'on fait depuis 100 ans pour mettre en oeuvre l'autonomie gouvernementale des Indiens et pour éclairer les Canadiens de façon générale, ne portent pas de véritable fruit. Nous devons tous le reconnaître. Ainsi, on essaie de trouver une façon différente de procéder. Le projet de loi S-14 est très bien rédigé. Il est excellent. Il est de premier ordre. Ses dispositions s'écartent de celles de la loi sur les Indiens avec une orientation nettement tournée vers le XXIe siècle et vers la façon dont le peuple indien se gouvernera lui-même à l'avenir.
Le sénateur Tkachuk, que je ne vois pas dans cette salle, parraine ce projet de loi. Il a été de nombreuses fois renuméroté. Il a travaillé avec feu votre collègue le sénateur Twinn, que j'ai très bien connu. Je pense que les dispositions de ce projet de loi reprennent ce qu'il souhaitait de son vivant.
En abordant les dispositions du projet de loi S-14, il faut bien se dire que celles de la loi sur les Indiens sont toujours en vigueur au Canada. En 1985, le gouvernement fédéral, sous la houlette de David Crombie, un conservateur, a modifié la Loi sur les Indiens -- ce que nous évoquons encore comme le projet de loi C-31 -- afin d'en supprimer les articles donnant lieu à des mesures discriminatoires. Inutile de rappeler les motifs, c'est ce qui s'est produit. La plupart des bandes des Premières nations indiennes ont accepté ces modifications. Les femmes qui se mariaient à des non-Indiens perdaient de la sorte le droit de se réclamer d'une bande et leur statut d'Indienne, tout comme du reste leurs enfants, filles ou garçons. Cela était offensant pour tous. Cela n'allait pas. Rappelons qu'à l'époque le Parti libéral comme le Parti conservateur s'accordaient pour dire que cela n'allait pas et qu'il fallait changer la loi. Ainsi, cette modification a été adoptée. J'ai assisté à l'étude article par article de ce projet de loi, étude qui a duré deux semaines. Le Gouverneur général a donné sa sanction et la modification est entrée en vigueur au Canada.
Ces amendements ont été acceptés par la plupart des régions du Canada, mais pas en Alberta. C'est différent là-bas. Le problème, c'est que 90 p. 100 de l'argent des Indiens est en Alberta. À ma dernière vérification, il s'agissait d'une somme d'environ cinq milliards de dollars. Je ne parle pas de l'argent des contribuables, mais bien de l'argent des Indiens. Cet argent n'a pas été investi en Alberta par hasard, mais bien parce qu'il y a du pétrole et du gaz là-bas.
Les quelques bandes qui ont accès à cet argent ont décidé de s'opposer aux modifications. Le sénateur Twinn, que j'estimais beaucoup, m'a dit lui-même qu'il pouvait compter sur 26 membres de la bande Sawridge de Slave Lake, en Alberta, et 100 millions de dollars. Deux cents personnes avaient présenté une demande d'adhésion à la bande Sawridge. Il m'a dit: «Ils deviendront membres, engageront un bon avocat, tiendront une réunion et m'écarteront. Ils vendront mes hôtels, se feront un chèque et iront à Acapulco». À ses yeux, le projet de loi C-31 menaçait son empire. Il ne s'intéressait pas aux droits des Indiens ou à vous, il s'intéressait au travail qu'il avait fait. Honnêtement, il avait fait un usage génial de l'argent des Indiens, à sa décharge. Il a fait construire des hôtels, des usines de traitement des eaux et des relais routiers. Il avait du talent.
Les quatre bandes Hobbema de Wetaskiwin, en Alberta, qui sont toutes aussi riches, l'ont appuyé. Elles ne voulaient pas inclure de nouveaux membres.
En 1986, Walter Twinn et ses collègues ont décidé d'intenter une poursuite en Cour fédérale du Canada. La cause est toujours pendante.
Le Congrès des peuples autochtones du Canada en Alberta, que je représente ce soir, a décidé de soutenir les femmes et les enfants touchés par le projet de loi. Nous avons obtenu la qualité d'intervenant et participons toujours à la poursuite.
Il y a eu un grand procès en 1992. Nous avons fait témoigner 27 personnes et Walter Twinn, environ 20. Le juge de première instance a tranché en notre faveur. Essentiellement, il a dit: «M. Twinn a peut-être de l'argent, mais vous avez présenté de meilleurs arguments».
M. le juge Muldoon, de la Cour fédérale, qui est Irlandais comme moi -- et je ne m'en excuse pas -- a été un peu exubérant dans son jugement.
Pour devenir membre de la bande Sawridge, vous devez remplir un questionnaire d'une centaine de pages sur votre identité, votre origine, et vos antécédents et préférences religieux et sexuels. Le juge Muldoon a dit en audience publique que ce document relevait du nazisme. Il avait raison, bien sûr, mais ce n'est pas le genre de chose qu'il faut dire en cette époque de rectitude politique des années 90. Soit dit en passant, 78 témoins ont comparu, y compris des Indiens de toutes les couches de la société, et le jugement reste valide aujourd'hui. Il dit clairement que, dans les années 90, on ne peut reprendre les pratiques discriminatoires du passé. En appel, un avocat a dit: «Avant de commencer, je veux soulever une objection aux propos du juge. Il est partial car il nous a comparés aux nazis». La Cour d'appel s'est dite d'accord et le procès a été interrompu. On a annulé la décision du juge de première instance, même s'il était juste en droit, et ordonné un nouveau procès. On nous a dit que le nouveau procès ne se tiendrait qu'en septembre de l'an 2000. Avant, je croyais que les seules certitudes dans la vie étaient la mort et les impôts; je sais maintenant qu'il y a une autre chose immuable, l'affaire Twinn. Nous en parlerons probablement encore en 2010.
Je ne veux pas donner l'impression que je prends cette affaire à la légère, car elle est très importante. On a refusé à des femmes et à des enfants l'appartenance à la bande. En quoi cela est-il pertinent à votre étude? Le projet de loi S-14 a été conçu par la bande Sawridge, le chef Twinn et ses confrères, comme option de rechange. Ils ont demandé à leurs avocats de faire de l'obstruction et, parallèlement, ils ont fait déposer ce projet de loi qui, dans les faits, leur permettrait à eux et aux autres bandes riches de se soustraire à l'application de la Loi sur les Indiens. Si cette bande se soustrait à l'application de la Loi sur les Indiens, elle pourra se soustraire à l'application du projet de loi C-31 et régler ainsi son problème.
Je ne veux pas être sinistre, mais c'est ce qui s'est passé. Ce projet de loi est l'un des mieux conçus que j'ai jamais lus, et c'est aussi l'un des rares qui n'aient pas été rédigés par les légistes du Sénat ou de la Chambre des communes, mais bien par Twinn et ses collègues.
Qu'est-ce qui ne va pas dans ce projet de loi? Je vous ai fait un petit historique. Maintenant, il importe pour vous de comprendre que, si vous adoptez ce projet de loi, la poursuite judiciaire aura perdu sa raison d'être. L'affaire aura été entendue, du moins pour Sawridge et Ermineskin et les autres grandes bandes qui défendent ce projet de loi. En vertu du projet de loi S-14, il leur suffira de tenir un référendum, de se soustraire à la Loi sur les Indiens, d'adopter la Loi sur l'autonomie gouvernementale des Premières nations et d'établir leurs propres règles d'adhésion à la bande.
Ce n'est peut-être pas une mauvaise chose. Moi, je m'y oppose parce que ce sont les pauvres qui souffriront, mais peut-être devrions-nous adopter une vision plus large. Disons que cela n'est pas pertinent. Alors, pourquoi le projet de loi est-il mauvais? Qu'est-ce qui ne va pas dans ce projet de loi? Le problème des gestionnaires républicains de l'affaire Lewinsky, c'est qu'ils ne peuvent mettre le doigt sur ce qui ne va pas. Ils prétendent que le président n'est pas un type bien, qu'il a fait certaines choses qu'il n'aurait pas dû faire, mais ils ne parviennent pas à prouver qu'il y a eu parjure et entrave à la justice. Moi, je vais tenter de faire la preuve de ce que j'avance. Je vous donnerai six raisons précises m'incitant à croire que le projet de loi est mauvais pour le pays. N'oubliez pas que ci ce projet de loi est adopté par le Sénat, il touchera toutes les bandes des Premières nations indiennes du pays, pas seulement celle de Sawridge, pas seulement celles de l'Alberta.
Le premier problème est l'article 19. Je l'ai sous les yeux et je ne ferai pas de légalisme, si je peux l'éviter. Le paragraphe 19(1) du projet de loi S-14 permet aux Premières nations qui adoptent ce régime, si je peux employer ce mot, de vendre les réserves ou de les grever d'une hypothèque. Les dispositions sur la cession de la Loi sur les Indiens ne s'appliquent plus. Il n'est plus nécessaire d'obtenir l'approbation du ministre ou de tenir un référendum. Le chef et le conseil seront habilités à prendre seuls la décision de vendre ou de grever d'une hypothèque les réserves indiennes. On dit qu'il y aura une constitution et des lois, mais nous savons tous que ce seront le chef et le conseil qui trancheront. Cela plaisait à Walter Twinn car, honnêtement, il n'aimait pas que le ministère des Affaires indiennes se mêle des affaires de sa petite réserve du nord de l'Alberta. Il avait été écarté du ministère et de l'application des dispositions de cession pendant des années et il en va de même pour sa veuve et Ermineskin et Hobbema.
J'aimerais revenir à l'époque des années 50 où Dwight Eisenhower était président des États-Unis et Richard Nixon vice-président. Ils étaient républicains. Des chefs de tribus indiennes leur ont rendu visite en 1954 pour réclamer ce qu'accorde le paragraphe 19(1). Ils ont dit: «Nous en avons assez du paternalisme du gouvernement fédéral et du Bureau des affaires indiennes. Nous sommes des adultes. Ce sont nos terres. Nous voulons pouvoir les vendre, les hypothéquer ou en faire ce que nous voulons, sans ingérence de votre part». L'administration républicaine d'Eisenhower et de Nixon a acquiescé, et le Congrès des États-Unis a adopté une loi à cette fin. Deux ans plus tard, la loi était abrogée. Entre-temps, 26 tribus américaines avaient perdu leurs terres. Dès qu'avait été accordé le pouvoir de vendre les réserves ou de les grever d'une hypothèque, les grandes entreprises pétrolières et houillères se sont précipitées sur les Indiens avec de l'argent et des ententes de coentreprise. Les chances n'étaient pas égales pour tous. Les entreprises avaient de l'argent et des avocats pour convaincre les Indiens de conclure des ententes.
Le congrès a abrogé la loi, car elle avait créé des sans-abri, qui le sont toujours. Si vous jouez avec les terres des réserves du pays, vous jouez avec ce qui a permis aux Indiens de survivre, même dans la pauvreté. Si vous cédez les réserves, vous cédez un pouvoir sans accorder de protection. On peut parler de paternalisme, et bien des gens croient que la Loi sur les Indiens est paternaliste, en ce sens que le ministre doit consentir à toute cession de terre approuvée par référendum. En 1999, il y a encore plus de 600 bandes qui détiennent des terres. Si vous les leur enlevez ou si vous les mettez en danger, vous risquez de faire des Indiens un peuple sans foyer qui perdra son identité. S'il y a une chose à l'égard de laquelle on doit être prudents, c'est bien le territoire des réserves. C'est la priorité absolue.
Il y a des chefs indiens, comme le chef Twinn, qui ont tout le talent et l'intégrité nécessaires pour réussir, et je les respecte, mais il y a 615 chefs et conseils dont bon nombre sont inexpérimentés qui pourraient conclure des ententes de développement permettant aux partenaires de la coentreprise d'exiger de la bande indienne qu'elle accorde une garantie à la banque. Si l'affaire échoue, la banque devient propriétaire des terres de la réserve.
Je ne préconise pas le paternalisme. En fait, je déteste le paternalisme. Je n'aime pas non plus la Loi sur les Indiens, je la déteste. Mais je vous assure que, si vous adoptez le paragraphe 19(1), vous devriez conférer le pouvoir aux membres des bandes et non pas aux chefs et aux conseils. Si vous supprimez les dispositions sur la cession et l'approbation ministérielle, vous devriez prévoir une autre forme d'approbation. Dans mon mémoire, je propose que, si 90 p.100 des membres d'une bande souhaitent grever leur réserve d'une hypothèque ou la vendre, ils puissent le faire puisque c'est à eux qu'appartiennent ces terres. Une majorité de 50 ou 60 p.100 ne suffit pas. Elle devrait être de 90 p.100
Le président des États-Unis ne sera pas destitué demain notamment parce qu'il faudrait une majorité de 75 p.100 des voix pour ce faire. S'il suffisait que la moitié des sénateurs soient pour, il serait destitué car le Sénat compte 55 républicains. Les rédacteurs de la Constitution voulaient qu'il soit difficile de destituer le président. Tout ce que je vous demande, si vous adoptez le paragraphe 19(1), ou si vous envisagez de l'adopter, c'est de vous assurer qu'il soit difficile de vendre ou de grever d'hypothèque une réserve. Faites que ce soit difficile. Ne laissez pas à 50 p.100 des membres d'une bande la possibilité de le faire.
Le deuxième problème est l'annexe I, articles 15(7), 16k), 16l), 17h), 17j) et 18 qui traitent tous d'argent. Ces articles se fondent sur le principe selon lequel les Indiens ne devraient pas être tenus d'obtenir du ministère des Affaires indiennes la permission de dépenser leur propre argent, comme c'est le cas actuellement avec les comptes de capital et de recettes. Je suis certain que d'autres témoins vous ont dit que c'est paternaliste. Pourquoi les Indiens doivent-ils être traités comme des enfants. C'est leur argent, après tout. Cela a en effet causé des difficultés. Nous savons tous que le ministère des Affaires indiennes a investi l'argent des Indiens dans des entreprises pétrolières du Grand Nord et que ces investissements se sont soldés par des perte. Les gestionnaires Blancs de l'argent des Indiens ont perdu beaucoup d'argent. Les intérêts qui devaient être versés ne l'ont pas été. Des poursuites ont été intentées contre la bande Hobbema à Wetaskiwin. Je n'ai pas besoin de vous le répéter. Les Indiens disent que c'est leur argent et qu'ils veulent le dépenser comme bon leur semble. Ce n'est pas l'argent des chefs ni du conseil. C'est l'argent de la bande.
L'article 18 de l'annexe I parle de «Pouvoir d'appréciation». Il stipule ce qui suit:
Le conseil a toute latitude pour le choix de ses placements sur capital ou sur recette, dans la seule limite des lois et de la constitution de la Première nation.
On insiste bien là-dessus.
Que se passe-t-il si le conseil, qui est souvent dominé par une ou deux personnes, investit l'argent dans des obligations à risque élevé, à la bourse ou dans une entreprise comme celle décrite aux articles 16 et 17 et dans lesquels le chef et le conseil ont des intérêts? Le pouvoir d'appréciation est sans limite.
Si vous, qui n'êtes pas Indien, avez un conseiller en investissement, il suivra vos directives. Si l'argent est dans une fiducie -- et n'oubliez pas que l'argent des Indiens est conservé en fiducie pour tous les membres de la bande -- la fiducie est régie par des règles. Certains investissements ne sont pas permis, et il y a des règles concernant les conflits d'intérêt.
En examinant les dispositions du projet de loi S-14 portant sur les terres et l'argent, je suis tombé sur les articles prévoyant la responsabilité financière. Les articles 19 à 26 de l'annexe 1 décrivent en détail la responsabilité financière. Certains documents financiers doivent être tenus. On doit y permettre l'accès, et vous pouvez demander à un avocat ou à un comptable d'examiner les livres. Ces dispositions sont très détaillées, mais elles comportent une lacune.
Au début du projet de loi, on prévoit que l'accès est limité aux membres d'une Première nation ou à un électeur. C'est le mot «électeur», qui est le mot clé. Si vous n'êtes pas un électeur d'une bande indienne aux termes du projet de loi, vous ne pourrez voir ces documents financiers. Vous pouvez bien aller au bureau de la bande avec votre avocat et votre comptable, mais on ne vous donnera pas accès au document.
Si nous nous penchons sur les articles traitant des électeurs, nous constaterons que ce sont les plus importants de tout le projet de loi. Les électeurs sont, en fait, ceux qui élisent le chef et le conseil, ceux qui sont éligibles au poste de chef et de membre du conseil et ceux qui ont accès aux livres.
Pour être considéré comme un électeur aux fins du projet de loi, vous devez habiter habituellement dans la réserve pour participer aux élections du chef et du conseil, briguer le poste de chef ou de membre du conseil ou consulter les livres. Vous pouvez être membres de la bande.
Un article paru récemment dans le magazine Time, que je vous encourage à lire, indique que 43 p. 100 des Indiens au Canada habitent hors réserve. Nous savons en outre que leur nombre est en hausse.
Un grand nombre d'Indiens hors réserve, de membres de bandes indiennes -- je ne parle pas des Métis ou des Indiens non inscrits, mais bien des Indiens inscrits détenant une carte du gouvernement et appartenant à une bande -- n'admettent pas qu'ils perdent leur droit de vote dès qu'ils quittent la réserve.
En septembre de l'an dernier, la Cour fédérale du Canada a entendu l'affaire Corbiere. Corbiere était un chef indien de Sault Ste. Marie, en Ontario. Il a été élu chef puis a décidé d'aller travailler à Sault Ste. Marie. Si vous y allez, vous le trouverez au casino où il travaille à l'accueil. Il accueille les clients du casino en smoking. Il y fait deux fois plus d'argent que lorsqu'il était chef. Je connais bien John, c'est un chic type. Il a décidé d'aller travailler là car le salaire y était meilleur. Il était chef de la bande Batchewana. Dès qu'il a quitté Sault Ste. Marie, on a tenu des élections; on a refusé d'accepter sa candidature au poste de chef et on lui a retiré son droit de vote.
Il a donc intenté une poursuite contre le ministère et la bande. Par l'intermédiaire de ses avocats, il s'est opposé à l'article 74 de la Loi sur les Indiens qui dit que vous devez résider ordinairement dans la réserve pour jouir du droit de vote si vous êtes membres d'une bande assujettie à la loi. Il a eu gain de cause.
Le juge Strayer, de la Cour fédérale du Canada, dans un jugement de 93 pages que je vous encourage à lire, a examiné tous les aspects de la question, à savoir qui a le droit de vote et qui n'a pas le droit de vote. Il a conclu que l'article 15 de la Loi constitutionnelle, à la rédaction de laquelle bon nombre d'entre vous ont participé, stipule que nous sommes tous égaux. C'est l'un de nos droits fondamentaux d'être tous égaux. Ainsi, les hommes sont les égaux des femmes. M. le juge Strayer a stipulé que l'exigence de résidence crée deux catégories d'Indiens: ceux qui ont le droit de vote et ceux qui ne l'ont pas.
Il a déclaré que, pour certaines questions locales ou municipales, telles que le réseau d'égouts, une école ou la réfection d'une ruelle, on pouvait imposer une exigence de résidence au pouvoir de dépenser. Toutefois, dans le cas des réserves et des terres des bandes, tous les membres d'une bande ont le droit de vote.
La Cour d'appel fédérale du Canada a confirmé cette décision à l'unanimité. En septembre dernier, le droit d'appel a été accordé et les neuf juges de la Cour suprême du Canada, présidé par M. le juge Lamer, ont entendu des arguments pendant six jours. J'étais présent. La décision n'a pas encore été rendue.
Voici où je veux en venir: en première instance et en appel, les tribunaux ont clairement stipulé que les Indiens ont le droit de vote même s'ils habitent hors réserves.
Or, le projet de loi S-14 prévoit que, pour être un électeur, il faut habiter ordinairement dans la réserve. Cela va à l'encontre des décisions judiciaires et du gros bon sens.
Si vous adoptez le projet de loi S-14, vous retirerez aux Indiens hors réserve leur droit de vote. Nous sommes au XXe siècle, à l'aube du XXIe siècle, et nous croyons tous à la démocratie. Ne croyez-vous pas que les Indiens aussi croient à la démocratie?
Nous vous avons distribué un montage, un bulletin produit l'an dernier. Nous y décrivons ce qui s'est passé chez la nation crie Énoch de l'Alberta.
À la lumière de l'arrêt Corbière, l'an dernier, cette nation a décidé d'accorder le droit de vote aux Indiens hors réserve, habitant à Edmonton, et 700 se sont prévalus de ce droit. On a tenu des élections et le monde n'a pas cessé de tourner. Un chef et un conseil ont été élus qui sont davantage à l'écoute des besoins des Indiens vivant hors réserve, en ville.
À mon avis, le projet de loi S-14 nous fait régresser. Les membres des bandes indiennes devraient pouvoir élire leur représentant et consulter les registres financiers comme le prévoit la loi. Ils devraient avoir voix au chapitre en ce qui concerne leur terre et leur argent et devraient être éligibles comme chef ou membres du conseil.
Enfin, j'aborderai la Loi canadienne sur les droits de la personne. Elle est difficile à trouver dans le projet de loi. J'ai lu le texte environ sept fois et je n'ai trouvé la mention qu'à ma dernière lecture. Certains chefs indiens croient que la Loi canadienne sur les droits de la personne ne s'applique pas aux Indiens et, en effet, le paragraphe 30(4) de ce projet de loi prévoit que la Loi canadienne sur les droits de la personne ne s'applique pas aux actes accomplis sous le régime de cette loi.
Pourquoi donc? Souhaitez-vous qu'il existe des gouvernements qui ne soient pas assujettis aux lois canadiennes concernant les droits de la personne? Si tel est le cas, comment protègera-t-on les Indiens de leur propre gouvernement? La Commission canadienne des droits de la personne traite les plaintes d'abus commis par le gouvernement. À qui s'adresseront les Indiens qui s'estiment lésés? Pourquoi n'auraient-ils pas le droit de s'adresser à la Commission des droits de la personne?
En vertu du projet de loi, les honoraires des avocats sont versés par le chef et le conseil. Si la Commission des droits de la personne juge que votre plainte est fondée, elle vous enverra un agent qui vous aidera et elle en assumera les coûts. Il y a bien des Indiens qui n'ont pas les moyens de se payer un avocat. Cependant, la bande peut engager un avocat pour s'opposer à un Indien.
La Commission des droits de la personne est l'un des rares endroits où les particuliers indiens peuvent s'adresser. L'an passé, la Commission des droits de la personne a commencé à refuser de s'occuper des plaintes en vertu de l'article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Si la bande a un code d'appartenance et qu'on formule une plainte sur l'appartenance, la Commission refusera de s'occuper de la plainte. À l'heure actuelle, le particulier indien qui n'a pas d'argent peut obtenir de l'aide de la Commission. Si le projet de loi est adopté, cela ne sera plus possible.
Certains croient que les droits n'ont rien à voir avec l'argent. Moi, je sais que si vous n'avez pas d'argent, vous n'avez aucun droit. Certains cabinets d'avocats prendront votre cas gratuitement ou n'exigeront que des honoraires conditionnels, mais si vous voulez vous battre contre votre bande, cela vous coûtera des milliers de dollars et les avocats voudront se faire payer. Ce projet de loi élimine l'une des rares options qui s'offre encore aux particuliers indiens qui s'estiment lésés.
Le Congrès des peuples autochtones en Alberta a recueilli 418 000 $ au cours des 13 dernières années pour les honoraires d'avocat. Nous avons fait l'impossible pour trouver des fonds car ceux que nous représentons n'ont pas d'argent. La veuve du sénateur Twinn, elle, peut faire un chèque de 10 millions de dollars.
En supprimant le recours à la Commission canadienne des droits de la personne, le projet de loi S-14 empêche les particuliers indiens de s'opposer à leurs bandes. En vertu de ce régime, seuls le chef et le conseil pourront prendre des décisions. Ils pourront vendre la réserve ou la grever d'une hypothèque. Ils pourront utiliser l'argent de la bande pour donner des maisons et des emplois à leurs amis.
Il va sans dire que le projet de loi S-14 ne me plaît pas.
Le président: Merci de vos déclarations. À titre de président du comité, je vous sais gré de vos remarques sur le projet de loi. Je n'en dirai pas plus long à ce sujet car le projet de loi est encore à l'étude, mais je ne crois pas qu'il soit adopté automatiquement. Vous savez comment ça fonctionne à Ottawa. Ça ne va pas vite.
Le projet de loi S-14 sera scruté à la loupe. Vous avez mis en relief les effets du projet de loi sur les particuliers et sur ceux qui tenteront d'obtenir l'autonomie gouvernementale pour décider de leur destinée. Nous prenons bonne note de vos remarques et nous vous assurons que cette mesure législative fera l'objet d'un examen approfondi.
Le sénateur Pearson: Nous avons peu de temps, mais j'aimerais entendre Barbara Wendt et Keith Chiefmoon.
Le sénateur Gustafson: J'ai une question à poser. Connaissez-vous le sénateur Chalifoux?
Mme Ronnenburg: Oui.
Mme Barbara Wendt, conseillère, Première nation Beaver: Honorables sénateurs, je tiens d'abord à dire que j'ai voulu devenir conseillère pour redonner aux membres de notre Première nation un peu d'amour propre, d'humanité, de dignité et d'unité. La Première nation Beaver compte deux réserves qui sont séparées par environ six mille de terres agricoles. Il y a la réserve de Boyer River et la réserve de Child Lake. Le chef habite dans la réserve de Boyer River, et c'est cette réserve qui obtient tout. J'y habite aussi.
Je voulais que mon peuple ait la liberté de parole. Je veux que les gens puissent exprimer leurs opinions sans crainte de se voir refuser des services auxquels ils ont droit ou de perdre leurs emplois.
Je vous en donne un exemple. Peu de temps après que j'aie été élue, le chef, qui n'était pas d'accord avec mes intentions, a tenté de me congédier. Il m'a dit de démissionner de mon poste de conseillère. Il a reconnu qu'il n'avait pas le pouvoir de me congédier, mais il m'a ordonné de démissionner. Il a congédié mon mari, qui était conducteur de camion, et a contesté l'élection sans motif raisonnable.
L'élection fait d'ailleurs toujours l'objet d'une contestation.
Les conseillers nouvellement élus de la Première nation Beaver tentent en vain de régler les affaires de la bande. Notre chef élu nous fait obstacle en s'absentant des réunions et en faisant fi des trois autres conseillers. Chaque fois que le nouveau conseil tente de s'occuper des affaires de la bande, il fait face à des menaces, des accusations et de l'intimidation.
Le chef est aussi gestionnaire de la bande et de la ferme et contrôle la Rocky Land Cattle Company. Nous n'avons pu déterminer le statut juridique de la ferme et l'entreprise d'élevage de bovins refuse de traiter avec nous.
Nous savons que des sommes d'argent ont été versées par la bande à ces entreprises dans le passé. Tant que le conseil ne connaîtra pas le statut juridique et le bénéficiaire de ces entreprises, les membres de la bande ne pourront exiger qu'on leur rende des comptes. Puisque ces entreprises ne nous ont fourni aucune information, nous avons pris la mesure suivante: à une réunion du conseil à laquelle le chef avait choisi d'être absent, le pouvoir de signature a été modifié de façon à assurer une meilleure reddition de compte à la bande. On exige dorénavant trois signatures.
En dépit des tentatives répétées de la part du nouveau conseil d'obtenir des informations sur les affaires et les comptes de la bande et les programmes existants et leur bilan, seules des informations partielles et bien choisies ont été fournies.
En tant que conseil, il nous faut un historique de tous les programmes pour que nous puissions les traiter de façon cohérente. Le conseil a été élu par les membres de la bande. Notre mandat, sous la surveillance des électeurs, est de mettre fin à certaines injustices qui se produisent. Le conseil a engagé un avocat pour rédiger une liste de règlements pour la bande. L'objectif est de clarifier les affaires de la bande et d'éliminer les futurs conflits.
Tous nos contacts avec le chef sont axés sur nos efforts en vue d'accomplir des choses pour la bande, des choses qui sont imputables et légales. Nous avons essayé de travailler avec le chef. Mais comme il refuse de recomparaître, nous sommes arrivés à une impasse.
Nous avons demandé au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien de nous aider à résoudre cette question, mais ils hésitent à intervenir.
Je comprends un peu pourquoi ils hésitent. Néanmoins, c'est un quorum du conseil qui les a contactés. J'estime qu'ils devraient au moins respecter notre demande, et au moins considérer notre situation et peut-être recommander certaines mesures.
Je sais que par le passé les politiques de la Première nation Beaver ont été un peu problématiques. Mais les choses se sont généralement réglées. Cela implique que le problème n'est pas un problème d'affaires, mais un problème de personnalités. Mais malheureusement, les choses ne se sont pas toujours réglées en faveur des membres de la bande. Le résultat a été de renforcer la gestion dictatoriale de la réserve. Le fait que nous avons essayé tant de fois de changer le système démontre clairement qu'il y a un problème.
Nous ne demandons pas votre aide parce que nous voulons que vous fassiez notre travail pour nous. Nous voulons simplement être assurés que nous ne dépassons pas nos droits légaux. Nous essayons de nous y prendre de façon raisonnable, pour que la réserve devienne un endroit où tout le monde est traité de façon juste et équitable, sans qu'il y ait un traitement privilégié pour les membres de certaines familles.
Je travaille moi-même avec les bureaux de la Première nation Beaver depuis quatre ans, et j'ai vu ces iniquités pour moi-même. C'est seulement maintenant que je suis à même de m'attaquer à ces questions, mais je cours un grand risque personnel. On m'a déjà menacée plusieurs fois, et j'ai dû obtenir une injonction contre le père du chef, qui a menacé de me faire tuer.
Comme vous voyez, les autres conseillers courent aussi certains risques.
Merci beaucoup de m'avoir écoutée ce soir. Si possible, j'aimerais une réunion privée avec les sénateurs demain soir. Je devrais être à l'aéroport à quatre heures.
M. Keith Chiefmoon, membre du Conseil national des autochtones du Canada, Alberta:
[Parle dans sa langue autochtone]
Bonjour, mesdames et messieurs. Comme j'ai expliqué dans ma déclaration, ma première langue, c'est le siksika. J'aimerais remercier les honorables sénateurs de nous permettre de comparaître pour nous pencher sur certaines de nos préoccupations.
En 1994 et 1997, je voulais parler du Congrès des peuples autochtones. J'étais un délégué pour les deux groupes. Comme vous le savez, le Congrès des peuples autochtones est un organisme national. Il y a de nombreuses années, sir John A. Macdonald déclara que les Indiens sont sous la tutelle du Parlement. Le gouvernement a le devoir de protéger les peuples autochtones et de s'assurer qu'ils sont traités de façon équitable.
Cette déclaration a été faite peu de temps après la Confédération. J'aimerais souligner l'esprit de ces paroles. Il doit y avoir une certaine imputabilité.
En 1994 et 1997, le Congrès des peuples autochtones, le CPA, a adopté une série de règlements. Dans les deux cas, il y avait plus de 200 personnes autochtones dans la salle. J'ai ces règlements avec moi ici aujourd'hui. Ces règlements représentent la structure sous-jacente au gouvernement du CPA. Les nombreuses communautés autochtones qui sont représentées au sein du CPA se sont regroupées et ont établi des règlements constitutionnels. Après cela, ils se sont officiellement inscrits auprès du gouvernement fédéral. J'ai eu le privilège d'être élu coprésident de la Commission électorale indépendante du Congrès des peuples autochtones. Laissons maintenant ces règlements de côté pendant un moment -- je serai bien sur heureux d'en parler avec vous si voulez -- et permettez-moi d'expliquer trois événements portant sur la gouvernance. Trois événements qui ont eu lieu au sein du CPA depuis la dernière assemblée générale en mars 1997.
Ces trois aspects de gestion publique montrent clairement le besoin de porter une plus grande attention aux réalités structurelles à l'intérieur des organismes autochtones.
D'abord, il faut prêter serment. Le CPA exige que le président et le vice-président prêtent serment conformément au règlement numéro 5 du CPA, qui est inclus en annexe. Le vice-président a prêté serment, mais le président actuel du CPA, Harry Daniels, refuse de signer. Pourquoi? Parce qu'il serait redevable devant le conseil et l'assemblée.
Deuxièmement, il y avait la question de l'élection directe du président et du vice-président du CPA. En 1997, les délégués ont créé une commission électorale indépendante du CPA, dont j'ai été l'un des coprésidents. Notre travail consistait à rédiger un rapport pour montrer comment financer et organiser des élections directes dans tout le Canada pour le président et le vice-président du CPA. L'assemblée du CPA a prévu un budget de 50 000 $ et on a adopté deux résolutions extraordinaires qui prévoyaient le mandat de la commission électorale indépendante ainsi que le mandat d'un an pour l'exécutif du CPA.
Le président du CPA, M. Harry Daniels, a refusé d'inscrire les deux résolutions -- dont le texte est joint en annexe -- ou d'accorder le budget approuvé de 50 000 $ pour la commission électorale indépendante du CPA pendant sept mois, ce qui a rendu notre travail impossible.
Il a agi de la sorte afin de conserver son bureau et son salaire et de contourner un mécanisme de reddition de comptes adopté par plus de 200 délégués autochtones lors d'assemblées en 1994 et 1997.
Troisièmement, en novembre 1997, Développement des Ressources humaines Canada a signé une entente de 7 millions de dollars avec le président du CPA dont une copie se trouve en annexe, et qui a été obtenue par le conseil grâce à la Loi sur l'accès à l'information.
Le CPA est cité comme étant partie à l'accord. L'exécutif du CPA n'a jamais divulgué ses fonds aux membres du conseil du CPA, bien que la demande ait été faite plusieurs fois. Le président du CPA continue à contrecarrer ses efforts.
En bref, au CPA, on refuse ouvertement de suivre les règlements autochtones qui régissent l'organisme, et on garde secrète toute information au sujet de la façon dont les 7 millions de dollars alloués à la formation et à l'emploi ont été dépensés.
Je rends maintenant la parole à notre présidente, Doris Ronnenburg, qui présentera nos cinq recommandations.
Mme Ronnenburg: Nous avons cinq recommandations à faire. Les deux derniers intervenants ont parlé des mécanismes de reddition de comptes au sein des sociétés qui appartiennent à des bandes et pour les actionnaires hors réserve et dans les réserves. M. Chiefmoon a parlé de mécanismes de responsabilité à l'intérieur des organismes autochtones, parce que les deux doivent rendre des comptes au peuple.
Notre première recommandation est la suivante: que la question du vote hors-réserve et des candidatures pour les postes de chef et de membre du conseil d'une Première nation soit traitée séparément dans le rapport de ce comité, qui doit être présenté le 30 novembre 1999.
Deuxièmement, qu'une déclaration des droits des autochtones, qui prévoit les droits des citoyens indiens de toutes les Premières nations, soit élaborée.
Troisièmement, que le projet de loi S-14 fasse l'objet d'audiences publiques au sein des collectivités, surtout pour ce qui est de la vente ou du grèvement des réserves.
Quatrièmement, qu'une conférence nationale soit organisée au sujet des sociétés qui appartiennent à des bandes avec un accent particulier sur le droit des actionnaires qui sont membres des bandes.
Cinquièmement, que l'on examine les mécanismes de reddition de comptes au sein des organismes nationaux en se fondant sur les lois en vigueur.
Voici les cinq recommandations que nous voulons faire au comité, monsieur le président.
Le président: Comme j'ai déjà dit plus tôt, nous avons entendu vos commentaires à propos du projet de loi S-14 et nous examinerons la mesure proposée plus en détail.
De plus, nous aurons le temps de traiter des recommandations fondamentales que vous avez proposées en vous convoquant de nouveau, ou alors comme vous le savez, vous pouvez également participer par le truchement de vos organismes nationaux. Je sais que vous avez souligné certains problèmes à propos de votre organisme national. Parfois, le fait d'être autochtone m'oblige à vous dire certaines choses.
Je sais que beaucoup de changements doivent être effectués au sein de notre société. J'en suis entièrement conscient. Je reconnais également que nous devrions être responsables de nos actes en tant que peuple. Parfois nous ne prenons peut-être pas ces questions au sérieux. J'aimerais aussi voir notre peuple commencer à s'occuper de certaines questions essentielles qui nous touchent directement. Ce serait une bonne idée pour nous en tant que peuple autochtone d'établir notre propre tribune pour nous pencher sur nos problèmes. Nous évoluons dans un contexte et une société plus vastes auxquels nous devons trouver une façon de nous adapter. Nous ne disparaîtrons pas demain. Il faut trouver une solution avant que nous ne commencions à nous diriger dans un sens qui ne produirait peut-être pas des résultats positifs. Cela m'inquiète et me préoccupe.
Nous devons tous essayer de résoudre certains des problèmes intérieurs et de les régler à l'interne autant que possible. Si nous n'avons pas cette occasion de régler ces problèmes, surtout comme ceux que Mme Wendt a connus avec son chef, il nous faut trouver des moyens d'aider les gens qui ont besoin d'aide.
J'espère que cette étude nous aidera à régler certains de ces problèmes. Comme vous le savez, nous ne pourrons pas régler tous les problèmes que l'on nous a légués et qui se sont accumulés pendant de nombreuses années.
Le sénateur Pearson: Je voudrais déclarer publiquement que si je suis ici aujourd'hui, c'est grâce à Doris Ronneburg. Il y a 20 ans, nous siégeons toutes les deux à la Commission canadienne de l'Année internationale de l'enfant, et Doris m'a beaucoup sensibilisée aux questions touchant les enfants et les femmes autochtones. Ces questions m'ont beaucoup frappée et je tiens à la remercier des leçons qu'elle m'a enseignées à cette époque. Je suis vraiment ravie de voir Doris ici ce soir.
Deuxièmement, je tiens à vous remercier du courage dont vous avez fait preuve en nous racontant les difficultés que vous avez connues. Je tiens à vous donner l'assurance que même si tout ce qui est dit dans cette salle est de nature publique, les déclarations sont également protégées par le privilège parlementaire. Vous pouvez nous parler de ces difficultés en toute sécurité. Les renseignements que vous nous avez donnés seront fournis. Nous ne pourrons peut-être pas intervenir personnellement; toutefois, votre exposé nous a été très utile.
Mme Ronnenburg: Je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire qu'il faut régler les problèmes à l'interne. Nous avons essayé de dire qu'il faut renforcer l'obligation de rendre des comptes au fur et à mesure que l'autonomie gouvernementale des autochtones deviendra une réalité. Après tout, il ne suffit pas d'accorder l'autonomie gouvernementale aux autochtones, il faut que cette autonomie soit bonne. Voilà ce que nous essayons de vous expliquer.
Pour les gens comme Barbara Wendt, il faut avoir énormément de courage pour s'opposer à ses parents et à ses amis pendant qu'elle vit dans la même collectivité. Il ne s'agit pas de détester telle ou telle personne, mais c'est plutôt une question de faire du bien et d'être responsable et de mettre des mesures en oeuvre à l'échelle locale pour atteindre ses buts. Voilà la question.
J'ai remarqué que mon collègue M. Chiefmoon se fâche quand il essaie de parler de cette question. Je ne veux pas être méchante à l'égard de Harry; ce n'est pas mon intention. Mais je trouve que cet organisme doit également s'acquitter de ses responsabilités et rendre des comptes, comme nous devons le faire dans nos provinces.
Le sénateur Adams: J'ai une courte question, monsieur le président. Vous avez mentionné certains articles du projet de loi S-14. Vous avez demandé certains amendements au projet de loi, mais croyez-vous que le projet de loi sera adopté? J'ignore si le projet de loi sera adopté au Sénat, sans parler de la Chambre des communes. Toutefois, si le projet de loi est adopté, seriez-vous capable de composer avec tous les amendements que vous avez demandés?
M. Long: Je souhaite que les honorables sénateurs fassent de leur mieux et ce qu'il convient de faire. Je ne me vois pas comme un critique ou quelqu'un de très négatif. Je voudrais voir un autre régime, différent de celui établi en vertu de la Loi sur les Indiens. Nous devrions trouver une façon de le faire. Bien des gens trouvent que la Loi sur les Indiens est paternaliste et injuste. Toutefois, je pense avoir le devoir de signaler que j'ai appris, après avoir travaillé 30 ans dans ce domaine, que cette situation est extrêmement dangereuse. Je vous demande de ne pas oublier pendant vos délibérations que les droits individuels des Indiens doivent primer.
Après tout, ce n'est ni le chef ni le conseil, ni la Loi sur les Indiens ni le Sénat qui auront à subir les conséquences de vos décisions; ce sont des gens comme Barbara et Keith, qui sont membres de leurs bandes. Nous vous avons recommandé de tenir des audiences dans les collectivités sur ces questions qui sont d'une grande importance. Je suis tout disposé à vous aider par tous les moyens possibles.
Le sénateur Gustafson: J'ai une question à poser. Si l'on apporte à ce projet de loi les amendements et les corrections dont vous avez parlé, avant de l'adopter, est-ce qu'il faudra modifier en conséquence la Loi sur les Indiens?
M. Long: Écoutez, sénateur, si ce projet de loi est modifié et adopté, je peux vous dire que la Loi sur les Indiens disparaîtra sans doute. En effet, il suffit d'une simple majorité, de 50 p. 100 des voix, pour faire adopter ce régime. J'ai été administrateur de la bande crie Bigstone à Desmarais, en Alberta, qui compte 2 500 Indiens. Je sais comment le chef et le conseil peuvent infléchir l'issue d'un référendum. Ils détiennent tous les pouvoirs, puisqu'ils peuvent accorder ou refuser les emplois. Si vous voulez faire quelque chose de ce genre, il faudrait augmenter le seuil. Il faudrait le porter à au moins 75 p. 100, de façon à dégager une majorité très nette. Il ne faut pas rester à 50 p. 100. Je peux vous obtenir une majorité de 50 p. 100 contre un sandwich au jambon.
Le président: Merci de votre exposé.
La séance est levée.