Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 17 - Témoignages du 5 juin 2003
OTTAWA, le jeudi 5 juin 2003
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit ce jour à 11 h 04 pour étudier les questions et développements découlant du dépôt de son rapport final sur l'état du système de santé du Canada, en octobre 2002. En particulier le comité sera autorisé à examiner des questions touchant la santé mentale et les maladies mentales.
Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.
[Translation]
Le président: Honorables sénateurs, nous sommes ici pour continuer notre étude des questions de santé mentale. Nous accueillons ce matin quatre témoins. Le premier est Michael Grass, président sortant du Groupe de mise en oeuvre en santé mentale du district de Champlain. Certains d'entre vous savent peut-être que l'Ontario est divisé en neuf régions pour ce qui est de la prestation des services de santé mentale. Le district de Champlain comprend Ottawa et tout l'est de l'Ontario, jusqu'à Kingston.
Le deuxième témoin est la Dre Dominique Bourget, présidente de l'Académie canadienne de psychiatrie légale. Le troisième est Tim Aubry, professeur associé au Centre de recherche et de services communautaires, de l'Université d'Ottawa. Le quatrième, enfin, est le Dr Jeffrey Turnbull, président du Département de médecine et de la Faculté de médecine de l'Université d'Ottawa.
Je sais que beaucoup d'entre vous avez remis des mémoires. Je vous invite à faire un exposé liminaire, après quoi nous aurons une période de discussion. Je vous demande de focaliser vos commentaires car nous sommes tout à fait capables de lire ensuite vos mémoires. Nous pourrons ainsi passer plus vite aux questions. Monsieur Grass, vous avez la parole.
M. J. Michael Grass, président sortant, Groupe de mise en oeuvre en santé mentale du district de Champlain, témoignage à titre personnel: Honorables sénateurs, il va sans dire que c'est un grand honneur pour moi de comparaître devant vous, surtout sur un sujet aussi important que la santé mentale.
La santé mentale est le dernier tabou de notre société. La société a comblé l'écart qui concernait les droits des femmes et les préférences sexuelles mais elle n'a pas encore eu le courage de faire directement face à la santé mentale. Notre société a connu la révolution industrielle et la révolution de l'information, et elle est maintenant dans l'économie du rendement mental. Le passage du rendement physique au rendement mental au travail signifie que l'atout le plus important de toute entreprise ou de tout pays est sa population. La valeur commerciale de la pensée humaine est largement documentée, au niveau des produits, des services et des politiques. C'est la capacité intellectuelle des employés de l'entreprise et des citoyens du pays — et non pas leurs bras et leurs jambes — qui sera déterminante au XXIe siècle, dans un monde de plus en plus compétitif.
La maladie mentale, qu'il s'agisse de dépression et d'angoisse ou de troubles plus sérieux comme la psychose bipolaire ou la schizophrénie, coûte chaque année des milliards de dollars en journées de travail perdues et en baisse de productivité. Non traitée, la maladie mentale ne disparaît pas. Outre ce qu'elle coûte aux entreprises, elle coûte aussi beaucoup dans d'autres secteurs — le système correctionnel, le système de bien-être social, les salles d'urgence, et cetera. D'une manière ou d'une autre, elle nous coûte à tous beaucoup plus que nous ne pouvons l'imaginer.
Il importe peu qu'on parle d'un avocat productif — le Barreau canadien a constaté des niveaux accrus de dépression et d'assuétude — ou d'étudiants productifs, d'adolescents et d'étudiants universitaires, les effets sont très sérieux. La maladie mentale peut toucher tout le monde — riche ou pauvre, homme ou femme — de n'importe quelle race ou croyance.
J'ai vu deux aspects de la maladie mentale: d'abord, comme parent d'un jeune homme dont les rêves d'avenir ont été brisés à l'âge de 18 ans et, plus récemment, comme président du Groupe du district de Champlain. Au sujet de ce groupe, je ferai plusieurs remarques fondées sur mon expérience.
L'une des choses les plus remarquables, considérant le coût croissant de la maladie mentale pour l'économie et la société, est que ce dernier tabou social est le moins financé et le moins discuté dans les écoles et les gouvernements, que ce soit par les politiciens ou les bureaucrates — les chiens de garde de la société. C'est aussi le domaine dont le système de soutien est le plus mal organisé. D'aucuns diront que les chiens de garde de la société se sont assoupis.
Chose tout aussi remarquable, j'ai constaté durant ma présidence du groupe de travail que les nombreux rapports bien rédigés au cours des 10 dernières années sur la santé mentale n'ont fait l'objet d'aucune mesure concrète. Ils reposent sur les tablettes des ministères. C'est que la santé mentale n'est tout simplement pas rentable en politique. Tout a été écrit mais personne n'a intégré les rapports dans un plan cohérent. Personne n'est passé à l'action, alors que les gens continuent de souffrir et le système de se dégrader.
Ce qui est tout aussi grave, c'est le niveau minuscule des budgets de recherche si on le compare à d'autres types de maladies, ce qui permet de penser qu'il faudra encore bien des années pour faire des découvertes importantes.
J'ai la conviction que le dernier tabou exige un engagement national pour apporter des changements organisationnels, budgétaires, éducatifs et communautaires. D'aucuns diront que le changement a déjà commencé mais, sans base structurelle, les progrès seront lents car la maladie mentale est manifestement un souci «orphelin» pour les lobbys les plus puissants du système de santé.
J'ai classé les changements indispensables dans cet ordre parce que le processus de changement est impératif, mais il est clair dans mon esprit qu'il n'y aura aucun changement sérieux si ces divers éléments ne sont pas mis en place de manière interactive. D'aucuns diront peut-être que les chiens de garde de la société sont paralysés, manquent de leadership et de planification.
Il est également remarquable à mes yeux que deux concepts bien documentés de santé mentale, qui pourraient réduire et minimiser les coûts pour le système dans les années à venir, ne trouvent aucune place dans la planification et le financement. Ces deux concepts, l'identification et l'intervention précoces, surtout en conjonction avec les écoles et universités, par exemple, et la planification fondée sur le rétablissement, notamment à l'égard d'un système de réadaptation plus solide, ne font aucunement partie des initiatives interministérielles entre l'éducation, les services sociaux et la santé, en Ontario.
Songez simplement à la nouveauté que représenterait l'identification d'une maladie dès sa manifestation, et à la prestation d'un système de rétablissement approprié pour les troubles cognitifs, sociaux et fonctionnels, ce qui minimiserait les coûts pour la société et préserverait la dignité de l'individu. Le Royaume-Uni et l'Australie ont adopté ces concepts dans leurs réactions aux défis de la santé mentale. D'aucuns diront que les chiens de garde de la société ne veulent pas changer pour adopter des concepts qui ont fait leurs preuves ailleurs.
Finalement, il est remarquable de voir que les travailleurs de première ligne du système de santé mentale témoignent toujours d'un niveau d'engagement considérable. Je n'ai encore jamais vu un groupe de travailleurs aussi mal doté — en ressources financières et humaines — ou si mal organisé qui pourrait légitimement réagir avec colère ou cynisme au manque de progrès du système mais continue plutôt d'oeuvrer à un niveau très élevé.
De l'autre côté de l'équation, personne n'aurait pu concocter un système de gestion aussi abracadabrant. Le cloisonnement des mécanismes de gestion milite contre un système cohérent, planifié et interactif de services et d'agences, sans dédoublement d'activités. D'aucuns diront que les chiens de garde de la société n'y comprennent tout simplement rien.
Outre mon expérience au sein du groupe de travail, j'ai été invité à faire des remarques sur deux sujets qui font partie du mandat de votre table ronde, à savoir la désinstitutionnalisation et la réadaptation. Il s'agit là de sujets complexes, pour lesquels il importe de tenir compte des conséquences et de la flexibilité pour être juste envers les personnes souffrant de santé mentale.
La déinstitutionnalisation — poussée à l'extrême — a eu de grandes conséquences, comme l'ont constaté les États- Unis à l'époque du président Kennedy du point de vue du nombre de sans-abri et du système pénal. À mon sens, la déinstitutionnalisation est légitime dans la plupart des cas — pas la totalité — mais seulement si la collectivité est capable de fournir des services, si la société a été informée au moyen d'une politique appropriée d'éducation publique, s'il existe des logements abordables et sûrs, et s'il existe des possibilités d'emploi. Peut-on imaginer qu'un consommateur institutionnalisé et pour qui chaque seconde compte soit soudainement obligé de trouver un emploi dans une société où il sera stigmatisé et où il aura peu de chances de trouver un logement?
Pour que la déinstitutionnalisation soit couronnée de succès, il faut adopter une philosophie du rétablissement de l'individu, avec tous les mécanismes de traitement et de soutien appropriés, fondée sur l'idée que les personnes souffrant de santé mentale peuvent se fixer de nouveaux objectifs et être des citoyens productifs.
Le succès de la déinstitutionnalisation suppose l'existence d'une chaîne continue de services intégrés, où l'on peut naviguer sans obstacles entre chaque service à mesure que le rétablissement prend racine et que l'individu évolue vers le congé, par la formation professionnelle, le logement et l'emploi. À l'heure actuelle, le système de santé mentale n'offre aucun des services requis au niveau qui serait indispensable, et c'est pourquoi le système pénal, les familles, et cetera, sont obligés d'intervenir, avec les meilleures intentions du monde mais souvent de manière préjudiciable par manque de formation.
Comme je l'ai déjà dit, la réadaptation est un secteur où la santé mentale a besoin d'une action importante. Pendant et après tous les états psychotiques, où les symptômes significatifs sont traités, il faut encore faire face aux troubles cognitifs, sociaux, récréatifs et fonctionnels, à des degrés divers, ou à la stigmatisation qui continue d'isoler les personnes ayant des troubles de santé mentale.
Certains hôpitaux offrent des programmes d'une semaine ou deux mais ceux-ci ne correspondent absolument pas à ceux que pourraient offrir des établissements de réadaptation en résidence de deux à trois mois. Je dirige un centre de réadaptation à Ottawa et j'ai vu le niveau d'engagement et de ressources consacré à la réadaptation des blessures physiques ou à d'autres maladies, comme le cancer et le diabète, pendant de longues périodes de convalescence. Le système de réadaptation privilégie lourdement et injustement le côté physique plutôt que le côté mental de l'anatomie humaine.
Finalement, il appartient aux gouvernements de trouver la bonne formule pour appuyer les organismes de soutien du secteur de la santé mentale. Si le système de santé mentale est en si mauvais état, c'est à cause des efforts désorganisés et sous-financés des groupes de lobbying et de soutien du secteur de la santé mentale, qui ne comprennent tout simplement pas le message que donne la comparaison avec le cancer, le diabète ou les maladies du coeur. Le public et le gouvernement n'en savent tout simplement pas assez sur la problématique. Historiquement, les organismes de soutien n'ont pas réussi à informer et à mettre en relief la gravité du problème de la santé mentale pour la société.
D'aucuns disent que la santé mentale est un souci «orphelin» du secteur de la santé. Je préfère parler de dernier tabou. Paradoxalement, à une époque où le rendement mental prime sur le rendement physique, pour assurer la qualité de vie des individus et le succès de la société, nous n'avons encore rien fait pour nous attaquer de manière sérieuse au problème de la santé mentale.
Je vous souhaite beaucoup de succès pour informer les Canadiens.
La Dre Dominique Bourget, présidente, Académie canadienne de psychiatrie et de droit: Honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir invitée à témoigner ce matin. Les questions de désinstitutionnalisation et de réadaptation sont au coeur même des services de santé mentale.
Je m'adresse à vous en tant que psychiatre judiciaire qui travaille depuis 20 ans auprès de délinquants souffrant de maladie mentale, ce qui m'a amenée à évaluer et à traiter des personnes souffrant de troubles mentaux profonds et persistants. Je suis avant tout une clinicienne qui travaille avec les personnes ayant des démêlés avec la loi. Je travaille aussi avec des schizophrènes et avec des personnes souffrant d'autres types de maladies mentales à l'Hôpital royal d'Ottawa. Je fournis des opinions aux tribunaux sur les maladies mentales, la responsabilité pénale et l'évaluation du risque. En outre, je m'intéresse beaucoup à la recherche à titre de médecin légiste au Québec. Je fais de la recherche sur les maladies mentales et la violence, y compris l'homicide.
Je ne m'occupe pas d'élaboration de politiques mais j'ai des opinions à exprimer aujourd'hui. Certaines vous sembleront peut-être d'ailleurs très naïves.
La désinstitutionnalisation a démarré dans les années 60 avec la découverte d'un nouveau médicament antipsychotique, la Chlorpromazine, dans les années 50. À partir de ce moment-là, c'est devenu presque plus une nécessité qu'un objectif. Certaines personnes institutionnalisées qui souffraient de troubles mentaux profonds ont vu leur état s'améliorer et ont donc pu réintégrer la société. On a alors assisté au déclin des établissements psychiatriques et des services de santé mentale, qui ont été transférés vers les hôpitaux généraux, avec des interventions à court terme pour gérer les épisodes aigus ou les rechutes, et des soins à long terme dispensés dans la communauté, avec la mise sur pied nécessaire de diverses ressources communautaires.
Dans les années 90, le thème du rétablissement a pris de l'importance. Le rétablissement voulait dire plus que l'élimination des symptômes ou le traitement de la maladie elle-même. On a commencé à voir apparaître l'idée que les personnes souffrant de troubles mentaux devaient aussi se rétablir de la stigmatisation — et je suis sûre que vous avez déjà entendu cette expression — et guérir des effets des traitements dispensés dans les établissements, du manque d'opportunités pour s'épanouir, du manque d'emploi et de la perte de leurs rêves.
Quarante ans plus tard, la désinstitutionnalisation et la réadaptation sociale restent des questions très préoccupantes. Nous constatons que la réadaptation de nombreux patients chroniques n'a pas eu autant de succès que prévu. Nous savons aussi qu'il existe une sous-population de patients psychiatriques qui auront toujours besoin des ressources d'une institution parce qu'ils sont trop malades; les ressources disponibles ne peuvent répondre à leurs besoins; ils présenteraient des risques élevés pour eux-mêmes et pour autrui s'ils obtenaient leur congé de l'hôpital.
Quand on parle de désinstitutionnalisation de personnes souffrant de troubles mentaux profonds ou persistants, on doit parfois aussi parler de risque. Je ne vais pas vous inonder de statistiques et de chiffres mais il existe une corrélation bien connue entre le trouble mental et le comportement criminel — y compris avec violence. Toutefois, il faut convenir que la violence n'est pas une caractéristique fondamentale de la maladie mentale. Il faut la replacer dans son contexte. Le risque de violence dépend des caractéristiques de la maladie et de facteurs personnels qui, quand on les comprend, permettent d'établir de meilleures prévisions.
Je voudrais dire quelques mots des problèmes particuliers des patients judiciaires. Par patients judiciaires, je veux dire les personnes souffrant de troubles mentaux qui entrent en conflit avec la loi.
Le conflit avec la loi est souvent une porte d'entrée dans le système. La désinstitutionnalisation et la réadaptation de ces patients appellent des dispositions et des principes spéciaux. Il faut trouver un équilibre entre le risque pour la société et le besoin de réadaptation de ces patients. Les délinquants souffrant de troubles mentaux qui travaillent pour réintégrer la société sont confrontés à de nombreux défis, comme trouver un logement adéquat ou avoir accès aux services communautaires.
Ces personnes ont très souvent du mal à passer du contexte judiciaire à celui des services communautaires de santé mentale. Il leur est aussi très difficile de trouver des logements adéquats. On a donc besoin de programmes de réintégration communautaire appuyés par les hôpitaux pour permettre aux patients judiciaires d'avoir accès aux ressources et programmes communautaires.
Les patients judiciaires exigent souvent une «démarche en cascade» vers la désinstitutionnalisation et la réadaptation. Autrement dit, la désinstitutionnalisation ne consiste pas simplement à faire passer un individu d'un établissement à la communauté, en lui donnant des ressources communautaires. Nous devons considérer ce processus comme une démarche «en escalier». L'individu passe d'un contexte très sécuritaire à un contexte moyennement sécuritaire puis à un service psychiatrique régulier et, peut-être, à un foyer de transition communautaire — on en manque sérieusement à l'heure actuelle — puis vers un établissement d'accueil supervisé et, enfin, on l'espère, à la pleine réintégration sociale avec l'appui de la communauté.
En résumé, je veux réitérer que l'accès aux ressources et services de la communauté est toujours problématique pour un certain nombre de patients traités dans les hôpitaux. En particulier, les patients judiciaires ou les délinquants souffrant de troubles mentaux connaissent toujours de la discrimination dans la communauté et ne parviennent pas à avoir accès à certains des services dont bénéficient les autres patients, comme des équipes de traitement communautaires. C'est toujours un problème pour nos patients. Merci.
M. Tim D. Aubry, professeur associé; codirecteur, Centre de recherche sur les services communautaires, Université d'Ottawa: Je remercie le comité de m'avoir invité à participer à cette table ronde sur la désinstitutionnalisation et la réadaptation. Je m'adresse à vous en tant que chercheur en santé mentale communautaire qui effectue depuis 15 ans des recherches visant à contribuer à l'intégration des personnes souffrant de troubles mentaux profonds et persistants.
Je veux aborder quatre questions. Tout d'abord, je vais brièvement définir la population des personnes souffrant de troubles mentaux profonds et persistants. Ensuite, je dirai quelques mots de l'effet de la désinstitutionnalisation sur cette population. Après cela, j'aimerais discuter brièvement de l'état actuel des programmes de soutien communautaire et de réadaptation psychosociale. Finalement, je donnerai mon avis sur les mesures à prendre pour rendre le système de services de santé mentale plus efficace et pertinent pour les personnes souffrant de troubles mentaux profonds et persistants.
En ce qui concerne la définition, les personnes souffrant de troubles mentaux profonds et persistants sont celles qui ont fait l'objet d'un diagnostic de trouble mental grave comme la schizophrénie, la psychose bipolaire ou des troubles de la personnalité. Il s'agit de maladies chroniques qui affectent profondément l'individu dans un ou plusieurs aspects de leur vie. Selon des estimations prudentes, ce groupe représente environ 2 p. 100 de la population générale, soit plus de 600 000 personnes dans le Canada d'aujourd'hui.
La désinstitutionnalisation est depuis trois décennies la pierre angulaire des politiques de santé mentale dans les provinces. Nous avons déployé beaucoup d'efforts pour savoir comment transférer adéquatement et efficacement les personnes institutionnalisées afin qu'elles puissent mener une vie productive dans la société. Cet objectif pose tout un défi et n'a pas encore été atteint de manière notable jusqu'à présent. On convient généralement qu'il y a encore beaucoup à faire pour pouvoir aider les gens à mener une vie valable dans la communauté. Il y a un consensus dans le secteur de la santé mentale sur le fait que l'une des raisons pour lesquelles nous n'avons pas réussi l'intégration communautaire est que les services communautaires manquent de ressources. Les gouvernements provinciaux ont été lents à transférer des fonds des institutions vers la communauté. Les ressources n'ont pas suivi les consommateurs de services.
Cela a entraîné de nombreux problèmes, notamment celui des sans-abri. Il existe un groupe nombreux de gens souffrant de troubles mentaux profonds et persistants qui sont sans abri. Ce sont des personnes hébergées dans des logements inférieurs aux normes. Des personnes pauvres. Des personnes sans emploi. Des personnes marginalisées. Des personnes ayant très peu de relations sociales avec le reste de la société, sauf avec des professionnels ou des membres de leur famille. Mes recherches sur l'intégration m'ont clairement montré que la vie de ces personnes dans la communauté est une source de frustration. La vie qu'elles peuvent mener dans la société est vide de sens et peu satisfaisante du fait de leur isolement social et qu'elles n'ont rien de productif à faire.
Je veux partager avec vous quelques observations générales sur l'état actuel des programmes communautaires de soutien et de réadaptation psychosociale, à partir de mon expérience dans un projet appelé Initiative communautaire d'évaluation en santé mentale — une étude entreprise dans plusieurs sites de l'Ontario et financée par le ministère provincial de la Santé. Son but est de recueillir des informations utiles pour élaborer des méthodes novatrices en santé mentale communautaire. Le projet comprend sept études dans des collectivités ontariennes, concernant la gestion des cas, des initiatives d'autonomie et des services de crise. Certains des résultats de ce projet donnent un éclairage sur l'état des interventions dans le secteur.
Nous constatons que le soutien à domicile peut donner de bons résultats. Des programmes comme le traitement communautaire dynamique et la gestion de cas intensive peuvent aider les clients très handicapés à vivre dans la communauté. Toutefois, il n'existe pas encore assez de services de cette nature aujourd'hui.
Les initiatives d'autonomie pour les consommateurs et les membres de la famille semblent également donner de bons résultats — pas seulement pour les consommateurs et les familles mais aussi pour les communautés et les services de santé mentale en général. À l'heure actuelle, cependant, ces services reçoivent moins de 1 p. 100 du budget de la santé mentale en Ontario.
Dans notre projet d'Ottawa, nous avons eu la possibilité de calculer des coûts. Qu'est-ce qu'il en coûte de fournir des services de soutien dans la communauté à une personne souffrant de troubles mentaux profonds et persistants? Selon nos résultats, 35 000 $ par an en moyenne, ce qui est très modeste. Toutefois, quand on analyse la ventilation de cette somme, on constate que le tiers est consacré aux services médicaux et de santé — y compris les services de santé mentale — et que pratiquement rien n'est consacré à l'éducation, à la formation professionnelle et aux activités de loisirs.
Nous suivons dans cette initiative 800 consommateurs — des personnes souffrant de troubles mentaux profonds et persistants — et nous constatons que le rétablissement dans la communauté est possible. Pour se rétablir, les gens ont besoin de bons soins de santé, d'un revenu, d'un logement décent et d'activités satisfaisantes, comme le travail ou l'éducation.
J'aimerais maintenant faire quelques suggestions pour une réforme de la santé mentale fondée sur cette image que nous avons de la désinstitutionnalisation et sur l'état actuel des services de réadaptation psychosociale. Tout d'abord, il faut tirer profit des progrès déjà réalisés. Je suis toujours optimiste et je pense qu'on a réalisé certains progrès en transférant nos ressources dans la communauté. Il faut continuer dans cette voie. Certes, les services hospitaliers ont un rôle important à jouer, mais c'est un rôle de stabilisation, de soutien en cas de crise et de traitement spécialisé. Si l'on veut que les personnes se rétablissent, cela se fera dans la communauté.
Deuxièmement, une valeur qui est omniprésente dans la réforme de la santé mentale en Amérique du Nord consiste à faire participer les consommateurs et membres de la famille à la planification et à la formulation des politiques et programmes de santé mentale. Si nous voulons mettre sur pied un plan d'action national sur la santé mentale, il faut intégrer cette valeur au plan. Nous devons nous assurer que les consommateurs et les membres de la famille jouent un rôle important dans sa formulation et sa mise en oeuvre.
Troisièmement, considérant l'image qui est apparue sur le plan du type de vie que nous avons aidé les personnes souffrant de troubles mentaux profonds et persistants à acquérir dans la communauté, il est clair que les soins de santé traditionnels ne suffisent pas à eux seuls. Il faut prévoir des services de santé mentale allant au-delà des soins de santé traditionnels. Cela veut dire qu'il faut aborder d'autres secteurs, comme le soutien du revenu, le logement, l'éducation et l'emploi. Si l'on veut s'attaquer vraiment aux besoins de cette population, ce plan d'action national doit vraiment aller au-delà des soins de santé classiques.
La quatrième question est celle du logement. La première génération de services communautaires a été axée sur le logement, qui a tendance à être collectif et spécialisé. Toutefois, quand on demande aux consommateurs quel type de logement ils souhaitent, ils répondent comme la plupart des gens: des logements «normaux». Ils souhaitent être aidés pour pouvoir vivre dans la communauté comme tout le monde. C'est ce qu'on appelle un «logement à services». Il faut que les programmes du gouvernement permettent aux consommateurs d'avoir accès plus facilement à ce type de logement préféré.
J'ai mentionné les soins à domicile, qui doivent être transférables et flexibles. Nous en sommes au Canada à une deuxième génération de programmes. Si nous voulons dresser un plan national pour la santé mentale, il nous faut prévoir des ressources pour que toutes les personnes souffrant de troubles mentaux profonds et persistants puissent avoir accès à ce genre de soutien communautaire crucial.
Sixièmement, il y a une troisième génération de services qui est nécessaire si l'on veut que cette population parvienne vraiment à s'intégrer. Il s'agit de services pouvant l'aider à retourner à l'école et à participer à la population active. Nous avons des modèles de programmes d'enseignement ou de travail avec services de soutien, qui ont été formulés aux États-Unis, mais peu sont encore arrivés chez nous. Il est temps d'importer au Canada les meilleures pratiques à cet égard et de trouver de meilleures méthodes pour les intégrer à nos systèmes de services de santé mentale.
Finalement, il convient d'effectuer des recherches pour élaborer des interventions psychosociales efficaces et pertinentes. Le plan national devrait comporter un volet important de recherche et d'évaluation, dans le but d'obtenir des données concrètes sur les meilleures méthodes en matière de réadaptation psychosociale.
En résumé, je pense que nous avons dans nos communautés et provinces les prémisses d'un système de santé communautaire. Il y a cependant encore beaucoup à faire pour répondre aux besoins multiples des gens souffrant de troubles mentaux profonds et persistants qui vivent dans la communauté. Je crois que le gouvernement fédéral, par des mécanismes tels que le plan d'action national, l'élaboration de normes nationales pour la santé, et l'affectation de ressources à des services précis, peut et doit jouer le rôle de chef de file en faveur de ces réformes.
Le Dr Jeffrey Turnbull, directeur, Département de médecine, Faculté de médecine, Université d'Ottawa: Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer aujourd'hui.
Vous vous demandez peut-être pourquoi le directeur du Département de médecine vient s'adresser à un groupe de travail sur la santé mentale. C'est à cause de mon intérêt — à la fois clinique et universitaire — envers les questions de pauvreté et de santé. J'ai l'intention de vous parler aujourd'hui d'un sous-groupe des personnes souffrant de troubles mentaux profonds et persistants: les personnes qui se trouvent dans les refuges de secours. J'ai l'intention de vous communiquer les résultats d'un projet qui a été lancé il y a deux ans et qui s'est terminé en avril de cette année. À mon avis, ces résultats sont tout à fait pertinents pour votre mandat, étant donné qu'ils portent sur la désinstitutionnalisation et — en partie — la réinstitutionnalisation partielle.
Chaque jour, à un kilomètre d'ici, près de 1 200 individus font appel à notre système de refuges de secours. Ce sont habituellement des hommes adultes blancs, mais on y trouve de plus en plus d'Autochtones, de personnes âgées, d'immigrants et de mères seules avec famille. Ce sont surtout les personnes souffrant de maladies graves qui nous ont intéressés dans cette population, et c'est ce qui m'a amené dans ce processus.
On ne peut pas vraiment guérir d'une maladie si on ne prête aucune attention à la maladie psychiatrique prévalente qui existe dans cette population. Quelque 40 p. 100 de notre population sont des toxicomanes, aux drogues ou à l'alcool, et une proportion similaire souffre de maladies psychiatriques sous-jacentes, ce qui veut dire que la majeure partie de nos patients qui se retrouvent dans cet environnement ont de sérieux problèmes d'assuétude et de maladie mentale.
Ces personnes se retrouvent dans des refuges pour sans-abri essentiellement parce qu'il leur est difficile de chercher des services de santé pertinents et utiles, services qui ne leur sont pas accessibles à cause de leurs caractéristiques uniques et d'un système qui a été conçu particulièrement pour un citoyen typique, d'âge moyen, blanc, ayant un revenu raisonnable et un certain niveau d'éducation. Pour ces personnes, notre système est tout à fait satisfaisant dans la plupart des cas. Par contre, pour le groupe particulier d'individus dont je parle, il est impossible d'avoir accès à des services de santé satisfaisants, psychiatriques ou médicaux.
En conséquence, nous avons mis sur pied un projet destiné à leur offrir des services de santé sérieux et flexibles, sur place, dans les refuges. Ce projet est maintenant terminé et voici comment il a été mis en oeuvre. Je précise que nous avons été financés au moyen de 997 000 $ par an de DRHC, et que nous avions 1 million de dollars de ressources communautaires de contrepartie. Pour une communauté qui manque pratiquement de tout, on peut imaginer qu'engager des sommes aussi élevées représentait une initiative majeure.
Les organismes qui ont participé avec nous au projet étaient nombreux, comme vous pouvez le voir sur la liste que je vous ai fournie. Il s'agissait d'une initiative complètement communautaire destinée à s'attaquer à ce problème écrasant, dont nous admettons tous l'urgence.
Nous avons choisi de fournir des services de santé intégrés à cette communauté en les reliant aux services de santé existants, du point de vue de la santé mentale et de la santé physique, dans notre environnement hospitalier. Le projet était fondé sur les besoins des gens. Il était flexible. Il était basé sur un modèle de réduction du préjudice. Nous savions qu'il était nécessaire d'adopter une approche intégrée sur le logement et la santé, et de traiter avec tous nos organismes partenaires.
Nous avons essayé de relier nos services de santé au moyen d'un dossier de santé électronique; c'était là une innovation qui a connu un succès incroyable. Nous avons pris ces individus et avons créé des places dans chacun de nos refuges de secours, qu'ils considéraient comme leur maison. Il faut bien comprendre la situation des sans-abri qui vivent dans ce contexte. Ils ne logent plus dans un refuge d'urgence, ils sont chez eux. C'est là qu'ils habiteront dans la plupart des cas jusqu'à la fin de leurs jours.
En conséquence, nous avons pris une unité de 15 lits à la Union Mission et nous en avons fait un programme d'hospice pour sans abri agonisant de leur toxicomanie aux drogues ou à l'alcool, du VIH, de l'hépatite B, de l'hépatite C, et cetera. Nous avions une unité de convalescence de 20 lits à l'Armée du Salut. C'était pour nous une unité d'adaptation, vers le haut ou vers le bas, pour réduire la fréquence avec laquelle ces personnes accédaient à l'intervention de crise, avec les coûts correspondants, à l'hôpital ou dans l'appareil judiciaire. En outre, nous avions un programme de 20 lits aux Bergers de l'espoir, pour le contrôle de l'alcool. Finalement, nous avons un programme d'extension communautaire où nous accueillons aujourd'hui, par exemple, des individus qui vivent sous les ponts, dans les champs ou dans différents quartiers de la ville.
Nous avons en permanence de 60 à 80 personnes dans notre clientèle, parfois même une centaine. Nous nous sommes occupés de plus de 200 à 300 personnes en essayant de leur offrir des services de santé valables, comme projet pilote, pour voir s'il existe une manière efficace de dispenser un soutien institutionnel quelconque à cette clientèle.
Nous avons établi des liens étroits avec les fournisseurs de services de santé mentale. Comme interne qui en sait très peu sur les maladies psychiatriques, j'ai eu un cours accéléré en la matière et je m'en suis surtout remis à mes collègues, qui m'ont beaucoup appris à ce sujet.
Je vais maintenant vous dire ce qui s'est passé. Au cours des deux dernières années, nous avons procédé à une évaluation. Nous pensons que ce modèle de réinstitutionnalisation partielle est idéal. Nous avons fourni des services de santé intégrés pour cette communauté. Rien qu'au niveau de l'hôpital — je ne parle pas de l'appareil judiciaire ou de n'importe quel autre service — nous avons réduit le coût de l'intervention de crise et des journées d'hospitalisation à un point tel que nous avons réalisé une économie nette de 3,3 millions de dollars par an. Autrement dit, un investissement de 997 000 $ nous a fait économiser 3,3 millions de dollars.
Vous allez penser qu'il s'agit là d'une somme considérable mais il faut savoir que nos analyses antérieures avaient montré que ces individus chroniquement sans abri peuvent coûter de 170 000 $ à 200 000 $ par personne et par an en services hospitaliers, services judiciaires, 911, et cetera. Ces gens utilisent les services de santé fréquemment et de manière inefficace — ils n'obtiennent pas vraiment de bons soins — mais ça coûte très cher.
Avons-nous été efficaces du point de vue de la prestation des services de santé? Nous nous sommes penchés sur des questions de suivi, de soins autonomes et de degré de satisfaction quant à la qualité des soins. Selon les clients, les prestataires de soins et les professionnels de la santé qui les entourent, les résultats ont tous été exemplaires. Tous les résultats ont été du plus haut niveau. Les clients ont dit avoir atteint un niveau beaucoup plus élevé de soins autonomes, de respect des ordonnances médicales, d'intégration aux programmes, etc.
En outre, pendant la mise en oeuvre de ce projet, nous avons considéré que l'éducation était importante, pas seulement pour la communauté mais aussi pour les clients et pour les professionnels de la santé. Nous avons reçu une reconnaissance internationale.
Nous souhaitons maintenant continuer de fournir des services à cette population, dans une approche similaire. Toutefois, nous examinons d'autres aspects du problème, par exemple les besoins des femmes dans ce contexte, les soins de longue durée, la désintoxication médicale, et l'amélioration de l'interaction avec nos collègues de traitement psychiatrique, car nous semblons avoir toujours besoin de mieux interdigiter avec ces individus.
Ce projet a été couronné de succès. C'est un exemple de prestation de services intégrés à cette population — intégrés au sens d'une interdigitation efficace avec les autres fournisseurs de services de santé dans un contexte traditionnel, en permettant aux sans-abri d'accéder au système et de l'utiliser. Nous assurons un certain degré d'institutionnalisation mais nous assurons aussi l'indépendance et un sentiment de dignité individuelle, au sens où ces gens peuvent être maîtres de leur destin tout en pouvant faire appel au système en cas de besoin.
Le président: Je vous remercie tous de vos exposés. Il est utile pour nous de parler aux gens qui sont vraiment sur place, dans la rue, plutôt que dans les bureaux.
Je voudrais vous poser une question en deux parties. J'essaie de comprendre quelque chose. Quand on désinstitutionnalise quelqu'un, on le fait sortir du budget de la santé. Corrigez-moi si je me trompe mais je suppose que l'argent qui aurait été consacré à ces personnes si elles étaient restées dans le système de santé ne les suit pas. Donc, dans un certain sens, quelqu'un d'autre paie la facture. D'où vient l'argent nécessaire pour traiter des patients souffrant de troubles mentaux, à l'extérieur des établissements couverts par l'assurance-santé?
Ma deuxième question est reliée à cela. Comment fonctionne la coordination? Vous parlez d'une multitude de services qu'il faut fournir aux patients. Je suppose qu'il y a de nombreux groupes qui interviennent à cet égard. Quelqu'un s'occupe du logement, quelqu'un s'occupe des services médicaux, quelqu'un s'occupe de l'éducation et de la formation. Ce processus est-il bien coordonné? Mon impression est que la coordination est catastrophique.
Si j'ai raison, que faut-il faire pour l'améliorer, dans l'intérêt du patient, d'abord, et pour rendre le système plus efficace, ensuite?
Je commence avec M. Grass, car il a abordé la question d'un point de vue global. Il me semble que coordination et budget sont reliés.
M. Grass: Je suis un homme d'affaires qui gère du capital-risque pour organiser et réorganiser des entreprises. En ce qui concerne le système de santé mentale, considérant tous les services cloisonnés, chacun avec son propre système de gestion, un conseil d'administration, un comptable, et tout ce qui va avec, représentant de 20 à une centaine d'organismes différents, il aurait été impossible de bâtir quelque chose qui soit aussi foncièrement désintégré. Ça aurait été possible la première année mais, dès la troisième, les choses se seraient déjà améliorées. Ce que j'essaie de dire, c'est que la nature même du système milite contre la coordination — non pas que ces gens n'aient pas tous de bonnes intentions ou ne soient pas tous compétents dans leur secteur. Toutefois, c'est la nature même de ces petits conseils, pour chaque organisme différent, qui fait qu'il y a un manque d'orientation et de coordination au sein du ministère. Historiquement, le ministère de la Santé et des soins de longue durée envoie l'argent dans la cheminée vers une entité.
Nos constatations amènent à pointer le ministère du doigt mais ce n'était pas notre intention. Nous voulions simplement lui donner un répertoire de tous ces organismes, de ce que fait chacun, du nombre de personnes concernées et du dédoublement des activités.
Cela illustre la nature de l'entité que nous finançons. Nous devons donc essayer de trouver un système qui a une stratégie et une philosophie pour ce groupe de consommateurs — qu'il s'agisse des 2 p. 100 de mon collègue ou d'une proportion plus élevée de gens qui sont moins gravement handicapés mais le sont quand même clairement. Quelle que soit notre définition, nous avons besoin d'une série de concepts dans ces agences reliées au ministère de façon à pouvoir comprendre légitimement comment on améliore la vie de ces gens.
Il est juste de dire que le ministère a accepté une bonne partie de ce que nous avons proposé. Quant à savoir s'il pourra mettre tout en oeuvre, étant donné les contraintes budgétaires, entre autres, seul le temps nous le dira. Toutefois, comme c'est dans la nature de l'exécutif de se battre pour un petit morceau du gâteau, lorsque l'argent devient disponible, les ACSM, les agences de logement et les agences d'emploi se battent toutes pour le même morceau et les décisions ne sont pas équitables. Elles favorisent ceux qui crient le plus ou font le plus de lobbying.
Il nous faut un concept beaucoup plus systématique et planifié pour aider la communauté à accroître sa capacité, que ce soit pour le groupe judiciaire ou pour les autres groupes communautaires ou pour les projets du Dr Turnbull. C'est manifestement notre plus grand défi.
La répartition des ressources est toujours un défi dans ce genre de situation. L'attribution de ressources à la santé mentale, dans tous les budgets que j'ai vus — surtout en Ontario — est sérieusement sous-financée. Quand on voit les chiffres, on constate que l'Organisation mondiale de la santé parle d'un sur quatre, ou que d'autres organisations portent cela jusqu'à un sur 10. En termes de gens et d'argent, la société ne répartit tout simplement pas la ressource de manière appropriée.
En ce qui concerne l'individu qui quitte l'hôpital, je ne suis pas sûr si votre question était «Peut-on croire qu'il fera usage des services communautaires qui existent?»
Le président: Non, c'était d'où vient l'argent pour s'en occuper?
M. Grass: Dans bien des cas, on ne s'en occupe pas; c'est la personne sans abri qui va dans le programme du Dr Turnbull. Quand il quitte les services judiciaires — pour autant qu'il soit possible de le laisser sortir d'une manière structurée — et si des services sont disponibles, il pourra peut-être rester avec une agence. S'il n'y a pas de services, ce qui est le cas le plus fréquent, il se retrouvera probablement quelque part dans le système du Dr Turnbull.
Le président: Quelqu'un d'autre souhaite intervenir?
Le Dr Turnbull: Je soupçonne que, si ce patient se retrouve dans mon secteur, les coûts nets seront répartis entre les différents ministères, comme la Justice, la Santé, les Services sociaux, et cetera. Ces coûts seront largement supérieurs à ce qu'ils auraient pu être avant cette répartition. C'est mon impression. Toutefois, je constate que ces gens finissent par être des sans-abri chroniques avec des troubles mentaux profonds et persistants. Ce sont les plus difficiles à traiter. Bien que leur pourcentage soit minime, ils reçoivent des soins inefficaces, à un coût très élevé pour de nombreux ministères différents — et pas pour un seul ministère.
Le président: Docteur Turnbull, vous approuviez de la tête quand je posais ma question sur la coordination. C'est clairement un élément négatif, n'est-ce pas?
Le Dr Turnbull: Exactement. En tant que néophyte qui voit ça de l'extérieur, je dois dire qu'il serait difficile de concevoir quelque chose qui soit aussi mal coordonné.
Le président: Si je comprends bien, vous-même et M. Grass tirez exactement la même conclusion.
Docteure Bourget, voulez-vous faire une remarque?
La Dre Bourget: Il y a un fossé entre l'hôpital et la communauté. Lorsque les patients retournent dans la communauté, leur seul lien avec le système de santé mentale passe souvent par leur médecin, qu'ils continuent à voir dans les cliniques externes pour obtenir leurs médicaments. Une fois dans la communauté, à moins qu'ils ne soient dans un foyer d'accueil supervisé financé par le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, ils se retrouvent avec peu de ressources à leur disposition.
Nous nous sommes demandé comment utiliser les cliniques institutionnelles externes pour établir un meilleur pont avec la communauté. Cela pourrait aider du point de vue de la coordination. S'il y avait quelque chose pour faire le pont entre les cliniques internes et les divers services communautaires, ce serait utile. Bien que ce ne soit peut-être pas la solution ultime, nous avons pensé qu'il serait peut-être possible d'exporter les médecins des cliniques institutionnelles vers les cliniques communautaires, en les reliant à d'autres services. À l'heure actuelle, il n'y a pas de mécanisme simple et unique d'aiguillage et il n'y a rien pour ces patients qui sont dans la communauté. C'est l'une des difficultés.
M. Aubry: J'ai dit que nous avions calculé des coûts à Ottawa. Il s'agissait d'une clientèle différente de celle de M. Turnbull, dans la mesure où il s'agissait de gens reliés au système, avec un agent de soutien. J'ai donné le chiffre de 35 000 $ par an, dont un tiers représente des dépenses de santé. Je précise que nous avons inclus les transferts de revenu dans ce chiffre. Un autre tiers concerne le soutien du revenu de ces personnes. Le dernier tiers concerne un ensemble de services, comme des services sociaux, qui sont financés de nombreuses manières différentes, des interactions avec l'appareil judiciaire, et des frais assumés par la famille, qui ne sont pas négligeables. Bien des gens pensent que, pour le système communautaire de santé mentale, l'élément le plus important provient des familles, qui ne reçoivent aucune ressource quand un de leurs membres tombe malade. Il y a un certain transfert de coûts.
La coordination est un problème incontestable. Dans le passé, le système communautaire de santé mentale s'est développé à partir de la base — c'est une entreprise qui a été construite du bas vers le haut. Les membres des familles et des citoyens concernés ont créé des agences dans des domaines où ils pensaient pouvoir changer les choses. Au bout de 20 ou 30 ans, on se retrouve avec tout un éventail de services qui ne sont pas bien coordonnés. C'est un problème.
J'ai parlé de soins à domicile, ce qu'on appelle couramment dans les milieux de la santé mentale «la gestion de cas». La prestation de soins à domicile est un effort déployé par le système communautaire de services de santé mentale pour aider les consommateurs à naviguer dans ce système non coordonné. L'un des rôles de ces gestionnaires de cas est d'aider la clientèle à obtenir les services dont elle a besoin.
Le sénateur Cook: Je viens de Terre-Neuve.
Le président: Avec son accent, elle tient toujours à le dire à tout le monde.
Le sénateur Cook: Je voulais simplement dire nous avons une petite population.
Pour répondre à votre question, lorsque la désinstitutionnalisation des clients a commencé, les crédits ont été orientés vers les services de santé et les services communautaires. Je le sais parce que j'étais membre du conseil de soins de santé à l'époque. Les crédits de base ont été donnés aux services de santé et aux services communautaires et ils y sont restés. C'est encore la même chose aujourd'hui. L'amélioration des programmes a été assurée par les ONG.
Je suis fière du programme mis en oeuvre par mon église, l'Église unie, en partenariat avec les services communautaires de santé. Une bonne partie des fonds a été fournie par le fonds de mission de mon église. Le lien reste avec le ministère de la Santé et des Services communautaires. Les programmes améliorés circulent entre les deux. L'argent et les ressources sont là, tout comme le petit conseil dont je fais partie.
Un petit centre d'accueil s'occupe de 90 à 100 clients par jour. Les crédits de base viennent des services communautaires mais l'amélioration, encore une fois, vient des initiatives que nous avons prises à titre bénévole. Nous avons maintenu ce lien.
M. Grass: Nous avons constaté — et je pense que cela concerne ce dont vous venez de parler — que, lorsque l'environnement est relativement petit, certaines des communautés, comme Renfrew, ont un choix limité en matière d'agences. Elles sont mieux à même de tenir compte des nuances politiques et de forcer une meilleure coordination. Notre analyse de la situation et nos discussions avec des collègues de la Saskatchewan et du Manitoba nous ont montré que les petites collectivités sont mieux à même d'offrir un ensemble de services coordonnés, parce qu'elles ont tout simplement moins de choix politiques et monétaires à faire
Chacun convient que l'intégration est importante. Je ne connais pas tous les problèmes ministériels auxquels vous faites face mais il est clair que la taille crée un plus gros problème dans ce domaine.
Le sénateur Cook: Les résultats sont immédiatement mesurables.
M. Grass: Si vous parlez des résultats du point de vue de l'intégration, je suis tout à fait d'accord. On a souvent prouvé que l'intégration et le fait de pouvoir suivre et appuyer l'individu dans ces différents ports d'escale concernant le logement, les activités sociales, les loisirs et les besoins cognitifs améliorent la situation de l'individu. Les résultats sont bien meilleurs pour lui, ça ne fait aucun doute. Les experts pourront vous donner plus de détails à ce sujet. J'ai écouté beaucoup de gens m'en parler au cours des 18 derniers mois et j'en suis totalement convaincu.
Le sénateur Cordy: Vous dites que les personnes souffrant de troubles mentaux, surtout les sans-abri, vont dans les cliniques externes pour obtenir leurs médicaments. Cela veut-il dire qu'ils ne sont pas toujours suivis par le même médecin? Doivent-ils voir un médecin différent à chaque fois?
J'ai aussi entendu dire que les personnes souffrant de troubles mentaux ont souvent du mal à obtenir un traitement pour leurs troubles physiques quand elles se présentent devant un médecin, qui est porté à ne pas les écouter.
La Dre Bourget: Pour ce qui est de la première partie de votre question, je ne sais pas comment les systèmes fonctionnent dans tout le pays. À l'Hôpital royal d'Ottawa, qui est relativement grand, on assure la continuité des soins pour les patients judiciaires. Les médecins qui s'occupent des patients en clinique interne les suivent également en clinique externe.
Pour ce qui est de la deuxième partie de votre question, je ne me souviens plus très bien de ce que c'était.
Le sénateur Cordy: J'ai lu qu'une personne souffrant de troubles mentaux qui s'adresse à une clinique externe pour un problème physique risque de ne pas être prise autant au sérieux qu'une personne qui n'a pas de troubles mentaux.
La Dre Bourget: C'est possible.
Le sénateur Keon: J'ai trouvé vos exposés tout à fait fascinants car vous avez couvert un large éventail de problèmes.
Nous avons entendu beaucoup de gens nous dire ce qui ne va pas dans le système mais encore personne n'a pu nous dire comment résoudre les problèmes. J'aimerais que vous tentiez de nous proposer des solutions. Évidemment, vous ne pouvez pas nous dire ce matin ce qu'est la solution globale à un problème aussi énorme, mais je vous serais très reconnaissant d'essayer.
Je voudrais que le Dr Turnbull commence car, comme vous le savez, docteur Turnbull, je connais bien ce que vous faites. Je pense que c'est brillant. C'est l'un des programmes les mieux conçus que j'aie vus depuis longtemps. Vous faites quelque chose qui répond à un besoin énorme de la société.
Mon interprétation de votre programme est qu'il est axé sur la personne, pas sur le patient. Vous identifiez des personnes qui ont des besoins et vous les suivez pour essayer de concevoir quelque chose en fonction de ces besoins. Mieux encore, vous mesurez les résultats à la fin du processus. C'est absolument extraordinaire et je vous en félicite.
Cela dit, je connais aussi fort bien le système, notamment le fossé entre les crédits opérationnels et la recherche. Vos budgets de recherche s'épuisent et il n'y aura pas de budget opérationnel pour préserver un programme qui pourrait pourtant faire apparaître un début de lueur au bout du tunnel.
Voici donc ma question: quel concept permettrait de faire face à l'énorme fragmentation qui existe dans ce domaine?
Docteur Turnbull, comment diable avez-vous l'intention d'obtenir des crédits pour un programme qui n'est identifié nulle part dans les budgets opérationnels de la santé ou des services sociaux?
Le Dr Turnbull: Je vous remercie de votre gentillesse, sénateur Keon.
Je vais d'abord répondre à votre dernière question puis dire quelques mots au sujet de la première.
Vous demandez comment on peut passer de la recherche, sur une initiative couronnée de succès, à la mise en oeuvre opérationnelle, dans un ministère provincial qui fait déjà face à de sévères contraintes budgétaires.
Nous avons relevé de nombreux défis. Tout d'abord, il s'agit d'une population qui ne possède pas beaucoup de pouvoir. Dans l'ensemble, elle ne vote pas. Elle ne possède pas de pouvoir politique, du point de vue du lobbying. Deuxièmement, il y a beaucoup de cloisonnements différents dans un ministère traditionnel. Or, ce que nous faisons ne concerne pas le logement, pas la justice, pas la santé, mais tout ensemble. Quand on s'adresse à un ministère provincial, il nous renvoie à un autre. Comme vous le savez, quand les temps sont difficiles, c'est la solution de facilité.
Nous n'avons réussi que parce que l'argument financier était extrêmement convaincant, ce qui leur a fait accepter de nous financer pendant un an de plus. Toutefois, à moins qu'il n'y ait un changement spectaculaire à l'avenir, je soupçonne qu'il sera plus difficile d'obtenir des crédits dans un an et que les personnes qui reçoivent des soins valables aujourd'hui ne pourront plus les obtenir. C'est un défi énorme.
La solution serait que les ministères de la Santé commencent à briser leurs cloisonnements traditionnels et décident d'innover à l'égard de ces groupes de population, en disant: «Il y a un peu de maladie psychiatrique et nous allons donc donner des soins de santé mentale, il y a un peu de problème de logement, un peu de problèmes judiciaires et il y a certainement des problèmes de santé.» Jusqu'à maintenant, il a été très difficile de briser les cloisonnements.
Le sénateur Keon: Si vous receviez des crédits, docteur Turnbull, quel organisme devrait les recevoir, à votre avis?
Le Dr Turnbull: C'est une question intéressante à laquelle nous réfléchissons déjà en ce moment. Comme vous le savez, comme nous n'avons pas de partenaires importants, l'Université a pris la responsabilité de dispenser des services de santé à cette communauté. Vous allez dire: pourquoi diable est-ce l'Université d'Ottawa qui dispense des services de santé? Ce serait une excellente question, à laquelle je n'ai pas de bonne réponse à proposer.
À quel partenaire donner l'argent — à notre Centre d'accès aux soins communautaires, le CASC, qui dispense des soins à domicile? Ce serait une solution raisonnable. Il s'agit en fait d'assurer la prestation de services en dehors du milieu institutionnel, que ce soit dans un foyer ou non. Dans cet environnement, on a l'habitude de l'interdisciplinarité.
Devrait-on donner l'argent aux centres de santé communautaires, ce qui serait aussi une solution raisonnable? Il s'agit de gens qui manquent traditionnellement de fonds mais qui sont néanmoins capables de faire le pont entre les disciplines et de dispenser des services valables au niveau communautaire.
Il faut en fait chercher un groupe interdisciplinaire au lieu de donner l'argent strictement au secteur hospitalier ou strictement au secteur de la santé mentale, parce que le problème touche de nombreuses disciplines différentes. Je ne peux cependant parler que de mon propre environnement, et c'est la communauté des sans-abri. Je ne peux parler pour les services psychiatriques dont ont besoin les gens qui souffrent de maladies mentales persistantes, dans un autre contexte. Toutefois, si j'étais responsable du financement, je chercherais un groupe interdisciplinaire, comme il s'agit d'une clientèle de sans-abri.
M. Aubry: J'aimerais répondre à la question sur les solutions pour réparer le système. Quatre idées me viennent en tête. Nous avons déjà parlé de la première, et on en discute certainement déjà beaucoup depuis le début de la désinstitutionnalisation. Il s'agit de savoir comment donner des ressources à ces services communautaires. Comme l'a dit M. Grass, ils sont sous-financés. Il est essentiel de commencer à bâtir le système.
Comment développer les capacités? Les programmes existent. Il y a des programmes psychosociaux qui ont permis de faire d'excellentes recherches ayant donné d'excellents résultats, que cela concerne le logement, la formation professionnelle ou l'éducation. Il y a des méthodes qui peuvent améliorer la situation. La question est de savoir comment les financer. C'est essentiel. C'est un domaine où le gouvernement fédéral pourrait exercer un certain leadership.
Deuxièmement, j'ai parlé de capacité. Je viens d'une institution universitaire. Si nous voulons donner des ressources à des programmes communautaires, il faudra former et recycler les gens qui travaillent dans ce secteur. Cela implique toutes les disciplines — médecine, psychologie ou thérapie fonctionnelle. Ça devient un élément important du projet de construction d'un système.
On parle d'un plan national mais il est crucial qu'il repose sur certaines valeurs fondamentales. Pour cette population, les valeurs fondamentales devraient comprendre toute cette affaire d'inclusion sociale, d'intégration communautaire et de rétablissement. C'est ce qu'il faut faire si nous voulons que les gens assument le rôle le plus normal possible dans la société.
La dernière chose — et cela ne relève pas de mon domaine d'expertise — est de savoir comment gérer ce système fragmenté. Il me semble qu'il va falloir le restructurer, mais au niveau local. Si l'on met sur pied un certain type de gouvernance, il faudra que ce soit régional plutôt que provincial.
La Dre Bourget: Suite à ce que M. Aubry vient de dire, les gens souffrant de troubles mentaux persistants et profonds, comme la schizophrénie, ont souvent des troubles de la communication. Il leur est très difficile de communiquer avec autrui. Il y a des ressources mais elles sont fragmentées. Les gens ne savent pas où aller ni quand y aller.
Il n'est donc pas étonnant qu'un si grand nombre se retrouve dans l'appareil judiciaire, lorsque leur situation devient tellement mauvaise qu'ils finissent par commettre un crime ou que la police les embarque pour les amener dans un hôpital judiciaire. À ce moment là, ils franchissent la porte d'entrée et ils obtiennent les services.
Je n'ai pas de solution à proposer à ce problème très difficile mais il serait peut-être utile d'envisager un concept où, idéalement, il n'y aurait qu'une seule porte d'entrée, par laquelle les différentes personnes qui se présentent feraient l'objet d'une évaluation complète puis seraient dès le début mises en contact avec un travailleur social. On procéderait à une évaluation attentive de leurs besoins et on pourrait les orienter vers les services idoines. C'est quelque chose qui serait utile dans cette situation.
M. Grass: C'est une bonne question. Je vous parlerai de la situation en Ontario et, dans une certaine mesure, d'autres provinces.
L'évolution des gens dans le traitement de la maladie mentale varie. Certains cas sont meilleurs que d'autres. En Ontario, j'ai appris qu'il faut parfois coconner les problèmes quand il y en a une série. Plus souvent qu'autrement, on n'a même pas à comprendre les indications chiffrées. Pour répondre à votre question, j'essaierai de coconner le système de santé mentale. Cela ferait deux choses. D'abord, cela vous permettrait de comprendre le ministère et les gens de l'Ontario, pour leur faire savoir ce qu'ils ont. Cela permettrait d'évaluer les gens et leur aptitude à travailler ensemble vers l'intégration. Tout le monde dit qu'il faut intégrer mais tout le monde trouve le moyen de ne pas le faire.
Il faut donc coconner le système pendant un certain temps. Quoi d'autre? Je le ferais avec le même budget ou avec le budget limité d'il y a un an ou deux, pendant une certaine période, de façon à bien comprendre de quoi on parle.
En plus de comprendre le système de santé mentale, on commencerait à comprendre les notions de régionalisation, comment elles pourraient fonctionner et comment faire comprendre par les autorités régionales toutes ces autres questions profondes d'ordre philosophique, que les lobbys approchent toutes de points de vue différents. Cela vous permettrait de gérer le système de façon à dispenser un meilleur service et à obtenir une meilleure compréhension de l'intégration. Cela nous apprendrait, comme on le fait dans les affaires, comment réunir un ensemble de concepts opérationnels séparés dans un seul système de gouvernance, qui permettrait de prendre des décisions d'affectation des ressources budgétaires plus équitables. Peut-être réussirait-on à apprendre comment fonctionner efficacement avec une autorité régionale et à aborder toutes les autres questions auxquelles nous serons confrontés dans les années à venir.
Pour ce système de santé mentale, il est clair qu'il faudrait le coconner. Suite aux remarques du Dr Turnbull, le financement doit être indépendant — pas attribué aux CASC ni à aucune autre organisation communautaire. Il devrait y avoir une autorité de gouvernance indépendante capable de prendre des décisions à partir de données concrètes, pendant une période de temps définie, c'est-à-dire un gestionnaire et une série de ressources intelligentes pouvant prendre des décisions sur l'intégration. Ils comprendront la population qu'ils desservent et feront du lobbying approprié au sein de la communauté des services et du gouvernement pour répondre à la question du nombre de personnes et de la somme d'argent. Nous n'avons clairement pas répondu à cette question.
En Ontario, il y a dans le budget provincial une somme destinée à la santé mentale. Est-ce un montant équitable pour ce groupe de gens? S'il n'y a que cette somme, quelles ressources pouvons-nous fournir, si nous nous entendons sur un programme d'éducation publique pendant une période donnée? Nous voyons monter le nombre de patients en santé mentale. Sommes-nous d'accord pour une augmentation appropriée des budgets?
Une coordination intelligente de cet effort de coconnage pouvant exercer les bonnes pressions pour aider le ministère à surmonter cette période d'inaction, cette notion qu'il est préférable de ne pas prendre de décision plutôt que de prendre une vraie décision. Aller dans un sens revient à prendre une décision.
Je suis certain que ce serait possible. Cela surmonterait un certain nombre de positions d'orthodoxie politique qui existent dans notre système aujourd'hui. C'est une proposition difficile. Il faut un engagement solide. La position fédérale pourrait partir d'un programme important d'éducation publique et continuer par une compréhension d'initiatives interministérielles. Cela amènerait le gouvernement fédéral à encourager les provinces — certaines plus que d'autres — à coconner le système de santé mentale pendant un certain temps et à présenter, à la fin de chaque année, ce qu'on a appris sur le plan pratique, et quelles décisions ont été prises en conséquence des lobbys qui existent.
Je ne crois pas que le système de santé mentale devrait être séparé dans son propre appareil cloisonné alors qu'il y a déjà tellement de cloisonnements individuels dans le système. À terme, après qu'il aura été coconné, il faudra le ramener dans le modèle de soins primaires qui devrait exister à l'avenir à mesure qu'on essaie de comprendre quel est le modèle approprié pour le système de santé dans son ensemble.
Dans toute proposition d'affaires ou familiale, il faut faire le point. Il faut d'une certaine manière concevoir un concept dans lequel chacun gère au sein d'un système de direction et de réflexion global, pour répondre à votre question.
Le sénateur LeBreton: Monsieur Aubry, vous avez parlé d'initiatives d'autonomie. J'aimerais avoir des précisions. Comment amener les gens à l'étape de l'autonomie et comment gère-t-on les programmes correspondants? Y a-t-il quelque chose qui se fait actuellement en ce sens?
M. Aubry: Dans le secteur de la santé mentale et au sujet de cette question de désinstitutionnalisation en Amérique du Nord, le mouvement a été en grande mesure propulsé par les consommateurs, c'est-à-dire par des gens qui ont une expérience assez longue du système psychiatrique et de la création de coalitions. C'est parfois à un niveau très local. C'est parfois à un niveau provincial. Il y a mêmes des coalitions nationales.
Ces initiatives s'appuient mutuellement, chacune menant une action politique pour obtenir des changements importants. Il y a également eu certaines initiatives autonomes de développement économique qui sont très intéressantes. Dans ces cas, des groupes de consommateurs et d'ex-consommateurs se sont réunis pour voir comment mettre sur pied une petite affaire. Il y en a des exemples à Toronto.
Il y a aussi des initiatives d'autonomie pour les familles. Elles ont été importantes et ont joué un rôle d'éducation publique et de soutien. M. Grass est peut-être plus au courant que moi à ce sujet. Je songe à un groupe comme la Société de la schizophrénie, qui est très familiale.
Il existe incontestablement un secteur d'action autonome. Cela se fait un peu au hasard et on n'y consacre pas beaucoup de ressources. Nous constatons cependant que c'est un autre élément du système qui peut être très utile pour les gens. C'est un type de soutien plus naturel.
Le sénateur LeBreton: S'agit-il d'une sorte de système de bénévolat, d'action à la base? Comment cela commence-t- il?
M. Aubry: C'est essentiellement un groupe de gens qui se réunissent et disent: «Collectivement, nous devons essayer de nous appuyer mutuellement et de nous défendre. Voyons si nous pouvons obtenir des fonds pour ça.» Je ne connais pas le chiffre exact en Ontario mais il y en a au moins une quarantaine.
M. Grass: Les groupes d'autonomie et de défense d'intérêts qui existent posent une question importante. Je connais la Société de la schizophrénie. Je connais le président et plusieurs de ses dirigeants, autant pour l'Ontario que pour le Canada. Il y a un certain nombre de groupes individuels qui se sont réunis pour partager leurs expériences personnelles. Dans bien des cas, ils l'ont fait suite à leur frustration avec le système. Le problème qu'ils ont tous — je le répète, ce sont des groupes extrêmement bien intentionnés, qui jouent un rôle utile pour les familles — est qu'ils n'ont pas fait le saut. Ils constatent maintenant que, même s'ils sont assez nombreux, ils n'ont aucun pouvoir politique. En fait, ils font beaucoup de travail — ils se réunissent la semaine prochaine.
Toutefois, tant qu'ils n'auront pas réussi à s'unir pour démontrer l'ampleur du problème de la santé mentale et pour faire des pressions politiques de manière efficace et professionnelle, des gens comme vous, tout comme les politiciens provinciaux et fédéraux, n'auront pas une idée très précise de l'ampleur du problème auquel les familles sont confrontées.
Les questions d'action autonome et de défense d'intérêts posent des défis très importants. Ces groupes doivent continuer à se réunir pour informer la population mais ils doivent comprendre qu'ils ne peuvent être efficaces en restant petits et nombreux. Comme tout concept, il y a les questions de santé familiale individuelles qu'ils doivent régler et il est crucial qu'ils se réunissent pour transmettre des opinions éclairées et globales à des comités comme le vôtre ou au niveau provincial. Nous ne voulons pas d'opinion fragmentée et non validée.
Nous devons trouver une série de circonstances et de concepts — qu'est-ce que ça veut dire faire des pressions de manière apolitique et objective sur la gravité des problèmes de maladie mentale, sous leur forme la plus large. Toutefois, l'action autonome est une question très importante.
Le sénateur LeBreton: Que leur conseilleriez-vous pour les motiver à atteindre la masse critique?
M. Grass: Je pense qu'ils sont en train de le faire. Comme toujours, c'est une question de temps. Par exemple, la Société de la schizophrénie va bientôt rencontrer plusieurs autres organisations pour en parler. En fin de compte, l'un des plus gros problèmes qu'ils auront sera de devenir plus professionnels, de créer les lobbyistes appropriés et les directeurs exécutifs qui pourront défendre leurs causes. Quel est le niveau de financement dont nous avons besoin et que nous ne pouvons obtenir de l'intérieur de nos propres groupes, de notre loterie ou de toute autre activité «bien intentionnée» mais de portée limitée?
Comment pouvons-nous faire en sorte qu'ils obtiennent des crédits appropriés de façon à ne pas devenir une force politique mais plutôt une société appropriée communiquant les vrais problèmes? C'est un défi que je vous encourage à relever, en encourageant les organisations de défense concernées.
Le sénateur LeBreton: Madame Bourget, vous avez parlé de patients judiciaires et de leur transition vers la communauté. M. Grass disait qu'il leur est très difficile de trouver des logements. Comment peut-on résoudre ce problème? Y a-t-il des modèles couronnés de succès, au Canada, aux États-Unis ou ailleurs, où on a réussi à amener des patients judiciaires à se réintégrer dans la communauté, ou est-ce un problème qui reste non résolu parce que personne ne veut de gens comme ça dans son quartier?
La Dre Bourget: Je ne sais pas ce qu'il en est dans les autres pays, je ne peux parler que pour l'Ontario, le Québec et le reste du Canada. C'est une situation très difficile parce que ces gens font face à beaucoup de stigmatisation. Je ne parle pas des patients judiciaires à faible risque, qui bénéficient d'un soutien familial et qui peuvent généralement se réintégrer facilement dans la société. Ces gens-là s'en sortent très bien dans des foyers d'accueil supervisés, avec un suivi psychiatrique. Dans certains cas, ils sont reliés à nos cliniques et obtiennent certains services dans la communauté par le truchement de l'ACSM.
La situation n'est pas du tout la même pour les patients qui ont commis un crime grave alors qu'ils étaient malades — ceux qu'on estime présenter un risque modéré à élevé. Même quand leur psychose s'est atténuée, qu'ils ont bien réagi au traitement et qu'ils sont prêts à réintégrer la communauté, ils font face à un problème particulier de logement. Où peuvent-ils aller? Beaucoup ne peuvent vivre de manière indépendante, et les foyers d'accueil supervisés ne veulent pas les accueillir — essentiellement à cause de la crainte et de la stigmatisation. En conséquence, ces gens connaissent des périodes d'hospitalisation plus longues qu'il ne le faudrait, à cause du manque de ressources dans la communauté et d'un manque d'éducation et de compréhension. Il y a encore beaucoup à faire à ce sujet.
L'un des modèles qu'on a proposés est celui d'un foyer de transition judiciaire, non pour créer un autre niveau d'institutionnalisation dans la communauté mais pour faire lepont entre l'hôpital judiciaire et le foyer d'accueil supervisé. En règle générale, les foyers d'accueil supervisés ne le sont pas 24 heures par jour. Il peut n'y avoir qu'un employé la nuit. Généralement, les employés n'ont pas eu de formation en santé mentale. Bien souvent, ce sont les gens mêmes qui décident d'exploiter un foyer d'accueil supervisé et qui obtiennent une subvention. On voit parfois des foyers qui sont un peu plus structurés et sûrs pour ces individus.
M. Grass: En outre, la question de la convalescence en santé mentale présente un grand intérêt. Notre société ne permet pas beaucoup de convalescence. Même à l'Hôpital royal d'Ottawa, nous avons un programme d'une semaine et un autre de deux semaines, et nous nous attendons à ce que ces gens retournent dans leur famille ou dans leur communauté et continuent leur vie. Pour d'autres maladies, comme vous le savez bien, on donne beaucoup plus de temps de convalescence.
Pour ce qui est des enfants, il y a un débat en cours au HEEO et parmi les professionnels de cette communauté concernant une certaine forme de programme à court terme, de deux à trois mois — pas un programme d'institutionnalisation — pour tenir compte de certains types de maladies et des problèmes qui peuvent se poser sur la voie du rétablissement, avant le soutien en matière de logement et d'autres questions.
La question de la période de convalescence est un autre défi que l'on peut articuler. D'autres pourraient l'expliquer beaucoup mieux que moi. Simon Davidson et d'autres médecins de l'Hôpital royal d'Ottawa s'intéressent vivement à cette question et étudient comment on pourrait réintégrer ces gens de manière plus cohérente. Il est clair que ça ne se fait pas actuellement.
Le sénateur Callbeck: Personne n'a encore abordé ce matin la question de la santé télémentale. Cela pourrait-il jouer un rôle pour aider ces gens à retourner dans la communauté ou à s'y réintégrer?
M. Aubry: Voulez-vous parler de téléconférence à distance?
Le sénateur Callbeck: Oui, et de prestation de conseils. Est-ce un concept dont on discute dans le secteur?
M. Aubry: On en discute en santé mentale et il y a certains projets pilotes. De fait, je sais qu'il y a un programme de ce genre à Hull, mais il est plus relié à des services externes et à des types de difficultés plus aiguës qui seraient plus transitoires.
Les services de soutien communautaire qui ont été mis sur pied et qui se sont avérés efficaces sont dispensés in vivo, c'est-à-dire dans la communauté, chez les gens eux-mêmes. Je ne connais pas de projets pilotes dans cette région pour des gens souffrant de troubles mentaux profonds et persistants, étant donné que l'on attache beaucoup d'importance à forger une relation de confiance à long terme avec les professionnels et avec les fournisseurs de services. C'est une idée intéressante et je suppose qu'elle pourrait être envisagée là où il est difficile de dispenser des services dans des régions éloignées, mais je n'ai connaissance d'aucun programme de ce genre actuellement.
Le sénateur Callbeck: Quelqu'un d'autre veut-il intervenir à ce sujet?
La Dre Bourget: Je ne suis pas sûre que ce type de système ait un rôle à jouer à l'égard du type de questions dont nous discutons aujourd'hui. Toutefois, il y a eu des initiatives de santé télémentale pour dispenser des services consultatifs dans les régions rurales — c'est surtout pour la consultation. D'un point de vue pratique, l'une des difficultés est de trouver le moment adéquat, pour les deux parties. Une autre difficulté est de savoir comment ce système serait financé.
Le sénateur Callbeck: Dans votre exposé, monsieur Aubry, vous avez parlé des orientations futures de la réforme de la santé mentale. Vous avez dit que, si l'on veut que les gens souffrant de troubles mentaux profonds puissent vraiment se réinsérer dans la société, nous devons leur offrir des services de soutien pour qu'ils puissent retourner à l'école, par exemple, et trouver du travail. Vous avez dit qu'il y a aux États-Unis certains programmes très impressionnants à cet égard. Pourriez-vous nous en parler?
M. Aubry: Oui. C'est ce que j'appelle des services «de troisième génération» car je pense que nous avons fait certaines percées. La première génération était le logement, la deuxième génération était ce qu'on appelle la «gestion de cas», ou les soins à domicile. Pour beaucoup de gens souffrant de troubles mentaux profonds et persistants, ceux-ci sont apparus à la fin de l'adolescence ou au début de l'âge adulte et les ont totalement paralysés. Autrement dit, ce sont des gens qui ont dû quitter l'école et qui ne peuvent pas occuper d'emploi. Les services de troisième génération comprennent des programmes fondés sur des données concrètes qui aident les gens à retourner à l'école. En règle générale, il y a un système de soutien, une personne particulière ou un petit groupe de gens, qui peut aider à leur dispenser le type d'éducation qu'ils souhaitent, les aider à s'intégrer dans certains programmes et leur donner un appui continu. Le même processus continue dans la population active, c'est-à-dire qu'il y a un mécanisme de soutien pour aider les gens à se préparer à retourner au travail.
Ces programmes connaissent un taux d'efficacité de l'ordre de 40 à 50 p. 100. Il ne s'agit pas d'ateliers protégés mais de programmes qui permettent aux gens de retourner sur le marché du travail classique. Certes, un certain degré d'entraînement est nécessaire pour aider les gens à se préparer à retourner au travail et à faire face à toutes les difficultés qu'ils vont rencontrer lorsqu'ils vont effectivement commencer à travailler, et à restructurer leur vie en fonction d'un emploi à temps plein ou à temps partiel.
Le sénateur Callbeck: Depuis combien de temps existent ces programmes?
M. Aubry: Je dirais, depuis 10 à 15 ans. On continue d'en créer. Les recherches continuent.
Le sénateur Callbeck: Le pourcentage augmente-t-il continuellement?
M. Aubry: C'est comme pour n'importe quelle autre nouvelle intervention. Il y a une période où on essaie de comprendre ce qui est efficace, puis une période d'amélioration. Le type de recherche que je connais me porte à croire que c'est quelque chose qui peut être efficace.
M. Grass: Il y a trois choses dans la vie: un toit, un emploi et un ami. Un certain nombre d'initiatives américaines ont connu beaucoup de succès. Évidemment, bon nombre de ces gens ne vont pas atteindre une qualité de vie aussi élevée qu'ils peuvent le croire au début. Toutefois, dans bien des cas, à terme, ils entrent dans des programmes d'emploi. Il y a des efforts comme «Club House» aux États-Unis, et un certain nombre de programmes où des gens ont commencé avec un petit emploi puis ont évolué vers des emplois vraiment compétitifs. Il s'agit souvent d'emplois à des niveaux inférieurs mais ils permettent au moins à leurs titulaires de progresser par rapport à leur état antérieur et de sortir de chez eux pour faire quelque chose et être payés.
Nous pourrions vous donner un certain nombre d'exemples de programmes qui existent depuis un certain temps, mais ce n'est pas quelque chose que l'on a adopté de manière vraiment sérieuse en Ontario.
Le sénateur Cook: Il y a des trous dans le système: on manque de psychiatres, on manque de personnes formées, la magistrature et la police ont besoin de formation de sensibilisation sur tout ce domaine. Comment faire? Nous devons faire avec le système tel qu'il existe et est géré aujourd'hui.
Monsieur Grass, je suis intriguée par votre principe du cocon. Vous recommandez un principe du cocon puis l'intégration. J'aimerais savoir comment vous pourriez gérer l'étape du cocon, sur le plan temporel, et si vous avez des idées comme les valeurs centrales, les informations validées, quoi que ce soit, à intégrer.
M. Grass: Pour ce qui est du principe du cocon, je ne l'envisage pas pour plus de deux ans. Je ne crois pas que cela devrait devenir le système en soi. Je crois que la santé mentale n'est pas différente de la santé physique et qu'elle doit faire partie du système. Ce serait une erreur absolue de cloisonner la santé mentale comme elle est déjà cloisonnée dans un certain nombre de services.
Il nous faut trouver un engagement au sein de notre philosophie fédérale et provinciale pour chercher ce qu'est la réponse à notre système de santé mentale et comment ce cocon retournerait dans le système. Cela devrait être accepté dès le départ.
Il n'y a aucune raison de croire que les questions de santé mentale doivent être séparées. Elles ont leur propre problématique mais nous avons traité de questions particulières comme le cancer ou d'autres maladies en les ramenant dans le même ensemble, comme partie du système global. Pourquoi ne pourrions-nous pas trouver une réponse similaire en santé mentale?
J'ai mis beaucoup de détails dans un rapport substantiel dont le comité a reçu un exemplaire, je crois. J'espère que vous aurez la possibilité de le lire car je crois qu'il indique un chemin sur la méthode du cocon, avec retour dans le système de soins primaires, quel que soit ce système.
Le sénateur Cook: Au fond, nous sommes ici aujourd'hui pour voir comment notre société peut agir à l'égard des gens qui ont des besoins spéciaux. Ce sera un défi.
M. Grass: Le défi est de trouver le juste équilibre. Nous faisons tous face à des contraintes budgétaires. Plus souvent qu'autrement, en affectation de ressources, j'ai pris la position du cocon et je n'ai pas demandé de capital supplémentaire. J'ai juste essayé de comprendre ce que nous avons à l'intérieur du cocon et, ensuite, les étapes deviennent évidentes.
Vous comprenez le groupe que vous essayez d'appuyer, ou le produit que vous essayez de vendre. Je n'essaie pas de dire qu'il y a un lien direct, car nous savons tous que la santé et le commerce sont largement différents. Toutefois, on doit comprendre la problématique et les paramètres de son propre cocon. Nous en avons aujourd'hui un si grand nombre que nous ne pouvons pas les contrôler tous. Nous devons trouver le moyen de focaliser notre réflexion.
Le sénateur Morin: Pour un ponte de la médecine à la retraite, le Dr Turnbull a certainement choisi un champ de recherche tout à fait inusité. Pour son prochain projet, je lui recommanderais d'entreprendre un projet de recherche en hôpital, ce qui permettrait aux internes de faire le travail pour lui. Au lieu de cela, il est maintenant en train de visiter les sans-abri. Je ne suis pas sûr que ce soit très digne pour un ex-président.
Je tiens à remercier et à féliciter nos quatre témoins. Nous venons d'avoir une séance extrêmement instructive.
Le président: Je voudrais terminer la séance en confiant une tâche à tout le monde, suite aux questions du sénateur Cook et du sénateur Keon.
En fin de compte, le comité fera comme dans son premier rapport, il produira des recommandations très concrètes, précises et réalistes, plutôt que de s'en tenir à un niveau philosophique très général, comme on a pu le constater dans un certain nombre d'autres rapports. Vous nous avez tous dit que le système est incroyablement fragmenté et morcelé, ce qui est à l'évidence une source d'inefficience colossale. C'est toujours l'effet de la fragmentation. Deuxièmement, le système est loin d'être aussi positif pour les patients que d'autres systèmes pourraient l'être.
M. Grass a recommandé des méthodes assez précises pour modifier le système, et nous avons ses propositions dans son rapport. J'aimerais que les autres poursuivent leur réflexion à ce sujet et nous en communiquent le fruit, étant entendu que nous savons parfaitement que personne ne renoncera volontairement à son indépendance. Comme disait Will Rogers, tout le monde veut aller au ciel mais personne ne veut mourir.
En conséquence, il faudra peut-être un certain degré de persuasion — au sens du «parrain». On pourrait par exemple décider de ne pas donner d'argent tant que les destinataires n'auront pas accepté de s'intégrer à un système particulier. Il ne serait peut-être pas politiquement orthodoxe pour nous de suggérer une telle stratégie mais cela ne devrait pas nous empêcher de le faire si c'est là que mène notre réflexion.
Nous attendons de vous qui êtes des gens de terrain des recommandations très réalistes et concrètes sur ce qu'il faut faire. Oubliez pour le moment que les parties concernées risquent de résister. Oubliez qu'il nous faudra peut-être trouver le moyen de les convaincre que ce genre de réforme est justifié. Plus vous nous donnerez de détails dans les prochains jours — par écrit ou au téléphone — sur la nouvelle structure qu'il faudrait mettre en place, plus cela nous sera utile.
Pour conclure, se contenter de dire que le système devrait être mieux coordonné nous fait perdre notre temps à tous car nous le savons tous. Le problème est de savoir comment y arriver. Or, nous ne pouvons le découvrir si des gens comme vous, qui êtes sur le terrain, ne nous disent pas comment faire. Si vous voulez bien accepter ce petit travail complémentaire, nous vous en serions extrêmement reconnaissants.
Je vous remercie tous d'être venus. Ce fut une excellente matinée.
La séance est levée.