Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule 2 - Témoignages du 9 mars 2004
OTTAWA, le mardi 9 mars 2004
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 15 h 33 pour étudier l'état actuel des industries des médias canadiennes; les nouvelles tendances et les derniers développements au sein de ces industries; le rôle, les droits et les obligations des médias dans la société canadienne; et les politiques actuelles et futures appropriées par rapport à ces industries.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Je souhaite la bienvenue aux témoins, aux membres du public présents en salle et aux téléspectateurs à cette réunion du Comité sénatorial permanent des transports et des communications.
[Français]
Le Comité continue son étude du rôle que l'État devrait jouer pour aider nos médias d'actualité à demeurer vigoureux, indépendants et diversifiés dans le contexte des bouleversements qui ont touché ce domaine au cours des dernières années, notamment, la mondialisation, les changements technologiques, la convergence et la concentration de la propriété.
Aujourd'hui, nous accueillons des représentants de la Guilde canadienne des médias et de la Periodical Writers Association of Canada. La Guilde est représentée par Lise Lareau, sa présidente, et Scott Edmonds, vice-président, division de la Presse canadienne.
[Traduction]
La Periodical Writers Association of Canada, la PWAC, est représentée par Michael O'Reilly et Doreen Pendgracs. Je vous remercie d'être avec nous aujourd'hui.
Je demanderai à nos témoins de présenter une allocution d'ouverture de 10 à 15 minutes, après quoi nous passerons à l'interrogatoire.
Mme Lise Lareau, présidente, Guilde canadienne des médias: Bonjour, mesdames et messieurs. Merci d'être ici. C'est un privilège pour nous d'être ici à cette journée spéciale sur la colline.
Je suis la présidente de la Guilde canadienne des médias, qui représente environ 6 000 journalistes, techniciens et personnel administratif à la SRC. La Guilde représente également 300 employés de la Presse canadienne — le fil de presse canadien — et M. Scott Edmonds est le vice-président de cette division de la Guilde. Nous représentons également des personnes qui font partie de TV Ontario, du Aboriginal Peoples Television Network et de l'Agence de nouvelles Reuters.
Deux représentants de la Periodical Writers Association of Canada, la PWAC, sont présents ici avec nous; cette association représente plus de 500 rédacteurs pigistes dans tout le Canada. Vous en saurez plus tout à l'heure sur la PWAC.
Les témoins présents ici représentent environ 7 000 personnes des quatre coins du pays qui travaillent à la radio, à la télévision, à la presse écrite, aux fils de presse et dans le domaine du journalisme en ligne, en anglais et en français et dans toutes provinces et les territoires du pays. Ensemble, nos membres possèdent probablement la meilleure connaissance approfondie de notre pays et des questions qui sont examinées par le comité. Nos membres travaillent sur le terrain, sont présents dans les collectivités et ont à coeur les questions que vous étudiez.
Dans presque toutes les collectivités de ce pays, le journal local utilise du matériel provenant de nos collègues de la Presse canadienne et on y trouve des magazines et des journaux qui véhiculent le matériel produit par les membres de la PWAC. Nous sommes à l'origine d'une bonne partie du contenu des médias que vous lisez.
À vrai dire, la concentration des médias et les questions connexes nous ont amenés à intervenir ensemble en tant que deux groupes. Vous en saurez un peu plus, beaucoup plus, lorsque nos collègues de la PWAC parleront de certaines conséquences financières qu'ils ont dû subir en raison de la concentration des médias, et c'est pourquoi nous avons réuni nos ressources quelque peu pour examiner cette question ainsi que d'autres.
En tant que comité, je sais que vous avez entendu un bon nombre de témoins sur cette question. Des représentants de Rogers, de Québecor Média et de Transcontinental vous ont dit qu'aujourd'hui, il y avait moins de concentration qu'avant, que les groupes de société ont apporté de la stabilité et que la qualité n'a pas été touchée. Vous avez également entendu la version contraire: L'industrie des journaux est devenue un dangereux monopole. Des témoins vous ont parlé de l'interférence éditoriale pratiquée par certains propriétaires et de la confiance du public qui a été atteinte. Nous espérons vous apporter aujourd'hui un point de vue différent, celui des personnes qui travaillent dans le domaine — les personnes qui produisent l'information que vous lisez et que vous écoutez.
À la fin de notre intervention, nous allons proposer certaines solutions.
Maintenant — après cette courte introduction — je laisse la parole à M. Edmonds, mon collègue, qui vous présentera la situation à la Presse canadienne.
M. Scott Edmonds, vice-président, Section Presse canadienne, Guilde canadienne des médias: Je suis heureux d'être ici aujourd'hui. Je crois que le sénateur Fraser connaît déjà une bonne partie de ce que je vais dire aujourd'hui, car elle était très active au Montreal Gazette en 1996, période où s'est déroulé la majeure partie des faits que je vais vous raconter. C'était, pour nous à la Presse canadienne, un exemple assez terrible de ce qui se produit lorsqu'il y a concentration des médias.
Je vais remonter à 1907, aux origines de la Presse canadienne. Cette époque était un bon exemple des problèmes qui surviennent lorsqu'il y a propriété réciproque. Avant 1907, les sociétés ferroviaires exploitant des services télégraphiques avaient le monopole de la diffusion des nouvelles canadiennes et étrangères en plus du transport des étrangers et des Canadiens au Canada. La plupart des nouvelles de l'étranger venaient alors de l'Associated Press.
En 1907, le Canadien pacifique a commis une erreur. Il a décidé d'éliminer le contenu canadien et de doubler le prix de la quantité produite d'information canadienne et étrangère. Trois journaux à Winnipeg se sont révoltés: Le Manitoba Free Press, le Winnipeg Tribune et le Winnipeg Telegram. Ils ont créé le premier service de nouvelles coopératives au Canada: La Western Associated Press.
Ils avaient décidé de recueillir et de diffuser leurs propres nouvelles. C'était une tâche difficile. Ils ne possédaient pas la technologie la plus à jour et n'avaient pas assez de personnes, mais ils ont essayé de mettre leurs ressources ensemble. Dans les dix années qui ont suivi, des escarmouches ont eu lieu au sujet des tarifs télégraphiques et, malgré une trêve temporaire, les journaux de l'est et du centre du Canada ont fini par emboîter le pas. Éventuellement, la compagnie de chemin de fer a décidé de se retirer complètement du secteur des nouvelles. Nous pouvons dire qu'il s'agit d'un des premiers cas de «dé-convergence». La compagnie avait décidé que c'était trop de problèmes pour ce qu'elle pouvait en tirer; elle ne faisait pas assez d'argent.
On a bien tenté de créer un service de nouvelles national, mais à cause de différends survenus au sujet du financement, il a fallu attendre la Première Guerre mondiale, alors que le gouvernement fédéral avait convenu d'investir 50 000 $ par année afin d'aider à colmater les brèches au niveau technique dans le pays. La Presse canadienne à responsabilité limitée a vu le jour en 1917. En 1923, elle a été reconstituée en vertu d'une loi du Parlement essentiellement sous la forme qu'on lui connaît aujourd'hui, soit une société à but non lucratif.
Depuis ce temps, elle s'est employée à bien servir les journaux canadiens, qui en assurent le contrôle très bien depuis. Presque à partir de sa création, elle a alimenté en nouvelles la Société Radio-Canada et, en 1941, elle a donné naissance à la Press News Limited, un organisme chargé de vendre ses nouvelles aux stations de radio privées.
De nos jours, sous le nom de Presse canadienne/Broadcast News, soit PC-BN, elle sert environ 100 quotidiens et 600 stations de radio et de télévision partout au Canada dans les deux langues officielles. Elle a des bureaux d'un bout à l'autre du pays et offre un service 24 heures sur 24. PC-BN diffuse des nouvelles et des photographies primées qui lui viennent de son personnel, ainsi que des nouvelles émanant de journaux et de radiodiffuseurs clients. L'organisme transmet des informations que lui communique l'Associated Press et fournit en retour à celle-ci des informations destinées à être diffusées aux États-Unis. Ce que les Américains savent du Canada, ils l'ont appris de la Presse canadienne — soit directement, lorsque l'Associated Press reprend une nouvelle de la PC qui pourrait intéresser le public américain, ou indirectement, lorsqu'elle inclut dans ses nouvelles certains éléments d'information provenant de la PC sur des sujets tels que le bois d'oeuvre, la maladie de la vache folle ou la Commission canadienne du blé. Nous ne pouvons cependant pas les obliger à lire ces articles.
La PC est aussi présente dans les bureaux du gouvernement et des entreprises privées avec des produits tels que Command News, lequel fournit une grande partie du contenu des principaux sites Web sur Internet au pays. Même les grands journaux abonnés à la PC comptent sur elle pour rafraîchir leurs sites Web, parce que les Canadiens veulent connaître la nouvelle immédiatement, quand elle se produit, et non des heures plus tard.
En plus de ses bureaux et de ses correspondants au Canada, la PC a encore deux bureaux à l'étranger, soit à Londres et à Washington. Elle continue cependant de couvrir partout dans le monde les événements importants mettant en cause des Canadiens, par exemple l'intervention militaire du Canada en Afghanistan. La PC dispose pour tout cela d'un effectif de moins de 400 employés, y compris les gestionnaires et les employés temporaires et à temps partiel.
Tout au long de son histoire, qui s'étend sur près d'un siècle, la PC s'est acquis la réputation bien méritée d'être une source d'information juste, objective, compétente et importante pour tous les Canadiens, peu importe où ils vivent. Elle est respectée aussi bien au Québec que dans le reste du Canada en tant que source d'information fiable dans les domaines des nouvelles générales, des affaires, du divertissement, des sports et des affaires étrangères. Voilà qui est bien.
Mais nous sommes ici aujourd'hui parce que la concentration de presse a déjà menacé de détruire la Presse canadienne il n'y a pas si longtemps. La dernière fois que la PC est passée près de disparaître, c'était en 1996, alors que Southam avait avisé la PC en janvier de cette année qu'elle retirait 18 quotidiens de la coopérative, dont certains des plus importants au pays. Cela s'est fait avec l'accord de Hollinger, qui contrôlait alors Southam. Ensemble, ils comptaient près de la moitié des quotidiens en circulation au pays. Les autres membres, ne voulant pas supporter seuls le fardeau des primes de cessation d'emploi et des autres obligations financières à l'égard des employés de la PC et de BN — si je me souviens bien, il était question d'environ 80 millions de dollars — se voyaient contraints de suivre le mouvement.
Mais la PC avait au sein du conseil d'administration ses propres partisans qui voulaient sauver la coopérative. La Guilde a aussi mené une campagne opiniâtre. Elle a engagé une somme de 100 000 $ et a fait ce que normalement les reporters ne font pas: nous n'avons pas seulement posé des questions, nous avons fait des démarches auprès des politiciens, avons commandé des sondages et fait tout en notre pouvoir pour convaincre le Canada qu'il était en train de perdre quelque chose d'irremplaçable.
Les raisons de faire disparaître la PC étaient parfaitement claires à nos yeux. La PC partie, le service des nouvelles de Southam-Hollinger aurait eu le champ libre et aurait hérité pour ses nouvelles d'un marché déjà prêt. Privés des ressources nécessaires pour remplir les pages vides causées par le départ de la Presse canadienne, les petits journaux n'auraient eu d'autres choix que de se rallier au groupe Southam-Hollinger.
Il semble improbable que cette possibilité aurait été offerte aux concurrents directs de Southam. Et si cela avait été le cas, on doute qu'ils aient accepté. Mais ce ne sont là que des suppositions.
La Guilde pense que c'est un exemple frappant du tort que peut causer une trop forte concentration de presse. Nous pensons que la victoire est allée dans le bon camp. Le groupe Southam-Hollinger, dirigé par le magnat de la presse Conrad Black, a reculé. Un comité du conseil d'administration, mené par des gens tels que l'ardent défenseur de la PC John Honderich, du Toronto Star, a présenté un nouveau plan de restructuration destiné à rendre le service plus économique. Les cotisations que les membres versent, un prix de base établi selon la diffusion, sont aujourd'hui inférieures à celles d'il y a 10 ans.
La fin des années 80 et le début des années 90 avaient déjà été marqués par des compressions de personnel à la PC afin de réduire les coûts. À la suite de la restructuration en 1996, il y a eu d'autres compressions. Il en a résulté un service de moindre envergure, mais aussi moins coûteux. Nous n'avons plus de bureau à New York ou à Moscou, par exemple. Avant 1996, un bureau à Winnipeg a été fermé. Le nombre d'employés a été réduit dans les autres bureaux, notamment à Ottawa, où il a été coupé de presque la moitié.
Aujourd'hui, cependant, tout comme en 1924 ou en 1974, la PC reste pour le lecteur de nouvelles de Montréal le meilleur moyen, et parfois le seul, de savoir ce qui se passe à Medicine Hat, à Regina ou à St. John's.
Les changements survenus dans les années 90 ont eu des répercussions au plan humain. Des amis ont perdu leur emploi et beaucoup ont empoché leur indemnité de cessation d'emploi et entrepris une nouvelle carrière. Le service de nouvelles nationales et internationales de la PC a été réduit. Mais la Presse canadienne a survécu.
Il est vrai que la propriété des quotidiens au Canada est un peu plus partagée qu'elle ne l'était en 1996, l'année où la concentration de presse a atteint son «point culminant», mais la PC demeure l'objet de pressions. Et comme les journaux ne sont pas la seule source de revenus, ils ne sont pas la seule source de pressions. La PC a déjà reçu un avis provisoire, suivant lequel un de ses plus importants quotidiens, le National Post, pourrait la quitter le 1er juillet. Un avis provisoire, cela signifie qu'une société a le droit de le faire. Nous demandons à nos membres depuis 1996 de fournir des garanties sur la durée de leur adhésion, afin d'éviter de répéter le syndrome de mort imminente qui a touché la PC à cette époque.
Le départ du National Post pourrait entraîner une perte de revenus de plusieurs centaines de milliers de dollars. Tout cela ajoute de la pression sur un service de nouvelles qui demeure une société coopérative à but non lucratif et qui ne jouit que d'une très mince marge de manoeuvre. Les revenus excédentaires sont en général restreints et ils sont versés dans des comptes affectés à la couverture d'événements tels que les élections fédérales et provinciales et les Jeux olympiques. Sans ces fonds, la PC serait incapable de couvrir ces événements. Les événements imprévus, les guerres ou les catastrophes naturelles, par exemple, grèvent encore plus les ressources de la PC.
Les membres du personnel de la PC parviennent à s'adapter à ces forces, et à d'autres encore, comme ils le font depuis près d'un siècle. Débordant le cadre de leur rôle traditionnel, ils ont cherché à accroître les revenus par des moyens qui auraient sans doute stupéfié les fondateurs de la coopérative. Toutefois, la PC — du moins, un grand nombre de ses employés — a la ferme conviction que les Canadiens ont besoin de leur propre service de nouvelles national, un service leur garantissant une information opportune, adapté à leurs besoins, un service objectif, qui ne laisse pas filtrer l'opinion de ses propriétaires, à l'abri des pressions des annonceurs et de toute ingérence politique, un service qu'ils méritent pleinement.
M. Michael O'Reilly, président, Periodical Writers Association of Canada: Merci de nous avoir donné l'occasion et le temps de parler d'une question qui nous tient à coeur depuis de nombreuses années.
Le Periodical Writers Association of Canada, PWAC, sert et représente plus de 500 rédacteurs professionnels indépendants de toutes les régions du pays. Au dernier compte, il y en avait 526. Cette association sans but lucratif compte des sections dans la plupart des grandes villes et offre une gamme de services à ses membres qui présentent une grande diversité et sont dispersés dans l'ensemble du pays.
La PWAC joue un rôle actif au sein de la collectivité des créateurs canadiens et elle fait partie des responsables de l'élaboration de politiques et de services qui contribuent à la vie intellectuelle, artistique et politique de notre pays. Nous sommes des membres fondateurs de l'organisme de perception des droits de reproduction du Canada appelé Access Copyright, anciennement CANCOPY. Nous avons contribué à mettre sur pied la Creators Copyright Coalition, groupement d'associations de créateurs. En 1996, le Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs a approuvé la demande d'accréditation de la PWAC visant à représenter les rédacteurs pigistes qui écrivent dans des langues autres que le français au Canada. L'accréditation en vertu de la Loi sur le statut de l'artiste habilite la PWAC à négocier pour le compte des rédacteurs d'articles documentaires dans les domaines de compétence fédérale.
Les articles des membres de la PWAC sont publiés dans presque tous les journaux et les magazines canadiens. Nos membres écrivent pour la radio — et plus spécifiquement pour la CBC —, la télévision et, de nos jours, le Web. Les histoires de beaucoup de nos membres paraissent dans d'importantes publications internationales. À la vérité, la plupart des magazines canadiens n'existeraient tout simplement pas sans les rédacteurs-pigistes du pays. Presque tous les articles que vous lisez dans vos publications préférées sont l'oeuvre de rédacteurs-pigistes. La prochaine fois que vous lirez un numéro de Canadian Geographic, de Chatelaine, de Canadian Living, du Reader's Digest ou encore les principaux articles du Globe and Mail, du National Post ou du Ottawa Citizen, jetez un coup d'oeil à la signature et à la notice bibliographique des contributeurs. Presque tous sont des rédacteurs d'articles documentaires indépendants — des pigistes.
Le membre moyen de la PWAC est une personne d'âge moyen qui possède deux grades postsecondaires et travaille comme rédacteur-pigiste depuis plus de 10 ans. En tant que propriétaires de petites entreprises et rédacteurs-pigistes, nos membres sont très compétents et très scolarisés, et ils choisissent de travailler à la pige et de raconter des histoires canadiennes. Ils le font depuis près de 30 ans. D'Inuvik à Windsor, de Victoria à Saint John's, les membres de la PWAC et les rédacteurs-pigistes en général décrivent ce qui fait de nous des citoyens du Canada. Nous formons le coeur de la diversité qui interprète le chant canadien, tant au pays qu'à l'étranger.
Malheureusement, les histoires canadiennes deviennent de plus en plus difficiles à raconter. Les sujets ne manquent pas. L'intérêt à leur égard est grand. Les Canadiens veulent les connaître. Les propriétaires de nos journaux, de nos magazines et des services radiophoniques et télévisuels sont cependant de plus en plus exigeants envers les rédacteurs et ils les rétribuent de moins en moins.
Les grands éditeurs comme CanWest, Transcontinental, Québecor/Sun Media, Rogers et Thomson exigent plus d'articles, plus de contenu et plus de droits, mais ils paient moins pour ces services. Le dernier sondage exhaustif réalisé par la PWAC auprès de ses membres a révélé que le revenu annuel moyen d'un rédacteur-pigiste était de 26 000 $. C'est presque identique à celui de 1979. Compte tenu de l'inflation des 30 dernières années, le niveau de vie d'un rédacteur indépendant du Canada a baissé de plus de 60 p. 100.
Pendant que les tarifs et les revenus diminuent, ces grands éditeurs exigent plus de droits de leurs rédacteurs. Les contrats prévoyant une vaste gamme de licences pour très peu de fonds supplémentaires, voire aucun, ont remplacé ce qui était autrefois la norme: les ententes d'utilisation unique. Lorsque j'ai commencé à faire de la pige en 1993, une publication comme le Globe and Mail ou le Maclean's achetait le droit de publier un article une seule fois. Les licences de publication unique permettaient aux pigistes de revendre leurs articles dans des marchés non concurrents et d'accroître ainsi leurs revenus. Les tarifs n'étaient pas bons, mais nous pouvions au moins compenser en recyclant nos articles.
La situation s'est détériorée au milieu des années 90 au moment de la première série de fusions au sein de l'industrie des médias. Aujourd'hui, lorsque j'autorise l'Ottawa Citizen ou le Chatelaine à publier un de mes articles, l'éditeur exige le droit de le réutiliser dans l'ensemble de son empire médiatique. Mon article peut désormais paraître dans tous les journaux, magazines, sites Web et bases de données commerciales de l'entreprise. Il peut également être diffusé à la radio et à la télévision quand il y a propriété croisée. Il n'est plus possible de négocier les contrats. Les éditeurs locaux ont reçu l'ordre d'acquérir presque tous les droits de mes articles, sinon ils ne font plus affaire avec moi. Les rédacteurs qui ne signent pas ces contrats ne travaillent pas. Certains de nos membres ont même déclaré avoir été placés sur une liste noire parce qu'ils avaient osé protester. Alors, les entreprises bénéficient ainsi de la libre utilisation de mes articles. En échange, je ne reçois habituellement rien ou tout au plus des miettes.
Soyons francs, les producteurs et les rédacteurs indépendants du Canada risquent de ne plus pouvoir gagner leur vie. Un nombre croissant de mes collègues ont cessé d'écrire pour les magazines et les journaux que lisent les Canadiens. Beaucoup se tournent vers des emplois dans l'entreprise privée ou dans la fonction publique afin de pouvoir payer les factures. Ceux qui continuent à faire de la pige sont confrontés à une baisse de leur niveau de vie.
J'aimerais donner la parole à ma collègue, Doreen Pendgracs. Elle vous livrera le témoignage de certains de nos membres.
Mme Doreen Pendgracs, ancienne membre du Conseil d'administration national de la PWAC, et membre du Conseil national, Access Copyright, rédactrice-pigiste: J'ai moi aussi commencé à faire de la rédaction à la pige en 1993, après avoir quitté le secteur privé. Au cours des dernières années, plusieurs des magazines et des sites Web pour qui je travaille ont considérablement réduit leurs tarifs. Ce qui fait que j'ai de plus en plus de difficulté à continuer de générer le revenu déjà modeste que je touchais autrefois. Nous avons fait un sondage auprès des membres partout au pays et j'ai choisi des commentaires que je vais vous lire pour vous permettre de connaître ce qu'ils doivent vivre.
George Kynman, de St. Andrews, Manitoba, écrit:
Je suis bédéiste et rédacteur-pigiste. J'ai commencé ma carrière il y a 15 ans dans de petits journaux indépendants. Aujourd'hui, ces journaux ont disparu. En fait, ils existent toujours, mais leur contenu provient désormais d'organismes de centralisation de l'information et reflète le point de vue des entreprises plutôt que les perspectives locales. La concentration des médias a produit un marché de plus en plus difficile et contrôlé par l'entreprise privée. Grâce à la concentration de leur pouvoir d'achat, les entreprises imposent aux pigistes une baisse de tarifs et souvent, ils en remettent en leur offrant des contrats de licence restrictifs et abusifs.
Allison Finnamore, de Moncton, Nouveau-Brunswick, écrit:
À la fin de février, j'ai reçu un contrat non négociable de Transcontinental Specialty Publications. Pour 0,12 $ le mot, l'entreprise veut les droits exclusifs de première publication pendant 30 jours, les droits électroniques et le droit de publier à nouveau mon article sans autre paiement. Je ne signerai pas le contrat. Je garde la tête haute, mais je me demande vraiment comment je compenserai pour ce revenu perdu, comment je pourrai payer la garderie le mois prochain.
Gil Parker, de Victoria, Colombie-Britannique, écrit:
Au cours des cinq dernières années, j'ai remarqué une baisse des tarifs accordés pour les articles de rédacteurs- pigistes publiés dans les journaux et les magazines. J'attribue cette baisse à la concentration accrue de l'industrie de l'édition et à la concurrence entre tous les médias. Un grand nombre de mes collègues abandonnent les marchés traditionnels des médias publics et se tournent vers la rédaction commerciale pour les entreprises et le gouvernement. Cela représente une grande perte pour le Canada.
Alison Hughes, de Chamcook, Nouveau-Brunswick, écrit:
Il y a huit ans, j'ai commencé à faire de la pige pour le Telegraph Journal du Nouveau-Brunswick. Je recevais alors de 500 à 600 $ par article. Aujourd'hui, NB Publishing, qui fait partie du groupe de journaux appartenant aux Irving, offre 125 $ pour l'article d'un pigiste, en plus d'exiger le droit de réutiliser à l'infini l'article et les photos sous toute forme électronique. J'avais l'habitude de vendre des articles au Ottawa Citizen et au Vancouver Sun, mais ils y ont désormais accès à mon insu et sans mon consentement.
Marvin Ross, de Dundas, Ontario, écrit:
Le montant versé pour un article de fonds dans un journal est aujourd'hui équivalent ou inférieur à celui que je recevais à la fin des années 80. Non seulement de nombreux journaux et magazines n'ont pas augmenté leurs tarifs depuis bon nombre d'années, ils les ont même réduits, comme me l'a raconté une éditrice à qui l'on avait ordonné de le faire, mais les contrats sont beaucoup plus exigeants. La plupart des publications veulent les droits de publication électronique sans rien payer pour les obtenir.
Dave Preston, de Victoria, Colombie-Britannique, écrit:
Après près de 20 ans comme rédacteur/réviseur pigiste professionnel, je ne veux plus faire affaire avec l'industrie des périodiques. Je n'ai vu aucune augmentation de tarif en à peu près 10 ans et le traitement des rédacteurs s'est lentement mais sûrement détérioré. Le grand perdant dans cette situation, c'est le lectorat canadien à qui on présente de plus en plus de dépêches d'agences et des articles souscrits rédigés par des personnes qui connaissent mal le Canada et encore moins son patrimoine, ses politiques et ses cultures régionales.
Tracy Arial, de Verdun, Québec, écrit:
À la fin des années 90, tous les grands journaux ont commencé à distribuer des contrats impitoyables. Plutôt que de vendre un article au Montreal Gazette, de le revendre au même tarif au Toronto Star, puis d'essayer de le vendre à nouveau à un journal de l'Ouest, je ne peux désormais vendre un article qu'une fois, disons au Montreal Gazette, et je ne reçois que 5 ou 10 p. 100 du tarif pour toutes autres publications qui choisirent de le présenter. Les pigistes qui n'ont pas accepté ces conditions ont été inscrites sur une liste noire.
Bob Bott, de Calgary, Alberta, écrit:
Pendant les 10 premières années où j'étais rédacteur-pigiste, soit de 1977 à 1987, les magazines et les journaux me procuraient plus de 90 p. 100 de mon revenu. Les magazines nationaux payaient alors 1 $ le mot et d'autres marchés payaient généralement au moins 0,35 $ le mot. Je gagnais bien ma vie, surtout les premières années, et je tirais une grande satisfaction de mon travail. Toutefois, l'inflation a réduit mon pouvoir d'achat. Je ne peux plus me permettre d'écrire pour les magazines canadiens. D'autres tâches de rédaction et de révision m'ont permis de boucler mon budget, mais je suis préoccupé par l'avenir de l'industrie canadienne des périodiques.
Nora Abercrombie d'Edmonton, Alberta, écrit:
J'étais une critique littéraire qui publiait des articles touchant le féminisme, la littérature canadienne et la culture jusqu'à ce que je poursuive Southam — aujourd'hui CanWest — pour violation du droit d'auteur à la fin des années 90. Il va sans dire que je ne peux plus travailler pour Southam ou CanWest. Le problème, c'est qu'il n'y a aucune autre entreprise dans aucune ville canadienne pour laquelle je peux écrire. Les éditeurs sont des quasi-monopoles qui peuvent imposer l'environnement de travail unilatéralement. Le dialogue canadien est donc restreint [...] et je ne peux plus travailler.
Suzanne Boles de London, Ontario, écrit:
Les tarifs que les publications offrent aux rédacteurs pigistes sont à la baisse. Le London Free Press, qui fait dorénavant partie de Québecor/Sun Media, avait l'habitude de payer 500 $ pour un article-vedette dans son cahier «Affaires». Aujourd'hui, il n'offre plus que 200 $. Les chroniques qui se vendaient autrefois 200 $ ne rapportent à présent que 100 $ ou moins.
La présidente: Madame Pendgracs, surtout pour une ancienne journaliste, il s'agit d'un matériel absolument fascinant, mais puisque nous avons une copie de votre texte, je vais vous demander de ne pas continuer à lire les exemples précis. Nous allons les lire. Nous allons les lire attentivement. C'est la somme d'information que vous essayez de nous transmettre qui montre qu'il y a un très grand nombre de gens qui disent la même chose.
M. O'Reilly: Avec très peu d'effort et de remaniement de notre part, il s'agit là des témoignages réels provenant de nos membres et nous voulions leur donner la parole.
Comme vous l'avez entendu, la concentration des médias a des répercussions directes et mesurables sur les rédacteurs indépendants du Canada. On est en train de nous évincer du marché. Certains diront qu'il s'agit simplement de l'économie de marché à l'oeuvre, qu'il faut laisser le marché décider. Ce serait peut-être vrai s'il s'agissait d'un marché libre, mais ce n'est pas le cas. Chaque fusion, chaque rachat, chaque nouveau pas dans la voie de la concentration des médias fait en sorte que ces puissants radiodiffuseurs peuvent déformer le marché davantage en leur faveur. En ce qui me concerne, il s'agit d'un monopole.
On nous impose le silence. Et, avec lui disparaît la diversité des points de vue et des opinions qui fait tellement partie du sentiment que l'on a d'être Canadien. Mes membres et moi ne le souhaitons pas, mais il semble que nous n'ayons pas beaucoup le choix. Je vous remercie beaucoup de votre attention.
Le sénateur Corbin: Je demande que la partie non lue de ce mémoire soit consignée dans le compte rendu d'aujourd'hui et imprimée telle quelle. Je trouve que les particuliers soulèvent de nouveaux points qui risqueraient de nous échapper.
La présidente: Nous pourrions le faire. Est-ce que tous les sénateurs sont d'accord? Je reconnais que ce témoignage comporte énormément de points intéressants.
Je reviens à ce que disait M. Edmonds à propos des expériences de la PC au milieu des années 90. Permettez-moi d'aller à contre-courant et de dire quelque chose de gentil sur lord Black.
Si ma mémoire est bonne — vous en jugerez étant donné qu'il y a un bon moment que cela s'est passé — c'est lorsqu'il a pris le contrôle de la compagnie Southam que la stratégie visant à abattre la PC a pris fin. Il a épargné de l'argent à la PC et a réduit les frais de fonctionnement.
M. Edmonds: Il y a deux histoires à ce sujet, vous venez de nous en relater une. À l'époque, en janvier, nous étions tous impatients d'entendre la réaction de Hollinger à ce sujet. David Radler a dit que Hollinger avait été tenu au courant de la décision. Cela a pratiquement été fait avec l'approbation de Hollinger en janvier.
Plus tard, en été, M. Radler a été encore plus stupéfié par ce que faisait Southam, mais, à la Presse canadienne, nous ne savions pas vraiment qui tirait les ficelles et qui se trouvait à l'autre extrémité.
Le sénateur Gustafson: Monsieur Edmonds, vous avez déclaré que presque tout ce que les Américains savent du Canada provient de votre plume. Vous avez aussi déclaré que vous êtes, en grande partie, à l'abri des pressions politiques.
Au cours des deux ou trois dernières années, le Canada a considérablement souffert du tableau que nous en avons brossé pour les Américains. Le problème du bois d'oeuvre en est un exemple. On le constate dans l'industrie bovine. Aujourd'hui même, les Américains annoncent qu'ils placent un embargo sur les importations de porcs car notre production est trop élevée. Les Américains ne peuvent pas les acheter. Quatre-vingt pour cent du gaz naturel utilisé par les Américains provient du Canada. Récemment, l'ambassadeur mentionnait environ un million de barils de gaz et de pétrole provenant des sables bitumineux. Ce chiffre passera à 4 millions de baril dans les cinq prochaines années. Une grande partie de ce que nous avons au Canada dépend de ces 1,5 à 2 milliards de dollars américains qui traversent cette frontière.
Quand j'écoute les nouvelles, j'ai l'impression d'entendre de la rhétorique antiaméricaine d'extrême gauche.
À l'écoute des nouvelles au Canada, on croirait que Kerry a déjà remporté les élections. Où se trouve l'«équilibre» dont nous avons parlé? Peut-être avons-nous besoin d'un peu plus d'équilibre dans l'autre direction.
M. Edmonds: La Presse canadienne ne publie pas d'éditoriaux. Tout au cours de son histoire, la Presse canadienne a été scrupuleuse. La majorité des directeurs de journaux s'accordent à dire que la PC est restée politiquement neutre et n'a penché ni à gauche ni à droite. Le résultat est que l'on nous a accusés d'être ennuyeux, mais personne n'a accusé la Presse canadienne d'être politique dans tous les sens du terme.
Si vous percevez un parti pris politique dans les médias, je ne pense pas que vous pourrez dire que c'est dans les articles de la Presse canadienne.
Le problème n'est pas que les articles lus par les Américains manquent d'objectivité, il se peut qu'ils lisent très peu d'articles sur le Canada qui ne sont pas écrits d'un point de vue complètement américain. Je suppose que c'est ainsi que les choses se passent aux États-Unis.
Le sénateur Gustafson: Vous avez mentionné le fait que les rédacteurs ne décrochaient pas des contrats de rédaction. Les médias n'achètent pas les articles que vous écrivez.
Est-ce à cause de la coloration politique des articles?
M. O'Reilly: Non.
Le sénateur Merchant: Vous avez environ 500 membres, n'est-ce-pas? Vous avez déclaré que près de 70 p. 100 des revenus proviennent de vos membres?
M. O'Reilly: Oui.
Le sénateur Merchant: Je vous en félicite parce qu'il est évident que vos membres appuient fortement votre organisation. D'où proviennent les autres 30 p. 100?
M. O'Reilly: Une grosse part des 30 p. 100 restants provient du Conseil des Arts du Canada. Nous avons reçu quelques subventions du Conseil des Arts de l'Ontario. Nous sommes aussi financés par diverses fondations et par notre propre travail. Cela constitue la plus grosse partie.
Le sénateur Merchant: Rien n'a été dit à ce propos aujourd'hui, mais j'aimerais que vous nous disiez ce que vous pensez des lois sur la diffamation. Je crois que les lois sur la diffamation verbale ou écrite sont du ressort provincial et non fédéral. Au Canada, les lois sur la diffamation autorisent une défense fondée seulement sur la vérité et le commentaire loyal concernant les gens dans le domaine public — les politiciens, les vedettes de cinéma, par exemple. Aux États-Unis, les médias peuvent avoir recours à une défense de bonne foi. Quel système préférez-vous, celui du Canada ou celui des États-Unis?
M. Edmonds: Je ne sais pas. Je n'ai pas étudié la question et je ne peux, donc, pas me prononcer.
Le sénateur Merchant: De précédents témoins ont parlé des lois sur la diffamation et des poursuites pour diffamation.
M. Edmonds: En tant que journaliste, il est vrai que je suis préoccupé par la question de poursuites pour diffamation, tous les journalistes le sont. Chercher une solution est cependant un autre problème. Ce n'est pas un problème sur lequel je me suis penché; aussi vais-je éviter de me rendre ridicule en vous donnant une réponse.
Le sénateur Merchant: Nous voyons, quelquefois, de très grosses poursuites en diffamation aux États-Unis. Que pensez-vous du système canadien? Nous n'avons pas cette défense de bonne foi.
M. Edmonds: J'ai été poursuivi en justice une fois, je peux vous le dire. Je considère cela comme un honneur — je crois que c'est le cas pour tous les journalistes. Cependant, aucune de ces poursuites n'a abouti. Je n'ai pas à me plaindre du fonctionnement du système.
Mme Pendgracs: Au cours des dernières années, les publications demandent que les rédacteurs pigistes renoncent à la publicité des droits de toute diffamation qui peut être contenue dans l'article, ainsi nous sommes entièrement responsables. Le coût de l'assurance de la responsabilité civile pour diffamation pour les rédacteurs pigistes est prohibitif. Je crois qu'il est de 1 200 $ ou 12 000 $? Le coût est si élevé que personne parmi nous peut acheter cette assurance. Nous avons étudié cette question pour essayer d'avoir un régime d'assurance collective pour nos membres et je suis presque sûre que cela coûtait 12 000 $ par personne. C'était si cher qu'aucun parmi nous n'aurait pu se la payer. La meilleure solution est que nous soyons très vigilants dans notre travail et dans notre recherche de façon à ne pas violer de loi.
La présidente: Pourriez-vous nous renseigner sur le coût de l'assurance pour les rédacteurs pigistes? Si votre revenu est de 26 000 $ et que l'on vous demande de prélever 12 000 $ de cette somme pour payer une compagnie d'assurance, cela paraît impossible.
M. O'Reilly: C'est un exemple de certains contrats «draconiens», ainsi que le qualifie l'un de nos membres, que nous sommes obligés de signer pour travailler. On nous demande d'indemniser des éditeurs contre toute éventuelle poursuite judiciaire, y compris les poursuites en diffamation. Nous devons assumer les coûts éventuels, même si nous ne gagnons qu'une somme dérisoire dans ce type de contrat. Nous vous donnerons avec plaisir des exemples de ce type.
Mme Lareau: Nous n'avons pas eu l'occasion de parler des solutions proposées à la fin de notre témoignage. Les deux côtés de la table ont présenté quelques problèmes en matière de répercussions financières. Je vous présente, au nom de nous tous, quelques suggestions.
Premièrement, j'appuie le Comité du patrimoine du Parlement et ce qu'il a déclaré à propos de la propriété réciproque. Je sais que M. Clifford Lincoln, le président du comité, se trouvait ici il y a peu. Le Comité du patrimoine a demandé au gouvernement de formuler un énoncé de principes sans équivoque en matière de propriété réciproque avant la fin du mois de juin de cette année. Il y avait une certaine urgence à faire cela quand le comité a fait ses recommandations et nous exhortons le comité à présenter une ébauche de ce à quoi pourrait ressembler un tel énoncé de principes.
Le comité a aussi recommandé que le CRTC remette à plus tard toutes les décisions concernant l'octroi de toutes nouvelles licences et d'essentiellement mettre un moratoire sur tout ce qui concerne la propriété réciproque. Nous appuyons cette mesure. Je tiens à dire publiquement qu'un comité qui a entendu des délégations pendant plus de deux ans considère cette question comme étant prioritaire. Cela mérite d'être répété.
Le Comité du patrimoine a aussi recommandé un financement stable sur plusieurs années pour la SRC. Ce n'est pas une nouvelle pour les honorables sénateurs. Je sais que des représentants de la SRC et d'autres personnes vous ont dit que c'est probablement l'un des moyens les plus efficaces pour contrebalancer les problèmes apparents du contrôle de la rédaction dans le secteur privé d'une tendance politique ou d'une autre.
Tous les éléments présentés par le Comité du patrimoine sont simplement une partie de la solution. Un bon nombre de vos témoins, y compris nous lors de la préparation à ce témoignage, ont longuement réfléchi au fait que nous avons besoin de contrôle, de faits et de recherches.
Donna Logan, la directrice de l'école de journalisme à l'Université de la Colombie-Britannique, a parlé du manque important de recherche indépendante et de la tentative de quantifier ce que de nombreuses personnes estiment être un problème mais qui ont des difficultés à le vérifier au moyen de faits.
Les États-Unis comptent de nombreux centres de recherche de médias indépendants. Le débat concernant le problème de la propriété réciproque y a été beaucoup plus vif parce qu'ils ont une meilleure recherche et beaucoup plus de centres d'étude des médias.
Nous proposons la création d'un centre d'excellence pour les médias dans ce pays. Des universités se spécialisent dans l'analyse des médias, mais nous estimons qu'un centre d'excellence devrait être mis à part — peut-être au sein d'une université, mais financé par le gouvernement, l'industrie, le syndicat et des associations et ne devrait être redevable à aucun groupe en particulier. Son rôle serait de faire de la recherche sur les méthodes de travail des médias au lieu de former les futurs employés des médias.
Un tel centre définira et célébrera la réussite. Il donnera une impulsion positive dans ce débat et dans d'autres. Il sera à la fois un groupe de réflexion et de lieu de ressources pour le public. Il sera un centre canadien. Plus important encore, il sera le fondement d'une stratégie nationale pour média sur le modèle de ce que vous a dit Mark Starowicz. Voilà les raisons pour lesquelles, il mérite d'être financé.
Ce serait le départ d'une noble entreprise pour résoudre ce problème. L'industrie accordera son appui, car elle participera positivement à la résolution d'un problème, contrairement à toute suggestion d'ingérence gouvernementale, par exemple.
La plupart des industries ont des centres d'excellence. C'est une idée qui mérite d'être étudiée. Un centre d'excellence nécessiterait un leadership du gouvernement, de votre comité et d'autres organismes.
Je sais que le retard de la séance du comité aujourd'hui est attribuable au discours de M. Kofi Annan, des Nations Unies. En 2002, M. Annan a parlé à une conférence sur l'environnement en Afrique du Sud. Nous l'avons cité quand nous nous sommes présentés devant le Comité du patrimoine, mais aujourd'hui, ce qu'il a dit est encore plus opportun, il a mis en garde contre l'inaction au plan économique et a souligné la nécessité d'un courage politique.
Lorsque nous étudions les questions quelque peu abstraites de la diversité des médias, des reportages, des tendances vers la gauche et vers la droite, nous avons besoin de faits. Nous avons besoin d'un effort courageux visant une meilleure recherche afin d'inclure cette question dans l'ordre du jour de manière plus réaliste que cela n'a été le cas jusqu'à présent. La grande partie de cette recherche nous échappe. Il est difficile de poursuivre ce sujet sans des renseignements bons et fiables.
Voilà quelques-unes des solutions que nous proposons. Je n'ai pas voulu trop approfondir les questions avant d'avoir eu une chance de faire ces suggestions.
Le sénateur Carney: Je voudrais attirer votre attention sur trois domaines particuliers. Ce ne sont pas les seules questions que j'ai, mais les membres du comité veulent tous obtenir des renseignements de votre part.
En ce qui a trait au problème de la Presse canadienne, il me paraît inconcevable de ne pas avoir cette organisation. Comme vous le dites, c'est l'élément essentiel pour que les nouvelles de toutes les régions du pays soient transmises aux autres.
À l'âge de la pierre, lorsque j'étais journaliste et qu'on écrivait nos propres articles, la PC obtenait une copie. Cette pratique a-t-elle changé? Est-elle encore en place, malgré la progression des chaînes?
Toujours en ce qui a trait à la PC, quels sont les tarifs? Si vous aviez 400 personnes et que ce nombre a été réduit, quelles sont les cotisations? Si un journal décide — comme certains l'ont déjà fait — de ne pas retenir les services de la PC, quels sont les autres services de nouvelles? Où obtenez-vous la copie? Est-elle produite automatiquement? La progression des chaînes a-t-elle changé cela? Quels sont les tarifs et les cotisations?
M. Edmonds: L'échange entre abonnés a toujours lieu. Cette pratique est en place depuis la création de la Presse canadienne. Comme à cette époque, cet échange a lieu surtout la nuit après que les journaux déposent leur copie. Les nouvelles produites par les journaux membres sont encore distribuées, de même que les nouvelles du personnel de la PC qui sont diffusées durant le jour. Quiconque a travaillé pour un journal sait qu'il est plus utile d'obtenir une copie tôt le matin que tard le soir. L'échange entre abonnés fait encore partie des pratiques de la Presse canadienne. Ces choses n'ont pas changé.
En réponse à votre deuxième question sur les tarifs, il s'agit d'une information corporative de la Presse canadienne. J'ignore la plupart de ces renseignements, mais compte tenu du poste que j'occupe au sein du syndicat, je suis au fait de certaines données corporatives de la Presse canadienne. Il s'agit de renseignements confidentiels, que j'obtiens sous le sceau de la confidentialité et que je ne peux donc pas divulguer.
Il s'agit d'une somme d'argent importante pour un quotidien d'envergure. Quiconque a dirigé pareil journal connaît ces coûts. Un grand journal doit verser des centaines de milliers de dollars pour appartenir à la Presse canadienne. Ces coûts sont calculés entièrement en fonction de la diffusion. Il s'agit de la cotisation de base, à laquelle on ajoute des frais pour d'autres services, comme les photographies fournies par le service de nouvelles. La restructuration de 1996 a entraîné une réduction des cotisations et l'imposition de frais supplémentaires pour des services qui étaient inclus auparavant. La structure a été modifiée d'une certaine façon, mais les cotisations de base restent les mêmes.
Ce processus n'est pas peu coûteux, mais on constate que le contenu de la plupart des grands journaux du Canada provient en grande partie de la Presse canadienne.
Le sénateur Carney: Tous les renseignements que vous pouvez fournir au comité sur le calcul et le montant des cotisations nous aideraient à comprendre ce que nous ferions au Canada s'il n'y avait pas de PC.
Ma deuxième question porte sur le centre d'excellence. Ironiquement, les tarifs ont diminué, mais la qualité d'un grand nombre d'articles a diminué aussi, parce qu'on ne peut plus se permettre de faire des recherches. On peut effectuer un sondage téléphonique au lieu d'effectuer une recherche sur le terrain qui prend trop de temps. Par conséquent, le nombre de lecteurs diminue parce qu'on leur offre moins. Vous êtes moins payés, vous en faites moins, il y en a moins pour le lecteur et la diffusion diminue. Ce phénomène se voit tous les jours au Canada. Par exemple, le Elm Street était une bonne revue qui a tout simplement disparu — alors qu'elle s'apprêtait à publier un de mes articles, dois-je ajouter, ce qui me laisse encore un goût amer.
L'idée d'un centre d'excellence est intéressante, mais je ne vois pas en quoi un tel centre réglera le problème. Avant la réunion du comité, j'ai parlé à Donna Logan. Nous tentions de convaincre le président de la BBC d'injecter plus d'argent dans l'école du journalisme. Il est évident que la concurrence est forte pour le financement des écoles de journalisme, des centres de formation et un centre d'excellence.
Peu importe la qualité d'un tel centre, je ne vois pas en quoi il peut aider des rédacteurs qui sont moins bien payés aujourd'hui qu'il y a vingt ans, alors qu'ils travaillent davantage.
Troisièmement, que proposez-vous au sujet des droits? Cette question doit être examinée. Vous ne pouvez recycler les articles sans payer. En quoi un centre d'excellence peut-il aider le rédacteur?
Mme Lareau: Il y a deux éléments à considérer. Le centre d'excellence ne réglerait pas ce problème. Je crois que leurs problèmes seront réglés grâce à la négociation collective. C'est en partie pour cette raison que nos deux organisations sont ici aujourd'hui. La Guilde canadienne des médias a l'habitude de la négociation collective et a des droits dans ce domaine. Les gens de la PWAC n'en ont pas, et nous cherchons des moyens de combler cette lacune. C'est de cette façon que leurs problèmes financiers seront éventuellement réglés.
Le centre d'excellence n'est certainement pas la solution finale. Il est difficile d'en arriver à une solution finale parce qu'il manque des données. Parfois, on ne sait pas quelle est la solution dont on a besoin jusqu'à ce qu'on connaisse les faits. J'apprécie le travail que votre comité et le Comité du patrimoine de la Chambre des communes effectuent en se penchant sur cette question, mais il est très difficile d'évaluer la diversité, la qualité et d'autres éléments qualitatifs dans le cadre des travaux d'un comité, sans la conduite d'une recherche continue. Je ne crois pas que cette question ait fait l'objet d'une recherche continue. Il y a eu quelques efforts menés ici et là par différentes universités.
Le sénateur Carney: Des études sur les médias sont actuellement en cours à l'Université McGill et à l'UBC.
Mme Lareau: Ces études ne reçoivent pas nécessairement l'appui du secteur, et le secteur n'est pas guidé par ces études non plus. À mon avis, un centre d'excellence offrirait des lignes directrices à l'industrie, tout autant que nous sommes réunis ici à discuter du problème. Le centre jouerait un rôle positif et serait un facteur positif dans ce dossier, puisque des centres d'excellence dans d'autres secteurs réussissent à rallier tous les intervenants de l'industrie. C'est ce qui fait la différence entre un tel centre et des études universitaires menées ici et là.
Le sénateur Carney: Il s'agit d'une approche intéressante, mais la question de recycler sans payer ne doit-elle pas être l'objet de négociations également?
Mme Lareau: Absolument. La plupart des problèmes de la Periodical Writers Association of Canada devront ultimement faire l'objet d'une négociation collective, mais ces droits ne sont pas acquis pour l'instant.
Le sénateur Carney: Que pouvons-nous faire?
M. O'Reilly: Le centre d'excellence n'est pas la solution finale à tous les problèmes, mais je crois que le concept est important. Vous venez d'établir les liens de façon très succincte et évidente, et je m'étonne que les éditeurs qui possèdent les revues et les journaux ne l'aient pas encore fait. Ils ne semblent pas saisir. Je ne les comprends peut-être pas, mais ils ne semblent pas saisir le lien entre, d'une part, la qualité de la rédaction, la qualité de production de leur contenu — que nous devons encourager, sans quoi je ne peux pas payer mon loyer et je ne peux donc pas consacrer les ressources nécessaires à la production d'un contenu de qualité — et, d'autre part, le fait que la diffusion diminue.
Nous avons eu cette discussion récemment avec les directeurs de l'Association canadienne des éditeurs de magazines canadiens. Ils nous ont regardés avec un air perplexe lorsque nous avons parlé de faire des liens entre le contenu de qualité, les facteurs qui favorisent ce contenu et le résultat final.
D'une certaine façon, c'est l'évidence qui crève les yeux, mais je crois que même l'évident doit être dit, surtout avec la structure corporative que nous avons aujourd'hui, où les propriétaires de publications ne passent plus nécessairement par les organisations. Autrefois, les gens comprenaient le secteur parce qu'ils sortaient des rangs. Aujourd'hui, nous avons davantage un modèle d'entreprise dans le système, et il y a une rupture entre ce modèle et ce qui se passe vraiment sur le terrain.
Un centre d'excellence serait en mesure de présenter cette information d'une façon réelle et authentique et d'une façon exacte d'un point de vue académique. Comme Mme Lareau l'a mentionné, il recevrait un appui assez vaste de tous les intervenants du secteur.
Le sénateur Carney: Que fait-on de la question des droits? Vous ne devriez pas être en mesure de reproduire sans permission et sans rémunération. Vous dites qu'il faut des négociations, mais vous ne pouvez reproduire ce tableau derrière vous sans rien payer. Qu'avez-vous à nous suggérer à cet égard? Il faut certes des négociations, mais que pouvons-nous faire pour que vous ayez le droit de négocier?
M. O'Reilly: La négociation collective est une option. Mme Lareau proposera autre chose. Il existe des outils précis que nous pourrions utiliser immédiatement grâce à la Loi sur la concurrence, par exemple. De notre point de vue, il existe un monopole. Il y a des mesures et des outils législatifs déjà en place. Il y a d'autres outils comme le Fonds du Canada pour les magazines, qui est un organisme de financement qui pourrait inclure, de façon claire et précise, la production du contenu par des pigistes dans le système d'appréciation auquel les magazines doivent se soumettre pour obtenir leur subvention. Il existe des outils législatifs précis qui sont déjà en place et qui pourraient être utilisés immédiatement pour aider nos membres à payer leur loyer.
Mme Pendgracs: J'aimerais ajouter aux propos de M. O'Reilly, en réponse au sénateur Carney concernant le fait qu'il n'y a qu'une certaine somme d'argent et qu'on ne sait trop quoi faire. J'aimerais parler de la reddition de comptes de ce qui est déjà dépensé. Par exemple, le Fonds du Canada pour les magazines donne de l'argent à certains éditeurs. Or, la PWAC nous dit que certains magazines bénéficiaires ont réduit la rémunération des rédacteurs pigistes depuis qu'ils reçoivent cet argent.
Nous aimerions qu'une plus grande responsabilité soit exigée de sorte que si les éditeurs reçoivent de l'argent, ils ne mettent pas cet argent dans leurs poches et ne l'utilisent pas pour couvrir des frais d'administration, pour que cet argent soit peut-être remis aux pigistes qui contribuent à produire une publication de qualité. Voilà une autre idée.
Mme Lareau: Il y a aussi une considération d'ordre légal. Le gouvernement fédéral a adopté la Loi sur le statut de l'artiste il y a plusieurs années. Jusqu'à présent, seul le gouvernement fédéral y adhère. Cette loi donne des droits à la négociation collective aux entrepreneurs indépendants dans les secteurs de la culture et autres. Malheureusement, les employeurs dans ce domaine ne sont pas des employés fédéraux. La seule façon de régler ce problème est de faire en sorte que les provinces adhèrent à la Loi sur le statut de l'artiste. Elles devaient le faire. Or, je crois que seul le Québec l'a fait. Cet outil grossira l'arsenal de la négociation collective.
La situation financière dans laquelle se trouvent les rédacteurs de périodiques est l'une des raisons qui ont amené nos deux organisations à se parler. Nous nous penchons précisément sur les points que vous avez soulevés.
Le sénateur Spivak: J'ai une question au sujet de la négociation collective. Il s'agit d'un énorme problème à surmonter puisque les titans du secteur feront tout ce qu'ils peuvent pour l'empêcher. Où en êtes-vous dans vos réflexions? Cette négociation se fera-t-elle province par province ou encore à l'échelle nationale? Quelles sont les embûches que vous devez surmonter pour que ce projet se concrétise?
Je suis d'accord avec vous. Je crois que c'est le seul moyen. Comme tous les secteurs finissent par accepter la syndicalisation — sauf Wal-Mart —, les gens pourraient obtenir un meilleur salaire et une meilleure qualité de vie.
J'aimerais savoir où en sont vos réflexions et quelles sont vos stratégies.
Mme Lareau: Nous sommes des novices dans ce domaine. La Guilde canadienne des médias a une certaine expérience dans la représentation des entrepreneurs indépendants, des pigistes — la plupart à la SRC, où les choses sont bien différentes. La SRC est un employeur fédéral et également un employeur unique pour les pigistes. Ils sont couverts en vertu de cette convention collective.
Où en est notre réflexion? Elle n'est pas très avancée. Mais j'ai expliqué ce que nous croyons être la feuille de route. Il y a du chemin à faire, c'est certain. Cependant, à moins que quelques-unes des mesures dont M. O'Reilly a parlé sur le plan législatif ne soient prises, nous devrons passer par là.
Le sénateur Spivak: Le respect de la Charte est-il en cause?
Mme Lareau: Pas à ma connaissance. Nous nous sommes réunis récemment pour entamer le travail qui est donc en cours.
M. O'Reilly: Les obstacles sont énormes, comme vous l'avez évoqué plus tôt.
Le sénateur Spivak: Vous avez besoin de bons conseils juridiques.
M. O'Reilly: C'est un défi. Nous ne pouvons pas continuer de cette façon. Nos membres quittent le métier. Ils ne peuvent plus travailler pour l'industrie canadienne des périodiques. Ce n'est plus possible. Comment changer les choses? C'est la raison pour laquelle nous collaborons, comme Mme Lareau l'a dit.
Le sénateur Corbin: Que se passe-t-il si vous renoncez à vos droits de reproduction sur la vente d'un article à une agence, un journal, un magazine, un site Web ou ailleurs? Est-ce que les acheteurs revendent les articles et en tirez-vous quelque chose?
M. O'Reilly: La réponse à la première question est oui, ils revendent nos articles sous différentes formes et de différentes manières. Habituellement, nous n'en tirons rien.
Le sénateur Corbin: Avez-vous une idée du prix de revente demandé?
M. O'Reilly: Il peut varier. Avec l'avènement de la technologie, le contenu — parce que nous sommes désormais des «producteurs de contenu» et non plus des rédacteurs — peut être réutilisé de bien des façons différentes. L'exemple que je connais le mieux est celui de l'article que j'ai écrit pour le Globe and Mail. Il s'est retrouvé dans la base de données InfoGlobe, sur différents CD-ROM qui ont été revendus à d'autres bases de données commerciales aux États-Unis, et il s'est probablement rendu en Europe. Dans tous les cas, je n'ai pas touché un sou.
Sur les sites Web, le contenu est recyclé, actualisé et remanié de bien des façons différentes. À certains égards, nous sommes tous en faveur de ces changements; nous aimerions seulement toucher notre part du gâteau.
Le sénateur LaPierre: Est-ce que la concentration des médias est l'équivalent de la propriété croisée? Est-ce qu'elle a les mêmes conséquences?
Mme Lareau: Non, ce n'est pas la même chose. La propriété croisée équivaut à posséder une station de télévision et un journal dans la même ville. Par contre, il y a concentration des médias quand quelqu'un détient beaucoup de journaux à travers le pays.
La propriété croisée est un problème beaucoup plus grave. Je pense que le sénateur Carney en connaît bien les conséquences pour une ville comme Vancouver, où les journaux et la principale station de télévision appartiennent à la même personne. La situation existe dans beaucoup d'autres localités du pays. C'est un problème important. Si le propriétaire a un parti pris dans un sens ou dans l'autre, les gens de la localité n'entendront pas l'autre côté de la médaille. C'est le problème de la propriété croisée. Je pense que c'est ce qui a déclenché le débat, beaucoup plus que la concentration des médias.
Le sénateur LaPierre: Mais le CRTC interdit aux propriétaires de journaux et de stations de télévision et de radio d'utiliser le même contenu rédactionnel. C'est la condition pour obtenir une licence.
Mme Lareau: C'est vrai. C'est le résultat d'un bon nombre d'audiences. Comme vous le savez, le Bureau de la concurrence n'était pas du même avis. Il est vrai qu'on ne peut partager le même service de cueillette de nouvelles, mais les décisions sur le contenu rédactionnel sont prises par le même bureau.
Le sénateur LaPierre: Ce sont les décisions de l'entreprise.
Mme Lareau: Oui. La décision d'envoyer un employé à tel endroit n'est pas du même ordre que les décisions prises lors des réunions d'affectations quotidiennes des journaux ou des stations de télévision, par exemple. Les grandes décisions qui dépassent les activités courantes sont prises au siège social de l'entreprise. Ce sont les décisions dont on parle aujourd'hui.
Le sénateur LaPierre: La population croit-elle être moins bien servie en raison de la concentration des médias? S'en préoccupe-t-elle? Dieu sait qu'il y a beaucoup de sources d'information auxquelles nous avons accès chaque jour.
Mme Lareau: Justement, c'est un mythe de croire qu'il y a autant de sources d'information qui peuvent nous renseigner chaque jour. Certes, il y a beaucoup de sites Web et beaucoup d'information qui circule sur Internet, mais celle qui est vérifiée ou originale est minime. La grande partie de ce qu'on peut trouver sur le Web et ailleurs provient d'un bureau de la Presse canadienne et est repris sur le Web.
Le sénateur LaPierre: Qu'en est-il de la radio et de la télévision?
Mme Lareau: C'est la même chose. Beaucoup de nouvelles présentées à la radio proviennent de la Presse canadienne et de Broadcast News. De moins en moins de gens travaillent pour un plus grand nombre d'organes de presse de toutes sortes. Il n'y a pas plus d'employés à l'oeuvre. Il y en a probablement moins, qui ont simplement plus de maîtres à servir et plus de fonctions à remplir.
Même si ce n'est pas votre principale préoccupation, sur le plan syndical, beaucoup de nos employés doivent travailler pour bien des médias et présenter la même nouvelle à la radio, à la télévision, dans les journaux ou ailleurs. Vous en avez entendu parler. C'est inquiétant parce que la charge de travail est ainsi plus lourde et plus stressante, et nous cherchons à régler la question dans un contexte syndical conventionnel. Cependant, il est certain que cette situation fait en sorte qu'il y a moins de points de vue exprimés sur une question. C'est ce qui se passe sur ces marchés où la propriété croisée existe.
Le sénateur LaPierre: Est-ce que la population, les lecteurs ou les téléspectateurs sont au courant de la situation?
Mme Lareau: Certains le sont parfois, s'ils suivent de près à une question.
Le sénateur LaPierre: C'est la minorité.
Mme Lareau: Je ne sais pas. Je ne veux pas me répéter mais, au sujet du centre d'excellence, je pense que la population serait plus intéressée si elle était au courant des impacts ou de faits sur le sujet. C'est très difficile d'intéresser les gens à la concentration des médias. Ce n'est pas vraiment un sujet dont les gens parlent spontanément.
Cependant, je pense qu'ils en parleraient s'ils savaient que, dans le cas des reportages sur le Moyen-Orient ou d'autres sujets d'intérêt, les médias peuvent présenter un point de vue particulier à tout un marché. Je pense que cela les préoccupe, mais ils ne savent peut-être pas pourquoi il en est ainsi.
Le sénateur LaPierre: Combien de foyers au Canada reçoivent trois journaux? Combien de foyers au Canada écoutent les nouvelles à d'autres stations que Radio-Canada ou CTV?
Mme Lareau: Ce n'est pas ce qu'une personne lit, mais ce que tout un groupe de gens lisent. C'est le fait qu'il y ait un seul point de vue qui est présenté à toute une collectivité qui a une incidence sur elle. Il n'est pas important que vous lisiez un journal et qu'une autre personne en lise trois; ce qui compte c'est que la connaissance collective s'est restreinte en raison de la concentration.
Le sénateur LaPierre: La concentration des médias est déplorable. Il n'y a pas de doute là-dessus. En revanche, la population serait-elle mieux servie s'il y avait plus de sources d'information? CTV contrôle Dieu sait quoi. Radio- Canada diffuse à la radio et à la télévision. Autrement dit, cette société a une sorte de monopole.
On semble prétendre que la population va être mieux servie de cette façon que s'il n'y avait rien. Le propriétaire d'un réseau ou d'un journal va dire qu'il ne peut pas embaucher tout le monde. Il réduit ses coûts de contenu rédactionnel en reprenant la nouvelle. Pour lui, c'est une bonne décision de gestion.
Vous semblez me demander, à moi qui suis législateur, de légiférer à propos de la liberté de propriété, de déterminer quoi faire de la propriété. Autrement dit, qu'est-ce que le Parlement peut faire pour corriger ce que vous jugez mauvais?
Mme Lareau: Je m'inquiète surtout de la propriété croisée. Je ne veux pas toucher les entrepreneurs plus qu'un autre. Cependant, on peut dire que l'objectif du gouvernement est d'éviter les situations de propriété croisée et de ne pas accorder de nouvelles licences. Vous pouvez faire preuve de souplesse à l'égard des entreprises en situation de propriété croisée, leur accorder des délais pour rétablir les choses. Vous n'avez pas à les forcer à vendre une année donnée, par exemple, certains de leurs intérêts, mais vous pouvez élaborer une stratégie à long terme équitable pour ces entreprises.
Le sénateur LaPierre: Pensez-vous essentiellement que le gouvernement fédéral devrait légiférer en ce sens?
Mme Lareau: Pour être honnête avec vous, je suis toujours déchirée à ce sujet. C'est la raison pour laquelle nous avons proposé le centre d'excellence. À propos de la propriété croisée, le gouvernement devrait planifier à long terme et ne plus accorder de licence, ou demander au CRTC de le faire. Il n'est pas nécessaire que cela vienne du gouvernement fédéral. Vous pouvez dire au CRTC quoi faire et ne pas faire. Le Comité du patrimoine a orienté le Parlement en ce sens, et vous pouvez continuer ce que le comité a commencé.
Le sénateur Carney: Ma question fait suite à une question posée plus tôt par le sénateur LaPierre. L'industrie ne «réécrit» plus un texte mais l'«adapte». C'est-à-dire qu'on prend un article de journal et qu'on l'adapte pour une émission de télévision. On engage des gens pour faire cette adaptation. Comment le propriétaire qui ne peut pas utiliser le même service de nouvelles pour un autre organe d'information respecte-t-il les règles du CRTC? Pouvez-vous nous expliquer ce qu'est l'adaptation?
M. Edmonds: Ce sont des questions que vous devriez poser à ceux qui en font. On peut penser ce qu'on veut, mais c'est vraiment au CRTC de déterminer si les règles énoncées sont respectées. Le Conseil peut se demander si ses critères sont respectés ou non.
Je voulais ajouter quelque chose aux commentaires du sénateur LaPierre. Comme Mme Lareau l'a indiqué, nous, journalistes, détestons parler d'une ingérence dans la liberté de presse en laquelle nous croyons tous farouchement.
Cependant, la liberté de presse ne peut être un droit résiduel qui est utile seulement quand il est question de rentabilité. Pour nous, ce qui compte vraiment, c'est ce que les gens lisent et regardent et la qualité de l'information qu'ils reçoivent pour les aider à se faire une opinion. C'est aussi à prendre en considération. À mon avis, c'est tout un casse-tête de décider où les droits et les responsabilités entrent en jeu. Je ne vous envie pas parce que c'est vous qui avez à résoudre le problème et pas moi.
Le sénateur Merchant: Cette discussion est rhétorique parce que beaucoup de témoins sont journalistes. Je ne le suis pas. Cependant, je crois que vous voulez que le grand public lise tout ce que vous écrivez ou produisez, mais il semble indifférent à votre produit. Comment intéresser le grand public?
Par exemple, en m'en venant ici hier soir, j'ai fait escale à Toronto pour quelques minutes, vers minuit. Le téléviseur dans le salon de l'aéroport était ouvert à CNN. C'est toujours ainsi. Pour une raison quelconque, les Canadiens ne sont pas toujours intéressés. Il y a un décalage.
Avec tout ce que nous faisons, allons-nous pouvoir inciter les Canadiens à lire et à écouter nos nouvelles?
M. Edmonds: Vous posez une question difficile. Naturellement, nous espérons que les Canadiens s'intéressent à leur propre pays et souhaitent voir des reportages portant sur ce qui se passe chez eux. Cela dit, le Canada a toujours été un pays ouvert sur le monde, beaucoup plus que bien d'autres nations, de même qu'un pays qui a toujours beaucoup dépendu des États-Unis sur le plan de l'information. C'est un fait historique attribuable, je suppose, au fait que nous vivons à proximité des États-Unis.
Ce sont là des questions culturelles auxquelles il est pratiquement impossible de répondre. Qu'est-ce qui fait que les Canadiens regardent ce qu'ils regardent? Le centre d'excellence que nous proposons pourrait peut-être ajouter cela à la liste des questions dignes d'examen. Pourquoi les Canadiens font-ils les choix qu'ils font lorsqu'ils achètent un journal ou allument leur téléviseur? C'est une question intéressante.
Mme Lareau: J'aimerais ajouter quelque chose. Je ne suis pas ici en tant que représentante de la Société Radio- Canada. Je représente des gens qui y travaillent. D'après des recherches internes, lorsqu'un événement se produit au Canada, il y a fort à parier que le téléviseur de la salle d'attente de l'aéroport sera branché sur Newsworld plutôt que CNN. En grande partie, tout dépend de l'actualité du jour. À mon avis, c'était peut-être là une exception.
Le sénateur Merchant: Je ne le pense pas, du moins là d'où je viens.
J'achète trois journaux et je regarde les nouvelles à Radio-Canada qui sont, à mon avis, très bonnes, mais il semble y avoir un décalage. Je me demande si nous pouvons prendre cela en compte également. C'est bien que notre comité établisse des paramètres. Mais que pouvons-nous faire? Nous ne pouvons forcer les gens à nous lire nos écrits.
Mme Lareau: Non, mais il faut tenir compte de la réalité. La semaine dernière, il y a eu tout un battage médiatique autour du procès de Martha Stewart. En pareil cas, les gens vont opter pour CNN de préférence à la CBC au moment du verdict. C'est la vie. Cependant, d'autres jours, c'est l'inverse.
La présidente: Comme dans le cas de la Coupe Stanley.
Mme Lareau: Il y a de nombreux autres domaines, et non seulement les sports. Les recherches effectuées par le volet anglais de la SRC l'ont confirmé à maintes reprises. Sans vouloir manifester de parti pris, je suis convaincu que c'est la même chose pour CTV et d'autres réseaux également. Nous sommes un pays d'observateurs du monde; cela est indéniable.
M. O'Reilly: Je ne connais pas tellement bien la presse électronique mais pour ce qui est de la presse écrite, la qualité compte. Et pour obtenir de la qualité, il faut y investir des ressources. On ne peut faire du bon travail à la hâte. À mon avis, cet aspect a un rapport direct avec les questions à l'étude et je pense qu'à bien des égards, c'est là l'élément simple mais important évoqué par le sénateur Carney. La qualité compte, et il faut des ressources pour produire de la qualité.
Après avoir lu deux reportages, la plupart des lecteurs pourraient sans doute dire lequel ils ont préféré. Pourraient- ils expliquer pourquoi? Sont-ils même conscients de cela lorsqu'ils lisent un magazine ou un journal? Probablement pas. Toutefois, avec le temps, les gens sont sensibles à la qualité. Voilà ce que nous constatons dans notre secteur. Le lectorat est en déclin parce que les gens ont le sentiment que la qualité est en baisse ou parce qu'on ne réussit tout simplement pas à les accrocher. La solution est simple: il faut des ressources pour produire de la qualité.
La présidente: J'aimerais revenir aux observations maintes fois répétées des représentants de la PWAC selon lesquelles les directeurs de rédaction qui achètent votre travail en veulent toujours plus. Je parle maintenant de quantité et seulement indirectement de prix. Cela s'explique-t-il par l'élargissement du marché, par un nombre accru de points de vente disponibles pour vous ou par le fait que les centres de diffusion existants réduisent leurs propres effectifs? Est- il plus coûteux d'avoir un journaliste à son emploi ou un pigiste? Qu'est-ce qui se passe? Qu'en est-il?
M. O'Reilly: Lorsque nous disons «de plus en plus», nous voulons dire par là qu'ils exigent de plus en plus de droits relativement à notre travail, et différentes licences. Votre argument concernant l'élargissement du marché est peut-être juste. Cependant, lorsque nous autorisons la publication d'un article — comme nous y autorise le fait d'être propriétaires du droit d'auteur en tant que créateurs de nos oeuvres —, les directeurs de rédaction exigent le droit de l'utiliser pratiquement dans tous les formats à l'heure actuelle. Il n'y a pas si longtemps, c'est de cette façon que je pouvais aller chercher des revenus supplémentaires. Si j'avais vendu au The Globe and Mail la licence relative à un article et si la direction du journal décidait d'en faire une réimpression, on m'aurait consulté et on m'aurait demandé de négocier les droits pour cette réimpression. À l'heure actuelle, on exige des droits supplémentaires sans pour autant être prêt à verser des sommes supplémentaires.
La présidente: Pour ce qui est des droits, le principe est assez facile à comprendre. Vous pensez que vous devriez être payé pour chaque nouvel usage que l'on fait de votre travail. Toutefois, au plan pratique, cela pose évidemment des difficultés. Pour reprendre l'exemple de votre article dans The Globe and Mail, comment pouvez-vous savoir combien de fois quelqu'un consulte le site Web du The Globe and Mail, prend connaissance d'une liste d'articles comprenant le vôtre et peut, ou non, le lire? À quel moment, pouvez-vous réclamer des droits? Peut-être quelqu'un en aura-t-il lu la manchette en faisant une recherche sur autre chose, ou peut-être en a-t-il lu un petit résumé et en a-t-il retiré un minimum d'information. Devriez-vous recevoir des droits pour cela? Qui s'occupe de recenser cela? Faire un tel suivi ne coûterait-il pas horriblement cher? Avez-vous envisagé tous ces aspects, de même que l'application pratique de ce que vous réclamez?
M. O'Reilly: Il y a de multiples façons de voir la chose. Certains mécanismes sont simples et directs. Lorsque mon article est inséré dans une banque de données commerciales — de telles banques générant des revenus considérables pour de nombreux chefs de rédaction à l'heure actuelle —, on sait bien combien d'argent réclamer puisque le système crédite une certaine somme au directeur de rédaction. Il serait très plus facile de constituer un autre champ de données dans cette base et de préciser que cinq cents doit être versé à l'auteur. Le système existe déjà.
Pour ce qui est des sites Web, c'est une application différente. Il nous faudrait de nouveaux arrangements de licence. En fait, nous avons proposé un certain nombre de façons de fonctionner aux directeurs de rédaction.
Chose certaine, nous voulons que nos droits soient reconnus et qu'ils soient assortis d'un barème indiquant leur valeur. Manifestement, cela représente une valeur considérable puisque les éditeurs réclament ces droits. C'est simplement qu'ils refusent de payer, parce que c'est plus commode pour eux.
Personne n'est à blâmer en l'occurrence. Je ne pense pas que les directeurs de rédaction se creusent les méninges pour essayer de flouer les auteurs. Je comprends que c'est commode. C'est plus simple de prendre le tout et de ne pas avoir à s'en faire. C'est une réaction spontanée. Quant à nous, nous disons: «Si vous souhaitez obtenir la licence, nous serions tout à fait disposés à vous la céder à un prix raisonnable». Commençons par identifier le champ de la licence et par négocier un prix.
La présidente: Il nous faudra demander aux porte-parole de la SRC/CBC de revenir car nous n'avons même pas encore abordé le sort réservé aux journalistes. C'est un dossier tout à fait distinct.
S'agissant de la Presse canadienne, pourriez-vous me donner une idée des échelles salariales et des conditions de travail des journalistes depuis les compressions budgétaires imposées au milieu des années 90?
M. Edmonds: J'aime à croire que c'est grâce aux efforts de la Guilde canadienne des médias et à son efficacité que les échelles salariales ont augmenté depuis cette époque. Nos effectifs ont énormément diminué et, naturellement, notre travail est bien différent de ce qu'il était il y a dix ans.
L'autre facteur, c'est que la Presse canadienne, comme bien d'autres entreprises médiatiques, est au coeur de la convergence et de la polyvalence, peut-être même plus que d'autres parce que dans une certaine mesure, nous avons toujours été une entreprise intégrée. Nous avons commencé à diffuser des bulletins d'actualité en 1941 lorsque le réseau de diffusion commerciale a été formé sous le nom de Press News Limited. Nous avons toujours eu un rôle double. Cependant, cette tendance s'accentue. Comme les effectifs sont réduits, on exige davantage de ceux qui restent. Depuis six ou sept ans, la charge de travail vient toujours en tête des enjeux lorsque nous sondons nos membres avant le début des négociations.
Le fait de travailler à la fois pour la presse écrite et la presse électronique demeure un sujet de préoccupation pour un grand nombre de journalistes, non pas parce qu'ils sont réfractaires à la nouvelle technologie mais parce que chacun veut faire le meilleur travail possible. Or, pour y arriver, il faut du temps. Et pour cette raison, c'est effectivement un enjeu important pour nos membres.
Le sénateur Gustafson: La plume est puissante. Que devient le Canada? Le premier ministre de la Saskatchewan a annoncé que d'après les résultats d'un sondage effectué la semaine dernière, 25 p. 100 des habitants de la province étaient prêts à se joindre aux États-Unis.
Il doit y avoir une raison qui explique cela. Est-ce parce que nous penchons trop d'un côté ou de l'autre? Est-ce dû au sentiment que l'on a besoin de faire partie de cette grande puissance? Comme l'a dit le sénateur Merchant, nous écoutons CNN. Avons-nous commencé à analyser sérieusement ce qui se passe?
C'est avec étonnement que j'ai pris connaissance de ce sondage. Nous avons appris la création d'un parti politique dont l'objectif est l'adhésion aux États-Unis. Il y en a un à l'heure actuelle en Saskatchewan, mais je n'aurais pas cru que ses adhérents auraient été si nombreux. C'est le premier ministre de la Saskatchewan qui a rendu ces chiffres publics. Où en est-on dans ce dossier important?
Mme Lareau: C'est une question difficile. Comment analyser ce qui se passe dans l'esprit d'une nation, notamment pour ce qui est de l'allégeance de ses citoyens? C'est très difficile. Est-ce le résultat de l'influence des médias dans leurs vies? Est-ce autre chose? Je l'ignore. Encore une fois, le centre d'excellence serait particulièrement apte à examiner de telles questions.
En effet, un centre d'excellence pourrait mener en tout temps des recherches sur l'incidence des médias et sur le travail qu'ils réalisent. À mon avis, c'est la seule façon d'obtenir réponse à des questions aussi difficiles que celles que vous posez. Ce sont des questions qualitatives, compliquées à analyser, auxquelles seul un centre spécialisé pourrait s'attaquer.
Le sénateur Gustafson: À ce moment-là, il faut faire une sélection, n'est-ce pas?
Mme Lareau: Pas du tout. Ce serait plutôt un endroit où l'on se livrerait en continu à des études sur l'incidence des médias. D'après les questions que vous posez, vous pensez sans doute que les médias peuvent amener ces personnes à penser de cette façon. Le seul moyen de le savoir, c'est de faire des recherches très sérieuses étalées sur une longue période, et non seulement de prendre un instantané de 2004. Voilà pourquoi nous avons besoin d'un centre de recherches permanent comme celui que nous proposons.
Le sénateur Gustafson: Je ne blâmerais pas les médias pour tous les problèmes. L'un des problèmes, en Saskatchewan en tout cas, est le statut de l'économie. J'habite tout près de la frontière. Je constate que les Américains obtiennent 5,70 $ pour leur blé dur alors que moi, je reçois 2,68 $. De telles comparaisons abondent et cela peut amener quelqu'un à croire que son sort serait meilleur s'il vivait aux États-Unis plutôt qu'en Saskatchewan à l'heure actuelle. En ce moment, l'agriculture traverse une période extrêmement difficile.
La présidente: Pour être juste envers les témoins, ils ne sont pas tenus de se prononcer sur des enjeux stratégiques de cette nature.
Le sénateur Gustafson: C'est vrai, mais leur rôle est très important. Le pouvoir de la plume est considérable lorsqu'il s'agit de créer les images qui existent. Dans votre exposé, vous avez mentionné la Commission canadienne du blé. Il suffit de mentionner la Commission à un agriculteur américain qui vit de l'autre côté de la frontière pour qu'il prenne le mors aux dents. Tous ces enjeux, et la façon dont ils sont présentés, sont très importants.
La présidente: Il nous faut davantage de journalistes spécialisés qui présentent un portrait de notre pays.
Mme Lareau: Nous sommes tous d'accord avec cela. J'ajouterai une chose. Nous ne sommes pas ici pour parler spécifiquement de la SRC/CBC. Cela accapare 90 p. 100 du reste de mon temps. Cependant, je peux vous dire que les coupures imposées à la programmation régionale à la société d'État ont torpillé des reportages comme ceux que vous avez évoqués. Les reportages à saveur régionale ne sont pas faits de la même façon, particulièrement pour la télévision. Il n'en est pas ainsi pour la radio, mais les reportages télévisés ne sont pas produits de la même façon qu'avant depuis qu'on a mis un terme aux émissions d'une heure à l'heure du souper qui débutaient par un court volet local de 20 à 25 minutes à compter de 18 heures. Les ressources consacrées à des questions comme celles que vous avez soulevées ont été énormément réduites.
Je sais que votre comité a entendu M. Rabinovitch et Mme Carol Taylor, de sorte que je n'insisterai pas sur ce point.
Le sénateur Johnson: Au sujet du centre d'excellence, qui, quoi, quand, où, pourquoi, comment? Je ne sais pas comment vous entendez réaliser cela, avec qui et avec quelles ressources? Quelle est la réponse aux cinq questions fondamentales du journalisme dans ce cas-ci?
Mme Lareau: Qui? Nous pensons que le centre s'intégrerait bien à une université, probablement Carleton, qui offre un programme de journalisme et qui est située dans la capitale nationale. Avec quelles ressources? Nous n'avons pas besoin de locaux, mais d'un effectif permanent. La plupart des centres d'excellence ont une poignée d'employés permanents. Pourquoi? Nous avons déjà évoqué les recherches auxquelles s'adonnent couramment les gens des médias. Le centre ne viserait pas précisément à former des journalistes; c'est tout à fait différent.
Le sénateur Johnson: Y a-t-il quelque chose du genre qui se fait à l'heure actuelle?
Mme Lareau: Non, je ne le pense pas. Voilà pourquoi le Comité du patrimoine et le vôtre ont du mal à cerner cette réalité. Il est difficile d'obtenir des données sérieuses et valables sur les effets de la concentration, sur les enjeux de la diversité et de la qualité, ainsi que sur d'autres questions difficiles à évaluer. Pour y arriver, il faut du temps. C'est un sujet qu'il est coûteux d'analyser, qu'il est dispendieux de fouiller.
Ce serait intéressant d'avoir un centre d'excellence car il nous fournirait un modèle; il offrirait un renforcement positif aux gens qui font de l'excellent travail. Il soulignerait le travail de qualité qui se fait tout en mettant au jour des cas où la couverture n'a pas été à la hauteur. Par exemple, on pourrait signaler certains cas où des sujets n'ont pas été couverts convenablement et déterminer pourquoi. Le dossier du blé n'est qu'un des nombreux cas où les reportages ont laissé à désirer en raison de facteurs découlant de la structure de la propriété. Il est difficile de recueillir toute l'information, comme vous l'avez sans doute constaté au cours de vos travaux.
La présidente: Je vous remercie tous beaucoup. La séance a été des plus intéressantes et nous vous en sommes très reconnaissants. Je vous demanderais de bien vouloir nous faire parvenir toute l'information supplémentaire que nous avons demandée. En outre, si vous voulez ajouter quelque chose à l'exposé de la Guilde canadienne des médias, veuillez nous l'envoyer. Nous en prendrons volontiers connaissance.
La séance est levée.