Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 3 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 3 novembre 2004
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 15 h 40 pour étudier le projet de loi S-9, Loi modifiant la Loi sur le droit d'auteur.
Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Nous reprenons nos travaux concernant l'étude du projet de loi S-9, Loi modifiant la Loi sur le droit d'auteur. Nous accueillons aujourd'hui les représentants de trois groupes : Ron Poling, directeur exécutif du Service photo de la Presse canadienne; David Gollob, vice-président des affaires publiques pour l'Association canadienne des journaux; et Philippa Lawson, directrice exécutive, ainsi que Alex Cameron, collaborateur de la Clinique d'intérêt public et de politique d'Internet du Canada (CIPPIC).
Habituellement, nous entendons tous les témoins, puis nous nous adressons à l'ensemble du groupe, plutôt que de poser nos questions après chaque exposé. Nous allons commencer par M. Poling, qui sera suivi de M. Gollob et de M. Cameron.
M. Ron Poling, directeur exécutif, Service photo, Presse canadienne : Merci, monsieur le président, de nous donner l'occasion de témoigner devant le comité.
La Presse canadienne est une coopérative sans but lucratif qui été créée par une loi du Parlement en 1917. Son mandat consiste à produire, année après année, un instantané quotidien des personnes et des événements qui font l'actualité au Canada à l'intention des journaux et autres plates-formes éditoriales
La PC utilise des centaines de sources différentes, y compris nos propres photographes, des photographes indépendants engagés pour couvrir des événements particuliers ainsi que les photographes employés et contractuels des membres de notre coopérative de journaux pour couvrir l'actualité au jour le jour.
Depuis 1996, la PC accumule chaque jour cette banque de photos et d'images importantes qui remontent à des années en arrière et constituent aujourd'hui la plus imposante base de données rédactionnelle au pays. Bon nombre des photos que vous voyez dans les publications, les documentaires à la télé, les livres et les sites Web et même dans les musées proviennent des archives d'images de la PC. Au fil du temps, ce fonds a pris énormément d'importance à titre de ressource historique canadienne. La Loi sur le droit d'auteur a contribué à nous doter des droits nécessaires pour protéger ces dossiers historiques pour les générations futures.
Avant de poursuivre, j'aimerais savoir si le greffier vous a distribué ceci.
Le président : Oui.
M. Poling : Reportez-vous à la sixième photographie de ce livre. Je ne l'ai pas choisie parce qu'elle représente le président, ou parce que c'est moi qui l'ai prise; non, je l'ai retenue parce qu'elle va me servir d'exemple durant mon exposé.
M. Poling : Vous savez déjà que je suis photographe. Même si je suis à la tête du Service photo de la PC et que je dirige les archives photo, je n'en continue pas moins de créer des occasions de prendre des photos dans mes temps libres. Je compte bien tirer parti de ces occasions et, il va sans dire que je suis propriétaire de ces photos.
Toutefois, j'ai passé une bonne partie de ma carrière sur la colline parlementaire au service d'une agence de presse, et j'ai eu l'occasion de photographier beaucoup d'entre vous, y compris le président. Durant cette période, il ne fait aucun doute dans mon esprit que les photographies que je prenais appartenaient au service de presse pour lequel je travaillais. Et cela inclut cette photographie que j'ai prise alors que j'étais à l'emploi d'une agence de presse.
Ce jour-là de 1982, United Press, la société pour laquelle je travaillais à l'époque, avait obtenu du Secrétariat d'État un certain nombre de places qui devaient nous assurer un accès privilégié à la cérémonie de signature que nous voulions photographier. L'agence avait affecté des photographes afin qu'ils puissent couvrir l'événement à partir de ces places. Certains étaient employés, comme moi, les autres étaient des contractuels. Après la signature de la Charte, nous avons tous remis nos rouleaux de pellicule au chef de la section photo qui s'est chargé de les faire développer, et d'en faire la sélection et la distribution.
Les photos prises durant cette affectation ont fait le tour du monde et elles ont même été utilisées dans des livres d'histoire, sur les sites Web et dans bien d'autres endroits depuis lors. Il n'y a jamais eu aucun doute dans l'esprit des photographes, qu'ils aient été employés ou pigistes, sur la propriété de ces photos.
Quelques pages plus loin dans le livre, vous verrez une autre photographie de Yousuf Karsh, que j'ai prise. Le travail qu'il faisait en tant que photographe et en affectation, et celui que je faisais moi-même en tant que photojournaliste en affectation, était très différent. Lorsque des gens rendaient visite à M. Karsh, dans son studio, pour lui commander un portrait, ils n'avaient aucune hésitation en ce qui concerne la propriété des négatifs. De toute évidence, ils lui appartenaient à lui, en tant qu'artiste indépendant.
Cependant, nous pouvons lire au paragraphe 13(2) de la Loi sur le droit d'auteur que les clients qui commandent la photo originale détiennent le droit d'auteur sur cette photo. C'est à ce qu'il me semble le problème que vous souhaitez résoudre avec le projet de loi S-9.
Si nous avons raison de penser que c'est bien là le problème, pourquoi ne proposez-vous pas tout simplement l'élimination de cet article? Ce faisant, M. Karsh, qui est propriétaire de la photographie, en posséderait aussi le droit d'auteur parce que c'est lui qui l'a créée, et le droit d'auteur s'appliquerait jusqu'à sa mort, plus 50 ans. Est-ce que l'on ne règlerait pas le problème de cette manière?
Mais au contraire, vous êtes allés encore plus loin en recommandant l'abrogation du paragraphe 10(2) de la loi, qui précise que le propriétaire de l'original est considéré comme l'auteur de la photographie. Étant donné que cette question est déterminée par la propriété du négatif ou de la photo, vous avez créé sans le vouloir certaines répercussions pour les journaux et les agences de presse.
Les raisons pour lesquelles vous êtes allés au-delà du droit d'auteur et avez abordé la question de la propriété du négatif nous échappent.
Je vais vous donner un autre exemple. J'ai ici un livre qui m'appartient. Je l'ai acheté; il est à moi. Il ne peut vous appartenir à moins que je ne vous en fasse cadeau, que je vous le vende ou peu importe. Je tourne la page, et je vois que le groupe Butterworth est propriétaire des droits d'auteur sur ce livre. Mais, cela ne leur donne pas le droit de reprendre mon livre, même s'ils le désirent, parce qu'il m'appartient. Par conséquent, il existe une différence entre propriété et droit d'auteur.
Pourquoi ne pas résoudre le problème de M. Karsh tout simplement en ne le privant pas de son droit d'auteur? Il suffirait d'éliminer le paragraphe 13(2). C'est lui le créateur. Alors, pourquoi ne pas lui laisser les droits sur sa création?
Au contraire, toutefois, vous allez plus loin en abordant la propriété de la photographie ou du négatif, alors que dans mon cas ou encore dans celui du pigiste en affectation en mai 1982, il n'en a jamais été question. Elle appartenait à l'entreprise qui l'avait commandée, et personne ne le contestait, parce que c'était elle qui avait pris toutes les dispositions, qui nous avait affectés et qui s'occupait de la distribution des photos.
L'une des conséquences involontaires de l'abrogation du paragraphe 10(2) est que vous vous trouvez à intervenir dans les relations entre les photographes de presse et ceux qui les emploient. Dans le cas des photographes membres du personnel, votre intervention revient à leur accorder un droit de veto concernant l'utilisation des photos archivées, étant donné qu'elles sont susceptibles d'être utilisées à titre de témoins de l'histoire canadienne.
Autrement dit, suivant ces règles, je pourrais avoir à décider qui est autorisé à utiliser la photographie que j'ai prise lors de la signature de la Constitution, et qui ne l'est pas. Je posséderais un droit de veto. Mais, je n'en vois pas l'utilité, puisque je n'en possède pas le droit d'auteur. Je ne peux donc pas en tirer des revenus.
Plus précisément, je me réfère au paragraphe 13(3) de la Loi sur le droit d'auteur, que je me ferais un plaisir de vous le lire.
En terminant, j'aimerais vous dire que nous approuvons l'esprit de ce projet de loi ainsi que l'abrogation du paragraphe 13(2) de la Loi sur le droit d'auteur, mais que nous nous objectons fermement à l'abrogation du paragraphe 10(2). Je suis prêt à répondre à vos questions.
Le président : J'ai une brève question à vous poser. Vous pouvez répondre simplement par oui ou par non, et je donnerai la parole à M. Gollob. Vous approuvez l'idée de conserver le paragraphe 10(1). Et c'est l'abrogation du paragraphe 10(2) qui vous pose un problème?
M. Poling : C'est exact.
M. David Gollob, vice-président, Affaires publiques, Association canadienne des journaux : Merci. L'Association canadienne des journaux est une organisation qui représente les quotidiens canadiens, de langue anglaise et française. Nous représentons les intérêts des quotidiens en matière de droits d'auteur et d'autres questions de politique depuis 1919. Jusqu'à aujourd'hui, le Comité s'est concentré sur les aspects du projet de loi S-9 qui touchent, principalement, des préoccupations liées aux consommateurs et à la vie privée suscitées par les modifications proposées à la Loi sur le droit d'auteur. À l'instar du témoin que vous venez d'entendre, je me présente devant vous aujourd'hui afin d'aborder une autre importante perspective. Chaque jour, quatorze millions de Canadiens lisent un journal. En effet, les Canadiens comptent sur les journaux pour mieux comprendre leur univers et les événements qui façonnent leur existence. Ils comptent sur nous pour que nous leur donnions les outils qui les habilitent à participer de façon éclairée au processus démocratique, pour s'informer au sujet des idées et des technologies nouvelles susceptibles d'améliorer leur existence, et pour connaître et apprécier la culture canadienne. Les photos font partie intégrante de l'expérience du monde que les journaux véhiculent. Des technologies plus récentes, telles que la télévision et Internet n'ont en rien diminué la valeur des photographies. Bien au contraire, grâce à la technologie de pointe, les photos couleur et à haute définition rendent les journaux plus fascinants que jamais sur le plan visuel.
À notre avis, le Parlement doit faire preuve d'une extrême prudence en modifiant la loi d'une manière qui pourrait avoir une incidence sur la capacité des journaux canadiens de raconter l'histoire de ce pays, au fur et à mesure qu'elle se déroule, à la fois en images et en mots.
Les journaux canadiens s'y prennent de diverses manières pour faire l'acquisition des photos de presse. Ils comptent sur les photographes qu'ils emploient et qui sont affectés sur une base quotidienne. Et ils peuvent aussi acheter des photos auprès des agences de presse. Il arrive aussi à l'occasion que l'on achète des photos de pigistes qui agissent à titre d'entrepreneurs indépendants. Et il arrive que l'on achète des photos à des photographes qui ne sont pas nos employés et auxquels nous offrons des contrats pour des affectations particulières.
Nous n'avons jamais contesté les droits d'auteur des pigistes qui, de leur propre initiative, ont saisi un moment dans le temps.
Mais aujourd'hui, la question qui nous occupe, c'est de savoir si un photographe indépendant qui est affecté par un journal pour prendre des photos dans le cadre d'un contrat devrait bénéficier des mêmes droits.
Prenons par exemple la situation où un journal voudrait engager un photographe indépendant à contrat. D'ordinaire, cette situation se présente lorsque les événements se précipitent, et souvent, dans une région éloignée du pays — par exemple, un feu de forêt se déclare soudainement ou une avalanche se produit en Colombie-Britannique. Règle générale, dans les secondes qui suivent la nouvelle, la salle de rédaction communique avec un photographe se trouvant dans les environs, dans l'éventualité où l'on n'aurait pas de personnel dans cette région. La salle de rédaction offre au photographe des honoraires quotidiens fixes pour prendre des photos en exclusivité pour le journal. Dans une situation semblable, il est implicite que le droit d'auteur appartient au journal. Aucune autre négociation n'est nécessaire.
On ne saurait trop insister sur l'urgence d'arriver rapidement sur le théâtre de l'événement. En effet, arriver trop tard pourrait vouloir dire risquer de louper les premiers moments les plus dramatiques de l'histoire ou, dans certains cas, se voir refuser par les autorités l'accès au lieu de l'événement.
Tout doit pouvoir se régler au téléphone en quelques minutes, pas en quelques heures. Ce n'est pas le moment d'entreprendre des négociations entourant les questions de droit d'auteur, mais c'est pourtant ce genre de conversation que le projet de loi S-9 dans sa forme actuelle risque d'imposer aux deux parties. De toute évidence, ce projet de loi n'a pas été conçu pour refléter les réalités du secteur de la presse. Il ne réussira qu'à mettre des bâtons dans les roues des journaux et à freiner l'importante activité que représente la cueillette de l'information. C'est l'une des objections que nous soulevons.
J'aimerais revenir sur une autre objection que vous venez tout juste d'entendre de la part du témoin de la Presse canadienne.
Ce projet de loi a en effet une conséquence encore plus néfaste, et c'est l'incidence sur les relations entre les journaux et les photographes qu'ils emploient. Les photographes qui sont venus témoigner devant le comité durant la session précédente ont déclaré qu'ils n'avaient aucun intérêt à intervenir dans la relation employeur-employé. Cependant, le projet de loi S-9 aura une incidence sur la relation qui existe entre les journaux et les photographes employés si l'on abroge les paragraphes 10(2) et 13(2) de la loi. En effet, l'élimination de ces paragraphes signifie que les photographes qui font partie du personnel des journaux seront désormais visés par le paragraphe 13(3) auquel M. Poling a fait référence tout à l'heure et qui prévoit ce qui suit, « l'auteur, en l'absence de convention contraire, est réputé posséder le droit d'interdire la publication de cette oeuvre ailleurs que dans un journal, une revue ou un périodique semblable ».
Le paragraphe 13(3) est un anachronisme peu connu, importé du droit britannique au début du siècle dernier. D'après ce que l'on dit, il aurait été introduit sur l'ordre de Winston Churchill voulant empêcher son employeur, le Times de Londres, de publier les articles qu'il avait écrits sur la guerre des Boers sous la forme d'un livre. Il y a belle lurette que les Britanniques se sont débarrassés de ce paragraphe. Il est grandement temps que le Canada en fasse autant.
Le projet de loi du sénateur Day a pour effet d'accorder aux photographes qui sont des employés permanents des journaux un droit additionnel qui n'est pas un droit d'auteur, étant donné que ce dernier demeure la propriété de l'employeur. À notre avis, ce droit d'interdire est de toute évidence injuste. Il traite les journaux différemment des autres médias comme la radio et la télévision. Cela n'a tout simplement aucun sens au XXIe siècle, alors que les journaux doivent diffuser les nouvelles du Canada partout où les lecteurs veulent en prendre connaissance, que ce soit en format électronique, sur Internet ou simplement, sur le pas de leur porte, tous les matins. Si les photographes ne veulent pas intervenir dans les relations entre employeurs et employés, assurons-nous que le projet de loi du sénateur Day ne le fait pas lui non plus. Les membres de ce comité peuvent empêcher cela de se produire en modifiant le projet de loi S-9 de manière à éliminer le droit d'interdire prévu au paragraphe 13(3). Mon association encourage le comité à examiner de près cette suggestion.
Je remercie encore une fois le comité de m'avoir donné l'occasion de vous faire part du point de vue de notre industrie aujourd'hui.
Le président : Merci. Nous avons beaucoup de questions à vous poser.
M. Alex Cameron, collaborateur, Clinique d'intérêt public et de politique d'Internet du Canada (CIPPIC) : Honorables sénateurs, je suis un étudiant diplômé en droit de l'Université d'Ottawa. Je suis venu témoigner au nom de la CIPPIC. Le message que j'aimerais vous transmettre aujourd'hui est simple, mais il est important. Les Canadiens ordinaires qui commandent des photos à des fins privées ou domestiques devraient automatiquement être les premiers titulaires du droit d'auteur sur ces photos.
C'est ce qui est actuellement prévu dans la loi, et l'on ne devrait rien y changer.
Je vais vous donner quatre raisons pour appuyer mes dires, vous entretenir brièvement de la protection de la vie privée — nous y reviendrons plus tard au cours de la discussion — et je vais aussi vous faire une remarque au sujet de l'article 10.
Le premier argument à l'appui de ma thèse ou de mon exposé est que le projet de loi S-9 dans son libellé actuel nuit aux attentes raisonnables des consommateurs ordinaires. Si vous posez la question à quiconque a retenu les services d'un photographe lors d'un mariage ou a emmené ses enfants se faire photographier chez Sears, tous vous répondront qu'ils s'attendent à ce que les photos produites leur appartiennent à eux, et non au photographe.
Ces photos dont je vous parle servent à saisir des moments précieux de notre existence. Chacun d'entre nous s'attend à avoir le droit d'utiliser ces photos comme bon lui semble et à pouvoir décider de qui d'autre pourra s'en servir et de quelle manière. Si les photographes, ou qui que ce soit d'autre, veulent obtenir la permission d'utiliser nos photos privées, pour lesquelles nous avons payé, alors ils devraient nous poser la question et obtenir notre consentement. Il s'agit d'une proposition simple. Et c'est la raison pour laquelle le paragraphe 13(2) figure dans la loi. Il y est depuis que la loi a été adoptée en 1924, et on a toujours considéré depuis qu'il reflétait le gros bon sens. Rien n'a changé au cours des années qui puisse justifier que l'on change cette règle. Le projet de loi S-9 reviendrait à éliminer cette règle, et c'est la raison pour laquelle nous nous y opposons.
Décider que les photographes sont automatiquement les premiers titulaires du droit d'auteur, comme le stipulerait le projet de loi S-9, est logique dans le cas des grandes commandes commerciales, où le photographe est engagé par un magazine ou un journal pour prendre des photos. Nous sommes favorables à l'idée que les photographes soient les premiers titulaires du droit d'auteur dans ces circonstances.
En effet, dans ces situations, il est raisonnable de s'attendre à ce que le magazine ou le journal est suffisamment organisé pour négocier l'attribution du droit d'auteur avec le photographe.
Toutefois, dans le contexte des utilisations privées ou domestiques, les choses sont différentes et elles exigent que l'on adopte un comportement différent. C'est ce qui justifie l'existence du paragraphe 13(2).
La deuxième raison est que le projet de loi S-9 ne reflète pas la nature des photos privées commandées. Comme je l'ai déjà mentionné, nos photos privées sont étroitement associées à nos émotions et à notre dignité. Elles ont une valeur inestimable, et nous les chérissons. La réalité, dans ces situations, est que l'impulsion créative et l'investissement personnel, affectif et économique à l'origine d'une photo commandée appartiennent à chacun d'entre nous, c'est-à-dire à la personne qui commande la photo, et non au photographe. Le projet de loi S-9 ne traduit pas cette réalité.
La troisième raison pour laquelle nous sommes opposés au projet de loi S-9 est parce qu'il compromet notre capacité d'utiliser les photos que nous avons commandées et que nous avons payées. Si le projet de loi S-9 est adopté dans son libellé actuel, le photographe obtiendra automatiquement le droit de décider de la manière dont nos photos privées et domestiques seront utilisées. Cela signifie que pour une période pouvant atteindre 120 ans ou plus, la durée de la vie d'un photographe plus 50 ans, le photographe et ses héritiers posséderaient le droit d'auteur sur l'utilisation de nos photos, de même que le droit de les vendre ou d'accorder une licence d'utilisation sur ces mêmes photos à de parfaits étrangers sans même avoir à nous en avertir. Conformément à ce que je vais ajouter plus tard au sujet de la protection de la vie privée, toutes ces choses pourront se produire sans notre consentement ou notre approbation. Il est donc question de la capacité du photographe d'utiliser ces photos. Maintenant, je vais vous parler de notre capacité de les utiliser en vertu du présent projet de loi.
La semaine dernière, des photographes sont venus vous parler de ce que les gens pourraient faire de ces photos si ce projet de loi était adopté. Mon premier commentaire vise à répondre aux questions que l'on se pose au sujet des répercussions de ce projet de loi, et en particulier à celles du sénateur Callbeck et du sénateur Trenholme Counsell. Les photographes ont laissé entendre qu'il suffisait tout simplement de revenir les voir pour leur demander la permission. Et en effet, ce pourrait être assez simple si l'on pouvait retrouver le photographe au bout d'une semaine, d'un mois ou d'une année après que la photo a été prise. Mais posez-vous la question, au bout de 10 ans, de 30 ans ou de 80 ans, alors que le droit d'auteur appartient au photographe pendant toute sa vie plus 50 ans? Je ne vois aucune raison sur le plan culturel ou économique justifiant de forcer John Smith, âgé de 82 ans, à retracer le titulaire du droit d'auteur pour une photographie scolaire prise de lui il y a 75 ans. Il n'y a rien qui justifie ce genre de règle.
Le deuxième commentaire concerne l'affirmation des photographes comme quoi, si vous parveniez à les retracer pour obtenir ces permissions, ils ne « s'y opposeraient jamais ». En tant que propriétaires exclusifs du droit d'auteur, les photographes disposent de toute latitude pour décider quoi faire de vos photos et ils peuvent vous demander les honoraires qu'ils veulent. Le sénateur Trenholme Counsell avait saisi la balle au bond et demandé ce qu'il faudrait faire si le photographe décidait de demander 2 500 $? On lui avait alors répondu qu'elle n'avait qu'à se rendre chez un autre photographe et à lui payer 75 $ pour qu'il refasse les photos. C'est simple en effet, mais on ne peut pas recommencer son mariage ou la naissance de ses enfants. Ce sont des exemples où l'on voit que le consommateur sera toujours à la merci des photographes si ce sont eux qui détiennent le droit d'auteur.
Troisièmement, l'association des photographes a déclaré qu'elle était respectueuse des lois, et qu'elle utilisait des contrats en vue d'obtenir les permissions requises en vertu de la loi actuelle. Par ailleurs, — et je ne fais que me référer au compte rendu — les représentants de l'association ont admis recevoir de plus en plus d'appels de la part de personnes se plaignant de l'utilisation que les photographes faisaient de leurs photos privées. À notre avis, si telle est la situation aujourd'hui, le projet de loi S-9 ne fera qu'empirer les choses en accordant automatiquement le droit d'auteur à ces photographes.
J'aimerais faire deux brefs commentaires. Le premier porte sur la vie privée. Il y a eu des discussions concernant l'applicabilité des lois sur la vie privée dans ce domaine. J'aimerais faire un commentaire à ce sujet, et ensuite je répondrai à vos questions. Permettez-moi de vous dire qu'il ne s'agit pas d'une question de vie privée. Il s'agit d'une question de droit d'auteur, parce que cela concerne le contrôle et l'utilisation d'œuvres assujetties à un droit d'auteur — en l'occurrence des photos. Les intérêts des consommateurs devraient être protégés, peu importe ce que prévoient les autres lois. Il s'agit de déterminer qui est propriétaire, qui contrôle et peut utiliser ces œuvres. Les lois sur la protection de la vie privée ne mentionnent pas ces questions, parce qu'elles n'ont rien à voir avec la vie privée et qu'elles concernent plutôt le droit d'auteur.
Enfin, dans l'éventualité où l'on abrogerait l'article 10 de la loi comme cela est proposé, si vous remettiez votre caméra à un étranger pour qu'il prenne une photo de vous, de votre douce moitié ou de votre famille devant les chutes Niagara, par exemple, ce serait l'étranger qui serait titulaire du droit d'auteur, pas vous.
Le sénateur Fairbairn : Même s'il s'agit de notre caméra.
M. Cameron : Oui.
Le président : En vertu du projet de loi tel qu'il est proposé, le droit d'auteur est associé au photographe, et non à la caméra.
Le sénateur Morin : On nous a dit exactement le contraire.
Le président : Laissons M. Cameron finir et nous y reviendrons.
M. Cameron : La CIPPIC a remis un exposé écrit au comité, de même qu'une coupure de presse tirée de l'édition de lundi du Toronto Star reproduisant un article du professeur Michael Geist sur cette question. Il s'agit de l'une des sommités canadiennes sur la question des droits d'auteur. J'ai aussi le plaisir de vous remettre un exemplaire de mes notes d'information pour l'exposé d'aujourd'hui. D'après le professeur Geist, le projet de loi S-9 dans sa forme actuelle « devrait être supprimé avant d'aller plus loin ». Il cite par ailleurs un certain nombre de préoccupations que j'ai mentionnées aujourd'hui. Je vous remercie de votre attention.
Le président : Je vous remercie tous les trois. Je veux seulement m'assurer d'avoir bien compris votre position. Je vais commencer par M. Cameron qui affirme que la loi devrait demeurer inchangée.
M. Cameron : En ce qui concerne les photos commandées à des fins privées ou domestiques.
Le président : Monsieur Gollob, vous êtes d'avis que l'on devrait abroger une partie du paragraphe 13(3).
M. Gollob : C'est exact.
Le président : Toutefois, nous devrions laisser le reste de la loi inchangée.
M. Gollob : Oui. Cependant, s'il y a un consensus au Sénat pour aller de l'avant avec le projet de loi S-9, il faudrait à tout le moins envisager les répercussions sur le plan de la relation employeur-employé mentionnée dans la deuxième partie du paragraphe 13(3).
Le président : Monsieur Poling, vous avez dit que vous étiez d'accord pour abroger les paragraphes 13(2) et 10(1).
M. Poling : Oui, dans la mesure où le paragraphe 10(2) demeure inchangé, alors il n'y a pas d'incidence sur le domaine des relations de travail abordé dans le paragraphe 13(3).
Le président : Comme vous le savez, le sénateur Day, a été incapable de se libérer auparavant, et il aimerait comparaître à titre de témoin. Deuxièmement, il me semble que les choses ne sont jamais aussi simples qu'elles le paraissent à première vue. Il est important que nous entendions les représentants d'Industrie Canada, qui sont chargés de superviser la Loi sur le droit d'auteur. Aussi, aujourd'hui, notre intention était d'entendre les témoignages de ce groupe et ensuite de nous réunir de nouveau après la relâche du Sénat pour entendre le sénateur Day et les fonctionnaires, je vous donne ces précisions afin que vous compreniez notre emploi du temps. Après quoi, nous procéderons à l'étude article par article.
Le sénateur Keon : Monsieur Cameron, je m'adresse d'abord à vous, et peut-être que les autres témoins voudront intervenir, parce qu'à mon avis, vous avez mis le doigt sur le problème. Je pense que vous suggérez qu'il est tout à fait justifié de prévoir des mesures de protection pour les photos qui apparaissent dans Time et dans Maclean's, et ainsi de suite, mais que c'est totalement injustifié qu'un photographe possède le droit d'auteur sur une photo privée; est-ce exact?
M. Cameron : Je pense avoir compris, mais je n'ai pas pu saisir tout ce que vous avez dit.
Le sénateur Keon : Si j'ai bien compris, vous avez dit qu'il était raisonnable qu'un photographe possède le droit d'auteur dans le cas d'une entreprise commerciale, pour les magazines et ce genre de publications, mais qu'il était totalement injustifié que le même photographe possède le droit d'auteur sur une photo privée?
M. Cameron : C'est exact.
Le sénateur Keon : Bon, à partir de là, vous avez suggéré que nous supprimions ce projet de loi et que nous recommencions à partir du début; est-ce bien cela?
M. Cameron : Le projet de loi S-9 dans sa forme actuelle revient à jeter le bébé avec l'eau du bain. Il y a un problème avec les commandes commerciales, celles où les photographes sont engagés par des journaux. Ce n'est pas une question que nous avons étudiée en profondeur, mais nous y voyons une inégalité dans le pouvoir de négociation. Dans le cas des commandes commerciales, les magazines possèdent le pouvoir, donc le droit d'auteur devrait être accordé au photographe au premier chef, tout dépendant de la nature du contrat qui les lie. Le magazine peut acheter ces droits.
Dans le cas des consommateurs, on ne peut pas s'attendre à ce que les gens connaissent suffisamment bien les droits d'auteur pour commencer à soulever des questions de cet ordre. Nous suggérons que le projet de loi prévoie une règle par défaut, comme celle du paragraphe 13(2) dans la loi, pour le contexte privé, afin que ce soient les consommateurs qui possèdent le droit d'auteur. Si les photographes veulent conclure un autre arrangement en ce qui concerne le droit d'auteur, si par exemple ils veulent l'obtenir, alors il devrait leur incomber de soulever la question et de demander le consentement du consommateur pour qu'il leur transfère le droit d'auteur à titre de position par défaut. On ne peut pas s'attendre à ce que ce soit le consommateur qui soulève ces questions.
Le sénateur Keon : Pour en revenir directement au projet de loi, je pense que vous avez recommandé simplement de l'éliminer et de recommencer depuis le début, et de réécrire un nouveau projet de loi concernant les droits d'auteur dans le domaine de la photographie commerciale; est-ce exact?
M. Cameron : Loin de moi l'idée de vous dire comment faire votre travail, naturellement, mais ce qui nous importe surtout, c'est que les questions liées aux consommateurs que nous avons soulevées soient prises en compte, peu importe ce qu'il advient ensuite de la loi.
Le sénateur Keon : Merci de vos commentaires. Vous avez très bien défini le problème.
J'aimerais que M. Gollob et M. Poling s'expriment eux aussi sur ce chemin critique qui vient d'être défini.
Monsieur Poling, que nous suggérez-vous de faire avec ce projet de loi?
M. Poling : Si j'ai bien compris, l'objectif du projet de loi est d'accorder un droit d'auteur aux photographes commerciaux ou indépendants. Mais cela est possible simplement en abrogeant le paragraphe 13(2) de la Loi sur le droit d'auteur. Si on décide de ratisser plus large et d'éliminer en plus le paragraphe 10(2) de la loi, alors les photographes qui sont à l'emploi de la Presse canadienne ou du Vancouver Sun se verront accorder un droit de veto en vertu du paragraphe 13(3). On leur accorde un droit de veto qu'ils n'ont jamais eu auparavant et qu'ils n'ont jamais demandé. Je ne pense pas qu'au départ les rédacteurs de cet article en particulier avaient en tête de le voir s'appliquer aux photographes, parce que toutes les questions liées à la photographie sont totalement prises en charge dans d'autres articles.
Le sénateur Keon : Est-ce que votre suggestions éliminerait les problèmes soulevés par M. Cameron en ce qui concerne les utilisations à des fins privées et domestiques?
M. Poling : Non. Le problème sur le plan des utilisations privées et domestiques continuerait de se poser, à mon avis; en abrogeant le paragraphe 13(2), vous accordez le droit d'auteur au photographe
Le sénateur Keon : Monsieur Gollob, aimeriez-vous faire des commentaires sur ce qui constituerait à votre avis la meilleure attitude à adopter concernant ce projet de loi?
M. Gollob : J'avoue que nous n'avons pas envisagé l'approche suggérée par M. Poling. À première vue, il semble que ce soit une bonne idée de conserver le paragraphe 10(2). Mais je ne veux pas m'avancer davantage. La position que nous défendons est que si on élimine l'article 10 et le paragraphe 13(2), alors le paragraphe 13(3) s'appliquerait aux photographes, étant donné qu'aucun autre article dans la loi ne définit le traitement accordé aux photographes et les questions qui les concernent.
Le sénateur Morin : Nous n'avons pas le texte de la loi ici, et je ne pense pas que quiconque l'ait reçu.
Le président : En revanche, nous avons le texte du paragraphe 13(2) sous les yeux, parce qu'on l'explique à la deuxième page du projet de loi. Cependant, à quoi vise le paragraphe 13(3)?
M. Gollob : Je suis désolé de ne pas vous l'avoir fait distribuer, mais je peux vous le lire.
Le président : N'en donnez que le sens. Nous avons la chance d'être un comité tout à fait exceptionnel. En effet, l'une de nos principales qualités est de ne pas compter de juristes parmi nous.
M. Gollob : La première partie du paragraphe 13(3) stipule que si vous êtes un employé et que vous travaillez pour quelqu'un d'autre, alors le droit d'auteur sur le travail que vous produisez appartient à l'employeur. Jusque là, tout va bien, mais c'est la deuxième partie du paragraphe qui comporte une étrange disposition, que nous appelons le droit de veto. Voici l'énoncé textuel, mais c'est très court :
...mais lorsque l'œuvre est un article ou une autre contribution à un journal, à une revue ou à un périodique du même genre, l'auteur, en l'absence de convention contraire, est réputé posséder le droit d'interdire la publication de cette œuvre ailleurs que dans un journal, une revue ou un périodique semblable.
En Grande-Bretagne, d'où ce texte est issu, le Parlement britannique a jugé opportun de l'abroger il y a quelques années de cela. Dans un discours prononcé en 1998, le secrétaire adjoint à l'Éducation de la Chambre des Communes du Royaume-Uni a décrit la deuxième partie de ce paragraphe que je viens de vous lire comme une anomalie, et il a ajouté qu'il fallait reconnaître que cette anomalie existait depuis près de 70 ans. Il a ensuite demandé pourquoi on devrait éliminer cette anomalie maintenant, et il a répondu qu'il ne s'agissait pas d'une anomalie inoffensive et qu'il semblait injuste en principe de dire aux journaux — c'est notre point de vue — ce qui suit : « Vous seuls parmi tous les nombreux employeurs des auteurs des œuvres assujetties au droit d'auteur ne recevrez pas la totalité des avantages découlant de l'investissement que vous réalisez dans votre personnel. » Il a ensuite fait valoir que cette approche comportait des répercussions concrètes négatives pour les journaux. Cette approche a pour effet de ne pas appliquer des règles égales dans les divers secteurs d'activité des médias, et c'est inadmissible. Nous affirmons que cette situation est discriminatoire à l'endroit des journaux, qu'elle ne devrait pas exister et que le projet de loi S-9, dans sa forme actuelle, revient à accorder aux photographes employés un droit de veto qui n'existait pas auparavant.
M. Poling : Si je peux me permettre, en faisant la lecture du projet de loi S-9, je n'ai pas eu l'impression qu'il visait à intervenir dans les relations de travail. Au contraire, il me semble que le projet de loi se préoccupe uniquement du droit d'auteur. Toutefois, de toute évidence, en incluant ce droit de veto, c'est exactement la situation que l'on va créer. Ce paragraphe ne s'applique qu'aux médias d'information. Il ne vise pas les photographes qui travaillent pour un studio commercial. Il n'est pas question d'inclure un droit d'interdire dans ce domaine. Il ne s'applique pas à un photographe de la Chambre des communes. Il n'est pas question de droit de veto ici non plus. C'est très précis. Les photographes ne possèdent pas ce droit à l'heure actuelle, ils ne l'ont jamais eu auparavant, et on n'a jamais eu l'intention de le leur accorder.
Le président : J'ai parlé avec le sénateur Day, et je pense que vos commentaires concernant ses intentions sont exacts, toutefois, ce ne sont pas les intentions qui apparaissent dans la loi; mais plutôt leur énoncé. Du point de vue des journaux, je crois que vous avez soulevé une question qui mérite d'être examinée de près, et c'est ce que nous allons devoir faire.
Le sénateur Fairbairn : Je suis désolée, mais j'ai bien du mal à vous suivre. Je n'ai pas assisté à la dernière réunion, ayant fait un séjour à l'hôpital.
Je suis une ancienne journaliste, mais pas photographe. J'aimerais vous demander si ce projet de loi a fait l'objet de discussions quelconques avec les représentants des journaux, des photographes, avant sa rédaction. Je vais m'adresser à M. Poling; il n'est pas dans le domaine depuis aussi longtemps que moi, mais tout de même il s'y trouve bien depuis au moins 20 ans, et il a fait le tour du jardin, d'après ce que je vois. Alors, nous devons étudier ce projet de loi qui fascine tous les membres du comité, parce qu'il s'agit de quelque chose de nouveau, et cependant, il s'agit d'une intervention qui revêt une certaine importance pour votre secteur, que ce soit en tant que photographe, éditeur ou peu importe. Y a- t-il eu des discussions préliminaires; a-t-on tenté des démarches auprès de vous en vue de mettre ces idées à l'épreuve avant l'introduction de ce projet de loi?
M. Poling : Je ne peux pas parler au nom de David Gollob, mais en ce qui concerne le groupe que je représente, je vous affirme que non. On nous a invités à comparaître devant le Comité de la Chambre des communes, mais seulement deux jours avant la fin des audiences, et on ne nous a pas consultés au moment où les premières suggestions de réforme ont été rédigées.
M. Gollob : Comme M. Poling et la Presse canadienne, l'Association canadienne des journaux n'a pas été, à notre connaissance, consultée concernant le contenu de ce projet de loi.
Le sénateur Fairbairn : Je suis curieuse de le savoir, parce qu'un projet de loi est un événement relativement important, et je m'efforce de comprendre pourquoi il est devenu nécessaire. D'après vous, qu'est-ce qui a bien pu se passer pour que l'on décide que ces changements étaient suffisamment importants pour justifier une modification de la loi concernant le droit d'auteur?
M. Poling : J'aimerais vous répondre parce que je me trouve dans une situation particulièrement intéressante à cet égard, étant responsable d'un organe de presse, mais aussi d'une base de données de photos. À mon avis, à l'origine de tout cela on retrouve des préoccupations de nature commerciale. Si vous disposez clairement de tous les droits, cela devient beaucoup plus facile de transiger avec les photographes sur le marché. Lorsqu'il existe une certaine confusion, les choses se compliquent; et je pense que c'est un sujet de préoccupation pour les photographes commerciaux. Il en va de même pour les médias d'information et pour les bases de données historiques, lorsqu'il est difficile d'établir clairement qui possède le droit d'auteur, les choses deviennent là aussi très compliquées, parce qu'il est question d'écrire l'histoire.
Vous voyez que les photos du livre ont été prises à des moments capitaux de l'histoire. En tant que photographe ayant pris quelques-unes de ces photos, je ne devrais pas être celui qui décide de la manière dont elles devraient être utilisées. Ça n'a tout simplement pas de sens. Il ne faut pas tout mélanger. En tant que photographe moi-même, je suis sensible aux préoccupations des photographes indépendants. Et de fait, je prends encore des photos dans des occasions que je crée moi-même et pour lesquelles j'utilise mon propre matériel; je prends ces photos, et je les vends. Il est clair que j'en suis le propriétaire, et je les vends et j'en tire des avantages financiers. Toutefois, ce sont des photos dont je suis le seul artisan, et non celles que j'ai faites pour le compte de mon employeur.
M. Gollob : Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, en tant que journaux, nous n'avons aucune objection à ce que les photographes indépendants, de leur propre initiative et avec leurs propres moyens, se créent des occasions favorables. D'après ma propre expérience, par exemple, nous avions l'habitude de couvrir les spectacles aériens où, malheureusement, il arrive parfois que se produisent de tragiques accidents; mais la plupart du temps, tout se passe bien. Si vous êtes un photographe indépendant, un pigiste assistant à l'une de ces fêtes, il se peut très bien que vous passiez toute la journée à faire des photos sans pour autant en prendre une seule qui en vaille la peine. En revanche, vous pourriez avoir pris la photo d'un tragique accident. Dans un cas semblable, nous n'aurions aucune objection à ce que le photographe ayant pris cette photo conserve son droit d'auteur sur cette prise en particulier. Toutefois, si nous avions engagé un photographe, et lui avions dit : « Voici 1 000 $ pour faire des photos durant le spectacle aérien, nous allons vous payer ce montant peu importe si nous décidons d'utiliser ou non les photos que vous prendrez à cette occasion; voici les billets pour l'entrée, les jetons pour le taxi, et ainsi de suite », il s'agit d'un type différent d'affectation. C'est la distinction qu'il importe de faire.
M. Cameron : Vous avez demandé où était le problème et pourquoi il y avait une telle urgence d'agir? Nous avons posé la même question. La raison d'être du paragraphe 13(2) qui protège ces commandes privées n'a pas changé depuis 1924. Les raisons qui en justifient l'existence sont les mêmes aujourd'hui que par le passé; il ne s'est rien produit qui puisse justifier l'abrogation.
Le président : Monsieur Cameron, si je comprends bien votre point de vue, vous n'avez aucune objection à ce que l'on protège les intérêts commerciaux. Ce qui vous irrite c'est le fait qu'en voulant régler un problème, on ait ouvert la porte à un éventail d'autres situations. Vous n'êtes pas en désaccord avec les deux autres témoins, mais vous éprouvez des réticences en ce qui concerne le libellé du projet de loi, c'est-à-dire que vous trouvez qu'il va trop loin.
M. Cameron : En effet, il va beaucoup trop loin. Nous faisons valoir que le paragraphe 13(2) devrait être conservé dans les situations privées.
Le sénateur Morin : J'aimerais revenir à l'exemple que vous avez donné, monsieur Cameron. Je suis allé voir un photographe pour qu'il prenne ma photo à des fins privées. Six mois plus tard, je décide de me présenter comme candidat à une élection et j'utilise cette photo sur les annonces publicitaires et à des fins commerciales ou pour n'importe quelle autre raison. Il s'agit de contextes tout à fait différents : dans un cas, c'est une utilisation à des fins privées, pour mes petits-enfants et dans l'autre, c'est une utilisation à des fins commerciales. Les honoraires sont différents. Est-ce que le photographe ne devrait pas avoir droit à des honoraires supplémentaires si je décide d'utiliser la photo pour une autre utilisation que celle qui avait été prévue au départ?
M. Cameron : Voici une excellente question. En réalité, et les photographes vous l'on sans doute expliqué, il existe des contrats types pour toutes ces situations; et il existe sûrement une clause dans ces contrats qui précise d'entrée de jeu l'utilisation qui peut être faite de cette photo. Si vous avez l'intention de l'utiliser à des fins commerciales, alors vous devrez probablement lui demander la permission de le faire ou lui offrir une compensation quelconque à cet effet. Je suis tout à fait d'accord.
Le sénateur Morin : Quarante ans plus tard?
M. Cameron : Oui, si c'est ce que stipule le contrat, vous devrez vous y conformer.
Le sénateur Morin : Dans votre exemple, il est question d'une personne âgée de 82 ans qui essaie de retrouver la trace d'un photographe 75 ans plus tard; c'est un exemple semblable, s'il y a un contrat au départ.
M. Cameron : En effet, au départ, lorsqu'il s'agit d'une situation privée ou domestique, il est toujours difficile de prévoir l'avenir. Dans ce contexte, le pouvoir de négociation n'est pas réparti également, et il incombe au photographe de soulever ces questions et de présenter un contrat au consommateur. Si on abroge le paragraphe 13(2), on se trouve à éliminer cette position par défaut. Et en fait, le droit d'auteur revient automatiquement au photographe. Peut-être n'ont-ils aucun intérêt à soulever ce genre de questions, parce que de toute manière ils ont le dernier mot. Le but est d'imposer à la bonne personne, suivant les circonstances, la responsabilité de soulever ces questions et d'en venir à une entente à leur sujet.
Le sénateur Morin : Dans le cas présent, en l'absence d'un contrat, en tant que propriétaire de la photo, je peux en faire ce que bon me semble, y compris l'utiliser à des fins commerciales.
M. Cameron : C'est exact.
Le sénateur Callbeck : J'aimerais vous poser une question, monsieur Cameron, concernant le paragraphe 10(2) de la Loi sur le droit d'auteur. Vous avez dit que si vous remettiez votre caméra à un parfait étranger pour qu'il prenne une photo de vous, en vertu du présent projet de loi, c'est cet étranger qui serait propriétaire du droit d'auteur. Est-ce que tout le monde approuve cette interprétation?
M. Poling : Si le projet de loi S-9 est adopté dans sa forme actuelle, oui, c'est vrai. Nous pouvons fournir des caméras aux photographes, mais ce sont nos caméras, et nous leur disons : « Voici votre matériel, rendez-vous à l'endroit prévu et faites des photos de l'événement. » En vertu de cette loi proposée, nous ne serions pas propriétaires du droit d'auteur, c'est le photographe qui le serait.
Le sénateur Callbeck : Est-ce que tout le monde est d'accord?
M. Gollob : Oui.
Le président : En résumé, la question à l'étude est la suivante : y a-t-il un moyen de prendre en compte les préoccupations légitimes du pigiste qui n'est pas un photographe commercial. Je fais référence à ces photographes qui ne sont pas là parce qu'ils sont les salariés d'une entreprise quelconque ou encore parce qu'ils ont été affectés à une tâche précise et qu'ils sont payés pour le faire. Ce sont d'authentiques pigistes. Y a-t-il un moyen de s'assurer du respect de leurs droits d'auteur, sans pour autant créer des problèmes dans la relation entre les photographes qui travaillent pour des médias ou qui sont en affectation pour des médias et leurs employeurs, ou encore des problèmes dans un domaine que je qualifierais du domaine privé du photographe, dans le sens de l'intervention de M. Cameron? Ce projet de loi s'y emploie, mais il va aussi beaucoup plus loin. Est-ce là une description assez fidèle du problème? Est-ce que vous donneriez votre appui à ce projet de loi dans la mesure où l'on établirait des paramètres précis? Je reconnais qu'il faudrait que vous puissiez prendre connaissance de son libellé juridique, mais en principe, ai-je bien compris le sens de vos interventions?
M. Poling : Je suis un authentique pigiste qui fait des photos dans ses temps libres, avec son propre matériel. Je crée mes propres occasions, je les finance et je suis propriétaire du résultat.
Le président : C'est ce que je viens de dire.
M. Poling : En vertu du projet de loi S-9, je suis toujours propriétaire.
Le président : Vous en êtes le propriétaire, sans qu'il soit nécessaire d'apporter quelque changement que ce soit à la Loi sur le droit d'auteur; est-ce exact?
M. Poling : Sans aucun changement. Je suis entièrement propriétaire de ce droit, sans aucune restriction.
Le président : Dans ce cas, la différence, en un sens, est que vous en êtes toujours propriétaire en vertu du projet de loi S-9, mais dans le cas où un photographe travaillerait directement pour la PC ou pour une entreprise de presse, il y a un problème. Deuxièmement, le projet de loi a été libellé de façon tellement générale qu'il englobe les consommateurs, ce qui — vous pouvez me croire — n'était pas l'intention initiale.
Je vous remercie tous de vous être déplacés. Vous avez cristallisé la question, de notre point de vue.
Le Parlement ne siège pas la semaine prochaine. À notre retour, nous entendrons le sénateur Day ainsi que les fonctionnaires chargés de la supervision de la Loi sur le droit d'auteur.
M. Poling : Si ce projet de loi est adopté et s'il est question du paragraphe 13(3), alors il faudra élargir le champ de la discussion. En toute justice, il faudra entendre les photographes et leurs représentants, et se pencher sur les aspects liés à la relation de travail.
Le président : C'est exact, et c'est tout à fait dans nos intentions.
Je vous remercie beaucoup.
La séance est levée.