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TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 4 - Témoignages du 2 avril 2014


OTTAWA, le mercredi 2 avril 2014

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 18 h 45, pour poursuivre son étude sur les défis que doit relever la Société Radio-Canada en matière d'évolution du milieu de la radiodiffusion et des communications.

Le sénateur Leo Housakos (vice-président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le vice-président : Honorables sénateurs, je déclare cette séance du Comité sénatorial permanent des transports et des communications ouverte.

Aujourd'hui, nous continuons notre étude sur les défis que doit relever la Société Radio-Canada en matière d'évolution du milieu de la radiodiffusion et des communications.

[Traduction]

Aujourd'hui, notre témoin est Barry Kiefl, président de Canadian Media Research, entreprise indépendante qui réalise des recherches pour de nombreux radiodiffuseurs au Canada et aux États-Unis, ainsi que pour divers organismes au sein du gouvernement du Canada. Il a aussi été directeur de la recherche à la CBC de 1983 à 2001.

Monsieur Kiefl, bienvenue au Sénat du Canada et au Comité permanent des transports et des communications.

M. Kiefl fera son exposé et ensuite, nous passerons à la période des questions. Bienvenue, vous avez la parole.

Barry Kiefl, président, Canadian Media Research Inc. (CMRI) : Merci beaucoup.

Comme vous l'avez dit, nous sommes une entreprise de recherche indépendante qui travaille pour des producteurs, des radiodiffuseurs, des associations du secteur et pour le gouvernement. À titre d'exemple, la Commission du droit d'auteur vient d'accorder à l'un de nos clients une augmentation annuelle de 10 millions de dollars en redevances à la suite de notre analyse de l'écoute télévisuelle.

Nous avons concentré une partie de nos recherches sur la CBC parce qu'elle est au centre de notre système de radiodiffusion. La CBC est l'une des institutions publiques les plus importantes et les plus anciennes du Canada, mais elle est manifestement en crise, sujet que j'ai abordé dans un article récemment publié dans le Globe and Mail. Après avoir lu mon article, un ancien président de la CBC a affirmé qu'« ajuster le modèle actuel ne fonctionnera pas cette fois-ci ». Un autre ancien président a déclaré que l'article « exprime plutôt bien ce que les gens me disent ». Je crois qu'on ne peut pas opter pour le statu quo ni pour une variante du statu quo.

Pendant les années 1940 et 1950, CBC Radio contrôlait la plus grande part du marché, attirant un large public pour de nombreuses émissions dont les cotes d'écoute étaient plus élevées que la plupart des émissions de télévision populaires aujourd'hui. L'émission The Guiding Light un roman-savon américain diffusé par CBC Radio à l'époque, avait des cotes d'écoute aussi élevées que le Super Bowl aujourd'hui. Le bulletin d'information national de 22 heures attirait 50 p. 100 des parts du marché.

Mais vers la fin des années 1950, le public de CBC Radio a commencé à s'effriter, avec l'arrivée des chaînes de rock'n'roll, l'invention de la radio à transistors et de la radio d'auto et de la télévision, ce qui lui a ravi sa place, au point que la société avait même envisagé de fermer ses services de radio.

Les gestionnaires de la CBC ont plutôt pris des décisions importantes. Ils ont commencé par réduire, puis, au milieu des années 1970, par entièrement supprimer la publicité de la radio et ont permis à certains de leurs brillants producteurs d'expérimenter. Ces producteurs se sont rendu compte qu'on pouvait offrir à un certain public des informations et des actualités intelligentes, réfléchies et équilibrées et qu'on pourrait y combiner une programmation culturelle étoffée qui traiterait de littérature, d'art et de musique classique.

L'expérience a connu tellement de succès qu'une bonne partie de cette programmation existe encore aujourd'hui. Aujourd'hui, CBC Radio obtient 15 p. 100 des cotes d'écoute de la radio, ce n'est pas la part de marché des années 1950, mais c'est quand même considérable.

Cette part de marché actuelle de 15 p. 100 signifie que le Canadien moyen, y compris ceux qui ne l'écoutent pas, écoutent CBC Radio pendant en moyenne 125 heures par année. Les auditeurs habitués l'écoutent pendant près de 400 heures annuellement. Ceci correspond au temps que nous passons au travail, pour la plupart d'entre nous, sur une période de trois mois.

Si on parle de chiffres, la radio est le service de la CBC qui connaît de loin le plus de succès. En comparaison, nous passons seulement une à trois heures par années à utiliser les services Internet de la CBC, comme music.cbc.ca et cbc.ca. Ces dernières statistiques montrent que, si les services radio et télé de la CBC devaient cesser toutes leurs diffusions aujourd'hui et que l'Internet devenait la seule plate-forme de consommation de contenu, la CBC perdrait la plus grande partie de son public.

Curieusement, la direction actuelle de CBC Radio semble avoir oublié ses origines et à recommencer à livrer concurrence aux stations privées en diffusant de la musique pop sur sa deuxième chaîne et en adoptant un style journalistique qui commence drôlement à ressembler à celui de la radio privée. Les publicités ont à nouveau fait leur apparition.

Il est important de souligner que la CBC a retiré 50 millions de dollars du budget annuel de la radio au cours des cinq dernières années qui au final ont été transférés au service de télévision.

Ces réductions massives de budget se sont fait sentir dans la programmation radiophonique, les auditeurs ont maintenant droit à beaucoup de rediffusion, à moins de journalisme d'enquête, de divertissement, de programmation et d'information locale, ce qui rappelle de plus en plus les radios privées.

Quant au service de télévision de la CBC, il se retrouve aujourd'hui dans la position aussi fragile que celle de la radio il y a 50 ans. Aujourd'hui, c'est une chaîne parmi des centaines d'autres et qui s'en distingue de moins en moins.

Certes, les émissions diffusées à la CBC sont en grande partie canadiennes, mais trop d'entre elles ressemblent à celles des autres chaînes. Encore plus important, CBC TV diffuse presque toutes les mêmes publicités qu'on retrouve sur les chaînes privées, ce qui en fait une chaîne parmi tant d'autres.

CBC TV rejoint un certain public qui est beaucoup plus large que celui de CBC Radio, mais la part du temps d'antenne total est d'environ 5 p. 100, une petite partie de ce qu'elle a déjà été. Le Canadien moyen regarde CBC TV en moyenne seulement 70 heures par année, la moitié d'entre elles étant consacrées au hockey et aux émissions produites à l'étranger.

CBC TV n'a pas adopté la même approche que la radio. Plutôt que de créer une stratégie visant un large créneau en offrant du journalisme et du divertissement intelligent, CBC TV s'est efforcée d'être populaire et d'attirer un grand public et des revenus publicitaires.

Le problème n'est pas seulement philosophique. Au cours des 15 dernières années, la stratégie axée sur les revenus de CBC TV n'a jamais attiré le grand public nécessaire pour vendre aux annonceurs. Ses revenus publicitaires sont aujourd'hui inférieurs à ceux d'il y a 15 ans.

L'année prochaine, CBC TV ne tirera aucun revenu des publicités liées au hockey de la LNH et ses revenus publicitaires, dans l'ensemble, chuteront à 100 millions de dollars, un montant à peine supérieur au coût d'exploitation des départements des ventes et de la promotion.

Le genre de revenus publicitaires dont CBC TV a rêvé ne peut qu'être attiré avec des émissions dont les cotes d'écoute régulières tournent autour de 1,5 à 3 millions de téléspectateurs, dont une grande part d'adultes âgés de 18 à 24 ans, la tranche d'âge qui intéresse le plus les annonceurs. La seule émission de la CBC qui attire ce genre de cote d'écoute est la diffusion des matchs de hockey de la LNH.

En conclusion, de nombreux Canadiens aiment encore la CBC et appuient l'idée d'avoir un diffuseur public.

Comme vous le savez, la CBC dépend de subventions annuelles du Parlement. Je crois que notre système de radiodiffusion serait mieux servi au moyen de droits annuels de permis ou de frais de programmation ou de taxes spécialement affectées aux communications. Le rapport que j'ai fourni au Sénat précise les façons dont ceci pourrait prendre forme.

Si elle est bien financée, CBC Radio pourrait revenir à sa stratégie réfléchie qui a fonctionné pendant près de 50 ans et n'aurait plus à livrer concurrence pour l'obtention de revenus publicitaires et pour attirer un public au moyen de musique populaire. Ses services de radio et de télévision pourraient revenir aux normes journalistiques qui ont établi sa réputation.

CBC TV pourrait enfin s'affranchir des cotes d'écoute. Libéré du boulet de cette vocation commerciale, les producteurs et les planificateurs de contenu pourraient être plus créatifs. Je crois que la CBC sera surprise de constater à quel point les Canadiens ont envie d'information et d'actualité intelligente et riche en contenu, en plus d'émissions dramatiques et de divertissement uniques.

Avec ou sans nouveau mécanisme de financement, CBC TV est confrontée à une crise et doit élaborer une nouvelle stratégie pour rejoindre un public. La stratégie actuelle ne fonctionne pas. On a besoin d'une nouvelle stratégie, qui s'appuie sur des normes journalistiques élevées, qui dessert un segment considérable de la population et qui sera appréciée par un nombre suffisant de Canadiens pour justifier la dépense de deniers publics.

Merci, je serai heureux de répondre à vos questions.

Le vice-président : Merci monsieur Kiefl. Nous apprécions votre témoignage qui est très instructif.

Le sénateur Mercer : Merci d'être venu témoigner. Votre témoignage est très instructif. Votre expérience vous procure une excellente perspective, qui nous aide beaucoup. Ce serait bien si on pouvait revenir à l'époque de l'émission The Guiding Light et d'aller chercher ce type de cotes d'écoute.

Vous avez parlé du renouvellement de CBC Radio et du changement d'orientation dans les années 1970 je crois. Croyez-vous qu'on pourrait faire la même chose avec CBC TV, si on avait le bon leadership et la bonne vision?

M. Kiefl : Oui, je le crois, même si c'est probablement un peu tard. Je pense que la crise à laquelle est confronté le service de télévision de la CBC a commencé il y a environ 15 ans. Elle s'est empirée au cours des dernières années, au gré des réductions budgétaires. Je me souviens qu'après son départ de la CBC, Pierre Juneau m'avait dit qu'il regrettait de ne pas avoir institué la décommercialisation du volet télé de la CBC. En soi, une telle initiative aurait distingué le service et au moment où il était président, il avait l'argent pour s'affranchir des revenus publicitaires.

Prenons l'exemple de PBS aux États-Unis. PBS diffuse au Canada, et comme vous le savez sans doute, la chaîne attire une audience d'environ 1,5 à 2 p. 100 par rapport aux 5 p. 100 de la CBC et, pourtant, l'offre de PBS est tout à fait unique. PBS a des commanditaires et non des annonceurs. Je pense qu'on pourrait s'inspirer du modèle de PBS. Il s'agit simplement d'un modèle; je ne suis pas en train de recommander à la CBC de copier le modèle de PBS. Cette chaîne dépend beaucoup plus que la CBC de ses stations locales, mais dans l'environnement télévisuel d'aujourd'hui, il y a encore de la place pour un modèle vraiment unique, qui ne serait pas commercial.

Dans nos sondages, lorsqu'on demande aux gens s'il y a trop de publicités à la télévision, ils nous répondent bien sûr qu'il y en a trop. On leur demande s'ils seraient prêts à payer pour qu'il y en ait moins. La proportion de gens qui seraient prêts à payer est surprenante. Chaque année, 25 à 30 p. 100 de Canadiens font un don à PBS ou à TVO. On ne fait pas la distinction entre les deux.

On souhaite une télévision qui se distingue de la télévision commerciale et je pense que la CBC a ce qu'il faut pour démarrer. La CBC fait du journalisme. Le journalisme présenté à la télévision de la CBC, malgré les quelques lacunes que j'ai soulignées dans le document que je vous ai soumis, est toujours perçu comme étant le meilleur et c'est le cas depuis les 10 ou 11 ans que nous avons entrepris des sondages nationaux auprès des anglophones. C'est aussi vrai pour le volet francophone qui diffuse les meilleurs bulletins d'information nationaux. On ne les perçoit pas comme les meilleurs pour les nouvelles locales, même s'il y a eu des améliorations à cet égard au cours des dernières années. Tant la CBC que Radio-Canada sont perçues comme des chefs de file en journalisme et on leur attribue une note élevée pour la crédibilité. En s'appuyant sur le journalisme, on pourrait imaginer que la CBC puisse se distinguer encore bien davantage.

Peut-être qu'on ne rejoindrait pas autant de gens sur une base mensuelle ou hebdomadaire, comme en fait état la CBC ici et comme je l'ai mentionné dans le document que je vous ai fourni. Peut-être qu'il faudra plus de temps dans un intervalle d'un an pour atteindre tous les Canadiens au moyen d'un événement qui serait important à la télévision de la CBC, mais je pense qu'il existe un potentiel pour produire un service de bien plus grande qualité qui traite son audience comme des personnes plutôt que des consommateurs.

Le sénateur Mercer : On a dit que le renouvellement de la télévision de la CBC pourrait être semblable à ce que vous proposez en matière de journalisme d'enquête et d'information, mais on a aussi parlé de documentaires, d'émissions pour enfants et de la diffusion de films canadiens. Serait-il possible d'intégrer tous ces éléments dans une nouvelle CBC?

M. Kiefl : J'ai travaillé à la CBC pendant de nombreuses années et j'observe l'industrie depuis près de 50 ans maintenant et je pense qu'il peut être mal avisé d'envisager des catégories d'émissions. Je pense que CBC Radio a connu du succès parce que sa direction a pris du recul et a demandé aux producteurs et aux créateurs de contenu : « Qu'est-ce qui fonctionnerait? » Des gens brillants ont créé ce qu'est devenue CBC Radio aujourd'hui, tant en anglais qu'en français. Je pense qu'il s'agit probablement d'une meilleure démarche pour établir les orientations d'une CBC renouvelée, qui permettrait aux créateurs de définir des catégories d'émissions qui fonctionneraient.

Pour les émissions dramatiques, par exemple — est c'est une chose que vous n'avez pas soulignée, il s'agit d'un domaine qui a toujours été sous-exploité en télévision canadienne, tant dans le public que dans le privé, et je fais référence à la télévision anglophone. Si vous examinez la grille horaire de la CBC aujourd'hui, vous aurez de la chance de trouver deux heures par semaine d'émissions dramatiques canadiennes diffusées à heure de grande écoute. Ces séries coûtent cher à produire. On n'a pas l'argent pour les produire et on ne l'a jamais vraiment eu.

Si on remonte aux années 1970 et 1980, on avait alors plus de marge de manœuvre en télévision. Toutefois, la quantité d'émissions de divertissement et d'émissions dramatiques est minime à la télévision de CBC. Si le financement qui y était accordé était approprié et si la CBC était mieux organisée pour dégager du financement pour les émissions dramatiques, je pense qu'on pourrait retrouver cette marge de manœuvre. La CBC serait certainement une excellente plate-forme de diffusion des films canadiens.

Le sénateur Mercer : Vous proposez que la CBC participe à la production d'émissions dramatiques, mais ne devrait- elle pas aussi acheter les droits de films qui sont produits par des capitaux privés et les diffuser à plus grande échelle qu'à l'heure actuelle? Ils ne restent pas à l'affiche des cinémas très longtemps, quand ils y sont. Je finis par voir la plupart d'entre eux dans l'avion.

M. Kiefl : Quelques éminents réalisateurs et producteurs de films ont récemment demandé au CRTC de créer une chaîne cinématographique canadienne et celui-ci a refusé. Je pense que c'était une excellente idée. Les films canadiens sont peu vus parce qu'ils ne sont pas diffusés. Les gens vont encore au cinéma aujourd'hui, bien sûr, mais il est très difficile pour un film canadien, surtout dans le Canada anglais, de livrer concurrence à certains des films hollywoodiens à grand budget. Peut-être que la seule façon de voir des films canadiens serait de les diffuser sur une chaîne spécialisée ou sur une chaîne comme la CBC.

Avant d'appartenir à Rogers, Citytv s'était engagée à diffuser aux alentours de 100 heures de films canadiens par an, aux heures de grande écoute, et je crois que la chaîne a été assez surprise du succès de l'initiative. C'était une façon d'attirer l'attention sur ces produits.

Il faut énormément d'efforts de création pour faire un film de deux heures. La qualité est quasiment indéniable; le seul problème c'est qu'il n'y a pas d'exposition. Je crois que la société CBC serait un excellent vecteur pour les films canadiens.

Lorsque je parlais d'émissions dramatiques, je ne voulais pas nécessairement dire que la société CBC devrait les réaliser. Dans le monde d'aujourd'hui, les compagnies de production indépendantes en sont probablement la meilleure source et c'est le cas ici. La plupart de celles que l'on retrouve sur CBC aujourd'hui — en fait, je dirais probablement toutes — sont réalisées par des producteurs indépendants.

Le sénateur Demers : Monsieur Kiefl, ce comité reçoit différentes personnes et elles ont toutes le droit à leur propre opinion. Ainsi, quelqu'un s'est dit contre le sport à la CBC. On a perdu l'émission Hockey Night in Canada, mais je trouve qu'on a fait un travail incroyable pour les Olympiques.

Quel effet a eu la perte de Hockey Night in Canada? Certes, c'est toujours sur CBC. Il n'y a pas de publicité, donc pas de revenus. Voilà donc ma première question : quelles en sont les retombées, à votre avis?

M. Kiefl : Le plus gros effet, c'est que ça a attiré l'attention de tout le monde, à la CBC, comme ailleurs. Pour la première fois depuis longtemps, je crois, la société commence à se rendre compte qu'elle est en crise et qu'il y a un problème. La menace de perdre toutes les parties de hockey était, je crois, assez effrayante pour les programmateurs.

Mais ce n'est pas la première fois que la CBC pense à se débarrasser du hockey. Je me souviens, au début des années 1990, on a demandé au directeur de la programmation de faire un horaire sans hockey, car c'est à une période où le contrat arrivait à sa fin et où il y avait la menace que CTV, du côté anglais, obtienne peut-être le contrat. C'est donc une chose à laquelle les gens de la programmation ont déjà pensé. Comme vous le savez, Radio-Canada a, de son côté, très bien réussi dans un environnement sans hockey.

Le fait est que la CBC fait un excellent travail en hockey. Pendant les séries éliminatoires l'an dernier, j'ai vu énormément de mentions, dans les publications américaines et dans les médias américains, des clips ou des montages remarquables qui sont agencés juste avant une grande série ou une partie importante. C'est le genre de choses auxquelles la CBC excelle, mais ce genre de talent va très bientôt se retrouver chez Rogers ou chez Vidéotron, du côté français.

Le sénateur Demers : Je sais qu'il s'agit d'un contrat de 12 ans, mais est-ce qu'on est arrivé au point où, en raison du parti pris du gouvernement, il est devenu trop coûteux de diffuser du hockey sur la CBC ou même sur la chaîne française? Il s'agit d'une dépense énorme. Je ne pense pas que quiconque aurait imaginé — et vous êtes certainement l'expert en la matière — que la chaîne signe un contrat d'une telle somme. Est-ce qu'on en est au point où c'est une dépense qu'on ne peut plus se permettre et où on ne peut plus faire concurrence?

M. Kiefl : Pour les services de télévision conventionnels comme ceux de CTV, CBC, Global ou la télévision conventionnelle de Rogers, le hockey a soudainement changé et est passé de Hockey Night in Canada sur CBC, avec quelques parties nationales sur TSN et certaines parties régionales sur Sportsnet, à une toute nouvelle catégorie de programmes télévisés. Ce n'est plus uniquement de la télé. Rogers insère ce produit dans son nom.

Pour revenir à votre première question sur les effets, je crois que je serais très surpris que la CBC ou Rogers — ou quiconque s'en charge — renouvelle Hockey Night in Canada après quatre ans. Rogers a annoncé qu'il allait diffuser des parties le samedi soir pour faire concurrence à Hockey Night in Canada. On va aussi diffuser des parties sur Citytv, sur Sportsnet, sur Sportsnet 360 et sur Sportsnet One. Ensuite, il y aura toute une série de parties à la télévision francophone.

On en arrive au point où la CBC ne pourra plus garder son public pour les parties de hockey. Les taux d'écoute, que j'avais calculés à un moment donné, vont baisser d'environ 30 p. 100. J'ai rédigé un article dans le Huffington Post que vous pouvez trouver à l'aide de Google. J'ai été surpris, franchement, que Rogers procède ainsi, mais on m'a également dit que Bell avait proposé une entente semblable et que ce n'est pas l'argent qui avait décidé de l'orientation de la LNH.

On a eu l'idée de traiter le hockey comme un produit qui n'attirerait pas uniquement des revenus publicitaires. Les revenus publicitaires n'atteindront jamais les 5,2 millions de dollars; avec un peu de chance, ils permettront d'en amasser un tiers. Les revenus viendront des abonnements que Rogers va vendre. Il y a les chaînes que j'ai mentionnées, comme Sportsnet One et Sportsnet 360, mais cela fait toujours deux ou trois millions de foyers en moins que pour Sportsnet ou TSN. J'imagine qu'un grand nombre de fans de hockey vont se dire : « Il faut que je m'abonne à ces chaînes », et ces abonnements procureront des revenus additionnels.

Il y avait même une chaîne qui s'appelle FX, qui appartient à Rogers et qui n'a que deux à trois millions d'abonnés au Canada. On va diffuser certaines parties sur FX. J'imagine que si on y diffuse quelques parties des Maple Leafs, certains Torontois voudront s'y abonner.

Ensuite, on va tout incorporer dans l'environnement numérique et nous circulerons alors tous avec nos téléphones intelligents. Dans quatre ans, quasiment tout le monde aura un téléphone intelligent. On y retrouvera l'équivalent Rogers du service LNH.com et on pourra interagir et regarder les parties. Les abonnés de Rogers auront probablement accès à des parties gratuites sur leur service mobile.

Le sénateur Demers : Vous avez soulevé un point intéressant au sujet de Bell et de Rogers. Le chiffre qu'on m'avait donné était de 30 millions sur 12 ans, ce qui est une bagatelle. On a bien évidemment choisi Rogers.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup d'être venu témoigner.

À votre avis, que va faire la CBC pour remplacer le temps d'antenne qu'elle avait consacré au hockey?

Elle diffusera quand même du hockey pendant quatre ans, en même temps que Rogers, et vous pensez qu'après quatre ans, qui sait, la situation reviendra peut-être à ce qu'elle était auparavant. Toutefois, si ce n'est pas le cas, comment va-t-elle remplacer ces heures d'antenne?

M. Kiefl : Si vous faites le calcul, si vous regardez les dépenses de programmation de la télé du réseau anglais — je n'ai jamais vu la ventilation des données pour les heures de grande écoute par opposition au reste de la journée, la programmation intégrale — le coût horaire d'une émission à la télé de CBC s'élève aujourd'hui à environ 100 000 $. Pour les heures de grande écoute, il se peut que ce soit un peu plus élevé. Ce qu'il faut faire, c'est trouver un financement qui puisse correspondre à ce niveau de dépenses. On n'a pas à dépenser un million de dollars pour chaque heure de programmation qui viendrait remplacer le hockey.

Comme je l'ai dit, on devrait faire davantage d'émissions dramatiques et de divertissement distinctement canadiennes. Mais on n'a pas besoin de les diffuser le samedi soir. Après 75 ans d'activité, les programmateurs de CBC sont assez intelligents et pourront — j'imagine — trouver une stratégie qui permettra de contrer les émissions du samedi soir. Il pourrait s'agir d'une programmation d'information.

Prenez un service comme Newsworld, qui s'appelle maintenant CBC Newsnet. Les coûts de programmation de Newsnet tournent autour de 65 à 70 millions de dollars par an et il s'agit d'un service offert 24 heures sur 24, 365 jours par an. La CBC sait comment réaliser des programmes de nouvelles d'assez bonne qualité qui pourraient s'insérer dans ce créneau.

Il pourrait s'agir d'une soirée de films canadiens. Dans la demande qui a été déposée au CRTC, il y avait plus de 3 000 heures de films canadiens dans lesquels on pouvait puiser. La société CBC en aurait assez pour durer 10 ans ou plus, juste en offrant des films canadiens les samedis soirs. Cela ne va pas attirer 2 millions de téléspectateurs, mais ce sera néanmoins quelque chose de très différent.

Il ne faut pas oublier que le moteur de la télévision de CBC depuis 15 ans environ a toujours été axé sur les revenus.

Le conseil d'administration de la CBC s'est réuni les 25 et 26 novembre dernier. Il a publié sur son site web un document que j'invite tous vos assistants de recherche à consulter. Il s'agit d'un document que les responsables des sports à CBC ont présenté au conseil d'administration. Dans le document, il est très clair que toute l'initiative qui consistait à passer une entente avec Rogers est axée sur les revenus, axée sur la publicité et que l'on a présentée comme la panacée.

Comme je l'ai dit dans mes remarques liminaires, sans les revenus de hockey, il n'y a qu'environ 100 millions de dollars et c'est peut-être même un calcul optimiste. À l'heure actuelle, dans les données les plus récentes obtenues auprès du CRTC, on peut voir que la société dépense 70 millions de dollars par an en activités de vente et promotions. Ça fait donc 100 d'un côté et 70 de l'autre. Si l'on fait des réductions draconiennes, s'il n'y a pas de coûts liés aux ventes, les coûts de promotion pourraient être inférieurs. Une grande partie est axée sur les ventes. Il ne s'agit pas vraiment d'attirer les téléspectateurs, mais les publicitaires. Je crois qu'on pourrait réaliser d'importantes économies en trouvant de l'argent à investir dans la programmation qui servira à remplacer le hockey.

La sénatrice Batters : J'aimerais également savoir si vous disposez d'information à ce sujet. Peut-être que non, mais, étant donné que vous êtes directeur de recherche à CBC et que vous l'êtes depuis un certain nombre d'années, vous en aurez peut-être.

Est-il vrai que les producteurs canadiens qui soumettent des idées d'émissions à CBC doivent signer un formulaire de consentement qui les priverait de recours ou de dédommagement si CBC choisissait d'utiliser leur idée d'émission en se servant d'un producteur différent? À mon avis, ce serait quelque chose de très dissuasif pour les producteurs canadiens prometteurs et pour la relève. Avez-vous des renseignements à ce sujet?

M. Kiefl : Aucun. Je n'en ai jamais entendu parler.

La sénatrice Batters : J'ai trouvé bon de vous poser la question, mais je pourrai peut-être obtenir des renseignements auprès de quelqu'un d'autre.

J'ai trouvé très intéressant le document que vous nous avez fourni. Il contient un certain nombre de points intéressants et je vais maintenant vous poser ma question sur l'un d'entre eux. S'il y a un deuxième tour de questions, j'aimerais vous poser d'autres questions par la suite.

« Head Office Loosing Control » (L'administration centrale perd le contrôle) fait partie des rubriques et je me demande si vous pouviez nous dire combien d'avocats sont actuellement à l'emploi de CBC. Le PDG de CBC nous a dit qu'il y en avait un certain nombre à Montréal et à Toronto et qu'en plus, la CBC avait recours à des services juridiques externes. Savez-vous combien ils dépensent chaque année dans ces services externes?

M. Kiefl : Je suis désolé, je n'ai pas ces renseignements, mais je peux vous expliquer ce à quoi je voulais en venir en parlant de l'administration centrale qui perd le contrôle.

Cela fait environ 15 ans que la CBC a un président qui n'habite pas à Ottawa. Je crois que c'est en partie le problème. Il s'agit d'une décision personnelle des titulaires de ce poste, mais à mon avis, l'administration centrale, c'est comme le Sénat. Si vous essayez toujours d'organiser vos réunions à l'extérieur d'Ottawa, je crois que ce serait assez compliqué de diriger les affaires du Sénat.

Je crois que la structure de l'administration centrale a changé au cours de ces 15 années. Il y a environ 15 ans de cela, le président de l'époque, Bob Rabinovitch, qui habitait à Montréal et qui venait à Ottawa pour assister aux réunions de l'administration centrale, s'est débarrassé d'un poste clé, celui de vice-président exécutif, qu'occupait généralement un vétéran de la radiodiffusion.

Le président de la CBC est nommé par le premier ministre et je crois que depuis 50 ans il n'y a eu qu'un seul président qui venait du sérail. Généralement, on choisit quelqu'un de l'extérieur de CBC, qui a rarement de l'expérience en programmation. Il s'agit habituellement d'un Canadien distingué qui devient président de la CBC. Traditionnellement, cette personne se fiait à son vice-président exécutif qui très souvent était quelqu'un qui connaissait tous les rouages de la société.

En se débarrassant de ce poste clé et en allant vivre à l'extérieur de la région de l'administration centrale, le président donnait l'impression que le siège social n'était plus en phase avec les bureaux de Montréal et de Toronto. J'ai d'ailleurs donné certains exemples de déclarations récentes et totalement contradictoires de la part de l'administration centrale, déclarations dont certaines étaient censées rétablir des faits.

J'ai donné un exemple de revenu publicitaire qui s'élevait à 50 p. 100 des revenus totaux de la CBC, puis un autre message de l'administration centrale qui indiquait qu'il s'agissait d'environ un tiers puis un autre encore selon lequel il s'agissait d'environ 20 p. 100. Voilà des messages très contradictoires, qui en disent long sur le fait que le président n'a pas autour de lui les ressources nécessaires, ne travaillant pas à partir de l'administration centrale, ce qui pose problème pour diriger la société.

Le sénateur Greene : Vous avez mentionné la chaîne PBS. Je crois que si vous enlevez le hockey de la CBC, ce qui va bientôt se produire, je serais plus porté à regarder PBS que CBC. Il y a beaucoup d'émissions que j'aime sur PBS et je crois qu'un grand nombre d'entre elles intéresseraient le Canada.

Certains témoins nous ont parlé de la nécessité d'avoir des histoires canadiennes et de bien les raconter. Sur PBS, il y a cette American Experience, une émission documentaire magnifique. Pourquoi n'y a-t-il pas une émission sur CBC intitulée Canadian Experience ou Expérience canadienne?

M. Kiefl : À mon avis, c'est en partie à cause de la question de la publicité et du fait que toute la stratégie touchant la programmation et l'auditoire vise à ramener des revenus publicitaires pour compenser les coûts de programmation. Je crois que les chiffres que je vous ai présentés sont assez clairs et montrent que la CBC aujourd'hui dépend beaucoup plus du financement public, de l'argent des contribuables, que des revenus publicitaires. À cette époque l'année prochaine et une fois disparus les revenus publicitaires de la LNH, 80 p. 100 des dépenses du service de télévision anglaise de CBC seront assumées par les deniers publics et seulement 20 p. 100 par les revenus publicitaires.

Malheureusement, depuis 15 ans, nous avons cette stratégie qui consiste à tirer un maximum de revenus aux dépens de la qualité de la programmation, ce qui ne va pas vous valoir un million de téléspectateurs ou même un demi-million; vous risquez d'en avoir 200 000 ou 300 000. C'est quand même une audience énorme et ces 200 000 ou 300 000 téléspectateurs pourront vivre les mêmes sensations que procure American Experience ou le bulletin de nouvelles du soir sur PBS. Ce bulletin n'a pas le même taux d'écoute aux États-Unis que celui d'ABC, de NBC ou de CBS, mais il est quand même suivi par un auditoire conséquent, car on reconnaît qu'il s'agit là de quelque chose de différent de ce que l'on voit sur la télévision commerciale.

Le sénateur Greene : J'ai l'impression que si la CBC veut survivre, ou si elle veut maintenir son financement public, ce qui revient à peu près au même, elle devra offrir quelque chose de différent des autres réseaux commerciaux. Êtes- vous d'accord avec cela?

M. Kiefl : Tout à fait. C'est pourquoi la radio de la CBC est une telle réussite. Aucun autre service de radio ne lui ressemble. Il y a quelques autres postes de radio qui offrent des débats radiophoniques. Ici, à Ottawa, nous avons CFRA et une chaîne qui diffuse uniquement des nouvelles. Ces deux postes offrent un service précieux à leur auditoire. L'auditoire de la radio de la CBC à Ottawa et dans la plupart des communautés du pays est remarquablement vaste, très important et incroyablement loyal.

Vous avez demandé si la CBC survivra. Elle existe depuis près de 75 ans et continuera d'exister encore pendant de très nombreuses années. Ce qu'il faut, c'est déterminer le genre de poste que nous voulons, plutôt que de se demander si elle va survivre. La société dispose d'une base de soutien.

Si pour une raison quelconque un gouvernement — et je ne parle pas d'un gouvernement en particulier — décidait de se défaire de la radio de la CBC, je crois qu'il y aurait une levée de boucliers. Ce gouvernement verrait que c'est une mesure très impopulaire.

Le sénateur Greene : Cela dépendrait en fait de l'opinion de la population au moment où cette mesure est prise. De moins en moins de gens se soucient de la CBC. C'est en partie une question de génération. Pourriez-vous commenter l'aspect générationnel de la loyauté?

M. Kiefl : Il est certain que les jeunes ont une attitude différente à l'égard de la CBC. Nous vous avons fourni une ou deux constations, tirées de notre enquête annuelle sur les tendances des médias, que nous menons maintenant depuis 10 ou 11 ans. Ces résultats montrent que les Canadiens accordent de l'importance à la CBC.

Permettez-moi de souligner que lorsque nous faisons des enquêtes sur les médias, nous ne faisons pas comme s'il s'agissait d'un sondage politique dans lequel on ne pose de questions que sur un seul parti. Dans un sondage politique, on demande aux gens quel parti ils appuient parmi tous les partis. Quand nous faisons une enquête au sujet de la CBC, nous posons des questions sur tous les autres services de télédiffusion également.

L'un des résultats les plus intéressants sur l'importance que le public accorde à la CBC, c'est qu'au lieu de demander simplement aux gens leur opinion, nous leur demandons s'ils seraient prêts à payer pour le service et nous leur fournissons une liste d'environ 100 services de télédiffusion. Personne ne peut déterminer que l'enquête porte sur une seule chaîne, et ce n'est pas le cas. Il s'agit d'un sondage multi-intérêts, comme les sondages BBM, que différentes chaînes peuvent acheter ou non. D'ailleurs, je vous signale que la CBC ne l'achète pas.

Dans huit ou neuf de ces enquêtes, nous avons demandé aux gens s'ils seraient prêts à payer 50 ¢ de plus pour leur service actuel de câble ou de satellite. Dans le sondage le plus récent, la CBC s'est classée au premier rang parmi 100 chaînes. Les gens accordent de la valeur au service de télédiffusion, même s'il traverse des périodes difficiles.

Le sénateur Greene : Dans vos remarques préliminaires, vous avez dit que vous ne recommandez pas le modèle de la PBS pour le Canada. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi ou nous dire les raisons pour lesquelles ce modèle serait ou ne serait pas applicable?

M. Kiefl : J'ai dit que PBS pourrait être un modèle, mais que ce n'est pas un modèle qu'il faudrait reproduire. L'une des raisons est que PBS est déjà largement diffusé au Canada. Ce que nous devrions imiter, c'est son approche à l'égard de la publicité. Le modèle d'affaires que la télévision de la CBC a essayé de mettre au point pendant de nombreuses années ne fonctionne plus, comme le montre manifestement la perte des recettes provenant de la publicité associée au hockey.

La SRC devrait abandonner les publicités et s'organiser financièrement pour pouvoir se retirer du secteur de la publicité. Évidemment, cela apporterait des économies évidentes, entre autres. Si on n'a pas de publicité, on n'a pas besoin de division des ventes.

Ne pas avoir de publicité, c'est essentiel, comme à PBS. Avoir des entrevues réfléchies, des entrevues en profondeur comme celles qui se font quotidiennement à PBS et qui n'essaient pas de prendre au piège l'invité a une grande valeur.

La CBC, dont on a surtout parlé dans cette discussion, a beaucoup à apprendre de la télévision française. Je suis certain qu'un bon nombre d'entre vous regardez la chaîne des nouvelles de la CBC et il est probable que beaucoup d'entre vous regardez aussi RDI. Il y a une différence claire entre les deux services. RDI comprend une qualité visuelle. Ce réseau a intégré une grande partie de ce qui se fait à la télévision française en matière d'animateur. Ce ne sont pas que des têtes parlantes; c'est un genre différent d'émission.

En France, les émissions-débats sont perçues comme l'une des formes les plus élevées de télévision, et je pense que Radio-Canada a été en mesure de développer cet aspect. Tout le monde en parle, par exemple, est comme un événement sportif. Je pense que la CBC pourrait examiner le genre de choses qui se fait à Radio-Canada pour voir si certaines des mêmes techniques utilisées à la télévision française pourraient l'être à la télévision anglaise.

Par ailleurs, en ce qui concerne les séries dramatiques de qualité, une bonne partie des séries de haute qualité que l'on voit à PBS sont des émissions britanniques. On dit parfois que PBS est surtout une chaîne britannique. Lors d'une réorganisation, la SRC pourrait se pencher sur certaines de ces productions britanniques de haute qualité.

Il n'y a pas si longtemps, la CBC avait décidé qu'elle avait besoin d'un soap opéra britannique quotidien, et il connaît beaucoup de succès. C'est l'une des émissions qui en connaît le plus. Je veux parler de Coronation Street. C'est parfois l'émission qui obtient les plus grandes cotes d'écoute pendant l'été.

Le sénateur MacDonald : Monsieur Kiefl, merci. Je suis désolé d'être arrivé un peu en retard, mais j'ai lu votre exposé.

Je ne suis pas surpris de lire que la radio de la CBC réussit mieux à maintenir ses parts de marché que la télévision de la CBC, et cela m'intéresse. Je suis de cette génération, comme la plupart des gens autour de la table. Même si la télévision de la CBC m'exaspère de plus en plus, j'ai une certaine empathie historique envers elle. Quand j'étais jeune, c'était la seule chaîne de télévision et elle représentait notre pays.

J'aimerais savoir pourquoi vous pensez que la radio de la CBC a mieux réussi à conserver ses parts de marché dans un environnement où il y a beaucoup de chaînes de radio, comparativement à la télévision de la CBC qui continue à perdre des parts de marché depuis 40 ou 50 ans.

M. Kiefl : Je commencerai en parlant de la télévision de la CBC. Si on retourne à 1952, lors du lancement de la télévision de la CBC, jusqu'en 1960, pendant près d'une décennie, la télévision de la CBC avait presque tout le marché pour elle. Il y avait quelques stations de Buffalo ou d'autres stations américaines qui diffusaient à Montréal, mais en gros, la télé de la CBC était le seul service de télévision et on pourrait presque dire qu'elle détenait 100 p. 100 des parts de marché. Cependant, une grande partie de ces parts ont été obtenues grâce à des émissions comme Ed Sullivan, le baseball de la ligue majeure et le football de la NFL. La CBC a diffusé le football de la NFL pendant de nombreuses années. Il y avait beaucoup de contenu américain. Au cours des 50 dernières années, il y a eu une croissance impressionnante du contenu américain disponible, mais il n'est pas disponible à la CBC. Avant, la CBC a connu du succès en transmettant des émissions américaines. Mais maintenant, elle doit faire concurrence à ces émissions.

Il y a un chiffre dans le document que j'ai fourni au comité qui dit tout au sujet des difficultés de la télévision de la CBC à réussir. J'ai lancé l'idée — que vous pourrez examiner — d'une redevance spéciale qui irait à la télévision canadienne privée et publique pour améliorer la qualité des séries dramatiques canadiennes et des autres émissions. La télévision canadienne, publique et privée, trouve si difficile de faire concurrence à la télévision américaine à cause de ce chiffre, 165 milliards de dollars. C'est le revenu provenant de la télévision américaine — pas seulement des émissions, mais il peut servir à des fins de comparaison. Il s'agissait de 165 milliards de dollars en 2011, et cela comprend les revenus de publicité, le montant payé par les abonnés du câble pour les chaînes spécialisées et le petit montant donné par le gouvernement américain à PBS.

En comparaison, les revenus de télévision canadienne-anglaise et française sont d'environ 7 milliards de dollars. Enlevons la télévision française, il reste environ 5 milliards de dollars pour la télévision anglaise. On compare donc 165 milliards de dollars de revenus par année à 5 milliards de dollars. Comment faire concurrence à tout l'argent disponible pour réaliser les idées créatrices qui viennent d'Hollywood et du reste de l'industrie américaine?

La radio n'a pas du tout à faire de la concurrence au contenu américain. C'est un secteur entièrement national. Il y a quelques stations de Buffalo qui ont un auditoire à Toronto, et quelques stations de Montréal qui ont un auditoire à Montréal, mais il s'agit d'un secteur canadien.

Le modèle des années 1970 utilisé à la radio de la CBC a été détruit. Ce modèle comprenait d'excellentes émissions canadiennes, mais aussi Jack Benny et toutes sortes de séries dramatiques américaines que l'on entendait dans les années 1940 et 1950. Ce modèle a été éliminé et on a utilisé un nouveau modèle plus local.

D'abord, à la radio, il faut être local.

Les émissions locales du matin aux stations de radio de la CBC obtiennent de 20 à 25 p. 100 des parts du marché. Quinze ou vingt autres stations se font concurrence pour les 75 p. 100 qui restent. Les émissions sont locales et fournissent des nouvelles et des informations sur la collectivité qu'on ne trouvait pas ailleurs. La plupart des stations de radio privées ont très peu d'argent pour les nouvelles ou pour rassembler les informations.

Le sénateur MacDonald : Ce sont toutes des choses préparées d'avance.

M. Kiefl : Ce sont toutes des choses préparées d'avance. De nombreuses stations ne sont qu'un ordinateur à Hamilton qui nourrit toutes les stations au pays. J'exagère; je ne sais pas vraiment où se trouve le serveur, mais voilà ce que sont les radios privées. En gros, c'est une façon de diffuser de la musique. C'est quand même utile.

Peut-être l'un des services les plus utiles de la radio privée, c'est la publicité. On peut savoir qu'elles sont les soldes offertes dans la collectivité, comme les soldes de Loblaws, et cetera. On peut aussi y entendre la circulation et la météo.

La radio de la CBC était locale et fournissait de l'information détaillée. Au cours des cinq dernières années, la radio anglaise de la CBC a réduit son personnel de 20 p. 100, la télévision de la CBC n'a pas connu de telles réductions. Si on enlève du personnel aux stations de radio, c'est-à-dire les journalistes, les analystes, et les autres — les gens qui la plupart du temps étaient à la recherche des nouvelles, parlaient avec les journalistes locaux, rassemblaient les informations sur la collectivité et offraient un réel service à celle-ci. Évidemment, la radio de la CBC a été en mesure de produire beaucoup d'émissions nationales, un peu de comédie et des émissions de variétés. C'est un pot-pourri de différentes sortes d'émissions qui, surtout parce qu'il n'y a pas de publicité, attirent l'auditoire.

Le sénateur MacDonald : Je vais continuer à parler de la radio. Quand je regarde les chiffres ici, je trouve troublant que la CBC saigne la radio de la CBC, qui est un secteur gagnant relativement, pour renflouer la télévision qui, selon tous les critères, est un secteur perdant. À quoi pense-t-on lorsqu'on prend de telles décisions?

La SRC, que j'aimerais appuyer, a trois administrations centrales : une à Toronto, une à Montréal et une ici. J'ai trouvé cela curieux quand vous avez mentionné que le président de la SRC ne vit pas à Ottawa. Je pense que c'est un problème à long terme. Comment une société qui a trois administrations centrales, avec tous les locaux que cela suppose, peut-elle dépenser intelligemment son argent?

Vous dites que la télévision de la CBC doit faire les choses différemment, mais peut-être qu'elle ne le peut pas. La plupart des chaînes qui sont apparues au cours des 20 dernières années sont des chaînes spécialisées qui visent un certain public et génèrent des revenus. C'est comme pour les magasins généraux. Eaton et Simpson étaient des magasins généraux qui avaient quelque chose pour tout le monde, mais maintenant ils n'ont plus rien parce qu'ils n'arrivaient pas à être attirants pour tout le monde. On dirait que la télévision de la CBC devient un magasin Eaton ou Simpson.

M. Kiefl : Exact. J'ai vu que Zellers ouvrait à nouveau certains de ses magasins.

Le sénateur MacDonald : J'aimerais connaître votre point de vue, mais je pense que la CBC est responsable de la plupart de ses malheurs.

M. Kiefl : Pour ce qui est de la radio, je pense que vous avez raison. Mais si on se met à la place des gestionnaires, ils se retrouvent avec des choses qu'on a contresignées il y a six ans avec la LNH. Ils ne peuvent pas l'annuler, à tout le moins, je ne pense pas qu'ils puissent le faire. C'est un engagement. Coûte que coûte, ils doivent trouver de l'argent pour payer ce contrat avec la LNH. Ils cherchent de l'argent et voient que la radio connaît du succès. Voilà peut-être ce qui se passe dans les coulisses. Si on lui prend un peu d'argent sur une période de cinq ans, cela ne fera pas une grande différence. Au bout du compte, l'auditoire de la radio n'a pas diminué, mais je pense que la qualité des émissions a diminué. La prochaine chose qui diminuera sera l'auditoire.

Le sénateur MacDonald : Mais un peu d'argent pour la télévision de la CBC, c'est beaucoup d'argent pour la radio de la CBC.

M. Kiefl : Oui, et je pense que c'est 50 millions de dollars. L'année dernière, en 2013, cela ne s'est pas poursuivi. La ponction s'est arrêtée parce qu'on a commencé à en parler. Le journaliste Chris Cobb, de l'Ottawa Citizen a rédigé un excellent article à ce sujet. J'encourage les analystes à le consulter. Il a été publié il y a six mois. Il m'a probablement appelé sept ou huit jours de suite pour aller au fond des choses. Il a discuté avec la CBC, l'a rencontré, et cetera.

Au bout du compte, il a fait quelque chose d'inhabituel pour un journaliste — et c'est un journaliste de premier ordre. Il a décidé de ne pas inclure le point de vue de la CBC dans l'article parce que la société répondait toujours de façon évasive et essayait de dire qu'il n'y avait pas vraiment de compressions au service de la radio. En fin de compte, son opinion était que les compressions existent, mais que la société ne l'admet pas.

Cela fait partie du problème. Lorsque la SRC comparaît devant vous — et ce n'est pas la première fois que je le constate; ça s'est produit au cours des années précédentes — elle dit que tout va bien; que même à la télévision de la CBC, il n'y a pas de problème; qu'elle rejoint 75 à 80 p. 100 de l'auditoire; et que sa part de l'auditoire est la même qu'il y a 10 ans. On ne semble pas être prêt à admettre qu'il y a un problème et faire ce qu'il faut pour le régler.

Quand on regarde les quatre services principaux de la SRC, la télévision française connaît toujours un bon succès, comme vous le savez sûrement; et la radio française a accru son auditoire au cours de la dernière décennie. La radio anglaise — pas la Radio 2, mais la Radio 1 — a aussi accru son auditoire. Le service qui connaît des difficultés, c'est la télévision anglaise, mais on ne veut pas le reconnaître.

C'est peut-être une question politique. On craint qu'admettre le problème, c'est reconnaître qu'on n'est pas compétent ou qu'on ne peut pas se débrouiller avec le budget dont on dispose, et cetera.

En fouillant dans de vieux dossiers, j'ai trouvé un dépliant, deux en fait, datant du 50e anniversaire de la SRC en 1986. On trouve dans ces dépliants tous les arguments que l'on voit dans les documents de promotion d'aujourd'hui, on dit que tout va bien, que tout est fantastique, même la fameuse somme de 34 $ par année. À l'époque, on parlait de neuf sous par jour. Le Canadien moyen ne payait que neuf sous par jour, soit environ 30 $ par année. C'était bien à l'époque — comparativement au coût d'une tasse de café ou d'un billet d'autobus; c'était une bonne affaire. Maintenant, le problème financier de la télévision anglaise est devenu si grave que la société s'est mise à prendre l'argent de la radio de la CBC.

Dans ce dépliant, tous les arguments sont les mêmes, sauf qu'il y a un petit tableau qui démontre la part d'auditoire de la télévision de la CBC. À l'époque, cette part était de 20 p. 100, comparativement à 5 p. 100 aujourd'hui. On est incapable d'accepter que la télévision de la CBC a été acculée à n'être plus qu'un créneau. Il lui reste encore deux grands atouts, dont le hockey de la LNH. Cela reste un élément important de la programmation d'automne, mais, comme je l'ai dit, l'émission perdra des auditeurs parce qu'elle fera concurrence à beaucoup d'autres émissions de hockey qu'elle ne veut pas concurrencer.

Le sénateur MacDonald : La SRC a beaucoup d'infrastructures au Canada, des tours, des édifices. Elle a aussi une marque. C'est une marque très ancienne, bien établie, et la marque de commerce est importante. Est-il temps pour nous de garder la radio de la CBC, de la renforcer, et de vendre la télévision de la CBC, la privatiser, laisser le secteur privé prendre possession de ses actifs pour voir ce qu'il peut en faire?

M. Kiefl : Je dirais non, pas encore. Il faut donner à la télévision de la CBC l'occasion d'utiliser les ressources qu'elle a, et espérons que votre comité peut trouver une façon de recommander une augmentation du financement qui pourra peut-être être dirigé vers le service de la télévision anglaise de la CBC qui est dans une situation financière catastrophique.

Je pense qu'il serait sage de permettre au Canada de voir ce qu'un service de télévision de la CBC sans publicité et mieux dirigé pourrait être. Je pense que ceux qui ont créé la radio de la CBC il y a plus ou moins 40 ans pourraient trouver quelque chose d'assez intéressant pour la télévision également.

On a fait allusion aux tours, et j'ai souri, car cela m'a rappelé des discussions entendues à la Société Radio-Canada il y a 30 ans, et de nouveau il y a 20 ans. Il a toujours été question des tours et du système de radiodiffusion. Je ne sais pas si la SRC l'a dit dans son exposé, mais une chose que les gens oublient, c'est qu'elle a déjà possédé plus de 600 émetteurs. Il y a deux ans, le nombre est tombé à 27. La SRC a arrêté d'utiliser les émetteurs analogiques, et ne compte plus que sur 27 émetteurs numériques. Par conséquent, de nombreuses localités ne peuvent plus syntoniser la SRC au moyen d'ondes radio. Je crois que c'est le cas de toutes les villes de moins de 200 000 habitants. Cette orientation a été adoptée il y a deux ans. Si je me souviens bien, selon les documents de la société, ces changements allaient entraîner 10 millions de dollars d'économie sur une base annuelle. Voilà une de ces techniques de survie.

Dans le cas de nombreuses tours — je ne sais malheureusement pas combien il y en a — je serais prêt à parier que presque toutes ces tours accueillent un émetteur dont la SRC a véritablement besoin, soit l'émetteur radio.

J'ai récemment écrit qu'il y avait environ 100 millions de radios en utilisation au Canada à l'heure actuelle : 100 millions. On en trouve dans les voitures, les camions, les bureaux, les foyers et ainsi de suite. Très peu de ces appareils sont équipés pour syntoniser autre chose que des ondes radio. La radio est un média d'ondes, d'émetteurs. À l'occasion, quand j'ai raté une émission, je syntonise, sur mon iPad, la station de radio de la SRC de Vancouver afin de pouvoir écouter l'émission quelques heures plus tard, mais c'est rare. La plupart des gens syntonisent la radio grâce à ces 100 millions d'appareils en circulation, et si les tours de radiodiffusion arrêtaient de fonctionner, la SRC devrait trouver un autre moyen de transmettre son signal. Il faudrait poser la question à un ingénieur de la SRC.

Le vice-président : J'aimerais saisir l'occasion pour rappeler à ceux qui nous écoutent que nous poursuivons l'étude des défis que doit relever la Société Radio-Canada en matière d'évolution du milieu de la radiodiffusion et des communications, et qu'il s'agit évidemment du Comité sénatorial permanent du transport et des communications. Je vous rappelle également que nous accueillons aujourd'hui Barry Kiefl, président de Canadian Media Research Inc.

[Français]

La sénatrice Verner : D'abord, je vous prie de m'excuser, je suis arrivée quelques minutes en retard. J'ai donc manqué le début de votre présentation, mais je me suis rattrapée à la lecture. J'ai lu, dans votre blogue, que vous aviez une relation contractuelle avec le Sénat du Canada; de quoi s'agit-il au juste, par curiosité?

[Traduction]

M. Kiefl : C'était il y a plusieurs années. CPAC était un de mes clients, et je tenais des discussions avec des membres de personnel du Sénat en plus de régulièrement produire un rapport sur l'auditoire des comités sénatoriaux télévisés par CPAC. J'ai fait cela pendant quelques années. J'y ai pensé lors de vos séances avec le sénateur Duffy et les autres. J'ai pensé à quel point CPAC aurait aimé pouvoir filmer ce comité.

[Français]

La sénatrice Verner : Ce n'est pas l'essentiel des questions que je voulais vous poser, c'était simplement par curiosité.

Je voudrais revenir, puisque vous l'avez évoqué et également parce que ça a été évoqué lors de témoignages d'autres témoins, à la performance qui est nettement différente entre le réseau français et le réseau anglais de Radio-Canada.

Évidemment, chiffres à l'appui, on a pu noter que le réseau français s'en tire véritablement beaucoup mieux que le réseau anglais. Cependant, pour affronter l'avenir et les défis technologiques, diriez-vous que le réseau français est mieux préparé que le réseau anglais?

[Traduction]

M. Kiefl : Je crois que la situation du service en langue française de la Société Radio-Canada est bien différente. L'industrie télévisuelle de langue française au Canada ressemble à celle de nombreux pays européens, où il y a beaucoup moins de fragmentation. Quant au nombre de grands télédiffuseurs en langue française, il y en a quatre — TVA, deux autres stations privées et Radio-Canada — en plus d'une sélection de 30 à 40 canaux spécialisés.

La situation en Europe est fort semblable. On trouve habituellement un grand radiodiffuseur public, et, parfois, un grand radiodiffuseur privé qui, pris ensemble, ont une très grande part du marché; c'est le cas, notamment, de Radio- Canada et TVA. Ensemble, ces deux diffuseurs comptent pour 50 p. cent de tout le marché télévisuel francophone.

Dans le cas du marché anglophone, CBC, CTV et Global pris ensemble représentent 25 p. 100 du marché à tout casser.

Plusieurs raisons expliquent cette différence. Entre autres, la plus faible concurrence. La plupart des foyers ne reçoivent que 40 ou 50 chaînes, au lieu de plusieurs centaines.

De nombreux foyers québécois ne sont équipés ni de télévision par câble, ni par satellite, et sont satisfaits des chaînes qu'ils ont. C'est la même chose en Europe. Ils sont satisfaits des émissions par ondes radio, car les diffuseurs offrent une programmation variée et de grande qualité. TVA et Radio-Canada offrent un produit d'une qualité telle que, selon moi, c'est la raison pour laquelle ils se trouvent en meilleure posture, et n'ont pas à faire face à autant de concurrents.

Le problème d'accès au marché francophone est la taille de la population qui, manifestement, ne peut pas soutenir un nombre infini de chaînes. Je crois que c'est en partie vrai dans le cas du Canada anglais. Dans les secteurs télévisuels anglophones, de nombreuses chaînes spécialisées connaissent des difficultés, ont très peu de téléspectateurs et, comme le choix des consommateurs prend de plus en plus d'importance, nombre de ces chaînes anglophones risquent de disparaître.

Je crois que Radio-Canada semble encore être en position de force.

Quand je dis que l'auditoire de CBC/Radio-Canada était dans la vingtaine il y a 25 ans, le service télévisuel francophone jouissait d'un plus grand nombre de téléspectateurs que maintenant, mais il représente quand même encore une bonne partie du marché.

Je n'ai pas fait le même genre de comparaison qu'entre les services radiophoniques et télévisuels en anglais de la CBC. Le nombre d'heures de syntonisation de Radio-Canada par les Canadiens francophones est encore très considérable. J'ai parlé d'une soixante-dizaine d'heures du côté anglophone. Il s'agit probablement plutôt de 150 à 200 heures par année pour Radio-Canada.

[Français]

La sénatrice Verner : J'ai lu dans un article que le financement entre Radio-Canada anglais et Radio-Canada français devrait refléter le pourcentage de la population canadienne. Présentement, le réseau anglais capture 60 p. 100 du budget de Radio-Canada, et le réseau français, 40 p. 100. Comme vous avez déjà travaillé à la CBC, je présume que vous pouvez très bien imaginer les réactions si le budget de Radio-Canada français était amputé pour accroître le budget de Radio-Canada anglais?

[Traduction]

M. Kiefl : Je me souviens qu'au sein même de la société Radio-Canada/CBC, c'est un sujet pratiquement tabou, dont personne ne veut discuter. Ça serait fort intéressant. En fait, les données financières publiées en 1985 ou 1986 semblaient montrer un rapport un tant soit peu différent, il me semble que le service anglais était plus avantagé il y a 25 ans.

Ron Devion, ancien responsable des sports et directeur régional à la société Radio-Canada, a publié un livre très intéressant dans lequel il décrit comment les anglophones se présentaient au siège social de la société avec des carnets de planification, des études à l'appui afin de revendiquer leur part du budget. Du côté français, en revanche, le vice- président se rendait à Ottawa et invitait le président à déjeuner, ou encore à dîner, trouvait le moyen de tout négocier, et cela semblait fonctionner.

Il serait très tentant de dire qu'au fond Radio-Canada reçoit une trop grande part du gâteau, mais, d'un autre côté, peut-être que le service francophone reçoit le financement approprié pour le travail accompli, et que c'est plutôt le service anglophone qui ne reçoit pas suffisamment de financement. Je ne sais pas s'il serait avisé de réduire le budget d'un service qui fonctionne bien pour tenter de renflouer un service défaillant. Il vaudrait peut-être mieux tenter de trouver les ressources nécessaires. Je ne dis pas qu'aucun gain d'efficacité est possible du côté de Radio-Canada. Comme je l'ai dit, c'est un sujet que tous tentent d'éviter.

Parlant de tours et d'émetteurs, la Société Radio-Canada possède des émetteurs qui desservent de très petites communautés francophones à Calgary, Edmonton et Vancouver. Ces émetteurs sont-ils véritablement nécessaires compte tenu de la très petite taille de l'auditoire de ces chaînes? Ne s'agit-il pas là d'une bonne occasion d'offrir des services de distribution par câble et par satellite au moyen d'Internet? Je ne sais pas si cela permettrait de réaliser d'importantes économies, mais il vaudrait la peine d'y regarder de plus près.

Une des sénatrices, la sénatrice Marie Charette-Poulin, travaillait à la SRC par le passé. À l'époque, elle m'avait demandé de produire des données faisant état d'un auditoire des services de la SRC partout au pays. Mais peu importe comment nous nous y prenions — et je suis plutôt doué pour trouver des moyens efficaces d'effectuer de la recherche — il aurait fallu dépenser des millions de dollars pour tenter de civiliser l'auditoire des services français en contexte majoritairement anglophone. C'était à l'ère des cassettes vidéo, et quelqu'un avait lancé, à la blague, qu'il reviendrait moins cher de faire parvenir des cassettes vidéo à chaque auditeur. Je ne dis pas qu'il faille éliminer le service, mais maintenant que nous disposons de nouvelles technologies, il y aurait peut-être moyen de l'assurer avec plus d'efficience.

Je crois avoir entendu Richard Strusberg témoigner devant le comité, et l'une des seules idées qu'il a fait valoir avec lesquelles je suis d'accord est celle d'un plus grand partage entre les services anglais et français. Je vous ai déjà dit que RDI était un service de qualité exceptionnelle, qui obtient une part considérable du marché. Les chiffres présentés par la société Radio-Canada concernaient les heures de grande écoute, ce qui a pour effet de minimiser l'importance de RDI. Sa part du marché est beaucoup plus importante pendant les autres plages horaires, et sur une journée entière la part du marché total revenant à RDI s'élève à près de 3 p. 100, ce qui n'est pas loin derrière CBC qui compte pour 5 p. 100 du marché.

[Français]

La sénatrice Verner : En novembre 2013, vous avez proposé, sur votre blogue, deux mesures dans le but de résoudre le sous-financement du système canadien de radiodiffusion, plus particulièrement de Radio-Canada, afin d'accroître la production de contenu canadien de qualité.

Il s'agit, d'une part, d'un permis familial de télévision annuel de 240 dollars ou, d'autre part, d'une taxe corporative de 7 p. 100 imposée à toutes les sociétés de radiodiffusion, de câblodistribution et de télécommunication, qui générerait environ 3 milliards de dollars par année.

Ma question, je vous la pose au nom de millions de familles canadiennes qui dépensent quand même déjà plusieurs milliers de dollars par année pour des services de câblodistribution, d'internet, de téléphone sans fil : Dans le contexte économique actuel, comment croyez-vous que ce fameux permis familial de télévision annuel pourrait être mis en œuvre?

[Traduction]

M. Kiefl : Oui, les données que j'ai étudiées et sur lesquelles est fondée cette proposition, par exemple l'entente Rogers LNH, montre une croissance étonnante des recettes des entreprises de distribution par câble et par satellite, ainsi que des entreprises en télécommunications. CBC Radio-Canada reçoit une subvention annuelle d'environ 1 milliard de dollars et, comme je l'ai dit, ses revenus totaux s'élèvent à 7 milliards de dollars par année, soit la subvention et les chaînes spécialisées. Tous les revenus des services français et anglais totalisent environ 7 milliards de dollars.

Quant aux recettes des entreprises des distributions par câble et par satellite, elles sont passées — si ma mémoire est bonne — de quelque 3 milliards de dollars il y a trois ans à 15 milliards de dollars. Elles ont quintuplé en 15 ans. Mais les recettes des chaînes de télévision traditionnelles et de la Société Radio-Canada sont restées les mêmes. Les recettes des chaînes spécialisées ont augmenté, mais la croissance du volet télévisuel de notre système n'a rien à voir avec celle de la distribution, dont les recettes ont quintuplé.

Si l'on tient compte du secteur des télécommunications dans son ensemble, pas seulement de la distribution par câble et par satellite, mais également des services mobiles, des téléphones intelligents, et des téléphones résidentiels, les recettes totales de toutes les entreprises en télécommunications au Canada — Bell, Rogers, Vidéotron, et cetera, s'élèvent à près de 45 milliards de dollars. Voilà où s'en vont les milliers de dollars que dépensent les familles chaque année, principalement dans le système de distribution. De leur côté, les producteurs de contenu du secteur n'engrangent pas le même genre de recettes.

J'ai parlé d'une espèce de frais de permis, mais les gens n'aiment l'idée d'un permis, donc il vaudrait mieux l'appeler un frais de programmation. Il faudrait mettre en œuvre un frais de programmation. Dans cinq des pays du G7, les foyers paient un frais de programmation qui est perçu de plusieurs façons. En Grande-Bretagne, par le passé, c'était le bureau de poste qui s'en chargeait; maintenant, c'est la BBC elle-même qui s'en occupe. Dans certains pays, c'est le fournisseur d'électricité qui perçoit le frais de programmation télévisuelle. Tous les foyers reçoivent des factures d'électricité, donc si le frais y est inclus, il faut le payer.

Je cherche un moyen de rediriger une partie de l'argent récupéré par le système de distribution, qui a grandement enrichi bon nombre de personnes, et bon nombre d'investisseurs également. Le volet distribution du secteur brasse énormément d'argent. On pourrait en rediriger une partie vers le volet production de contenu.

Nous savons que les Canadiens sont prêts à délier les cordes de leur bourse. Vous avez parlé de milliers de dollars. J'ai récemment calculé que chaque ménage a dépensé un peu plus de 3 000 $ par année, en moyenne, en services de communication. On consacre à la Société Radio-Canada, par ménage, moins de 100 $. De nos jours, les ménages sont prêts à débourser énormément d'argent pour les services de communication.

Comme les gens sont prêts à payer, je crois que si l'on s'y prenait de la bonne manière, si les gens en retiraient quelque chose, par exemple une amélioration de la programmation, je crois qu'ils seraient prêts à envisager cette possibilité.

La sénatrice Verner : Comme je l'ai dit plus tôt, il s'agit de moins de 9 cents par jour.

M. Kiefl : De nombreuses années plus tard, il ne s'agit encore que de 9 cents par jour.

Dans mon blogue et dans l'analyse que je vous ai présentée, je cherche à faire valoir qu'énormément d'argent circule dans le système mais qu'une très petite proportion est consacrée à la programmation, au contenu. Pour pallier ce problème, sans imposer une taxe directe au consommateur — et je le répète, je ne suis pas fiscaliste — on pourrait peut- être augmenter l'impôt des entreprises de télécommunication. Il est vrai que cet argent serait retranché des profits de ces dernières, et qu'elles tenteraient peut-être de refiler une partie de la facture aux consommateurs, mais il faudrait envisager la possibilité d'augmenter le taux d'imposition des sociétés de télécommunication.

L'entente Rogers-LNH en est la preuve. Il ne s'agit pas d'une entente télévisuelle, mais plutôt d'une entente de télécommunication. Ils la vendront grâce à des campagnes publicitaires. Rogers engrangera des profits grâce à des publicités sur CityTV, sur CBC-TV, grâce aux frais d'abonnement des chaînes spécialisées, ainsi que par Internet. Les consommateurs pourront se connecter sur leur IPad, et payer pour avoir accès, par exemple, à un certain nombre de parties et à tout ce qui sera offert par les diverses entreprises. Il s'agit là d'une entente de télécommunication.

Les données que je vous ai présentées montrent que l'entreprise indépendante comScore surveille le nombre d'utilisateurs d'Internet au Canada, et montre une forte tendance à la hausse de l'écoute de vidéos en ligne. Un grand nombre de vidéos sont présentées de cette manière, circulent sur les réseaux de Rogers et Bell, mais on n'exige de personne de faire sa part pour le secteur. Tout cela évolue à l'extérieur du système réglementaire. Le CRTC ne régit ni Netflix, ni les autres services du genre. Pour veiller à ce que ces entreprises soient mises à contribution, il faudrait imposer une forme de frais de programmation, ou encore d'impôt aux sociétés comme Bell et Rogers, afin de les intégrer au système. Ces entreprises en tireraient elles-mêmes profit, car elles possèdent bon nombre des services télévisuels vers lesquels cet argent serait redirigé.

Le vice-président : J'aimerais me prévaloir du privilège de la présidence et poser moi-même les questions qui lanceront la deuxième série de questions. J'ai écouté avec attention votre exposé au début de la séance de ce soir. Une bonne partie de vos propos font écho aux témoignages que nous avons entendus à ce jour, et les renforcent.

La semaine dernière, nous nous sommes rendus dans l'Ouest canadien dans le cadre d'une mission exploratoire. Nous avons discuté avec des intervenants ainsi que des représentants de la SRC, des diffuseurs privés dans l'industrie, de même que des amis et des ennemis. Tous ont semblé recenser une longue liste de ce que la SRC devrait faire et qu'elle fait déjà dans une certaine mesure. Or, on n'est jamais capable de relever un seul élément pour dire : « Voici ce qu'ils font, ils le font bien, ils y excellent. »

La SRC est le seul diffuseur à faire la promotion de films canadiens, mais elle n'en fait pas suffisamment ou elle en fait moins. S'agissant de la promotion des nouvelles locales, si vous êtes un francophone manitobain vivant à St. Boniface, vous vous direz : « C'est ma seule option ici, nous avons absolument besoin de la SRC. Toutefois, les émissions locales ne représentent qu'une heure de diffusion par jour ici à St. Boniface, donc ils devraient accroître ce type de contenu au lieu de le diminuer. »

Il y a une très grande liste de tous les éléments qui, traditionnellement, représentaient la SRC, société qui, d'après la Loi canadienne sur la radiodiffusion, doit faire la promotion de la culture et du contenu canadiens. Je suis d'accord avec vous; en général, d'après ce que les gens nous disent, et nous n'en sommes qu'aux balbutiements de cette étude, la SRC constitue une institution dont nous avons tous besoin. Même si l'étude ne fait que commencer, nous entendons continuellement cette remarque.

Toutefois, tout le monde s'entend pour dire — et vous l'avez dit vous-mêmes ce soir — qu'il nous faut définir le type de SRC dont nous voulons nous doter. La question suivante doit être posée : de quel type de SRC avons-nous besoin?

Jusqu'à présent dans le cadre de cette étude, j'en suis arrivé à la conclusion que même si tout le monde s'entend sur les mêmes faits, il semble y avoir un thème récurrent : la SRC fait un très bon travail dans le domaine des nouvelles, du reportage d'enquête et de la diffusion de nouvelles chaudes à l'échelle tant locale que nationale et internationale. En étudiant de plus près la SRC, aussi bien chez les cadres intérimaires que dans la haute direction, on en arrive lentement à la conclusion que la vaste majorité des ressources budgétaires sont consacrées à la production de nouvelles.

Le préambule comporte quelques questions. Tout d'abord, quel est le mandat réel de la SRC? Les nouvelles nationales et internationales diffusées sur CBC News constituent-elles vraiment du contenu canadien? S'agit-il de contenu qu'un diffuseur privé ne pourrait offrir? Ces nouvelles sont-elles produites au détriment du mandat d'origine, qui consistait à faire la promotion de la culture et du contenu canadiens, et qui devrait se traduire en films canadiens, en émissions canadiennes et en une programmation canadienne à l'image du Canada et des Canadiens? Le diffuseur d'État n'a-t-il pas consacré tous ces efforts pendant toutes ces années à la production de nouvelles, et ce, au détriment de son mandat d'origine?

Nous en sommes tous venus à la conclusion que la SRC fait du très bon travail dans le domaine des nouvelles. Récemment, j'ai vu dans un sondage que Peter Mansbridge est l'un des chefs d'antenne canadiens les plus populaires, à hauteur de 37 p. cent, et je me souviens de la société de sondage qui a lancé cette statistique, et je l'admire énormément, moi aussi. Or, je me demande constamment : « Si le réseau est si bon dans la diffusion de nouvelles, que M. Mansbridgel est si populaire et que le programme est d'une telle qualité, comment se fait-il qu'ils aient les pires cotes d'écoute au pays par rapport à leurs concurrents »? Qu'en pensez-vous?

M. Kiefl : Tout d'abord, j'espère bien voir la SRC évoluer, du moins entamer un processus d'évolution, qui serait fondé sur les nouvelles et le journalisme d'enquête. Remontons aux tous débuts de la SRC, à l'époque de sa fondation en 1930, au moment où elle était en train de s'établir. Par la suite, quand la guerre a éclaté en 1939, il est devenu évident que le principal service que la SRC allait offrir serait des nouvelles du front. C'est ce qu'elle a fait pendant la Seconde Guerre mondiale, et ce, jusque dans les années 1950, où c'est devenu très important. Dans mon exposé liminaire, j'ai dit que le bulletin de nouvelles nationales radiophonique de 22 heures — qui, par hasard, a le même créneau qu'à la télévision aujourd'hui —, remportait 50 p. 100 des cotes d'écoute. Il s'agissait d'un service très important.

Les nouvelles ont toujours été le poumon de la SRC. Il y avait sans doute d'autres types de contenu à la radio dans les années 1940 et 1950, mais les nouvelles ont toujours constitué une partie intégrante de la programmation.

Si l'on remonte au tout début de la télévision, dans les années 1960 et 1970, il s'agissait d'un nouveau média, et les nouvelles étaient importantes. On a couvert l'atterrissage sur la lune, l'assassinat du président ainsi que d'autres événements internationaux d'envergure.

Lorsque la SRC a pris un grand risque, elle a connu un tournant. En 1982, la SRC a été confrontée aux mêmes dilemmes que vous venez de décrire, car elle tirait de la patte dans les cotes d'écoute. Le bulletin de nouvelles nationales sur CBC était déclassé par rapport au bulletin de nouvelles nationales de CTV, diffusé également à 23 heures.

Dans le monde de la radiodiffusion, l'horaire importe beaucoup. Diffuser les Olympiques, c'est une bonne chose, mais pas à sept heures du matin, car ce n'est pas un bon moment pour écouter, par exemple, le match décisif pour remporter la médaille d'or au hockey. La case horaire est donc importante.

En 1982, la SRC a pris un très grand risque en produisant une émission beaucoup plus en profondeur, mais diffusée plus tôt. La CBC a lancé un bulletin de nouvelles d'une heure dans la même case horaire que l'ancien bulletin de 23 heures, si je ne m'abuse. Ce nouveau bulletin, intitulé The Journal, fut élaboré par l'un des concepteurs de l'émission radiophonique The Journal. Cette nouvelle formule a été employée jusqu'en 1992. Pendant 10 ans, ce bulletin d'une heure s'est souvent hissé parmi les 10 émissions de télévision les plus écoutées par les Canadiens anglophones; par conséquent, il constituait un service essentiel.

De nos jours, le bulletin de nouvelles nationales sur CBC est confronté au même type de situation qu'en 1982, c'est- à-dire que The National, ainsi que sa deuxième demi-heure, ne se hissent plus parmi les 10 meilleures émissions. Leurs cotes d'écoute sont inférieures à celles des bulletins précédents, et ils se retrouvent dans la même situation qu'auparavant. Encore une fois, le bulletin national de CTV attire davantage les téléspectateurs que le bulletin national de CBC.

Par conséquent, il faut agir. Peut-être qu'il faudrait revoir le concept des émissions The National et The Journal, qui se font peut-être vieillissantes. Il y a eu une évolution pour en arriver à la formule d'aujourd'hui, et je crois qu'il est juste d'affirmer que les nouvelles nationales de CBC ne sont pas ce qu'elles étaient il y a 15, 20 ou 25 ans.

Dans cette ville, les habitants aiment écouter le panel à l'émission At Issue, qui fait partie du bulletin de nouvelles nationales de CBC. La dernière fois que j'ai écouté ce segment, il a duré de 14 à 15 minutes. Pour ceux qui travaillent dans le domaine politique, c'est intéressant, car cela porte surtout sur la politique et il y a des journalistes qui expriment leurs points de vue, notamment sur des enjeux politiques.

Peut-être que la CBC devrait, si elle en avait les fonds, investir dans d'autres émissions que celles où des journalistes discutent d'enjeux politiques à Ottawa. Elle devrait produire le type d'émissions qu'elle était en mesure de faire lorsqu'elle disposait du financement de 1982 à 1992. Or, lentement mais sûrement, les ressources ont été retirées.

Si l'on regarde le budget total — et cette information est facilement accessible sur le site web du CRTC —, la somme consacrée aux nouvelles et aux émissions d'information télévisées en anglais s'élève actuellement à 200 millions de dollars. C'est ce que j'ai vu la dernière fois que j'ai consulté le site. Cela représente environ un tiers du budget. Ce ne sont pas tous les fonds qui sont consacrés aux nouvelles et à l'actualité. Des observateurs ont affirmé que dernièrement, même les bulletins télévisés de CBC commencent à ressembler un peu aux bulletins de nouvelles américains parce qu'on ne dispose plus des ressources permettant d'effectuer le même type de journalisme d'enquête qu'auparavant.

Le vice-président : Compte tenu de l'expérience que nous avons cumulée jusqu'à présent, nous pouvons en conclure que la SRC investit davantage de ses ressources dans les nouvelles par rapport aux diffuseurs privés. Vous êtes l'expert en la matière et vous avez fait des recherches sur la question. Seriez-vous d'accord pour affirmer que les Canadiens d'aujourd'hui ne s'intéressent pas autant aux nouvelles brutes qu'auparavant? Vous faites mention d'une gloire passée et d'années révolues. Bon nombre de diffuseurs privés, dans le cadre de notre mission exploratoire, nous ont donné l'impression que le public désirait des nouvelles-éclair, en quelque sorte. Les émissions les plus populaires sont celles diffusées aux heures de grande écoute, les films, les téléréalités et les émissions de sport.

Alors, voici ma question : malgré le peu d'intérêt du public à cet égard, si nous estimons avoir besoin d'un organisme qui diffuse des nouvelles nationales et internationales de qualité — et nous sommes ouverts à cet argument —, alors ne faudrait-il pas réviser la Loi canadienne sur la radiodiffusion. À l'origine, ce n'était pas le mandat de la SRC. D'après ce que j'en sais, le mandat consistait à faire la promotion de la culture et du contenu canadiens.

M. Keifl : D'après moi, si on remonte dans l'histoire, les journalistes de la SRC ont toujours eu un rôle important à jouer. Ainsi, le bulletin de nouvelles de la CBC remporte beaucoup plus de prix de l'industrie que toute autre entité du secteur privé.

Si l'on demande aux Canadiens quel réseau offre le meilleur des différentes catégories de programmation, invariablement, on nomme le bulletin de nouvelles nationales de la CBC. Malgré les épreuves traversées et les difficultés financières, les Canadiens continuent de considérer le bulletin de nouvelles de la CBC comme étant le meilleur et ils estiment que c'est la meilleure chaîne pour les nouvelles internationales présentées à la canadienne. CNN arrive nez à nez avec les bulletins de CBC, mais aucun autre diffuseur canadien n'arrive à lui livrer concurrence dans ce domaine.

Il existe également un noyau dur. Par là, je n'exprime pas simplement mon opinion personnelle. Je suis un chercheur et je me fie aux études scientifiques. Dans le cadre de notre étude annuelle, nous avons interrogé un échantillon de 1 000 personnes choisies au hasard et nous avons eu recours au nec plus ultra en matière de cabinet de sondage pour réaliser les entrevues. Cet échantillon est donc représentatif de la population. On a réellement l'impression que la SRC est excellente en matière de nouvelles. Elle jouit d'une très grande crédibilité.

Du côté anglophone, sur le plan de la crédibilité, CTV est un concurrent féroce. Il n'en demeure pas moins que CTV et Global sont considérées comme des chaînes présentant d'excellentes nouvelles locales. Or, on remarque une différence d'opinion en fonction des nouvelles nationales, internationales et locales.

Dans le cadre de nos études annuelles, nous nous penchons sur le type de catégories d'émissions qui sont considérées comme les plus importantes. Nous disposons d'une liste d'environ 40 à 45 catégories d'émissions, selon l'année. Chaque année, nous avons constaté que la catégorie la plus importante aux yeux du public — et cette catégorie dépasse de loin celle qui arrive en deuxième place —, ce sont les nouvelles locales. À la télévision, les nouvelles locales sont donc considérées comme étant la catégorie la plus importante. Les nouvelles nationales et internationales sont également très bien cotées, ainsi que les téléséries dramatiques et les comédies de situation, pour n'en nommer que quelques-uns. On s'intéresse encore beaucoup aux bulletins de nouvelles télévisées.

Dans les recherches effectuées aux États-Unis et ici — non seulement par CMRI mais aussi par d'autres groupes — et même selon la fragmentation de l'industrie, malgré les incroyables avancées d'Internet dans le domaine des nouvelles, la télévision continue d'être en tête. Monsieur et Madame Tout-le-Monde continuent de considérer que la télévision est la source la plus précieuse pour connaître les nouvelles. Internet gagne du terrain, mais il n'a toujours pas dépassé la télévision.

Je crois qu'il existe encore un bassin, et c'est en partie parce que les nouvelles télévisées sont assez saisissantes. Il y a beaucoup d'efforts qui sont consacrés à la production d'un bulletin de nouvelles du soir, quelle que soit la date. Les nouvelles continuent d'être un véritable pilier, et il en va de même dans le secteur privé. Si CTV n'était soudainement plus régie par des règles portant sur le contenu canadien, je crois que ce réseau continuerait de présenter des nouvelles nationales et locales le soir. Premièrement, ces bulletins sont rentables et, deuxièmement, le réseau doit estimer être en mesure d'offrir ce service et d'attirer des auditoires.

Les téléspectateurs regardent des émissions. Ils ouvrent la télé et sont confrontés à des centaines de choix, mais ils retournent souvent aux réseaux qu'ils connaissent bien. Quant aux nouvelles locales et nationales, selon la chaîne, leur choix sera influencé par le type de chef d'antenne, en fonction de la case horaire; c'est le cas pour presque tout diffuseur.

La sénatrice Batters : Je suis ravie que vous ayez parlé des nouvelles locales et de la perception des téléspectateurs, qui considèrent ces émissions comme étant les plus importantes. Je me demande si cela ne pose pas problème pour la SRC. Je ne crois pas qu'elle tienne compte des préférences locales. En Saskatchewan, le bulletin de nouvelles sur la CBC est de 90 minutes à l'heure du souper. D'après le PDG de la SRC, c'est le cas pour l'ensemble du pays. En Saskatchewan, le bulletin commence à 17 heures et se termine à 18 h 30, mais personne n'est encore arrivé à la maison à 17 heures. Les mêmes reportages sont donc présentés en rediffusion à plusieurs reprises durant cette heure et demie.

En Saskatchewan, c'est CTV qui l'emporte sans conteste dans la catégorie des nouvelles à l'heure du souper. C'est durant cette case horaire que CTV en Saskatchewan empoche ses meilleurs revenus publicitaires. Nous avons vu des diagrammes de la CBC montrant toutes les émissions américaines d'heure de grande écoute, et il y avait des émissions entièrement canadiennes diffusées également aux heures de grande écoute. Toutefois, aucune de ces émissions très populaires américaines diffusées sur CTV ne permet d'amasser autant de revenus pour CTV Saskatchewan que le bulletin de nouvelles à l'heure du souper. Auparavant, la CBC étalait son bulletin de nouvelles pour qu'il corresponde à celui de CTV, mais maintenant elle le diffuse en même temps. J'imagine que les cotes d'écoute ont chuté. D'après moi, la CBC ne tient pas compte des préférences locales parce qu'elle désire une uniformité à l'échelle du pays.

Par ailleurs, il est de plus en plus admis que le bulletin de nouvelles et les émissions sportives sont les deux catégories d'émissions que les gens n'enregistrent pas. Les téléspectateurs préfèrent écouter ces émissions en direct. Il s'agit donc d'émissions de choix pour les publicités, car les annonceurs sont rassurés du fait que le public ne se contente pas de sauter les pauses publicitaires, mais les écoute bel et bien et en tire un avantage quelconque.

Dans votre modèle préféré, les revenus publicitaires ne sont pas une fin en soi, mais en réalité, pour la SRC, c'est une importante source de revenus. À mon avis, la SRC ne l'utilise pas de façon adéquate. Qu'en pensez-vous?

M. Kiefl : Si l'on regarde le passé, pendant les 30 dernières années environ, on constate qu'il y a constamment eu un débat pour déterminer si le service de télévision de la SRC se devrait vraiment de présenter des nouvelles locales. Dans les années 1992, lorsque le populaire bulletin de nouvelles de 22 heures a soudainement été déplacé à 21 heures, soit une idée désastreuse, les cotes d'écoute ont chuté. Environ un an plus tard, on a remis le bulletin dans la case de 22 heures. Au même moment, la direction de la SRC — les circonstances étaient différentes par rapport à aujourd'hui — a décidé qu'elle allait fermer toutes les stations de télévision locales. À l'heure du souper, au lieu du bulletin de nouvelles locales, on s'est mis à diffuser un bulletin de nouvelles régionales. Cette décision a également été désastreuse. Les cotes d'écoute n'ont pas été bonnes, même en 1991 et en 1992 pour les bulletins de nouvelles locales de la SRC. Dans bien des marchés, cette situation s'est prolongée pendant des décennies.

Dans certains marchés, comme à Charlottetown et St. John's, à Terre-Neuve, ainsi que dans d'autres provinces de l'Atlantique, certaines stations sont les seules à diffuser des bulletins d'actualité locale. On ne peut pas faire de généralisation en disant qu'il y a des marchés où CBC/Radio-Canada est en très bonne posture et d'autres, où elle ne l'est pas. Cela fait déjà un bon bout de temps, en fait, qu'elle ne s'en tire pas très bien.

J'ai été un peu étonné, il y a quelques années, lorsque la CBC a décidé de remplacer le bulletin d'actualité de 60 minutes à l'heure du souper par un bulletin de 90 minutes. Peu après, on a ajouté un bulletin, très court, à 23 heures. Il n'y a pas très longtemps, on a commencé à diffuser un bulletin à 18 heures, les samedis et dimanches. Je regardais par hasard le bulletin de CBOT à Ottawa, l'autre samedi, et je pense qu'il y avait un reportage local. Il s'agissait d'une collecte de fonds dans un restaurant local. Le reste, c'était des histoires reprises d'autres stations de la CBC ou des histoires de l'actualité internationale, comme l'avion disparu, et cetera. Ce n'était pas vraiment des nouvelles locales. C'est une partie du problème, de nos jours. Un véritable effort a été fait pour essayer d'améliorer les ressources, mais je ne pense pas qu'elles ont été investies dans les programmes.

J'ai entendu dire que les présentateurs locaux de certaines de ces émissions se disent très fatigués de devoir parler de crimes, d'accidents et d'autres histoires plutôt que de nouvelles qui pourraient être plus intéressantes pour un journaliste et pour le public. Il y a un petit problème de ressources. Peut-être que cette percée dans l'actualité locale est venue trop tôt.

D'un autre côté, regardez le service local de la radio. Les auditeurs sont ravis de l'actualité locale et de l'information qu'ils écoutent sur les ondes de CBC/Radio-Canada. Peut-être que si les ressources existaient, on pourrait diffuser quelque chose de mieux à la télévision.

La sénatrice Batters : Comme j'ai beaucoup apprécié les documents que vous nous avez fournis, j'aimerais vous donner l'occasion de nous parler un peu plus longuement d'un sujet, pour notre gouverne et celle des Canadiens qui suivent cette discussion.

Il y a ici une section qui porte sur les faits en ce qui concerne les auditoires de CBC/Radio-Canada. J'ai trouvé cette lecture très intéressante. Pouvez-vous dire aux Canadiens qui nous écoutent ce que vous avez écrit dans cette section de votre document?

M. Kiefl : Eh bien, il y a plusieurs choses, dont certaines sont de nature technique et qu'il faudra expliquer.

Je parle des chiffres présentés par CBC/Radio-Canada sur l'auditoire cumulé. C'est l'un des paramètres dont on se sert en radio et en télévision. En gros, si vous écoutez CBC/Radio-Canada une fois par semaine ou une fois par mois, vous serez inclus dans le calcul. Même si vous écoutez le poste 10 fois, on ne vous comptera qu'une fois. C'est ce qu'on appelle le dénombrement sans double compte des personnes qui se mettent à l'écoute d'une chaîne.

Les chiffres qui ont été présentés n'étaient accompagnés d'aucune définition de ce qu'on entendait par « auditoire cumulé ». On ne précisait pas combien de temps il faut regarder ou écouter l'émission. Normalement, c'est indiqué quand on parle d'auditoire cumulé. Le terme, donc, peut être très trompeur parce qu'on peut avoir un vaste auditoire, malgré un temps d'écoute très restreint. Parfois, ce n'est qu'une minute — par exemple, si vous regardez une émission télévisée de CBC/Radio-Canada ou si vous consultez le site src.ca, ne serait-ce qu'une minute par mois. Le nombre de personnes qui écoutent CBC/Radio-Canada une seule fois par mois peut augmenter très rapidement, même si ce n'est que pour une minute. C'était donc plutôt trompeur.

La part d'auditoire serait une mesure plus juste. On peut exprimer cette part en pourcentage du temps total d'écoute ou, comme je l'ai fait dans un des documents que je vous ai remis, en pourcentage du nombre d'heures par année que les Canadiens consacrent à l'écoute d'émissions de radio ou de télévision de CBC/Radio-Canada. En se fondant sur la part d'auditoire ou le nombre d'heures d'utilisation d'un service, on peut déterminer l'importance qu'il revêt pour son auditoire.

La sénatrice Batters : Vous nous avez dit que la part de marché de la télévision de la CBC était, au total, d'environ 5 p. 100. Vous avez ajouté que le hockey et les émissions étrangères représentaient la moitié de ce chiffre, n'est-ce pas?

M. Kiefl : Oui, c'est exact.

La sénatrice Batters : Cette part de marché diminuera considérablement lorsque la CBC ne diffusera plus les matchs de hockey. Pour 1 milliard de dollars par année, la CBC risque de n'avoir que 2,5 ou 3 p. 100 du marché.

M. Kiefl : On a vu quel était le résultat, sans le hockey, quand il y a eu le lock-out des joueurs de la LNH en 2004- 2005.

La sénatrice Batters : Quelle était la part de marché à ce moment?

M. Kiefl : D'après les données du CRTC, elle était d'environ 4 p. 100 l'an dernier, alors que la moitié de la saison avait été perdue à cause du lock-out des joueurs de la LNH. Les matchs de hockey sont un produit très important pour la CBC. Même si elle conserve les matchs de hockey selon la formule actuelle, la CBC perdra une partie de son auditoire, comme je l'ai expliqué tout à l'heure, en raison de la concurrence accrue.

La sénatrice Batters : Les clients pourront acheter un forfait de la LNH, et il y a aussi toutes les chaînes spécialisées de sport.

Le vice-président : Permettez-moi de poser une question supplémentaire. À mon humble avis, les effets de la perte de Hockey Night in Canada sur les recettes de la CBC ne constituent qu'un aspect du problème. L'autre aspect, c'est qu'il faudra combler 350 heures de temps d'antenne aux heures de grande écoute. À votre avis, combien en coûterait-il pour produire des émissions à contenu canadien de grande qualité pour remplir ce temps d'antenne? D'après ce que je sais, produire une mauvaise émission, d'une durée de 15 heures par année, coûte des millions de dollars. Pouvez-vous imaginer ce qu'il faudrait pour produire 350 heures d'excellent contenu? Combien de millions cela pourrait-il coûter à la CBC?

M. Kiefl : La télévision de la CBC compte des esprits créatifs qui trouveront probablement des idées qui ne me viendraient jamais à l'esprit, et il faut leur donner la possibilité d'élaborer des idées d'émissions qui pourraient être intéressantes.

L'une des émissions les plus populaires à Radio-Canada est une émission-débat diffusée le dimanche soir. Il n'est pas nécessaire de dépenser des millions de dollars pour produire une telle émission. À partir d'une excellente idée, il est possible de produire des émissions à peu de frais.

L'une des émissions les plus célèbres que n'ait jamais diffusées la télévision de la CBC était This Hour Has Seven Days. Je soupçonne que sa production était très peu coûteuse, et pourtant, elle avait un auditoire de plusieurs millions de personnes tous les soirs. Il est possible de mettre au point des émissions qui seraient moins coûteuses qu'on pourrait le croire.

Comme je l'ai dit plus tôt, il y a quelque 3 000 heures de cinéma canadien prêt à diffuser. Il faut acheter les droits, mais on peut imaginer que le prix serait fort raisonnable, puisque personne ne se bouscule aux portes de la plupart des propriétaires de ces films. Ces 3 000 heures de cinéma canadien pourraient combler ces 350 heures de temps d'antenne pendant 8 ou 9 ans. On pourrait donc avoir une soirée du cinéma canadien conjointement, peut-être, avec la diffusion de films internationaux. Ce ne sont pas les films internationaux qui manquent. On produit plus de films aujourd'hui que jamais auparavant. Il y a des canaux spécialisés dans la diffusion de films. La CBC pourrait faire du samedi soir un rendez-vous du cinéma, ou peut-être même reprendre This Hour Has Seven Days.

Pour revenir à votre question au sujet des enregistreurs personnels de vidéo et de l'importance des actualités et des sports, vous trouverez dans les documents que j'ai fournis en version électronique un lien qui vous amènera au site de TV Bureau of Canada. Il s'agit d'un groupe financé par les différents diffuseurs, et on y trouve beaucoup d'information sur les enregistreurs personnels de vidéo. Vous serez peut-être étonné d'apprendre que même encore aujourd'hui, seulement 7 p. 100 de toutes les émissions regardées au Canada ont été enregistrées sur un enregistreur personnel de vidéo. Quatre-vingt-treize pour cent des émissions sont encore regardées en direct.

La sénatrice Batters : Vous avez parlé des émetteurs. Quand les diffuseurs utiliseront des émetteurs numériques et ne feront plus de diffusion directe, les émissions ne pourront plus se rendre dans les collectivités qui comptent moins de 200 000 âmes. En Saskatchewan, cela signifie que seules les villes de Regina et de Saskatoon recevront les émissions, et que 60 p. 100 de la population de la province en sera privée.

Vous avez ensuite parlé de la radio. Vous avez dit qu'il existe au Canada environ 100 millions de postes en diffusion directe. Sont-ils également inclus, sachant que ces émetteurs numériques ne pourront pas efficacement transmettre les émissions de radio dans les collectivités de moins de 200 000 personnes qui reçoivent la radio par ondes hertziennes? Dois-je vraiment comprendre que 60 p. 100 de la population de la Saskatchewan serait privée des émissions de radio?

M. Kiefl : Ce que j'ai dit, en fait, c'est que la CBC a cessé d'utiliser ces émetteurs de télévision il y a deux ans. Je vais devoir vérifier la liste des sites de la CBC, mais je crois savoir qu'à l'exception de Regina et Saskatoon, la CBC ne diffuse plus par ondes hertziennes dans les collectivités de la Saskatchewan. Cela a commencé le 1er septembre 2012, je crois, ou peut-être en juillet 2012. Tous les émetteurs par ondes hertziennes ont été remplacés par des émetteurs numériques, et chaque collectivité de moins de 200 000 habitants a cessé de recevoir le signal par ondes hertziennes.

Dans les années 1970 et 1980, notre travail consistait, en partie, à construire les émetteurs, à aider les ingénieurs à comprendre de quel côté de la montagne il fallait installer l'émetteur pour offrir le service aux 300 personnes qui vivaient peut-être dans une quelconque petite collectivité. Mais tout cela a été abandonné à cause de la nouvelle technologie numérique.

La sénatrice Batters : Et qu'en est-il de la radio?

M. Kiefl : Il peut y avoir plusieurs émetteurs sur une même tour. La CBC loue de l'espace sur ses tours à un grand nombre d'autres diffuseurs. C'était vrai à l'époque et je soupçonne que ça l'est encore aujourd'hui. Par exemple, la tour située à Camp Fortune appartient à la CBC, et les postes de télévision privés d'Ottawa y installent leurs émetteurs contre le paiement de frais à la CBC. La CBC n'exploite pas simplement ces tours très coûteuses; elle essaie en fait d'en tirer un revenu.

Même si certaines de ces collectivités ont perdu la télévision par ondes hertziennes, la tour existe toujours et elle est utilisée pour les émetteurs de la radio. Je suis sûr que les émetteurs radio n'ont pas été abandonnés, pas plus que la tour, puisqu'on y trouve les émetteurs radio.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup.

Le sénateur Mercer : Je trouve votre document très intéressant. Il faudra bien parler un jour de resserrer la gestion de la CBC.

Vous avez dit que pendant cinq ans, aucune rubrique n'indiquait que l'émission de Rex Murphy présentait un point de vue; de plus, on ne pas précisait que le commentaire politique de Jaime Watt n'était pas fondé sur des sondages d'opinion. De tels incidents ne devraient pas se produire. Il incombe à chaque diffuseur de fournir ce genre d'avertissements.

Vous avez fait une observation au sujet du désordre qui règne à l'administration centrale. Croyez-vous que le président de CBC/Radio-Canada devrait être nommé par le conseil d'administration plutôt que par le Cabinet du premier ministre, histoire d'adopter peut-être une approche plus professionnelle en matière de radiodiffusion, de sorte qu'on nomme quelqu'un du milieu, c'est-à-dire le meilleur candidat qui puisse être embauché au poste de PDG de la société?

M. Kiefl : La Loi sur la radiodiffusion de 1991 a créé le poste de président du conseil d'administration et le poste de président de CBC/Radio-Canada. Auparavant, ces deux postes étaient occupés par une seule et même personne. C'est peut-être là que la nomination du président de CBC/Radio-Canada a commencé à poser un problème.

Lorsqu'on nommait ce Canadien distingué — quand je suis arrivé à la CBC, il s'agissait d'Al Johnson, un fonctionnaire émérite —, c'était pour les postes de président du conseil et de PDG. La personne nommée devait alors compter sur les cadres supérieurs de CBC/Radio-Canada.

Le sénateur Mercer : Le vice-président exécutif.

M. Kiefl : Effectivement, le vice-président exécutif.

Quand le poste a été scindé en deux, que le travail a été réparti entre deux personnes, il aurait peut-être fallu stipuler que de ces deux Canadiens distingués, l'un, le président du conseil, pouvait être choisi dans n'importe quel domaine de travail, mais que le président devait posséder de l'expérience dans le domaine des émissions et de la diffusion. Cela aurait probablement résolu le problème.

En fait, le tout premier président nommé après l'adoption de la loi de 1991 était un autre fonctionnaire distingué, et le président du conseil était Patrick Watson. Cela signifie qu'un des deux possédait des antécédents en matière de radiodiffusion publique. Il avait travaillé dans le domaine de la diffusion tant publique que privée. Il semble que depuis, les deux personnes nommées à ces postes viennent, toutes deux, d'autres domaines que la radiodiffusion.

Cela pouvait fonctionner tant qu'existait ce poste de vice-président exécutif. Mais lorsque ce poste a été aboli, on a perdu une bonne partie des connaissances dont le président-directeur général et le président du conseil avaient besoin pour diriger l'organisation.

Il suffirait peut-être d'améliorer le processus de nomination, ou même de revenir à la formule initiale, soit confier les postes de président du conseil et de PDG à une seule personne. Cette personne, selon toute probabilité, insisterait alors pour être entourée de personnes compétentes dans les domaines de la programmation et de la diffusion.

Le sénateur Mercer : Je ne sais pas si vous pouvez répondre à cette question, mais je la poserai quand même, car c'est un sujet dont il faut discuter, d'après nos visites dans l'Ouest et dans le Nord.

Radio-Canada et CBC Nord sont le reflet du Canada français et du Canada du Nord. Ce n'est pas une mince tâche à confier à la CBC que d'être le reflet du Canada anglais dans toute sa diversité, tant en raison de la composition de la population anglophone que de l'ampleur du pays. En demandons-nous trop? Nous savons que Radio-Canada fait un excellent travail à l'égard du Canada français. La CBC fait aussi du bon travail pour le Canada du Nord. Cette tâche est-elle possiblement lourde?

M. Kiefl : À certains moments, la CBC a peut-être essayé de faire trop. Même dans le cas des nouveaux services par Internet comme cbc.ca — la Loi sur la radiodiffusion de 1991 ne prescrivait pas que la CBC offre des services par Internet, et pourtant, elle le fait. Comment est-ce arrivé? Je ne dis pas qu'elle ne devrait pas le faire, mais quelqu'un à la CBC a décidé d'investir des ressources dans cbc.ca ou CBCMusic.ca. La direction de la société est chargée de décider quels services sont les plus importants.

Comme je l'ai dit, la CBC a cessé d'émettre par ondes hertziennes il y a deux ans, et des centaines de milliers de personnes ont perdu la transmission directe. Nous sommes probablement tous abonnés aux services par câble ou par satellite, et nous ne dépendons plus de la transmission par ondes hertziennes, mais il y a encore environ 10 p. 100 de Canadiens qui n'ont ni service de câblodistribution ni service par satellite.

Il y a six ou sept ans, j'ai fait une étude sur ce sujet pour le CRTC. Je l'ai reprise récemment, et il n'y a pas eu de changement. Malgré l'évolution du système, il y a encore 1 ménage sur 10 qui ne reçoit pas de services par câble ou par satellite ou qui n'a pas l'argent pour payer ces services. C'est la CBC qui a pris la décision. Le gouvernement ne lui a pas donné l'ordre d'abandonner ces émetteurs. C'est elle qui a pris la décision. Peut-être que certaines de ces décisions quant aux services que la CBC offre — surtout s'il s'agit d'abandonner des émetteurs qui desservent 200 000 personnes et que 20 000 de ces personnes dépendent des ondes hertziennes et doivent obtenir le service par d'autres moyens. Ces personnes peuvent peut-être recevoir les ondes de la CBC en continu ou par d'autres moyens. Le service de satellite de Shaw offrait, je crois, un service gratuit; on installait une antenne parabolique qui permettait de recevoir CBC, CTV et quelques autres chaînes. La direction de la CBC devrait revoir tous ses services, surtout si ses services ne sont offerts qu'à une très faible proportion de la population. À tout le moins, ces services devraient être offerts de la façon la moins coûteuse possible.

Le sénateur Eggleton : Désolé de ne pas avoir pu être là plus tôt. J'étais au Comité des finances qui était saisi d'un projet de loi pour lequel je suis porte-parole.

J'ai deux questions rapides. Lorsque je suis arrivé, on discutait des bulletins de nouvelles locales à la télévision. Nous avons entendu hier un autre ancien cadre de la CBC, qui nous a proposé de cesser de diffuser des nouvelles locales, car c'est déjà quelque chose que fait le secteur privé; alors, à quoi bon dupliquer le travail? CTV, Global ou d'autres chaînes s'occupent des nouvelles locales au pays. Pourquoi la CBC devrait-elle diffuser des bulletins de nouvelles locales aussi? Pouvez-vous nous faire part de votre opinion là-dessus?

M. Kiefl : J'ai raconté comment en 1991, la direction de la CBC avait décidé de ne plus diffuser de nouvelles locales, ce qui s'est soldé par un échec cuisant. Le président a été convoqué devant un comité parlementaire afin que les nouvelles locales soient de nouveau diffusées. Dix ans plus tard, un autre président de la société a fait exactement la même chose. Il a annulé la diffusion de toutes les nouvelles locales, il a fermé toutes les stations, si bien qu'il n'y avait plus aucune nouvelle locale. Il ne les a même pas remplacées par une programmation régionale. Lui aussi a été convoqué devant le Parlement afin que les nouvelles locales soient de nouveau diffusées. Ce n'est pas chose nouvelle. C'est une question dont on discute depuis longtemps.

Je pense que la CBC a, une fois encore, de son plein gré, élargi la diffusion de nouvelles locales télévisées à tel point qu'elle n'avait plus les ressources pour le faire et qu'elle a dû se contenter de ne fournir qu'un semblant de nouvelles locales. Le programme indique qu'il s'agit de nouvelles locales, mais en fait, au point où on en est, elles ne servent pas à grand-chose.

Le sénateur Eggleton : D'après ce que j'entends, cette démarche comporte un grand nombre de défis politiques. Il se peut que vous ayez déjà répondu à cette question. Je vous prie donc de m'excuser si c'est le cas. Vous proposez la mise en place d'une redevance annuelle ou d'une taxe visant expressément les communications. Pour ce qui est de la redevance annuelle, cela ressemble un peu à ce que fait la BBC.

M. Kiefl : Oui, c'est exactement ce que fait la BBC.

Le sénateur Eggleton : En quoi ces solutions pourraient-elles être viables? Pour ce qui est de la taxe sur les communications, qui en assumerait le coût? Comment serait-elle imposée, ou comment la redevance serait-elle imposée en ce sens?

M. Kiefl : Pour la redevance, on pourrait mettre en place un organisme spécial. La BBC consacre environ 100 millions de livres par an au prélèvement de sa redevance, ce qui représente un montant de plusieurs milliards de dollars. On pourrait mettre en place un organisme spécial qui s'occuperait de la percevoir. Il pourrait s'agir du bureau de poste.

À certains égards, cela serait fait de façon volontaire. Je pense que les Canadiens appuient la CBC et que s'ils avaient la possibilité d'y faire des dons, il y aurait une certaine volonté en ce sens.

Pour ce qui est de la redevance — que l'on devrait plutôt appeler droits de programme, histoire d'utiliser peut-être une expression plus édulcorée —, les gens seraient prêts à payer s'ils savaient qu'ils obtenaient quelque chose en retour. Si les services de télévision de la CBC, parce que c'est de cela que l'on parle en ce moment, étaient considérablement améliorés, je pense que les gens auraient la volonté de le faire. Si cela prenait la forme d'une taxe sur les télécommunications, ce ne serait pas une idée nouvelle; c'est quelque chose que Pierre Juneau a déjà recommandé il y a un certain nombre d'années, ce qui s'était soldé par une vague de protestations à l'époque de la publication de son rapport. En fait, le témoin qui a comparu devant vous hier dirigeait les sociétés de câblodistribution à l'époque et il était bien en faveur de l'idée de mettre en place cette taxe sur les sociétés.

Je pense avoir mentionné plus tôt que s'il s'agit d'une taxe sur les sociétés au lieu d'une taxe à la consommation, le taux d'imposition des sociétés de télécommunications serait révisé légèrement à la hausse; en effet, cela réduirait leurs bénéfices, mais leur marge bénéficiaire est d'environ 20 p. 100.

Le sénateur Eggleton : Ce serait imposé aux sociétés de télécommunications, et non au grand public?

M. Kiefl : C'est ce que je proposerais

Le sénateur Eggleton : Pensez-vous qu'il y aurait suffisamment de recettes pour financer cela?

M. Kiefl : Sept pour cent des recettes actuelles des sociétés de télécommunications permettraient de recueillir 3 milliards de dollars par an.

Le sénateur Eggleton : Quel est le budget annuel de CBC/Radio-Canada?

M. Kiefl : Il est d'environ 1,7 milliard de dollars, tous services confondus : radio, télédiffusion et services spécialisés.

Le sénateur Eggleton : Merci.

Le vice-président : Monsieur Kiefl, je tiens à vous remercier de votre apport ce soir. Le fait que nous ayons dépassé les deux heures qui nous étaient imparties montre que votre témoignage a suscité une discussion très intéressante. Nous vous remercions de votre apport à notre étude.

(La séance est levée.)


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