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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE LA SÉCURITÉ NATIONALE ET DE LA DÉFENSE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 1er avril 2019.

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, auquel a été renvoyé le projet de loi C-71, Loi modifiant certaines lois et un règlement relatifs aux armes à feu, se réunit aujourd’hui à 11 heures pour examiner le projet de loi.

La sénatrice Gwen Boniface (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, bienvenue au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Avant de commencer, je demande à mes collègues de se présenter.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Boisvenu : Pierre-Hughes Boisvenu, du Québec.

Le sénateur Richards : David Richards, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Plett : Donald Plett, du Manitoba.

La sénatrice Griffin : Diane Griffin, de l’Île-du-Prince-Édouard.

Le sénateur Kutcher : Stan Kutcher, de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

Le sénateur Pratte : André Pratte, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Busson : Bev Busson, de la Colombie-Britannique.

La présidente : Je suis votre présidente, Gwen Boniface, de l’Ontario.

Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-71, Loi modifiant certaines lois et certains règlements relatifs aux armes à feu.

Ce matin, nous commençons par souhaiter la bienvenue au Dr Alan Drummond, coprésident du Comité des affaires publiques de l’Association canadienne des médecins d’urgence, accompagné, par vidéoconférence, du Dr Howard Ovens, membre du Comité des affaires publiques, et à Linda Silas, présidente de la Fédération canadienne des syndicats des infirmières et infirmiers.

Docteur Drummond, je crois que vous aimeriez commencer par une déclaration.

Dr Alan Drummond, coprésident, Comité des affaires publiques, Association canadienne des médecins d’urgence : L’Association canadienne des médecins d’urgence est la société nationale des urgentistes; elle compte plus de 2 200 membres. Je vis dans la région rurale de Perth, en Ontario, et je suis un propriétaire d’arme à feu conservateur. Je suis accompagné, par liaison vidéo, du Dr Howard Ovens, urgentologue en milieu urbain, à l’hôpital Mount Sinai, à Toronto, professeur de médecine d’urgence et l’un des principaux auteurs de notre dernier exposé de principe sur le contrôle des armes à feu.

Je sais que vous avez déjà tenu plusieurs réunions sur le sujet. Je sais également que vous êtes conscients du fait que le Canada a un problème d’armes à feu. Vous savez que, dans les pays de l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, le Canada se classe au cinquième rang des pays les plus touchés par le nombre de décès par arme à feu par habitant. Nos membres et les Canadiens n’ont pas besoin de plus d’études avant d’agir en se fondant sur les solides données probantes actuellement disponibles. Les hôpitaux canadiens mettent couramment en pratique, maintenant, des protocoles à suivre en présence d’un tireur actif. Nos stagiaires ne sont plus obligés de se rendre dans des grandes villes américaines pour apprendre à gérer les traumatismes pénétrants causés par des armes de poing. C’est maintenant une réalité canadienne.

Bien que la sphère politique et les médias semblent mettre l’accent sur les gangs et les armes à feu, il est important de se rappeler que 80 p. 100 des décès par arme à feu sont des suicides. Nous sommes conscients du problème et profondément préoccupés par ces personnes qui se présentent à notre service des urgences, mais nous avons tendance à voir le contrôle des armes à feu sous l’angle de la santé publique, de la prévention du suicide et de la réduction de la violence conjugale.

À nos yeux, il existe deux problèmes principaux. Pour bon nombre de choses qui viennent avec les fusillades de masse et la criminalité urbaine, les solutions vont au-delà du contexte des traumatismes. Elles sont la responsabilité de nos sociologues, de nos politiciens et de nos services de police, qui doivent élaborer des solutions criminologiques en amont de ces problèmes. Tous les jours, au service des urgences, nous faisons face à des personnes qui menacent de se suicider ou qui sont victimes d’actes de violence conjugale. C’est quelque chose qui pourrait avoir une incidence directe sur nous.

Le Canada a l’un des taux de suicide par arme à feu les plus élevés des pays industrialisés. Chaque année, 500 Canadiens se suicident au moyen d’armes à feu. Un grand nombre d’entre eux sont des Canadiens vivant en milieu rural qui utilisent des armes d’épaule parfaitement légales et accessibles. Il est important de souligner qu’il s’agit de décès que l’on peut éviter. Il existe des preuves scientifiques solides et robustes selon lesquelles une arme à feu à la maison est associée à un risque de suicide plus élevé. Il a été démontré que, pour chaque baisse de 10 p. 100 du taux de possession d’armes à feu à la maison, les taux de suicide au moyen d’une arme à feu chutaient de 4,2 p. 100, et le taux de suicide global diminuait de 2,5 p. 100.

De toute évidence, les suicides sont impulsifs, et la crise suicidaire est en grande partie temporaire. La plupart des gens qui tentent de se suicider ne répètent jamais une telle tentative. Plus de 90 p. 100 des survivants d’une tentative de suicide ne meurent pas par suicide. Il n’y a souvent aucune méthode de substitution lorsque les armes à feu sont retirées de la maison. Dans certains cas, malheureusement, il peut y avoir substitution de la méthode. Je ne dis pas que ce n’est pas le cas, mais l’effet n’est pas aussi important qu’on pourrait le penser, bon nombre d’études révélant un effet de substitution relativement faible.

Dans la littérature internationale, de nombreuses études ont montré de manière concluante que l’accès aux armes à feu augmente le risque de suicide et qu’une diminution de cet accès réduit à la fois le risque de suicide par arme à feu et le taux de suicide global. Toute législation visant à réduire l’accès aux armes à feu, en particulier pour les personnes à risque, peut raisonnablement supposer une réduction du nombre de suicides.

En ce qui concerne la violence conjugale, tous les six jours au Canada, une femme est tuée par son conjoint ou ex-conjoint, dont beaucoup par arme à feu, mais toutes avaient des antécédents de violence conjugale. Le risque de décès d’une victime de violence conjugale est considérablement plus élevé lorsqu’il y a accès à une arme à feu à la maison. En fait, cela pourrait quintupler le risque de décès de la femme. C’est une question importante lorsque nous examinons l’évaluation du danger des personnes qui se présentent à notre service des urgences.

Les femmes qui vivent en milieu rural sont particulièrement vulnérables au suicide commis au moyen d’une arme à feu. Les carabines et les fusils de chasse, et non les armes de poing, semblent être l’arme de prédilection et sont utilisés dans 62 p. 100 des homicides entre conjoints.

Les armes à feu ne sont pas utilisées seulement pour les homicides commis dans des cas de violence conjugale. Une étude a montré que les auteurs d’actes de violence conjugale intimidaient souvent leur partenaire en les menaçant de leur tirer dessus, ainsi que sur un animal de compagnie ou une autre personne ou en nettoyant ou en tenant un fusil lors d’une dispute. Encore une fois, il s’agit pour nous de garder les armes à feu hors de portée des personnes à risque.

Notre réponse aux modifications législatives proposées dans le projet de loi C-71 consiste en un appui général; nous reconnaissons qu’il ne s’agit que d’une première étape et qu’il convient d’adopter une approche plus globale du contrôle des armes à feu.

La présidente : Docteur Drummond, pourriez-vous ralentir pour l’interprétation?

Dr Drummond : Au sujet du projet de loi C-71, les dispositions améliorées en matière de contrôle, de vérification des antécédents et de prolongation de la période de recherche de signes cliniques sont évocatrices pour nous. Nous sommes tout à fait d’accord : il faut un contrôle rigoureux et une restriction de l’octroi de permis pour les personnes jugées à risque.

Nous avons toutefois encouragé le gouvernement à aller un peu plus loin et à proposer aux médecins la dénonciation obligatoire des personnes à risque en raison d’une maladie mentale grave non traitée et de celles identifiées à risque de violence conjugale. Cette mesure permettrait d’identifier les personnes présentant un risque temporaire et de limiter l’accès aux armes à feu jusqu’à ce que la crise de santé mentale ou sociale ait été jugée résolue.

Ce serait un très petit pas dans la bonne direction, mais il pourrait sauver des vies. À notre avis, toute vie sauvée au Canada en vaut la chandelle. Je vous remercie. Merci.

Linda Silas, présidente, Fédération canadienne des syndicats des infirmières et infirmiers : Merci beaucoup, mesdames et messieurs, de m’inviter à comparaître au nom de la Fédération canadienne des syndicats des infirmières et infirmiers. Nous représentons près de 200 000 infirmières et infirmiers et étudiantes et étudiants de partout au pays. Je suis également une infirmière autorisée du Nouveau-Brunswick.

La FCSII est la plus grande organisation d’infirmières et infirmiers au Canada. Nos membres travaillent dans les hôpitaux, les soins de longue durée, les soins communautaires et les soins à domicile. Plus de 90 p. 100 de nos membres sont des femmes. Nos membres vont des infirmières et infirmiers en milieu urbain dans les centres-villes à ceux dans les régions rurales et éloignées. Bon nombre de nos infirmières et infirmiers en milieu urbain traitent quotidiennement des blessures par balle. Beaucoup de nos infirmières et infirmiers en milieu rural vivent dans des collectivités où les membres aiment chasser. Notre position en matière de législation sur les armes à feu tient compte de la diversité des expériences vécues par nos membres.

Nous savons que la violence armée est très coûteuse. Que ce soit une personne qui souffre après une tentative de suicide, une femme blessée par une arme à feu au cours d’une querelle de ménage, un enfant blessé accidentellement, une fusillade liée à un gang ou les suites d’une fusillade de masse, les infirmières et infirmiers, les médecins et les autres membres de l’équipe des soins de santé attendront dans les salles d’urgence pour voir le résultat.

Les sénateurs connaissent ces statistiques, mais en tant qu’infirmière, j’estime qu’il est important de répéter celles qui se rapportent aux soins de santé. En 2011, le coût du traitement d’une seule blessure par balle a été estimé à près de 500 000 $; c’est pour une seule blessure par balle. Entre 2008 et 2015, près de 6 000 Canadiens sont décédés des suites d’une blessure par arme à feu. En sept ans à peine. En 2016, 223 homicides liés à une arme à feu ont été signalés. Il s’agit d’une hausse de 44 p. 100 par rapport à l’année précédente; l’année 2016 est la troisième année consécutive d’augmentation du nombre et du taux d’homicides liés à une arme à feu au Canada.

Ces données racontent deux histoires. Premièrement, les crimes violents commis avec une arme à feu ont des répercussions coûteuses sur notre système de santé et notre collectivité. Deuxièmement, des lois plus strictes sur le contrôle des armes à feu réduisent la fréquence des crimes violents commis au moyen d’une arme à feu.

À la suite de la tuerie de Polytechnique en 1989, j’ai témoigné devant un comité parlementaire au nom de la Fédération nationale des syndicats d’infirmières/infirmiers de l’époque, réclamant des lois plus strictes en matière de contrôle des armes à feu. Trente ans plus tard, je suis de nouveau ici.

Les membres du comité devraient écouter les mesures réfléchies et décisives prises par la première ministre néo-zélandaise à la suite de l’attaque terroriste de Christchurch, il y a deux semaines. L’ampleur de l’horrible attentat terroriste est difficile à comprendre. Je suis ici afin de rappeler le coût énorme de cette attaque pour le système de santé et ses travailleurs.

Le chef du Conseil de santé du district de Canterbury nous a donné une idée de l’incidence, comme nous pouvons l’imaginer, de 49 blessés par balle. Ils ne sont pas entrés simplement par petits groupes; ils sont arrivés en masse. Le service des urgences était déjà rempli de personnes malades, et les salles d’opération étaient déjà bondées et en cours d’utilisation.

Le ministre néo-zélandais de la Santé a récemment déclaré que les besoins en santé mentale résultant de l’attentat de Christchurch allaient durer des années.

Après avoir présenté de nouvelles lois visant à interdire les armes semi-automatiques et les fusils d’assaut, la première ministre néo-zélandaise, Jacinda Ardern, a déclaré aux médias qu’il y avait, en Nouvelle-Zélande, des armes utilisées par des propriétaires responsables, notamment dans les collectivités rurales. Elle était fermement convaincue que ces propriétaires d’arme à feu, en grande majorité, soutiendraient ce que le gouvernement faisait, car cela les concernait tous ainsi que leurs intérêts nationaux et leur sécurité. Le projet de loi C-71 va dans le même sens.

Jour après jour, les infirmiers et infirmières traitent et soignent les victimes de tragédies de moindre envergure impliquant des victimes individuelles de blessures par balle. Pourtant, il semble que seules de grandes tragédies mobilisent l’attention du public et motivent l’action politique.

Avons-nous besoin d’une autre tragédie, comme Polytechnique, la fusillade à Ottawa, celle à la mosquée de Québec ou sur l’avenue Danforth, où l’étudiante en soins infirmiers Reese Fallon a été assassinée le 22 juillet 2018? Une mère, infirmière autorisée, et une des amies de Reese qui a été emmenée dans un lieu sûr, m’a écrit récemment pour rappeler à la FCSII que nous devions faire preuve de leadership dans la lutte contre la violence armée.

Ce cycle doit se terminer par le projet de loi C-71. Il doit être adopté et maintenu. Bien que nous estimions que le projet de loi C-71 est un point de départ important, les infirmières et infirmiers du Canada souhaitent également que l’on en fasse davantage en matière de contrôle des armes à feu, au-delà de ces mesures législatives.

Comme l’a dit le Dr Drummond, ce n’est qu’un début. Dans notre mémoire à la Chambre des communes, nous avons présenté des recommandations qui ont été adoptées. La première recommandation adoptée était que la vérification des antécédents inclue les antécédents de violence conjugale et les problèmes de santé mentale. Nous devons également inclure les professionnels de la santé qui signalent les personnes qui représentent une menace pour elles-mêmes et autrui. Nous devons augmenter la collecte de données. Nous devons dire non aux fusils d’assaut de type militaire. Enfin, nous devons accroître l’éducation sur la prévention des accidents.

N’attendons pas un autre attentat terroriste horrible pour secouer le Canada et lui demander de passer à l’action en ce qui concerne les armes à feu. Créons une société plus saine et plus sûre. Il s’agit clairement d’une question de santé publique.

La présidente : Docteur Ovens, je crois que vous êtes disposé à répondre à des questions, n’est-ce pas?

Dr Howard Ovens, membre, Comité des affaires publiques, Association canadienne des médecins d’urgence : Oui. Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos invités de leur présence. Mes questions s’adressent au Dr Drummond. Vous savez comme moi qu’il n’y a pas que les armes à feu qui blessent ou qui tuent. Les couteaux sont également des armes souvent utilisées dans des conflits autres que ceux qui sont liés au crime organisé. Chez nous, dans quelle proportion constatez-vous des décès causés par des armes tranchantes par comparaison aux armes à feu?

[Traduction]

Dr Drummond : Merci de votre question, monsieur le sénateur. Notre association évite délibérément la criminalité et les homicides comme sujets d’intérêt. Nous ne sommes ni criminologues ni sociologues. Notre rôle est de soigner les blessures. Nous sommes ici exclusivement pour témoigner, à titre d’urgentologues, à propos des questions soulevées par le projet de loi C-71, lequel vise non pas les armes blanches, mais les armes à feu, comme vous le savez très bien.

Une personne qui agresse à l’arme blanche ne risque pas de traverser le terrain d’une école de Toronto et de tuer un enfant de quatre ans. Une personne qui attaque avec un couteau ne pourra pas tuer 49 personnes dans une mosquée de la Nouvelle-Zélande. Je refuse de prendre part à un débat sur la criminalité, parce que ce n’est pas ce qui nous préoccupe. Nos intérêts sont axés sur la prévention du suicide et de la violence conjugale. Même si je comprends où vous voulez en venir avec votre question, nous allons nous limiter à des questions sur les armes à feu, la prévention du suicide et la violence conjugale. Nous refusons d’aborder le sujet de la criminalité.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Vous avez parlé d’intervention ou de dénonciation à la police lorsqu’il y a des problèmes de santé mentale. Cela pourrait avoir un impact sur le taux de crimes commis avec des armes à feu légalement détenues par une personne. Dans quelle mesure les interventions ou les dénonciations à la police se font-elles, en faisant la distinction entre un incident qui implique une arme blanche ou une arme à feu? Le dites-vous à la police?

[Traduction]

Dr Drummond : Effectivement, oui. Mon collègue, le Dr Ovens, a écrit un article sur la dénonciation obligatoire des blessures par balle au service des urgences. L’Ontario a été la première province à adopter une telle loi, et pratiquement tout le pays lui a emboîté le pas. Je crois que sept des provinces ont maintenant adopté une loi sur la dénonciation obligatoire des blessures par balle. Je vais laisser le Dr Ovens répondre à la question.

Dr Ovens : Merci beaucoup de nous donner l’occasion de témoigner aujourd’hui. Je crois qu’il y a au plus neuf provinces au Canada qui se sont munies de dispositions relativement à la dénonciation obligatoire de blessures par balle. La raison pour laquelle on exige la dénonciation obligatoire des blessures par balle est extrêmement similaire à la raison pour laquelle nous réclamons la dénonciation des personnes qui pourraient avoir accès à des armes à feu afin de les utiliser à mauvais escient.

Une arme à feu est quelque chose de très meurtrier, que vous l’utilisiez contre vous-même ou pour tenter d’intimider ou de blesser un membre de votre famille — il peut y avoir un coup de feu accidentel — ou dans n’importe quel autre contexte. Le taux de personnes qui survivent aux agressions au couteau ou à mains nues est très élevé. Les victimes peuvent guérir et se rétablir. Les armes à feu ont un pouvoir meurtrier extrêmement élevé. Les gens qui font une tentative de suicide avec une arme à feu réussissent à s’enlever la vie dans environ 90 p. 100 des cas. En comparaison, dans les cas de surdose, le taux de mortalité est bien inférieur à un sur cent; peut-être deux ou trois sur mille.

Comme le Dr Drummond l’a mentionné, les armes à feu présentent un risque pour les personnes aux alentours. Elles ont un pouvoir meurtrier sur une certaine distance, et c’est pour cette raison qu’elles sont un facteur de risque important pour la santé publique. Une balle tirée par une arme à feu peut parcourir de grandes distances et blesser des gens. C’est ce que certaines personnes appellent des « dommages collatéraux ».

Pour ces raisons, nous croyons que les armes à feu sont particulières. Nous croyons que les médecins qui savent que leur patient a des pensées suicidaires ou des problèmes conjugaux et qui possède des armes à feu à la maison devraient pouvoir briser le secret professionnel et les exigences connexes prévues par la loi afin de signaler à la police un danger effectif.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J’ai une question qui s’adresse à Mme Silas. Pourquoi le comité de la Chambre des communes n’a-t-il pas retenu vos recommandations pour améliorer le projet de loi C-71?

Mme Silas : C’est une très bonne question, monsieur le sénateur.

Si je suis ici aujourd’hui, ce n’est pas parce que j’ai réalisé un projet de recherche, comme le médecin qui comparaît par vidéoconférence aujourd’hui, ou que je travaille directement dans le milieu du suicide ou de la violence conjugale. Ceux qui font du lobbying pour obtenir plus de souplesse en ce qui a trait à la possession d’armes à feu ont beaucoup plus de ressources et d’argent que ceux qui font du lobbying contre les armes à feu ou pour obtenir un contrôle plus sévère des armes à feu. C’est pourquoi nous assistons, depuis 1991, à toutes ces présentations devant les comités des gouvernements provincial et fédéral.

L’industrie des armes à feu fait beaucoup de lobbying. Il est important d’entendre des organisations, des médecins d’urgence et des infirmières nous dire que les fusils représentent un danger réel. Un fusil tue. Un fusil qui se trouve entre les mains d’une personne malade est dangereux. Un gouvernement a la responsabilité de prendre toutes les précautions possibles pour protéger le public. Il ne s’agit pas de rendre cette industrie encore plus riche qu’elle ne l’est aujourd’hui.

Le sénateur Dagenais : Vous dites qu’une personne malade peut posséder une arme à feu. Une personne qui souffre d’une maladie mentale, permanente ou temporaire, peut détenir un permis légal ou utiliser une arme qu’elle a empruntée. Êtes-vous en mesure de déterminer si cette personne détient ou non un permis légal?

Mme Silas : Dans la société d’aujourd’hui et en ce qui a trait à la santé publique, il y a deux aspects. Un professionnel de la santé, particulièrement un médecin, doit rapporter à la police ou aux services sociaux tout incident qui représente un danger. Par exemple, tout professionnel de la santé doit rapporter tout incident de violence envers des enfants, peu importe les motifs. Si une personne âgée n’est plus apte à conduire, peu importe la relation entre un médecin et son patient, le médecin doit le signaler, afin que l’on retire le permis de conduire à son patient.

Lorsqu’on parle de permis de conduire ou de possession d’armes à feu à domicile — ce ne sont pas toutes les personnes qui possèdent un permis qui commettront des actes criminels —, pourquoi le professionnel de la santé ne devrait-il pas rapporter le problème potentiel à la GRC?

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, madame.

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à nos témoins. Personnellement, je crois que les vrais enjeux en matière de sécurité sont beaucoup plus liés au crime organisé, aux petits comme aux grands criminels. En Colombie-Britannique et à Edmonton, on a investi dans les corps policiers, ce qui s’est traduit par une diminution marquée du nombre d’homicides liés aux armes à feu.

Depuis la fin de 1979, on a instauré les permis d’acquisition d’armes à feu et la formation des chasseurs. Entre 1979 et 1995, le Canada a investi 2 milliards de dollars dans un registre national des armes à feu. Les homicides et les suicides commis avec des armes à feu ont diminué de 40 p. 100. De 1995 à 2010, quand on a mis en place un contrôle des armes à feu très sévère, la réduction n’a été que de 35 p. 100.

On n’a jamais établi de relation directe entre la baisse des homicides et des suicides et la mise en place d’une réglementation gouvernementale. Ma question est simple. En quoi ce projet de loi aura-t-il un impact sur la sécurité publique et sur la diminution des homicides et des suicides, alors qu’on a investi, en 1995, 2 milliards de dollars dans un registre qui n’a eu aucun impact sur la diminution des homicides? Cette diminution a même été plus faible que lorsqu’on n’avait pas de contrôle sur les armes au moyen d’un registre.

[Traduction]

La présidente : Sénateur Boisvenu, à qui posez-vous votre question?

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ma question s’adresse aux trois témoins.

[Traduction]

Dr Drummond : Merci beaucoup. Je vais essayer de répondre à votre question.

Je crois qu’il y a eu un certain débat autour de l’incidence du registre des armes à feu. Manifestement, nos collègues québécois au sein de la profession ne seraient pas d’accord avec vous. Le Québec a même réintroduit le registre après que le gouvernement Harper l’a éliminé. Je sais que l’Association pour la santé publique du Québec a témoigné devant le comité gouvernemental du Québec qui se penchait sur la réintroduction du registre. Sa conclusion, qui semble aller à l’encontre de l’information que vous avez recueillie, est que le registre a une incidence considérable, en particulier en ce qui concerne la prévention du suicide. Selon l’Association pour la santé publique du Québec, le nombre de décès par suicide a diminué d’au moins 300, 400 ou 500, grâce au registre en 1996.

Je sais qu’il y a de la controverse et des différends à propos de...

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je regarde les statistiques que nous avons entre les mains. Au moment où il n’y avait pas de registre au Canada, soit entre 1974 et 2015, la diminution a été de 40 p. 100. Entre 1995 et 2010, lorsqu’on a mis en place un contrôle très serré des armes à feu, la diminution n’a été que de 35 p. 100.

En quoi le projet de loi que vous défendez aujourd’hui aura-t-il un impact sur la diminution des homicides et des suicides? Ma question est claire. Quel élément du projet de loi aura un impact à cet égard?

[Traduction]

Dr Drummond : Cela me ferait plaisir de vous éclairer si vous me laissiez terminer.

À l’époque où je me suis joint au débat entourant le projet de loi C-68, le nombre de suicides réussis avec une arme à feu par année au Canada était de 1 400. Aujourd’hui, c’est environ 500. On peut donc conclure qu’il y a quelque chose qui fonctionne pour prévenir le suicide. Voilà mon premier point.

Pour ce qui est du projet de loi C-71 en particulier, ce projet de loi est largement axé sur la lutte contre la criminalité. Nous l’admettons sans gêne. Nous ne sommes pas des criminologues. Nous ne savons rien de la lutte contre la criminalité. Cependant, il existe un principe selon lequel nous devrions examiner longuement ou rigoureusement les antécédents de nos patients afin de cerner des signes préoccupants sur le plan clinique, comme une psychose, une dépression et des idées de suicide ou de la violence conjugale. Nous croyons que cela constitue un très bon point de départ pour la promotion de notre principe, c’est-à-dire la dénonciation obligatoire.

[Français]

Mme Silas : Je suis tout à fait d’accord avec le Dr Drummond. Les pourcentages que vous avez mentionnés vont tous en diminuant. Pour une question de santé publique, si on veut réduire les incidents liés aux armes à feu, il s’agit d’un pas dans la bonne direction. Le projet de loi qui est devant nous ira encore plus loin.

[Traduction]

Le sénateur McIntyre : Merci à tous de nous avoir présenté vos exposés. Je veux que nous nous penchions sur les analyses des données recueillies à propos des décès, des blessures et des crimes liés aux armes à feu.

La dénonciation obligatoire des blessures par balle a-t-elle une incidence sur la collecte et l’analyse des données? Et dans l’affirmative, permet-elle d’améliorer la collecte et l’analyse des données?

Dr Drummond : Voulez-vous répondre, docteur Ovens?

Dr Ovens : Oui. Merci.

Si j’ai bien compris votre question, vous voulez savoir si la dénonciation obligatoire des blessures par balle nous permettrait d’accroître nos connaissances et d’améliorer notre capacité d’analyse des données recueillies au pays; ai-je bien compris?

Le sénateur McIntyre : Vous avez bien compris.

Dr Ovens : En Ontario, quand nous avons réclamé que la dénonciation des blessures par balle soit obligatoire, nous avons aussi demandé qu’un registre public de données anonymisées soit tenu à des fins d’analyse des données, comme vous venez de le décrire. Nous croyons que ce serait un outil extrêmement utile. Malheureusement, pour des raisons de protection des renseignements personnels, le registre n’a jamais été terminé.

L’Association canadienne des médecins d’urgence maintient qu’il devrait y avoir, pour accompagner la dénonciation obligatoire, un registre des blessures pertinentes dans lequel les renseignements personnels des gens seraient protégés dans la mesure du possible. Toutes sortes de chercheurs qui souhaitent analyser les tendances relatives aux blessures par balle dans les collectivités devraient y avoir accès.

Le sénateur McIntyre : Certaines provinces ont-elles déjà adopté des dispositions relatives à la dénonciation obligatoire des blessures par balle par des médecins ou des professionnels de la santé? Si oui, lesquelles?

Dr Drummond : Je croyais qu’il y en avait sept, mais si je me fie à la correction du Dr Ovens, neuf provinces ont adopté le modèle ontarien de dénonciation obligatoire des blessures par balle par les services d’urgence. Je ne sais pas quelles provinces se sont abstenues.

Pour donner suite au commentaire du Dr Ovens, il est clair selon nous que nous devons accroître le nombre d’études canadiennes sur les blessures par balle et sur la prévention. Nous avons tendance à utiliser des études de l’étranger, qui viennent en particulier des États-Unis, parce que nous croyons qu’il s’agit d’un phénomène universel. Depuis le début, nous réclamons un meilleur financement des études canadiennes sur les armes à feu.

Le sénateur McIntyre : Je tiens pour acquis que vous souhaitez tous les deux que la dénonciation obligatoire soit mise en œuvre à l’échelle du pays.

Dr Drummond : Je pense que vous m’avez mal compris, et je m’en excuse si c’est le cas. Ce dont le Dr Ovens parlait, c’était des gens qui sont admis à l’urgence avec une blessure par balle. Nous aimerions qu’il y ait des liens entre ce projet de loi et d’autres et avec la santé mentale.

À l’urgence, nous voyons des gens qui sont admis avec des idées suicidaires. Nous ne pouvons pas imposer une évaluation obligatoire ou présenter une formule 1 dans chaque cas. Parfois, la décision clinique que nous devons prendre est de renvoyer la personne chez elle, mais nous ne pouvons pas savoir si cette personne a un arsenal chez elle. Nous ne savons pas si elle a accès à des armes à feu. Rien ne l’oblige à nous divulguer ce genre de choses, alors il arrive que nous renvoyions chez elles des personnes qui ont accès à des armes à feu, alors qu’elles ont des idées suicidaires qui sont peut-être préoccupantes.

Nous croyons qu’il serait dans l’intérêt général que les urgentologues soient habilités à signaler à la police de tels cas, afin que les policiers puissent retirer temporairement les armes à feu de la résidence de la personne jusqu’à ce que la situation de crise soit terminée.

Au Canada, ce n’est pas un crime d’être atteint de psychose, mais si une personne psychotique qui a des délires paranoïaques se présente et qu’elle a comme idée d’aller ouvrir le feu sur le Sénat du Canada, nous ne voulons pas qu’elle ait accès à un arsenal d’armes à feu ou qu’elle puisse passer à l’acte. Dans ce genre de circonstances, nous aimerions pouvoir dire à la police : « Nous ne savons pas vraiment ce qui se passe, mais nous voulons être sûrs que les armes à feu soient retirées jusqu’à ce que tout soit réglé. »

De même, si une femme victime de violence conjugale se présente, ou si nous avons des raisons de croire qu’elle est victime de violence conjugale, nous ne pouvons pas savoir s’il y a des armes à feu à la maison, alors nous voulons faire quelque chose jusqu’à ce que nous soyons satisfaits que la crise est terminée. C’est ce que nous demandons, précisément, lorsque nous parlons de dénonciation obligatoire.

Le sénateur Plett : Je vais commencer par un commentaire. Docteur Drummond, vous ne vouliez ou ne pouviez pas répondre à la question du sénateur Dagenais à propos des statistiques. Vous avez dit que ce n’était pas votre travail ni votre rôle de formuler des commentaires à propos des dispositions du projet de loi touchant la criminalité. Je paraphrase. Malgré tout, dans votre déclaration préliminaire, vous avez parlé à quelques reprises de violence conjugale, ce qui est un crime.

Dr Drummond : Oui, je comprends.

Le sénateur Plett : Lorsqu’il est question de ce genre de choses, on parle d’un crime. Examinons tout cela ensemble, le suicide y compris, même si vous avez clairement dit que les efforts en matière de prévention du suicide avaient, à l’évidence, porté des fruits.

Je tiens pour acquis que c’est le cas pour toutes les formes de suicide, et pas seulement une seule. Si le taux de suicide a diminué de 50 p. 100 au cours de la dernière...

Dr Drummond : Les suicides par arme à feu.

Le sénateur Plett : C’est la seule forme qui a diminué, ai-je bien compris?

Dr Drummond : Encore une fois, c’est notre premier domaine d’intérêt. Vous pouvez calculer un pourcentage sur 100 000... mais, en moyenne, il y a environ 4 000 décès par suicide annuellement au Canada, et ce, depuis les 20 dernières années, environ.

Le sénateur Plett : Vous dites 4 000 décès par année.

Dr Drummond : À peu près.

Le sénateur Plett : Combien y a-t-il de suicide par arme à feu?

Dr Drummond : Au total, 80 p. 100.

Le sénateur Plett : Et qu’en est-il du côté de la violence conjugale?

Dr Drummond : Je ne sais pas.

Le sénateur Plett : Je tiens pour acquis que vous êtes en faveur de remplacer la vérification des antécédents sur cinq ans par une vérification des antécédents tout au long de la vie.

Dr Drummond : Oui.

Le sénateur Plett : Vous êtes sans doute tous les trois du même avis. Puisque vous soutenez cette mesure, êtes-vous au courant de crimes commis au moyen d’armes à feu au Canada qui auraient pu être prévenus grâce à une vérification des antécédents tout au long de la vie? Existe-t-il des données sur ce qui aurait pu être prévenu si une telle règle avait été en place?

Ensuite, le Dr Ovens a abordé le sujet de la vérification des antécédents tout au long de la vie. Vous avez tous les deux dit que vous aimeriez pouvoir faire plus dans le contexte d’un signalement d’incidents. Je crois qu’il existe quelque chose qu’on appelle le secret professionnel, au Canada. Si je vais voir un psychiatre et qu’il croit que j’ai des problèmes et que je suis un danger pour moi et mon entourage, peut-il le signaler ou est-il tenu au secret professionnel?

Dr Drummond : Dans certaines circonstances, oui, mais il y a aussi des cas où le bien de la société l’emporte sur le secret professionnel. Disons que vous allez voir votre médecin et que vous présentez des symptômes de démence. Supposons que vous avez 85 ans et que vous adorez vous promener en voiture dans la campagne manitobaine, le fait est que ce n’est pas sécuritaire pour vous de prendre votre gros camion pour vous promener sur les routes de la campagne manitobaine.

Même si vous êtes allé voir votre médecin et présentez des signes ou des symptômes de démence, au bout du compte, nous voulons vous empêcher de frapper un autobus scolaire et de tuer 35 enfants. Il est très clair qu’il y a certains cas, prévus dans le droit canadien, où l’intérêt de la société l’emporte sur le secret professionnel entre le médecin et le patient.

Le Dr Ovens aura peut-être quelque chose à ajouter, mais ce genre de choses est clairement établi dans la loi, par exemple en ce qui concerne la conduite en état d’ébriété, un pilote dont les problèmes de santé mentale nuisent à sa capacité de voler ou dans les cas de violence envers les enfants ou les personnes âgées. Cela fonctionne ainsi depuis des décennies.

Avez-vous quelque chose à ajouter, docteur Ovens?

Dr Ovens : Oui. Si vous me le permettez, je vais revenir un peu en arrière. Premièrement, je tiens à corriger ce qui me semble être une erreur dans les données. Le taux de suicide par arme à feu n’est pas de 80 p. 100, c’est plutôt que 80 p. 100 des décès par arme à feu au Canada sont des suicides.

Dr Drummond : Merci. Je me suis trompé sous le coup de l’émotion, monsieur le sénateur.

Dr Ovens : Deuxièmement, vous avez posé une question à propos de la vérification des antécédents. Je n’ai pas de documents à portée de main à propos de la vérification des antécédents sur une période supérieure à cinq ans, mais je sais qu’il en était question dans ce que nous avons présenté, dans la liste annotée des références. Il est clair que le contrôle des armes à feu et les autres politiques liées à la vérification des antécédents ont permis, dans un certains nombre de pays, de réduire considérablement le nombre de suicides et de décès causés par des armes à feu.

Nous avons des articles de la Suisse, de l’Autriche et de l’Australie. Aux États-Unis, il y a beaucoup d’analyses menées par État, parce que la plupart des lois pertinentes sont des lois étatiques.

Dans l’ensemble, les données laissent croire que la vérification des antécédents peut être un outil très utile afin de prévenir les décès et les blessures par balle.

À propos de la relation entre le médecin et son patient, nous sommes soumis à des exigences éthiques et juridiques; c’est pourquoi nous réclamons la dénonciation obligatoire. Le fait est que le public s’intéresse de très près aux maladies pouvant avoir une incidence sur la conduite ainsi qu’aux maladies transmissibles.

S’il y a une chose que les gens aimeraient garder confidentielle, c’est bien les maladies transmissibles sexuellement. Cependant, si vous êtes un danger pour les autres parce que votre maladie est contagieuse, nous sommes dans l’obligation de le signaler, dans l’intérêt du public. Il a été démontré que la façon la plus efficace de faire en sorte que les médecins effectuent ce genre de signalement est de le rendre obligatoire; de cette façon, on ne peut pas remettre en question leur raisonnement lorsqu’ils ont décidé de dénoncer ou non une personne.

Nous sommes d’avis que les médecins ne devraient pas être tenus au secret professionnel envers leur patient lorsque l’intérêt public est menacé, par exemple dans le cas où une personne qui a des idées suicidaires a accès à une arme à feu ou lorsqu’il y a de la violence conjugale ou d’autres risques élevés.

Le sénateur Plett : Je ne crois pas être en désaccord avec ce que votre collègue et vous dites à propos de la dénonciation obligatoire, mais cela n’est pas prévu dans le projet de loi C-71. Je ne vois pas comment le projet de loi C-71 vient atténuer vos préoccupations.

Pendant que nous discutions du taux de suicide — j’avais posé la question au Dr Drummond —, je suis allé vérifier, et dans les faits, seulement 16 p. 100 des suicides sont commis à l’aide d’une arme à feu.

Dr Drummond : On a déjà corrigé mon erreur, et je me suis excusé.

Le sénateur Plett : Je comprends. J’ai trouvé la statistique.

Dr Drummond : Laissez-moi dire quelque chose rapidement. Le taux de 16 p. 100 est la moyenne nationale. Nous savons très bien, vous et moi, parce que nous venons de milieux ruraux, que le taux est supérieur dans les régions rurales. Vous savez que c’est vrai. Votre comité l’a déjà entendu.

Je vis dans le comté de Lanark, en région rurale. Je crois que pratiquement tous les ménages du comté ont une arme à feu. J’irais jusqu’à dire que, selon les données les plus récentes, 25 p. 100 des gens dans la région rurale du comté de Lanark a du gibier dans son réfrigérateur.

Le sénateur Plett : Je vis aussi dans une région rurale du Manitoba; je peux vous en parler. Ce sera mon dernier commentaire, madame la présidente, du moins pour le premier tour. J’en ai déjà parlé ici, mais je suis personnellement intervenu dans au moins sept cas de suicide — ou du moins, j’ai connu personnellement la victime — , et seulement un des cas mettait en cause une arme à feu. Tous ces suicides ont eu lieu dans des régions rurales du Manitoba, mais seulement un cas était par arme à feu, et c’était il y a 45 ans.

Dr Drummond : Vous êtes très chanceux.

Le sénateur Plett : Je ne sais pas si on peut dire que je suis chanceux. Les six autres ne s’en sont pas sortis non plus.

Dr Drummond : Je travaille comme coroner en région rurale, dans le comté de Lanark, et je peux vous dire que j’ai vu beaucoup trop de gens qui se sont fait exploser le crâne.

Le sénateur Pratte : À propos de la vérification des antécédents, je crois qu’il est important de souligner que le projet de loi C-71 codifie, dans les faits, les jugements rendus par les tribunaux. Les contrôleurs des armes à feu peuvent vérifier les antécédents sur une période supérieure à la limite de cinq ans, s’ils en décident ainsi.

Vous avez parlé de stagiaires, docteur Drummond. Vous parliez bien des jeunes médecins qui sont en formation pour devenir urgentologues, n’est-ce pas?

Dr Drummond : Jusqu’à tout récemment au Canada, on traitait surtout en traumatologie les traumatismes contondants : les accidents de voiture, les chutes et d’autres choses du genre.

Pour former des urgentologues qui vont travailler spécifiquement en milieu urbain, nous étions obligés de les envoyer à Baltimore, à Chicago, à Los Angeles ou à New York pour qu’ils puissent être exposés à des traumatismes pénétrants, par exemple une blessure par balle.

Le sénateur Pratte : Je suis désolé de vous interrompre, mais il y a un sujet que je veux aborder : parfois, énormément de personnes semblent penser que même si on effectue un meilleur contrôle des armes à feu, les gens vont simplement trouver une autre façon de se suicider ou de commettre un homicide, par exemple en utilisant un couteau ou une autre arme.

Pouvez-vous nous décrire la différence entre des blessures causées par une arme à feu et une blessure causée par un couteau ou par n’importe quel autre moyen que les gens emploient pour se suicider?

Dr Drummond : Pour ce qui est des attaques et des agressions, j’ai seulement été exposé à celles qui ont été commises avec une arme à feu, avec une carabine à grande vitesse.

Je suis coroner, donc je ne vois pas les patients à l’urgence. Je les vois dans leur voiture, sur une route de campagne. Je les vois dans leur sous-sol dans une mare de sang. Je les vois dans leur cour arrière.

Pour vous parler de l’urgence, je peux vous dire qu’à l’époque où j’ai commencé comme urgentologue en 1979, il n’y avait pas beaucoup de blessures par balle dans les régions rurales du Canada. Il y en avait quelques-unes, mais pas beaucoup. Ce n’est pas quelque chose que je vois fréquemment. La plupart du temps, je vois des gens qui se sont enlevé la vie avec ces armes. C’est la culture qui a changé.

En milieu urbain, cependant, une arme à grande vitesse peut faire énormément de dégâts corporels. Les chirurgiens doivent aller à l’intérieur du corps pour trouver d’où vient l’hémorragie et réparer les organes qui ont été endommagés. Une blessure causée par un couteau est évidemment très localisée, mais une blessure causée par une carabine de gros calibre ou un fusil, c’est complètement autre chose.

Le sénateur Pratte : Nous avons entendu le témoignage d’un chercheur, M. Mauser, et d’un médecin, le Dr Langmann. Premièrement, selon les données qu’ils nous ont présentées, il n’y aurait aucune relation entre le nombre d’armes à feu en circulation et le taux d’homicides ou de suicides. Deuxièmement, il semble que les mesures relatives au contrôle des armes à feu qui ont été prises au Canada depuis les années 1970 n’ont pas donné les résultats escomptés.

Vous semblez dire le contraire, soit que les données tirées de la recherche montrent que certaines mesures de contrôle des armes à feu fonctionnent et qu’il y aurait un lien entre le nombre d’armes à feu en circulation — et la mesure dans laquelle on peut y avoir accès — et le taux d’homicides ou de cas de violence conjugale.

Pouvez-vous nous éclairer? Qui a raison? On nous a présenté deux ensembles de données.

Dr Drummond : Non, pas vraiment. On vous a présenté des opinions opposées. Je ne connais pas M. Mauser. N’est-il pas économiste à l’Université Simon Fraser? Je ne sais pas s’il est criminologue.

Depuis 1994-1995, époque où j’ai commencé à prendre part au débat autour du premier projet de loi, le projet de loi C-68, son nom a commencé à circuler beaucoup; on dit de lui qu’il a des opinions qui vont à l’encontre de la recherche mondiale. Je n’ai pas de commentaires à faire sur le sujet.

Le Dr Langmann est un de mes collègues. C’est un urgentologue. Je me trompe peut-être, et je vais le reconnaître si c’est le cas, mais je crois qu’il a publié un article dans une revue scientifique peu connue en 2011. Je crois que c’était le Journal of Violence Prevention ou quelque chose du genre.

Dans cet article, il présentait des données sans aborder le sujet du suicide. Pour nous, cela représente un problème majeur. Il s’en est tenu exclusivement aux homicides. C’est un problème important, mais en proportion, il y a moins d’homicides que de suicides. Il a dit qu’il n’y avait aucun lien quel qu’il soit, et que les lois sur les armes à feu n’avaient aucune raison d’être. Ce qui est intéressant, c’est que des chercheurs de l’Université de Montréal ont utilisé exactement les mêmes données la même année et en sont arrivés à une conclusion diamétralement opposée.

Donc, en ce qui concerne le Dr Langmann et son article, je vais m’en tenir à l’évidence : il est très, très clair qu’il y a un lien entre la réduction de l’accès aux armes à feu à la maison ou dans la collectivité et le taux de suicides, d’homicides ou de violence conjugale. C’est ce que disent le New England Journal of Medicine, le Journal of the American Medical Association, le Lancet, le British Medical Journal, la revue Annals of Internal Medicine et une foule considérable d’études scientifiques menées par de très éminents chercheurs qui ont publié non pas un seul article, mais des milliers.

Je parle de chercheurs comme David Hemenway, Matthew Miller, Garen Wintemute et Arthur Kellermann. Ce sont des chercheurs de renommée mondiale qui ont accès à énormément de ressources. Ils ont clairement démontré que, selon des données probantes incontestables, l’accès aux armes à feu augmente le risque de suicide, d’homicide et de violence conjugale.

Le sénateur Kutcher : Merci d’avoir été clair dans votre exposé et de ne pas avoir formulé de commentaires illogiques, fallacieux ou autres. Je vous remercie d’avoir attiré notre attention sur la façon dont les décès liés aux armes à feu sont également une question de santé publique. C’est un point de vue différent de bon nombre d’autres discussions. Vous parliez non pas de criminalité, mais de décès liés aux armes à feu.

Un article a récemment été publié — ou va être publié — dans le American Journal of Medicine. J’aimerais avoir votre avis sur une métaphore dans cet article qui porte sur le lien entre les décès liés aux armes à feu et la santé publique. On dit que combattre la mortalité attribuable aux armes à feu sans s’attaquer au problème des armes à feu, c’est comme combattre la mortalité attribuable au cancer du poumon sans s’attaquer au problème des cigarettes.

Je demanderais à tous les témoins de formuler des commentaires, du point de vue de la santé publique.

Dr Ovens : Je trouve que c’est une analogie excellente. Les cigarettes non seulement sont le facteur de risque numéro un associé au cancer du poumon, mais elles présentent aussi un risque pour les gens autour, à cause de la fumée secondaire. Mais avec les armes à feu, même si nous étions les urgentologues les plus compétents au monde avec les meilleurs services d’urgence, le fait est que 80 p. 100 des gens qui meurent à cause d’une blessure par balle sont déclarés morts sur les lieux. Elles n’auront jamais l’occasion de suivre un traitement. Les armes à feu ont un pouvoir meurtrier extrêmement grand, et c’est pourquoi nous devons surveiller de près à quel point elles sont répandues.

Si vous me permettez, j’aurais un commentaire à faire au sujet de quelque chose que le sénateur Plett a dit. C’est à propos des sept suicides tragiques qu’il a mentionnés, et le fait qu’un seul avait été commis avec une arme à feu dans sa collectivité.

La vraie question qu’il faut se poser est : quel est le facteur commun aux tentatives de suicide dans cette analogie? Combien de personnes connaît-il qui ont fait une surdose ou qui se sont tranché les poignets ou qui se sont automutilées et qui ont survécu et ont fini — on l’espère — par mener une vie productive par rapport au nombre de personnes qui ont survécu après avoir tenté de se suicider avec une arme à feu?

Si cette question est importante, c’est parce que 249 personnes sur 250 qui font une surdose vont survivre, et dans 90 p. 100 des cas il ne s’agit pas d’un suicide. À l’inverse, 90 p. 100 des gens qui se suicident à l’aide d’une arme à feu ne survivront pas. Donc, il faut s’intéresser à ce qu’on peut prévenir. C’est prouvé que nous pouvons sauver des vies en empêchant les personnes atteintes de dépression d’avoir accès à une arme à feu, tout comme on peut sauver des vies en combattant le tabagisme.

Dr Drummond : Dans une perspective scientifique et dans le contexte de la prévention des blessures, il y a ce qu’on appelle la triade hôte, environnement et agent ou vecteur. Dans le cas des armes à feu, nous devons considérer les armes à feu comme le vecteur ou l’agent pour avoir un portrait global de la situation.

Pou reprendre l’allusion du Dr Ovens, il est clair que si vous avez un fusil contre la tempe, vous avez peu de chance de survivre, alors que si vous avalez une dizaine de pilules, vous avez des chances de vous en tirer. Le pouvoir meurtrier particulier de cet agent spécifique doit effectivement être pris en considération.

Mme Silas : Pour répondre à la question, si vous regardez les mesures de protection qui sont prises par précaution au nom de la santé publique, vous avez entendu le témoignage de médecins, de membres du personnel infirmier et d’autres experts en santé publique dans le passé, quand nous avons débattu à l’échelon national de lois sur la ceinture de sécurité, l’amiante, l’alcool au volant et, tout récemment, le cannabis.

Rien n’est différent dans le cas du contrôle des armes à feu. Il est question d’un enjeu touchant la santé et la sécurité publiques, où nous devons envisager la précaution et écouter le débat sur la santé publique d’abord et avant tout.

La sénatrice Griffin : J’ai une question à poser concernant une déclaration de principe faite en 2008 par l’Association canadienne des médecins d’urgence. L’une des recommandations est l’expansion des programmes axés sur la prévention du suicide, de la violence conjugale et de la violence liée aux gangs.

Savez-vous si le nombre de programmes a augmenté considérablement ou si on en a établi un nombre important? Je pense qu’il s’agit d’une recommandation capitale.

Dr Drummond : Comme Howard Ovens a rédigé le document, je vais lui laisser la parole.

Dr Ovens : En réalité, cela varie, parce que, en ce qui concerne la prévention du suicide, la plupart de ces programmes sont de nature régionale ou provinciale. Les programmes concernant la violence liée aux gangs tendent à être de nature communautaire et municipale.

De façon générale, je pourrais affirmer que de bons programmes ont été entrepris depuis cette époque, dans certaines collectivités et certaines provinces, mais nous pourrions en faire davantage.

La sénatrice Griffin : Ma dernière question s’adresse à Mme Silas. Vous avez mentionné que l’éducation était très importante pour ce qui est de prévenir les accidents. Pourriez-vous me donner des détails? Quel genre d’éducation?

Mme Silas : Si nous regardons la violence familiale, au cours des trois à quatre dernières années, nous avons vu cinq provinces et le gouvernement fédéral s’attaquer à cette forme de violence en aidant les familles et les victimes. L’éducation est un aspect clé de ce type d’initiative. Nous étudions les façons d’éduquer les gens concernant les traumatismes liés aux gangs. Toronto est célèbre pour ce qu’elle fait dans certains de ses districts scolaires.

Ces programmes ne sont pas bien financés. L’une de nos recommandations est semblable à ce qu’ont suggéré les médecins d’urgence. Nous ne devons pas seulement financer l’aspect lié aux données. Ce travail ne peut pas être fait sur le coin d’un bureau. Les mesures doivent être financées adéquatement. Les programmes d’éducation doivent aussi être financés adéquatement. Grâce à la prévention, nous serons en mesure de réduire les taux d’agression et de décès.

Dr Drummond : Je pense que l’éducation est importante. Tout le monde adore les pédiatres. La Société canadienne de pédiatrie l’a déclaré très clairement. Si une arme à feu se trouve dans un domicile avec des enfants, ces enfants doivent être protégés. L’entreposage en lieu sûr doit faire partie de la discussion, comme c’est le cas des sièges de voiture quand on discute du bien-être de son enfant.

Nous devons aussi mettre de l’ordre dans nos propres affaires. La discussion au sujet des armes à feu devrait avoir lieu dans le cabinet du médecin de famille, ainsi qu’au service des urgences. Nous devons former les médecins et le personnel infirmier afin que ce sujet fasse partie de la discussion concernant le maintien de la santé en général. Nous parlons de la cigarette, de l’alcool et de toutes ces autres choses. Nous devons éduquer nos propres membres afin qu’ils participent à cette discussion.

Le sénateur Richards : Je vous remercie infiniment de vos exposés. Je n’arrête pas d’en parler. Je sais que je sonne comme un disque rayé, mais vous n’avez pas encore entendu ce disque. Je ne pense pas que vous puissiez y arriver en partant d’ici.

J’ai connu beaucoup de gens violents dans ma vie, car je viens d’une région du Nouveau-Brunswick qui a connu beaucoup de violence dans les années 1970 et 1980. J’y ai survécu. Il y avait beaucoup de meurtres. Des 11 meurtres dont je suis au courant et qui ont entraîné la mort de personnes que je connais, 9 ont été commis par d’autres moyens que les armes à feu. Je pense que personne ne se dit simplement : « Je vais me suicider au moyen d’une arme à feu. Non, cela ne fonctionne pas. Je vais le faire à l’aide de pilules. » Il doit y avoir certains facteurs psychologiques qui font qu’une personne penche vers l’une ou l’autre de ces méthodes.

Je ne pense pas que, si vous retirez les armes à feu, une personne se dira : « Je vais le faire par pendaison. » Je pense que les gens ont une idée prédéterminée quant à ce qu’ils feront de toute manière. Je ne sais pas si la question se pose ou pas, mais on parle ici d’armes à feu enregistrées. Les médecins et les psychiatres formulent des hypothèses quant aux personnes qui sont susceptibles de s’en prendre à d’autres.

Une grande partie de cette discussion au sujet de la sécurité des armes à feu a lieu en famille. J’ai des carabines dans ma maison. Il est certain que je m’en occupe et qu’elles sont rangées. Les enfants sont maintenant des hommes adultes. Ils savent où elles sont. Ils ont tous deux suivi des cours de chasse, et j’en ai suivi moi aussi.

Beaucoup de familles font cela de façon responsable, alors l’idée qu’un médecin ou qu’un psychiatre décide qui peut ou ne peut pas posséder d’arme à feu... je ne suis pas certain que cela fonctionnera. Je voudrais bien que cela fonctionne, mais je ne pense tout simplement pas que ce sera le cas.

Dr Drummond : S’agit-il d’un commentaire ou d’une question?

Le sénateur Richards : C’est un commentaire et une question.

Dr Drummond : J’essaie de comprendre votre idée, alors je ferai de mon mieux pour répondre.

Je conviens que la plupart des propriétaires d’armes à feu sont responsables. Je vis dans une collectivité où les gens chassent et s’adonnent au tir sportif. Je n’ai aucun intérêt réel à me mêler de leurs affaires. Ils aiment leurs armes à feu.

Les hommes disparaissent au mois de novembre pendant deux semaines afin d’aller chasser le chevreuil et de passer du temps ensemble à boire de la bière et à regarder les pauvres Sénateurs d’Ottawa à la télévision. Je comprends tout cela. Nous ne parlons pas de ces gens-là. Nous ne parlons pas du propriétaire d’armes à feu rural ordinaire.

Il est question des personnes qui ont affirmé souhaiter se suicider, songer au suicide, de psychotiques paranoïaques ou de personnes qui battent leur femme. Voilà de qui nous parlons.

Je suis désolé, monsieur le sénateur, je vais terminer ma réponse à votre question qui n’en est pas une.

Le sénateur Richards : Je ne vous interromps pas.

Dr Drummond : Voici ce qui se passe. À notre avis, le projet de loi C-71 est un premier effort modeste. Une approche bien plus complète doit être adoptée afin de changer la culture des armes à feu au Canada. Honnêtement, le contrôle des armes à feu évoque des choses différentes pour diverses personnes. S’il est question d’une fusillade de masse, ce n’est pas la même chose qu’une blessure pédiatrique. S’il est question du contrôle de la criminalité et des gangs au centre-ville de Toronto ou d’Edmonton, ce n’est pas la même chose qu’un agriculteur qui se fait exploser la tête dans le champ derrière chez lui. Ce sont des enjeux totalement différents. Nous devons commencer quelque part.

Le projet de loi n’est pas celui que nous aurions choisi. Nous aurions voulu quelque chose de beaucoup plus solide et complet, mais c’est ce qui est proposé. Du point de vue que nous avons adopté, c’est-à-dire la prévention du suicide ou de la violence conjugale ou le fait d’empêcher les psychopathes de faire exploser la moitié de l’hôtel de ville, nous pensons que l’idée d’étendre la portée de la vérification des antécédents psychiatriques, émotionnels ou sociaux a de la valeur. Pour cette seule raison, le projet de loi devrait être adopté.

La présidente : Je vais clore la discussion. Je profite de l’occasion pour remercier les trois témoins d’avoir comparu ce matin et d’avoir participé à ce qui a été une solide discussion. Nous vous sommes reconnaissants de votre contribution à nos études.

Pour notre prochain groupe de témoins de la journée, nous sommes heureux d’accueillir Robert Henderson, propriétaire, Access Heritage; Ross Falkner, propriétaire, The Gun Dealer; et Kate MacQuarrie, de l’Association of Women Shooters of P.E.I. Bienvenue à vous tous.

Kate MacQuarrie, Association of Women Shooters of P.E.I. : Je vous suis reconnaissante de me donner la possibilité de prendre la parole devant vous aujourd’hui en tant que l’une des 2,1 millions de propriétaires d’armes à feu respectueux de la loi au Canada. Je suis instructrice accréditée pour donner les cours sur la sécurité dans le maniement des armes à feu à autorisation restreinte et sans restrictions depuis près de 30 ans. Je chasse, je trappe et je fais du tir sur cibles. J’ai aussi, à l’Île-du-Prince-Édouard, une organisation qui s’affaire à éliminer les obstacles à la participation des femmes aux sports de tir.

L’an dernier, 70 femmes ont participé à nos programmes tout au long de l’année. Au cours des trois premiers mois de cette année, plus de 80 se sont inscrites. Je peux peut-être offrir un point de vue différent de ceux que vous avez entendus à ce jour. Je serai certainement heureuse de répondre aux questions à ce sujet, y compris les enjeux touchant les armes à feu et la violence familiale, et mes réponses pourraient différer de celles des derniers témoins que vous avez entendus.

Tout d’abord, je veux parler brièvement du projet de loi C-71, expliquer pourquoi c’est un mauvais texte de loi et souligner ce que j’estime être la composante la plus inacceptable.

Lorsqu’il a présenté le projet de loi C-71, le 26 mars 2018, l’honorable Ralph Goodale a résumé ainsi le besoin perçu de ce projet de loi :

Les preuves sont incontestables : la violence armée semble s’aggraver et ne se limite plus aux grandes villes ni à des armes particulières.

Je vous rappelle que les chiffres de Statistique Canada montrent qu’une arme à feu a été utilisée dans moins de la moitié de 1 p. 100 des crimes signalés à la police au Canada, que le taux d’homicides par arme à feu affiche une tendance à la baisse depuis au moins trois décennies et que l’augmentation du nombre d’homicides observée depuis 2013 a été causée par un accroissement important du taux d’homicides liés aux gangs au cours de cette période.

En effet, près de la moitié de l’augmentation nationale qui a eu lieu depuis 2013 était due au plus grand nombre de victimes à Toronto. De plus, nous avons constaté que les changements apportés dans le passé aux lois sur les armes à feu n’ont eu aucun effet corrélatif sur la criminalité au Canada.

On paraphrase couramment un dicton selon lequel tout problème complexe a une solution simple et facile à comprendre, mais qui ne fonctionne pas. La violence liée aux gangs est incontestablement un problème complexe; toutefois, l’imposition de contraintes accrues aux propriétaires d’armes à feu respectueux de la loi est une réponse simple et facile à comprendre, mais qui ne fonctionne pas.

Le projet de loi C-71 établit un besoin qui n’existe pas, propose une solution qui, on le sait déjà, ne changera pas les résultats sociétaux et est fondé sur l’émotion, pas sur des données probantes.

Même si le projet de loi est mauvais dans son ensemble, certaines parties sont pires que d’autres, plus particulièrement les articles 23 et 58. Le 20 mars 2018, l’honorable Ralph Goodale a déclaré ce qui suit :

... il ne s’agit tout simplement pas d’un registre fédéral des armes d’épaule.

En ce qui concerne l’exigence que les détaillants privés tiennent des dossiers, il a affirmé que ces dossiers ne seraient pas accessibles au gouvernement. Ils le seraient aux policiers lorsqu’ils enquêtent sur des crimes commis par arme à feu, pour une raison valable et sous autorisation judiciaire au moyen d’un mandat.

De plus, le projet de loi en soi énonce qu’aucune de ses dispositions ne doit être interprétée comme permettant ou exigeant l’enregistrement des armes à feu sans restriction. Pourtant, le projet de loi C-71 crée très clairement un nouveau registre.

L’article 23 exige que les personnes qui cèdent une arme à feu sans restriction fournissent leur numéro de permis au directeur et reçoivent un numéro de référence à la cession de l’arme à feu en question.

Le supposé besoin auquel on répond est de s’assurer que les personnes qui achètent des armes à feu détiennent un permis approprié, mais l’article 23 de la Loi sur les armes à feu exige déjà explicitement qu’au moment d’acheter une arme à feu sans restriction, on détienne un permis approprié. Les modifications qu’on propose d’apporter à l’article 23 ne font rien d’autre que créer un registre des cessions d’armes à feu sans restriction.

Les modifications qu’on propose d’apporter à l’article 58 complètent la création d’un nouveau registre des armes d’épaule, quoique décentralisé. Les entreprises seraient tenues de consigner le numéro de permis de l’acheteur d’arme à feu, le numéro de référence du directeur, la date de transaction, la marque, le modèle, le type et le numéro de série de l’arme à feu et de conserver les dossiers pour une période d’au moins 20 ans.

Il s’agit non seulement d’un registre, mais d’un registre contenant des dossiers détenus par près de 4 500 entreprises différentes de partout au Canada. La sécurité de ces dossiers et l’accès à ces renseignements sont une source de préoccupation absolue. La déclaration du ministre Goodale, selon laquelle ces dossiers ne seraient accessibles qu’aux forces de l’ordre détenant un mandat, est contraire à l’article 102 de la Loi sur les armes à feu, qui exige que les entreprises produisent tout dossier qui, selon l’inspecteur, contient des renseignements pertinents pour l’application de la loi ou de la réglementation.

Au sens de cet article, un inspecteur est un préposé aux armes à feu, c’est-à-dire essentiellement toute personne nommée par le ministre provincial ou fédéral. On est loin des forces de l’ordre détenant un mandat.

J’ai commencé ma déclaration en vous disant que je suis propriétaire d’armes à feu. À ce titre, j’ai fait l’objet de vérifications des antécédents, lesquelles sont presque certainement plus détaillées que celles qu’un grand nombre d’entre vous ici présents qui ne possèdent pas de permis d’armes à feu ont dû subir. Tous les jours, mon nom fait l’objet d’une vérification auprès du Centre d’information de la police canadienne afin qu’on puisse confirmer que je n’ai pas fait l’objet d’un rapport d’incident.

Je dois aviser le gouvernement si je déménage. Je veux souligner que c’est quelque chose que les personnes à qui on a interdit de posséder des armes à feu ne sont pas tenues de faire.

En bref, le fait de nous réglementer davantage, moi et les autres 2,1 millions de propriétaires d’armes à feu respectueux de la loi du Canada, ne réglera en aucune manière le problème de la violence liée aux armes à feu; toutefois, cela coûtera beaucoup d’argent aux contribuables, argent qui devrait plutôt être orienté vers la prévention de la criminalité. Merci.

Ross Faulkner, propriétaire, The Gun Dealer : Je suis propriétaire d’une entreprise indépendante depuis 42 ans. Je suis également membre de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante. Je suis là aujourd’hui pour parler des effets du projet de loi C-71 sur mon entreprise et sur ses 20 employés et pour vous faire part des problèmes auxquels elle fait face au moment où l’adoption de ce projet de loi se rapproche.

The Gun Dealer est une entreprise familiale indépendante d’armurerie et de vente d’armes à feu, que j’ai démarrée en 1977. Depuis 42 ans, peu de choses ont exercé autant de pressions économiques sur mon entreprise que la menace du projet de loi C-71.

Premièrement, je voudrais aborder les conséquences potentielles de la disposition du projet de loi qui limite le transport d’armes à feu à autorisation restreinte vers notre armurier. Actuellement, environ de 20 à 25 p. 100 des armes à feu confiées à notre armurier travaillant sur place à temps plein sont à autorisation restreinte et ne requièrent pas d’autorisation de transport. L’obtention d’une autorisation pour transporter des armes à feu à autorisation restreinte vers mon magasin ne fera qu’entraîner pour nous une perte importante de revenus. Cette obligation n’améliorera pas la sécurité publique.

Par exemple, une cartouche non éclatée pourrait être coincée dans le chargeur d’un client. L’obtention d’une autorisation de transport est presque impossible la fin de semaine ou les jours fériés. Il n’est pas sécuritaire d’avoir une arme à feu dans laquelle une cartouche non éclatée est coincée, et cela constitue une menace pour la sécurité publique. Toute répercussion ou diminution des activités commerciales touchant nos services feront que nous ne pourrons plus payer un employé à temps plein.

Deuxièmement, il y a le coût lié à la conservation des dossiers de référence pour une période de 20 ans. Le fardeau — en heure-personne et en capacité d’entreposage — impose une charge financière inutile à mon entreprise. Revenu Canada m’exige de conserver mes dossiers pour sept ans seulement. Cette exigence est irréaliste et pourrait faire en sorte que des entreprises abandonnent et ferment leurs portes.

Troisièmement, la responsabilité liée à l’obtention d’un numéro de référence délivré par le gouvernement pour chaque vente aura une incidence marquée sur nos heures d’exploitation actuelles. The Gun Dealer est ouvert 7 jours sur 7, et jusqu’à 21 heures plusieurs soirs. Si la capacité d’obtenir lesdits numéros de référence était limitée aux heures d’ouverture actuelles des bureaux du gouvernement, notre capacité de maintenir nos heures d’ouverture actuelles serait minée. Ainsi, ma capacité de gagner ma vie et de fournir des emplois est touchée gravement et de façon négative.

On ne sait pas vraiment si les numéros de référence seront même fournis en temps opportun. S’ils ne le sont pas, les clients qui ont parcouru de longues distances ne voudront pas attendre dans les environs de notre magasin pendant que nous tentons d’obtenir les numéros de référence. J’envisage une baisse des ventes, dont le résultat sera d’innombrables pertes d’emploi.

Quatrièmement, je rappelle au Sénat que les emplois dans le Canada rural, comme à McAdam, peuvent être rares dans le meilleur des cas. Si le projet de loi C-71 était adopté tel que rédigé, ce serait peut-être non pas au prix de mon entreprise dans son ensemble, mais certainement au prix des personnes que j’emploie actuellement. Le projet de loi C-71 est peu susceptible d’avoir une quelconque incidence sur la réduction des taux de criminalité, mais il y en aura certainement une sur mon personnel actuel sous la forme de mises à pied et de la perte permanente de postes à temps plein.

Les stocks de The Gun Dealer comprennent des armes à feu à autorisation restreinte et sans restriction, et nous ne vendons que des armes dont la vente est légale au Canada. Actuellement, la valeur de mes stocks s’établit à 2 millions de dollars. Je suis en mesure d’employer 20 personnes dans la région économiquement défavorisée de McAdam, au Nouveau-Brunswick.

Les dispositions du projet de loi C-71 permettent de confier à la GRC la classification des armes à feu. Il s’agit de l’une de mes plus grandes préoccupations parce qu’on dirait que cela lui donne la capacité de changer les classifications à tout moment, quand elle le juge nécessaire. Si la GRC estime qu’une arme à feu sans restriction devrait devenir prohibée, toutes les variantes de l’arme à feu concernée seront prohibées également. La perte de valeur de mes stocks s’élèverait à des dizaines ou à des centaines de milliers de dollars.

J’ai passé ma vie adulte à travailler à faire de cette entreprise un succès, que je pourrai transmettre à mon fils et à mes petits-fils. Le projet de loi C-71 menace ces plans, met en péril la valeur de mes stocks et confère à la GRC le pouvoir de changer les classifications sans avertissement, ce qui créera de l’incertitude quant à la valeur de mes stocks et rendra incertain cet avenir planifié.

Si j’accuse un coup dur relativement à la valeur de mes stocks, le résultat sera la perte d’un grand nombre des 20 postes que je fournis dans cette collectivité. Non seulement le projet de loi rate la cible du contrôle de la criminalité, mais il privera des Canadiens de leur gagne-pain.

Les arguments que j’ai formulés concernent les effets potentiels du projet de loi C-71. Je ne saurais trop souligner l’importance qu’ils fassent l’objet d’un examen attentif du Sénat. En outre, les dispositions du projet de loi doivent être soigneusement prises en considération. Si les effets se font ressentir dans mon magasin, je peux affirmer sans craindre de me tromper qu’elles se feront ressentir chez les détaillants et les entreprises de l’ensemble du pays. Veuillez étudier attentivement le projet de loi C-71 et ses répercussions avant de procéder à son adoption sous sa forme actuelle et au moment d’y apporter des amendements.

Je vous remercie de votre temps et de votre attention. Je serais ravie de répondre à toute question que vous pourriez me poser.

Robert Henderson, propriétaire, Access Heritage : Mon expérience d’affaires comprend l’application des lois régissant actuellement les armes à feu et me permet de vous offrir mes réflexions concernant les conséquences sur les arts, la culture et le tourisme. Premièrement, j’aborderai la nécessité de déclassifier ou de déclasser les appareils qui ne posent aucun risque pour la sécurité publique. Deuxièmement, je ferai la preuve de l’importance d’un processus d’appel à l’égard des décisions rendues par le Programme canadien des armes à feu.

Si vous avez vu la comédie musicale Les Misérables ou regardé un film comme Pirates des Caraïbes, vous avez vu mes produits. Ils sont exposés à de nombreux sites patrimoniaux autochtones, au musée Smithsonian et dans d’autres musées de calibre mondial situés à Paris, à Londres, à Berlin et à Stockholm. Au Canada, mes produits aident à raconter l’histoire nationale de la colline Signal, à Terre-Neuve, à Fort Langley, en Colombie-Britannique, en passant par les fortifications de Québec.

Je fournis des reproductions historiques et neutralisées d’armes à silex. Les armes à feu à silex sont des appareils à chargement par la bouche généralement fabriqués avant les années 1840, selon une technologie qui remonte au XVIe siècle. Ces mécanismes occupent une place spéciale dans les lois régissant les armes à feu. Même si elles n’étaient pas neutralisées, les reproductions de fusils à silex étaient classées dans la catégorie des antiquités, ce qui signifie qu’elles n’étaient essentiellement pas réglementées. Elles n’étaient pas considérées comme une menace pour la sécurité publique et avaient été déclassées dans la loi. Il est probable que le dernier crime commis au moyen d’une arme à silex a eu lieu avant la Confédération.

La déclassification a été une bénédiction pour les musées, les sites historiques et l’industrie du divertissement. Je peux vous affirmer avec certitude qu’un certain nombre de grandes productions cinématographiques n’auraient jamais été possibles si les armes à silex avaient été classées dans une autre catégorie.

Dans les années 1990, j’ai participé aux discussions et à la prise de la décision concernant la déréglementation des armes d’épaule à silex. Malheureusement, les armes à silex à canon court sont restées à autorisation restreinte, et ce, même si tout le monde s’entendait pour dire qu’elles n’avaient pas posé de problème de sécurité publique depuis avant 1867. Pourtant, à ce jour, des ressources liées à l’application de la loi sont dépensées inutilement dans la recherche et la saisie d’armes à silex à autorisation restreinte.

Ma propre entreprise est un exemple concret. Depuis 18 ans, j’importe des armes à silex neutralisées de l’Inde. Grâce au retrait d’un petit évent de connexion dans la conception, la technologie était considérée comme désactivée, et les armes à silex étaient acceptées aux douanes. Cette décision correspondait à la pratique de nos grands partenaires commerciaux, notamment la France, le Royaume-Uni et les États-Unis, qui classent également ces produits dans la catégorie des armes désactivées ou inertes.

Au point d’entrée d’Ottawa, même si mon bilan de conformité était de 100 p. 100, la plupart de mes cargaisons ont été éventrées et inspectées continuellement au cours des deux dernières décennies, ce qui causait des retards et des dommages que ne subissent pas mes concurrents étrangers. Ironiquement, j’exportais ensuite avec facilité 90 p. 100 de ces appareils vers d’autres régions du monde.

En décembre dernier, au sommet de la saison de vente au détail, un chargement important a été retenu par l’ASFC. À ce moment-là, on a pris la décision arbitraire d’arrêter d’accepter les armes à silex désactivées sans m’avoir donné de préavis et sans avoir apporté de modification pertinente aux lois. On a demandé aux intervenants du Programme canadien des armes à feu d’enquêter. J’ai coopéré dans le cadre de l’enquête, et une décision rapide m’a été promise. Cela n’a jamais eu lieu. Même s’il était question d’une technologie très rudimentaire datant de 400 ans, le rapport final a été parachevé deux mois après la date promise au départ par les responsables du programme. Mon entreprise a essentiellement cessé ses activités durant cette période.

D’après la nouvelle décision, les produits n’étaient pas suffisamment neutralisés, et les armes à silex à canon court étaient des appareils à autorisation restreinte. À mes yeux, cette enquête était dénuée de transparence et lacunaire. Même si c’était la pratique policière standard, je n’ai pas été interrogé. En plus des autres erreurs qui ont été commises, on a présenté de manière inexacte des renseignements qui avaient déjà été publiés sur mon site web, et on ne m’a jamais demandé de les mettre en contexte.

La décision prise par les responsables du programme a déphasé le Canada par rapport à ses grands partenaires commerciaux, dont un grand nombre applique des lois plus strictes en ce qui concerne les armes à feu. Le fait est que des milliers de ces appareils ont été achetés par des passionnés de cinéma et d’histoire, par des gens qui s’habillent en pirate et par des propriétaires de pubs désirant décorer leurs murs. À des fins d’apprentissage manuel, ces appareils font partie de trousses d’éducation dans des musées et servent à expliquer la technologie du silex et de l’acier. Toutes les personnes qui possèdent des appareils neutralisés sont maintenant de fait en possession illégale d’une arme à autorisation restreinte en raison du changement d’avis des responsables du programme.

Je pense que c’est injuste, et je voudrais proposer deux amendements. Tout d’abord, à mon avis, le projet de loi C-71 devrait permettre la déclassification des appareils qui se sont avérés ne poser aucun problème de sécurité publique. Le projet de loi ne semble pas permettre la reclassification d’armes à feu ou d’autres appareils dans une catégorie moins contraignante. Il s’agit d’une lacune.

Mon autre préoccupation en ce qui concerne le projet de loi C-71 touche la nécessité d’un processus permettant d’interjeter appel des décisions du Programme canadien des armes à feu. Mon expérience récente auprès des responsables de cette organisation montre qu’il faut les obliger à respecter des normes de transparence élémentaires. Un mécanisme doit être établi afin de tenir le programme des armes à feu responsable de ce qui pourrait autrement être des décisions arbitraires. Le cas récent où les responsables du programme ont dépassé les bornes en ce qui a trait à Swiss Arms ne fait que renforcer cette nécessité.

Pour l’instant, je serais heureux de répondre à toute question que vous pourriez me poser.

La présidente : Nous allons maintenant passer aux questions. Je rappellerai aux sénateurs d’en arriver rapidement à leurs questions afin que tout le monde ait la possibilité de poser les siennes.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos invités de leur présence. Madame MacQuarrie, vous venez de l’Île-du-Prince-Édouard. C’est une province intéressante, mais le territoire est moins grand que d’autres provinces. J’aimerais savoir ce que vous anticipez comme incidences en ce qui a trait aux délais pour les permis de transport dans votre province.

[Traduction]

Mme MacQuarrie : C’est tout à fait préoccupant pour les propriétaires d’armes à feu de l’Île-du-Prince-Édouard. Certains des autres témoins qui ont comparu ce matin ont mentionné des délais liés à l’obtention de permis après les heures de bureau et au fait de tenter d’obtenir des autorisations de transport. Si je suis à un champ de tir avec l’une de mes armes à feu à autorisation restreinte et qu’un problème survient, de sorte que je dois apporter l’arme à un armurier, je ne peux pas le faire immédiatement sous le régime des modifications proposées. Cette disposition soulève des problèmes de sécurité pour moi et pour d’autres propriétaires d’armes à feu. C’est tout à fait préoccupant.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Les informations privées des détenteurs d’armes à feu peuvent être réparties chez des dizaines de vendeurs d’armes à feu. La transmission de ces informations d’un vendeur à un autre comporte-t-elle un danger pour ce qui est des détenteurs d’armes à feu et de permis?

[Traduction]

Mme MacQuarrie : Absolument. En tant que propriétaire d’armes à feu, je suis très préoccupée par la sécurité de ces données et l’accès aux renseignements. Depuis quelques années, le vol d’identité et la sécurité des données sont de plus en plus problématiques. Je songe à l’époque où je travaillais dans le commerce de détail, au début des années 1990, quand il était fréquent que l’on exige un numéro d’assurance sociale pour valider un chèque. Il est certain que nous ne communiquerions plus ce genre de renseignements personnels. Les problèmes liés à la sécurité des données et aux personnes qui y ont accès sont peut-être plus importants pour les personnes du milieu des armes à feu également.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Faulkner, vous êtes dans l’industrie des armes à feu depuis un certain nombre d’années; parlez-nous de ce que vous allez devoir faire en ce qui concerne la sécurité des informations personnelles de vos clients. Avez-vous l’impression qu’on vous fera faire le travail des policiers, entre autres? Si, un jour, vous deviez fermer votre compagnie, qui serait responsable des archives sur vos clients?

[Traduction]

M. Faulkner : Il s’agit certainement d’une bonne question. Les informations seront recueillies sous le régime du projet de loi C-71. Si je comprends bien votre question, vous demandez comment nous allons les mettre en lieu sûr afin de ne pas nous faire pirater et que les renseignements des gens ne soient pas diffusés publiquement ou communiqués à un élément criminel. Je ne le sais vraiment pas.

J’ai acheté un système informatique afin de tenter de me conformer à la loi, de sorte que nous soyons en mesure de consigner les renseignements aux fins du projet de loi C-71 et pour le gouvernement. Des pare-feu ordinaires sont installés sur mon ordinateur. En cas d’attaque sophistiquée, les renseignements sont là. Je ne suis pas certain que l’ordinateur soit aussi sécuritaire qu’il devrait l’être.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Selon le ministre Goodale, les gens pourraient obtenir plus rapidement leur permis de transport par Internet. Croyez-vous que cela sera possible à partir d’un fichier centralisé? On l’appelle « fichier centralisé ». On refuse de l’appeler « registre ». Ce n’est pas un fichier centralisé, ce sera un registre des armes à feu. Croyez-vous qu’on pourra obtenir un permis de transport plus rapidement par l’intermédiaire du fichier centralisé?

[Traduction]

M. Faulkner : Je n’ai pas tout à fait compris l’ensemble de la question.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je vais répéter ma question. Selon le ministre Goodale, si je possède une arme à feu et que je veux transporter mon arme d’un lieu à un autre par l’intermédiaire du fichier centralisé — le gouvernement refuse de l’appeler un registre des armes à feu —, ce sera plus facile d’obtenir un permis de transport. Autrement dit, avec la nouvelle reclassification, on pourra obtenir un permis de transport plus rapidement. Croyez-vous que cela sera possible?

[Traduction]

M. Faulkner : Il est toujours bon de regarder le passé. À une certaine époque, nous devions obtenir des autorisations de transport, et elles n’ont simplement pas fonctionné. Elles ont submergé nos bureaux provinciaux des armes à feu. Cela ne fonctionnait tout simplement pas.

Actuellement, l’autorisation de transporter son arme à feu à autorisation restreinte figure en tant que condition sur le permis d’armes à feu. Ce système fonctionne très bien. Le fait même d’envisager des autorisations de transport est un recul; c’est un retour de 25 ans en arrière. Cela ne fonctionne tout simplement pas. Nous avons établi le bon système.

Regardez votre permis d’armes à feu. C’est comme un permis de conduire. Le mien pourrait être de classe 5A ou de classe 6A, ce qui me permet de conduire une motocyclette ou un véhicule commercial. C’est ainsi que cela fonctionne aujourd’hui sur nos permis d’armes à feu. Si vous vous faites arrêter, la GRC regarde votre permis d’armes à feu. S’il n’indique pas la classe 5R et que vous êtes en possession d’une arme à feu a autorisation restreinte, vous êtes en infraction.

Ce qu’on peut faire au moyen de l’arme à feu en question figure maintenant sur le permis d’armes à feu. Nous avons établi le bon système. Vous ne me convaincrez jamais que le fait d’envisager des autorisations de transport est une bonne chose. Cela ne fonctionne assurément pas, et c’est un recul.

Le sénateur Plett : Je tenterai d’être rapide plutôt que bref, car j’ai une question à poser à chacun de nos témoins.

Mes deux premières questions s’adressent à M. Faulkner. Le projet de loi propose que l’on oblige les détaillants à vérifier si les acheteurs d’armes à feu sans restriction possèdent un permis d’armes à feu valide avant de leur vendre une arme à feu. Même si l’achat d’une arme à feu sans permis constitue déjà une infraction au titre du Code criminel, le détaillant ne doit avoir aucune raison de croire que l’acheteur n’en possède pas un. Selon le témoignage présenté par le ministre Goodale lui-même devant la Chambre des communes, les fournisseurs font tout de même souvent des vérifications, mais, de fait, ils ne sont pas tenus de le faire.

À quelle fréquence des gens tentent-ils d’acheter sans permis une arme d’épaule auprès de vous? Êtes-vous au courant d’un incident où une personne sans permis de possession et d’acquisition a acheté une arme d’épaule?

M. Faulkner : Je peux seulement vous parler de mon entreprise. Nous vérifions dans le système de la GRC tous les permis d’armes à feu qui entrent dans notre magasin. Surtout que, comme nous sommes un détaillant régional qui expédie ses produits partout au Canada, tous les permis font l’objet d’une vérification dans le système de la GRC. Vous seriez très surpris des renseignements que l’on retrouve dans ce système. Nous en savons pas mal sur vous lorsque vous présentez votre permis.

Le sénateur Plett : Vous ne vendriez jamais d’arme à feu à une personne si elle ne possède pas de permis.

M. Faulkner : Jamais. Actuellement, votre permis fait l’objet d’une vérification à l’échelon du magasin. Nous vérifions déjà les permis.

Lorsque vous venez dans mon magasin, j’entre votre nom dans l’ordinateur. Laissez-moi vous dire que je vois beaucoup de renseignements. Le système me dit si la personne peut acheter l’arme à feu en question. Si la réponse est non, nous devons appeler le contrôleur des armes à feu.

Le sénateur Plett : Est-ce qu’une personne vous a déjà acheté une arme d’épaule sans permis de possession et d’acquisition?

M. Faulkner : Non.

Le sénateur Plett : Madame MacQuarrie, je vous remercie de votre présence. Le ministre Goodale a tenté de dire aux propriétaires d’armes à feu canadiens — et vous y avez fait allusion — que le projet de loi C-71 ne créera pas de registre. Mon bon ami, de l’autre côté, a également tenu ces propos à la Chambre à un certain nombre d’occasions.

Pourtant, quand le gouvernement conservateur précédent a éliminé la nécessité de recueillir ces renseignements, il l’a fait par règlement. Ensuite, le ministre de la Justice, Vic Toews, maintenant juge au Manitoba, a comparu devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles afin d’expliquer que la réglementation était nécessaire pour garantir que ces renseignements n’étaient pas recueillis.

Voici ce qu’il a déclaré :

Le règlement proposé vise à préciser l’objet du projet de loi C-19 : prévenir la création d’un autre registre des armes d’épaule par l’entremise des données collectées par les CAF ou d’un autre moyen.

Êtes-vous d’accord avec le ministre Toews, ou bien vos organisations croient-elles que le fait de forcer les fournisseurs d’armes à feu à tenir ces types de dossiers est une tentative évidente de créer un autre registre des armes d’épaule?

Mme MacQuarrie : Comme j’y ai fait allusion dans ma déclaration préliminaire, aux yeux de notre organisation, il s’agit manifestement d’une tentative de recréer le registre des armes d’épaule. La seule différence, dans ce cas-ci, c’est que, au lieu d’être centralisés, les dossiers seraient entreposés dans 4 500 entreprises de partout au Canada.

C’est un registre des armes d’épaule qui assure moins la sécurité des renseignements que celui que nous avions auparavant.

Le sénateur Plett : Monsieur Henderson, vous avez expliqué comment votre entreprise a été touchée par des changements de classification liés aux armes à feu, et ce, même si vos armes à feu sont des antiquités neutralisées. J’ai trouvé cette information très intéressante quand je l’ai lue.

Le gouvernement a fait valoir que les politiciens devraient rester en dehors des affaires de classification d’armes à feu ou d’appareils. Avez-vous tenté de soulever cette question auprès du ministre? Le cas échéant, quelle a été sa réponse? Quelle est l’importance d’inscrire dans la loi des dispositions viables en matière d’appel pour une entreprise comme la vôtre?

M. Henderson : Je vous remercie de poser cette excellente question. Oui, j’ai communiqué avec le cabinet du ministre concernant cette situation particulière. Fait surprenant, je n’avais pas eu de nouvelles du cabinet du ministre jusqu’à tout récemment, quand on m’a transmis les conclusions des divers ministères et qu’on m’a répété ce que prévoient les lois régissant les armes à feu. La réponse ne va pas vraiment au cœur de la question, c’est-à-dire que des Canadiens ont acheté ces reproductions neutralisées en croyant qu’elles étaient neutralisées et qu’elles étaient entrées légalement au pays. Voilà maintenant qu’elles se trouvent dans leur domicile, sur leur mur. Ils sont loin de se douter qu’ils possèdent une arme à feu à autorisation restreinte. Ils sont illégalement en possession de cet article. Que fait-on de cela?

On en revient à toute la question de la classification. Avez-vous foi dans le Programme canadien des armes à feu, qui a été placé sous l’égide de la GRC? Il ne s’agit pas de la GRC, et les responsables vous diront qu’ils ne sont pas la GRC. Cette organisation faisait autrefois partie du cabinet du Solliciteur général, jusqu’à ce qu’il soit aboli pour des raisons de confidentialité, de transparence et d’autres motifs et que le programme soit transféré à la GRC par le gouvernement Martin.

Il est étrange qu’une loi dise soudainement : « Vous n’avez jamais eu de problèmes dans le passé, même si l’ensemble de votre bilan organisationnel indique que vous en avez eu. Pourquoi ne vous donnerions-nous pas carte blanche pour que vous puissiez faire ce que vous voulez avec la classification? » Je pense qu’il devrait y avoir une surveillance d’un point de vue politique à l’égard de ces questions, tout à fait.

La sénatrice Griffin : Ma première question s’adresse à M. Faulkner. Je crois comprendre que vous comptez parmi les plus importants détaillants d’armes à feu indépendants au pays, certainement dans l’Est du pays. Manifestement, des gens se présentent à votre magasin et y font des achats. Je crois également comprendre que vous effectuez des ventes en ligne.

M. Faulkner : C’est exact.

La sénatrice Griffin : Comment fonctionnent les ventes en ligne? Si je commande une arme à feu en ligne, faut-il que vous voyiez mon permis de possession et d’acquisition?

M. Faulkner : Nous recueillons tous les renseignements sur notre site web, y compris votre permis de possession et d’acquisition et des renseignements pertinents, comme votre date et votre lieu de naissance. Ces renseignements sont recueillis. Ensuite, nous les entrons dans le système de la GRC et vérifions votre permis avant d’expédier l’information. Nous posons également des questions comme : « quel est le nom de jeune fille de votre mère? » et d’autres questions pour nous assurer que vous êtes la personne que vous affirmez être.

Les armes à feu ne sont expédiées qu’à l’adresse qui figure sur le permis d’armes à feu. Si un client nous demande d’expédier la commande à la case postale 560 et que notre système affiche la case postale 360, une alerte est déclenchée, et nous commençons à faire des appels et à poser des questions. Nous disposons d’un système qui vérifie ces renseignements.

La sénatrice Griffin : Je ne m’étais pas rendu compte auparavant que les ventes en ligne étaient aussi importantes.

En ce qui concerne la tenue de dossiers, les autres témoins ici présents et vous-même avez expliqué assez clairement qu’il y aura nombre d’endroits où toutes les personnes qui vendent des armes entreposeront leurs propres dossiers. Serait-il utile d’établir des consignes quant à la façon dont ces dossiers doivent être entreposés?

Le sénateur Dagenais a demandé ce qui arrivera si vous vendez votre entreprise ou que vous fermez boutique. Qu’arrivera-t-il à ces dossiers, par exemple?

M. Faulkner : C’est très obscur.

La sénatrice Griffin : C’est un gros problème.

M. Faulkner : C’est très obscur, mais il s’agit d’une très bonne question. N’oubliez pas que chaque vente exigera un numéro de référence. Tous ces renseignements seront transmis au gouvernement fédéral, qui affirme ne pas les consigner. J’espère pouvoir le croire. Je souhaite le croire, mais mon cœur me dit autre chose.

La sénatrice Griffin : L’une des questions qui me préoccupaient est la suivante : dans quelle mesure serait-il facile de transformer ces renseignements en ce qui serait dans les faits un registre des armes d’épaule?

M. Faulkner : Je pense qu’il s’agit d’un registre. Quand nous faisons des démarches pour obtenir un numéro de référence, nous ne pouvons pas simplement appeler et dire que nous en avons besoin d’un. On nous demande de quelle arme à feu il s’agit, quel est le permis, quelle est l’adresse et qui est la personne.

Ne vous méprenez pas à ce sujet, madame la sénatrice Griffin, il s’agit d’un registre. Les dossiers sont tenus à l’échelon du magasin, mais nous transmettons ces renseignements au gouvernement fédéral du Canada. Ne fait-il que nous donner un numéro de référence, puis supprimer cette information? Je soupçonne que non.

Le sénateur McIntyre : Merci de vos exposés. Mes questions portent sur la définition et la classification des armes à feu.

Les définitions utilisées pour classifier les armes à feu sont-elles claires, ou bien sont-elles ouvertes à l’interprétation et variables selon l’opinion de chacun?

M. Faulkner : Non, les classifications d’armes à feu sont clairement définies.

M. Henderson : Elles sont définies de façon détaillée.

M. Faulkner : Oui. Les définitions d’armes à autorisation restreinte, sans restriction ou prohibées sont claires. Le cas de M. Henderson est unique. Essentiellement, cet article n’est pas une arme à feu, mais on a décidé de la considérer comme une arme à feu. Les responsables enfreignent parfois leurs propres règles. Nous avons vu ces situations auparavant.

Le sénateur McIntyre : Comme nous le savons, en supposant que le projet de loi C-71 soit promulgué, la GRC — et pas le gouverneur en conseil — serait la seule autorité pour la classification ou la reclassification des armes à feu.

Existe-t-il d’autres experts que la GRC qui pourraient faire ce travail? Autrement dit, ils pourraient classifier ou reclassifier des armes à feu.

M. Faulkner : Permettez-moi d’apporter des précisions. Actuellement, selon le système en place, qui n’est pas abordé dans le projet de loi C-71, la classification des armes à feu est entièrement effectuée par la GRC. La modification introduite dans le projet de loi C-71 tient au fait que, dans le système en vigueur actuellement, quand les responsables de la GRC placent une arme à feu dans la classe d’armes à feu sans restriction, ils disposent d’une année pour changer la classe de cette arme à feu. Une fois ce délai écoulé, l’arme doit demeurer dans la classe d’armes à feu sans restriction pour toute sa durée de vie.

La difficulté que nous éprouvons actuellement à l’égard de la classification tient à la prise du décret intitulé Abrogation du Règlement sur les registres et les fichiers d’armes à feu (classification) le 2 novembre 2018. Le gouvernement a introduit une modification.

Au fond, ce qui est arrivé, c’est qu’on a donné aux responsables de la GRC le droit de changer, à leur guise, la classe d’une arme à feu. En d’autres mots, ils peuvent décider qu’une arme à feu appartient à la classe sans restriction un jour, et peuvent se dire le lendemain : « Eh bien, nous avons changé d’avis. C’est un jour nouveau, et cette arme à feu est dorénavant prohibée. »

Selon les anciennes règles, ils ne pouvaient pas faire cela. Si les responsables décidaient qu’une arme à feu était sans restriction, elle devait demeurer dans cette classe. Maintenant, ils ont un chèque en blanc et peuvent faire ce qu’ils veulent, quand ils le veulent. En somme, ils peuvent retirer des armes à feu du marché.

Le sénateur McIntyre : Actuellement, les responsables de la GRC fournissent-ils les motifs d’une désignation de classe ou d’un changement de classe?

M. Faulkner : Il existe un ensemble de directives. La classe des armes à feu est établie en fonction de la longueur du canon et de la longueur totale. On applique une formule.

Le sénateur McIntyre : Est-il possible d’obtenir un rapport complet et détaillé de la GRC sur les changements de la classe d’armes à feu sans restriction à celle d’armes à feu à autorisation restreinte ou prohibées, ou l’inverse?

M. Faulkner : Comme sénateur, vous pourriez obtenir ce rapport. Comme détaillant, je ne pourrai probablement pas.

Le sénateur McIntyre : D’après ce que je comprends, des propriétaires d’entreprises pourraient devoir acheter un nouveau logiciel pour satisfaire aux nouvelles exigences en matière de collecte de renseignements et de tenue de dossiers imposées par le projet de loi C-71. Est-ce possible?

M. Faulkner : C’est ce que j’ai fait. J’ai dû me procurer un nouveau système informatique. Cela m’a coûté 50 000 $ pour que je puisse être en mesure de conserver ces dossiers pendant 20 ans. Je réitère qu’il n’est pas réaliste de conserver des dossiers pendant 20 ans. Je ne serai plus là dans 20 ans. Je ne sais pas qui le sera, mais ce ne sera pas moi. J’ai 62 ans et j’en aurai bientôt 63. Je ne serai plus là.

Le sénateur Pratte : Je souhaite revenir brièvement sur la question de savoir s’il s’agit ou non d’un registre. Peut-être ai-je mal compris, mais, d’après ce que j’en sais, quand un détaillant appellera pour obtenir un numéro de référence, il devra fournir le numéro du PPA de l’acheteur, et rien d’autre. Il ne transmettra pas de renseignements sur l’arme à feu. Des représentants du gouvernement nous l’ont confirmé. Quand vous appelez, vous donnez le numéro de PPA; on vérifie sa validité, un point c’est tout.

À mon avis, si le gouvernement ne recueille pas de renseignements sur l’arme à feu et que le propriétaire d’une arme à feu n’est pas tenu d’enregistrer l’arme, il ne s’agit pas d’un registre.

M. Faulkner : Pourquoi devrions-nous appeler? Nous avons déjà un ordinateur sur notre bureau. Nous avons déjà cette information. C’est un excellent projet pour créer des emplois.

Comme contribuable, je suis tout à fait outré. Ne croyez-vous pas que les responsables d’entreprise sont capables de vérifier un permis d’armes à feu? Nous le faisons déjà. C’est un très beau projet créateur d’emplois et un gaspillage de l’argent des contribuables. Continuez comme ça.

M. Henderson : Corrigez-moi si je me trompe, monsieur le sénateur, mais pourquoi incombe-t-il aux propriétaires d’entreprise de conserver les dossiers? Est-ce en prévision d’un audit par la GRC si un problème survient?

C’est ce qui fait peur. Tout d’un coup, on a transféré un registre valant des milliards de dollars. Combien le registre a-t-il coûté la dernière fois? Ce coût a été refilé aux propriétaires d’entreprise qui devront maintenant acheter des systèmes informatiques à 50 000 $ et quoi d’autre encore. Ce sont eux qui devront conserver les renseignements.

L’étape suivante serait de se faire dire : « Pourquoi ne pas rassembler l’information? » Ce n’est qu’un premier pas vers la création d’un autre registre, dont la responsabilité nous incombe.

Mme MacQuarrie : Si je puis me permettre de préciser un point, en tout respect, monsieur le sénateur, ce n’est pas seulement le numéro de permis que l’on consigne. Les dossiers que M. Faulkner a mentionnés comprennent le nom du fabricant, le modèle, le type et le numéro de série d’une arme à feu. Si ce n’est pas un registre, je ne comprends pas bien ce qu’est un registre.

Le sénateur Pratte : Nous parlons de deux choses différentes. Je parlais du moment où on appelle pour obtenir un numéro de référence. Le gouvernement ne demande aucun renseignement concernant le fabricant ni d’informations consignées dans le dossier.

En ce qui a trait à la tenue de dossiers par les détaillants, en quoi les exigences prévues dans le projet de loi C-71 sont-elles différentes de celles liées à la tenue de ce que vous appeliez le Livre vert? Il s’agit du système en place avant 1995.

M. Faulkner : Vous voulez dire quelles sont les différences?

Le sénateur Pratte : Oui. De 1979 à 1995, avant l’entrée en vigueur du registre des armes d’épaule, tous les détaillants devaient consigner leurs ventes d’armes à feu. On appelait cela le Livre vert.

M. Faulkner : Nous devons obtenir des numéros de référence auprès du centre des armes à feu. Je ne sais pas avec certitude auprès de qui les obtenir. Je comprends ce que vous dites. Nous allons simplement appeler et transmettre le numéro de permis.

Je ne crois pas que les choses se passeront ainsi. Ce ne sont tout simplement pas des renseignements suffisants pour que les responsables nous donnent un numéro de référence. Ils voudront savoir quelle arme à feu le client achète.

Le sénateur Pratte : On nous a affirmé qu’on ne poserait pas cette question.

M. Faulkner : Pourquoi nous donnerait-on un numéro de référence lié à un permis qui est déjà valide? À quoi cela servirait-il?

Le sénateur Pratte : Ils veulent vérifier la validité du permis. Je veux revenir à la tenue de dossiers. Les informations qui doivent être conservées, d’après le projet de loi C-71, ne contiennent pas de renseignements personnels.

On mentionne le numéro de permis de PPA et les détails concernant l’arme à feu, mais vous n’êtes pas tenus selon les dispositions du projet de loi d’ajouter le nom ou l’adresse du client.

M. Faulkner : Ce n’est pas ce que j’ai compris. Si un représentant de la GRC nous appelle et nous donne un numéro de série, il voudra savoir qui a acheté l’arme à feu : l’adresse complète et le nom. C’est ce que j’ai compris.

Mme MacQuarrie : Si je puis ajouter quelque chose, monsieur le sénateur, même s’il n’est pas exigé de conserver ces renseignements, rien n’empêche de le faire non plus.

Quant à votre question portant sur la situation avant 1995, j’aimerais formuler deux commentaires. Tout d’abord, rien ne montre que le fait d’avoir consigné ces renseignements a contribué à la prévention des crimes, donc la nécessité de le faire peut assurément être mise en cause. Ce qui a beaucoup changé depuis 1995, ce sont les problèmes touchant le vol d’identité et la protection des renseignements. Ce sont de nouvelles préoccupations par rapport à cette époque.

Le sénateur Pratte : Je souhaite aborder un dernier point, si je puis. N’y a-t-il pas des exigences en matière de tenue de dossiers par les détaillants actuellement aux États-Unis?

M. Faulkner : Notre système est différent de celui des États-Unis. Je ne connais pas leur système. Je peux toutefois vous dire qu’au Canada, notre système est fondé sur le permis d’armes à feu. Ce n’est pas un mauvais système d’exiger de détenir un permis pour acheter une arme à feu.

Je sais qu’aux États-Unis, les choses sont complètement différentes. Pour aller à la pêche, il faut un permis de pêche; pour aller à la chasse, il faut un permis de chasse. Au Canada, pour acheter une arme à feu il faut détenir un permis d’armes à feu. Je crois que nous avons probablement réussi sur ce point. Aux États-Unis, vous pouvez entrer dans une boutique d’armes à feu, présenter votre permis de conduire, ou toute autre pièce d’identité, et obtenir une arme à feu.

Il s’agit de deux scénarios différents. Les choses sont différentes au Canada. On ne se compare aucunement aux États-Unis.

La présidente : Il reste quatre sénateurs sur la liste et nous avons environ 12 minutes, donc je vais vous demander de garder cela à l’esprit.

Le sénateur Oh : La plupart de mes questions ont été posées, donc je vais en poser d’autres sur certains faits concrets.

Madame MacQuarrie, depuis quand dirigez-vous votre association?

Mme MacQuarrie : Notre organisation existe depuis 2016, donc depuis trois ans.

Le sénateur Oh : Trois ans. Les témoins du groupe de ce matin ont parlé de suicide par arme à feu. Combien de vos membres se sont suicidés et combien de membres reste-t-il?

Mme MacQuarrie : Aucun.

Le sénateur Oh : Les activités de votre association concernent principalement le tir à la cible, les armes de poing et les armes d’épaule.

Mme MacQuarrie : Nos membres pratiquent tous les sports de tir, donc le tir à l’arme de poing, à la carabine et au skeet ainsi que la chasse. Nos membres pratiquent toutes ces activités.

Le sénateur Oh : Et personne n’a utilisé une arme à feu pour se suicider?

Mme MacQuarrie : Aucun de nos membres n’a commis de crime.

Le sénateur Oh : J’ai une question d’ordre économique à poser à Ross Faulkner. Vous affirmez que 20 postes seront supprimés si le projet de loi C-71 est adopté.

M. Faulkner : J’ai actuellement 20 employés. Je souhaite aussi souligner aux membres du Sénat qu’il ne s’agit pas d’emplois au bas de l’échelle. Ce sont des postes à temps plein. Mes employés ont accès à un régime de soins dentaires et d’assurance médicaments, et leur rémunération est bien supérieure au salaire minimum. Ils reçoivent un salaire qui leur permet de vivre.

Ce projet de loi aura des effets négatifs sur mon entreprise et se traduira par la mise à pied d’honnêtes et travaillants Canadiens. C’est véritablement ce qui se passera à la suite de l’adoption du projet de loi C-71. Je tiens à ce que les membres du Sénat reçoivent ce message et entendent la vérité. Je dis les vraies choses.

Le sénateur Oh : Savez-vous environ combien de personnes, y compris les proches, seront touchées?

M. Faulkner : Si les affaires ralentissent, nous allons faire des mises à pied. Il n’en fait aucun doute. Entre cinq et sept postes pourraient être touchés si notre chiffre d’affaires baisse, et je crois qu’il baissera. Toute mesure défavorable comme le projet de loi C-71 refroidit les gens. Ils ne voudront pas acheter.

Le sénateur Oh : Combien de personnes, y compris les membres de leur famille, seront touchées? Vous avez 20 employés. C’est un nombre important dans une région rurale.

M. Faulkner : Je suis l’employeur indépendant le plus important à McAdam, au Nouveau-Brunswick, qui compte une population d’environ 1 200 personnes.

Le sénateur Richards : Le sénateur Oh a déjà posé ma question, et c’est très bien. Je suis heureux qu’il l’ait fait.

Monsieur Faulkner, je sais que votre entreprise est l’employeur le plus important à McAdam. Les revenus dans ce village sont liés pratiquement dans leur ensemble d’une façon ou d’une autre à votre commerce. Il s’agit bien d’un registre, et il serait même acceptable s’il enrayait la violence liée aux armes à feu.

Je sais que vous n’êtes pas criminologue, et je n’en suis pas un non plus, mais je traite de ce sujet depuis un bon moment déjà. Croyez-vous que cette mesure législative aidera à freiner la violence liée aux armes à feu au pays?

M. Faulkner : C’est une excellente question, sénateur Richards. Je vais laisser parler mon cœur. J’ai un fils et deux petits-fils en bas âge. Je suis préoccupé par la sécurité du public, mais je suis d’avis que ce projet n’empêchera aucun crime d’être commis et qu’il n’améliorera aucunement la sécurité du public. Il imposera un fardeau à mon entreprise. Je peux vous en assurer.

Le sénateur Kutcher : Je vous remercie de la clarté de vos exposés et d’avoir si bien exprimé vos préoccupations concernant ce projet de loi. Un peu comme c’était le cas pour le sénateur Richards, le sénateur McIntyre a déjà posé une de mes questions, donc je n’ai pas besoin de redemander ces informations.

Madame MacQuarrie, vous avez mentionné le fait d’adopter un point de vue différent relativement à la violence conjugale, et vous n’avez pas eu l’occasion de fournir des explications. Nous souhaitons tous connaître votre point de vue à cet égard.

Mme MacQuarrie : Il y a deux points que j’aimerais mentionner à cet égard. Premièrement, je souhaite rappeler aux membres du comité — et je suis certaine que vous savez cela, monsieur — que le fait qu’il y ait une arme à feu dans un foyer n’est pas un facteur qui permet de prédire la violence conjugale. Ce que je veux dire par là, c’est que les demeures où se trouve une arme à feu ne sont pas plus susceptibles d’être un lieu de violence conjugale que les demeures où il n’y en a pas.

Deuxièmement, j’ai découvert par l’entremise de mon groupe la perspective des femmes qui ont été victimes de violence conjugale par rapport à nos mesures législatives en vigueur actuellement. Cela m’a vraiment ouvert les yeux. Une des choses que se font demander les gens au moment de présenter une demande de permis d’armes à feu, c’est de fournir le nom de leur ancien époux ou conjoint. Plusieurs femmes membres de mon organisation qui ont été victimes de violence conjugale interrompent le processus de demande de permis à ce moment-là. Elles ont été choquées d’apprendre que, selon le processus d’obtention du permis, elles devaient fournir les coordonnées de la personne qui les a victimisées.

On a discuté du fait d’examiner les lois relatives aux armes à feu sous l’optique sexospécifique. Dans bon nombre des exposés présentés jusqu’à maintenant, on a présumé que ce sont des hommes qui utilisent des armes à feu et que les femmes sont leurs victimes. J’aimerais rappeler que ce n’est pas le cas.

La sénatrice Busson : C’est toujours difficile d’être la dernière à poser des questions parce que les autres membres ont abordé tant de sujets. Les gens comme vous m’intéressent, parce que vous devez traiter ce genre de questions au quotidien et que vous êtes de toute évidence touchée directement quand surviennent des changements. Vos connaissances sont très appréciées.

J’ai une question à poser. Je crois que M. Faulkner et M. Henderson ont tous les deux parlé de la classification des armes à feu et de la possibilité que la GRC puisse d’un coup de tête — je crois que c’est l’expression qui a été utilisée — changer une arme de classe.

Quels sont les motifs, autres que celui de la sécurité du public, que pourraient invoquer les responsables de la GRC pour faire passer une arme à feu d’une classe à une autre?

M. Faulkner : Je crois qu’ils ont une liste. Dans le projet de loi C-71, il y a deux armes à feu que j’avais déjà vues sur la liste. Cela m’a porté à croire qu’ils ont des intentions cachées.

Je suis d’avis qu’ils ont un objectif, qu’on leur a accordé les pleins pouvoirs pour faire ce qu’ils veulent en matière de classification, et que les personnes comme moi en supporteront le fardeau financier. Il n’en fait aucun doute.

J’ai mentionné plus tôt le moment où le décret a été adopté et le fait qu’on a modifié la façon dont les responsables peuvent changer des armes à feu de classe. J’ai su à ce moment-là que les choses iraient mal pour nous. Comme propriétaire de commerce d’armes à feu, je savais que ce serait difficile et que mes produits en stock étaient menacés.

Actuellement, je suis très nerveux à l’idée que les responsables de la GRC puissent déclarer : « Nous n’aimons pas l’allure de cette arme à feu. Elle ressemble à une arme d’assaut. Qu’elle en soit une ou non, nous allons tout simplement nous en débarrasser. » C’est ce que j’entrevois pour l’avenir.

M. Henderson : Si vous confiez cette tâche à un organisme de la fonction publique, il y a un risque inhérent que les fonctionnaires mettent tout dans la classe des armes prohibées, parce que cela réduit les risques. Le fait de se lier de façon définitive à un organisme de la fonction publique est toujours accompagné de la volonté de constamment s’efforcer d’éliminer les risques.

Si quelque chose se produit dans notre société, ces responsables sont blâmés parce qu’ils n’ont pas cerné le risque. « Celle-ci nous a échappé. Pourquoi n’éliminerions-nous pas toute cette catégorie? » De toute évidence, ils feront preuve de plus de diligence. C’est pourquoi il faut que des politiciens participent au processus et prennent sur leurs épaules une partie des risques, pour alléger le poids qui repose sur les fonctionnaires, lesquels s’efforcent de faire de leur mieux. J’éprouve beaucoup d’empathie à leur égard en raison des responsabilités qu’on leur a confiées.

Afin de protéger les droits et les libertés des citoyens ainsi que leurs biens, et de créer un environnement sécuritaire, le gouverneur en conseil devrait conserver certaines des responsabilités touchant ces questions.

La présidente : Nous profitons de ce moment pour vous remercier tous les trois de votre présence. Nous sommes reconnaissants de vos réponses franches.

Nous recevons aujourd’hui dans notre troisième groupe de témoins M. Matt DeMille, gérant, et M. Brian McRae, conseiller principal, tous deux de la Fédération des pêcheurs et chasseurs de l’Ontario. Bienvenue.

Par vidéoconférence depuis la Colombie-Britannique, nous accueillons M. Chuck Zuckerman, président, BCWF Firearms and Recreational Sport Shooting Committee, B.C. Wildlife Federation. Bienvenue, monsieur Zuckerman. On nous a informés que vous ne serez disponible que jusqu’à 14 heures en raison de l’accès au service de vidéoconférence.

Si vous avez des questions, mesdames et messieurs les sénateurs, veuillez commencer par M. Zuckerman, si le sujet le concerne.

Matt DeMille, gérant, Service de la pêche et de la faune, Fédération des pêcheurs et chasseurs de l’Ontario : Au nom des membres de la Fédération des pêcheurs et des chasseurs de l’Ontario, je vous remercie de nous avoir invités à discuter du projet de loi C-71.

Nous sommes la plus importante organisation axée sur la conservation en Ontario, mais nous défendons aussi les intérêts touchant des activités liées aux armes à feu comme la chasse, le trappage et le tir sportif. De plus, nous représentons les membres de 56 clubs de tir, dont les responsables dirigent 80 champs de tir autorisés par le CAF.

Nous n’offrons pas une perspective uniquement ontarienne. De fait, la plupart de nos organisations de pêche et de chasse affiliées, situées d’un bout à l’autre du pays, y compris la BCWF, dont un représentant fait partie de ce groupe-ci de témoins, ont appuyé le mémoire que nous avons présenté. Ces organisations réunies représentent environ 345 000 Canadiens.

Les tendances à long terme montrent que le nombre de tous les crimes liés aux armes à feu décline, mais, peu importe les chiffres, aucun Canadien ne devrait nier qu’il faut réduire la violence liée aux armes à feu. La question est non pas de savoir si on devrait faire quelque chose, mais plutôt de savoir comment s’y prendre.

Nous saluons l’engagement financier du gouvernement à l’égard des projets mis sur pied partout au Canada visant à prévenir les crimes, de même que le financement de la GRC et de l’Agence des services frontaliers du Canada afin de faire en sorte que nous disposions des ressources nécessaires pour améliorer la sécurité le long de nos frontières. Voilà les mesures que nous attendons du gouvernement.

Le message et le financement montrent clairement que cette initiative en matière de sécurité publique a été élaborée pour viser les gangs de rue, la violence des gangs de rue, le crime organisé et la contrebande transfrontalière d’armes à feu. Toutefois, le projet de loi C-71, sur le plan stratégique, ne cible que les utilisateurs d’armes à feu qui sont respectueux des lois, et le fait d’une manière qui n’améliorera que de façon négligeable la sécurité du public. Le fait que le projet de loi est muet sur les gangs de rue, la violence et les crimes graves liés aux armes à feu est ahurissant. Il n’est pas étonnant que les propriétaires d’armes à feu se sentent ciblés de façon injuste. Voilà une façon de faire qui, à nos yeux, n’est pas logique, et, en conséquence, nous ne pouvons appuyer le projet de loi dans sa forme actuelle.

Il y a une fausse idée très répandue qui veut qu’on n’examine pas de façon assez rigoureuse les personnes qui souhaitent obtenir et conserver un permis d’armes à feu au Canada. Les propriétaires d’armes à feu comptent déjà parmi un des groupes les plus scrutés dans la population canadienne. Les nouveaux demandeurs doivent se soumettre à un processus de vérification rigoureux. Entre 2012 et 2017, 4 637 demandes de permis ont été refusées.

De plus, les personnes qui possèdent déjà des armes à feu doivent subir un examen continu de leur admissibilité afin qu’on puisse vérifier si elles n’ont pas commis de crime depuis qu’elles ont obtenu leur permis. Entre 2012 et 2017, on a révoqué 14 505 permis. Il y a de nombreux motifs pour les refus et les révocations de permis, notamment une interdiction ou une probation ordonnée par la cour, la violence conjugale, l’état de santé mentale, le risque possible pour soi-même et d’autres et un comportement violent. En 2017, il y avait un peu plus de 443 000 personnes qui n’avaient pas le droit de posséder d’armes à feu.

Ce qu’il faut retenir, c’est que nous avons un système de vérification qui fonctionne pour améliorer la sécurité du public. Est-il parfait? Non, mais effectuer des investissements dans un système de vérification plus coordonné et intégré entre les organismes offre plus de possibilités d’améliorer la sécurité du public que de scruter davantage et de chercher différentes choses.

Aujourd’hui, dans notre déclaration préliminaire, nous n’avons pas pu examiner en profondeur le projet de loi. J’espère que vous avez tous eu l’occasion de consulter notre mémoire, qui comprend une analyse détaillée de chaque article du projet de loi et une mise en contexte, des questions et des préoccupations qui persistent, ainsi que les résultats d’un sondage portant sur le projet de loi C-71 mené auprès de plus de 3 500 propriétaires d’armes à feu par notre organisation en avril 2018.

Notre opposition au projet de loi C-71 n’est pas partisane ni fondée sur les émotions. Elle n’était pas prédéfinie selon un principe. Ce n’est qu’après une analyse exhaustive et rationnelle que nous sommes arrivés à la même conclusion pour presque chacune des propositions. Ce projet n’améliorera pas la sécurité publique. Les données n’appuient tout simplement pas cette affirmation.

Les propriétaires d’armes à feu qui détiennent un permis sont aussi préoccupés par la sécurité du public que tous les autres Canadiens. La communauté de propriétaires d’armes à feu n’est pas contre des politiques visant les armes à feu, mais elles doivent être fondées sur des données probantes, et nous souhaitons la création de mesures qui auront pour effet de véritablement assurer la sécurité des Canadiens.

Un des plus importants défis auxquels nous faisons face dans l’établissement de bonnes politiques relatives aux armes à feu tient à la politisation du débat et, en conséquence, à la polarisation viscérale qui survient presque toujours. Malheureusement, il semble que les seules discussions que nous tenons à propos des armes à feu se déroulent dans les médias, bien souvent après un événement tragique, ou dans l’arène politique. Il y a un manque de volonté des deux parties au débat de dépasser la rhétorique et une vision inflexible voulant que nous devions entamer tout échange dans une posture d’opposition les uns aux autres.

Dans les faits, nous avons tous le même objectif. Nous voulons réduire la criminalité, les crimes violents et l’utilisation illicite d’armes à feu au Canada. Si nous cessons de nous disputer, nous pourrions consacrer cette énergie, ce temps et ces ressources à la création de réels bénéfices sur le plan de la sécurité publique pour les Canadiens.

C’est pourquoi notre organisation a été invitée à participer à un dialogue officiel avec des représentants d’un groupe soutenant le contrôle des armes à feu, échange qui sera animé par le Mosaic Institute. L’objectif est d’arriver à une compréhension mutuelle, de chercher des points communs et de tenter d’élaborer des propositions de politique publique pour réduire la violence liée aux armes à feu qui seraient plus éclairées et auraient une plus grande portée que ce que chacun des groupes pourrait avancer seul.

Ce dialogue permettra d’examiner les différences de points de vue entre les Canadiens vivant en zone rurale et ceux vivant en zone urbaine, de même qu’entre les utilisateurs et les non-utilisateurs d’armes à feu, ainsi que les expériences vécues relativement à l’utilisation responsable ou imprudente d’armes à feu. Il est clair qu’il existe un besoin en matière d’éducation des deux côtés, et nous sommes d’avis que cet échange non politique et encadré pourra créer une dynamique qui nous aidera à le satisfaire.

Au bout du compte, le projet de loi C-71 a engendré de la confusion et des préoccupations et a miné la confiance à l’égard de l’approche que le gouvernement applique aux politiques touchant les armes à feu. Même dans le cas des modifications auxquelles nous pourrions nous accommoder, il n’existe presque aucune donnée convaincante qui montre qu’elles entraîneront une amélioration de la sécurité publique.

Si le gouvernement est sérieux quant au respect qu’il porte à la communauté des propriétaires d’armes à feu, alors il ne peut poursuivre le processus d’adoption du projet de loi C-71 sans apporter des amendements importants non seulement pour réduire la portée inutile des incidences sur les Canadiens respectueux des lois, mais aussi pour ajouter des dispositions qui ont un effet tangible et s’attaquent directement à la violence liée aux armes à feu, respectant ainsi l’intention déclarée à cet égard.

Pour terminer, nous exhortons les membres de ce comité à poser des questions difficiles et à examiner de façon attentive des amendements sérieux. Nos recommandations quant aux amendements comprennent l’augmentation des peines pour des crimes violents liés aux armes à feu; l’ajout d’un système d’appel accessible et efficace pour les personnes qui se voient refuser ou révoquer un permis et dont le résultat de la vérification est négatif; l’ajout de dispositions spécifiques visant les détaillants en ce qui a trait aux normes relatives à la protection des renseignements et aux sanctions en cas de non-conformité; la suppression de la proposition de retirer des destinations visées par les autorisations automatiques de transport; et l’ajout d’une exigence à l’égard d’un processus de classification harmonisé, cohérent, transparent et fondé sur des données probantes qui prévoit la consultation des utilisateurs des armes à feu et comprend un système efficace et opportun d’appel des décisions de classification.

Chuck Zuckerman, président, BCWF Firearms and Recreational Sport Shooting Committee, B.C. Wildlife Federation : Madame la présidente, mesdames et messieurs, bonjour. Je vous remercie d’avoir invité les 50 000 membres de la B.C. Wildlife Federation à discuter avec vous à propos du projet de loi C-71.

La possession d’une arme à feu fait partie d’un mode de vie pour les propriétaires d’armes à feu responsables de la Colombie-Britannique. Nous aimons les activités extérieures et sommes engagés à offrir de la nourriture naturelle et saine à notre famille. Nous reconnaissons que cette activité nous lie à nos ancêtres et à l’esprit de pionnier. Elle fait partie des valeurs qui maintiennent la cohésion au sein de nos familles et de la société. C’est ce qui donne un sens à notre vie.

Une arme à feu est un outil de chasse important quand son utilisation est fondée sur la gestion scientifique des espèces et la poursuite d’un animal de façon équitable. La chasse menée de façon appropriée a comme avantage de limiter les interactions négatives avec les animaux sauvages. Elle prévient le pillage des récoltes, protège le bétail et permet au gouvernement d’économiser les coûts liés à l’embauche d’agents de conservation, qui ont pour rôle de régler les problèmes liés aux animaux sauvages.

En ce qui concerne la sécurité, je détiens un permis d’instructeur de tir, je possède le titre d’instructeur de chasse de niveau master du programme CORE et je participe à des compétitions de tir à l’arme de poing. Un élève ne peut recevoir une attestation de formation sur les armes à feu à autorisation restreinte qu’après avoir suivi une formation de deux jours et avoir réussi des examens écrits et pratiques. La sécurité est une priorité, et les notions premières transmises dans le cadre des formations sont de toujours pointer l’arme à feu dans une direction sécuritaire et de ne pas garder le doigt sur la gâchette.

Dans l’enseignement du maniement, de l’entreposage, du transport et de l’exposition des armes à feu sans restriction, on explique que l’arme doit être déchargée, que la sûreté doit être engagée et que l’arme doit être entreposée dans une boîte ou une pièce bien verrouillée. Pour ce qui est des armes à feu à autorisation restreinte, non seulement l’arme doit être déchargée, et la sécurité engagée, mais elle doit également être transportée dans un étui verrouillé, et les munitions doivent être transportées dans un étui verrouillé séparé. Transporter une arme à feu à autorisation restreinte de toute autre façon constitue une infraction au titre du Code criminel canadien. Il est illégal de transporter sur soi une arme à feu à autorisation restreinte, chargée ou déchargée.

Seuls les élèves qui ont terminé la formation avec succès peuvent présenter une demande, et la GRC effectue une vérification rigoureuse des antécédents des personnes qui présentent une demande.

Le projet de loi C-71 ne fera que créer de nouvelles étapes réglementaires fastidieuses que seuls les propriétaires d’armes à feu respectueux de la loi suivront. Le projet de loi ne fait rien pour régler le problème de l’utilisation ou de la possession illégales d’armes à feu. Je ne connais aucune autre activité récréative qui est autant encadrée. Pour quelle autre activité a-t-on besoin d’une vérification quinquennale des antécédents?

Le projet de loi C-71 prévoit d’étendre la période visée par la vérification des antécédents. On réécrirait les questions du formulaire 5592, que tous ceux qui présentent une demande sont tenus de le remplir.

Si vous répondez oui à au moins une des questions suivantes, vous êtes obligé de fournir des détails supplémentaires sur une page à part :

a) Au cours de votre vie, avez-vous été visé par un engagement de ne pas troubler l’ordre public ou par une ordonnance de protection?

b) Un membre de votre foyer a-t-il jamais été assujetti à une ordonnance judiciaire interdisant la possession d’armes à feu?

c) Au cours de votre vie, avez-vous tenté ou menacé de vous suicider ou, après avoir consulté un médecin, avez-vous fait l’objet d’un diagnostic ou subi un traitement pour une dépression, l’abus d’alcool, de drogues ou d’autres substances, des problèmes comportementaux ou émotifs ou avez-vous été atteint d’un de ces états?

d) Au cours de votre vie, avez-vous vécu un divorce, une séparation ou une rupture d’une relation importante, ou encore avez-vous perdu votre emploi ou fait faillite?

Comparons un instant le permis de conduire au permis d’armes à feu. Selon l’Insurance Corporation of British Columbia, il y aurait 642 accidents de véhicule par tranche de 100 000 conducteurs titulaires d’un permis de conduire. En août, CBC a annoncé qu’il y avait 0,6 décès lié aux armes à feu par tranche de 100 000 propriétaires d’armes à feu titulaires d’un permis dans l’ensemble du Canada et qu’il y avait 0,07 tir accidentel par tranche de 100 000 propriétaires d’armes à feu titulaires d’un permis dans tout le Canada.

Voici donc notre question : si les conducteurs titulaires d’un permis de conduire sont 600 fois plus susceptibles de causer un accident qui entraîne parfois des décès que les propriétaires d’armes à feu titulaires d’un permis, pourquoi ne vérifie-t-on pas leurs antécédents aussi vigoureusement?

L’alcool et la vitesse sont en cause dans 51 p. 100 des accidents de véhicule, alors peut-être qu’il faudrait imposer un permis renouvelable pour pouvoir acheter de l’alcool et obliger l’utilisation de régulateurs de vitesse, au même titre que le port de la ceinture de sécurité.

En conclusion, ne serait-il pas préférable d’utiliser l’argent pour former et employer un plus grand nombre d’agents d’application de la loi? La meilleure solution ne serait-elle pas de consacrer davantage de ressources à la lutte contre les causes de la criminalité, comme la pauvreté, l’inégalité économique, les lacunes en éducation et la toxicomanie? Ne serait-il pas mieux, pour atténuer la criminalité, d’offrir des cours sur le rôle parental et d’exiger que les écoles enseignent des techniques efficaces de résolution de conflits?

C’est donc non pas grâce à la réglementation que les valeurs de la société vont pouvoir changer, mais par l’éducation.

La présidente : Merci, monsieur Zuckerman. Nous allons passer à la période de questions.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Zuckerman, selon vous, est-il arrivé souvent qu’on ait dû reclassifier les armes à feu?

[Traduction]

M. Zuckerman : Il est arrivé quelques fois qu’une arme à feu ordinaire sans restriction change de classe et devienne une arme à feu à autorisation restreinte. Le problème, lorsque cela se produit, c’est que les gens qui n’ont pas de permis pour cette classe d’armes à feu se retrouvent soudainement en violation du Code criminel; ils doivent alors remettre volontairement l’arme à feu à la GRC.

Cela est déjà arrivé, mais je ne saurai dire combien de fois.

[Français]

Le sénateur Dagenais : À votre connaissance, est-ce que la reclassification des armes à feu a fait l’objet d’une quelconque contestation? Croyez-vous sincèrement qu’un propriétaire d’armes à feu obtiendra satisfaction s’il porte une décision de reclassification d’arme en appel? Ne crée-t-on pas des préjudices aux citoyens en effectuant de telles reclassifications?

[Traduction]

M. Zuckerman : Nous essayons, croyez-le, sénateur. Le problème, c’est la confiance. Le gouvernement demande aux citoyens de lui faire confiance dans ses décisions. Mais avec ce projet de loi qui impose encore plus de restrictions aux Canadiens, peut-on dire que le gouvernement fait confiance aux citoyens? Il n’existe aucun processus pour interjeter appel de la décision de reclassifier une arme à feu. Le gouverneur en conseil a donné à la GRC le pouvoir de décider de la classe des armes à feu. Comment fait-on pour interjeter appel d’une décision de la GRC? À qui est-on censé écrire?

Donc, il n’y a aucun processus d’appel présentement qu’on pourrait utiliser facilement. La seule solution est d’engager un avocat et d’aller devant les tribunaux, ou de demander à l’avocat d’écrire en votre nom. Tout cela coûte très cher.

Le sénateur Plett : Monsieur Zuckerman, je souscris à votre commentaire. Si on interdisait les voitures sur les routes, il n’y aurait plus d’accidents de la route, et plus de décès causés par des automobilistes fous.

J’ai quelques questions à vous poser. L’idée a été avancée devant le comité que les armes à feu elles-mêmes sont le problème. Le comité a entendu le témoignage de Mme Wendy Cukier, et elle a déclaré que l’augmentation du nombre d’armes à feu à autorisation restreinte et d’armes à feu prohibées — d’environ 350 000 en 2004 à plus d’un million — montrait clairement qu’il y avait un problème, surtout compte tenu des incidents liés aux armes à feu légales et du détournement des armes légales vers les marchés illicites.

J’aimerais qu’au moins l’un des témoins formule des commentaires sur cette affirmation. À quel point est-il facile de détourner une arme à feu illégale vers des marchés illicites, d’après votre expérience?

M. Zuckerman : C’est illégal de prêter votre arme à feu à autorisation restreinte à une autre personne ou de la vendre, parce qu’elle est enregistrée à votre nom. Le numéro de série est enregistré à votre nom. Il y a un numéro spécial attribué par la GRC; c’est le numéro d’enregistrement pour cette arme à feu uniquement.

Si une personne veut acheter cette arme à feu, elle doit aviser la GRC de son intention. Elle doit détenir un permis de possession et d’acquisition pour les armes à feu à autorisation restreinte. Une autorisation de transport doit être octroyée à la personne afin qu’elle puisse transporter l’arme à feu de votre résidence ou de l’exposition d’armes à feu jusqu’à chez elle.

Si vous donnez une arme à feu achetée légalement à quelqu’un qui ne possède pas les bons documents, vous êtes un criminel. Vous êtes un criminel qui donnez une arme à feu à un criminel.

M. DeMille : J’aimerais ajouter quelque chose : vous parlez probablement de choses comme le vol, l’achat par personne interposée et les autres façons dont les armes à feu légales sont détournées vers le marché illicite.

Nous nous sommes intéressés de près à ce sujet. Il y a déjà un système en place, mais nous avons besoin qu’il soit nettement plus efficace. Nous avons besoin de façons de déterminer où se trouvent les armes à feu illégales, de retracer leur origine, d’établir la façon dont elles ont été détournées et de faire en sorte que les activités des divers organismes soient coordonnées.

L’un des problèmes les plus importants tient au grand nombre d’acteurs dans ce dossier. Il y a la GRC, le Programme canadien des armes à feu, les contrôleurs des armes à feu et les services de police. Il faut faire en sorte que tous communiquent les uns avec les autres. La plupart du temps, l’information existe, et ce n’est qu’une question de la propager et de veiller à ce que tout le monde ait accès aux meilleurs renseignements.

Le sénateur Plett : Croyez-vous qu’il y a quelque chose dans le projet de loi C-71 qui permettrait de régler ce problème? Je pose la question à l’un ou l’autre des témoins.

M. Zuckerman : Il n’y a rien du tout dans le projet de loi à ce sujet.

Le sénateur Plett : Pouvez-vous nous parler des sports de tir? Savez-vous si le nombre d’adeptes a changé au cours des dernières années? Je vous prierais d’être brefs dans vos commentaires, car nous avons peu de temps.

M. Zuckerman : Dans le Lower Mainland — je suis le président à Vancouver —, il y a deux ou trois fois plus de personnes qui vont dans des clubs de tir pour pratiquer ce sport. Certains clubs ont 4 000, 5 000 ou 6 000 membres. Il y a tellement de nouveaux tireurs sportifs que certains clubs ont de la difficulté à accepter de nouveaux membres.

Malgré tous ces tireurs sportifs, il n’y a eu aucun accident ni aucun décès dans le Lower Mainland depuis que le nombre de tireurs a doublé ou triplé. Les gens font l’objet d’une vérification rigoureuse. Ils ont tous des permis en bonne et due forme, et le sport lui-même est très bien encadré. Il y a un surveillant à côté de vous lorsque vous tirez et lorsque vous vous déplacez d’une station à l’autre, et il vérifie que votre arme est toujours pointée vers le sol.

Le sénateur Plett : J’ai un bref commentaire à faire, mais j’aimerais que vous y réagissiez.

Premièrement, entre 2014 et 2017, 66 p. 100 des homicides par arme à feu ont été commis par des personnes qui avaient un casier judiciaire. Cela me laisse croire que deux tiers des homicides par arme à feu se sont produits parce que nous n’avons pas été capables d’appliquer nos lois sur les armes à feu, étant donné qu’il est déjà illégal pour quelqu’un qui a un casier judiciaire de posséder une arme à feu. De nouvelles dispositions réglementaires n’aideraient en rien à sauver ces vies.

Deuxièmement, au cours de la même période, 68 p. 100 de tous les homicides avaient été commis avec une arme à feu à autorisation restreinte ou une arme à feu prohibée. Puisque les armes à feu à autorisation restreinte et les armes à feu prohibées sont déjà censées être enregistrées et faire l’objet d’une réglementation sévère, il est évident, à mon avis du moins, que renforcer la réglementation visant les armes à feu sans restriction serait tout aussi inefficace pour lutter contre les crimes commis à l’aide d’armes à feu.

Je vous demanderais à tous les deux de répondre au moins par un bref commentaire.

M. Zuckerman : Vous avez absolument raison. La première chose qu’il faut chercher à savoir, c’est où ces personnes trouvent leurs armes à feu. Elles n’ont pas le droit d’avoir un permis de possession et d’acquisition, pour commencer. Même aujourd’hui, la vérification des antécédents peut s’étendre sur une période de 20, de 30 ou de 40 ans. Si on découvre qu’une personne a un casier judiciaire pendant la vérification des antécédents, surtout s’il s’agit d’une infraction perpétrée avec une arme quelle qu’elle soit, il faut priver cette personne de la possibilité de posséder une arme à feu à mon avis.

Ce que je voudrais donc savoir, c’est comment la personne s’est procuré une arme à feu en premier lieu. Si elle s’est procuré une arme à feu légale qui a été détournée vers le marché illicite et que le numéro de série a été effacé, je soupçonnerais un lien avec les gangs de rue.

Il faut garder à l’esprit que les propriétaires d’armes à feu titulaires de permis sont en cause dans 0,6 cas d’accident mortel impliquant une arme à feu légale par tranche de 100 000. Les gens que vous décrivez sont déjà des criminels. Ils ne devraient jamais avoir eu accès à des armes à feu.

M. DeMille : Rapidement, quitte à me répéter, nous avons un système qui peut fonctionner. Nous devons simplement veiller à ce qu’il fonctionne de façon aussi efficiente et efficace que possible.

Je veux ensuite dire que les criminels ne se soucient pas des règles et des dispositions réglementaires que le gouvernement pourrait adopter. Ce n’est pas ce qui va les empêcher d’agir.

Le sénateur McIntyre : Merci à tous de vos exposés. L’année dernière, des représentants de vos deux fédérations ont témoigné devant le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes à propos du projet de loi C-71. Le mémoire qui a été déposé était assorti de plusieurs recommandations. À ma connaissance, vous proposez tous les deux les mêmes recommandations aujourd’hui devant notre comité.

Nous avons entendu énormément de témoins, et beaucoup de nos questions ont trouvé réponse. Cependant, monsieur Zuckerman, il était question, dans le mémoire que votre fédération a envoyé à la Chambre des communes l’année dernière, de l’amendement de procédure concernant le règlement des Nations Unies sur le marquage des armes à feu. Si j’ai bien compris, votre fédération est d’avis que le règlement des Nations Unies sur le marquage des armes à feu est une répétition coûteuse et inutile qui devrait être éliminée.

L’amendement ajoute-t-il de la valeur au cadre réglementaire actuel?

M. Zuckerman : Je dois répondre par la négative, sénateur. Le marquage en une seule étape était censé viser les munitions elles-mêmes, et non les armes à feu. Le but était de retracer, d’une façon ou d’une autre, les douilles vides.

Je ne vois pas comment cela est censé aider de quelque façon que ce soit? Cela aurait pour effet de faire grimper le prix des munitions du côté des acheteurs autant que du côté des fabricants. Une telle réglementation des armes à feu aurait comme effet d’empêcher quiconque d’acheter une arme à feu, peu importe sa classe, parce que le prix est trop élevé. On procède déjà au marquage des armes à feu; il y a un numéro de série sur chaque arme à feu.

Le numéro de série peut être retracé par l’intermédiaire des droits d’importation et des tarifs douaniers qui sont imposés. Le numéro de série fait aussi l’objet d’un suivi par les marchands, les grossistes et les vendeurs au détail. Ils vérifient si c’est une arme à feu à autorisation restreinte. L’arme à feu est ensuite enregistrée auprès de la GRC, comme cela se fait depuis 1935 et même avant. Les fabricants eux-mêmes ont également leurs propres listes exhaustives.

C’était donc un ajout inutile qui rendrait les armes à feu trop cher au Canada.

Le sénateur McIntyre : Monsieur DeMille, voulez-vous ajouter quelque chose?

M. DeMille : Je ne crois pas avoir quoi que ce soit d’important à ajouter. Je crois que M. Zuckerman a tout dit. Pour répéter, les numéros de série qui sont déjà inscrits sur les armes à feu suffisent. Tout marquage supplémentaire serait onéreux, et la facture serait refilée aux consommateurs.

Le sénateur Pratte : Monsieur DeMille, dans le mémoire qu’elle a présenté au comité de la Chambre des communes, votre fédération ne s’opposait pas à ce que la vérification des antécédents s’étende sur une plus grande période. Cependant, j’ai cru comprendre dans votre témoignage d’aujourd’hui que vous vous opposez à une vérification des antécédents plus poussée.

Pouvez-vous clarifier votre position, s’il vous plaît?

M. DeMille : Oui. Merci de la question. Mes commentaires aujourd’hui étaient surtout axés, comme vous l’avez vous-même dit en réponse au commentaire d’un des autres témoins, sur le fait que la vérification des antécédents couvre déjà une période supérieure à ce qui est prévu; nous ne nous y opposons donc pas. Il y a déjà des vérifications des antécédents qui dépassent cinq ans. On peut aller plus loin que les critères prévus et vérifier ce que les gens ont fait ou pensé au-delà des cinq dernières années.

Notre objectif est donc de diffuser l’information afin que les gens sachent qu’il n’y aura pas vraiment de vérifications améliorées dans des antécédents, vu les décisions que les tribunaux ont déjà rendues, comme vous l’avez dit plus tôt.

Le sénateur Pratte : Il était aussi mentionné dans le mémoire que la fédération ne s’opposait pas à une tenue obligatoire de registres par le détaillant. Nous en avons discuté avec d’autres témoins un peu plus tôt, mais bon nombre de propriétaires d’armes à feu nourrissent des préoccupations à propos de la sécurité de leurs renseignements personnels et de la façon dont la police pourra avoir accès à ces dossiers.

C’est sans doute une préoccupation légitime, mais je me demandais si elle était valide, compte tenu de ce que prévoit le projet de loi. On demande aux détaillants de noter le numéro de permis de possession et d’acquisition ainsi que l’information sur l’arme à feu. Il ne s’agit pas de renseignements personnels comme un nom ou une adresse. Même si quelqu’un arrivait à pirater le système informatique du détaillant, tout ce qu’il obtiendrait, c’est une liste de numéros de permis associés à des armes à feu, mais aucune adresse ni aucun nom.

Croyez-vous que les préoccupations de vos membres à propos de la protection de leurs renseignements personnels sont valides, compte tenu de ce qu’il y a dans le projet de loi, ou est-ce plutôt une certaine crainte ou de la méfiance à l’égard du gouvernement?

M. DeMille : Je ne crois pas qu’ils se méfient vraiment du gouvernement. Dans le cas présent, le problème tient plus à ce qui s’est déjà passé avec les détaillants. Dans certains cas, le registre qui est tenu est un livre ou des feuilles qui traînent sur le comptoir, où tout le monde peut les voir, même de loin. De nos jours, les gens peuvent aussi les prendre en photo avec leur téléphone.

Dépendamment des renseignements recueillis, il faut qu’il y ait une certaine norme de sécurité encadrant la façon dont l’information recueillie est conservée, surtout s’il s’agit de renseignements personnels.

Le sénateur Pratte : Vous avez aussi formulé des commentaires à propos des statistiques sur la criminalité, sur les suicides, et cetera, lorsque vous avez témoigné devant le comité de la Chambre des communes. Vous avez dit que le gouvernement avait exagéré et déformé les statistiques dans le but de créer, « dans le contexte d’après 2013, une crise des armes à feu » qui n’existe tout simplement pas.

Pourtant, selon les données les plus récentes de Statistique Canada, le taux d’homicides commis au moyen d’une arme à feu a atteint, en 2017, un sommet inégalé depuis les 25 dernières années. On ne parle pas seulement ici du contexte d’après 2013. C’est le taux le plus élevé en 25 ans. Croyez-vous que Statistique Canada déforme les statistiques?

M. DeMille : Non. Selon moi, le problème tient à la façon dont l’information est communiquée. Le problème, si vous utilisez 2013 comme année de référence, c’est qu’il s’agit d’un véritable creux par rapport aux autres années. Toutes les autres statistiques seront donc plus élevées et, dans certains cas, de beaucoup.

Comme nous l’avons dit dans notre témoignage, je crois que nos objectifs sont plus importants que les statistiques. Les taux d’homicides, de suicides, de violence liée aux armes à feu et de violence conjugale sont déjà trop élevés au Canada. Ce que nous voulons, lorsque nous participons aux discussions sur le sujet — ce qui n’arrive pas assez souvent —, c’est trouver des façons de lutter contre cela.

Malheureusement, ce n’est pas grâce aux mesures prévues dans ce projet de loi et dans beaucoup d’autres politiques sur les armes à feu que nous pourrons y arriver. Nous sommes incapables d’avoir ce genre de discussions parce que le débat est davantage axé sur l’utilité des politiques individuelles qui touchent des points très précis, mais qui ne font rien par rapport aux causes profondes ou aux raisons pour lesquelles le taux de violence est si élevé, peu importe s’il s’agit de violence liée aux armes à feu ou de violence en général. Il faut lutter contre cela.

Le sénateur Pratte : Soyez certain que je vous félicite de votre initiative d’entamer une telle discussion. Je ne sais pas quelle organisation y participera, mais c’est assurément une formidable initiative. Nous devons vraiment communiquer les uns avec les autres pour trouver des solutions à ces problèmes.

Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à nos témoins. J’ai un peu de difficulté avec la position du gouvernement par rapport à ce projet de loi. D’une part, on veut réduire la criminalité, mais on fait des compressions à la GRC. En 2018, la situation était difficile, et l’année 2019 ne semble pas beaucoup mieux. Les laboratoires de la GRC, qui sont frappés par des compressions, faisaient les évaluations des armes à feu lorsqu’elles étaient saisies sur les lieux d’un crime. En même temps, dans le territoire du Yukon et en Colombie-Britannique, il y a tout près de 2 092 dossiers en attente d’une réponse de la GRC en ce qui concerne des incidents liés à la violence et à la santé mentale. Dans les Territoires du Nord-Ouest et en Alberta, il y a 3 188 dossiers en attente. On souhaite resserrer les règles du jeu pour les honnêtes chasseurs et d’autres propriétaires d’armes à feu, mais, en même temps, on fait des compressions à la GRC, qui doit faire des contrôles de qualité et des inspections pour ce qui est des gens qui souffrent de problèmes de santé mentale. J’essaie de comprendre où va le gouvernement avec cette position, qui semble diamétralement opposée. Je ne sais pas quelle est votre position. Je pense aux personnes qui sont propriétaires d’armes à feu et qui font l’objet d’une inspection par la GRC. Ce sont sans doute vos membres qui sont aux prises avec des retards indus. Quelle est votre position à cet égard?

[Traduction]

M. Zuckerman : Merci beaucoup de la question. Votre observation est particulièrement juste et éclairée. On a vérifié mes antécédents des cinq dernières années quatre fois depuis 1995 ou 1997, lorsque le projet de loi initial a été adopté. Si j’ai satisfait aux exigences de la vérification des antécédents des cinq dernières années quatre fois déjà, pourquoi veut-on obtenir maintenant, alors que j’ai 69 ans, de l’information sur toutes mes relations et tous mes emplois depuis l’âge de 18 ans? Pourquoi faut-il que je fournisse tous ces renseignements?

On s’attend à ce que je me rappelle les noms, les adresses et les numéros de téléphone de certaines personnes avec qui je vivais il y a 50 ans. D’accord, mais ensuite, qui va s’occuper de communiquer avec ces personnes? Combien d’argent cela va-t-il coûter? Quelqu’un va passer une journée entière pour vérifier mes antécédents seulement. Est-ce vraiment une bonne dépense?

Je vous suis vraiment reconnaissant de cette question, parce que l’argent pourrait être dépensé à de meilleures fins. Si les anciennes vérifications des antécédents ont déclenché un signal d’alarme ou si une personne est visée par des ordonnances du tribunal, l’ordinateur devrait être en mesure de nous le dire.

En outre, les différents services de police ne communiquent pas avec la GRC. Ici, en Colombie-Britannique, il y a des services de police pour Vancouver, North Vancouver, New Westminster et Abbotsford. Chaque service a ses propres dossiers. Pour faire des liens avec la base de données centrale du Centre d’information de la police canadienne — qui est exploitée par la GRC —, il faut téléphoner. Il faut que tout cela soit mieux coordonné.

Le fait est que l’argent investi dans la vérification des antécédents et la reclassification des armes à feu est gaspillé. Rien ne démontre qu’il s’agit de mesures qui permettent de lutter contre la criminalité, et c’est de cela que nous avons besoin.

Certaines personnes utilisent des armes à feu à des fins criminelles, et c’est pourquoi nous avons besoin de gens sur le terrain qui vont lutter contre cela, pas de gens assis dans leur bureau qui parle au téléphone pour vérifier ce qui figure sur des bouts de papier et entrer des données dans l’ordinateur.

M. DeMille : Nous nous sommes effectivement penchés de près sur le sujet. Comme nous l’avons dit, certaines de ces politiques ne font à peu près rien pour accroître la sécurité publique, et en plus, un bon nombre d’entre elles vont exiger énormément de ressources.

Il faut qu’il y ait de bons systèmes en place pour éviter les retards que nous vivons actuellement. Il faut investir pour renforcer les capacités. Tout changement dans les politiques, surtout quand il s’agit d’un système, requiert des capacités. Nos membres se sont surtout dits très préoccupés des retards qui pourraient survenir.

La présidente : Comme il n’y a plus d’autres questions, remercions M. DeMille, M. McRae et M. Zuckerman d’être venus témoigner aujourd’hui. Tout cela a été très informatif.

Nous accueillons maintenant M. Bernie Farber, président du Canadian Anti-Hate Network. Nous sommes en train d’essayer de faire fonctionner la connexion pour la vidéoconférence, et avec un peu de chance, Mme Eleanore Sunchild, avocate pour Sunchild Law, sera avec nous sous peu.

Monsieur Farber, je crois que vous avez préparé une déclaration préliminaire.

Bernie Farber, président, Canadian Anti-Hate Network : Merci, mesdames et messieurs les sénateurs de m’avoir invité à témoigner.

Le Canadian Anti-Hate Network est un organisme non partisan sans but non lucratif qui surveille les groupes haineux et fournit de l’information à jour à leur sujet aux médias, aux chercheurs, aux organismes d’application de la loi et aux organismes communautaires. Notre comité consultatif est composé d’experts canadiens renommés qui se spécialisent dans les crimes et les groupes haineux, comme des universitaires, des journalistes, des avocats et des experts reconnus par les tribunaux.

Nous soutenons le projet de loi C-71 ainsi que les mesures visant à renforcer le projet de loi afin d’empêcher les groupes haineux qui font la promotion du racisme et de la violence de se procurer des armes à feu.

Le premier ministre, le ministre Goodale et la ministre Freeland ont tous parlé de la menace grandissante des groupes et du terrorisme d’extrême droite au Canada, qui ont très malheureusement fait des victimes.

En janvier 2017, Alexandre Bissonnette est entré dans une mosquée à Québec et a tué six musulmans en train de prier. C’était le premier attentat terroriste motivé par la haine au Canada dans un lieu de culte. En avril 2018, Alek Minassian a tué 10 personnes avec une voiture-bélier à Toronto.

Comme on l’a appris plus tard, il y avait un dénominateur commun entre Minassian et Bissonnette : ils ont tous deux été radicalisés en ligne sur les réseaux sociaux. Bissonnette consommait de la propagande antimusulmane, et les deux consommaient de la propagande de la droite alternative qui glorifie souvent les tueries.

Nous connaissons d’autres personnes, comme Thomas White, de Thunder Bay, qui détient un permis de possession et d’acquisition d’une arme à feu à autorisation restreinte ainsi que des armes à feu à autorisation restreinte. Cet homme anime le balado le plus populaire auprès des néonazis au Canada. Je vais vous lire ce qu’il a publié :

En gros, mes enfants sont la seule chose qui m’empêche de lancer des appels à la violence 24 heures sur 24. Autrement, je ferais des massacres dans les rues jusqu’à ce que je sois tué avant mon temps.

La police nous a dit qu’elle n’avait pas été en mesure de convaincre le contrôleur des armes à feu de priver White de ses armes à feu, en partie parce qu’il n’y a plus de registre pour prouver qu’il possède bien les armes à feu.

Les Canadiens représentaient 70 p. 100 des visiteurs d’Iron March, un forum ouvertement fasciste et néonazi qui est maintenant fermé. C’est ce forum qui a engendré Atomwaffen, le groupe terroriste néonazi qui a tué cinq personnes en l’espace de huit mois aux États-Unis. Sur Iron March, les utilisateurs ont dit à un jeune de 17 ans en colère originaire d’Oak Bay, en Colombie-Britannique, d’aller chercher un permis d’armes à feu et d’appliquer une « solution permanente » à son école.

Selon Mme Barbara Perry, membre du conseil consultatif du Canadian Anti-Hate Network, et son collègue, M. Ryan Scrivens, deux des plus éminents universitaires au Canada qui étudient le phénomène de la montée des groupes haineux, il y aurait à présent plus de 300 groupes haineux actifs au Canada. À l’époque où je travaillais pour le Congrès juif canadien, dans les années 1990, la dernière montée de l’antisémitisme et du néonazisme au Canada était liée à la formation du groupe Heritage Front. Il y avait environ sept groupes haineux actifs au Canada à cette époque. Il y a eu un accroissement relativement massif.

Bon nombre de ces groupes ont deux cibles aujourd’hui : les musulmans et les juifs. Malheureusement, les gens de ces deux groupes religieux sont devenus récemment des cibles ici en Amérique du Nord par ceux qui commettent des tueries.

Comme je l’ai dit plus tôt, par une nuit froide de janvier, Alexandre Bissonnette a ouvert le feu dans une mosquée de Sainte-Foy, à Québec, et a tué six musulmans en train de prier tranquillement. Il en a blessé beaucoup d’autres — certains gravement —, et ces personnes portent encore des cicatrices aujourd’hui.

De l’autre côté de la frontière, aux États-Unis, Robert Bowers, un tenant de la suprématie blanche, est entré dans la synagogue Tree of Life et a assassiné 11 juifs américains en train de prier.

Tout récemment, à Christchurch, en Nouvelle-Zélande, où les lois encadrant l’acquisition des armes à feu ressemblent aux nôtres — du moins, jusqu’à la semaine prochaine — et sont parfois plus sévères, un tenant radical de la suprématie blanche s’est inspiré de la tuerie perpétrée par Alexandre Bissonnette et s’est rendu dans les deux seules mosquées de la ville pour commettre l’un des plus grands massacres de ce genre du XXIe siècle. Il a tué 50 personnes, y compris des hommes, des femmes et en particulier des enfants.

Nous collaborons avec d’autres organisations afin de montrer des centaines d’exemples de racisme et de menaces de mort publiés ouvertement sur la page Yellow Vests Canada. Il s’agit des mêmes groupes de gilets jaunes qui ont manifesté il y a quelques semaines sur la Colline du Parlement dans le cadre de la campagne United We Roll. Ce sont des groupes antisémites, islamophobes et xénophobes. Grâce à des photos publiées sur les médias sociaux, nous savons que plusieurs de ces personnes ont des armes à feu.

En Alberta et ailleurs, le groupe de milice islamophobe des III percenters stocke des armes, mène des entraînements paramilitaires et surveille des mosquées. Le leader du groupe a fait une publication sur Facebook disant que le seul bon musulman est un musulman mort. En avril, un tribunal du Kansas a déclaré trois membres du groupe des III percenters coupables d’avoir comploté la pose d’une bombe dans un bâtiment où se trouvaient des réfugiés somaliens.

Au Canada, la Ligue de défense juive, une organisation islamophobe d’extrême droite qui a fait cause commune avec des bandits et des racistes anglais, comme la English Defence League et Tommy Robinson, a récemment proposé d’offrir un entraînement aux armes à feu à quiconque le souhaite, proposition qui a fait frémir la communauté musulmane.

Ce qui est particulièrement déconcertant, c’est que l’on doit se poser la question suivante : où a-t-on le plus facilement accès à des armes à feu et à des entraînements? Étonnamment, on pourrait simplement répondre que c’est dans l’Armée canadienne. Selon certains rapports présentés au cours de la dernière année, les néonazis avaient envisagé de s’enrôler dans l’Armée canadienne pour arriver à leurs fins. En effet, après la publication d’une série d’articles sur l’extrémisme de droite dans le Toronto Star, les autorités des Forces armées canadiennes ont avoué que des néonazis portent l’uniforme.

Chose étonnante, même après qu’une couverture médiatique a dévoilé qu’un réserviste de l’Armée canadienne était membre du groupe terroriste d’extrême droite Atomwaffen, dont j’ai parlé plus tôt, il demeure qu’aucun plan précis, à notre connaissance, n’a été mis en place pour régler la question de l’enrôlement de terroristes néonazis dans les Forces armées canadiennes, où ils recevront de rigoureux entraînements sur les armes à feu et les explosifs.

Mesdames et messieurs, comme je l’ai mentionné plus tôt, nombre d’entre vous savez que j’ai travaillé pendant plus de 30 ans pour le Congrès juif canadien, dont les six dernières années en tant que directeur général. Chaque soir, je me couchais en m’imaginant un scénario cauchemardesque où un néonazi ou un suprémaciste blanc violent entrait dans une synagogue pour y assassiner des personnes innocentes. Malheureusement, ce n’est plus un cauchemar. En ce début de XXIe siècle, cette réalité meurtrière est bien concrète. Le silence, l’inertie et l’inaction ne sont plus envisageables.

Le CAN propose de modifier le projet de loi C-71 pour y ajouter un critère interdisant l’octroi de permis d’armes à feu à des personnes qui sont associées à des groupes extrémistes haineux et qui, par conséquent, présentent une menace sérieuse pour elles-mêmes et pour les autres.

D’ailleurs, nous appuyons la prise de mesures qui, dans l’intérêt de la sécurité publique, permettront au contrôleur des armes à feu de retirer des armes des mains de personnes qui prônent ouvertement le racisme et soutiennent la violence. Nous demandons instamment que l’on mette en place de toute urgence cette mesure de protection pour tous les Canadiens, et ce, avec un but précis.

Merci de votre temps. Je vais répondre à vos questions si je peux.

La présidente : Nous accueillons Eleanore Sunchild, avocate pour Sunchild Law, qui s’est jointe à nous par vidéoconférence.

Eleanore Sunchild, avocate pour Sunchild Law, à titre personnel : Merci de m’offrir la possibilité de témoigner devant ce comité permanent. Je suis avocate à Battleford, en Saskatchewan. Je suis propriétaire de Sunchild Law et dirige l’entreprise.

Je me présente ici en tant que membre du territoire du Traité no 6 et mère autochtone qui a assisté aux événements qui se sont produits dans notre province après le meurtre de Colten Boushie. Je représente à l’heure actuelle la famille Boushie, dont le fils a reçu une balle...

La présidente : Madame Sunchild, je suis vraiment désolée de vous interrompre. Les interprètes ne peuvent vous entendre et ne peuvent donc pas traduire ce que vous dites.

Pouvons-nous vous demander de vous arrêter pour l’instant? Nous allons tenter de trouver une solution. Entre-temps, nous allons poser des questions à M. Farber.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Farber, vous avez souvent mentionné le cas de M. Alexandre Bissonnette. Je suis au courant, puisque je viens du Québec. En passant, M. Bissonnette a commis ses crimes avec des armes enregistrées.

Il y a un registre des armes au Québec, même si pas plus de 25 p. 100 des jeunes y adhèrent.

D’autres attentats terroristes ont eu lieu, notamment à Nice, sur la promenade des Anglais, et à Toronto, sur la rue Yonge. Récemment, un prêtre a été poignardé à Montréal, à l’oratoire Saint-Joseph.

Cela dit, quelles dispositions du projet de loi C-71 auraient changé le cours des événements pour ce qui est de l’attentat à la mosquée de Québec — si le projet de loi C-71 avait été mis en place —, et qu’est-ce que les policiers auraient pu faire de plus ou de mieux si cette loi avait existé?

[Traduction]

M. Farber : Merci d’avoir posé cette question importante, sénateur. De mon point de vue et de celui du Canadian Anti-Hate Network, nous souhaitons rendre l’accès aux armes à feu particulièrement difficile pour les personnes qui encouragent la haine. Toute mesure qui leur ferait obstacle serait très utile.

En effet, il a obtenu des armes de manière légale. Vous avez tout à fait raison. Mais si nos dispositions avaient force de loi, la police aurait pu savoir à l’avance si M. Bissonnette avait participé à la promotion de la haine, compte tenu de ses activités en ligne. Il faut garder à l’esprit ce que nous avons constaté au sujet de M. Bissonnette, de Robert Bowers aux États-Unis et d’Alek Minassian, qui s’est servi d’un camion pour assassiner des gens au lieu d’un fusil. Tous étaient actifs sur les réseaux sociaux et ont laissé une empreinte numérique.

Vous pourriez peut-être retracer cette empreinte et vérifier si ces personnes étaient impliquées dans des activités haineuses en recueillant des renseignements qui pourraient mener à la découverte d’activités de ce genre. De plus, si elles avaient présenté une demande de permis d’armes à feu, il est très probable qu’on aurait pu faire quelque chose.

Ce que je crains le plus pour l’avenir, c’est que, selon mon expérience, une fois que des événements horribles comme ceux de Sainte-Foy et de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, ont lieu, ils se produisent de nouveau. Je ne dis pas que cela pourrait se reproduire; je vous assure que cela va se reproduire.

Si nous pouvions freiner les personnes haineuses, celles qui ont affiché leur haine de manière évidente en laissant une empreinte numérique, nous pourrions peut-être mettre un terme à cela. Peut-être pas. Nous ne vivons pas dans un monde parfait. Il est impossible d’adopter des milliers de lois qui protégeront la société, mais nous pouvons faire de notre mieux pour protéger la population en offrant, à tout le moins, des outils que les agents de police et les autorités peuvent utiliser avant qu’un crime ne soit commis.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Vous avez soulevé l’hypothèse que les policiers puissent faire des arrestations préventives — et je suis content de vous l’entendre dire, car ce sera l’objet du projet de loi C-59, qui vise justement à réduire le pouvoir des policiers en matière d’arrestations préventives. Nous devrons vous inviter à revenir témoigner quand nous étudierons ce projet de loi.

Revenons au sujet qui nous préoccupe. Vous avez donné de bons exemples en matière de radicalisation. La lutte contre la radicalisation ne devrait-elle pas passer par l’éducation plutôt que par le projet de loi C-71? Quand des événements se produisent et qu’on procède à une arrestation, on se rend compte bien souvent que le problème n’est pas lié à l’enregistrement d’une arme à feu, mais se situe plutôt dans la tête de l’individu. Ce n’est pas l’arme qui est dangereuse, mais bien celui qui l’a dans les mains.

[Traduction]

M. Farber : En toute honnêteté, je crois que les deux s’imposent. Je ne crois pas que l’on puisse choisir l’une ou l’autre approche : les deux sont nécessaires. Malheureusement, nous avons échoué sur tous les plans. Nous n’avons pas réussi à sensibiliser la société sur la question de la radicalisation. La police ne dispose pas des outils dont elle a besoin.

À un certain moment, notre communauté du renseignement avait un bureau dont les activités se concentraient principalement sur le terrorisme de droite. Les activités ont diminué au milieu des années 2000. Ce n’est qu’au cours de la dernière année que les responsables ont reconnu que le bureau ne s’était pas tenu à jour sur la question du terrorisme de droite et devait maintenant recommencer son travail de collecte de renseignements.

Nous allons aborder le sujet des écoles dans un instant, mais pour ce qui est de la police, après l’époque de Heritage Front, lorsque la montée du néonazisme avait atteint un point où même le SCRS estimait devoir intervenir, ce dernier a embauché une taupe pour qu’elle infiltre l’organisation, opération qui a essentiellement mené au démantèlement du groupe, comme vous vous en souvenez sans doute. Nous avons connu une période d’accalmie durant de nombreuses années. Je crois que c’est pour cette raison, soit dit en passant, que le SCRS a décidé de se retirer.

À l’époque, nous avions des unités de lutte contre les crimes de haine au sein de différents services de police urbains du Canada. Il y en avait à Toronto, à Montréal, à Vancouver, à Ottawa et à Calgary. Les agents de police de ces unités étaient formés uniquement pour enquêter sur les groupes haineux, les crimes haineux et la suprématie blanche. Cela n’existe plus aujourd’hui.

La police vous dira peut-être qu’elle possède des unités de lutte contre les crimes haineux alors que, dans les faits, elle détient des unités du renseignement où un ou deux agents sont chargés d’enquêter sur des crimes haineux s’il y a lieu, mais aucun travail préalable n’est effectué.

Nous sommes face à une situation alarmante et dangereuse. Nous manquons de renseignements. Certains agents de police ne reçoivent pas la formation adéquate pour comprendre la complexité des crimes haineux. Les policiers sont très bons. Si une personne vole une banque, c’est un méchant. Les policiers vont poursuivre cette personne et l’arrêteront. C’est différent lorsqu’on traite des crimes haineux, car on se penche sur des questions subjectives qui exigent beaucoup de formation et une grande compréhension. Nous ne disposons pas de cela à l’heure actuelle. Tout cela a disparu.

De plus, il est évident que nous n’avons pas effectué notre travail au sein du système d’éducation. Comment expliquer que nos jeunes d’aujourd’hui se sont tournés en grand nombre vers des groupes comme les Proud Boys, les III percenters et les Sons of Odin. Les chiffres dont nous disposons aujourd’hui dépassent largement ceux d’il y a 20 et 30 ans. Nous avons commis des erreurs dans notre système d’éducation, dans notre système de justice pénale et dans nos services du renseignement.

Je sais que peu de personnes partagent mon point de vue. Je comprends la popularité de la chasse et de la pêche. Je n’ai jamais chassé, mais je suis un bon pêcheur. Je comprends. Toutefois, étant donné mon expérience comme défenseur des droits de la personne, mais également comme enfant de survivants de l’Holocauste, où des armes à feu avaient été utilisées avant les chambres à gaz pour assassiner des centaines de milliers des miens, je viens ici avec un but bien précis : je suis le premier à vous dire que je ne suis pas un fervent défenseur des armes à feu.

Nous devons établir un équilibre. À mon sens, il s’agit de concevoir des mesures législatives permettant de protéger la population contre les personnes qui se procureront des armes à feu légalement et illégalement. Je sais qu’il y a aussi un gros problème concernant les armes à feu illégales. Il faut créer suffisamment d’obstacles pour rendre leur accès difficile et pour freiner les personnes qui s’en procurent. Il est impossible d’assurer la sécurité absolue de l’ensemble de la population. À la fin de la journée, je pourrais sortir d’ici et me faire frapper par un autobus. Cependant, nous pouvons faire de notre mieux pour mettre en place des règlements qui empêcheront de mauvaises personnes de mal agir. C’est aussi simple que cela.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J’en conclus qu’il faut donner davantage d’outils aux policiers pour contraindre les extrémistes.

[Traduction]

M. Farber : Je suis d’accord sur ce point.

Le sénateur Plett : Je ne sais pas vraiment par où commencer. Monsieur Farber, je crois que le but ultime de chaque personne présente ici est exactement le même. Nous sommes loin de nous entendre sur la manière de parvenir à ce but. Il n’y a pas une seule des personnes qui s’opposent au projet de loi C-71 au Sénat, voire à peu près partout au Canada, qui prônerait la haine. Nous nous opposons à ce projet de loi parce qu’il cible les personnes innocentes, et non pas les personnes haineuses.

Vous proposez que nous pénalisions des centaines de milliers de citoyens qui respectent les lois car nous avons des personnes haineuses et des groupes haineux au Canada. Nous en avons. Nous ne mettrons jamais fin à cette situation.

À la fin de vos commentaires, vous avez indiqué que vous étiez un enfant de survivants de l’Holocauste, qui est une tragédie. Lorsqu’il est entré au pouvoir, l’une des premières choses qu’a faites Hilter a été de faire enregistrer les armes à feu, ce que vous proposez à l’heure actuelle. Nous nous engageons dans la mauvaise direction. Nous affirmons vouloir faire cela, mais nous faisons autre chose.

Je veux clarifier un point. Je souhaite poser une question à la fin de mon exposé. Je suis désolé. Je ne suis pas le témoin, vous l’êtes. Vous avez fait allusion aux gilets jaunes, ici à Ottawa. Cela ne me posait aucun problème jusqu’à ce que vous les amalgamiez aux camionneurs de United We Roll. Vous avez fait un sous-entendu. Vous ne l’avez pas dit explicitement, mais j’ai compris que vous laissiez entendre que les deux étaient liés d’une quelconque manière. Ensuite, vous avez dit que certains des membres possèdent des armes à feu.

Je suis convaincu que bon nombre d’entre eux ont des armes à feu. Bon nombre d’entre eux sont originaires de l’Ouest canadien et pratiquent la chasse. Je trouve cela plutôt insultant de laisser entendre que ce sont des personnes haineuses parce qu’elles sont venues ici protester contre une mesure législative horrible, le projet de loi C-69, l’une des pires mesures législatives qu’un gouvernement puisse proposer. Il est également insultant de les associer d’une quelconque manière à des idéologies haineuses parce qu’elles travaillent ici pour gagner leur vie.

On se sert de camionnettes, d’armes à feu et de couteaux pour tuer des gens. Vous l’avez dit. Dans l’histoire de l’Amérique du Nord, la tuerie terroriste la plus importante a fait 3 000 victimes lorsque des avions ont percuté les tours jumelles. Des avions sont utilisés pour tuer des gens. Nous ne mettrons pas un terme à toutes ces choses. En Nouvelle-Zélande, les chefs de bande criminels disent ne pas vouloir renoncer à leurs armes à feu. Ils posséderont des armes à feu. Toutes les personnes innocentes n’en auront pas, mais les bandes criminelles garderont leurs armes à feu.

Monsieur Farber, ce que propose votre organisation quant au projet de loi C-71 est très radical. Si je vous ai bien compris, vous semblez dire que si une personne est associée à des groupes haineux ou prône des idéologies haineuses, elle devrait faire l’objet de sanctions juridiques avant même d’être reconnue coupable devant un tribunal. Vous proposez d’imposer des sanctions à des personnes que l’on croit haineuses, qui ont la mauvaise coupe de cheveux et qui semblent violentes. Ai-je bien compris?

Étant donné que des véhicules ont également servi à commettre des crimes haineux, recommanderiez-vous également que les personnes que l’on soupçonne de commettre des crimes en raison de leurs points de vue voient aussi leur permis de conduire révoqué? Si elles commettent des meurtres, leur permis de conduire ne leur sera pas retiré. On les enverra en prison, mais elles conserveront leur permis de conduire.

Dans ce cas, avez-vous tenu compte de l’incidence que cela aurait sur la Charte des droits et libertés du point de vue constitutionnel?

M. Farber : Vous avez commencé à poser votre question en disant ne pas savoir où commencer. Je pense que je ne sais pas par où terminer. Je vais répondre à votre question, qui est importante, mais je souhaite apporter des clarifications.

Nous ne ciblons pas des personnes innocentes, mais celles qui ont commis des crimes. Lorsqu’il est question de haine, il faut tenir compte des définitions juridiques de la haine. La police se fonde probablement sur certaines suppositions afin d’interdire à des personnes en particulier d’être en possession d’armes à feu avant même qu’elles se présentent en cour. Nous savons que de tels groupes existent au Canada. J’ai déjà déclaré les groupes que nous visons. Nous savons que des personnes ont publié des commentaires sur les réseaux sociaux et ont affirmé que le seul bon musulman est un musulman mort. Je peux continuer à donner des exemples et je suis disposé à vous les présenter à tout moment, monsieur.

Je l’ai dit au tout début. Je le redirai à la fin et je vais continuer de l’affirmer. Si cela est possible, je préférerais que des mesures soient prises pour faire obstacle à des personnes qui enlèveraient la vie à une personne. À mon sens, un geste pareil est la chose la plus dégoûtante que l’on puisse faire. Nous devrions peut-être imposer certaines restrictions en raison du fait que certains individus prônent la haine, si on se fie à leurs propos, et seraient prêts à commettre des actes haineux, dont des actes de violence. Je crois que nous devons examiner la situation et la prendre très au sérieux, car votre petit-enfant pourrait être victime d’un acte de violence. Ce pourrait être mon petit-enfant ou l’enfant de n’importe qui.

À l’heure actuelle, se rendre dans un lieu de culte représente pratiquement un risque pour la vie d’une personne musulmane ou juive. Comment peut-il en être ainsi au Canada ou aux États-Unis? Comment cela est-il possible?

Nous tentons d’établir un équilibre. Je ne dis pas qu’il faut passer d’un extrême à l’autre, mais nous devrions établir un équilibre qui mettrait des bâtons dans les roues des personnes qui ressentent dans leur cœur de la haine, comme la définit la loi. Il existe des définitions de la haine. Le juge en chef Brian Dickson a fait une excellente description de ce qu’est la haine selon le droit canadien, et je serai ravi de vous la présenter. En fin de compte, nous tentons d’établir cet équilibre.

Je souhaite parler du commentaire que j’ai fait sur les gilets jaunes. Il ne fait aucun doute que bon nombre des personnes qui faisaient partie du convoi United We Roll, si ce n’est pas la majorité d’entre elles, sont venues ici pour défendre une cause pour des motifs qui sont légitimes à leurs yeux. Nous le savons, car nous avions des personnes sur la Colline. Nous l’avons vu de nos propres yeux et l’avons entendu : les personnes qui faisaient partie du convoi de United We Roll étaient des membres et des collaborateurs du mouvement des gilets jaunes. Nous savons que ce mouvement a pris part à certains des discours les plus odieux et haineux que nous avons entendus dans ce pays. Cela s’est reproduit à maintes reprises durant les quelques journées où ils étaient présents sur la Colline.

Je ne dis pas qu’ils étaient tous membres du mouvement des gilets jaunes. Je n’ai pas dit cela. J’ai l’impression que vous déformez mes propos, car, sauf votre respect, je sais exactement ce que j’ai dit.

Le sénateur Plett : Je vais vérifier dans le hansard.

M. Farber : Je vous en prie, faites-le. Si j’ai affirmé une telle chose, je m’en excuse, mais ce n’est pas ce que je me souviens avoir dit. Il est certain qu’il y avait beaucoup de membres du mouvement des gilets jaunes. Ce fait a été rapporté dans divers journaux. Nous avions des personnes sur la Colline qui l’ont vu et qui l’ont elles-mêmes signalé.

J’espère que cela vous donne une idée. À long terme, vous et moi ne serons pas d’accord sur les mesures à prendre en matière d’armes à feu. C’est la position que nous avons prise. C’est celle que notre association a prise. En fin de compte, nous devrons peut-être convenir que nous sommes en désaccord, mais que nous prenons la chose très à cœur.

Le sénateur Plett : Dans la réponse que vous venez de me donner et dans votre déclaration préliminaire, vous avez parlé des médias sociaux. Je suis d’accord avec vous sur ce point. Nous sommes d’accord sur de nombreuses questions. Les médias sociaux peuvent être un outil puissant pour défendre de bonnes causes, mais peuvent également être un outil destructeur de promotion de causes haineuses. Les médias sociaux permettent de défendre des causes, et non les armes à feu. Les personnes qui veulent commettre des meurtres trouveront un moyen de le faire, que ce soit à l’aide d’une camionnette, d’un avion, d’une arme à feu ou d’une autre manière.

Je suis en partie d’accord avec les personnes qui sont venues témoigner plus tôt aujourd’hui pour parler de suicides et de fusillades commises de manière impulsive. Elles ont peut-être raison, mais une personne qui veut aller assassiner des gens ne se rendra pas au magasin de M. Faulkner pour demander à ce dernier de lui vendre une arme à feu pour pouvoir aller assassiner des gens. Elle trouvera une mitrailleuse ou une autre arme. Elle ira assassiner des gens. Nous ciblons les mauvaises personnes.

Quoi qu’il en soit, vous avez raison. Nous ne serons probablement pas d’accord. Je vais vérifier dans le hansard, car je suis encore du même avis. Lorsque vous décrivez une organisation criminelle, si vous voulez appeler les gilets jaunes ainsi...

M. Farber : Je n’ai pas dit cela.

Le sénateur Plett : Très bien, vous n’avez pas dit organisation criminelle. Vous avez insinué que ce sont de mauvaises personnes. Nous devrions donc nous débarrasser de chaque banque où est employé un membre du mouvement des gilets jaunes. Voyons donc, nous ne faisons pas cela non plus. Vous avez formulé des insinuations à l’égard de United We Roll. C’est ce qui me dérange, et non ce que vous avez dit à propos des gilets jaunes. Les personnes qui faisaient partie du convoi de United We Roll n’étaient pas en majorité de bonnes gens. C’étaient et ce sont de bonnes personnes, qui se battent pour leur vie.

Le sénateur Pratte : L’un des points de désaccord entre M. Plett et moi est la conviction que ce projet de loi pénalisera des centaines de milliers de propriétaires légitimes d’armes à feu. Je ne suis pas d’accord. Je crois que, pour une majorité écrasante de bons citoyens respectueux des lois qui sont propriétaires d’armes à feu, ce projet de loi n’aura pas ou peu d’incidence sur leur vie.

Monsieur Farber, vous avez dit souhaiter qu’une modification soit apportée au projet de loi de sorte qu’une personne qui est associée d’une quelconque manière à un groupe haineux ne puisse avoir accès de manière légale à une arme à feu. Comme vous le savez, certains changements ont été apportés au projet de loi par la Chambre des communes. Parmi ceux-ci, on a ajouté certains critères pour déterminer si une personne peut obtenir un permis. Un de ces critères, qui est très large, écarte toute personne qui, pour quelque raison que ce soit, présente un risque de préjudice envers autrui.

Je me demande si cette formulation ne vous permet pas, d’une certaine manière, d’atteindre votre objectif. De toute évidence, si une personne met sur pied un site web présentant un contenu haineux envers des groupes de personnes en particulier, on pourrait bien dire qu’elle présente un risque de préjudice envers les autres.

M. Farber : Je suis d’accord. Merci d’avoir dit au début que des centaines de milliers de propriétaires d’armes à feu au Canada sont fondamentalement des personnes respectables et pacifiques. Elles ne sont pas des personnes haineuses, et elles ne seront pas pénalisées.

Le problème avec les dispositions générales d’un projet de loi, c’est qu’elles sont générales. Parfois, lorsqu’il faut appliquer la loi, il est nécessaire de préciser certaines choses. Au cours des dernières années, il est évident que nous avons eu de la difficulté à ouvrir des enquêtes policières sur des crimes haineux.

Je vais vous donner un exemple. À Toronto, il y avait un journal qui s’appelait Your Ward News. C’était atroce. Le journal était rempli d’images néonazies. Des centaines de personnes qui avaient reçu le journal dans différentes régions de Toronto avaient porté plainte. Le journal était à teneur misogyne et encourageait le meurtre. C’était une horreur.

Nous l’avons dénoncé. En fait, la toute première fois qu’on en a fait le signalement, je travaillais encore pour le Congrès juif canadien. C’était aux environs de 2010, mais le journal Your Ward News a fait l’objet d’une enquête en 2012. Cela a pris six ans pour que des accusations soient déposées et que l’affaire se rende devant un tribunal. Cela s’est réalisé grâce à des citoyens qui ont fait face à la musique et qui ont, comme mon père disait, ouvert la bouche.

Ce qui me préoccupe, c’est que si la police peut se servir de cette disposition générale et qu’elle comprend que la haine peut s’inscrire là-dedans, je dirais « Allons-y ». Toutefois, il faut parfois préciser certaines choses.

Le sénateur Pratte : J’aimerais revenir sur un argument de MM. Plett et Dagenais selon lequel certaines des dernières tueries ont été commises à l’aide d’avions ou d’autre chose, et non pas à l’aide d’armes à feu.

Comment répondez-vous à cet argument? C’est quelque chose qu’on entend au sujet des tueries, mais aussi des suicides. On dit que si une personne n’a pas accès à une arme à feu, elle trouvera autre chose pour arriver à ses fins.

M. Farber : Comme je l’ai dit au début de mon exposé, les lois ne nous permettront pas de créer une société parfaite. Dans la vie, nous ne pouvons pas tout légiférer.

À Toronto, on a recensé un certain nombre de suicides. Des personnes se sont enlevé la vie en sautant en bas d’un énorme pont au-dessus de la Don Valley Parkway. Qu’a-t-on fait? On a posé du clôturage au-dessus du pont pour y bloquer l’accès. Je dirais, et des experts dans le comportement sociétal abondent dans le même sens, que beaucoup de vies ont probablement été épargnées grâce à cette mesure qui a poussé les gens à y réfléchir à deux fois avant de poser un tel geste.

Avec l’avènement d’un terrorisme où l’on a recours à n’importe quel moyen pour commettre des actes, la vie d’aujourd’hui est devenue difficile et dangereuse. J’étais littéralement à Toronto lorsqu’une des attaques terroristes a été perpétrée à l’aide d’une camionnette. Si j’avais été sur les lieux mêmes de l’attaque deux minutes plus tôt, j’aurais fait partie de ce carnage.

À maintes reprises, j’ai été en Israël quand des attentats suicides à la bombe ont été commis. « Cela aurait pu être moi. » On ne peut tout régler, mais on peut régler certaines choses. On peut rendre la tâche difficile. Le seul message que j’essaie de faire comprendre à long terme, c’est qu’il ne faut pas blesser ni pénaliser les citoyens pacifiques. Nous ne sommes pas préoccupés par ce type de personnes. Je suis préoccupé par des individus comme Alexandre Bissonnette.

Vous avez raison, sénateur Plett : il est allé sur Internet et s’est radicalisé en ligne. En passant, des efforts sont actuellement déployés au Canada pour lutter contre la haine et la radicalisation en ligne. Le comité de la justice se penchera sur l’élaboration de nouvelles lois et pourrait éventuellement rétablir l’article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui traite spécifiquement de la haine sur Internet. Il s’agit d’un autre obstacle que nous pourrions dresser devant les terroristes.

L’essentiel, c’est de rendre les choses aussi difficiles que possible pour eux. Si Alexandre Bissonnette n’avait pas eu d’arme ou s’il n’avait pas eu facilement accès à une arme, peut-être, je dis bien peut-être, qu’il y aurait pensé à deux fois. Même cela est peut-être un obstacle suffisant que nous aurions pu offrir comme moyen de sauver une ou deux vies. Pour moi, cela en vaut la peine.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci, monsieur Farber. Vous savez sans doute que, dans le cas de la tuerie de Sainte-Foy, la vraie cause a été le fait que le demandeur de permis a fait une fausse déclaration aux policiers, qui n’ont pas vérifié les antécédents psychiatriques du tueur. En quoi cette loi — où l’on va vérifier les antécédents la vie durant plutôt que pour une durée de cinq ans — va-t-elle éviter qu’il y ait des gens qui mentent à la police ou que des détenteurs légaux d’armes à feu développent, en cours de route, des troubles psychiatriques? En quoi ce projet de loi va-t-il rendre le travail des policiers plus efficace quand on sait que, en Colombie-Britannique et Alberta, près de 5 000 dossiers n’ont pas encore obtenu de réponse de la part des policiers?

Un psychiatre nous a dit que les policiers ne peuvent avoir de l’information en temps réel. Ne croyez-vous pas que, afin d’éviter des suicides, la solution serait que les policiers qui autorisent l’obtention de permis d’armes à feu aient un accès direct aux dossiers médicaux pour vérifier immédiatement si un individu a des antécédents, plutôt que de passer à travers la machine bureaucratique, ce qui peut prendre de trois à quatre ans? Ne serait-ce pas préférable, plutôt que d’avoir un projet de loi qui ne changera rien, où l’on vérifie les antécédents sur cinq ans ou à vie, où des gens vont tricher ou vont développer des maladies mentales et devenir dangereux? Si les policiers avaient accès aux dossiers médicaux en temps réel, s’il n’y avait pas de barrière bureaucratique entre le monde médical et le monde policier, ne croyez-vous pas qu’on pourrait sauver des vies?

[Traduction]

M. Farber : En effet, je suis d’accord.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : La solution ne doit pas venir du gouvernement fédéral, mais plutôt des provinces, qui gèrent ces patients qui ont des problèmes psychiatriques. On ne les soigne pas et on les laisse souvent en possession d’armes à feu, car on ne vérifie pas leurs antécédents. Ils finissent par commettre des crimes. Ne croyez-vous pas que la vraie solution est de ressort provincial, et non fédéral?

[Traduction]

M. Farber : Je vous remercie, sénateur. Je suppose que cela nous ramène à ce que je dis depuis le tout début. Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir, et cela signifie que toutes les autorités doivent travailler en étroite collaboration. Je suis d’accord avec vous. Les gens qui ont...

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Dites-moi en quoi le projet de loi contrôlera mieux les gens qui ont des antécédents psychiatriques ou qui développent des troubles psychiatriques? Dites-moi en quoi ce projet de loi sera préférable à la mesure de contrôle actuelle de cinq ans, où on en échappe à droite et à gauche?

[Traduction]

M. Farber : Je ne peux pas vous le dire parce que je ne suis pas ici pour témoigner à ce sujet. Je suis ici pour témoigner au sujet de ce que je connais, et il s’agit de la haine.

Vous avez posé une question importante. Si, par exemple, la police avait été en train d’enquêter sur M. Bissonnette au moment où il a demandé son permis de possession d’armes à feu et qu’elle était allée voir sur Internet, il n’aurait pas été très difficile de trouver des traces de ses activités sur les médias sociaux et des sites web qu’il fréquentait, ce qu’il écoutait et ce qu’il entendait. J’imagine que, si on avait vu cela, une simple entrevue menée par la suite aurait pu amener les contrôleurs d’armes à feu à se demander si on aurait dû ou non donner un permis à cet homme.

À ce propos, je dirais exactement la même chose de ceux qui souffrent de maladie mentale et de ceux qui ont un casier judiciaire. Je veux qu’il soit aussi difficile que possible pour ceux qui sont prédisposés à la violence d’avoir accès à des armes à feu de façon générale. Nous savons que cela se produira de plus en plus. C’est la raison d’être de notre organisation. Si ce n’est pas déjà fait, je suis sûr que vous entendrez beaucoup d’organisations différentes, certaines en faveur des armes à feu et d’autres qui sont contre celles-ci. Elles auront toutes sortes de réponses.

Je me concentre sur les personnes haineuses violentes. Je veux faire en sorte qu’il soit aussi difficile que possible pour elles d’avoir accès à des armes à feu. À mon avis, cela n’empêchera pas tout, mais pourrait en arrêter certains. Pour moi, c’est mieux que rien du tout.

Le sénateur McIntyre : Monsieur Farber, je crois savoir que votre réseau a pour mandat d’informer et de sensibiliser le public, les médias, les chercheurs, les tribunaux, les forces de l’ordre et les groupes communautaires au sujet des groupes haineux.

Au fil des ans, dans quelle mesure votre réseau a-t-il réussi à fournir cette information?

M. Farber : Merci beaucoup de me poser cette question. Je ne l’ai pas payé pour poser cette question, mais elle est très bonne.

Nous achevons notre première année d’existence la semaine prochaine. Nous avons commencé il y a un an, en mai dernier. Nous travaillons avec un budget très serré et limité. Nous sommes une organisation à but non lucratif. Les gens nous font des dons, alors nous comptons sur leur générosité et leur temps. Notre groupe consultatif est composé de ces personnes. Trois ou quatre d’entre elles travaillent pour nous moyennant des honoraires très faibles. J’exerce mes fonctions à titre de président de façon bénévole.

Avons-nous été efficaces? Depuis nos débuts l’an dernier, nous avons collaboré avec quatre commissions scolaires différentes. Nous avons travaillé auprès d’enseignants et d’élèves afin de présenter des ateliers sur le terrorisme, la haine et la façon dont les jeunes s’associent à des groupes haineux. Nous avons fait cela probablement dans 15 écoles de l’Ontario. Nous venons tout juste de présenter une demande de subvention à Sécurité publique afin d’étendre nos activités à l’ensemble du Canada. Nous espérons, sans trop oser espérer, l’obtenir. Nous avons besoin de 10 réseaux canadiens de lutte contre la haine pour être aussi efficaces que nous le voudrions.

Nous avons formé des agents de police à la police régionale de York et au Service de police de Toronto. Nous avons œuvré auprès du conseil scolaire du district de la région de York, du conseil scolaire du district de Toronto et du conseil scolaire du district de Peel. Je n’ai pas besoin de vous dire qu’il s’agit d’une goutte dans l’océan. Ceux qui ont suivi nos cours et nos ateliers ont été très reconnaissants. Ils ont beaucoup appris.

Notre premier atelier public aura lieu à Newmarket, le 8 avril. Les parents sont invités à venir écouter ce que nous enseignons aux enseignants. Toutes les places sont déjà réservées. On ne peut pas faire entrer plus de gens dans le gymnase.

Il y a beaucoup de travail à faire ici, et nous grattons la surface.

Le sénateur Plett : Je vais poser une brève question, et elle ne sera pas argumentative.

M. Farber : Cela ne pose pas de problème qu’elle soit argumentative. Nous pouvons convenir de ne pas être d’accord.

Le sénateur Plett : Vous avez fait allusion au sénateur McIntyre au sujet de votre organisation à but non lucratif. Acceptez-vous seulement les dons personnels, ou y a-t-il des organisations ou des sociétés qui vous donnent de l’argent?

M. Farber : Nous prenons tout l’argent que les gens sont prêts à nous donner. Nous avons reçu des dons personnels, comme ceux du PDG de Paramount Fine Foods, à Toronto. Vous êtes peut-être déjà allé au Paramount Middle Eastern Kitchen de Toronto. Mohamed Fakih nous a fait un don de société de 25 000 $, ce qui nous a permis de continuer nos activités. Les familles Slaight et Dan de Toronto nous ont fait d’importants dons. Les gens répondent à l’appel.

C’est peut-être quelque chose sur quoi vous et moi sommes d’accord, sénateur. Nous sommes une organisation à but non lucratif, mais nous œuvrons dans le secteur privé. Nous avons pour ainsi dire sur cette question la plus grande expertise qui puisse être réunie à un seul endroit. Il incombe au gouvernement de collaborer avec le secteur privé pour faire de ce genre de projet une réalité.

Le sénateur Plett : Avez-vous le statut d’organisme de bienfaisance?

M. Farber : Non, nous ne l’avons pas, parce que nous défendons des intérêts. Il serait difficile pour une organisation de défense d’obtenir le statut d’organisme de bienfaisance.

La présidente : Merci, monsieur Farber, d’être parmi nous. Nous vous sommes reconnaissants d’avoir pris le temps de venir ici.

Sénateurs, pour information, nous n’avons pas réussi à rétablir la communication vidéo avec Mme Sunchild, alors nous allons essayer de nous organiser autrement.

Mesdames et messieurs, nous accueillons aujourd’hui notre cinquième groupe de témoins par vidéoconférence : de l’Association canadienne des chefs de police, le chef Adam Palmer, président, ainsi que le chef Evan Bray, vice-président du Comité spécial sur les armes à feu; et, du gouvernement de la Colombie-Britannique, Wayne Rideout, directeur adjoint du Service de la sensibilisation aux drogues et au crime organisé.

Ils se joignent tous à nous par vidéoconférence, et leurs noms figurent au bas du tableau dans l’ordre dans lequel vous les voyez à l’écran.

Nous allons commencer par M. Palmer.

Chef Adam Palmer, président, Association canadienne des chefs de police : Je tiens à vous remercier de nous avoir invités à comparaître devant vous aujourd’hui.

Je suis le chef du Service de police de Vancouver. Je suis accompagné aujourd’hui du chef de police de Regina, Evan Bray, qui est également vice-président du Comité spécial de l’ACCP sur les armes à feu. Ce groupe de travail a reçu un mandat de la part du conseil d’administration de l’ACCP pour étudier les préoccupations croissantes liées à la violence armée au Canada et le contexte canadien dans son ensemble du point de vue de la sécurité publique.

Puisque nous sommes limités dans le temps, permettez-moi de me prononcer sur le sujet plus général de la violence armée et du projet de loi dont est saisi le comité. J’inviterai ensuite le chef Bray à vous renseigner sur le travail du Comité spécial de l’ACCP.

Il s’agit d’un débat polarisé, qui peut diviser les gens et être chargé d’émotivité de part et d’autre. Certains propriétaires d’armes à feu respectueux de la loi estiment qu’ils sont criminalisés parce qu’ils détiennent une arme à feu. Certains d’entre eux sont des chasseurs, des tireurs sportifs ou des collectionneurs qui sont amateurs de plein air, de sport et d’histoire.

Lors d’un exposé sur le projet de loi C-71 devant un comité de la Chambre, l’ancien président de l’ACCP, Mario Harel, a fait la déclaration suivante :

Je ne peux me prononcer sur les positions extrêmes dans ce débat qui préconisent soit l’augmentation du nombre et de la puissance des armes à feu ou, d’autre part, l’interdiction totale de celles-ci.

Je suis uniquement en mesure de vous parler de ce que j’estime être la position de la majorité des citoyens canadiens qui sont respectueux de la loi et qui favorisent un équilibre entre les privilèges individuels de chacun et les droits de la société en général.

Ils comprennent et appuient les règlements qui, tant que possible, accordent une priorité à la sécurité publique et à la protection des plus vulnérables de notre société.

Je tiens à préciser que nous accordons la priorité à la sécurité publique. Nous accordons la priorité à la victimisation. Nous nous prononcerons toujours en fonction de ces perspectives.

La violence armée au Canada a connu des hauts et des bas. La situation actuelle suscite des inquiétudes croissantes et compréhensibles. J’appuie la réclamation pour des données de meilleure qualité.

Toutefois, il est clair que nous avons connu une hausse subite des incidents de violence armée, et ce, dans un certain nombre de collectivités partout au Canada. Nous devons trouver les moyens de réduire la violence armée dans nos collectivités en ayant recours aux pratiques exemplaires fondées sur des données probantes. Il n’existe pas d’approche universelle. Cette tendance inquiétante est grandement attribuable aux gangs, que ce soit les gangs de rue ou les organisations criminelles plus sophistiquées. Pour y mettre fin, il nous faudra une approche globale de la société, dont l’éducation et la prévention précoces sont les points de départ qui permettront de s’attaquer aux causes fondamentales qui incitent les gens à s’affilier aux gangs.

Il est également important de se pencher sur les stratégies de sortie pour les personnes affiliées à des gangs afin de les guider vers un mode de vie plus sain. En outre, il s’agit d’appliquer la loi et de veiller à ce que nous arrêtions les criminels qui commettent des actes de violence dans nos collectivités.

À l’heure actuelle, les lois sur la possession d’une arme à feu au Canada sont strictes et responsables. Elles comprennent l’enregistrement des armes à autorisation restreinte et prohibées, y compris les pistolets. Nous imposons également des exigences de formation élevées aux propriétaires d’armes à feu. Bien que des vérifications d’antécédents soient en place, nous sommes d’avis que celles-ci pourraient être renforcées et que des vérifications additionnelles pourraient être effectuées pour favoriser davantage des comportements responsables chez les propriétaires d’armes à feu.

Le régime actuel est très bien. Toutefois, des améliorations au système sont encore possibles. Nous devons nous assurer que les personnes ayant un casier judiciaire, ayant commis des actes de violence conjugale, ayant des problèmes de santé mentale, entre autres, n’aient pas accès aux armes à feu.

L’enjeu ne touche pas les Canadiens respectueux des lois qui veulent posséder des armes à feu. Il touche les personnes participant à des activités criminelles qui se procurent des armes à feu illégalement par l’entremise de trafic transfrontalier, de vol auprès d’un propriétaire légal d’armes à feu ou d’achats par personne interposée.

Je tiens à préciser que l’ACCP ne réclame pas un registre des armes d’épaule pour les carabines et les fusils de chasse. Nous tenons seulement à avoir des techniques d’enquête appropriées et des conséquences justes pour ceux qui choisissent de commettre des actes criminels violents.

Nous souhaitons également approfondir notre compréhension de la provenance des armes à feu. Nous sommes tous d’accord qu’il faut de meilleures données de qualité et nous travaillons actuellement à améliorer cette situation. Notre processus décisionnel ne peut s’appuyer sur des anecdotes.

Nous appuyons le projet de loi C-71, puisque celui-ci aborde certaines préoccupations soulevées au sujet du contexte réglementaire actuel. Il ne s’agit pas d’une panacée pour régler le problème de la violence armée. Il s’agit d’une composante importante d’une stratégie plus globale qui contribue à prévenir la victimisation aux mains d’un agresseur équipé d’une arme à feu et à corriger certaines faiblesses du contexte réglementaire actuel en matière d’armes à feu du point de vue de la sécurité publique.

Nous avons besoin de mesures de protection afin d’atténuer les répercussions des pires résultats liés à la violence armée, même si ces mesures imposent des exigences aux propriétaires honnêtes d’armes à feu. Par conséquent, nous sommes d’accord que des changements sont nécessaires quant à l’admissibilité pour détenir un permis d’armes à feu, afin que nous puissions tenir compte du dossier complet du demandeur relativement à ses antécédents de violence ou à ses comportements criminels.

Nous appuyons également la proposition d’obliger les professionnels de la santé à aviser les autorités si, selon leur opinion d’expert, une personne ne devrait pas être en possession d’une arme à feu, afin d’assurer la sécurité de cette personne et du public en général. Cette approche serait semblable au retrait du permis de conduire en raison de préoccupations en matière de santé.

Lorsqu’une arme à feu sans restrictions est transférée, l’acheteur doit présenter son permis d’armes à feu, et le vendeur doit en vérifier la validité. À notre avis, cette exigence est essentielle. Nous appuyons également la tenue des dossiers par les vendeurs. La majorité des entreprises de bonne réputation ont déjà mis cette pratique en place pour leurs propres besoins. Depuis l’abolition du registre des armes d’épaule, la police a été, pour ainsi dire, aveugle au nombre de transactions en matière d’armes à feu sans restrictions effectuées par tout particulier titulaire d’un permis.

Il est important de noter que, pour obtenir des renseignements sur l’acheteur auprès du vendeur, on doit obtenir une autorisation judiciaire. L’ACCP est d’avis que la norme pour obtenir une ordonnance de production devrait être modifiée. Plutôt que d’exiger des « motifs raisonnables », nous proposons d’exiger une « raison de soupçonner ». L’absence de tels dossiers élimine pratiquement la capacité pour la police de repérer le dernier propriétaire d’une arme à feu sans restrictions utilisée pour commettre un délit. Le repérage d’une arme à feu liée à un acte criminel peut contribuer à l’identification d’une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction et du réseau de trafic responsable.

Il est intéressant de noter que, aux États-Unis, tous les magasins doivent respecter un mandat fédéral qui leur impose d’enregistrer et de conserver les renseignements sur la vente d’armes à feu. Nous appuyons les restrictions en matière de transport des armes à feu prohibées et à autorisation restreinte. Selon nous, le changement antérieur qui a permis l’autorisation de transport était trop général et accordait une trop grande latitude, faisant ainsi place aux abus. En termes pratiques, le détenteur d’un permis pouvait transporter une arme à feu, parfois au-delà de l’usage et de l’intention légitimes.

Nous appuyons la détermination des catégories d’armes à feu par les représentants élus. Toutefois, nous devons nous appuyer sur l’expertise professionnelle fournie par la Gendarmerie royale du Canada pour classifier les armes à feu, et ce, sans interférence ni influence politique. Leur impartialité repose sur la sécurité publique qui, comme je l’ai déclaré auparavant, doit avoir la priorité.

De plus, l’ACCP accueille favorablement la clarification apportée à l’article 115 du Code criminel relativement à la confiscation automatique. Cette clarification confirme que les ordonnances des tribunaux pour le retrait des armes à feu d’entre les mains des criminels et des personnes dangereuses comprennent toute arme à feu que les organismes d’application de la loi ont déjà en leur possession.

Au sujet de l’enjeu plus important de la violence armée et des activités de l’ACCP, j’invite le chef Evan Bray à vous dire quelques mots.

Chef Evan Bray, vice-président, Comité spécial — Armes à feu, Association canadienne des chefs de police : Beaucoup d’entre vous connaissent déjà l’escouade contre les armes à feu illégales de la Colombie-Britannique, qui a préparé le rapport final soumis au gouvernement provincial le 30 septembre 2017. Dans ce rapport, on retrouve plusieurs recommandations, y compris des demandes de l’Association canadienne des chefs de police.

Compte tenu de la publication de ce rapport et des préoccupations croissantes au sujet de la violence armée au Canada, l’ACCP a établi un comité spécial sur les armes à feu. Le groupe est principalement composé d’experts du secteur policier dans le domaine des armes à feu et des gangs, des enquêtes statistiques de dépistage des armes à feu, d’agents chargés de dossiers sur les armes à feu, d’universitaires, et cetera. La composition du groupe assure une représentativité géographique à caractère national. Les coprésidents du comité sont le chef adjoint Bill Fordy, du service de police régional de Niagara, et moi-même.

En bref, le comité spécial a l’intention de s’appuyer sur le rapport de la Colombie-Britannique pour explorer les divers enjeux qui touchent aux armes à feu, y compris les pistolets. L’ACCP souhaite comprendre la situation générale du Canada avant de s’arrêter sur certaines politiques particulières qui devront être soumises à notre conseil d’administration.

En résumé, notre objectif n’est pas de précipiter le processus, mais de concentrer nos efforts sur l’étude des quatre thèmes principaux suivants : les approches stratégiques; les initiatives législatives; l’éducation et la prévention; ainsi que sur la collecte des données et le partage de renseignements.

M. Palmer : Je sais que le temps est écoulé, alors permettez-moi de conclure en disant que nous respectons le débat en cours et que nous comprenons les diverses positions sur cet enjeu. Notre but n’est pas de punir les citoyens respectueux de la loi pour les actes des criminels. Notre but est simplement d’assurer la sécurité de tous les Canadiens. Je vous remercie.

Wayne Rideout, directeur adjoint, Service de sensibilisation aux drogues et au crime organisé, gouvernement de la Colombie-Britannique : Je vous remercie de me donner l’occasion de contribuer à cet important ensemble de travaux. La Colombie-Britannique continue de connaître des incidents troublants et très dangereux de violence armée qui ont fait des morts et des blessés. Des actes très publics et effrontés, souvent liés au trafic de drogues illicites, au crime organisé et aux gangs, mettent en danger la vie d’innocents membres du public. Ils engendrent de la peur, des difficultés et des tragédies pour les personnes et les communautés touchées, et ils imposent un fardeau considérable sur les ressources publiques.

En réponse, le gouvernement de la Colombie-Britannique a annoncé en avril 2016 plusieurs initiatives dans le cadre d’une amélioration de la stratégie sur les armes et les gangs de la Colombie-Britannique. Des fonds et d’autres initiatives ont été fournis pour renforcer la sécurité publique dans les collectivités qui ont connu une recrudescence des activités violentes des gangs. Le gouvernement de la Colombie-Britannique a également mis sur pied une escouade contre les armes à feu illégales chargée de faire des recommandations au ministre de la Sécurité publique et solliciteur général de la Colombie-Britannique.

Bon nombre des recommandations sont fondées sur une compréhension de la façon dont les armes à feu illégales sont au cœur des activités des groupes criminels organisés, des gangs et des criminels. Les circonstances uniques du crime organisé en Colombie-Britannique ont confirmé la nécessité de s’appuyer sur des stratégies adaptées au problème de la province. L’escouade s’est appuyée sur les stratégies et les problèmes existants, a cerné les risques et a tenté d’élaborer des solutions pragmatiques concernant le lien entre les armes à feu illégales et les activités du crime organisé et des gangs dans la province.

Le rapport de l’escouade contre les armes à feu illégales a été remis au gouvernement à l’automne 2017. Depuis ce temps, le ministère et les principaux intervenants ont mis en œuvre un certain nombre des recommandations qui relèvent de la compétence du gouvernement provincial.

Nous avons collaboré avec Sécurité publique Canada sur les recommandations visant les secteurs de compétence fédérale, et nous continuons de le faire. De nombreuses recommandations de l’escouade contre les armes à feu illégales nécessiteront des changements aux politiques, aux dispositions législatives et aux stratégies fédérales

Le rapport final de l’escouade contre les armes à feu illégales contenait 37 recommandations qui soulignent la nécessité d’adopter une approche multidimensionnelle pour régler le problème de la possession, du trafic et de l’utilisation illicite d’armes à feu en Colombie-Britannique. Comme vous l’avez entendu, les recommandations s’inscrivent dans quatre grands thèmes : les approches stratégiques; les initiatives législatives; l’éducation et la prévention; ainsi que la collecte des données et le partage de renseignements.

Plusieurs des recommandations formulées par l’escouade sont étroitement liées aux dispositions du projet de loi C-71, et nous appuyons ce dernier.

J’aimerais parler de l’achat par personne interposée et du dépistage d’armes à feu. L’expertise judiciaire, la certification et le dépistage d’armes à feu illégales récupérées sont essentiels à toute stratégie relative aux armes à feu illégales. Toutes les armes à feu saisies et récupérées devraient être retracées afin que l’on puisse obtenir des renseignements et découvrir des preuves. Le dépistage des armes à feu fournit des preuves potentielles sur les origines de certaines armes à feu liées à des actes criminels. Il renforce également le renseignement stratégique et tactique. Le renseignement stratégique permet de comprendre les origines des armes à feu illégales et d’autres vulnérabilités, ainsi que les tendances liées au type et à la marque des armes utilisées dans la contrebande et le trafic.

Les armes à feu d’origine nationale peuvent être volées lors d’introduction par effraction dans des résidences et des commerces ou acquises illégalement par des acheteurs qui sont des prête-noms et détournées à des fins illégales. Ces détournements illégaux ou ce trafic se produisent avec des armes enregistrées, prohibées et à autorisation restreinte, ainsi qu’avec les armes d’épaule en grande partie non réglementées que l’on peut acheter seulement avec un PPA.

La tenue d’un registre aux points de vente obligeant les vendeurs d’armes à feu à consigner le nom et le numéro de permis de l’acheteur ainsi que des renseignements sur le produit vendu permettrait de retracer les armes à feu et de prévenir le trafic illégal. Elle aiderait également à faire le lien entre les acheteurs prête-noms et les trafiquants d’armes à feu illégales et les armes à feu utilisées à des fins criminelles. Elle perturberait et découragerait les transferts illégaux vers les acheteurs prête-noms en augmentant le risque de détection. Cela aurait également un effet dissuasif.

Le fait d’avoir ces dossiers permettrait de combler les lacunes en matière de renseignement et d’aider les enquêteurs en créant des possibilités de retracer les armes à feu, d’identifier les trafiquants et de concentrer les renseignements stratégiques. Cet effort, particulièrement lorsqu’il est réalisé en temps opportun, contribue grandement aux enquêtes en cours et à la collecte et à l’analyse de renseignements à l’échelle de la province en vue d’identifier les trafiquants d’armes à feu.

Une exigence nationale obligeant les vendeurs d’armes à feu à tenir un registre des ventes permettrait d’établir des normes uniformes et efficaces partout au Canada. Les recommandations formulées dans notre rapport comprenaient les mêmes exigences pour les expositions d’armes à feu et les ventes privées.

En ce qui concerne la vérification des antécédents, les renseignements et la coordination de l’information sont essentiels à l’atténuation des dommages causés par les armes à feu illégales. Les contrôleurs des armes à feu se fient principalement aux renseignements fournis par la police et les tribunaux lorsqu’ils appliquent les dispositions relatives à l’admissibilité. L’autodéclaration et les rapports non sollicités de membres de la famille, d’amis et de collègues peuvent également mettre en lumière des informations pertinentes.

L’évolution constante des méthodes du crime organisé et la capacité des criminels d’exploiter les vulnérabilités des règlements sur les armes à feu font que nous avons besoin de liens ouverts et efficaces entre la réglementation et l’application de la loi. La combinaison des renseignements et des données sur l’application de la loi avec l’expertise des organismes de réglementation des armes à feu permettra de créer l’approche la plus efficace pour réduire la violence liée aux armes à feu illégales en Colombie-Britannique et partout au Canada.

Certains membres de groupes criminels organisés et leurs associés sont connus pour posséder des PPA, ou permis de possession et d’acquisition. L’accès à un PPA leur permet de se procurer des armes à feu et des munitions sans qu’il leur soit nécessaire d’avoir recours à des sources externes. Souvent, ces personnes n’ont pas de casier judiciaire, mais elles sont utilisées pour obtenir des armes à feu par ceux qui en ont un. On peut les identifier en interrogeant les systèmes de gestion des dossiers des services de police de partout au pays, et en procédant à des analyses au moyen de ces systèmes.

Le fait de permettre à des intervenants clés, comme les contrôleurs d’armes à feu et, en guise d’exemple supplémentaire, l’Agence des services frontaliers du Canada, d’accéder aux bases de données régionales et nationales des services de police aura un effet positif et des répercussions importantes pour les administrations provinciales et territoriales qui ont une frontière terrestre en commun avec les États-Unis.

Le danger de ne pas élargir l’accès aux données dans l’ensemble des provinces et des territoires, c’est que les criminels détourneront simplement leurs points d’entrée transfrontaliers ou changeront de province pour éviter d’être repérés.

L’une des préoccupations de l’escouade contre les armes à feu illégales était le manque d’accès par l’Agence des services frontaliers du Canada aux systèmes de gestion des dossiers des services de police. Cela limite effectivement l’accès de l’ASFC aux outils indispensables contenant des renseignements sur les personnes faisant l’objet d’une enquête policière active qui sont des associés ou des agents connus du crime organisé, mais qui n’ont pas de casier judiciaire. Par conséquent, ils n’apparaissent pas dans les autres bases de données auxquelles l’ASFC a accès, y compris le CIPC ou le Centre d’information de la police canadienne. En raison de cette lacune, on ne peut pas saisir les renseignements utiles sur les criminels recueillis par l’ASFC, lesquels pourraient contribuer au SGD des services de police.

Le fait de limiter la communication de l’information fait en sorte que les organismes d’application de la loi et de réglementation ne voient pas le portrait complet. L’information détenue par le Programme canadien des armes à feu et les organismes d’application de la loi peut être essentielle pour réduire les méfaits, contribuer aux enquêtes sur le trafic d’armes à feu illégales et empêcher la fourniture d’armes à feu illégales à des criminels violents. Le Programme canadien des armes à feu a besoin d’un meilleur accès aux dossiers, y compris ceux du SGD des services de police, et de pouvoir utiliser ces dossiers pour remplir son mandat réglementaire. La police a besoin d’avoir accès à des renseignements d’ordre réglementaire afin de repérer les personnes ayant une intention criminelle en lien avec la possession, le trafic et l’utilisation d’armes à feu illégales.

Une communication efficace de l’information entre le Programme canadien des armes à feu et les organismes d’application de la loi permet de cerner les personnes qui représentent un risque pour la sécurité publique et de limiter leur accès à des armes à feu.

La présidente : Monsieur Rideout, je vous demanderais de conclure dans deux minutes.

M. Rideout : Je n’ai besoin que d’une minute, je vous prie.

Les priorités générales de la province de la Colombie-Britannique et de l’escouade contre les armes à feu illégales sont la mise en place d’une approche synergique multidimensionnelle qui renforce la résilience des jeunes à l’attrait des gangs, des crimes et de la violence armée au moyen de stratégies de prévention et de sensibilisation. Ce sera notre meilleur investissement pour opérer un changement générationnel.

Pendant que nous travaillons à renforcer la résilience, nous devons améliorer et harmoniser les stratégies de perturbation et d’application de la loi en faisant de la lutte contre les armes à feu illégales, les gangs et le crime organisé une priorité. L’harmonisation doit se faire par la mise à profit des divers organismes d’application de la loi et l’amélioration des opérations avec les principaux pays de provenance. On doit exiger un responsable unique pour les principaux produits livrables à l’échelle nationale ainsi que des mesures de rendement précises qui sont conçues et validées de façon indépendante.

Nous devons améliorer considérablement la collecte de données et réduire les obstacles à la communication d’information et de données clés et au renseignement. Étant donné les conséquences tragiques de la possession, du trafic et de l’utilisation d’armes à feu illégales, nous devons prendre des mesures afin de réduire la paralysie relative à la protection de la vie privée. Le meilleur investissement des ressources est la sensibilisation précoce et la réduction de la menace que pose la violence liée aux armes à feu en constante évolution.

La présidente : Merci. Nous allons maintenant passer aux questions.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos invités. Je suis content de recevoir M. Palmer et M. Bray. M. Bray et moi étions membres de l’Association canadienne des policiers il y a plusieurs années.

Je vais poser ma question à M. Palmer. Auriez-vous aimé que le gouvernement libéral aille plus loin? Je m’explique : on constate que le projet de loi C-71 ne corrige pas une décision des tribunaux qui annule les dispositions d’une loi précédente, qui imposait une peine minimum à toute personne qui commettait un crime avec une arme chargée. Pensez-vous que le gouvernement libéral aurait dû aller plus loin avec le projet de loi C-71?

[Traduction]

M. Palmer : Je dirais que nous appuyons le projet de loi C-71. C’est une importante amélioration des lois sur les armes à feu du Canada, mais nous voyons également des éléments qui pourraient être améliorés encore plus.

Parmi les choses dont nous avons discuté à cet égard il y a l’imposition de plus de restrictions sur certaines armes militaires spécialisées comme certaines carabines; le resserrement des exigences en matière d’entreposage pour les locaux d’habitation et les locaux commerciaux; tout ce qui vise la détection de transactions inhabituelles ou importantes; le signalement d’un acheteur ou d’un vendeur qui effectue continuellement de nombreuses transactions; l’obligation pour les professionnels de la santé d’aviser les autorités lorsqu’une personne qu’ils ont prise en charge peut représenter un danger pour elle-même ou autrui; et la demande pour plus de données.

Nous pensons que ces éléments pourraient être renforcés dans le projet de loi.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma deuxième question s’adresse à M. Bray. Le projet de loi C-71 va instaurer la vérification de plus de cinq ans des antécédents des demandeurs de permis d’acquisition d’armes à feu. Ce sont sûrement les policiers qui devront faire ces vérifications. J’aimerais vous entendre sur la charge de travail supplémentaire que cela occasionnera. Comment la police sera-t-elle capable de traiter ces demandes sans que cela se traduise par d’importants retards?

[Traduction]

M. Bray : Merci de la question. Je crois que cela dépendra un peu de l’endroit, de la disponibilité du personnel et de sa capacité de collaborer avec le groupe national relatif aux armes à feu. La capacité de travailler en collaboration dans le cadre du Programme canadien des armes à feu sera également essentielle. Au bout du compte, nous examinerions les modifications législatives qui pourraient augmenter la charge de travail, mais renforcer la sécurité communautaire et permettre beaucoup de choses dont le chef Palmer a parlé.

Nous appuyons le projet de loi C-71. Nous pensons que c’est un pas dans la bonne direction. Oui, cela exigera un peu plus de travail, mais nous avançons dans la bonne voie et nous sommes disposés à nous atteler à la tâche.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma prochaine question s’adresse aux deux policiers. D’après moi, le projet de loi C-71 s’adresse aux personnes qui détiennent un permis et qui sont d’honnêtes chasseurs. Cependant, quand on parle des problèmes liés aux gangs de rue, nous savons tous que, lorsque des gangs de rue utilisent une arme à feu, c’est souvent une arme qui n’est pas enregistrée, dont le numéro de série a été effacé et qui provient souvent d’un marché de contrebande. Le projet de loi C-71 ne corrigera donc pas nécessairement le problème auquel nous faisons face avec les gangs de rue, qui utilisent des armes de poing non enregistrées.

[Traduction]

M. Palmer : Je vais me lancer avec deux ou trois commentaires.

Je conviens que le projet de loi C-71 ne sera pas la solution qui résoudra définitivement tous les problèmes d’armes à feu au Canada. Je suis complètement d’accord avec vous là-dessus.

Il s’agit d’une amélioration du régime des armes à feu solide que nous avons déjà au Canada. Les chefs de police canadiens sont en faveur d’un resserrement des règles existantes et d’autres choses comme l’éducation et la prévention ainsi que la résolution des problèmes transfrontaliers et des problèmes plus larges liés aux gangs et au crime organisé dont vous avez parlé. Cela peut nécessiter des approches différentes, mais nous sommes aussi en faveur de tout ce qui renforce les lois actuelles et réduit la possibilité que des armes à feu légales au Canada se retrouvent dans les mains de gens qui ne devraient pas en posséder.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Vous avez quelque chose à ajouter, monsieur Bray?

[Traduction]

M. Bray : Je vais compléter ce que vient de dire le chef Palmer. Il importe que nous renforcions le lien entre la réglementation et l’application de la loi chaque fois que nous le pouvons. Il n’y a pas de solution universelle. Avec tout le respect que je vous dois, monsieur le sénateur, je sais que vous avez fait carrière dans la police. Vous savez que c’est vrai. Vous examinez de grandes questions complexes.

Il ne s’agit pas d’une solution universelle, mais chaque fois que nous travaillons en collaboration, que nous renforçons les liens et la communication au moyen d’une meilleure collecte de données et d’un meilleur échange d’information et que nous apportons des modifications pour combler les lacunes, c’est positif. Ce n’est pas une solution pour tous les cas, mais c’est certainement un pas dans la bonne direction.

Le sénateur Gold : Ma première question s’adresse au chef Palmer, mais le chef Bray peut également y répondre.

Le projet de loi C-71 réintroduirait l’exigence d’une autorisation automatique de transport à usage unique pour des endroits comme les postes frontaliers ou les expositions d’armes à feu. Chef Palmer, votre prédécesseur, Mario Harel, a dit devant le comité de la Chambre des communes que l’association appuyait la modification, soit la réintroduction de cette exigence, et que c’était un pas dans la bonne direction.

Pouvez-vous nous parler davantage de cela et nous dire pourquoi vous croyez qu’il s’agit d’un pas dans la bonne direction? Vous avez déjà mentionné d’autres choses que vous aimeriez également voir, mais je vous invite à nous en dire plus là-dessus.

M. Palmer : La législation actuelle prête à interprétation et comporte une zone grise.

Selon les réponses que donne à la police une personne qui transporte des armes à feu dans son véhicule, elle pourrait en réalité réussir à transporter des armes à feu dans son véhicule pendant une longue période à différentes fins autres que l’intention réelle et l’objectif du transport.

Si on limite l’autorisation automatique de transport à une seule utilisation ou si on précise les règles de transport, on tient en réalité les gens plus responsables. Cela pourrait entraîner d’autres répercussions. Les gens ne transporteraient plus leurs armes à feu dans leur véhicule aussi souvent et ne le feraient que dans certains cas, ce qui réduirait les risques de vol dans les véhicules.

M. Bray : Je ne crois pas avoir d’autres choses à ajouter. Je vais m’en remettre au chef Palmer à ce sujet.

Le sénateur Gold : Alors, je vais poser une question à M. Rideout. Des témoins ont affirmé devant le comité que ce devrait être le Cabinet et le gouverneur en conseil qui devraient avoir le dernier mot en matière de classification des armes à feu, et non la GRC.

Comme vous le savez, le projet de loi C-71 nous ramène à la situation qu’on avait précédemment. En tant qu’ancien commissaire adjoint de la GRC, pourriez-vous nous donner votre opinion à ce sujet?

M. Rideout : Oui. Je pense que le fait que la GRC puisse prendre ces décisions fait en sorte qu’il est plus facile de s’adapter aux trafiquants d’armes à feu et à l’importation d’armes à feu, puisque nous éviterons les longues attentes pour que les armes à feu soient classifiées dans une certaine catégorie ou déclarées illégales ou illicites.

Dans le cadre de notre rapport et de notre recherche, nous avons examiné nombre de problèmes qui sont posés par le fait que des pièces d’arme à feu entrent au pays, les armes à feu sont assemblées en Colombie-Britannique et ensuite utilisées pour commettre des actes violents.

Tout ce qu’on peut faire pour avoir un système plus souple que l’on peut adapter aux agissements des criminels et aux tendances d’importation est avantageux pour les organismes d’application de la loi et de réglementation lorsqu’il s’agit d’armes à feu.

Le sénateur Plett : Merci, messieurs, d’être ici. Mes questions porteront également sur l’autorisation automatique de transport.

Chef Palmer, je crois que vous avez parlé de resserrer les règles existantes. Nous adhérons tous à cela; cependant, il ne s’agit pas d’un resserrement des règles existantes, mais plutôt de la création d’une nouvelle loi.

Pour nombre d’entre nous, et pour revenir au témoignage de M. Rideout aujourd’hui, cela ressemble à un autre registre des armes à feu. Je sais que M. le sénateur Pratte et moi sommes en désaccord sur cette question, mais je crois que c’est un autre registre des armes à feu déguisé. À mon avis, tous les témoignages que nous avons entendus vont en ce sens.

Pour moi, une des parties les plus aberrantes du projet de loi, c’est l’autorisation automatique de transport, alors je vais consacrer un peu de temps à ce sujet. Comme M. le sénateur Gold l’a déjà dit, le gouvernement retire l’autorisation automatique de transporter une arme à feu pour se rendre à une exposition d’armes à feu, traverser la frontière, se rendre à un poste de police ou chez un armurier.

L’amendement donne à penser qu’il pourrait y avoir une situation dans laquelle un de vous, un policier, arrête un véhicule. Après avoir confirmé que le conducteur possède un permis d’armes à feu valide, qu’il l’a avec lui, que l’arme à feu est correctement déchargée et verrouillée dans un étui et qu’il se rend vers une destination autorisée en empruntant un itinéraire raisonnablement direct, le policier ne serait quand même pas certain que l’arme à feu est transportée à des fins légitimes.

Toutefois, si le propriétaire de l’arme à feu détenant un permis avait une autorisation automatique de transport, laquelle n’est pas automatique, mais plutôt délivrée ce jour-là, alors toute incertitude disparaîtrait.

Si je me trompe, je suis certain que vous allez me corriger. Pourriez-vous me dire à quelle fréquence un criminel se rend commettre un crime en transportant des armes à feu dont la gâchette est bloquée et qui sont déchargées et verrouillées? Ce n’est pas une hypothèse, c’est une question.

M. Palmer : Si vous me demandez à quelle fréquence un criminel fait cela, je vous répondrai qu’il n’agit pas ainsi, d’abord parce qu’il possède une arme illégale, et parce que cette dernière n’est pas dans un étui verrouillé, est probablement chargée et prête à utiliser pour commettre un crime. D’après moi, ces dispositions ne visent pas les criminels.

Le sénateur Plett : Je suis d’accord avec vous là-dessus, et c’est là, bien sûr, tout le problème. Nous nous occupons de situations qui concernent des citoyens respectueux des lois alors que nous disons que nous luttons contre la violence liée aux gangs, mais les gangs n’agissent pas ainsi.

Une personne n’est pas obligée de dire volontairement à un policier qu’elle a une arme à feu dans son véhicule. À moins qu’il puisse la voir, le policier ne possède aucun moyen de savoir s’il y a une arme dans le véhicule.

Encore une fois, à quelle fréquence un criminel transporte-t-il son arme à la vue de tous? Pouvez-vous me donner un scénario où un policier arrête un conducteur et finit par lui demander son autorisation automatique de transport? Comment cela pourrait-il arriver? Il me semble que c’est complètement ridicule de prétendre que cela puisse se produire.

Pourriez-vous m’expliquer cela, chef Palmer?

M. Palmer : Certainement, avec plaisir. Dans les circonstances dont vous parlez, vous avez raison s’il s’agit d’un citoyen respectueux des lois transportant une arme à feu qui passe sous le radar et dont personne ne connaît l’existence. Si nous arrêtons cette personne, il est fort probable que nous n’ayons aucune idée qu’elle transporte une arme à feu. Je suis d’accord avec vous sur ce point.

Ce que j’essayais de dire, cependant, avec les permis et les permissions de transport, c’est que, si une personne a tendance à transporter régulièrement une arme à feu dans son véhicule, il y a assez de latitude dans le régime actuel. Quelqu’un pourrait se rendre à une frontière, à une exposition d’armes à feu, à un atelier de réparation ou à un champ de tir. Même un citoyen respectueux des lois pourrait en réalité transporter une arme à feu dans son véhicule à de nombreuses occasions. Selon ce qu’on dit à un policier, on pourrait probablement s’en tirer.

La réalité est que, chaque fois que des armes à feu sont transportées sur le territoire canadien, elles représentent un risque si elles ne sont pas placées dans un endroit sécuritaire. Oui, elles peuvent être dans un étui verrouillé dans le véhicule, mais, si une personne conserve régulièrement une arme à feu dans son véhicule, comme je l’ai dit, elle est plus susceptible de se la faire voler.

Des Canadiens respectueux des lois au pays finissent par enfreindre la loi en ce qui concerne les armes à feu. Lorsque nous effectuons la vérification des antécédents d’une personne, nous constatons qu’elle répond aux exigences pour obtenir un permis d’armes à feu. Nous savons également que certaines personnes sont utilisées pour réaliser des transactions d’armes à feu douteuses et des achats par personne interposée et sont impliquées dans le crime organisé.

Je peux vous dire sans l’ombre d’un doute, selon ma propre expérience à Vancouver et en Colombie-Britannique, qu’il y a des gens qui passent sous le radar et qui n’ont pas encore été arrêtés par la police ou qui ont un casier judiciaire. Nous sommes également préoccupés par ces personnes.

Je ne dis pas que c’est une solution magique aux problèmes de gangs. Je dis seulement que c’est une partie de la solution. Un scénario dans lequel cela pourrait se produire est très plausible dans les services de police canadiens, car nous recevons régulièrement des renseignements provenant d’un certain nombre de personnes qui nous informent sur une activité douteuse, et un policier pourrait agir en se fondant sur cette information.

Le sénateur Plett : Vous avez parlé de citoyens respectueux des lois et vous avez donné un certain nombre d’exemples de personnes qui font tout sauf respecter les lois. Encore une fois, nous n’avons pas de problème avec cela.

En vertu du projet de loi C-71, l’autorisation de transporter une arme à feu à utilisation restreinte ou prohibée vers un poste frontalier ne sera plus automatique. Si on veut traverser la frontière avec une arme à feu pour se rendre aux États-Unis aujourd’hui, on a besoin de ce qui suit : un permis d’armes à feu canadien valide, une preuve d’enregistrement au Canada pour chaque arme à feu, un permis pour l’importation temporaire des armes à feu et des munitions délivré par le département de la Justice et le Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and Explosives des États-Unis et un permis de chasse américain valide ou une invitation écrite d’un champ de tir américain.

Savez-vous que, et je suis certain que vous le savez, un propriétaire d’armes à feu doit déjà posséder tous ces documents pour traverser la frontière américaine avec une arme à feu?

Du coup, pourriez-vous m’expliquer en quoi le fait de retirer l’autorisation automatique de transporter des armes à feu vers la frontière américaine augmente-t-il la sécurité publique?

M. Palmer : Oui, monsieur, je suis au fait de toutes les exigences que vous avez mentionnées. Vous avez raison. Par contre, là où je voulais en venir, c’est que cela va au-delà de l’autorisation de transporter une arme à feu pour traverser la frontière américaine. Cela comprend également les expositions d’armes à feu, les champs de tir, les ateliers de réparation et des choses du genre. C’est une liste générale des endroits vers lesquels on pourrait transporter une arme à feu dans la collectivité.

Le sénateur Plett : Seriez-vous prêt, si nous proposions un amendement, à retirer celui-là, vu qu’il faut déjà une autorisation? Appuieriez-vous, en tant que représentant des services de police, cet amendement?

M. Palmer : Ce que nous appuyons, c’est qu’un permis individuel soit exigé pour chaque transport d’armes à feu.

Le sénateur Pratte : Ma première question s’adresse au chef Palmer. Vous avez dit qu’il était essentiel qu’un détaillant soit tenu de vérifier la validité du permis de l’acheteur d’une arme à feu sans restriction.

Pouvez-vous nous expliquer pourquoi c’est important?

M. Palmer : Oui. À mon avis, deux aspects sont essentiels. D’abord, il faut s’assurer que la personne qui achète ou revend l’arme à feu est en mesure de le faire légalement. Si une personne achète une arme à feu, on vérifie son permis de possession d’acquisition pour s’assurer qu’il est valide.

Ensuite, lorsque nous parlons de magasins d’armes à feu, ce pourrait être Canadian Tire ou un autre type de magasin, ils doivent s’assurer de consigner la transaction afin que la police puisse suivre la trace de l’arme à feu.

Nous ne parlons pas d’un registre d’armes d’épaule ni de tenue de dossiers par le gouvernement ou la police. Nous parlons de la consignation de la transaction par un détaillant, qui doit faire preuve de diligence raisonnable.

Le sénateur Pratte : Croyez-vous que c’est très différent de ce qui existait avant le registre des armes d’épaule? C’était ce qu’on appelait le livre vert, avec lequel, apparemment, personne n’avait de problème.

M. Palmer : Oui. Je pense que certaines personnes respectaient la marche à suivre. Elles faisaient cela, mais je ne pense pas que c’était appliqué de façon uniforme partout au pays.

Le sénateur Pratte : Monsieur Rideout, vous avez indiqué dans votre rapport que, à votre connaissance en Colombie-Britannique, la provenance des armes à feu liées à des actes criminels avait changé et que la plupart de ces armes étaient maintenant achetées au Canada.

D’autres forces de police, notamment à Toronto, ont également affirmé la même chose. Ces statistiques ont été contestées. Certains experts disent en fait que rien n’a changé et que la plus grande partie des armes à feu utilisées pour commettre des actes criminels au Canada sont encore importées en contrebande des États-Unis.

Pouvez-vous nous donner une idée de votre position dans ce dossier?

M. Rideout : Oui. Comme vous le savez, les données sont très difficiles à trouver. C’est un gros problème lorsqu’il faut analyser les armes à feu illégales. Nous avons utilisé les données qui étaient accessibles pour une période de deux ans. À ce moment-là, les données qui existaient en Colombie-Britannique montraient un ratio de 60-40 pour les armes à feu achetées au pays, les armes à feu récupérées dont on pouvait retracer la source.

En poursuivant notre travail, nous avons vu les chiffres de différentes administrations, qui sont plus près d’un ratio 50-50. Il y a une fluctuation. Tout comme un criminel prolifique, un ou deux groupes qui font le trafic d’armes à feu peuvent changer considérablement les statistiques dans une région, une administration ou même une province.

Un trafiquant d’armes à feu peut changer le paysage en faisant le trafic de 100 à 200 armes à feu. Les tendances en matière de trafic fluctuent. C’est pourquoi il est vraiment important que nous recueillions des données et retracions les armes à feu.

Il est évident que nombre d’armes à feu sont encore importées illégalement des États-Unis. Nous sommes au courant. Nous avons constaté que des trafiquants d’armes à feu au pays achètent de grandes quantités d’armes d’épaule et les revendent à des personnes qui n’ont pas de permis de possession et d’acquisition. Nous savons que même des armes à autorisation restreinte très réglementées sont faussement déclarées volées puis revendues à profit au crime organisé et à des gangs.

Les chiffres exacts fluctuent, mais, à mon avis, notre stratégie doit tenir compte des deux types de trafic afin d’être efficace.

Le sénateur Pratte : Je vais poser une petite question au chef Palmer. J’aimerais revenir aux permis de possession et d’acquisition afin de m’assurer de bien comprendre ce que vous avez dit.

Si je comprends bien, votre inquiétude ne concerne pas vraiment la destination, mais plutôt le fait que les modifications apportées en 2015 permettent aux propriétaires d’armes à feu de transporter leurs armes à feu n’importe où. Si vous arrêtez un propriétaire d’armes à feu, il vous dira qu’il se rend au champ de tir un peu plus loin ou au poste frontalier là-bas.

Vous n’êtes pas préoccupé par une destination précise. Vous vous inquiétez de l’effet général des modifications qui ont été apportées.

M. Palmer : Oui, c’est exact. C’est un bon résumé.

Le sénateur Pratte : Merci.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ma question s’adresse à M. Palmer et à M. Rideout. Je regardais les statistiques sur les dossiers en suspens de la GRC pour votre province et le Yukon. Environ 5 000 dossiers n’ont pas encore été traités ou sont en retard, dont à peu près les deux tiers touchaient des gens qui pouvaient avoir des antécédents médicaux ou criminels.

Avez-vous contacté la GRC pour connaître les raisons de ces retards pour ce qui est de votre province?

[Traduction]

M. Rideout : Merci de la question. Une partie du travail de la province de la Colombie-Britannique, c’est d’essayer de maintenir une surveillance et une compréhension du processus, même si ce dernier relève entièrement du Programme canadien des armes à feu à l’échelle nationale.

Nous savons que le Programme canadien des armes à feu accuse un certain nombre de retards dans diverses régions. Comme vous allez le noter dans notre rapport, nous avons formulé plusieurs recommandations concernant des façons d’améliorer le programme afin de rendre certaines initiatives complètes.

Cela comprend l’analyse des registres policiers et des casiers judiciaires, certains antécédents médicaux de personnes qui devraient ou ne devraient pas posséder un permis d’armes à feu, la révocation du permis lorsqu’il y a infraction criminelle ou des démêlés avec la police et, comme l’a mentionné le chef Palmer, lorsque les circonstances médicales ont changé et que des permis ont été révoqués.

On accuse des retards dans la révocation des permis. Nous sommes au courant de la situation et nous encourageons certainement les responsables du Programme canadien des armes à feu à corriger le problème.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Lorsque vous faites une demande d’information aux services médicaux par rapport aux antécédents d’une personne, son permis est-il automatiquement révoqué ou attendez-vous une confirmation selon laquelle l’individu a efffectivement des antécédents en matière de santé mentale?

[Traduction]

M. Rideout : Eh bien, monsieur, je crois que cela dépend des circonstances. Il s’agit parfois d’un rapport médical transmis aux contrôleurs des armes à feu. Plus souvent, un agent d’application de la loi peut tomber sur une personne de différentes façons lorsqu’il y a une querelle de ménage, un incident ou un appel à l’aide parce que l’état de santé se détériore à certains égards. Ces renseignements sont signalés dans les bases de données de la police. Les contrôleurs des armes à feu effectuent l’analyse et font ensuite ce qu’ils peuvent pour obtenir des renseignements.

Toutefois, je sais que, en raison de ce que j’appelle souvent la paralysie de la protection de la vie privée, il est très difficile pour les contrôleurs des armes à feu d’obtenir des détails précis sur certains de ces événements.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Voilà ce qui m’inquiète le plus. Il s’agit d’un système très bureaucratisé qui fait en sorte que, lorsqu’un policier constate qu’un individu a un problème, cette information est envoyée au contrôleur des armes à feu, qui fait une demande aux services médicaux. Cela peut prendre des mois avant d’avoir une réponse. Les retards qu’accusent votre province et l’Alberta en sont la preuve.

Ce délai quant à la décision de retirer les armes de détenteurs qui ont des problèmes de santé mentale ne met-il pas à risque une partie de la population?

[Traduction]

M. Rideout : Monsieur, les policiers possèdent des pouvoirs en vertu du Code criminel selon la nature de leur contact avec les personnes. Ils peuvent prendre des décisions leur permettant d’accélérer le processus et de saisir des armes à feu sur-le-champ, avec ou sans mandat, selon les circonstances. Ces facteurs entrent certainement en ligne de compte en fonction de la gravité de la crise et du risque.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : J’ai compris, par rapport à ma première question, que la confiscation de l’arme n’est pas automatique à la suite d’une demande d’information de nature médicale. Dans certains cas, vous attendez que les informations vous reviennent et qu’on vous confirme que la personne a un dossier médical récent, n’est-ce pas?

[Traduction]

M. Rideout : Je crois comprendre, monsieur, que les contrôleurs des armes à feu effectuent des analyses et utilisent l’information qu’ils ont immédiatement à leur disposition en vue de prendre des décisions relatives aux armes à autorisation restreinte et aux permis de possession et d’acquisition. La police dispose de pouvoirs indépendants pour effectuer certaines évaluations et saisies.

Cela peut se produire de toutes sortes de façons. Autrement dit, la police peut retirer les armes à feu. Les contrôleurs des armes à feu peuvent révoquer immédiatement le permis s’ils croient avoir des motifs assez substantiels et importants pour le faire. Dans certains cas, ils attendent d’obtenir des renseignements plus complets.

La sénatrice Griffin : Je voudrais revenir à l’autorisation automatique de transport. Chef Palmer, vous avez dit que, en l’absence de l’autorisation automatique de transport au cours des dernières années, il y a eu de l’abus lié au transport d’armes à feu à utilisation restreinte.

Pourriez-vous me donner quelques exemples?

M. Palmer : Ce que je veux dire, c’est qu’il y a de l’abus dans le système actuel. Nombre de personnes sont des propriétaires d’armes à feu respectueux des lois. Elles possèdent légalement des armes à feu. Lorsqu’on examine leurs dossiers, on constate qu’elles n’ont jamais eu de démêlés avec la police. Nous nous sommes rendu compte que certaines personnes commettent en fait des actes criminels.

Elles n’ont peut-être pas été coincées auparavant, alors elles ont l’air de citoyens respectueux des lois lorsqu’elles obtiennent leur permis. Toutefois, nous apprenons ensuite qu’elles participent à des activités comme l’achat d’armes à feu par personne interposée ou l’achat d’armes d’épaule, de munitions ou d’autres articles pour le compte du crime organisé. Nous avons constaté de tels exemples en Colombie-Britannique.

La sénatrice Griffin : Si on exige que les propriétaires d’armes à feu aient une autorisation automatique de transport, comment cela résoudrait-il le problème?

M. Palmer : L’autorisation automatique de transport est une sous-question. Il s’agirait de problèmes différents.

Je ne peux pas vous donner d’exemples précis concernant l’autorisation automatique de transport, mais je peux vous parler de ce que nous pensons en général de cette autorisation à l’ACCP et vous dire que nous croyons qu’il s’agit d’une faille dans le système actuel.

La sénatrice Griffin : J’essaie de comprendre pourquoi l’autorisation automatique de transport sera utile dans l’avenir. Il me semble que ces personnes continueront de faire ce qu’elles font même si elles doivent posséder une autorisation automatique de transport.

Nombre de gens détiennent actuellement des armes à feu illégales, et le fait de les obliger à avoir une autorisation automatique de transport ne fera rien pour la sécurité publique.

M. Palmer : Je comprends ce que vous dites. Beaucoup de gens font toutes sortes de choses au Canada, qu’il y ait des lois ou non. Ce que nous disons, cependant, c’est que les citoyens respectueux des lois qui possèdent légalement des armes à feu doivent respecter des exigences strictes en matière de transport. Les gens ne peuvent pas faire tout ce qu’ils veulent. Ils ne peuvent pas se promener avec une arme à feu dans un étui verrouillé dans leur véhicule et dire qu’ils vont où bon leur semble. Ils doivent se rendre à un endroit précis.

En 2019, il n’est pas difficile d’obtenir un permis de transport individuel grâce à la technologie moderne.

La sénatrice Griffin : Si les gens disent qu’ils se rendent à un champ de tir, ils sont en règle actuellement. Ils n’ont pas besoin d’une autorisation automatique de transport.

M. Palmer : Ce que je dis, c’est que c’est tellement général à l’heure actuelle que cela inclurait le fait de transporter une arme à feu verrouillée dans un véhicule et se rendre à la frontière, à une exposition d’armes à feu, à un champ de tir ou chez un armurier ou quiconque effectue des réparations. Il existe de nombreux endroits.

Cela fait en sorte qu’une personne peut transporter une arme à feu dans son véhicule très régulièrement. Nous serons peut-être en mesure de réduire le nombre de fois qu’on transporte des armes à feu dans un véhicule si nous imposons des règles strictes relatives aux circonstances.

La sénatrice Griffin : Le projet de loi propose qu’une autorisation automatique de transport ne soit plus nécessaire pour se rendre à un champ de tir. On pourrait dire qu’on se rend à un champ de tir.

Je ne vois pas très bien. J’essaie de mieux comprendre en quoi l’autorisation automatique de transport renforcerait la sécurité publique.

M. Palmer : Je pense qu’elle responsabilise davantage les Canadiens lorsqu’ils transportent des armes à feu.

Nous devons comprendre que cela dépend d’où on vient au Canada. Il existe d’énormes différences au pays. Si on vit dans une collectivité agricole en Saskatchewan, c’est différent du centre-ville de Vancouver ou de Toronto ou du Yukon. Chaque situation est très différente.

Je vous dirais que, parfois, le point de vue des policiers dans les grandes villes sera différent de celui des policiers dans les Prairies. À Vancouver, il n’y a pas beaucoup de situations où les gens ont besoin de transporter des armes à feu dans leur véhicule. J’imagine que mon collègue, le chef Evan Bray, à Regina, vous parlerait probablement d’un grand nombre de situations bien différentes en Saskatchewan.

Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup de votre témoignage. Je suis ravi que vous ayez souligné, dans vos propres mots, l’importance de trouver un équilibre réfléchi entre les privilèges individuels et l’intérêt supérieur de la société. Ce n’est pas toujours un équilibre facile à atteindre, c’est certain.

Vous avez affirmé que le projet de loi C-71 pourrait être amélioré. Une des façons que vous avez proposées, c’était d’appuyer l’obligation de signalement par les médecins, comme ce qui existe à l’heure actuelle dans les cas de violence envers les enfants, de sécurité routière et d’autres choses du genre, parce que la sécurité individuelle et publique est essentielle.

Premièrement, si vous deviez choisir une ou deux autres façons d’améliorer le projet de loi C-71, quelles seraient-elles? Deuxièmement, seriez-vous en mesure de fournir un libellé ou des arguments écrits relativement à la façon dont on pourrait examiner ces solutions?

M. Palmer : Je vais commencer par dire oui, vous avez déjà mentionné un élément. Une autre piste qui mérite d’être envisagée, c’est d’examiner certaines armes à feu précises qui sont légales à l’heure actuelle au Canada. Il s’agit plus d’armes à feu de style militaire. Elles pourraient peut-être faire partie des armes à feu prohibées.

Une possibilité intéressante, c’est d’examiner les exigences d’entreposage partout au pays pour les résidences et les locaux commerciaux, selon la région où on se trouve, si c’est dans un grand centre urbain ou au milieu d’une région rurale.

Du point de vue pratique, s’il s’agit d’un magasin d’armes à feu situé au centre-ville de Vancouver, de Toronto ou de Regina, la police peut se rendre sur les lieux très rapidement. Si c’est dans une région rurale en Colombie-Britannique, dans nombre de régions des territoires ou dans les Prairies, c’est beaucoup plus long pour que la police se rende sur place.

On pourrait examiner des exigences d’entreposage très strictes pour les locaux commerciaux et/ou les propriétaires d’armes à feu qui se trouvent dans un secteur résidentiel, particulièrement les gens qui possèdent beaucoup d’armes à feu, ainsi que des systèmes de repérage pour détecter s’il y a un nombre élevé de transactions ou des transactions inhabituelles.

On peut réaliser à l’heure actuelle nombre de ces choses grâce à la technologie moderne, mais lorsqu’on détecte des gens qui effectuent beaucoup de transactions, c’est habituellement un signal d’alarme pour un certain nombre de choses.

Il est très évident, à la lumière du présent débat, que tant les services de police que le milieu politique pourraient bénéficier de meilleures données sur les armes à feu. Il existe des différences régionales partout au pays. Selon la catégorie d’armes à feu, que ce soit une arme de poing ou une arme d’épaule, et la source des armes à feu, il y a des différences.

Voilà certaines choses qu’examine actuellement notre comité spécial sur les armes à feu.

La sénatrice Busson : Je sais que, en raison de ce que je faisais auparavant, le lundi est habituellement une journée occupée et je vous remercie tous trois d’avoir pris le temps de nous parler.

Dans vos exposés, chef Palmer et chef Bray, une des choses sur lesquelles vous vous êtes concentrés, c’était les armes à feu de style militaire. Deux fusils Swiss Arms font partie du projet de loi C-71.

D’après vos propres expériences, précisément dans votre environnement, pourriez-vous nous donner un exemple, selon vous, de la façon dont cette partie du projet de loi C-71 renforcerait la sécurité publique pour les Canadiens?

M. Palmer : Je serais heureux de répondre en tant que policier qui travaille depuis plus de 30 ans à Vancouver et qui a occupé un certain nombre de postes, notamment celui de patrouilleur, d’enquêteur sur les gangs, d’enquêteur sur le crime organisé et maintenant de chef de police.

La quantité d’armes à feu dans les rues en 2019 est bien différente que lorsque j’ai entamé ma carrière de policier en 1987. À l’époque, il était inhabituel pour un policier de trouver une arme à feu lors d’un contrôle routier ou d’enlever une arme à feu à une personne qui était en train de commettre un crime. Ce n’est plus rare maintenant.

Nous avons saisi des centaines d’armes à feu dans les rues de Vancouver à des membres de gang, à des personnes qui ne sont pas censées posséder d’armes à feu et à des personnes qui, comme je l’ai mentionné, qui ont le droit de posséder des armes à feu et possèdent légalement un permis, mais contreviennent à la loi et n’ont pas été prises. Nous pouvons trouver tous ces types d’exemples. Les armes à feu sont beaucoup plus répandues maintenant.

Quant à votre question précise sur les fusils d’assaut militaires et ce genre de choses, nous en voyons plus qu’il y a de nombreuses années. Le problème s’est aggravé au Canada au fil des ans. Il y a lieu d’examiner cela attentivement.

Le sénateur Richards : Huit membres de ma famille élargie travaillent dans le domaine de l’application de la loi, alors j’ai le plus profond respect pour vous. Toutefois, je ne crois pas que le projet de loi changera grand-chose.

Si j’étais un criminel, qu’est-ce qui m’inquiéterait dans le projet de loi C-71 que je n’ai pas vu auparavant? Je sais ce qu’il fait pour réglementer la personne ordinaire qui possède un permis de possession et d’acquisition d’armes à feu ou qui essaie d’obtenir un permis pour aller à la chasse.

Je suis au courant de ce que le projet de loi va imposer à cette personne parce que je vis dans une région rurale. Je possède des armes à feu et je chasse. Une fois, mon permis de possession et d’acquisition a expiré, et il m’a fallu 45 jours pour en obtenir un autre. La saison de la chasse était terminée lorsque je l’ai reçu. C’était une source d’irritation, mais c’était comme ça.

Je suis également au fait qu’il y a des criminels dans ma province. Je ne pense pas qu’ils vont trop s’inquiéter de ce projet de loi.

J’aimerais que vous me rassuriez à propos des dispositions du projet de loi qui inquiéteraient les criminels de notre société.

M. Palmer : Certainement. Je vais commencer par faire deux ou trois commentaires, et Wayne Rideout ajoutera peut-être quelque chose.

Comme je l’ai dit plus tôt, je ne pense pas qu’il s’agit d’une solution universelle. Ce n’est pas une panacée. Je ne crois pas que le projet de loi va régler tous les problèmes au Canada du jour au lendemain en ce qui concerne le crime organisé, les gangs ou les armes à feu; ce n’est pas du tout le cas. C’est une partie d’une solution globale que nous devons examiner en tant que politiciens et chefs de police partout au pays.

Nous tentons de restreindre l’accès des gens à des armes à feu dangereuses. Nous essayons de faire de la prévention et d’organiser des activités de sensibilisation destinées aux jeunes. Nous nous efforçons de fournir des stratégies de sortie aux personnes qui participent à des activités de gangs. Nous voulons voir de meilleurs comportements parentaux et toutes sortes de choses dans la société. C’est une question beaucoup plus large que seulement ce projet de loi.

Pour répondre à votre question, c’est un morceau du casse-tête, non pas la solution finale, loin de là.

M. Rideout : Je pourrais peut-être ajouter que, lorsque nous pensons aux activités de gangs et au crime organisé, à l’utilisation d’armes à feu illégales et à la violence dans nos rues, nous devons faire beaucoup mieux pour essayer d’identifier les personnes qui importent illégalement des armes à feu et les rendent accessibles ici aux criminels.

Compte tenu de notre capacité de retracer les armes à feu à l’heure actuelle, quelqu’un peut aller dans un magasin et acheter 100 armes à feu sans qu’il y ait de registre à partir duquel la police peut faire un suivi. Nous améliorer notre capacité à obtenir une vue d’ensemble plus large des renseignements et à retracer les armes à feu.

De même, lorsqu’il s’agit de la recherche concernant des personnes et de la capacité de fouiller dans les antécédents médicaux et criminels, nous devons mieux atténuer les risques que présentent des personnes qui pourraient posséder des armes à feu. Quelqu’un pourrait utiliser ces armes à feu à des fins violentes, soit pour commettre un acte de violence spontané ou pour le détournement planifié d’une activité criminelle.

Pour reprendre les commentaires du chef Palmer, cela fait partie d’une stratégie globale. Nous avons encore besoin d’une stratégie générale afin de lutter plus efficacement contre la violence liée aux armes à feu au Canada. Beaucoup de travail se fait là-dessus en ce moment.

Deux ou trois éléments donneront à la police de meilleurs outils pour accomplir un travail plus efficace contre les trafiquants, notamment la recherche des antécédents de personnes, l’enregistrement des permis d’armes à feu, la traçabilité et la tenue de registres.

M. Palmer : Je répète que la question de l’enregistrement adéquat des transactions d’armes à feu peut ne pas être préventive. Le fait que la police consigne l’incident ou ait accès à des registres n’empêchera peut-être pas un criminel de dévaliser une banque ou de commettre une agression violente. Toutefois, la police doit enquêter sur ces crimes. Nous aurons plus d’outils à notre disposition pour traduire une personne en justice.

Le sénateur Richards : J’ai une dernière question à laquelle vous pouvez répondre par un oui ou par un non. Je sais ce que pensent les policiers, particulièrement dans les grands centres urbains, concernant le profilage de certaines minorités visibles et ce genre de choses.

J’ai des armes à feu; j’en ai six qui sont toutes verrouillées et hors de portée. Croyez-vous, particulièrement chez les Canadiens des régions rurales qui possèdent des armes à feu, qu’on fera du profilage avec ce projet de loi?

M. Palmer : Non.

M. Rideout : Non.

La présidente : Chef Palmer, chef Bray et M. Rideout, nous vous remercions chaleureusement d’avoir été avec nous aujourd’hui. Vos témoignages sont utiles à nos délibérations. Nous vous sommes reconnaissants d’avoir pris le temps de nous parler malgré vos horaires très chargés. Merci beaucoup.

M. Palmer : Merci.

M. Rideout : Merci.

M. Bray : Merci.

La présidente : Pour notre dernière heure aujourd’hui, nous recevons Teri Bryant, de l’Alberta Arms and Cartridge Collectors Association.

Bienvenue. Vous avez la parole.

Mme Teri Bryant, Alberta Arms and Cartridge Collectors Association : Je suis secrétaire de l’Alberta Arms and Cartridge Collectors Association, présidente du Military Collectors’ Club of Canada et présidente du Nambu World Museum et j’occupe plusieurs autres postes. Depuis que je suis à la retraite, je suis devenue une bénévole active dans ma collectivité.

Ma participation aux expositions d’armes à feu comme assistante, exposante, organisatrice et bénévole a commencé il y a cinq décennies par des visites avec mon père pendant mon enfance. Pas plus tard qu’hier soir, je suis littéralement revenue à la maison après avoir assisté à une exposition d’armes à feu, j’ai défait et refait mes valises, je me suis rendue à l’aéroport et je suis arrivée ici.

Mes remarques porteront sur trois questions liées à l’effet du projet de loi C-71 sur les expositions d’armes à feu et les exposants : l’autorisation de transport, la vérification de permis et la raison pour laquelle les expositions d’armes à feu sont des institutions sociales vitales.

Premièrement, quant à l’autorisation de transport, je crois que, depuis 2015, le permis de possession et d’acquisition est assorti de conditions qui permettent le transport d’armes à feu à utilisation restreinte et prohibées en direction et en provenance d’une exposition d’armes à feu, entre autres endroits. Cela ne donne pas du tout carte blanche aux gens pour se promener avec des armes à feu dans leur véhicule. On doit encore les transporter déchargées et verrouillées à triple tour et par l’itinéraire le plus direct.

Quiconque tente d’affirmer faussement qu’il transporte des armes à feu pour se rendre à une exposition d’armes à feu serait rapidement détecté si on lui demande simplement le nom de l’exposition et l’endroit où elle se tient. On ne peut pas s’en sortir simplement en disant aux policiers, qui font tous preuve de perspicacité, qu’on se rend à une exposition d’armes à feu.

Deuxièmement, pour ce qui est de la vérification de permis de possession et d’acquisition, elle semble raisonnable en principe et, dans un monde parfait, ce serait une bonne idée, mais les difficultés surgissent des menus détails. Quant aux expositions d’armes à feu, le principal problème, c’est qu’elles se tiennent presque toujours la fin de semaine lorsque les bureaux des contrôleurs des armes à feu sont fermés. On ne peut pas appeler et effectuer une vérification parce qu’il faut parler à quelqu’un et on se heurte actuellement à un message automatique. Je sais cela parce que j’ai essayé de le faire dans les deux ou trois derniers mois.

Certaines expositions d’armes à feu sont tenues dans de petites villes où il y a peu de libre-service. Quoi qu’il en soit, seules les armes à feu sans restrictions peuvent être retirées immédiatement. Les acheteurs d’armes à feu à utilisation restreinte et prohibées ont encore besoin qu’on autorise le transfert, un processus qui, selon ma récente expérience, peut prendre de 2 jours à 10 mois. Oui, je l’ai vécu récemment.

Avant que cela puisse être obligatoire, le Programme canadien des armes à feu doit élaborer un système et montrer qu’il fonctionne.

Troisièmement, les expositions d’armes à feu sont importantes. Contrairement aux affirmations scabreuses de personnes qui ont peu ou pas d’expérience directe avec elles, les expositions d’armes à feu jouent un rôle social essentiel à plusieurs égards.

D’abord, elles contribuent à maintenir une culture saine qui valorise les armes à feu comme des instruments de loisir et de subsistance et comme des artefacts historiques, et non pas comme les instruments de violence qui sont associés aux jeux vidéo, aux films et aux fabulations des gens qui militent contre les armes à feu.

Deuxièmement, elles fournissent une plateforme organisée et supervisée pour l’échange d’armes à feu afin de garantir qu’elles circulent uniquement par voies légales.

Troisièmement, elles sont essentielles pour la dimension sociale de notre communauté de gens qui s’intéressent aux armes à feu; elles offrent un endroit où ses membres d’origines variées se rassemblent dans un esprit de fraternité et de camaraderie.

Je vous encourage donc respectueusement à laisser les expositions d’armes à feu dans la disposition sur le transport d’armes à feu pour que nous n’ayons pas besoin d’une autorisation individuelle. Je serai heureuse d’expliquer plus en détail pourquoi l’obtention d’une autorisation de transport d’armes à feu individuelle est une complète perte de temps et est une mauvaise utilisation des ressources. Je vous prie également de retarder tout système de vérification du permis de possession et d’acquisition jusqu’à ce qu’un système efficace soit mis en place pour préserver l’institution sociale vitale que sont les expositions d’armes à feu. Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, madame Bryant, de votre présentation. Serait-il avantageux pour les groupes ou les sites historiques que d’anciennes technologies, comme les fusils à silex, soient reclassifiées, tel que le prévoit le projet de loi C-71?

[Traduction]

Mme Bryant : En ce qui concerne la reclassification, tout dépend de ce qui doit être reclassifié et de la façon de le faire. Le problème avec notre système de classification actuel tient au fait que les classifications n’ont absolument aucun lien avec toute utilisation potentielle à des fins criminelles ou quoi que ce soit d’autre.

Par exemple, j’ai quelques armes à feu prohibées rares qui ont beaucoup de valeur et qui requièrent des munitions impossibles à obtenir. Elles font partie de la catégorie la plus stricte, alors que d’autres articles qui seraient plus intéressants pour un criminel qui veut mettre la main sur quelque chose se trouvent dans une catégorie moins stricte.

Le problème ne porte donc pas sur la classification en tant que telle, mais sur le fait que, en général, la classification n’est pas vraiment fondée sur quoi que ce soit qui ait rapport au risque potentiel pour la société.

[Français]

Le sénateur Dagenais : On sait que le transport des armes de collection est déjà réglementé. À quoi attribuez-vous les nouvelles dispositions beaucoup plus restrictives du projet de loi C-71, à part le fait qu’elles profitent aux politiciens?

[Traduction]

Mme Bryant : En ce qui a trait aux autorisations de transport, nous avions auparavant un système où il nous fallait appeler pour obtenir une autorisation de transport pour chaque occasion et pour chaque arme à feu.

Cela soulève bon nombre de problèmes. En tant que chargée de cours et professeure agrégée en commerce international, j’ai eu de la chance parce que mon emploi du temps était très souple. Il vous faut souvent appeler à de très nombreuses reprises simplement pour parler à quelqu’un. Dans certains cas, vous ne pouvez même pas être mis en attente. On vous dira simplement : « Le temps d’attente est trop long, veuillez rappeler à un autre moment. » Pour des gens qui ont plutôt, disons, un horaire de travail régulier, il s’agit d’un obstacle majeur à franchir.

Puis, lorsque vous arrivez enfin à parler à quelqu’un, vous devez énumérer tous les numéros de certificat d’enregistrement des armes à feu. Si jamais vous vous trompez, vous vous trouverez alors à enfreindre la loi. Il serait peu probable que vous vous fassiez prendre, mais je n’aime pas l’idée de compter sur le fait de ne pas me faire prendre. Je veux m’assurer d’être conforme à la loi en tout temps, parce que les sanctions sont très sévères.

Dans certains cas, j’ai transporté plus de 40 armes à feu à une importante exposition historique sur les armes à feu militaires japonaises, lesquelles sont ma spécialité. Lorsque vous récitez au téléphone 40 numéros d’enregistrement, qui comportent de 8 à 10 chiffres chacun, le risque d’erreur est assez élevé. Il y a des façons de mieux utiliser le temps des gens.

Il s’agit d’un obstacle pratique important. Je ne peux pas vous dire à quel point j’ai été soulagée de ne plus avoir à le faire.

J’ai transporté plusieurs armes à feu prohibées et à autorisation restreinte à mon stand durant la fin de semaine. Le fait de ne plus avoir à passer par ce processus m’évite certains problèmes. Par exemple, je pourrais planifier d’exposer certaines armes à feu, puis j’obtiendrais finalement l’autorisation de transfert pour une autre arme à feu qui serait une meilleure pièce pour l’exposition. Si j’ai déjà mon permis, il me faudrait alors rappeler pour obtenir mon autorisation de transport.

Il y a de nombreux problèmes d’ordre pratique.

Le sénateur Plett : Merci, madame Bryant, d’être ici cet après-midi.

J’ai une brève observation au sujet de l’autorisation de transport d’armes à feu. Je ne sais pas si vous regardiez lorsque le président de l’Association canadienne des chefs de police a comparu juste avant vous.

Mme Bryant : Oui.

Le sénateur Plett : Je n’ai jamais été plus convaincu, à la suite de ce témoignage, de l’inutilité des autorisations de transport d’armes à feu dans ce projet de loi. Je pense qu’il essayait de nous dire à quel point ils étaient bons, et il a échoué lamentablement. Je pense que vous avez beaucoup de soutien en ce qui a trait à vos problèmes avec les autorisations de transport d’armes à feu.

Le problème lorsqu’on ne prête pas toujours attention est que l’on peut parfois manquer certaines choses. Je sais que le sénateur Dagenais vous a posé une question par rapport à la reclassification pendant que je m’entretenais avec mon personnel derrière moi. Je ne suis pas certain que la question portait sur cela, mais j’aimerais avoir la réponse.

Comme vous le savez, le gouvernement retire la capacité du Cabinet d’annuler une décision prise par la GRC de reclassifier une arme à feu sans restriction pour qu’elle soit prohibée ou à autorisation restreinte. Est-ce une préoccupation pour vous et, si c’est le cas, pourquoi?

Mme Bryant : Oui, cela me préoccupe. Ce n’est pas précisément lié aux expositions d’armes à feu, et c’est pour cela que je n’ai pas soulevé ce point. En tant que propriétaire et collectionneuse d’armes à feu, ce point a beaucoup d’importance pour moi.

Nous sommes une société démocratique. Nous devons tous vivre avec des décisions que nous n’apprécions pas nécessairement. Nous pouvons être rassurés si ces décisions sont prises par des personnes qui ont été élues au terme d’un processus. Ce processus fournit une justification et nous rassure, même si nous n’apprécions pas les décisions qui en ressortent.

J’ai assurément beaucoup de respect pour l’institution de la GRC, mais ses membres ne sont pas élus. Ils n’ont pas de comptes à rendre à la population. En ce qui concerne la classification, les témoins précédents ont présenté plusieurs exemples de cas où la GRC a changé son fusil d’épaule. On dit quelque chose une journée, puis autre chose le lendemain.

Lorsque nous avons investi des milliers, voire, dans mon cas, des centaines de milliers de dollars dans une collection, nous avons besoin qu’il y ait en place des mesures de protection pour ne pas que quelqu’un puisse, d’un simple coup de crayon ou simplement sur un coup de tête, changer soudainement les choses. La meilleure mesure de protection est d’avoir un organisme élu qui fait l’objet d’un examen subséquent par des personnes qui ont une vision à long terme, peut-être parce qu’elles ne sont pas élues. Cela établit un juste équilibre pour garantir des décisions qui conviennent à tous.

Le sénateur Plett : Je ne dis pas du tout que ce serait le cas, mais je me pose la question suivante : y aurait-il un équilibre si la GRC avait le droit de faire cela et qu’il y avait un processus d’appel?

Mme Bryant : Il est certainement mieux d’avoir un processus d’appel que de ne pas en avoir.

Je suis une personne qui dispose de moyens financiers modestes. La raison pour laquelle j’ai une grande collection est que j’ai investi toutes mes ressources, pendant toute ma vie ou presque, à cet égard. Ce n’est pas parce que j’étais fortunée.

Les appels ont tendance à être très coûteux. À moins que vous ne soyez avocat, le processus juridique est pratiquement inaccessible à tous les égards, au civil et au criminel, pour un particulier normal issu de la classe moyenne. Il serait certainement mieux d’avoir un processus d’appel que de ne pas en avoir, mais j’aurais tout de même des préoccupations.

Le sénateur Plett : Actuellement, si quelqu’un fait une demande de permis d’armes à feu, il y a une vérification des antécédents qui porte sur les cinq dernières années. Le projet de loi C-71 étend cette période sur la vie entière. Cela vous préoccupe-t-il? Si oui, est-ce que cinq ans serait le nombre d’années approprié? Quel serait le bon nombre?

Mme Bryant : J’aimerais beaucoup voir une preuve que plus de cinq ans serait utile. La vie des gens prend une panoplie de tournures. Les gens peuvent vivre des ruptures conjugales et toutes sortes d’autres problèmes. Leur vie se calme à la suite de tels événements.

Je pense que la peur qu’ont les gens, c’est que des événements ordinaires de la vie comme une rupture conjugale puissent avoir des conséquences à long terme. Lorsque quelqu’un commence à chercher dans le passé des gens, il lui est possible de trouver quelque chose sur presque tout le monde, parce qu’il arrive que l’on perde patience et que l’on s’emporte contre quelqu’un dans le trafic ou quelque chose du genre. La question est simple : où sera la limite?

Mon principal argument en ce qui concerne certaines de ces questions est le suivant : quel est le prix? Chaque fois que nous faisons quelque chose, s’il y a une chance sur 10 millions que vous puissiez prendre une meilleure décision en examinant la vie entière d’une personne, allez-vous examiner 10 millions de cas afin d’en trouver un?

Peut-être que l’on pourrait mieux utiliser les ressources de façon à sauver plus de vies et à rendre la société plus sécuritaire et plus juste.

Le sénateur Plett : J’ai une dernière petite question. Entre 2014 et 2017, le tiers de tous les homicides par arme à feu n’ont pas été résolus. Il s’agit de 280 cas sur 823.

Cela veut dire qu’il pourrait y avoir environ 280 meurtriers qui circulent librement au Canada. Pourtant, le gouvernement tente de convaincre les Canadiens que ce projet de loi renforcera la sécurité publique grâce à des modifications apportées à la Loi sur les armes à feu, dont les meurtriers ne tiendront évidemment pas compte.

Croyez-vous que les Canadiens pourront se sentir plus en sécurité si le projet de loi C-71 est adopté?

Mme Bryant : La réponse brève est non, et la raison pour cela tient encore une fois au problème de l’affectation des ressources.

Le sénateur Plett : La réponse brève me convient. Merci.

Le sénateur Pratte : Madame Bryant, je vous souhaite la bienvenue au comité. Vous avez mentionné la préoccupation des propriétaires d’armes à feu par rapport au passage d’une période de cinq ans à la vie entière. Des gens sont inquiets en raison de certains événements qui auraient pu survenir par le passé. Peut-être se sont-ils disputés avec le conducteur d’une autre automobile ou quelque chose du genre.

Cependant, le projet de loi énonce clairement que les contrôleurs des armes à feu examineront les incidents violents, les incidents de nature criminelle, la violence familiale ou les tentatives de suicide qui auraient pu survenir il y plus de cinq ans et qui sont toujours importants, et non pas les dépressions ou les ruptures conjugales qui n’ont rien à voir avec la violence. Le projet de loi est clair à ce sujet.

Mme Bryant : Le problème demeure de savoir s’il y a quelque chose qui ajoutera de la valeur à la décision. Si, suivant ces procédures, une personne était jugée inapte à posséder des armes à feu pour le reste de sa vie, il reviendrait alors certainement au processus judiciaire de rendre une ordonnance d’interdiction de posséder une arme à feu à l’égard de cette personne.

Le sénateur Pratte : Peut-être que cela ne s’est pas produit. Quoi qu’il en soit, la personne qui s’est vu refuser sa demande pour une raison qui lui semble arbitraire peut interjeter appel de la décision devant une cour provinciale, n’est-ce pas?

Mme Bryant : Oui. Si les autorités reconnaissent que cette personne ne devrait pas avoir d’armes à feu, je suis d’avis qu’elles ne devraient pas avoir peur de refuser une demande.

Les propriétaires d’armes à feu respectueux des lois ne souhaitent pas voir s’infiltrer des personnes qui ne devraient pas posséder d’armes à feu. Nous reconnaissons pleinement qu’il y a des personnes qui ne devraient pas en posséder. Bon nombre de personnes ont refusé de vendre des armes à feu à quelqu’un qui possédait un permis parce qu’elles ne se sentaient pas à l’aise de lui vendre.

Nous ne sommes pas en faveur de jeter toutes les règles à la poubelle. Nous voulons nous assurer que les ressources que nous consacrons au contrôle des armes à feu sont dépensées de façon efficace et non pas dans une chasse aux sorcières.

Le sénateur Pratte : En ce qui concerne les autorisations de transport d’armes à feu et les vérifications de permis, vos préoccupations portent en partie sur la mise en œuvre de ces mesures.

Mme Bryant : Oui.

Le sénateur Pratte : Cela repose sur votre expérience. Lorsque la GRC est venue ici, ses représentants nous ont assurés qu’ils étaient en train d’apporter des changements à leurs systèmes. Le ministre s’est engagé à fournir les ressources nécessaires à ces changements. Par exemple, la vérification de permis se ferait sur un site Internet et serait très rapide. Les gens n’auraient pas à attendre au téléphone, et le service serait accessible les fins de semaine. La GRC a mentionné qu’elle adapterait ses services afin qu’ils soient offerts les fins de semaine, puisque c’est là que la plupart des expositions d’armes à feu ont lieu.

Êtes-vous un tant soit peu rassurée par cela, ou ne croyez-vous simplement pas que cela puisse arriver? Soit dit en passant, ces dispositions du projet de loi n’entreront pas en vigueur avant que ces changements ne soient apportés. Cela pourrait apaiser l’une de vos préoccupations.

Mme Bryant : Peut-être que je suis une personne trop cynique, étant une utilisatrice de Windows 10, ayant lu des reportages sur notre système de paie Phénix et ayant une expérience personnelle avec l’ancien registre des armes d’épaule, et ainsi de suite. Veuillez m’excuser si je ne suis pas convaincue que chaque système technologique sophistiqué soit en mesure de réellement résoudre nos problèmes.

Ce serait très bien si toutes ces choses pouvaient fonctionner, mais mon expérience m’indique que c’est rarement le cas.

Le sénateur Pratte : Si nous tenons pour acquis que toutes les tentatives du gouvernement se solderont par un échec parce que le système de paie Phénix a échoué, nous serons paralysés. Nous ne tenterions pas de faire quoi que ce soit en tant que gouvernement et en tant que Parlement, n’est-ce pas?

Mme Bryant : Je ne pense certainement pas que tout ce que fait le gouvernement est mauvais. N’allez pas penser que je fais une affirmation générale de la sorte.

Cependant, en tant que personne qui vit avec les conséquences de ces lacunes et qui a vu beaucoup d’échecs, j’aimerais voir la preuve avant d’agir, plutôt que d’agir et espérer que la preuve vienne.

Le sénateur Oh : Je vous remercie, madame Bryant, d’être ici. Vous avez mentionné dans votre déclaration préliminaire que vous et votre père participiez à des expositions de collectionneurs.

Pourriez-vous nous parler un peu des autorisations de transport d’armes à feu? Si ces autorisations sont mises en place, quelles seront les répercussions sur les expositions d’armes à feu? Quelles seront les incidences économiques? Combien de personnes participent habituellement aux expositions d’armes à feu? Quelle est la taille de ces expositions?

Mme Bryant : C’est une question très vaste. L’exposition d’armes à feu que nous venons de tenir est la plus importante au Canada. Il y a environ 1 000 tables, 350 exposants, et de 7 000 à 10 000 visiteurs y viennent en l’espace de deux jours. Il s’agit d’une initiative et d’un événement de grande envergure, organisé en quasi-totalité de façon bénévole. Des gens venus d’aussi loin que l’Europe, l’Afrique et l’Asie viennent y participer.

Veuillez m’excuser si j’exprime une préoccupation très personnelle. Les expositions d’armes à feu jouent un rôle très important dans la mise en place d’une culture positive par rapport aux armes à feu. C’est notre façon de transmettre à la génération montante la façon dont ils devraient voir les armes à feu.

Je fais des expositions historiques. Je me tiens souvent devant mon stand, je parle aux gens et je leur explique l’histoire. Bon nombre de jeunes viennent à une exposition d’armes à feu parce qu’ils ont un intérêt. Ils ont peut-être vu First Person Shooter ou joué à des jeux de tir à la première personne. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une bonne façon de se faire une opinion sur les armes à feu. Les gens devraient rencontrer des personnes responsables qui participent à des activités sérieuses comme le tir à la cible, la chasse et la collecte d’artefacts historiques, activités qui étaient toutes bien représentées lors de notre exposition.

Je crains que plus vous rendez difficile pour les gens de mettre sur pied un stand historique, moins les gens prendront part à ce type d’activité et moins il y aura transmission d’une culture positive.

Nous devrions encourager les meneurs responsables de la communauté des armes à feu à aider la génération montante à adopter une attitude appropriée et respectueuse par rapport aux armes à feu, et non de laisser cela à la société en général, où les gens ne voient que les jeux de tir à la première personne et les tableaux sordides brossés dans les médias.

Le sénateur Oh : Je sais que vous prenez part aux expositions d’armes à feu depuis longtemps. D’après votre expérience, est-il déjà arrivé qu’un membre ou un collectionneur d’armes à feu que vous avez connu commette un crime en utilisant une arme à feu, se suicide ou autre chose du genre? Êtes-vous au courant de certains chiffres à cet égard?

Mme Bryant : Mon expérience s’étend, comme je l’ai dit, sur une cinquantaine d’années. J’ai encore sur le mur de ma pièce dédiée aux armes à feu mon adhésion comme membre junior à la Ontario Arms Collectors Association, que mon père m’a achetée en 1972. Bien sûr, je n’étais pas bien vieille à cette époque.

Pendant tout ce temps, à ma connaissance, personne n’a commis de crime, mis à part les aspects non reconnus, comme quelqu’un qui commet une erreur à un moment donné et se rend à une exposition d’armes à feu sans avoir le certificat d’enregistrement de son arme à feu ou quelque chose du genre. Jamais personne ne s’est fait prendre.

Je ne suis pas au courant de quelque crime que ce soit. Je me rappelle d’une personne à l’époque qui s’est suicidée avec une arme à feu.

Le sénateur McIntyre : Madame Bryant, vous avez parlé des expositions d’armes à feu. J’aimerais avoir une précision au sujet des autorisations de transport et des collections d’armes à feu.

L’article 28 de la Loi sur les armes à feu prévoit essentiellement que le contrôleur des armes à feu ne peut autoriser la cession à un particulier d’une arme à feu à autorisation restreinte ou d’une arme de poing que s’il est convaincu, entre autres, que celui-ci en a besoin pour une collection d’armes à feu lorsque les conditions énoncées à l’article 30 sont remplies.

Les conditions énoncées à l’article 30 sont les suivantes :

[…] les particuliers collectionneurs doivent [...] connaître les caractéristiques historiques, techniques ou scientifiques relatives ou particulières à leurs armes à feu à autorisation restreinte ou à leurs armes de poing; […]

Ainsi de suite. Le projet de loi C-71 modifie la Loi sur les armes à feu en retirant certaines autorisations de transport pour des armes à feu prohibées ou à autorisation restreinte à moins que le transfert de l’arme à feu soit approuvé aux fins d’une collection d’armes à feu.

Voici ma question : selon vous, quelles répercussions aura le projet de loi C-71 sur une collection d’armes à feu? Constatez-vous des changements importants par rapport à ce qui figure actuellement dans la Loi sur les armes à feu?

Mme Bryant : La principale difficulté est de transporter les armes pour les exposer dans une exposition. Voilà pourquoi j’insiste sur la question des autorisations de transport.

J’aimerais souligner, cependant, que l’idée d’une séparation ou d’une distinction entre la possession d’armes à feu pour une collection et la possession d’armes à feu pour faire du tir à la cible ou de la chasse est en vérité plutôt erronée. Bon nombre de personnes qui possèdent des armes à feu à des fins de collection apprécient de tirer avec leurs armes à feu pour vivre une expérience historique, au même titre que des gens veulent conduire un modèle T un dimanche pour l’expérience historique. Toute distinction entre le tir à la cible ou la collection, constitue, selon moi, une fausse dichotomie.

Même avec la chasse, un certain nombre de personnes, lors de l’exposition d’armes à feu à laquelle je viens de participer, présentaient des expositions historiques sur les armes à feu de chasse. Il s’agit d’armes à feu qui ont probablement été utilisées pour la chasse et qui font maintenant partie d’une collection. Elles se sont intéressées aux carabines Marlin. Elles ont apprécié chasser avec ces armes. C’était ce que leur père avait toujours aimé. De la même façon qu’il y a des familles Ford et des familles Chevy, il y a des familles Winchester, des familles Colt et ainsi de suite.

Tout ce qui rend les choses plus difficiles pour les gens qui veulent aller à des expositions d’armes à feu et apporter leurs armes à feu, que ce soit pour les vendre ou pour les exposer, aura, selon moi, des conséquences négatives pour les expositions d’armes à feu. Ce qui est mauvais pour les expositions d’armes à feu le sera également pour la société, parce que les expositions d’armes à feu sont dans l’intérêt de la société.

Le sénateur Plett : J’ai une question très brève. J’ai dit au sénateur Pratte et à d’autres qu’il s’agit d’un registre des armes à feu camouflé et je les ai accusés d’avoir tort, que cela est injuste. Si vous deviez être l’arbitre ici, croiriez-vous qu’il s’agit d’un registre sur les armes à feu camouflé?

Mme Bryant : Je pense qu’il y a une disposition qui mentionne que ce n’est pas le cas. S’il est mentionné que ce n’est pas le cas, peut-être que ce ne l’est pas officiellement, mais en réalité, cela fournit certainement énormément de matériel qui pourrait être utilisé de la sorte.

Un chat est-il un chat si on ne l’appelle pas un chat?

Le sénateur Plett : Merci.

La présidente : Madame Bryant, voilà qui conclut les questions. Nous voulons vous remercier chaleureusement d’avoir comparu devant notre comité et de nous avoir aidés dans nos délibérations.

Mme Bryant : Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion d’être ici.

(La séance est levée.)

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