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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 27 avril 2023

Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier de nouvelles questions concernant le mandat du comité.

La sénatrice Rosa Galvez (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je m’appelle Rosa Galvez, sénatrice du Québec et présidente du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles.

Je voudrais commencer par un rappel. Avant de poser des questions et d’y répondre, je demandais aux membres du comité et aux témoins dans la salle de ne pas trop s’approcher du micro, ou de retirer leur oreillette quand ils le font. Cela évitera des retours de son qui pourraient être préjudiciables pour le personnel du comité présent dans la salle.

Je demanderai maintenant aux autres membres du comité de se présenter.

Le sénateur Arnot : Je m’appelle David Arnot, sénateur de la Saskatchewan.

Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, sénateur du Québec.

[Français]

La sénatrice Audette : [Mots prononcés en innu-aimun.] Michèle Audette, sénatrice du Québec. [Mots prononcés en innu‑aimun.]

[Traduction]

La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, sénatrice de l’Alberta.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, de la division sénatoriale d’Inkerman, au Québec.

La sénatrice Verner : Josée Verner, de la division sénatoriale de Montarville, au Québec.

La présidente : Je vous souhaite la bienvenue, chers collègues, ainsi qu’à tous les téléspectateurs de partout au pays qui regardent nos délibérations.

Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur l’industrie canadienne du pétrole et du gaz. Pour notre premier panel, nous accueillons en personne trois représentants de la South Saskatchewan Ready : Cal Martin, maire de la ville de Coronach; Craig Eger, préfet de la municipalité rurale de Hart Butte; Sean H. Wallace, directeur général.

Nous accueillons également M. Jerry V. DeMarco, commissaire à l’environnement et au développement durable, Bureau du vérificateur général du Canada. Il est accompagné de deux directeurs principaux de son bureau, Kimberley Leach et James McKenzie.

Enfin, par vidéoconférence, Greg Poelzer, professeur à l’Université de la Saskatchewan, se joint à nous. Je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie d’avoir accepté notre invitation.

Chaque groupe a cinq minutes pour faire son allocution d’ouverture. Je comprends que les trois représentants de South Saskatchewan Ready se partageront les cinq minutes. Nous irons ensuite à M. DeMarco, suivi de M. Poelzer. Monsieur Martin, la parole est à vous.

[Traduction]

Cal Martin, maire, ville de Coronach : Bonjour, madame la présidente et honorables membres du comité. Je suis maire de la ville de Coronach, une communauté rurale touchée par l’abandon du charbon située dans le Sud-Est de la Saskatchewan. Je suis accompagné aujourd’hui de M. Craig Eger, préfet de la municipalité rurale de Hart Butte, et de Sean Wallace, directeur général de South Saskatchewan Ready, qui représente un partenariat de neuf communautés rurales de notre région qui travaillent ensemble, puisque notre région est directement touchée par l’abandon du charbon.

Je témoigne aujourd’hui pour faire part de certaines préoccupations quant au plan provisoire de création d’emplois durables, la loi sur les emplois durables et l’exclusion des « communautés durables » de cette loi alors que le gouvernement fédéral a fixé la date butoir pour l’abandon du charbon à 2030.

Dans notre communauté, avec l’abandon du charbon et la fermeture de la mine, la population pourrait diminuer jusqu’à 71 %, les emplois diminueront de 71 % et les revenus des ménages diminueront d’environ 90 %. La communauté sera donc aux prises avec des problèmes de viabilité, puis que la réduction dramatique des recettes fiscales rendra l’entretien des infrastructures et de choses semblables presque impossible. Nous pourrions assister à la fermeture d’entreprises locales, comme des épiceries, des pharmacies et des églises, puis, avec le déclin de la population, à la disparition d’écoles et de programmes de santé rurale offerts dans la communauté. Certains membres de la communauté pourraient ainsi être obligés de voyager de plus en plus loin pour obtenir des services.

Même si le gouvernement fédéral a financé des infrastructures dans les communautés touchées par l’abandon du charbon, ce financement ne nous aide que maintenant, car en 2030, les infrastructures qui ont été financées et que nous avons construites... juste cette année, nous remplaçons d’importantes conduites d’eau et d’égout installées dans les années 1960. Ce sont les tout premiers projets d’aqueduc et d’égout dans notre communauté, mais cette dernière aura-t-elle les moyens d’entretenir ces infrastructures dont nous avons désespérément besoin actuellement, car celles que nous avons tombent en ruines? S’il ne reste que 29 % de la population environ pour assumer l’entièreté des coûts, de graves problèmes sont à prévoir.

Je céderai maintenant la parole à M. Eger.

Craig Eger, préfet, municipalité rurale de Hart Butte : Je vous remercie, monsieur le maire.

Bonjour, madame la présidente. Je m’appelle Craig Eger et je suis préfet de Hart Butte, une municipalité rurale située à proximité de la ville de Coronach, où se trouvent la mine de charbon Poplar River de Westmoreland et la centrale électrique de SaskPower.

Nos liens avec Coronach sont importants, car cette ville est un centre d’affaires et de services rural où les habitants des municipalités rurales voisines peuvent accéder aux biens et services. La fermeture de la mine et de la centrale se traduira par une réduction de l’assiette fiscale et de la population. Un certain nombre d’agriculteurs et de travailleurs agricoles de ma région dépendent de la mine et de la centrale pour arrondir leurs revenus pendant la saison morte. Ces emplois sont extrêmement importants en raison de l’augmentation du prix des intrants agricoles, qui subissent l’influence de la tarification du carbone, de l’inflation et de l’augmentation des salaires. Tous ces facteurs ont une incidence sur la viabilité des fermes familiales.

À cela s’ajoute le manque imminent d’accès aux biens et services locaux, qui obligera les agriculteurs à dépenser davantage dans le cadre de leurs activités, ce qui aura une incidence sur la viabilité des fermes familiales.

Je céderais la parole à Sean Wallace, si vous le voulez bien.

Sean H. Wallace, directeur général, South Saskatchewan Ready : Je vous remercie beaucoup, monsieur le préfet.

Bonjour, madame la présidente. Comme vous l’avez entendu, certaines de nos communautés risquent de ne plus être viables. Forts de plus de 100 ans d’expérience, nous connaissons les effets socioéconomiques de la fermeture d’industries. Ces effets sont encore plus importants dans les régions rurales. L’histoire nous a appris que quand les communautés rurales perdent leur industrie et la main-d’œuvre, la majorité d’entre elles ne s’en remettent jamais, et c’est un fait.

Sachez qu’environ 500 emplois directs et quelque 600 emplois indirects appuient l’industrie minière et les secteurs de l’énergie, assurant la viabilité de neuf communautés et de 3 000 personnes dans ma région.

Dans le cadre de l’initiative précédente de « transition équitable », la moitié de l’aide s’adressait aux communautés afin qu’aucun travailleur ou aucune communauté ne soit laissé derrière. Dans le nouveau plan de création d’emplois durables, les communautés ne sont plus une priorité, comme en témoigne le manque de soutien destiné aux communautés touchées par l’abandon du charbon. Je souligne que le financement réservé à la diversification économique a pris fin il y a un mois, un bon sept ans avant la date butoir de 2030, alors que le financement et le soutien destinés aux travailleurs syndiqués ont été augmentés pour un avenir prévisible.

En mars dernier, le comité a entendu les professeurs Benjamin Sovacool et Angela Carter. Au cours de leurs témoignages, ils ont évoqué le risque d’iniquité et d’exclusion des communautés et des populations à risque. Leurs évaluations de la situation étaient on ne peut plus justes, car des gouvernements étrangers portent une attention particulière aux communautés durables. Le gouvernement fédéral doit écouter et agir promptement afin d’élaborer une politique solide pour veiller à ce que les communautés rurales demeurent viables et prospères au cours de la transition.

De plus, le gouvernement a accordé approximativement 1,3 milliard de dollars aux activités relatives à l’abandon du charbon dans d’autres pays, mais seulement 185 millions de dollars pour ces mêmes activités en sol canadien.

À cela s’ajoute le fait que les communautés canadiennes touchées par l’abandon du charbon sont exclues de l’économie verte. Le gouvernement fédéral a dépensé des milliards de dollars au nom des changements climatiques et des emplois verts dans des régions qui ne sont pas touchées par l’abandon du charbon. Il doit changer d’approche pour assurer la viabilité des communautés grâce à une politique économique soigneusement réfléchie.

En terminant, nous recommandons que la future loi sur les emplois durables soit renommée « loi sur les emplois et les communautés durables » pour permettre aux communautés de participer à l’économie verte au titre de la loi, comme les travailleurs. Au nom du maire et du préfet, je vous remercie de nous avoir écoutés. Nous vous invitons à poser les questions que vous pourriez avoir.

La présidente : Je vous remercie.

[Français]

Jerry V. DeMarco, commissaire à l’environnement et au développement durable, Bureau du vérificateur général du Canada : Merci, madame la présidente. Nous sommes heureux de comparaître devant votre comité dans le cadre de son étude sur les changements climatiques et l’industrie canadienne du pétrole et du gaz.

Je tiens tout d’abord à reconnaître que cette audience se déroule sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe.

Je suis accompagné aujourd’hui de Kimberley Leach et de James McKenzie qui étaient responsables de plusieurs de nos rapports d’audit sur ce sujet. Le Bureau du vérificateur général du Canada a présenté plusieurs rapports sur les changements climatiques au cours des dernières années. Afin de laisser plus de temps pour les questions, je vais donner un aperçu de quatre de nos plus récents rapports d’audit ainsi que notre rapport rétrospectif de 2021 sur les leçons tirées de la performance du Canada dans le dossier des changements climatiques depuis 1990.

Notre rapport rétrospectif comprend huit leçons tirées de l’action et de l’inaction du Canada tout au long de cette crise climatique qui persiste, y compris la dépendance économique du Canada à l’égard de secteurs à forte intensité d’émissions, comme le secteur pétrolier et gazier.

La production pétrolière et gazière représente la plus grande part des émissions de gaz à effet de serre du Canada par secteur économique. La production croissante de pétrole et de gaz demeure un obstacle à l’atteinte des cibles climatiques nationales et internationales.

Le Canada s’est engagé, entre autres, à réduire sa dépendance aux combustibles fossiles pour favoriser une économie à faibles émissions de carbone en vue d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Dans la deuxième section de notre rapport, nous avons recensé plusieurs possibilités de relever les défis d’une telle transition.

Dans le cadre de notre audit de 2022 sur une transition équitable vers une économie à faibles émissions de carbone, nous avons constaté qu’à mesure que le gouvernement se tournait vers de nouvelles solutions à faibles émissions de carbone, il n’était pas prêt à fournir le soutien nécessaire à plus de 50 collectivités et 170 000 travailleuses et travailleurs qui ont des emplois directs dans le secteur des combustibles fossiles.

Nous avons aussi constaté qu’en tant que ministère responsable, Ressources naturelles Canada avait fait très peu pour présenter une loi sur la transition équitable. Depuis notre audit, le ministère a annoncé un plan provisoire de création d’emplois durables, mais aucune mesure législative n’a encore été présentée.

[Traduction]

Je passerai maintenant à notre audit de 2022 sur la tarification du carbone. La tarification de la pollution causée par le carbone amène les consommateurs et les producteurs à changer de comportement, ce qui permet de réduire l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre. Une tarification efficace du carbone est donc cruciale pour permettre au Canada de réussir à réduire de manière considérable ses émissions de gaz à effet de serre.

Nous avons constaté que les exigences fédérales à l’égard des grands émetteurs continuaient d’affaiblir le principe du « pollueur payeur » en permettant des systèmes de tarification provinciaux moins rigoureux dans certaines régions du pays. De plus, les communautés autochtones et d’autres groupes au sein de la société demeurent touchés de façon disproportionnée par les systèmes de tarification du carbone.

Notre audit de 2021 sur le Fonds de réduction des émissions pour le secteur pétrolier a porté sur les mesures prises en réaction à la pandémie de COVID-19 pour réduire les émissions tout en préservant les emplois et en attirant les investissements dans les sociétés pétrolières et gazières.

Nous avons constaté que le programme avait été mal conçu, car il n’établissait pas de lien entre le financement reçu et les réductions d’émissions nettes provenant d’exploitations pétrolières et gazières classiques côtières et infracôtières. Par exemple, pour 27 des 40 projets que nous avons examinés, les sociétés ont indiqué dans leur demande que le financement leur permettrait d’accroître leurs niveaux de production. Si la production augmente, les émissions connexes augmentent aussi, mais ces augmentations n’ont pas été prises en compte dans les projections de Ressources naturelles Canada.

Enfin, comme vous le savez peut-être, notre audit sur les règlements relatifs aux gaz à effet de serre a été déposé au Parlement la semaine dernière. Nous avons constaté qu’Environnement et Changement climatique ignorait dans quelle mesure les règlements que nous avons examinés contribuaient à l’atteinte de la réduction globale des émissions de gaz à effet de serre du Canada, et ce, parce que son approche pour mesurer les émissions n’associe pas les résultats à des règlements précis. Les règlements constituent un élément important de l’atteinte de la cible de réduction des émissions. Cependant, sans informations exhaustives sur les effets, le gouvernement ne sait pas s’il utilise les bons outils afin de réduire suffisamment les émissions pour atteindre sa cible.

Même si le gouvernement s’est engagé à maintes reprises à réduire les émissions du Canada, celles-ci ont augmenté de plus de 14 % de 1990 à 2021. Depuis la signature de la Convention‑cadre des Nations unies sur les changements climatiques en 1992, le Canada est le pays le moins performant parmi les pays du G7. Le Canada n’a pas atteint une seule cible de réduction des émissions au cours des trois dernières décennies, alors qu’il a continué d’accroître la production de pétrole et de gaz. Le temps presse lorsqu’il est question des changements climatiques et il ne reste que peu de temps pour prévenir leurs effets catastrophiques.

Madame la présidente, nous répondrons avec plaisir à vos questions. Je vous remercie.

La présidente : Je vous remercie.

Greg Poelzer, professeur, Université de la Saskatchewan, à titre personnel : Je veux remercier le Sénat et votre comité de m’offrir l’occasion de leur faire profiter de mes réflexions et de mon expérience concernant la transition énergétique, particulièrement en ce qui concerne les communautés autochtones, éloignées et du Nord. Je pense que le Canada a une occasion qui ne se présente qu’une fois au cours d’une génération de réaliser des progrès considérables vers la réconciliation économique en effectuant des investissements stratégiques dans ce domaine.

Si nous voulons effectuer une « transition juste » et pas « juste une transition », je pense qu’il importe réellement que nous tenions compte de toutes les occasions qui s’offrent à nous au pays de réussir la réconciliation économique grâce au secteur de l’énergie.

Quand nous examinons la question à l’échelle mondiale — et d’après ce que j’ai constaté en travaillant en Alaska, en Norvège et en Suède afin d’avoir une idée de ce que le Canada pourrait faire —, on constate qu’il y a quatre éléments, le premier étant les services publics et le développement de l’électricité alors que nous progressons vers un avenir carboneutre. Nous avons vu d’importants exemples au Canada même — notamment avec la ligne de transmission de Wataynikaneyap, dans le Nord de l’Ontario, et l’usine de biomasse du Conseil tribal de Meadow Lake, dans le Nord de la Saskatchewan —, mais sur le plan des sources avant-gardistes, comme l’hydrogène, l’Union européenne, et particulièrement la Norvège, progressent à pas de géant dans les communautés éloignées du Haut-Arctique, construisant une usine d’hydrogène vert d’une capacité de 100 mégawatts dans la communauté de Berlevåg, par exemple.

Le deuxième élément est le secteur communautaire, où nous observons déjà des avancées importantes au Canada, y compris dans les territoires, comme à Old Crow et à Colville Lake avec les batteries et l’énergie solaires. Ces sources seront très importantes pour assurer la sécurité énergétique et l’abordabilité dans les communautés autochtones et du Nord.

Le troisième élément, c’est qu’il faut se rappeler que nous effectuons une transition. L’énergie verte est une transition, et nous aurons besoin d’infrastructure de transition, notamment d’un élargissement des pipelines pétroliers et gaziers. Non seulement ces modes de transport sont-ils préférables pour l’environnement sur le plan des émissions de carbone, mais compte tenu des réalités géopolitiques comme la guerre en Ukraine, il sera très important que les pays de l’OCDE s’approvisionnent, dans la mesure du possible, auprès d’autres pays qui sont, en fait, des adversaires du Canada. Et les communautés autochtones, métisses et inuites se sont toujours montrées extrêmement intéressées à participer à l’établissement des infrastructures de transition.

Le quatrième élément est celui des minéraux critiques, dont l’extraction augmentera à mesure que nous progressons vers un avenir carboneutre. Ici encore, les communautés autochtones auront l’occasion de participer à cette future économie sous la forme de capitaux propres en vue d’un avenir plus vert.

Pourquoi tout cela est-il important? Premièrement, ce sont des outils importants pour réussir une réconciliation économique qui, à dire vrai, n’a lieu qu’une fois au cours d’une génération. Deuxièmement, ces investissements pourraient contribuer à améliorer la sécurité énergétique dans les communautés autochtones, rurales, éloignées et du Nord. Troisièmement, cela peut favoriser le développement d’entreprises, particulièrement en construisant l’écosystème de l’énergie dans de nouvelles régions, bâtissant notamment des usines de biomasse, un domaine dans lequel le Canada fait piètre figure par rapport à des pays comme la Finlande et la Suède. Quatrièmement, nous avons une occasion d’établir une nouvelle classe créative dirigée par les Autochtones dans le secteur de l’énergie.

Voilà qui m’amène à mon dernier point. Nous avons devant nous une occasion formidable de laisser les communautés autochtones, rurales et du Nord diriger un secteur d’exportation mondial de l’énergie verte et son déploiement. Nous savons qu’à l’heure actuelle, environ un milliard de personnes dans le monde n’ont pas de services d’électricité ou sont mal branchées à des réseaux déficients.

L’occasion s’offre à nous d’exporter des concepts compatibles dans d’autres régions du monde, comme on le fait avec beaucoup de succès en Alaska, par exemple. Le Canada a là une occasion de réussir une meilleure réconciliation économique grâce à ce genre d’exportation d’énergie.

Enfin, nous devons examiner divers mécanismes, notamment, parmi tant d’autres, l’accès au capital fiscal pour permettre aux communautés autochtones de participer plus pleinement au secteur de l’énergie, qu’il soit question de pipelines, d’énergie verte, de services publics, du secteur communautaire ou de l’industrie des minéraux.

Quand nous examinons des exemples à l’échelle mondiale — et je parlerai de l’Alaska en particulier —, on constate que le mouvement est en route depuis plus de 50 ans. Tout a commencé avec la création de l’Alaska Village Electric Cooperative, une initiative dans le cadre de laquelle plus de 50 communautés autochtones de l’Alaska gèrent et exploitent leurs propres services publics depuis 1967, soit depuis 50 ans.

Il n’existe pas encore un seul organisme de prestation de services ou de production d’énergie d’appartenance autochtone au pays. Le projet dont je viens de parler est une initiative de l’Administration de l’électrification rurale, un organisme de longue date qui est un exemple de réussite.

Sous la houlette de la gouverneure Sarah Palin, l’Alaska a établi le Fonds de l’énergie renouvelable en 2008, finançant plus de 100 projets dans cet État. Je vous remercie.

La présidente : Je vous remercie.

Le sénateur Arnot : Je remercie tous les témoins.

J’ai une question pour South Saskatchewan Ready et une pour M. Poelzer.

Je sais que South Saskatchewan Ready a participé à un projet du gouvernement du Canada, à la suite duquel le Rapport final du Groupe de travail sur la transition équitable pour les collectivités et les travailleurs des centrales au charbon canadiennes a été déposé. Ce document est publié en ligne.

Dans ce rapport, le groupe, présidé par le sénateur Yussuff, recommandait notamment de conférer aux communautés les moyens nécessaires pour participer à la transition. Je me demande si vous êtes d’accord avec cette recommandation que le sénateur Yussuff et son groupe ont formulée avec votre participation. Je veux que cela figure au compte rendu.

M. Wallace : À l’époque, le sénateur Yussuff, qui était président du groupe, a fait un excellent travail en ce qui concerne les travailleurs. On peut toutefois voir, en examinant la composition du comité, qu’il y avait beaucoup de membres représentant la main-d’œuvre et très peu qui représentaient les communautés. Je ne pense donc pas que le groupe a eu accès aux renseignements qui auraient permis aux communautés d’effectuer la transition sans en pâtir. Ce rapport était vraiment excellent. Nous avons eu pleinement accès aux membres du comité.

Nous avons aussi fort bien collaboré avec Ressources naturelles Canada et Développement économique Canada pour les Prairies, qui sont formidables, mais qui ont malheureusement des contraintes budgétaires, car il n’y a plus de budget pour l’abandon du charbon dans l’avenir.

Le sénateur Arnot : Pour poursuivre dans le même ordre d’idées, je sais que vous — la municipalité rurale, la ville de Coronach et d’autres communautés — avez, de votre propre chef, élaboré un modèle que vous voudriez mettre en œuvre. Je sais que le gouvernement de la Saskatchewan vous a accordé 4 millions de dollars pour lancer l’initiative, et que vous avez besoin de 7 millions de dollars pour la compléter. Je voudrais que vous traitiez de la question, car je crois comprendre que vous voulez créer des sources d’énergie verte, comme de l’hydrogène et des minéraux de terres rares, à partir de charbon brun. C’est quelque chose d’important à faire également.

M. Wallace : Je vous remercie de la question.

Il s’agit essentiellement d’un projet scientifique. Nous construisons une usine de démonstration pour produire du lignite, un produit fort intéressant. Notre équipe comprend un scientifique récipiendaire du prix Nobel de la paix, qui a déclaré qu’il pensait que nous avions toujours mal utilisé le charbon. De la manière dont nous voulons l’utiliser, le charbon est plus précieux qu’avec la combustion.

Nous fabriquons des produits comme l’hydrogène, le biocharbon, le graphite et le graphène pour l’industrie informatique. Le charbon brun est un produit très précieux.

Si nous recevons du soutien du gouvernement fédéral, ce projet permettra de conserver tous les emplois de la mine et de la centrale, et notre région restera intacte.

À la base, il faut miser sur ses forces et ses ressources pour assurer le développement économique. C’est ce que nous avons fait avec ce que nous avions : l’exploitation minière et la production d’énergie. Il était logique de les exploiter. Nous avons un excellent projet.

Tout le monde, toutes les parties prenantes sont de la partie, sauf le gouvernement fédéral. Nous l’avons rencontré à maintes reprises, mais malheureusement, nous semblons incapables de le convaincre. Nous espérons qu’il comprendra la valeur de ce projet et nous aidera à garder nos communautés rurales en vie pendant la transition.

Le sénateur Arnot : Monsieur Poelzer, vous avez passé toute votre carrière à vous occuper de questions de politiques en ce qui concerne les Premières Nations et l’énergie.

Je voudrais que vous nous en disiez davantage sur l’idée que le gouvernement fédéral accorde des garanties de prêt aux communautés ou aux sociétés des Premières Nations pour qu’elles puissent injecter de vrais dollars dans des partenariats énergétiques afin d’en retirer des bénéfices.

Je voudrais également que vous parliez du modèle exemplaire que vous avez étudié en Alaska et que vous nous en expliquiez le fonctionnement. Pensez-vous que le Canada a le courage de prendre les devants et de devenir un modèle exemplaire, travaillant avec les peuples autochtones du pays à la réconciliation économique et à ce genre d’exemples? Avons‑nous le courage de nous inspirer de ce qui se fait dans d’autres pays pour que les Premières Nations prennent la place qui leur revient au pays?

M. Poelzer : Je vous remercie beaucoup, sénateur.

En ce qui concerne le premier point et la question sur le capital, nous n’établirons pas de précédent au Canada si nous décidons d’aller de l’avant, mais c’est absolument essentiel.

L’Alaska a admis qu’un grand nombre de communautés ne disposaient tout simplement pas des ressources fiscales nécessaires pour participer à l’effort ou même pour offrir des services d’énergie locaux. Cette vision d’avenir a vu le jour en Alaska. Le gouvernement fédéral a d’abord instauré l’Administration de l’électrification rurale, qui a changé, mais qui existe toujours. L’électrification s’est faite sur la partie continentale des États-Unis et dans les régions rurales de l’Alaska. Elle ne se serait jamais faite dans cette vision.

On passe maintenant du diésel à une énergie plus verte afin de réduire les coûts en diésel. Ici encore, ce programme a été financé au moyen des dividendes du fonds de richesse souveraine de l’Alaska, qui a investi 50 millions de dollars par année dans l’aventure. Le projet a été reconduit et se poursuit.

J’aime le fait que les échanges d’aujourd’hui mettent l’accent sur la communauté. Les communautés ne vont nulle part. Si l’objectif consiste à assurer la viabilité des communautés, qu’elles soient situées dans le Sud de la Saskatchewan ou dans les Territoires du Nord-Ouest, ou qu’elles soient autochtones dans le cas présent, nous devons trouver les mécanismes pertinents.

En Alaska, le gouvernement a opté pour des subventions afin de financer les projets, des études de faisabilité à la construction. Habituellement, les communautés fournissent environ 20 % en fonds propres, les 80 % restants étant accordés à titre de subventions. Tant que les communautés atteignent leurs objectifs et respectent les délais, elles n’ont pas à rembourser ces subventions.

Bien entendu, cet argent circule au lieu d’être gaspillé pour importer du diésel en grandes quantités, et peut être utilisé pour d’autres activités économiques communautaires. Ce modèle s’est avéré une réussite et a été renouvelé par l’Alaska, en dépit de la situation fiscale difficile, car il a des effets bénéfiques sur les communautés autochtones.

Pour répondre à votre dernière question sur le Canada, j’espère que nous avons le courage de suivre le mouvement.

La sénatrice Sorensen : Je poserai mes questions aux témoins du secteur municipal. J’ai beaucoup de respect pour les services que vous rendez à vos communautés, et je comprends certainement les défis que doivent relever les municipalités, alors qu’elles doivent continuellement plier le genou devant leur province et le gouvernement fédéral.

Je veux rappeler aux personnes ici présentes et à tous ceux et celles qui nous regardent que les municipalités constituent l’échelon le plus local de gouvernement. Les élus municipaux servent directement les résidants jour après jour. Ils observent aussi de visu les effets des décisions prises par les autres ordres de gouvernement et ont rarement les moyens d’y réagir adéquatement avec leur source de financement, c’est-à-dire l’assiette fiscale. Comme vous le savez, j’ai beaucoup d’estime pour les maires et les politiciens municipaux.

Je vais poser mes questions toutes en même temps. L’une s’adresse au maire Martin afin de revenir sur quelque chose qu’il a dit, et l’autre à M. Wallace.

Monsieur le maire Martin, vous avez parlé du financement qui a été accordé et de ce que vous en faites, mais pourriez-vous répéter cette partie de vos explications? Je vais continuer, puis j’arrêterai de parler.

Monsieur Wallace, avec ma curiosité intellectuelle, j’aimerais savoir si l’adhésion à South Saskatchewan Ready est volontaire ou obligatoire dans le cadre de ce que je considère comme un partenariat régional. Je veux également remercier le préfet Eger et le maire Martin d’être ici ensemble. C’est quelque chose d’autre que les municipalités font fort bien : travailler ensemble.

J’ai une question de haut niveau pour M. Wallace. Quand vous avez fait référence à la viabilité économique soigneusement réfléchie à l’échelon supérieur dans toutes les régions du pays qui doivent effectuer une « transition juste », de quoi s’agit-il pour les régions du Canada? En quoi consiste la « viabilité économique soigneusement réfléchie » alors que d’importantes transitions s’effectuent dans de nombreuses provinces?

J’entendrai d’abord le maire Martin me réexpliquer les chiffres.

M. Martin : Je parlais des subventions accordées par l’entremise de PrairiesCan pour ce que je suppose être des programmes de remplacement des infrastructures. De nombreuses communautés de notre région et de notre province ont investi des capitaux dans ces projets. Dans le cas de notre petite communauté de 750 personnes, pour remplacer ces importantes canalisations d’eau et d’égout, il serait physiquement impossible d’évaluer ce que devrait payer chaque contribuable sans ce financement, que nous sommes par ailleurs reconnaissants d’avoir reçu.

Si la viabilité n’est pas au rendez-vous, la population de la communauté passera à moins de 200 habitants. Soyons réalistes : ce serait la fin pour notre communauté, car elle n’aurait pas les moyens d’exécuter ces projets. La subvention destinée aux infrastructures s’élève à près de 7 millions de dollars. Nous avons reçu précédemment des subventions du même groupe pour reconstruire notre usine de traitement des eaux, bâtie dans les années 1980 pour une communauté qui, aux dires du gouvernement, allait prendre de l’expansion. Notre usine est donc adaptée à une ville presque trois fois plus grande que la nôtre. Elle fonctionne au ralenti et son entretien coûte de l’argent. Au bout du compte, d’où vient cet argent? Nous parlons de... pardonnez-moi, je vais prendre un peu plus de temps.

La sénatrice Sorensen : Je comprends. L’argent destiné à l’infrastructure ne couvre pas les frais de fonctionnement. Ce sont les contribuables qui paient les frais de fonctionnement.

M. Martin : Excusez-moi. Mes émotions sont à vif.

La sénatrice Sorensen : Si vous voulez nous revenir, monsieur le maire Martin, nous allons vous redonner la parole. Nous vous écoutons, monsieur Wallace.

M. Wallace : Le partenariat est volontaire et je ne pense pas que tous les membres de notre partenariat soient des élus. Je ne pense pas que les élus se rendaient vraiment compte de l’ampleur de la tâche. Ils ont en fait consacré une grande partie de leur temps libre à soutenir ce groupe régional. Sans leur aide, nous n’en serions pas où nous en sommes. Je pense que nous avons fait du bon travail jusqu’à présent.

En ce qui concerne les politiques bien pensées, il suffit d’observer toutes les autres administrations qui pratiquent la « transition juste » dans le monde pour voir en quoi consistent des politiques économiques bien pensées et durables. Par exemple, notre voisin du sud, dans le cadre de sa nouvelle loi sur la réduction de l’inflation, a investi 10 milliards de dollars dans des projets d’énergie verte, dont 4 milliards ont été consacrés exclusivement aux communautés engagées dans l’abandon du charbon, et ce, afin d’attirer les investissements.

Nous avons recommandé cette mesure au gouvernement fédéral il y a plus d’un an et demi ou deux ans, et je ne sais pas ce qu’il en est advenu, mais nous avons formulé de nombreuses autres recommandations relatives à la politique de développement durable.

On financerait ainsi des activités de diversification jusqu’en 2030, bien entendu. Ce sont toutes des activités basées sur le développement économique. On parle donc d’attirer les investissements et de s’assurer que la collectivité est prête pour les investissements.

Le financement de mon poste était assuré par PrairiesCan. Il a pris fin le 31 mars 2023, c’est-à-dire il y a environ un mois. SaskPower finance actuellement mon poste parce qu’elle a vu la valeur du travail que nous faisons.

Nous allons pouvoir continuer une autre année, mais tout le travail que je fais aujourd’hui n’aura plus aucun sens dans un an parce que les statistiques changent, les environnements d’investissement changent. Qui va s’occuper de faire cette mise à jour? Dans notre région, nous n’avons absolument aucune capacité sur le plan de l’expérience et des compétences en matière de développement économique. Je travaille dans ce domaine depuis 25 ans en qualité de haut fonctionnaire. Nous ne disposons pas de ces compétences dans ma région.

En fait, je suis venu de l’Alberta, ou plutôt, j’étais en Saskatchewan, mais je suis revenu pour occuper ce poste. Je pense que le maire vous dirait probablement qu’il ne pouvait pas trouver quelqu’un qui accepterait de déménager dans une région aussi rurale pour y travailler, parce que pour bien faire le travail, il faut être présent sur le terrain.

La sénatrice Sorensen : Un grand merci pour votre leadership. Je sais qu’il faut souvent un facilitateur pour rassembler les gens, alors je vous remercie.

M. Martin : Je voudrais m’excuser pour tout à l’heure.

La sénatrice Sorensen : Vous n’avez pas besoin de vous excuser.

La présidente : Je vous en prie, vous n’avez pas à vous excuser.

M. Martin : Avec notre projet, nous soutenons notre propre collectivité. Nous ne demandons pas la charité, mais un coup de main.

La sénatrice Sorensen : Je tiens à vous féliciter de proposer une solution. Vous ne faites pas qu’arriver avec un problème à régler, mais vous essayez d’y apporter une solution.

M. Martin : Lorsque vous avez un scientifique lauréat du prix Nobel et d’autres personnes qui disent que cela fonctionne, cela signifie que nous ne sommes pas ici à pelleter des nuages. C’est une réalité.

La présidente : Merci beaucoup.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je tiens tout d’abord à dire à quel point je suis touchée par ce qui se passe dans vos municipalités, et je suis consciente qu’il n’y a pas de solution facile devant la transition qui s’annonce. Comment faire dans une petite région où le charbon, dans ce cas, est si important pour l’ensemble de l’économie? Je comprends que vous y travaillez tous, et je suis impressionnée par chacun d’entre vous.

[Français]

Je vais poser une question plus technique à M. DeMarco. J’aimerais vous entendre sur ce drame qui se produit dans les petites villes. Vous ne pouvez pas y être insensible, même si je sais que vous traitez d’enjeux plus gouvernementaux.

Vous déplorez le fait que le Canada ne connaisse pas l’impact de sa réglementation sur la réduction des GES. À votre avis, est‑ce parce qu’on mesure mal ou est-ce parce qu’on manque d’indicateurs? Est-ce parce que la réglementation n’a pas pour objectif d’atteindre des réductions mesurables, mais simplement d’inciter les entreprises à agir en ce sens?

Selon vous, quelle forme de réglementation permettrait d’atteindre et de mesurer nos objectifs en matière de réduction de gaz à effet de serre de manière plus précise? C’est une grande question, mais j’aimerais vous entendre à ce sujet, car si la réglementation n’est pas bonne, on ne va nulle part.

M. DeMarco : Merci pour la question. Premièrement, le prix du carbone et la réglementation sont des aspects essentiels du grand plan du gouvernement pour réduire les émissions. Le problème que notre audit de la semaine dernière a permis de déceler touche quelques aspects de votre question.

Tout d’abord, on a peu d’information du gouvernement sur l’impact précis de chaque règlement. On a un grand plan avec des douzaines de politiques et de règlements. On met l’accent sur la sensibilisation, le prix du carbone et les subventions. Les résultats prévus dans le plan sont de l’ordre de 40 à 45 % de réduction d’ici 2030 et la carboneutralité d’ici 2050. Toutefois, si on n’analyse pas les effets de chaque politique ou, dans ce cas-ci, de chaque règlement, on ne saura pas si on est sur la bonne voie.

On peut arriver à destination, comme on l’a fait maintenant plusieurs fois pendant les trente dernières années, mais nous n’avons pas atteint nos cibles. Chaque fois, on avait un plan selon lequel on aurait pu atteindre la cible, mais une fois arrivés à destination, ce n’était pas le cas. Alors, nous recommandons que le gouvernement fédéral fasse ses devoirs pour non seulement estimer l’effet de chaque règlement, mais aussi faire l’analyse d’une manière continue pendant la mise en œuvre pour voir si cela va réussir.

Sinon, si on a besoin d’autres politiques, de réviser des règlements ou de rédiger de nouveaux règlements, on voit des estimations lorsque les règlements sont proposés, mais on ne voit pas le travail pendant la mise en œuvre de la réglementation pour voir si cela fonctionne comme prévu.

La sénatrice Miville-Dechêne : Est-ce possible de diviser la réalité comme cela et de savoir exactement l’effet de chacune des réglementations quand il y en a autant? Je vous demande cela parce qu’en sciences humaines, ce n’est pas tout à fait possible; on sait que plusieurs éléments peuvent contribuer à un résultat. Est-ce possible, ce que vous demandez?

M. DeMarco : C’est possible dans un sens général. Cela ne sera pas exact, mais c’est mieux que de ne rien faire du tout. Il y a des interactions entre les politiques, surtout au Canada, parce qu’il y a beaucoup de politiques, d’interactions ou de liens.

La sénatrice Miville-Dechêne : Est-ce que je peux vous entendre brièvement sur le drame vécu par vos voisins, ce qui est quand même le résultat de tout ce que vous analysez?

M. DeMarco : On voit, on produit des rapports, beaucoup de mots et de pièces dans les rapports, mais aujourd’hui on voit en temps réel les effets d’une transition qui n’est pas équitable. Dans notre rapport, nous parlons des travailleuses et des travailleurs, puis des collectivités et des municipalités. C’est essentiel de voir l’impact réel et on a vu cela aujourd’hui.

La sénatrice Verner : Merci beaucoup à vous tous, ce matin, pour vos témoignages percutants, je dois dire.

Dans la même foulée, ma question s’adresse à M. DeMarco. Dans votre rapport d’avril 2022 sur la transition équitable, vous avez fait part de vos inquiétudes sur le manque de préparation et la lenteur du gouvernement à agir pour appuyer plus de 50 collectivités et 170 000 travailleurs qui dépendent du secteur des énergies fossiles.

Alors, près d’un an plus tard, le gouvernement a présenté en février 2023 un plan provisoire d’emplois durables qui comporte 10 initiatives devant être mises en œuvre d’ici 2025.

Or, 2025, c’est dans moins de deux ans; alors, à la lumière de ce plan, êtes-vous moins inquiet aujourd’hui que vous l’étiez en avril 2023 en ce qui concerne le degré d’engagement réel du gouvernement? Puis, selon vous, l’échéancier de 2025 fixé par le gouvernement pour la mise en œuvre est-il réaliste?

M. DeMarco : Merci pour la question. Suis-je moins inquiet? Comme c’est le cas dans beaucoup de nos dossiers, je serais moins inquiet si j’avais des résultats. Il y a eu trop de mots et trop de plans au cours des 30 dernières années pour être optimiste seulement avec des mots.

Alors, je serai moins inquiet lorsqu’il y aura des résultats dans ce dossier et les autres.

Est-ce que c’est possible de se rattraper? Oui, si la volonté est là, on peut voir des résultats. Je suis déçu. Ce n’est pas un nouveau dossier; le concept d’une transition équitable apparaissait sur les premières pages de l’Accord de Paris et cela fait maintenant près de huit ans. C’était en 2015, l’Accord de Paris. Le gouvernement fédéral a eu beaucoup de temps pour prévoir et créer une transition équitable d’une manière proactive. On n’a pas vu cela, comme nous l’avons constaté, mais avec les communautés qui seront affectées prochainement, il peut être proactif, pour eux, avec la Saskatchewan et les provinces de l’Atlantique.

La sénatrice Verner : L’une des initiatives du plan provisoire pour les emplois durables qui a été publié en février 2023 vise à améliorer la collecte et l’analyse des données du marché du travail pour les travailleurs du secteur des énergies fossiles. C’est un enjeu important parce qu’il semble y avoir une certaine confusion quant à l’évolution du marché dans ce secteur d’ici 2023.

Le message officiel du gouvernement est que le nombre d’emplois diminuera d’ici 2030, mais d’un autre côté, plus récemment, le ministre du Travail a déclaré au Sénat qu’il aurait besoin de plus de travailleurs dans ce même secteur au cours de cette période, et non pas moins.

Est-ce qu’il y a quelque chose dans votre audit d’avril 2022 qui permet au comité de mieux comprendre qu’il existe deux messages différents sur la transition équitable au sein du gouvernement?

M. DeMarco : Nous n’avons pas fait de suivi jusqu’à maintenant, parce que notre rapport date seulement de 2022. C’est plutôt le ministère et le ministre qui peuvent répondre à cette question.

Je peux dire que s’ils répondent à nos recommandations de manière substantive, cela aidera grandement. Je suis heureux qu’ils aient accepté nos recommandations. Toutefois, comme je l’ai dit plus tôt, ce seront les actions et les résultats qui seront importants. C’est tout ce que je peux dire maintenant, parce que nous n’avons pas fait de suivi en ce qui concerne l’avancement de ce dossier depuis le printemps 2022.

La sénatrice Verner : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Merci beaucoup. Je suis tout particulièrement sensible à la présence des témoins de la Saskatchewan. Je suis originaire de la Saskatchewan. J’y ai vécu toute ma vie, et mon défunt mari était en fait originaire d’Estevan. J’y ai vécu quelques années après mes études de droit. Je suis tout à fait consciente des difficultés liées à une telle dépendance à l’égard des revenus tirés des ressources naturelles.

Je suis vraiment contente que nous ayons eu aujourd’hui l’occasion d’entendre directement des personnes qui sont réellement touchées par ce que j’appelle depuis longtemps la « transition injuste » que le gouvernement actuel est en train de mettre en œuvre. Il faut que ces gens se rendent compte de la situation. C’est la dure réalité, et je vous remercie de l’avoir présentée avec autant de conviction.

J’espère que plus de gens verront ceci, et j’espère que les médias — non seulement ceux de la Saskatchewan, mais aussi les médias nationaux — vont couvrir cette histoire.

Je voudrais donc poser quelques questions aux trois témoins de la Saskatchewan : MM. Martin, Eger et Wallace. Peut-être que chacun pourrait répondre à l’une de mes questions.

Ma première question est la suivante. Selon vous, que peut faire le gouvernement fédéral pour garantir que les collectivités rurales restent prospères tout au long de cette transition injuste?

M. Wallace : Une fois encore, il faut des politiques bien pensées, car les collectivités rurales sont complètement différentes des collectivités urbaines. Nous avons beaucoup plus de défis à relever. Par exemple, si vous vivez à moins de 60 minutes d’un Tim Hortons, vous n’êtes pas en zone rurale. Nous sommes confrontés à de nombreux défis de ce point de vue. Nous disposons en fait d’une main-d’œuvre très qualifiée et expérimentée que nous risquons de perdre. Le gouvernement fédéral doit se concentrer sur les activités économiques visant à attirer des investissements dans la région.

Volkswagen investit 13 milliards de dollars dans une communauté qui n’a pas à s’affranchir du charbon. Pourquoi ne pas investir dans les collectivités engagées dans la transition vers l’abandon du charbon, comme cela s’est fait dans les collectivités engagées dans cette transition partout ailleurs dans le monde? C’est très facile. Il ne s’agit pas de réinventer quoi que ce soit. Nous devons nous tourner vers les différentes autorités qui, dans le monde entier, sont en train de procéder à la transition vers l’abandon du charbon. La Pologne a un excellent programme. L’Allemagne est l’étalon-or. Le Royaume-Uni a très bien réussi, et les États-Unis, avec leur loi sur la réduction de l’inflation, ciblent des crédits d’impôt pour les entreprises qui s’installent dans des régions en transition vers l’abandon du charbon.

Ce sont des mesures très simples que le gouvernement fédéral peut prendre. Elles peuvent être mises en œuvre très rapidement. Nous vivons cette situation depuis 2016. Il y a beaucoup d’incertitude. Je sais que le maire est très émotif à ce sujet parce qu’il s’agit de sa communauté. Nous sommes sur le terrain. Nous voyons ces gens tous les jours. Ils se demandent comment ils vont vendre leur maison. Dans les écoles, les enfants se demandent s’ils vont devoir partir et s’ils vont perdre leurs amis. C’est vraiment triste, ce qui se passe.

La sénatrice Batters : Absolument. C’est déchirant.

Monsieur le maire Martin, merci d’avoir montré vos émotions ici aujourd’hui, car c’est ainsi que les gens vont vraiment se rendre compte de ce qui se passe.

Qu’est-ce que vous aimeriez voir, monsieur Martin? Qu’est-ce que le gouvernement fédéral ne comprend pas, à votre avis? Qu’est-ce que vous aimeriez leur dire dans votre témoignage d’aujourd’hui sur la capacité de votre communauté rurale de participer à une économie verte?

M. Martin : Il y a cela, et il y a les dispositions législatives proposées qui prévoient d’aider les travailleurs à déménager pour occuper de nouveaux emplois. Ces dispositions sont envisagées dans l’optique de ceux qui les ont rédigées pour des collectivités plus importantes. Je ne m’en prends pas au Sud de l’Ontario, mais prenez une boussole et placez un rayon de 160 kilomètres autour de votre maison et je peux vous trouver une douzaine d’emplois dans ce rayon de 160 kilomètres. Si vous placez un rayon de 160 kilomètres autour de nous, c’est du grand n’importe quoi. Je suis désolé.

La sénatrice Batters : Aucun problème.

M. Martin : Si vous déplacez les travailleurs de notre collectivité, cela équivaut à les faire disparaître de notre collectivité.

La sénatrice Batters : Absolument. C’est ce que nous constatons parfois lorsque le gouvernement fédéral propose une loi qui dit que tout ce qui se trouve à l’extérieur de Regina et de Saskatoon, en Saskatchewan, est rural. Voyons donc. Soyons réalistes. C’est tout simplement ridicule.

M. Martin : Je suis désolé.

La sénatrice Batters : Non. Vous avez tout à fait raison.

M. Martin : Venez nous voir. Mettez-vous à notre place.

La sénatrice Batters : Tout à fait.

M. Martin : Venez et voyez ce à quoi nous faisons face jour après jour.

La sénatrice Batters : Exactement.

Monsieur Eger, nous allons préparer un rapport sur cet enjeu et faire des recommandations au gouvernement fédéral.

Si vous aviez une recommandation essentielle à faire au gouvernement au nom des collectivités rurales, quelle serait-elle?

M. Eger : Une seule? Je pense bien qu’il faut écouter les gens qui sont là. Comme l’a dit le maire Martin, nous côtoyons ces personnes tous les jours. Ce sont nos familles, nos amis et des personnes que nous connaissons depuis toujours, dans mon cas.

Comme je l’ai dit, il y a des gens dans ma collectivité qui remboursent deux prêts hypothécaires parce qu’ils ne peuvent pas vendre leur maison à Coronach et qu’ils ont dû accepter un emploi ailleurs par crainte d’être coincés à Coronach et de ne pas pouvoir en sortir. Les employés de SaskPower essaient de rester. Ils n’ont pas assez d’années pour prendre leur retraite. C’est assez difficile quand vous remboursez deux prêts hypothécaires et que vous avez déménagé à Saskatoon.

Les gens plus jeunes que moi déménagent, emmènent leurs enfants. Nous perdons déjà de 7 à 10 % de nos habitants chaque année parce qu’ils essaient de partir. Ils ont peur. Nous avons peur.

La sénatrice Batters : Tout à fait. Parmi les gens de ma génération, avec lesquels je suis allée à l’université et à la Faculté de droit, mon mari et moi étions des cas rares, car nous sommes restés en Saskatchewan, à une époque où le gouvernement était néo-démocrate et où tous les gens de notre âge quittaient la province. Nous étions des exceptions. La province s’est par la suite redynamisée et les choses se sont améliorées. Beaucoup de gens restaient. Vous avez peut-être connu une période où la population a augmenté dans vos communautés. Nous devons changer quelque chose, car il ne faut pas en arriver là.

Au cas où quelqu’un penserait que la situation que vous décrivez est exceptionnelle, ce n’est pas le cas. La situation est très révélatrice, mais elle n’est certainement pas exceptionnelle pour les communautés rurales que je connais bien en Saskatchewan et dans d’autres régions du Canada.

Merci.

La sénatrice McCallum : Je vous remercie de vos déclarations et de tous les efforts que vous déployez dans le cadre de votre travail.

Je voulais aussi parler des Premières Nations, car ce sont elles qui sont les plus touchées par les inégalités dans ce pays, malgré les traités que nous avons signés et tous les rapports qui ont été rédigés, y compris par nos comités. Pourtant, nous n’avons toujours pas fait de progrès.

Vous dites que la transition est déjà là. Les Premières Nations ne sont déjà même pas traitées de manière équitable et elles sont en train de passer à une situation encore plus inéquitable. Elles n’ont pas la capacité de creuser, elles n’ont rien à saisir pour aller de l’avant. Quelques-unes ont ce qu’il faut, mais pas la majorité d’entre elles.

C’est le passage inéquitable d’une situation d’inégalité à une autre situation d’inégalité. Comment peut-on parler de « transition juste » alors que la situation n’a jamais été juste pour les Premières Nations, compte tenu notamment de la destruction des terres, du racisme environnemental qui y règne, ainsi que des taux de morbidité et de mortalité engendrés par l’industrie?

C’est un énorme problème qui n’a jamais été abordé avec qui que ce soit. Les rapports ne cessent de l’évoquer. Dans votre récent rapport, vous dites que le Canada continue d’investir massivement dans l’infrastructure des combustibles fossiles tout en essayant de faire des progrès. L’incohérence est fondamentale.

Prenons le principe du pollueur-payeur, à travers le système de tarification provincial, qui est plus faible. Les communautés autochtones et d’autres groupes demeurent affectés de manière disproportionnée par notre système de tarification du carbone; ce programme a été mal conçu parce qu’il ne relie pas le financement aux émissions nettes. Face à cette situation qui perdure, qui a le pouvoir de sanction sur le gouvernement fédéral pour veiller à ce qu’il ne se contente pas de paroles en l’air sans passer à l’action?

Le commissaire à l’environnement et au développement durable a fait remarquer que le Sénat représente traditionnellement les personnes sous-représentées et que des comités comme celui-ci peuvent se pencher sur des questions à long terme telles que le changement climatique, la perte de biodiversité et la réconciliation. Le commissaire a également déclaré que la recherche d’avantages à court terme a tendance à entraver une action efficace sur le climat et a donné lieu à des politiques incohérentes.

Comment le gouvernement peut-il garantir que la transition vers un avenir à faible émission de carbone pour le secteur pétrolier et gazier soit juste et équitable pour tous les Canadiens, y compris les communautés autochtones, les municipalités et toutes les collectivités touchées par ce secteur?

Voulez-vous répondre?

M. DeMarco : Oui, je serais heureux de répondre partiellement à cette question.

Tout d’abord, je suis d’accord avec vous pour dire que l’idée d’une transition juste implique que la situation de départ est déjà juste. Vous dites, et je suis d’accord avec vous, qu’en raison de l’histoire du Canada avec les peuples autochtones, le point de départ pour une transition juste n’est pas juste. Nous avons beaucoup de travail à faire pour que le point de départ — le présent — soit juste, sans parler de la transition qui suivra.

Notre bureau a qualifié les différentes questions soulevées dans nos rapports, tant celui du commissaire que celui de la vérificatrice générale, de problèmes de longue date. Nous parlons des questions relatives à la réconciliation, plus récemment, par exemple, avec le rapport de la vérificatrice générale sur l’accès à l’eau potable et la salubrité de l’eau potable dans les réserves des Premières Nations. Il y a des problèmes de longue date qui doivent être réglés.

En ce qui concerne cette transition — la transition énergétique et économique qui donne lieu à la nécessité d’une transition juste pour les collectivités, les travailleurs et les communautés autochtones —, il y a des possibilités qui s’offrent. Une grande partie de l’attention se porte sur l’atténuation du choc lié à la transition, mais, bien entendu, la transition offre de nombreuses possibilités. Certains de nos témoins en ont parlé au début de l’heure, en évoquant les nouvelles possibilités liées aux minéraux essentiels et aux énergies renouvelables, par exemple.

Nous avons la possibilité de progresser au lieu de nous contenter de poursuivre sur la voie actuelle. Entre autres — et vous avez fait allusion à cela lors de l’une de mes récentes comparutions devant ce comité —, le gouvernement doit adopter une vision à bien plus long terme et une vision plus inclusive. C’est vraiment l’essentiel de la leçon no 8 de notre rapport rétrospectif de 2021 sur les leçons tirées. Les gouvernements se concentrent souvent sur des résultats à court terme ou sur l’opportunisme politique et négligent ainsi l’avenir à long terme des collectivités, des communautés autochtones, des travailleurs, et ainsi de suite. Cela ne fait qu’aggraver la situation future. Il est encore plus difficile de gérer ces questions, comme une transition juste, si on se concentre sur le court terme. Surmonter les préjugés qui favorisent la pensée et les solutions à court terme serait une partie de la solution.

Votre question dépasse largement le concept d’une transition juste et d’une véritable réconciliation entre les peuples autochtones et non autochtones du Canada. Mais je dirais qu’une vision à plus long terme, qui ne concerne pas seulement les questions environnementales, mais aussi les questions socioéconomiques, contribuerait grandement à résoudre certains des problèmes dont nous avons parlé.

La présidente : Monsieur Poelzer, si vous avez quelque chose à ajouter, veuillez le faire par écrit, car nous avons dépassé le temps imparti. Veuillez faire parvenir vos commentaires par écrit sur cette question particulière de la sénatrice McCallum au greffier du comité. Merci beaucoup.

Le sénateur Arnot : Madame la présidente, j’ai une question à poser. Nous avons devant nous aujourd’hui un groupe de témoins très convaincants, et nous n’avons pas encore examiné une grande partie de l’information fournie par M. Poelzer. Une partie des témoins que nous avons en ce moment seront là pour la deuxième heure. Pourquoi ne pouvons-nous pas garder aussi les autres témoins pour que la sénatrice Audette et le sénateur Massicotte puissent les interroger et pour que la sénatrice McCallum puisse obtenir une réponse complète à sa question?

La présidente : Nous allons assurément dépasser le temps prévu.

Le sénateur Arnot : La sénatrice McCallum était en train de demander à M. Poelzer de répondre à sa question.

La sénatrice Sorensen : Pouvons-nous garder tous les témoins ici pour la prochaine heure?

La présidente : Les sujets sont différents, mais poursuivons pour 15 minutes supplémentaires.

Monsieur Poelzer, pouvez-vous terminer votre réponse, très succinctement, je vous prie?

M. Poelzer : Absolument. Je souscris à l’observation générale de la sénatrice McCallum. Nous avons ici une occasion à saisir : d’énormes investissements seront injectés dans le réseau électrique, tant dans la transmission que la production. Ce peut être réalisé grâce à des exclusions pour redresser ces types d’inégalités. Nous sommes loin d’effleurer la surface de ce qui est possible.

Premièrement, il y a l’exclusion d’un pourcentage de nouvelles énergies renouvelables dans lesquelles les peuples autochtones sont propriétaires et détiennent une participation au capital, dans l’idéal en totalité et parfois en partie.

Deuxièmement, nous pouvons capitaliser. Le grand avantage de capitaliser, plus particulièrement pour les projets d’électricité, c’est que c’est fiable. Contrairement aux marchandises, qui fluctuent en dents de scie, les marchés de l’électricité sont très stables. Ils permettent un partage durable à long terme des ressources grâce à la production d’énergie pour les Premières Nations et les autres peuples autochtones de ce pays.

Quand on regarde où en sont les peuples autochtones dans ce pays, pourquoi faire ce type d’investissement? Si l’on considère que les pays de l’OCDE ont un taux de croissance d’environ 3 %, on peut dire que l’on s’en sort bien. TD Waterhouse a réalisé une étude échelonnée sur une dizaine d’années, et les entreprises autochtones ont connu une croissance de 8,2 %. Il n’y a que l’Inde et la Chine pour rivaliser avec ce type de croissance.

L’esprit entrepreneurial au Canada autochtone est énorme. La création d’entreprises, principal indicateur de l’esprit entrepreneurial, est 500 % plus élevée chez les Autochtones que dans le reste du Canada. C’est le groupe le plus axé sur l’entrepreneuriat au pays. Ces types d’investissements ont de multiples effets qui sont tout simplement énormes.

Pour ce qui est de lutter contre les inégalités, là encore, c’est une occasion unique qui ne se présente qu’une fois par génération de réduire considérablement les inégalités et, de manière très positive, de nouer des partenariats avec les peuples des Premières Nations de ce pays.

La présidente : Je vous remercie.

Le sénateur Massicotte : Nous avons un expert ici. M. Poelzer est évidemment très bien renseigné, alors je lui poserais la question suivante : je regarde votre problème de population, qui diminue, et c’est bien entendu une situation que nous avons vue dans l’histoire du Canada. Mais quelle est la solution? C’est la vraie question à se poser. Monsieur Poelzer, comment réagiriez-vous au fait qu’une petite ville soit paralysée par ses besoins? C’est évidemment très difficile, personnellement, mais vous avez sûrement vu une telle situation à maintes reprises. Vous l’avez vue dans d’autres pays qui connaissent une croissance importante. Comment régleriez-vous le problème? Que feriez-vous?

M. Poelzer : Vous pouvez les surnommer les « communautés captives du carbone ». Premièrement, il faut une planification à long terme. Deuxièmement, il faut effectuer des investissements dans les énergies vertes là où notre production énergétique se dirige.

Je vais donner l’exemple de Berlevåg dans le Nord de la Norvège. C’est une communauté qui connaissait un déclin démographique, une petite communauté d’un peu moins d’un millier d’habitants, et le réseau électrique est faible dans cette région. Elle a toutefois choisi de faire un investissement stratégique pour tirer parti d’une nouvelle production d’énergie éolienne de plus de 200 mégawatts. Elle a choisi d’investir en construisant une installation d’hydrogène vert à Berlevåg qui sera en mesure de répondre aux besoins énergétiques futurs en hydrogène vert — à base d’ammoniac — dans toute la région du Nord de la Norvège. Cela permettra de soutenir d’autres secteurs comme la pêche, etc.

Nous pourrions reproduire ce type d’initiatives très audacieuses ici au Canada, dans le Sud de la Saskatchewan et ainsi de suite, avec ce genre de vision. Là encore, cela a été fait ailleurs dans des conditions très semblables.

Un exemple secondaire est celui de Cordova, en Alaska, une communauté accessible par avion, avec accès uniquement par bateau et sans route. La communauté locale s’est associée à la Première Nation pour agrandir une petite centrale hydroélectrique et produire plus d’énergie. Grâce à cette énergie verte fiable et stable, les bateaux de la flotte de pêche sont venus en plus grand nombre pour effectuer leurs activités de transformation. Dans une petite communauté, c’est le genre de choses que l’on peut faire.

Au Canada, 5 % de la main-d’œuvre du secteur forestier est autochtone. En Saskatchewan, c’est 30 %, ce qui est énorme, beaucoup plus important par comparaison. Pourquoi? C’est grâce à l’investissement réalisé au milieu des années 2000, lorsque le gouvernement provincial a octroyé des licences d’exploitation forestière aux communautés des Premières Nations. Il s’agit encore une fois d’une planification à long terme. C’est ce que nous devons faire avec nos communautés qui dépendent du carbone comme Coronach, Estevan, Lloydminster, Fort McMurray, Fort St. John, en parallèle, comme nous devrions le faire avec les communautés des Premières Nations au Canada également.

Le sénateur Massicotte : Je vous remercie.

Monsieur DeMarco, je vous suis reconnaissant d’être parmi nous aujourd’hui pour nous rappeler où nous en sommes, mais vous devez admettre — je suppose que je suis frustré — que depuis plus de 20 ans, nous avons raté toutes les cibles que nous nous sommes fixées. Nous n’arrivons pas à atteindre nos objectifs.

Aujourd’hui encore — j’ai lu votre rapport —, nous manquons à nos engagements. Nous prononçons de belles paroles, et nous souscrivons toujours aux recommandations. Je ne suis pas certain que nous joignions le geste à la parole. Est-ce la fois où nous y arriverons? Nous dépensons beaucoup d’argent. Est-ce le moment où nous verrons une différence et atteindrons enfin nos objectifs? Ou bien entendrons-nous encore ces histoires et présenterons-nous nos excuses après coup, etc.? Comment y arriver?

Je ne me suis pas totalement résigné, mais je n’arrive pas à imaginer que nous atteindrons les objectifs. C’est grave. C’est très grave.

M. DeMarco : Nous pourrions tous faire des prédictions sur si l’objectif sera atteint en 2030, mais la question pour nous, en tant qu’auditeurs de performance, est de savoir les mesures qui sont prises pour l’atteindre, plutôt que de simplement prédire tous les autres facteurs politiques, économiques et autres qui pourraient entrer en ligne de compte.

Les gouvernements peuvent y arriver. Il est certainement possible d’atteindre l’objectif de 2030. Le fait qu’ils aient raté toutes les autres cibles ne les voue pas à l’échec à tout jamais. Les autres pays du G7 sont des démocraties stables qui ont toutes réduit leurs émissions depuis 1990, alors il n’est pas inévitable que nous rations la prochaine cible.

Ce que nous avons tenté et tentons de faire avec cette série de rapports, cette année, l’année dernière et en 2021, c’est de mettre les renseignements à la disposition des parlementaires et des Canadiens pour qu’ils demandent des comptes au gouvernement, afin qu’il soit possible de voir si ces recommandations sont mises en œuvre, d’envisager un avenir où ils atteindront un objectif.

C’est le but ultime. J’aimerais qu’on puisse lire dans le rapport de 2030 : « Cible atteinte. » C’est ce que j’aimerais voir, et c’est possible. Nous ne devrions pas baisser les bras. Nous ne sommes pas condamnés à répéter l’histoire, car nous pouvons tirer des leçons de l’histoire. Ceux qui ne retiennent pas des leçons de l’histoire sont peut-être condamnés à la répéter, mais nous pouvons tirer des leçons, et c’est pourquoi nous avons choisi d’intituler notre rapport de 2021, Leçons tirées de la performance du Canada dans le dossier des changements climatiques. Nous pourrions appliquer ces leçons pour réussir en 2030 et 2050, et c’est notre obligation pour les générations futures. Nous ne pouvons pas continuer de laisser la planète dans un état pire pour chaque génération à venir.

Le sénateur Massicotte : Je vous remercie.

La sénatrice Audette : Je tiens simplement à vous remercier. Je vous donne de l’eau. L’un de nos enseignements dit que lorsqu’il y a des larmes de tristesse, il faut se nettoyer avec de la bonne eau, alors voici votre eau. Merci beaucoup.

C’est très puissant, et j’espère que les membres de l’autre enceinte et du gouvernement comprendront et agiront en fonction de ce dont vous nous avez fait part.

Je viens d’une petite communauté où l’on fait de grandes promesses, puis il y a des fermetures, comme dans l’industrie minière puis, du jour au lendemain, il n’y a plus rien. C’est pourquoi je vous comprends.

Je vous comprends, monsieur Wallace — je pense en français —, car vous avez parlé d’une politique de haut niveau ou quelque chose du genre, selon ma traduction maison. Pourriez-vous nous faire des recommandations? Parce que nous allons rester ici et que nous verrons qui est le gouvernement chaque fois qu’il changera ou restera. Pouvons-nous faire en sorte que cette politique de haut niveau soit élaborée conjointement avec des personnes qui ont une expérience vécue — municipalités, peuples autochtones, provinces et territoires?

Ainsi, peu importe qui se trouve dans l’autre incroyable enceinte, je suppose, on ne veut pas que la personne finisse par revenir ici pour dire : « Ce que vous avez fait il y a 30 ans n’a rien changé, parce que je dois fermer ma communauté ou ma ville. »

M. Wallace : C’est une excellente question.

J’ai mentionné plus tôt la loi sur les emplois durables. Si on crée des emplois durables dans les communautés, on obtiendra une approche plus holistique. Cela signifie qu’on élabore ces politiques parallèlement avec les politiques pour les travailleurs, parce que les travailleurs représentent la moitié de la communauté.

Je pense que ce pays a une incroyable expertise dans ce secteur. Là encore, M. DeMarco a évoqué l’histoire, et nous savons ce qui se passe lorsque des mines de charbon ferment si nous ne faisons rien. J’ai travaillé dans une mine au Nunavut, Breakwater Resources Ltd., il y a de cela de nombreuses années.

Pour ce qui est d’avoir les bonnes personnes à la table, j’ai mentionné le comité pour une transition juste, qui a fait un excellent travail du côté des travailleurs, mais il aurait fallu la présence d’un sociologue, d’un économiste et d’experts en politiques. Si vous avez la bonne combinaison de personnes, vous pouvez réellement élaborer une politique brillante, et je pense que si le gouvernement fédéral fait cela, une transition juste en 2030 sera possible. Mais nous devons agir maintenant, car les communautés rurales évoluent beaucoup plus lentement que les centres urbains, alors nous avons besoin d’un peu plus de temps pour réagir — encore une fois, la compréhension des centres urbains est totalement différente de celle des régions rurales.

J’espère avoir répondu à votre question.

La sénatrice Audette : Vous y avez répondu. Je vous remercie.

La présidente : Je vous remercie.

Je vais me permettre de poser une dernière question car, bien entendu, je suis aussi très choquée — je ne peux pas dire « choquée » car au cours de ma carrière professionnelle, j’ai effectué des travaux de restauration sur des sites miniers, parce que la mine a été abandonnée, a fait faillite ou a été épuisée. Dans toutes les communautés au Québec, au Canada, en Alaska, dans les Andes, c’est la même histoire : la mine a exploité le minerai, mais l’argent n’est jamais parvenu à la communauté.

Ce qui est élaboré au début, c’est le modèle économique, et c’est peut-être l’éléphant dans la pièce, mais permettez-moi de vous poser la question suivante : combien d’argent avez-vous reçu de toutes les années d’exploitation du charbon pour que vous puissiez, en tant qu’élus, créer d’autres entreprises qui auraient pu durer? Était-ce suffisant? Était-ce trop peu?

Des transitions — nous parlons aujourd’hui d’énergie — ont lieu pour fermer une mine pour différentes raisons. La ville de Faro, au Yukon, en est un très bon exemple, et les travaux de restauration coûteront des milliards de dollars et prendront 50 ans.

Monsieur Wallace, pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez, je vous prie? J’aimerais ensuite entendre les observations de M. Poelzer.

Je vous remercie.

M. Wallace : J’ai eu l’occasion il y a de nombreuses années, lorsque je travaillais au Nunavut, de rédiger des ententes sur les répercussions et les avantages entre les communautés inuites et les sociétés minières, et nous y avons toujours inclus certains éléments, comme des niveaux d’emploi qu’elles devaient maintenir avec les Inuits, des fonds qui seraient versés aux communautés pour différents types d’activités de développement économique, d’activités culturelles et sociales, et tous ces types de choses.

Nous avons eu beaucoup de chance. Westmoreland, la société minière, et SaskPower — davantage SaskPower — ont apporté une contribution très généreuse aux communautés. Je pense donc que, en ce sens, elles pourraient toujours faire plus, mais je pense que, dans l’ensemble, elles ont fait un travail plutôt convenable.

En ce qui concerne la restauration, dans le secteur minier, là où nous nous trouvons, n’est pas comme l’exploitation en roche dure. Si vous exploitez du lithium ou du cobalt ou quelque chose de ce genre, vous balafrez terriblement le sol. Il s’agit d’une exploitation minière en roche dure; il y a beaucoup de produits chimiques très dangereux. Dans notre cas, les exploitants se contentent de décaper quelques couches, d’extraire le lignite et de le remettre en place, puis les gens peuvent à nouveau cultiver le sol quelques années plus tard s’ils parviennent à le contourner correctement. Nous avons beaucoup de chance, car c’est ainsi que le lignite est extrait dans notre région et, une fois la restauration terminée, les gens recommencent à faire du travail économique sur la terre — pendant la durée de vie des mines — dans un délai assez court.

La présidente : Voulez-vous ajouter quelque chose, monsieur Poelzer?

M. Poelzer : Oui, j’aimerais beaucoup.

En ce qui concerne les avantages et les différents modèles, surtout dans le secteur minier, je ne citerai qu’un exemple dans le Nord de la Saskatchewan avec l’exploitation de l’uranium, qui est un meilleur exemple que d’autres instances où 50 % des travailleurs sont des habitants du Nord, qui sont en grande majorité autochtones. Plus de 3 milliards de dollars ont été investis dans l’approvisionnement et les services.

Mais des Premières Nations comme la Première Nation d’English River, par exemple, ont pu en tirer parti, non seulement pour la prestation de services, comme les services de construction et autres pour les mines sur place, mais aussi pour les utiliser dans d’autres régions, y compris l’Ontario, de même que pour se diversifier, par exemple, dans les services de médias sociaux et de communication. Elles ont notamment leur propre entreprise, Creative Fire. Les Premières Nations ont su tirer parti de ce type de possibilités pour se diversifier.

La vraie question est qu’il y a des cycles de vie et que les mines ont une fin. Je reviendrais sur l’une des leçons que nous devrions tirer : si nous faisons de gros investissements, faisons‑les dans des domaines où les Premières Nations, les Métis et les Inuits peuvent participer et détenir des actions, notamment dans le secteur de l’électricité. Il s’agit d’une croissance modeste, mais permanente, qui ne fluctue pas et qui crée des emplois pour un avenir durable.

Je pense que c’est la deuxième leçon que nous devrions retenir de cette expérience. Je vous remercie.

La présidente : Je vous remercie.

[Français]

Pour notre deuxième panel, nous accueillons en personne du Bureau du vérificateur général du Canada M. Jerry V. DeMarco, commissaire à l’environnement et au développement durable. Il est accompagné de quatre directeurs principaux de son bureau : Mme Kimberley Leach, M. James McKenzie, M. Philippe Le Goff et M. Nicholas Swales.

Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie d’avoir accepté notre invitation.

Comme vous avez déjà présenté, je me demande s’il serait plus intéressant de passer directement aux questions ou si vous pouvez raccourcir et nous parler des trois autres rapports plutôt que des quatre autres. Est-ce possible?

M. DeMarco : Oui. Je voudrais juste souligner que nous sommes sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe.

Vous pouvez lire notre déclaration d’ouverture plus tard. On pourrait commencer par les questions.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vais vous interroger sur le secteur financier. Dans un de vos rapports, vous notez que le Bureau du surintendant des institutions financières considère que son rôle n’est pas de promouvoir les objectifs climatiques plus vastes du Canada — on parle ici de lutte aux changements climatiques —, mais plutôt de se concentrer sur les risques financiers pour les institutions financières.

Monsieur DeMarco, vous semblez être en désaccord avec ce choix. Devrait-on imposer des obligations aux banques pour qu’elles luttent réellement contre les changements climatiques dans le cadre de leur politique de prêts et d’investissements? C’est une question de double matérialité, ici : devrait-on être plus exigeant envers les banques?

M. DeMarco : Merci pour la question. Nous avons souligné dans notre rapport que le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) a maintenant une nouvelle obligation. Son mandat n’a pas changé, mais il a un nouveau mandat, parce que maintenant, il est inscrit sur la liste des organismes fédéraux selon la Loi fédérale sur le développement durable. Il doit créer, cette année, une stratégie pour l’organisme qui est en accord avec la stratégie fédérale. C’est une occasion pour l’organisme de penser à son mandat et ce qu’il peut faire pour contribuer à l’effort pangouvernemental en ce qui concerne la crise climatique.

Nous ne recommandons pas que le BSIF doive changer son mandat ou son interprétation de son mandat, mais qu’il considère cela, parce que c’est la première fois qu’il doit contribuer aux stratégies fédérales sur le développement durable.

C’est aussi une question pour les parlementaires. On a inclus cela dans notre rapport, parce que c’est une question pour le Parlement. Est-ce que le mandat va demeurer le même ou va-t-il évoluer?

La sénatrice Miville-Dechêne : Ce n’était pas ma question. Est-ce que le Bureau du surintendant des institutions financières a le mandat nécessaire, actuellement, pour obliger les banques à tenir compte du risque climatique dans ses investissements?

M. DeMarco : Selon son interprétation, il peut obliger les banques à considérer le risque financier lié aux changements climatiques. Est-ce qu’il a le mandat de faciliter les efforts nécessaires pour relever le défi lié aux changements climatiques? C’est quelque chose qu’il doit considérer maintenant, parce qu’il va écrire sa stratégie. Je sais que son interprétation est plus étroite que ce que vous proposez, et c’est pourquoi, si c’était le cas, ce serait une question pour le Parlement aussi.

Peut-être que le Parlement va dire que s’il interprète le mandat d’une manière très étroite, il va changer le mandat; peut-être pas. C’est une question pour le Parlement. C’est pourquoi nous n’avons pas écrit une recommandation qu’il doit réviser. C’est seulement quelque chose que l’organisme et le Parlement, y compris le Sénat, peuvent considérer dans leurs délibérations.

[Traduction]

La sénatrice McCallum : J’avais demandé au Bureau du vérificateur général s’il pouvait réaliser une étude intersectionnelle sur les répercussions de l’extraction du pétrole et du gaz ou de toute autre ressource, afin de couvrir tous les aspects de la question et d’éviter les rapports préparés en vase clos. À ce moment-là, il a estimé que ce n’était pas réalisable.

Quelles mesures prend-on pour atténuer les répercussions plus vastes du pétrole et du gaz, y compris les impacts environnementaux et les effets sur la santé, et plus particulièrement les répercussions sur les droits des peuples autochtones? Comment le gouvernement peut-il s’assurer que les générations futures sont adéquatement représentées et que leurs intérêts sont protégés dans la transition vers un avenir à faible émission de carbone pour le secteur pétrolier et gazier? Comment le gouvernement peut-il s’assurer que la biodiversité et la santé des écosystèmes sont également protégées dans le cadre de cette transition?

M. DeMarco : Je vous remercie de la question. Je pense que j’ai posé la même question il y a deux ans lorsque j’ai commencé à travailler comme commissaire, et c’est la raison pour laquelle nous avons le rapport sur les enseignements tirés concernant les changements climatiques, parce que nous sommes des auditeurs de performance qui couvrent des domaines particuliers du travail fédéral pour vérifier s’ils atteignent leurs objectifs et, s’il y a une lacune, quelles recommandations nous devrions faire pour les aider à combler cette lacune. Mais il arrive que l’on ne voie pas nécessairement les liens entre les différents programmes. Dans le pire des cas, nous restons dans les mêmes silos qui entravent les progrès de notre travail d’audit.

Nous y travaillons en temps réel, car nous avons évidemment publié le rapport sur les enseignements tirés, qui n’est pas un audit; il s’agit d’un document de synthèse sur plus de 20 ans de travail dans ce domaine, avec la contribution d’anciens commissaires et d’experts actuels dans ce domaine.

En outre, nous avons commencé à regrouper plusieurs rapports portant sur des sujets connexes. Vous vous rappelez sans doute que le printemps dernier, nous avions réuni cinq rapports liés aux changements climatiques. Chaque rapport est indépendant, chacun présente ses propres recommandations et a sa propre portée, mais les constatations qui en ressortent se recoupent. Parmi les constatations qui se retrouvent dans mes commentaires sur les rapports et dans les leçons tirées, mentionnons l’incapacité du gouvernement à prendre des mesures à l’égard d’enjeux horizontaux comme la réconciliation, les changements climatiques et la conservation de la biodiversité. Une autre constatation notable, c’est qu’au lieu de favoriser le progrès, le cloisonnement des structures gouvernementales d’origine historique freine le progrès.

C’est donc une des questions que nous examinons dans nos rapports. Tout en continuant à évaluer la gestion de programmes ou de projets particuliers, nous tentons de cerner les enjeux globaux ou les problèmes de longue date qui se retrouvent dans nombre de nos rapports.

L’équipe actuelle n’est pas la première à faire ce travail. L’ancien vérificateur général Michael Ferguson a aussi attiré l’attention sur des enjeux de longue date mis en lumière dans un rapport d’audit après l’autre, sans que des mesures soient mises en œuvre pour y faire face.

C’est frustrant de devoir traiter d’enjeux similaires dans plusieurs rapports pendant de nombreuses années, mais ce serait pire de se faire à l’idée que les choses ne changeront pas. Nous devons continuer à présenter des recommandations et à espérer que les changements qui s’imposent pour atteindre les objectifs seront apportés.

La sénatrice McCallum : Dans le rapport sur les leçons tirées dont vous parlez, vous dites que votre mandat a été élargi et que de nouvelles responsabilités vous ont été confiées en vertu de la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité. Serait-ce possible de faire en sorte que les nouvelles lois qui sont adoptées comprennent des dispositions visant à élargir votre mandat dans le domaine en question? Cela vous serait-il utile?

M. DeMarco : Notre bureau est ce qu’on appelle, dans le milieu juridique, un « produit de la loi ». Nous faisons ce que le gouvernement nous demande de faire. Nos directives proviennent non seulement de la Loi sur le vérificateur général, mais aussi, pour mon travail de commissaire, de la dernière partie de la Loi sur le vérificateur général; des dispositions générales de la Loi sur le vérificateur général, y compris celles portant sur les audits de performance, vers la fin de l’article 7; de la loi sur la carboneutralité, la nouvelle mesure dont vous venez de parler; et de la Loi fédérale sur le développement durable.

Notre mandat s’est élargi au fil des années. Le Parlement a décidé de nous demander d’en faire plus étant donné l’importance de l’environnement et du développement durable. Ainsi, le Parlement est parfaitement libre de nous confier de nouvelles responsabilités, comme il l’a fait récemment en vertu de la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité. Aux termes de cette loi, nous devons produire notre premier rapport d’ici à 2024. Nous espérons donner l’exemple en devançant cette échéance et en publiant notre premier rapport plus tard cette année plutôt qu’en 2024. Nous comptons ensuite présenter plusieurs rapports subséquents en vertu de la loi afin d’obliger le gouvernement à rendre compte des progrès qu’il réalise à l’égard des cibles de 2030 et de 2050.

Pour répondre plus directement à votre question, oui, le Parlement peut modifier les directives qu’il nous donne; il peut nous confier plus ou moins de responsabilités. Nous ferons tout le travail qui s’impose en vertu des différentes mesures législatives auxquelles nous sommes assujettis.

La sénatrice Batters : Je suis très heureuse que vous soyez des nôtres, monsieur DeMarco. Je vous ai cité la semaine dernière durant une réunion de comité, juste après la publication de votre dernier rapport d’audit. Il y avait déjà un article sur vos constatations. C’était très utile, et je vous en remercie.

Monsieur DeMarco, la dernière fois que vous vous êtes adressé au comité pour parler de l’audit et du rapport précédents, vous avez exprimé de vives préoccupations liées au fait que Ressources naturelles Canada et Environnement et Changement climatique Canada, ou ECCC, travaillent isolément, en employant chacun leurs propres méthodes de modélisation, leurs propres cibles et leurs propres définitions. Plus précisément, vous avez dit ce qui suit :

Environnement et Changement climatique Canada s’attendait à une réduction des émissions de 15 mégatonnes d’équivalent en dioxyde de carbone en 2030, tandis que, d’ici 2030, Ressources naturelles Canada prévoyait jusqu’à 45 mégatonnes de réduction.

Avez-vous remarqué une amélioration notable de la collaboration entre ces deux ministères fédéraux? Dans la négative, quelle foi la population canadienne peut-elle prêter à de telles prévisions de la réduction des émissions du gouvernement alors que les ministères n’arrivent même pas à s’entendre?

M. DeMarco : En ce qui concerne les enjeux comme les changements climatiques, la réconciliation et la conservation de la biodiversité, je vais d’abord répéter que les ministères doivent absolument travailler conjointement et envisager le long terme plutôt que se concentrer sur les résultats à court terme dans les plans ministériels et les rapports sur les résultats ministériels.

J’ai posé une question semblable à notre directeur principal, M. Philippe Le Goff, plus tôt cette semaine pour savoir ce qui a été fait depuis la publication de notre rapport sur l’hydrogène, car comme vous l’avez dit, nous avons critiqué fermement le manque de collaboration entre les deux ministères et la différence de 30 mégatonnes dans leurs prévisions. Je demanderais à M. Philippe Le Goff de faire le point là-dessus.

Philippe Le Goff, directeur principal, Bureau du vérificateur général du Canada : Madame la présidente, je pense que les deux ministères ont bien reçu le message. En effet, la collaboration entre les deux s’est nettement améliorée. Ils ont présenté de nouveaux résultats de la modélisation et ils ont suivi une partie de nos recommandations; ils utilisent maintenant une approche ascendante. En outre, nous avons constaté une diminution considérable quant au potentiel de l’hydrogène de réduire les émissions de GES.

À notre avis, l’approche des deux ministères est maintenant beaucoup plus réaliste.

La sénatrice Batters : Est-ce que cela signifie que l’objectif à atteindre d’ici 2030 est plus près de celui défini par Environnement et Changement climatique Canada, soit 15 mégatonnes, ou de la cible de 45 mégatonnes fixée par Ressources naturelles Canada?

M. Le Goff : L’objectif est plus près de celui d’ECCC, donc 15 mégatonnes.

La sénatrice Batters : D’accord, je vous remercie. Je suis heureuse d’apprendre que vous n’avez pas fait tout ce travail en vain.

Monsieur DeMarco, on peut lire dans votre dernier rapport d’audit qu’en réponse à la constatation selon laquelle le gouvernement fédéral n’a pas mesuré l’effet de chacune des politiques de réduction, des fonctionnaires du ministère fédéral vous ont expliqué qu’en raison « d’interactions entre certaines mesures stratégiques, il était difficile d’attribuer les réductions à des règlements en particulier. » Je pense que c’est l’explication la plus inepte que j’ai jamais entendue. Quelle est votre réaction à cette explication? Trouvez-vous que c’est une réponse satisfaisante?

M. DeMarco : Ce n’est pas une réponse satisfaisante, mais ce n’est pas non plus complètement absurde. C’est vrai qu’il y a des interactions entre les politiques.

Je vous donne un exemple très évident : si l’on tente de réaliser une modélisation d’une subvention relative aux véhicules électriques sans tenir compte également des infrastructures nécessaires pour charger ces véhicules, les résultats de la modélisation seront peu probants étant donné les interactions entre les politiques.

Cela étant dit, ce n’est pas parce qu’il y a des interactions entre les politiques que le gouvernement peut se contenter de présenter des prévisions lorsqu’un règlement entre en vigueur, puis le mettre de côté parce que son effet est difficile à mesurer. « Difficile » ne veut pas dire « impossible ». Il se peut que les résultats de la modélisation soient quelque peu incertains. Il se peut aussi qu’il soit nécessaire de regrouper certaines politiques pour en mesurer l’effet conjointement plutôt qu’individuellement. Cette approche est aussi acceptable.

Ce que nous recommandons dans notre rapport, c’est de faire ce qui est nécessaire et possible pour mesurer l’effet des politiques, de façon à pouvoir corriger le tir et apporter les modifications qui s’imposent en temps opportun pour atteindre les objectifs, au lieu de mettre la politique de côté, d’attendre l’échéance, puis de vérifier si les objectifs ont été respectés. Dans le passé, le Canada n’a pas toujours atteint ses objectifs, même si ses plans étaient bons.

Notre bureau n’est pas le seul à maintenir que le gouvernement devrait mieux mesurer la performance de chaque mesure stratégique, chaque règlement ou chaque ensemble de politiques, selon le cas. En effet, le groupe consultatif sur les changements climatiques recommande aussi au gouvernement de faire une meilleure analyse de la contribution de chaque mesure.

C’est aussi très important de mesurer l’effet de chaque mesure parce que la lutte contre les changements climatiques aura un effet perturbateur considérable sur divers aspects de l’ordre économique et plus encore. La population accueillera plus favorablement les mesures — qu’il s’agisse de la tarification du carbone, de réglementation ou de subventions — si les avantages qu’elles lui procurent lui sont présentés en toute transparence. De plus, pareille analyse permet au gouvernement de déterminer quelles mesures donnent les résultats escomptés et lesquelles peuvent être restreintes ou éliminées puisqu’elles ne font que coûter cher.

En outre, ce type d’analyse contribue à obtenir l’appui de la population en lui montrant que les mesures prises par le gouvernement portent des fruits et que leurs coûts sont justifiés. La conformité à la réglementation coûte très cher, surtout pour le secteur privé et les consommateurs. La gestion des programmes gouvernementaux engendre aussi des coûts.

Nous voulons savoir si chaque mesure donne les résultats prévus. Aussi, lorsque les mesures sont nombreuses, nous voulons déterminer si chacune est utile ou s’il faut en éliminer ou en ajouter. Cette approche est une part intégrante d’un plan harmonisé pouvant être adapté pour atteindre un objectif particulier, au lieu d’attendre de voir si la cible est atteinte, puis de se concentrer sur l’objectif suivant, ce qui correspond davantage à la stratégie suivie par le Canada dans le passé.

La présidente : Monsieur DeMarco, j’aimerais que vous nous parliez un peu des risques financiers liés aux changements climatiques. Je ne crois pas que la population canadienne comprenne ces risques. Qu’arrive-t-il aux banques, aux compagnies d’assurance ou aux investisseurs quand des infrastructures sont détruites avant la fin de leur cycle de vie?

Que se passe-t-il quand une compagnie d’assurance reçoit des milliers de demandes de règlement à cause d’un phénomène météorologique extrême? Au Canada, ces risques demeurent-ils inchangés ou est-ce qu’ils augmentent? En faisons-nous assez? Personnellement, je trouve que la divulgation, ce n’est pas suffisant. C’est comme si un médecin disait à son patient : « Vous avez le cancer. À la prochaine. » La divulgation n’est pas la solution; ce n’est pas assez.

En fait, la divulgation des risques crée des conditions de concurrence inégales : ceux qui divulguent les risques se font pénaliser.

M. DeMarco : Oui, j’en parlerai volontiers, madame la présidente. Il s’agit d’un domaine qui évolue rapidement. La Banque du Canada a publié une communication sur les risques liés aux changements climatiques hier même.

Nous avons porté une attention particulière au Bureau du surintendant des institutions financières, qui est responsable de la surveillance macroprudentielle des banques, des régimes de retraite, des compagnies d’assurance et des autres organisations de compétence fédérale

La divulgation est importante. L’accès à l’information et la transparence comptent. Cela dit, je suis aussi d’accord avec vous : la divulgation n’est pas une fin en soi. La fin à laquelle le Canada et le monde entier veulent parvenir, c’est l’atteinte des objectifs notamment de l’Accord de Paris consistant à limiter la hausse de la température mondiale et à éviter les changements climatiques catastrophiques.

Le but ultime demeure de protéger la planète en évitant les changements climatiques catastrophiques et, pour revenir aux dossiers qui nous occupent aujourd’hui, en conservant la biodiversité et tout le reste.

Je dirais que la divulgation est essentielle parce que les institutions et les individus ont tendance à accorder plus d’importance à ce qui est mesuré qu’à ce qui ne l’est pas, même s’il n’est pas question de résultats.

Le sénateur Arnot : Monsieur DeMarco, j’aimerais explorer plus à fond avec vous une question à laquelle vous avez fait allusion.

Le week-end dernier, j’ai rencontré un de mes amis, un concessionnaire d’automobiles à Saskatoon. Il m’a parlé des pressions que les grands constructeurs automobiles exercent sur lui pour qu’il investisse dans les nouvelles technologies, les batteries et la formation.

Son commentaire général, c’est que les attentes du gouvernement sont beaucoup trop élevées. Il a l’impression que les cibles sont inatteignables et les attentes irréalistes. Par exemple, à l’heure actuelle, les infrastructures électriques sont insuffisantes pour soutenir les véhicules électriques. Il n’est pas convaincu qu’une société comme SaskPower, qui fournit de l’énergie électrique dans la province de la Saskatchewan, dispose des infrastructures nécessaires pour répondre à la demande.

À titre d’exemple, selon lui, vu que le prix de l’électricité sera très élevé, il se peut qu’une personne puisse brancher sa voiture et la charger pendant la nuit, mais qu’elle doive choisir entre laver ou faire sécher ses vêtements et conduire sa voiture.

Son impression des attentes est-elle juste? Y a-t-il là matière à s’inquiéter? Est-ce un dossier que votre bureau surveille? Je pense que vous avez mentionné avoir fait du travail là-dessus. Devrions-nous recevoir des représentants de la Corporation des associations de détaillants d’automobiles, par exemple, pour obtenir leur avis?

Son impression générale, c’est que les attentes du gouvernement sont irréalistes. Les demandes vont changer. Il ressent de la pression de la part d’un grand constructeur automobile parce que les investissements sont énormes, et il n’est pas convaincu qu’ils en vaudront la peine.

M. DeMarco : Merci. La meilleure réponse que je peux vous donner, c’est de vous demander de nous inviter à nouveau plus tard cette année, car nous sommes en train de mener un audit du programme d’infrastructure pour les véhicules à émission zéro. Je suis heureux que le sujet de votre question soit dans notre mire. Nous publierons un rapport à ce sujet et nous serions ravis de revenir pour vous le présenter, si vous voulez, ainsi que pour parler des mesures prises par le gouvernement à l’égard de son propre parc de véhicules. Ces deux dossiers font partie de notre prochain cycle d’audits.

Aucun des cinq rapports dont il est question aujourd’hui ne traite de ces enjeux en détail, mais ils comptent parmi nos priorités et nous y travaillons.

Le sénateur Arnot : Si mon ami vous demandait conseil par rapport au fait qu’on tente de l’obliger à faire des investissements qui ne seront pas rentables, selon lui, que lui répondriez-vous?

M. DeMarco : En ma qualité d’auditeur de performance qui fonde ses évaluations sur des données probantes, je dirais que je voudrais d’abord voir les données. Toutefois, je peux présenter une impression générale. Si des plans d’électrification sont dressés au préalable — durant la dernière heure, nous avons parlé de diverses façons d’établir des plans à long terme relativement aux transitions économiques et à la réconciliation avec les peuples autochtones —, il est tout à fait possible de remplacer une grande partie des véhicules à moteur à combustion interne par des véhicules électriques, à condition que tout le travail nécessaire ait été fait pour créer un réseau écologique et à la hauteur de la demande, que le prix soit abordable, que les infrastructures de recharge soient en place, etc. Dans d’autres pays, le pourcentage de véhicules électriques est beaucoup plus élevé qu’au Canada. Même au Canada, la proportion est plus grande en Colombie-Britannique et au Québec. C’est donc possible.

Il va sans dire qu’il faut aussi régler les problèmes à court terme. Il ne suffit pas d’avoir une idée; il faut également prendre toutes les mesures qui s’imposent pour la mettre en œuvre. Cela nous ramène à la question sur les interactions entre les politiques. Pour les véhicules électriques, il faut coordonner toutes les mesures liées aux objectifs, aux subventions et aux infrastructures de recharge. Il faut également un réseau relativement propre pour alimenter tout cela, car tous ces efforts seront déployés en vain s’il faut avoir recours aux combustibles fossiles pour produire l’énergie supplémentaire requise pour tout faire fonctionner.

La réponse est donc oui, c’est un dossier que nous examinons, et les défis ne sont pas impossibles à relever, mais pour y arriver, il faut une planification intégrée et à long terme.

[Français]

La sénatrice Audette : Merci beaucoup. J’avais hâte de vous poser une question sur l’un de vos rapports sur les forêts et les changements climatiques. Je vous remercie d’avoir mentionné, d’entrée de jeu dans votre survol, que lorsqu’on propose ou on met en place des initiatives, comme celle de planter deux milliards d’arbres, que le fait de ne pas attacher ces relations avec les provinces et les territoires aura un impact majeur.

J’ai rencontré des femmes innues de la communauté de Mashteuiatsh et leurs pairs, une entreprise familiale avec la Pépinière forestière Tshitassinu. Il s’agit d’un projet qui mobilisera les Québécois et les Québécoises alentour, parce que nous n’avons pas tous et toutes cette expertise pointue exigée par une pépinière.

Par contre, le fait de ne pas attacher les choses ensemble fait en sorte que nous ne pouvons pas concurrencer ou contribuer à l’économie et à une mesure qui arrive d’Ottawa. Est-ce que dans votre rapport vous avez été en mesure de voir les barrières systémiques découlant du fait que, quand on arrive de haut sans engager les peuples autochtones — dans ce cas-ci qu’on est encore les grands perdants et les grandes perdantes — pour contribuer à la lutte collective, mais aussi à la pauvreté à laquelle on fait face lorsqu’on parle de développement durable chez les femmes autochtones?

M. DeMarco : C’est un autre exemple de la situation dont on a parlé au cours de la dernière heure. Il y a des occasions de transition; un aspect de la lutte contre les changements climatiques est la plantation d’arbres. Si c’est planifié d’une bonne manière, on peut obtenir des avantages doubles ou triples grâce à la plantation, pour l’économie de la communauté autochtone dont vous parlez, du point de vue de la biodiversité, du bien-être humain et des possibilités récréatives. Oui, c’est possible.

Nous devons planter la plupart des deux milliards d’arbres de ce projet au cours des cinq prochaines années. Alors le gouvernement a le temps de négocier et de créer ces partenariats avec les communautés autochtones, avec la province, avec les territoires et avec le secteur privé pour qu’ils puissent atteindre leurs objectifs de planter un grand nombre d’arbres et d’obtenir d’autres avantages en matière de biodiversité et de bien-être humain.

Je peux dire, comme je l’ai dit la semaine dernière, qu’en ce qui a trait à leur cible pour 2030, en raison du stockage de carbone, en ce qui concerne ce programme, le gouvernement n’atteindra pas cette cible parce que cela prendra plus de temps pour le stockage de carbone avec les arbres quand ils seront plus grands. Cela se produira, mais cela prendra plus que sept ans. Le gouvernement peut planter tous les arbres d’ici 2030, mais il obtiendra la majorité des avantages, en ce qui concerne le stockage de carbone, dans les décennies après 2030.

La sénatrice Audette : Merci.

[Traduction]

La sénatrice McCallum : Quel rôle votre bureau peut-il jouer pour renforcer le lien entre les traités et l’extraction des ressources? Parmi vos rapports, je ne pense en avoir vu aucun concernant les traités.

Je viens de lire qu’une autre poursuite avait été intentée visant les activités minières sur le territoire du Traité no 9, en Ontario. Des poursuites sont aussi en cours en Saskatchewan, en Alberta et en Colombie-Britannique. C’est injuste pour les Premières Nations, qui n’ont pas beaucoup d’argent; cependant, elles ne semblent pas avoir d’autre recours.

Prenez le plan d’action adopté par le Sénat relativement à la déclaration des Nations unies, en particulier le principe du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause; la compétence des ayants droit; la question des terres de la Couronne dans les provinces; l’absence de mesures d’atténuation; les violations des droits de la personne posant des risques pour la santé; ainsi que la vulnérabilité accrue aux changements climatiques en raison des infrastructures non conformes aux normes qui se trouvent dans les communautés touchées. La poursuite relative au Traité no 9 pose la question : la Couronne peut-elle prendre des décisions concernant les terres sans le consentement des Premières Nations? D’après ces dernières, la réponse est non.

Si le comité vous recommandait de préparer un rapport sur le rôle des traités, votre bureau serait-il en mesure de le faire? Si le comité n’avait pas le pouvoir ou la volonté de faire une telle recommandation, je la ferais comme sénateur indépendant. Pouvez-vous nous parler des traités et du travail que vous pouvez faire pour attirer l’attention sur cette question?

M. DeMarco : Je vous remercie pour la question. Je vais m’appuyer sur mon expérience au Bureau du vérificateur général et sur mes antécédents professionnels dans le domaine des décisions arbitrales pour tenter d’y répondre.

Nous pouvons certainement nous pencher sur les effets disproportionnés subis par les peuples autochtones. D’ailleurs, c’est une question qui se retrouve dans le rapport sur la tarification du carbone que nous avons produit l’année dernière. C’était aussi, bien entendu, l’objet du rapport du vérificateur général sur l’eau potable.

Nous ne cherchons pas à reproduire le travail accompli par les cours fédérales ou les cours supérieures provinciales ou à les supplanter en tentant de déterminer si les parties ont respecté les traités. Autrement dit, il ne nous reviendrait pas d’assumer les fonctions d’un tribunal pour évaluer la conformité avec les dispositions d’un traité. Toutefois, nous pourrions examiner les programmes gouvernementaux axés sur la mise en œuvre des traités dans le but d’évaluer les progrès réalisés à l’égard des enjeux dont il a été question ici aujourd’hui ou encore, par exemple, dans le domaine des évaluations des répercussions, où l’obligation de consulter est souvent soulevée.

C’est aux tribunaux de décider s’il suffit de respecter l’obligation de consulter ou s’il faut obtenir le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Le Parlement pourrait aussi modifier la loi à cet égard pour rendre le consentement obligatoire.

Des affaires comme celle dont vous avez parlé, celle de la Première Nation Blueberry River et d’autres font avancer ce dossier et ont donné lieu à de nouvelles interprétations élargissant la portée des obligations prévues par les traités.

Dans le cadre des audits de performance, nous pouvons nous pencher sur les répercussions des traités, mais nous n’irions pas jusqu’à assumer les fonctions des tribunaux, à qui il revient d’interpréter les actions et d’en confirmer la légalité en vertu des traités.

La présidente : Merci aux témoins et merci à mes collègues pour leurs questions.

Jeudi prochain, nous parlerons des instructions pour la rédaction du rapport sur le secteur pétrolier et gazier, car nous avons avancé grâce aux témoins. Le temps est venu de réfléchir à l’orientation que nous voulons donner à notre rapport.

Notre prochaine étude portera sur les phénomènes météorologiques extrêmes et leurs effets.

(La séance est levée.)

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