LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE LA SÉCURITÉ NATIONALE, DE LA DÉFENSE ET DES ANCIENS COMBATTANTS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 30 janvier 2023
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants se réunit aujourd’hui, à 16 heures (HE), avec vidéoconférence, afin d’examiner, pour en faire rapport, les questions liées à la sécurité et à la défense dans l’Arctique.
Le sénateur Tony Dean (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour et bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants. Je suis Tony Dean, sénateur de l’Ontario et président du comité. J’invite mes collègues à se présenter à leur tour.
Le sénateur Gignac : Sénateur Gignac, du Québec.
Le sénateur Boehm : Peter Boehm, de l’Ontario.
Le sénateur Ravalia : Mohamed Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador. Bienvenue.
Le sénateur Klyne : Bonjour et bienvenue. Marty Klyne, sénateur de la Saskatchewan.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Sénateur Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec. Bienvenue.
[Traduction]
Le sénateur Richards : Dave Richards, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.
Le président : Se joindront également à nous plus tard le sénateur Dagenais, qui représente le Québec; la sénatrice Dasko, Ontario; le sénateur Yussuff, Ontario; et la sénatrice Jaffer de la Colombie-Britannique.
Pour la gouverne de ceux qui regardent notre séance, nous poursuivons notre étude sur la sécurité et la défense dans l’Arctique, y compris l’infrastructure militaire et les capacités de sécurité.
Nous accueillons aujourd’hui deux groupes de témoins. Pour la première heure, nous recevons des représentants de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada (RCAANC), à savoir Mme Paula Isaak, sous-ministre déléguée; Mme Georgina Lloyd, sous-ministre adjointe, Affaires du Nord; et M. Wayne Walsh, directeur général, Direction générale des politiques stratégiques du Nord, Affaires du Nord.
Un grand merci d’être avec nous aujourd’hui. Nous allons commencer la séance en vous invitant à faire votre déclaration préliminaire. Les sénateurs vous poseront ensuite leurs questions. Madame Isaak, je crois que c’est vous qui allez partir le bal. À vous la parole quand vous serez prête.
Paula Isaak, sous-ministre déléguée, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada :
[Mots prononcés dans une langue autochtone]
Bonjour à tous. Monsieur le président, j’aimerais souligner que nous sommes sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe.
Je vous remercie de me donner l’occasion de parler du travail que fait notre ministère pour soutenir le gouvernement du Canada, et tout particulièrement le ministère de la Défense nationale, sur les questions de sécurité et de défense dans l’Arctique. Il s’agit de la deuxième comparution de RCAANC devant le comité pour cette étude.
[Français]
Le ministère des Affaires du Nord est chargé de coordonner les activités du gouvernement du Canada dans le Nord.
[Traduction]
Le ministre des Affaires du Nord a également reçu le mandat de travailler avec ses collègues fédéraux pour mettre en œuvre les aspects internationaux et liés à la défense du Cadre stratégique pour l’Arctique et le Nord, afin de s’assurer que les peuples autochtones et les communautés nordiques sont consultés de manière significative sur son développement et qu’ils bénéficient de ce travail.
Aujourd’hui, j’aimerais sensibiliser les membres du comité à l’importance des consultations et de la mobilisation du Canada auprès des communautés nordiques et autochtones, et de l’établissement de relations avec les peuples autochtones du Nord.
[Français]
Le cadre, élaboré conjointement et publié en 2019, présente une vision à long terme qui intègre les voix du Nord afin de s’assurer que les résidents du Nord ont voix au chapitre en ce qui concerne le Nord, y compris dans les communautés autochtones de l’Arctique. Les objectifs internationaux et en matière de défense du cadre énoncent les priorités élaborées conjointement pour notre engagement envers un Arctique et un Nord sûrs, sécurisés et bien défendus.
[Traduction]
Une approche collaborative et ses implications pour l’autodétermination sont au cœur de ce travail. Les partenaires du cadre stratégique ont clairement indiqué que leurs définitions de la sûreté, de la sécurité et de la souveraineté vont au-delà des considérations traditionnelles de défense — elles incluent la sécurité personnelle et communautaire, l’atténuation des effets du changement climatique, les investissements dans les infrastructures essentielles, les soins de santé, le logement, le transport et l’éducation. Ce que nous avons entendu, c’est que la souveraineté du Canada s’exprime par le bien-être des communautés du Nord et de l’Arctique.
Bon nombre des activités et programmes actuels de RCAANC sont axés sur des éléments de cette vision plus large. C’est notamment le cas des investissements liés au logement, aux changements climatiques et à la sécurité alimentaire.
[Français]
Nous continuons à travailler avec les partenaires du cadre pour nous assurer que leurs perspectives sont reflétées dans la mise en œuvre des politiques et des programmes. La réunion du Conseil des dirigeants des Territoires du Nord-Ouest, qui s’est tenue en septembre dernier, à Yellowknife, a été une occasion importante pour le ministère des Affaires du Nord, ainsi que pour le secrétaire parlementaire de la ministre de la Défense nationale, d’entendre directement les partenaires.
[Traduction]
La sécurité et la défense du Nord étaient parmi les principales priorités notées par les partenaires lors de cette réunion de 2022. On y a mentionné notamment les décisions relatives au développement d’une infrastructure polyvalente, ainsi que les liens avec l’éducation et le développement économique. Les partenaires autochtones ont souligné leur désir de renforcer les partenariats avec la Défense nationale pour s’assurer que leurs besoins et leurs priorités sont pris en compte et pour partager leurs connaissances uniques.
[Français]
Les investissements dans l’infrastructure ont été considérés comme une priorité au moyen de la mobilisation communautaire de la Défense nationale, particulièrement à Yellowknife, Inuvik, Iqaluit et Goose Bay. Ils constitueront un élément important de la modernisation du NORAD et pourraient offrir des possibilités d’infrastructures polyvalentes qui pourraient être utilisées par la communauté lorsqu’elles ne sont pas requises par les Forces armées canadiennes.
[Traduction]
Les activités de recherche de la Station de recherche du Canada dans l’Extrême-Arctique et le soutien de Savoir polaire Canada aux activités de recherche consacrées à tout le Nord du Canada contribuent également au développement de nouvelles infrastructures à double usage ou polyvalentes dans l’Arctique canadien. La conception et la construction de la station, ainsi que son intégration à la communauté locale, sont un exemple de mise en œuvre qui soutient l’autodétermination et une définition plus large de la souveraineté et de la sécurité.
Le changement climatique augmente les risques pour l’infrastructure existante, la sécurité et le bien-être des communautés du Nord. Lorsque des événements liés au changement climatique se produisent en même temps, les effets deviennent encore plus graves. RCAANC s’efforce d’aider les communautés à assumer le leadership en matière d’adaptation au changement climatique. Les effets du changement climatique affecteront également l’infrastructure militaire, ce qui est une raison de plus pour travailler ensemble sur cette question.
[Français]
Notre ministère continuera à soutenir la Défense nationale et à travailler avec elle pour faciliter l’engagement auprès des communautés autochtones du Nord, afin que la modernisation du NORAD soit éclairée par leurs points de vue sur la sécurité de l’Arctique et qu’elle apporte des avantages plus larges, dans la mesure du possible.
Nous continuons également à offrir des programmes qui traitent les questions de la sûreté et de la sécurité humaine, et à travailler avec d’autres ministères et organismes sur cette approche plus large.
[Traduction]
J’ai bon espoir que, grâce au processus du cadre stratégique, les progrès réalisés dans la prise de décisions et l’adoption de mesures conjointes dans les domaines prioritaires nous permettront d’atteindre nos objectifs communs.
Je vous remercie du temps que vous m’avez accordé aujourd’hui. Mes collègues et moi-même serons ravis de répondre à toute question que vous pourriez avoir en ce qui concerne notre mandat. Meegwetch, merci, qujannamiik.
Le président : Merci beaucoup, madame Isaak.
Avant de passer aux questions, je veux rappeler aux participants dans la salle qu’ils ne doivent pas se pencher trop près du micro ni retirer leur oreillette lorsqu’ils prennent la parole. Nous éviterons ici toute rétroaction acoustique pouvant être néfaste pour le personnel du comité ici présent.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à nos témoins. Ma question concerne la lettre de mandat remise au ministre des Affaires du Nord il y a plus d’un an. Pouvez-vous nous dire quels sont les engagements qu’il a réalisés depuis qu’il est en poste en ce qui concerne la sécurité dans l’Arctique?
Mme Isaak : Merci de votre question. Je pense que la chose la plus importante pour le ministre Vandal est de travailler en collaboration avec les autres ministères, comme celui de la Défense nationale, afin de soutenir l’infrastructure, la sécurité des communautés, l’autodétermination des communautés, l’appui de la sécurité alimentaire, ces choses qui touchent les communautés quand elles travaillent avec les autres ministères comme la Défense nationale, sur la question de la sécurité. Donc c’est une question de travail centré sur ce qui soutient les communautés en général.
Le sénateur Boisvenu : J’ai en main ici le rapport d’octobre 2022 du vérificateur général du Canada. Qu’est-ce que votre ministère lui répond quand celui-ci affirme que, dans l’ensemble, le gouvernement n’a pas pris de mesure pour améliorer la sécurité dans le Nord?
Mme Isaak : Est-ce dans l’étude sur la surveillance de l’Arctique?
Le sénateur Boisvenu : Que répond-il en général?
Mme Isaak : En général, la plupart des responsabilités ainsi que la sécurité de l’Arctique relèvent de la Défense nationale.
Donc, c’est le rôle du ministre des Affaires du Nord de soutenir les communautés et de donner vie à la Défense nationale et aux autres ministères, concernant l’engagement et la consultation avec les communautés.
Cependant, nous n’avons pas un rôle direct en matière de sécurité et de défense, mais plutôt un rôle de collaboration avec les autres ministères, comme la Défense nationale.
Le sénateur Boisvenu : Lors de notre séjour en Arctique, qui a été très instructif, nous avons rencontré les dirigeants des communautés autochtones.
J’ai été surpris, lorsque ces dirigeants nous parlaient, d’apprendre que la philosophie d’action du ministère n’a pas changé depuis 50 ans, à savoir que tout se décide à Ottawa; ils sont très peu consultés. C’est une approche très bureaucratique pour gérer les problèmes du Nord. On sait que gérer les problèmes du Nord, ce n’est pas comme gérer ceux du Sud.
J’aimerais entendre votre point de vue. Est-ce que les choses changent dans ce ministère en ce qui concerne le traitement des Autochtones, ou a-t-on encore une approche très paternaliste, comme cela a toujours été?
Mme Isaak : Merci de votre question, monsieur le sénateur.
Je pense que la façon dont le gouvernement fonctionne avec les communautés a beaucoup changé. Maintenant, nous avons un Cadre stratégique pour l’Arctique et le Nord qui a été établi en étroite collaboration avec les communautés. C’est un très grand changement que cela ait été élaboré de façon collaborative.
Nous avons aussi plusieurs ententes gouvernementales avec les communautés du Nord. On travaille avec les gouvernements de nation à nation et de gouvernement à gouvernement au lieu d’avoir une relation entre un ministère et les communautés. C’est un changement drastique qui s’est étendu sur plusieurs années.
Le cadre stratégique lancé en 2019 reflète les changements de relations entre les ministères et les communautés.
Le sénateur Boisvenu : J’ai été frappé, lorsque nous avons visité des villages, de voir l’état de délabrement des maisons. À mon avis, c’est un risque énorme pour la santé et la sécurité des familles, sachant que ce sont des maisons principalement bâties en bois et qu’il n’y a habituellement pas de service d’incendie.
Est-ce que le ministère a un plan stratégique pour faire en sorte d’améliorer la qualité de vie de ce que je vais appeler « notre tiers-monde »? J’ai vu des rues boueuses, des maisons délabrées et les gens nous disaient qu’on les avait complètement oubliés. Est-ce que vous avez une stratégie en vue d’améliorer la qualité de vie de ces gens qui occupent le territoire, et qui ont un rôle sur le plan de la sécurité, mais qu’on semble avoir complètement délaissés?
Mme Isaak : L’enjeu du logement est un grand défi dans le Nord et dans quelques communautés autochtones. C’est pourquoi depuis 2016, le gouvernement a octroyé beaucoup d’argent pour résoudre la situation du logement. Maintenant, on sait que ce n’est pas assez, et que l’enjeu du logement n’était pas réglé, mais nous avons fait plusieurs investissements au cours des années pour améliorer cet aspect. Nous allons le faire en collaboration avec les communautés.
Il n’y a pas une stratégie pour le Nord, mais il y a quelques stratégies autour du Nord. Par exemple, l’Inuit Tapiriit Kanatami (ITK) a une stratégie pour Inuit Nunangat, les quatre régions inuites, centrée sur le logement et les infrastructures. Nous faisons les investissements de concert avec les Inuits afin de régler la situation du logement au cours des prochaines années. C’est un exemple.
On sait que c’est un grand défi et on a commencé à faire des investissements importants pour résoudre cette situation.
[Traduction]
Le sénateur Boehm : Merci à nos témoins pour leur présence aujourd’hui. Mes questions vont aller un peu dans le sens de celles posées par le sénateur Boisvenu.
Je pense que vous connaissez le rapport Le Grand Nord : Un appel à l’action pour l’avenir du Canada qui a été produit par le comité spécial du Sénat en juin 2019. On y traite principalement de l’harmonisation des politiques avec les besoins des résidants du Nord, Autochtones comme allochtones. L’objectif était en fin de compte d’en arriver à ce transfert des pouvoirs décisionnels.
Dans le contexte de la défense nationale — et je conviens avec vous qu’il est très important de travailler avec les différents ministères, et assurément avec celui de la Défense nationale —, il y a certaines problématiques qui s’immiscent dans le débat. L’une d’elles est le changement climatique. Lorsque nous nous sommes rendus dans l’Arctique, on nous a fait part de différentes préoccupations liées au pergélisol dans les fondations et même sous les pistes d’atterrissage, des infrastructures vitales pour bon nombre des communautés nordiques.
Ma question concerne également la lettre de mandat du ministre Vandal — et le sénateur Boisvenu y a aussi fait allusion — qui prévoit une poursuite des efforts consentis en vue de mettre la touche finale à une entente définitive sur le transfert des responsabilités au Nunavut. J’aimerais savoir où en sont rendus les pourparlers à ce sujet. Par ailleurs, en ma qualité d’ancien bureaucrate, je suppose que l’on doit avoir mis en place une approche ou un genre de comité consultatif regroupant tous les intéressés, soit assurément RCAANC, mais aussi le ministère de la Défense nationale et les dirigeants régionaux à tous les niveaux et au sein des communautés. Ce n’est pas une tâche facile, et cela exige un effort de tous les instants. Je ne sais pas si vous pourriez nous en dire plus long à ce sujet.
Mme Isaak : Merci pour la question. Je vais d’abord vous répondre au sujet du transfert des responsabilités au Nunavut, et M. Walsh pourra ensuite vous parler de la mobilisation des différentes parties prenantes.
Comme vous l’avez indiqué, voilà un moment déjà que l’on prépare le transfert des responsabilités au Nunavut. Les négociations tirent à leur fin, et nous avons l’impression d’être très près d’une conclusion. Il s’agit d’une étape importante, car nous avons réalisé un tel transfert auprès des deux autres territoires. Nous sommes sur le point d’y arriver également pour le Nunavut. Il ne fait aucun doute que cela fait partie des priorités du ministre et du ministère.
Peut-être que M. Walsh pourrait vous parler de la mobilisation des intéressés en vous indiquant les dispositions qui ont dû être prises et comment les choses se passent.
Wayne Walsh, directeur général, Direction générale des politiques stratégiques du Nord, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada : Merci.
Vous pouvez vous imaginer à quel point il peut être complexe de regrouper un si grand nombre de partenaires, non seulement au sein du gouvernement du Canada, mais aussi parmi toutes les parties prenantes au Cadre stratégique pour l’Arctique et le Nord. Nous y sommes parvenus en agissant sur deux tableaux. Dans un premier temps, à l’interne, nous avons joué un important rôle de coordination en coalisant la famille fédérale. Nous tenons ainsi régulièrement des rencontres de travail avec plus de 30 ministères et agences du gouvernement fédéral. Nous avons de plus mis en place une structure s’articulant autour d’un comité des sous-ministres adjoints et d’un comité des sous-ministres qui se réunissent à intervalles réguliers pour discuter des progrès réalisés par rapport aux priorités et aux objectifs établis dans le Cadre stratégique pour l’Arctique et le Nord.
Nous avons établi en parallèle un système semblable avec nos partenaires externes. Il s’agit notamment des trois territoires, du gouvernement du Québec, du gouvernement du Manitoba, du gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador ainsi que d’un certain nombre d’organisations autochtones de ces différentes régions du pays. Nous nous réunissons dans le cadre de divers groupes de travail, mais également au niveau régional. Il faut en effet, dans le contexte du Cadre stratégique pour l’Arctique et le Nord, tenir compte du fait que les solutions et les priorités peuvent varier grandement entre le Yukon et Terre-Neuve-et-Labrador, par exemple. Nous tenons donc des rencontres distinctes avec ces partenaires régionaux, et nous avons également une tribune à part pour les Inuits dans le cadre du Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne.
Enfin, le ministre Vandal réunit chaque année tous les partenaires dans le cadre d’un forum national qui permet aux dirigeants de tout l’Arctique et aux parties prenantes au Cadre stratégique pour l’Arctique et le Nord d’exprimer leurs points de vue et leurs priorités. C’est aussi l’occasion pour les autres partenaires de se faire une idée de ce qui se passe ailleurs au pays et de mieux connaître les perspectives, les priorités et les ambitions de chacun.
Le sénateur Boehm : Puis-je vous poser une brève question? La pandémie nous a bien sûr appris qu’il est possible de tenir des consultations et des rencontres en mode virtuel. C’est une solution tout à fait logique en l’absence de moyens de transport permettant de réunir tout le monde au même endroit, que ce soit à Iqaluit ou ailleurs. Il y a cependant une difficulté avec laquelle vous devez composer dans le Nord, à savoir l’accessibilité aux services à large bande. Est-ce que ce problème est en train de se régler? Il est possible que j’aie posé la même question au Comité des finances nationales.
M. Walsh : C’est vraiment un problème de taille. Nous avons effectivement pu constater pendant la pandémie qu’il nous était possible de nous réunir et de maintenir les liens établis. Il va cependant de soi que rien n’égale une rencontre en personne. Pour ce qui est des services à large bande, les problèmes se font surtout sentir en matière de téléapprentissage, de poursuite des études, de télésanté et de développement économique. C’est dans ces domaines que les véritables pressions s’exercent et que nos partenaires nous demandent d’investir.
[Français]
Le sénateur Gignac : Bienvenue, madame la sous-ministre. Bienvenue à vos collègues également. En tant qu’ex-ministre responsable du Plan Nord, au Québec, j’ai un intérêt particulier pour ce que vous faites au gouvernement fédéral. Comme mes collègues, j’ai eu le privilège de me rendre dans le Nord canadien l’automne dernier. Nous avons visité différents endroits, dont Cambridge Bay et Iqaluit.
Une chose en particulier m’a frappé, et il fallait bien un tel voyage pour le réaliser : à Ottawa, nous tenons l’accès à Internet et les communications pour acquis, présumant que le standard est le même partout au Canada. Or, c’est loin d’être le cas. À Iqaluit, nous avions une réunion de prévue avec la GRC, et il y avait des problèmes de communication. À Cambridge Bay, une personne m’expliquait qu’il fallait parfois trois heures pour transférer des documents, faute d’Internet haute vitesse. La situation est différente au Danemark. La densité de la population est forte et on a la fibre optique, donc le problème ne se pose pas.
Nous sommes en 2023. Si on veut faire avancer le développement du Nord, on n’aura pas le choix d’accroître le développement économique. Où en sommes-nous? Quels moyens comptez-vous prendre pour améliorer les communications dans le Nord et les différentes régions de l’Arctique?
La situation m’a vraiment frappé. Il fallait bien un tel voyage pour réaliser à quel point nous sommes dépendants des communications, qui constituent bien sûr un outil de développement économique. Pouvez-vous nous parler un peu de ce sujet? Avez-vous certains pouvoirs en la matière ou est-ce un autre ministère qui s’occupe de ce volet?
Mme Isaak : Je vous remercie pour la question. C’est un gros problème. Comme vous l’avez dit et comme M. Walsh l’a dit également, le problème est difficile à régler et représente une barrière au développement économique et à d’autres secteurs comme la santé. Le problème est plus important au Nunavut, bien qu’il existe dans les autres territoires.
Il appartient au gouvernement du Nunavut de choisir la meilleure façon de régler la situation. Il travaille avec nous et d’autres ministères, comme Innovation, Sciences et Développement économique Canada, qui a des programmes pour appuyer la connectivité. Je sais qu’ils essaient de trouver la meilleure façon de le faire, mais la situation est complexe.
Nous appuyons la mise sur pied d’options pour le Nunavut. Toutefois, il revient au gouvernement de choisir la meilleure façon de le faire. Les choses sont en cours d’analyse, mais la solution n’est pas encore apparente.
Le sénateur Gignac : Quand vous dites que vous appuyez, est-ce qu’il s’agit d’un appui financier ou d’un appui sous forme de partage de connaissances techniques? À la limite, pensez-vous à un partenariat entre le secteur privé, le gouvernement du Nunavut et le gouvernement fédéral? Si je comprends bien, toutes les options sont sur la table.
Mme Isaak : C’est un appui pour ce qui est du financement, mais bien souvent aussi, pour la faisabilité des options. Certains ministères, comme Innovation, Sciences et Développement économique Canada, fournissent parfois leur expertise. Toutefois, l’appui principal concerne le financement des projets.
Le sénateur Gignac : J’aimerais maintenant changer de sujet. Je n’étais pas autour de cette table à l’époque, étant au Sénat depuis peu, mais à moins que je me trompe, je crois qu’en 2019, le comité sur l’Arctique recommandait de créer une banque de l’infrastructure pour le développement de l’Arctique.
Vous avez probablement eu le temps de vous pencher sur la question. Est-ce une option qui a été considérée? Sinon, pour quelle raison ne l’a-t-on pas retenue? Était-ce votre ministère qui était engagé là-dedans?
Mme Isaak : C’était plutôt le ministère de l’Infrastructure. Je ne sais pas si cette option est sur la table, mais la Banque de l’infrastructure du Canada, qui est une entité distincte, a un intérêt très fort pour le Nord. Elle travaille avec les partenaires et les communautés pour développer un projet pour cette banque.
Il ne s’agit pas d’une banque distincte pour le Nord, mais je sais que la banque travaille avec le Nord et souhaite appuyer plusieurs projets dans le Nord. Je n’en sais pas plus, parce que cela relève d’Infrastructure Canada.
[Traduction]
Le sénateur Oh : Je remercie nos témoins de leur présence aujourd’hui.
Voici ma question à votre intention. Certaines des activités du gouvernement du Canada visant à renforcer la défense et la sécurité dans l’Arctique ont-elles entraîné des conséquences négatives imprévues pour les populations locales ou les collectivités autochtones? Si c’est le cas, comment pourrait-on éviter ce genre de conséquences à l’avenir?
Mme Isaak : Merci pour la question.
C’est assurément une question intéressante, car certaines communautés ne manqueraient pas de vous dire que des activités de défense et de sécurité leur ont déjà causé certains préjudices. Il y a eu notamment des cas où des communautés ont dû être relocalisées aux fins de l’affirmation de notre souveraineté. Il est aussi arrivé que des ressources humaines et financières soient déployées sans même que les communautés puissent en bénéficier. Je pense que les gens craignent beaucoup que l’on investisse encore de cette manière sans que les résultats soient plus probants pour eux.
L’un des éléments clés — comme nous l’avons fait valoir précédemment en parlant du cadre stratégique mis en place — réside dans la nécessité de travailler de concert avec les communautés et de les consulter chaque fois que des activités sont entreprises. À l’aube de nouveaux investissements aux fins de la sécurité, le ministère de la Défense a certes l’intention de concevoir les activités requises en collaboration avec les communautés de telle sorte que celles-ci puissent bénéficier des avantages pour ce qui est de la formation et de l’éducation — les gains pouvant découler d’une amélioration de la connectivité et des infrastructures — et qu’elles aient l’impression d’avoir vraiment un rôle à jouer. Il ne faut pas qu’elles soient seulement visées par une activité, mais plutôt qu’elles y contribuent concrètement.
Le sénateur Oh : Je me suis rendu dans l’Arctique en 2017 et j’ai eu la chance de visiter la Station de recherche du Canada dans l’Extrême-Arctique. Elle venait tout juste d’ouvrir ses portes. On nous disait que des scientifiques de toute la planète allaient pouvoir s’y rendre pour mener des études et des recherches. Comment les choses se passent-elles jusqu’à maintenant? Est-ce que des scientifiques de partout dans le monde exploitent bel et bien toutes les possibilités qu’offre cette station?
Mme Isaak : Merci pour cette question.
Je ne suis pas directement au fait de toutes les activités, car cela ne relève pas de ma responsabilité, mais je peux vous dire que le niveau d’activité augmente progressivement depuis l’ouverture de la station de recherche. Comme la pandémie s’est malheureusement déclarée peu après l’ouverture officielle, il n’a pas été possible pour les scientifiques de se rendre dans le Nord. Il n’en demeure pas moins que l’on s’emploie assurément à étendre les activités de la station et à y accueillir ces scientifiques internationaux comme on l’espérait. Certaines recherches ont déjà pu être réalisées sur place. Je ne peux pas vous donner tous les détails, mais je sais que le processus est en marche.
Le sénateur Oh : Lorsque j’étais là-bas, j’ai voulu acheter une peinture dans une galerie d’art et il a fallu 20 minutes pour que mon paiement par carte de crédit soit validé. Je veux seulement faire ainsi écho à certains commentaires de mes collègues sénateurs. Les gens du Nord m’ont dit à quel point il est important pour eux de pouvoir compter sur Internet à haute vitesse. Sans cela, la croissance économique demeure impossible. Je vous remercie.
Le président : J’ajouterais que, lors de notre séjour en Arctique à la fin de l’an dernier, nous avons eu le privilège de visiter la Station de recherche du Canada dans l’Extrême-Arctique qui est maintenant en activité. Nous avons pu y rencontrer la directrice et le scientifique en chef, et je crois pouvoir vous dire au nom des membres du comité que nous avons été fortement impressionnés par les capacités offertes sur place et l’ambition de ces gens-là, de même que par l’intégration de l’organisation au sein de la communauté.
Le sénateur Ravalia : Merci à nos témoins.
Je me demande simplement dans quelle mesure l’invasion illégale de l’Ukraine par la Russie a pu avoir un impact sur la coopération internationale pour la sécurité dans l’Arctique. De passage au Groenland, j’ai eu plusieurs échanges concernant l’évolution de la situation entre les communautés autochtones du côté russe et plus particulièrement du côté suédois — les Samis. On craignait à ce moment-là qu’une intensification du conflit puisse avoir des répercussions néfastes sur ces communautés autochtones. Nous avons aussi ressenti une impression de vulnérabilité au fur et à mesure que les Russes déployaient des munitions et des infrastructures. Les Chinois ont également exprimé leur intérêt, particulièrement au Groenland. J’aimerais savoir où se situe le Canada dans toute cette problématique et comment se passe notre coopération avec nos alliés.
Mme Isaak : Cela relève davantage de la responsabilité d’Affaires mondiales Canada, mais je peux vous glisser un mot au sujet de la partie du travail du Conseil de l’Arctique à laquelle j’ai participé directement.
Comme vous le savez, le Conseil de l’Arctique est un organe névralgique regroupant les nations de cette région du monde. Le conseil a interrompu ses activités lorsque la Russie a envahi l’Ukraine pour ensuite trouver une façon de poursuivre une partie de son travail dans les dossiers où les Russes n’étaient pas concernés. Nous contribuons au travail de quelques comités importants s’intéressant tout particulièrement au développement durable. Au cours de la dernière année, il a fallu trouver le juste équilibre afin de continuer les échanges — sans que ce soit sous la bannière officielle du Conseil de l’Arctique — avec différents pays relativement à des activités n’ayant pas un impact direct sur la Fédération russe. L’équilibre est fragile, et je dirais que cela a sans doute ralenti les progrès pouvant être réalisés par les membres du Conseil de l’Arctique et les participants permanents autochtones.
Je ne sais pas si M. Walsh souhaite ajouter quelque chose étant donné que son groupe est responsable de ce dossier?
M. Walsh : Je pense que vous avez très bien cerné la situation. Le Conseil de l’Arctique est vraiment la principale instance permettant au Canada de concrétiser son engagement dans l’Arctique. Le fait que ce soit la Russie qui assume actuellement la présidence de ce conseil complique les choses, si bien qu’il a fallu — comme Mme Isaak vient de l’indiquer — que les autres pays fassent montre d’une grande prudence dans les échanges qu’ils ont tenus par ailleurs. Il va de soi que cela relève davantage d’Affaires mondiales Canada, mais il sera intéressant de suivre l’évolution du conseil une fois que la Finlande aura pris la relève à la présidence en mai prochain. Des discussions sont en cours entre les différents partenaires afin d’envisager la suite des choses pour le Conseil de l’Arctique.
Cela dit, ma direction générale participe aux activités du groupe de travail sur le développement durable. Nous avons pu poursuivre nos efforts, surtout dans une optique bilatérale — avec les États-Unis, le Groenland ou l’Islande, par exemple —, relativement à des enjeux comme la prévention du suicide et les énergies renouvelables. Nous continuons à tabler sur les liens que nous avons pu nouer dans le cadre de ce groupe de travail, mais c’est le temps qui nous dira comment les choses vont évoluer dans une perspective plus globale.
Le sénateur Ravalia : Actuellement, les communications avec la Fédération de Russie ont-elles cessé ou pouvez-vous encore, à la faveur de ces apartés bilatéraux, communiquer certains des paramètres se rapportant au Conseil de l’Arctique?
M. Walsh : Par suite de l’invasion russe, on a annoncé, le 3 mars 2022, la suspension de toutes les activités. Le 8 juin 2022, on a annoncé dans une déclaration la reprise limitée des activités du conseil, mais seulement de celles qui, à l’état de projet, ne comportaient pas la participation de la Fédération de Russie.
Le sénateur Ravalia : Merci beaucoup.
Le sénateur Klyne : Je vous remercie pour vos observations, vos questions et vos réponses.
Vous avez fait allusion, un certain nombre de fois, à l’engagement et aux processus du cadre ainsi qu’à la coordination de l’information. Les liens historiques et actuels entre l’Arctique et les Inuits sont solides, et j’ai quelques questions à poser — pas nécessairement toutes sur ce sujet, mais la première, certainement.
Je reconnais que l’engagement n’est pas directement relié à la sécurité ou à la défense, mais dans quelle mesure le gouvernement fédéral s’en remet-il aux connaissances historiques des Inuits de la région? Est-ce que ces connaissances et ce partenariat aident à guider les efforts du gouvernement pour maintenir notre souveraineté sur l’Arctique? Pourrait-on renforcer ces liens?
Mme Isaak : Nos activités — de soutien des communautés, donc de moindre importance — subissent la forte influence des opinions et des connaissances, traditionnelles et autres, des Inuits et des autres partenaires autochtones. Par exemple, j’ai dit tantôt que les Inuits, par l’entremise de leur organisme, l’Inuit Tapiriit Kanatami, ont élaboré une stratégie des infrastructures qui porte sur les quatre régions inuites. Elle se fonde sur leurs connaissances et leurs intérêts. Par la suite, nous investissons dans ce genre de stratégie. Quand nous collaborons avec nos partenaires autochtones sans que ça concerne directement la sécurité, nous le faisons sous leur direction et ils élaborent leur propre stratégie et méthode de résolution de problèmes. Sans que ce soit directement relié aux questions de sécurité, je peux affirmer que notre méthode de travail avec les communautés autochtones, pour les appuyer, repose incontestablement sur leurs connaissances, leurs intérêts et leur direction.
Le sénateur Klyne : Dans ce contexte — plus encore le contexte de la surveillance de l’Arctique —, l’acquisition d’une connaissance du domaine maritime des eaux arctiques a-t-elle profité d’une collaboration avec les communautés autochtones ou ces communautés se sont-elles contentées d’être ce qu’elles sont?
Mme Isaak : Difficile pour moi de répondre, parce que je ne fais pas la surveillance. Il m’est difficile de dire si elles y participent directement.
Le sénateur Klyne : Il n’y a donc pas d’engagement dans la surveillance de l’Arctique?
Mme Isaak : Peut-être, mais je l’ignore, puisque ce n’est pas du ressort du ministère fédéral des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord.
Le sénateur Klyne : Croyez-vous qu’il devrait y avoir participation et engagement?
Mme Isaak : Nous collaborons avec la Défense et d’autres ministères en les conseillant et en les guidant. Quand ils demandent comment faire dans cet environnement, nous les orientons et les aidons. J’ai toutes les raisons de croire que la Défense et les autres ministères tiendront compte des opinions des communautés et qu’ils leur tendront la main. C’est ce que nous comprenons de nos discussions avec la Défense. Le ministère est très désireux d’avoir ces discussions. Je ne doute donc pas qu’elles aient lieu et qu’elles se poursuivent.
Le sénateur Klyne : Merci.
Le sénateur Richards : Merci d’être ici.
Le sénateur Klyne a en quelque sorte déjà posé la question que je vous destinais, mais je vous la poserai néanmoins, légèrement modifiée. Monsieur Walsh, il est souvent conclu que le gouvernement n’a pas pris de mesures convenables pour répondre aux risques qui se posent en matière de sécurité, des brise-glaces aux frégates en passant par la défense, notre défense aérienne et notre défense mobile. Pourrons-nous jamais réussir à corriger le tir d’ici les 10 ou 20 prochaines années ou le ferons-nous?
La deuxième question ressemble un peu à celle du sénateur Klyne. Comment fonctionne la structure de commandement des Rangers? Le commandement est-il inuit? Dans l’affirmative, comment le recrutement est-il organisé chez les Rangers? Le moral est-il bon? Le recrutement est-il suffisant?
Peut-être pourriez-vous répondre brièvement à ces deux questions.
M. Walsh : Merci.
Pour répondre brièvement, je l’ignore, pour la bonne raison que ce n’est pas du ressort de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord.
La réponse étoffée à votre première question est que le ministère de la Défense nationale et la Garde côtière seraient mieux placés pour discuter de certaines observations du Bureau du vérificateur général sur ce qu’il a trouvé dans le rapport de chacun d’eux relativement à leur réponse à ces problèmes. Si j’ai bien compris, les représentants du bureau constitueront le groupe de témoins qui suivra. Vu mon rôle dans l’administration fédérale, tout ce que je pourrais dire sur la possibilité de résoudre les problèmes dans les 5 ou 15 prochaines années ne serait que pure conjecture.
D’après ce que je sais des Rangers, ils sont issus de la communauté. Dans l’Inuit Nunangat, ils sont surtout inuits, mais certains sont des Premières Nations et des Métis. C’est ce que je crois savoir. De nouveau, ce serait pure conjecture de ma part de donner mon avis sur le recrutement ou d’éventuels problèmes moraux. Il serait mieux de poser la question…
Le sénateur Richards : Veuillez me pardonner ces questions lourdes de sous-entendus. J’en garderai pour le prochain groupe de témoins. J’ai cru que vous pourriez avoir une opinion à ce sujet. Merci beaucoup.
[Français]
Le sénateur Dagenais : J’ai pris connaissance du rapport de la vérificatrice générale — qui est très étoffé soit dit en passant. Ce rapport critique certaines lacunes du gouvernement actuel relativement à ses responsabilités, entre autres en ce qui concerne la sécurité de l’Arctique.
J’ai également consulté votre curriculum vitæ, qui est très intéressant. Je constate que depuis 23 ans, vous travaillez dans le domaine des affaires nordiques et que depuis 2018, vous occupez le poste de présidente de l’Agence canadienne de développement économique du Nord. Maintenant, avez-vous pris personnellement connaissance des lacunes énoncées par la vérificatrice générale dans son rapport ou était-ce quelque chose de nouveau pour vous?
Mme Isaak : Les recommandations ne sont pas nouvelles pour moi. J’avais connaissance des enjeux, mais les solutions sont très complexes. Je sais qu’il reste certaines lacunes depuis des années, mais je sais aussi que les solutions ne sont ni évidentes ni faciles.
Le sénateur Dagenais : Puisque vous aviez connaissance de certaines lacunes, avez-vous posé des gestes pour tenter d’améliorer la situation? Comme vous le mentionnez, c’est complexe.
Mme Isaak : C’est difficile, parce que ce n’est pas la spécialité du ministère; je n’ai pas de connaissance directe de la situation. Ce sont mes observations, mais je n’ai pas l’expérience directe dans le domaine de la surveillance.
Le sénateur Dagenais : Corrigez-moi si je me trompe, est-ce madame Diane Lafleur qui vous précédait avant cette nomination?
Mme Isaak : Oui.
Le sénateur Dagenais : Vous êtes-vous rencontrées lors de votre nomination?
Mme Isaak : Oui.
Le sénateur Dagenais : Vous a-t-elle laissé un rapport concernant l’état de la situation ou a-t-elle fait des recommandations sur certains éléments urgents à régler?
Mme Isaak : Pouvez-vous répéter la question, s’il vous plaît?
Le sénateur Dagenais : Lorsque vous vous êtes rencontrées, vous a-t-elle mise au courant qu’il y avait certains problèmes à régler? Vous a-t-elle fait un rapport quelconque à ce sujet?
Mme Isaak : Oui, il y a eu un partage des informations, des enjeux, mais ce n’était pas vraiment une transition directe entre elle et moi; ce n’était pas le cas.
Le sénateur Dagenais : Vous a-t-elle laissé quelque chose qui ressemble à un rapport écrit?
Mme Isaak : Non.
Le sénateur Dagenais : Je vous remercie beaucoup, madame.
Le sénateur Boisvenu : Madame Isaak, j’aimerais revenir à ma première question. Avez-vous pris connaissance de la lettre de mandat de votre ministre? Je l’ai relue et j’ai tenté de comprendre, dans cette lettre, en quoi les mandats que le premier ministre a donnés au ministre de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada amélioreront la qualité de vie des communautés.
On parle de changements climatiques et on parle d’égalité des genres. Il y a beaucoup de mots, mais concrètement, je pense entre autres au rapport que le Sénat a déposé en 2014 sur la transformation de l’usage du mazout dans les villages. On sait que les villages autochtones sont chauffés au mazout, dont les écoles. Cela a un impact direct sur la santé des enfants. On avait préconisé, à l’époque, d’alimenter ces fournaises et ces génératrices — parce que ce sont de grosses génératrices qui alimentent tout le village — au gaz naturel.
On sait que ces communautés sont situées sur des terres qui regorgent d’énormes quantités de gaz naturel. Je ne vois rien dans la lettre de mandat adressée au ministre au sujet de l’amélioration de la santé des enfants, de la qualité de vie des Autochtones.
Il n’y a pas beaucoup de choses relatives à ce sujet. Est-ce votre perception aussi? Est-ce que vous voyez, dans cette lettre de mandat, des recommandations qui s’attaquent aux problèmes que les Autochtones vivent?
Mme Isaak : Je pense que la lettre de mandat recommande au ministre de travailler avec les communautés pour faire face aux défis dans les communautés et dans les territoires. Le cadre qui est établi a plusieurs piliers décrivant les étapes et les activités qui étaient développées en collaboration avec les communautés.
Donc, il y a plusieurs initiatives et activités déterminées par chaque communauté. C’est le ministre qui travaille avec la communauté pour investir dans les activités et les initiatives comme le logement, et pour les investissements liés aux changements climatiques, à l’éducation et à la sécurité alimentaire. Donc, c’est un plan d’investissements sur plusieurs années.
Le sénateur Boisvenu : Si on parle du sujet particulier du chauffage : les communautés autochtones dans le Nord — pour avoir fait un premier voyage en 2014 — consomment des millions de litres de mazout, qui produisent des gaz néfastes pour la santé des enfants. On avait proposé, à l’époque, d’utiliser le gaz naturel, qui est beaucoup moins néfaste. Est-ce que quelque chose a été fait?
Mme Isaak : Oui, le ministère a investi dans quelques projets hydroélectriques dans les communautés pour améliorer les systèmes de chauffage et d’énergie dans les territoires et dans la communauté. Il y a un projet au Nunavut, au Yukon et dans les Territoires du Nord-Ouest. Ce sont des investissements directs que le ministre a faits et il y a d’autres projets dans le Nord, réalisés avec les communautés, pour faire face aux problèmes du coût du chauffage et tenter de le diminuer.
Donc, il y avait quelques projets et il y aura quelques projets dans le futur pour le ministre et les autres ministères qui feront des investissements.
Le sénateur Boisvenu : J’ai visité des villages qui n’ont aucune possibilité d’utiliser l’hydroélectricité ou les marais, par exemple. La seule possibilité est d’utiliser le gaz naturel. On sait que votre gouvernement est réticent à l’utilisation des énergies fossiles comme le gaz naturel. Est-ce que ces villages pourront exploiter le gaz naturel qui est sous leurs pieds ou sont-ils condamnés à importer encore du mazout, qui est très néfaste pour la santé des enfants?
Mme Isaak : Il y a une communauté au nord qui a un projet d’utilisation du gaz naturel. C’est une chose qui a été appuyée par le gouvernement. C’est à nous de trouver les solutions pour chaque communauté parce que, comme vous l’avez dit, l’hydroélectricité n’est pas accessible partout dans le Nord. Nous devons travailler avec les communautés pour trouver les meilleures solutions.
Le sénateur Dagenais : Ma question est très rapide. Je veux revenir sur la transition que vous avez vécue avec Mme Lafleur. Comme vous l’avez mentionné, vous avez eu certaines discussions, mais c’est un petit peu flou. Ne trouvez-vous pas cela étrange que deux personnes comme vous et Mme Lafleur, qui occupent des postes importants, n’aient pas tenu une séance de breffage pour se dire ce qu’il y avait faire?
Mme Isaak : Mme Lafleur a quitté le ministère avant que j’arrive. Elle est partie pour des raisons personnelles. On n’a pas eu la chance d’avoir une séance de breffage entre nous, mais j’ai eu des breffages par les fonctionnaires, les sous-ministres adjoints et plusieurs personnes. À mon avis, j’ai eu assez de breffages pour la transition.
Le sénateur Dagenais : Si toutefois il y a eu des documents écrits qui ont été mentionnés lors de ces breffages, si vous pouvez les trouver, j’aimerais que vous puissiez les faire parvenir.
Mme Isaak : Parfois, il s’agissait des breffages oraux. Ce n’était pas toujours des breffages écrits, mais peut-être que c’est une chose qui est en cours. Ce n’est pas vraiment une transition d’un jour, mais c’est une transition qui est en cours.
Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, madame.
[Traduction]
Le président : Un certain nombre de fois pendant la réunion, nous avons évoqué, dans nos observations sur le Nord, l’augmentation des attentes à l’égard des répercussions générales et positives des dépenses dans des infrastructures militaires. Dans le même temps, il est apparu évident, particulièrement d’après ce que nous ont dit nos conseillers militaires, que ces dépenses n’auraient pas des répercussions aussi étendues que celles à quoi s’attendaient ceux qui étaient susceptibles d’en profiter. Il y avait des écarts. Pour la large bande et les pistes d’atterrissage, ce sera évidemment mitigé, mais il n’y aura pas d’installation militaire dans chaque communauté. Nous devrons le retenir pendant l’élaboration de notre rapport. Nous devrons notamment nous demander qui réfléchit à l’écart entre ces attentes et la réalité et la destination des dépenses.
Auriez-vous la bonté de nous faire parvenir une note ou quelque chose qui nous aiderait à mieux comprendre la gouvernance et à situer la responsabilité de ces évaluations pendant que l’on consacre des dépenses à ces infrastructures? Ç’a éveillé chez nous une préoccupation collective — sur les attentes des populations sur place, et peut-être sur la fourchette étroite des bienfaits socio-économiques qui découleraient des dépenses militaires.
Mesdames Isaak et Lloyd ainsi que monsieur Walsh, il ne me reste plus qu’à vous remercier pour votre temps. Nous nous félicitons de votre présence. Vous nous avez beaucoup aidés. Nos questions difficiles ont reçu de vous des réponses très utiles. Nous vous sommes reconnaissants de votre temps et de votre travail quotidien pour les Canadiens, particulièrement ceux qui vivent dans le Nord. Votre travail n’est pas facile. C’est un domaine incroyablement complexe à l’interface de la stratégie et de l’exécution de programmes. Heureusement, nous pouvons vous en remercier. Merci.
Honorables sénateurs, avec ce deuxième groupe de témoins, nous dirigeons notre attention vers le rapport récent du Bureau du vérificateur général du Canada sur la surveillance des eaux arctiques. Nous en accueillons donc les représentants : le sous-vérificateur général Andrew Hayes; le directeur principal Nicholas Swales; et la directrice Chantal Thibaudeau.
Merci d’être avec nous. Nous savourions d’avance votre visite. Nous avons ici un groupe de membres très désireux de vous entendre. Nous vous invitons à faire votre déclaration préliminaire, qui sera suivie d’une période de questions de nos membres. Monsieur Hayes, vous commencez dès que vous êtes prêt.
Andrew Hayes, sous-vérificateur général, Bureau du vérificateur général du Canada : Monsieur le président, je vous remercie de l’occasion offerte de venir discuter de notre rapport sur la surveillance des eaux arctiques canadiennes, qui a été déposé à la Chambre des communes le 15 novembre 2022.
Je voudrais reconnaître que la séance se déroule sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe.
Je suis accompagné de Nicholas Swales, le directeur principal chargé de l’audit, et de Chantal Thibaudeau, la directrice qui a dirigé l’équipe de l’audit.
Ces dernières décennies, les eaux arctiques canadiennes sont devenues plus accessibles en raison de la fonte plus prononcée des glaces de mer en été et des avancées technologiques dans le domaine de la navigation. L’accessibilité accrue suscite intérêt et concurrence dans la région, ce qui augmente considérablement le trafic maritime et se répercute sur les collectivités locales. L’intensification du trafic maritime accroît le risque d’accès non autorisé, d’activités illégales, d’incidents de sûreté et de pollution.
Cet audit visait à savoir si des organisations fédérales responsables avaient acquis la connaissance du domaine maritime nécessaire pour réagir aux risques et aux incidents de sûreté et de sécurité associés à la circulation accrue de navires dans les eaux arctiques.
La surveillance des eaux canadiennes ne relève pas d’une seule organisation fédérale. Nous avons inclus dans notre audit les cinq organisations qui en sont principalement responsables : Transports Canada, Pêches et Océans Canada, la Garde côtière canadienne, la Défense nationale; Environnement et Changement climatique Canada
Nous avons constaté que, dans la dernière décennie, ces organisations avaient décelé des lacunes dans la surveillance des eaux arctiques à plusieurs reprises, mais qu’elles n’avaient pas pris les mesures requises pour y remédier. Ces lacunes comprenaient la capacité limitée de brosser un tableau complet du trafic maritime dans l’Arctique et l’incapacité de suivre et d’identifier les navires qui n’utilisent pas les systèmes numériques de suivi parce qu’ils n’y sont pas tenus ou parce qu’ils ne respectent pas les exigences.
La collaboration est importante pour corriger les lacunes dans la connaissance du domaine maritime. Les collectivités côtières fournissent de l’information au moyen de l’observation directe. Les initiatives fédérales, comme le Centre des opérations de la sûreté maritime à Halifax, jouent aussi un rôle essentiel. Toutefois, nous avons constaté que des faiblesses dans les mécanismes appuyant la communication de l’information, la prise de décisions et la reddition de comptes avaient nui à l’efficience du centre.
[Français]
La surveillance des eaux arctiques s’appuie sur divers types d’équipements, comme les satellites, les aéronefs et les navires. Nous avons constaté qu’une bonne partie de ces équipements était vieillissante et que son renouvellement avait été reporté au point où certains équipements seront probablement mis hors service avant de pouvoir être remplacés.
Tel est le cas pour les brise-glace de la Garde côtière canadienne et pour le seul aéronef de patrouille de Transports Canada : ils approchent de la fin de leur durée de vie utile et seront probablement mis hors service avant que de nouveaux équipements puissent être livrés. Les satellites s’approchent eux aussi de la fin de leur durée de vie utile et ne répondent pas aux besoins actuels en matière de surveillance. Dans tous les cas, les remplacements ne sont pas prévus avant de nombreuses années.
Nous avons aussi constaté que les projets d’infrastructures destinés à soutenir l’aéronef de surveillance et les navires de patrouille extracôtiers avaient été retardés. Par exemple, le projet de l’installation navale de Nanisivik, visant à soutenir les navires d’organisations gouvernementales dans les eaux arctiques, a pris du retard et sa portée a été réduite à un point tel que sa période d’exploitation ne sera que d’environ quatre semaines par an. Par conséquent, les navires de la Marine royale canadienne pourraient ne pas être ravitaillés où et quand ils en auront besoin.
Notre audit de 2021 sur la Stratégie nationale de construction navale a fait ressortir des retards préoccupants dans la livraison des navires de combat et autres navires dont le Canada a besoin pour honorer ses obligations à l’échelle nationale et internationale. L’audit a aussi permis de constater que s’il devait y avoir d’autres retards, plusieurs navires pourraient être mis hors service avant que les navires de remplacement soient opérationnels.
Dans l’audit dont il est question aujourd’hui, nous avons constaté que ces retards persistent. La surveillance efficace dans l’Arctique dépend des navires, des aéronefs et des satellites, qui sont tous vieillissants. Le gouvernement doit de toute urgence résoudre ces problèmes de longue date et remettre le renouvellement de l’équipement sur une voie durable afin de protéger les intérêts du Canada dans l’Arctique.
Ceci termine mes remarques liminaires. Nous serons heureux de répondre aux questions des membres du comité. Merci.
[Traduction]
Le président : Merci beaucoup. Votre déclaration a été très utile. Passons maintenant aux questions, en commençant par le vice-président du comité, le sénateur Dagenais.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Hayes. Monsieur Hayes, j’ai pris connaissance du rapport de la vérificatrice générale. Je dois vous avouer que c’est un rapport assez troublant. Étant donné que je siège au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants depuis 10 ans, je n’ai pas été surpris du tout.
Dans le rapport, vous mentionnez, entre autres, plusieurs équipements en fin de vie : des satellites, des brise-glace et des avions de surveillance et de ravitaillement. Tous ceux qui suivent cela de près sont au courant de la situation. Il y a eu plusieurs discussions à ce sujet, mais peu de décisions prises. De plus, aucun échéancier n’a été respecté.
Selon vous, quelle serait la solution pour que cela change? Compte tenu du délabrement constaté dans les équipements, quel serait l’échéancier logique pour le gouvernement afin de rétablir la situation?
M. Hayes : Selon nos constatations, dans cet audit, mais aussi dans l’audit de la vérificatrice générale concernant la Stratégie nationale de construction navale, il y a peu de marge de manœuvre maintenant pour d’autres retards. Selon nous, il est temps de prendre des actions concrètes.
En ce qui concerne les dates d’échéance, il est difficile pour nous de nous prononcer sur les dates d’échéance; c’est au gouvernement de le faire. Il y a actuellement des retards et des délais; il est important que le gouvernement prenne des mesures maintenant.
Le sénateur Dagenais : Maintenant, pouvez-vous nous dire si le gouvernement a eu recours à des consultants externes au sujet de la sécurité de l’Arctique? Si oui, qui sont-ils et combien cela a-t-il coûté?
M. Hayes : Je demanderais à ma collègue, Mme Thibaudeau, de répondre à la question.
Chantal Thibaudeau, directrice, Bureau du vérificateur général du Canada : Ce n’est pas un aspect précis que nous avons abordé dans l’audit. Ce qu’on a voulu faire, c’est d’examiner les moyens en place et les plans pour l’avenir. Je n’ai malheureusement pas de détails additionnels à vous donner.
Le sénateur Dagenais : Lorsque vous avez fait l’examen de la situation de la surveillance en Arctique, avez-vous été capable d’évaluer les connaissances des fonctionnaires quant aux risques de sécurité qu’ils ont eus à gérer? Savaient-ils ce qui aurait dû être fait dans les dernières années pour être plus efficaces? Il n’y avait peut-être pas de volonté politique de le faire.
M. Hayes : Je dirais que depuis 10 ans, les fonctionnaires ont décelé les lacunes. Il y a des stratégies et des plans, mais aucune action. Selon nous, les problèmes sont connus.
Mme Thibaudeau : C’est exactement cela. Je pourrais ajouter qu’il y a des lacunes très précises qui ont été décelées. Il y a aussi un plan qui a été mis en œuvre pour comprendre certaines lacunes, et on voit dans le rapport qu’il y a d’autres études prévues. Comme l’a mentionné M. Hayes, il est temps de passer à l’action.
Le sénateur Dagenais : Il semble y avoir plus d’études que de réalisations. J’aurai des questions complémentaires au second tour.
[Traduction]
Le sénateur Boehm : Je remercie les témoins d’avoir comparu.
D’entrée de jeu dans votre rapport, vous déclarez que vous vous focalisez sur les activités nationales et que vous n’avez pas audité les volets de collaboration internationale de la surveillance maritime. Cette matière pourrait remplir à elle seule un rapport, mais, pour faciliter les comparaisons, il aurait été logique d’examiner ce qui se fait en surveillance maritime. Nous ne sommes pas les seuls dans ce domaine : il y a le Danemark, le Groenland et la Norvège. Les États-Unis se rangent peut-être dans une catégorie à part. Pourquoi ne l’avez-vous pas fait? Il me semble que des comparaisons auraient été utiles.
Autre commentaire, qui reprend celui du sénateur Dagenais : les conclusions de votre rapport sont assez démoralisantes, particulièrement sous l’éclairage dont nous bénéficions maintenant et que nous aurons à l’avenir sur la sécurité et la défense de l’Arctique. Les cinq ministères fédéraux rassemblent un vaste ensemble de mandats et de responsabilités, dont certains pourraient évoluer en raison de l’augmentation de la circulation des navires dans l’Arctique. Cela entraîne également des responsabilités pour le Canada en vertu de conventions internationales comme celle de l’Organisation maritime internationale, l’OMI, et une responsabilité pour la recherche et le sauvetage.
Votre bureau a-t-il l’intention d’auditer d’autres ministères fédéraux sur cette question, comme Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, pour fouiller les répercussions sur les peuples autochtones et les Inuits. Prévoyez-vous que ces populations sortiront gagnantes de l’augmentation du trafic maritime dans notre Arctique, par exemple sur le plan économique? Bien sûr on ne parle pas des conséquences négatives, sur l’environnement, etc.
Voilà mes questions. Je sais qu’elles sont dérangeantes, mais si vous pouviez y répondre, même en partie, j’en serais reconnaissant.
M. Hayes : En ce qui concerne d’abord la portée de notre audit, nous avons choisi de nous focaliser sur sa dimension nationale. En effet, si nous pouvions obtenir un portrait complet de l’Arctique grâce à la surveillance faite au Canada, nous pourrions ensuite déterminer si nous communiquons convenablement l’information à nos alliés dans le Nord. Notre audit a permis de déterminer d’importantes lacunes dans la capacité de nos ministères d’obtenir une image claire de ce qui se passe dans cette région. Nous collaborons avec nos partenaires internationaux, et cette collaboration a déjà lieu. À mesure que les lacunes deviendront graduellement plus importantes, nous devrons peut-être nous reposer encore plus sur nos alliés. Ça deviendra même plus important. Notre priorité était de nous faire une idée de la capacité de notre gouvernement en matière de surveillance de l’Arctique.
Pour répondre à votre question sur les avantages et les conséquences pour les habitants du Nord, — les Inuits, les peuples autochtones — nous en avons traité en partie dans notre rapport. Nous avons discuté de certaines des interactions que le gouvernement y a eues. Notre bureau occupe une position privilégiée, étant l’auditeur de chacun des territoires également. Nous disposons de quelques points de vue sur les répercussions qui s’exercent dans le Nord. Actuellement, nous examinons toutes les options pour les audits dans le Nord, y compris la participation et l’engagement des communautés autochtones dans un volet de réconciliation, mais, également, dans leur propre autodétermination et participation avec le gouvernement fédéral.
Le sénateur Richards : Merci d’être ici.
Je ne sais à quel saint me vouer. Le groupe de témoins qui vous a précédés m’a conseillé de vous questionner. Votre rapport est assez démoralisant. J’allais dire ce que vous savez déjà. Nous n’avons ni les frégates, les brise-glaces, la surveillance aérienne ni les infrastructures. Votre audit en brosse un tableau assez déprimant. Je me réjouis que le cadre de l’audit ait été national, parce que, d’après moi, c’est ce dont nous avions besoin.
Avez-vous une idée de l’échéancier pour corriger en partie cette situation ou des coûts financiers que ça entraînerait? Nous avons maintenant pris une vingtaine d’années de retard. Vous avez peut-être la réponse.
M. Hayes : Je dirais que lorsque nous présentons un rapport dans lequel nous indiquons qu’il existe des problèmes connus de longue date, cela revient à dire que nous sommes découragés de constater, par exemple, qu’il n’y a pas eu de progrès par rapport à des problèmes importants qui ont fait l’objet de recommandations du BGV ou qui ont été cernés par le gouvernement dans le passé. Dans cet audit, nous utilisons ces mots : « problèmes connus de longue date ».
Pour ce qui est de commentaires supplémentaires au sujet des coûts, nous avons constaté depuis le début de la pandémie de COVID-19 que certains éléments nécessaires à l’atteinte des objectifs d’un projet de construction, par exemple, comme la chaîne d’approvisionnement et la disponibilité des ressources — physiques ou humaines —, se font plus rares. Dans l’audit, nous soulignons que cela fait partie des raisons mentionnées par les ministères pour expliquer l’augmentation des coûts. À ce moment-ci, cela m’indique qu’il est urgent de prendre des mesures.
Nous n’avons pas été en mesure de définir des attentes quant à une date butoir pour que le gouvernement agisse. Cependant, considérant des choses comme le temps requis pour le remplacement de satellites appelés à se dégrader sur un horizon de 15 ans, comme le gouvernement le sait, il pourrait y avoir un écart important dans la capacité de surveiller ce qui se passe dans l’Arctique. Ensemble, ces éléments entraînent un problème plus important. Si vous avez des navires qui arriveront en fin de vie utile dans un certain temps et qu’il y a un délai avant la livraison de nouveaux navires, ou si vous avez des satellites ou des avions qui ne seront pas remplacés en temps opportun, nous perdons la capacité d’obtenir un portrait complet de la circulation dans l’Arctique.
Le mieux que je puisse dire, en ce moment, c’est que nous devons actionner tous les leviers possibles — quels qu’ils soient — afin que des mesures soient prises, car l’activité s’intensifie considérablement dans l’Arctique.
Le sénateur Richards : Merci beaucoup. C’est plus un commentaire qu’une question. J’ai presque peur qu’à certains moments, le gouvernement ou le Sud du Canada — et pas seulement le gouvernement, mais les gouvernements précédents aussi — n’ait pas les connaissances ou la volonté nécessaires pour s’occuper du Nord. C’est ce qu’indique votre rapport, en quelque sorte. Je vous remercie.
[Français]
Le sénateur Gignac : Bienvenue à nos témoins. J’ai parcouru le rapport en fin de semaine et j’ai trouvé cela très inquiétant, ce que vous dites. Cependant, pour les gens qui nous écoutent, je pense que c’est important de comprendre que vous signalez qu’il n’y a pas qu’une organisation fédérale qui est responsable de la surveillance des eaux arctiques; il y a plusieurs ministères.
Au bénéfice des gens nous regardent et nous écoutent, vous mentionnez que Pêches et Océans Canada, la Garde côtière canadienne, la Défense nationale et Transports Canada sont concernés. Il y a même Environnement et Changement climatique Canada qui va donner des renseignements sur l’eau et le climat. Finalement, il y a aussi Services publics et Approvisionnement Canada qui sera également engagé pour ce qui est de l’approvisionnement. Il y a beaucoup de monde.
Ce que je comprends, c’est qu’il n’y a personne de désigné pour en être responsable. Sans surprise, vous dites un peu plus loin que ce manque d’intégration entre les organisations est un enjeu. Vous saluez le travail que le Centre des opérations de la sûreté maritime d’Halifax joue, mais en même temps, il y a des carences sur le plan de la gouvernance et de la transmission des renseignements.
Ma question est donc la suivante : faudrait-il désigner un ministère qui serait responsable — peu importe lequel, car je n’ai pas les compétences pour déterminer cela? Tout le monde va se renvoyer la balle. À votre avis, est-ce qu’il devrait y avoir un ministère qui serait responsable et imputable?
M. Hayes : C’est une question de politique. Le gouvernement est organisé de façon à ce que les responsabilités des ministères et des ministres sont dans la Constitution du Canada. En tant que vérificateurs, nous nous penchons souvent sur les projets et les initiatives où il y a beaucoup de ministères et d’organisations qui sont responsables des parties d’une initiative.
La collaboration et l’intégration sont un aspect où nous trouvons des problèmes. Le gouvernement a des règles pour les initiatives horizontales. Ce n’est pas une de ses initiatives, mais quand il y a un grand impact comme ici, je pense qu’il est important pour le gouvernement de trouver des façons plus efficaces de collaborer.
Le sénateur Gignac : Si je peux me permettre, monsieur le président, quand c’est le contrôle de l’espace aérien, il est assez clair que le NORAD est dans le siège du conducteur. D’ailleurs, on aura l’occasion d’aller bientôt aux quartiers généraux du NORAD, au Colorado, dans les prochaines semaines.
Pour la surveillance des eaux arctiques, il me semble que tout le monde se renvoie la balle. On n’a même pas de sous-marin à propulsion nucléaire actuellement. On a des satellites en fin de vie, des brise-glace en fin de vie, des avions de surveillance en fin de vie. Moi, je me dis qu’il faudrait peut-être une organisation.
Je comprends que la situation est un peu délicate. Il faudrait peut-être regarder comment la Norvège, le Danemark et le Groenland fonctionnent. Est-ce qu’ils sont, comme nous, un peu désorganisés, ou est-ce que le contrôle des eaux arctiques est plus centralisé?
M. Hayes : Je vais demander à ma collègue de compléter ma réponse, au besoin, mais j’aimerais ajouter que nous avons vu qu’il y avait eu des occasions où la Défense nationale et la Garde côtière canadienne ont travaillé ensemble pour améliorer la communication, par exemple. Par contre, je ne connais pas la situation des autres pays.
Mme Thibaudeau : Effectivement, dans cet audit, on s’est concentré sur les mécanismes intérieurs, sur les eaux intérieures, et non sur les mécanismes internationaux.
Si je peux me permettre un ajout en ce qui concerne la collaboration interministérielle, la complexité de la surveillance des eaux arctiques vient évidemment, comme vous le savez, du fait que l’information est multifactorielle et provient de plusieurs sources. Donc, c’est un des points qui rend le problème complexe.
Le sénateur Gignac : Étant donné l’immensité du territoire, les satellites jouent un rôle important. Vous dites que les satellites de la mission de la Constellation RADARSAT ne sont pas en mesure de répondre aux demandes des organismes fédéraux, qu’ils vont atteindre leur fin de vie utile en 2026 et, si je ne m’abuse, qu’on ne pourra pas les remplacer avant au moins une décennie.
Je ne crois pas qu’on ira demander à la Chine ou à la Russie de nous aider. Devra-t-on demander aux Américains de nous fournir les images provenant de leurs satellites? Il y aura un laps de temps pendant lequel on sera dépendant. Le territoire est tellement vaste que cela prend des satellites pour suivre le traçage des bateaux, que ce soit des bateaux de pêche ou de croisière.
Est-ce qu’on vous a donné une idée de ce que sera la situation après 2026?
M. Hayes : Comme nous l’avons mentionné dans notre rapport, le gouvernement considère ses options; peut-être que l’information proviendra des satellites commerciaux, ou peut-être que les renseignements viendront de nos alliés. Toutefois, la surveillance des eaux arctiques comprend les satellites, les navires, les aéronefs et les collectivités côtières. Donc, selon nous, le gouvernement devrait avoir un plan pour remplacer ces satellites. Ce qui est troublant, c’est qu’il y aura peut-être un délai de 10 ans avant qu’un nouveau satellite soit mis en place.
Le sénateur Gignac : Merci.
Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à M. Hayes ainsi qu’à ses collaborateurs.
J’ai assisté à la présentation vidéo de votre rapport l’automne dernier — rapport que j’ai lu plus d’une fois — et je tiens à vous en féliciter. C’est un très bon rapport. Pour nous, c’est un intrant très important pour le comité. Votre rapport arrive vraiment à point nommé.
Il y a un sujet que vous n’avez pas traité, ce sont les sous-marins. Y a-t-il une raison particulière pour laquelle vous n’avez pas examiné l’état de nos sous-marins? Quand je vais sur le site du gouvernement, j’y lis que les sous-marins sont cachés, bien armés et capables de patrouiller sur de vastes distances.
On sait qu’il y a quatre sous-marins de la classe Victoria, en ce moment : le Victoria, le Corner Brooke, le Windsor et le Chicoutimi; mais on ne sait pas, par contre, s’ils sont opérationnels.
Est-ce qu’il y a une raison pour laquelle vous n’avez pas dressé un état de la situation de cette flotte, qui est quand même importante? Si on regarde ce que les Russes ont fait de leur côté en ce qui concerne leur présence par sous-marin, est-ce qu’on a un problème à ce point de vue?
Nicholas Swales, directeur principal, Bureau du vérificateur général du Canada : Nous avons mis l’accent sur les changements actuels qui sont visibles. On voit qu’il y a plus de navires qui arrivent dans nos eaux arctiques. Alors pour nous, la première question est de savoir ce qui se passe dans une situation dont on peut voir qu’elle est en croissance. C’est pour cela qu’on a mis l’accent sur la surface et pas sur la question des sous-marins, qui est une autre question à traiter, potentiellement dans le futur.
Le sénateur Boisvenu : Notre problème, c’est que nous faisons une étude sur la sécurité en Arctique. Cela veut dire qu’on n’a pas trop d’idée si ces sous-marins sont actuellement en état de navigation. Vous avez fait une bonne étude sur l’avionnerie, les navires flottants, mais en ce qui concerne la sécurité, les sous-marins sont une composante importante. Donc, si je comprends bien, on n’arrive pas à obtenir, au moyen de votre étude, un état de la situation.
M. Hayes : Nous n’avons pas évalué cet aspect.
Le sénateur Boisvenu : Je comprends. L’autre question que je veux vous poser — et votre rapport y fait référence — concerne les infrastructures, en dehors des sous-marins et des avions. On sait qu’on va multiplier par trois la flotte de navires qui vont circuler dans l’Arctique. Est-ce que nos infrastructures d’accueil — vous en parlez dans votre rapport — sont adéquates, en ce moment, pour recevoir cette nouvelle flotte d’ici 40 ans?
M. Hayes : Nous avons émis des constatations sur le projet d’infrastructure de Nanisivik. C’était une histoire tellement étonnante pour moi. Il y avait un budget de 260 millions de dollars coupé de moitié. Ce projet est en ce moment retardé, il sera peut-être opérationnel en 2024 ou 2025, mais seulement quatre semaines par année.
Le sénateur Boisvenu : Ces gros navires qui vont circuler dans le Nord pourraient tomber en panne.
M. Hayes : Oui.
Le sénateur Boisvenu : Est-ce qu’on aura un système de remorquage de ces bateaux vers le sud ou est-ce qu’il y aura des infrastructures qui pourraient permettre de réparer ces navires s’ils venaient à tomber en panne, soit parce qu’ils ont heurté un iceberg ou qu’ils ont frappé un autre navire? Actuellement, on ne dispose pas d’infrastructures majeures dans le Nord qui seraient en mesure de réparer ces navires en cas de bris majeur.
M. Hayes : Je pense que non, mais peut-être que Mme Thibaudeau peut compléter ma réponse.
Mme Thibaudeau : Notre compréhension, pour ce qui est du navire de patrouille extracôtier et de l’Arctique, est que le navire a pu bénéficier d’infrastructures des alliés pour aller se ravitailler.
Le sénateur Boisvenu : Est-ce que cela comprend les réparations?
Mme Thibaudeau : On n’a pas de détails à ce sujet, mais quand on parle d’options, c’est une solution qui a été utilisée par le passé.
Ce qu’on a examiné, ce sont les principaux projets en matière d’infrastructure, en ce qui concerne la sécurité des eaux arctiques. D’ailleurs, c’est là qu’on a commenté le projet de Nanisivik et la question des hangars, qui sont critiques aussi.
Le sénateur Boisvenu : L’autre sujet que vous traitez touche les ressources humaines. On sait que M. Hayes a déclaré récemment que l’état des troupes était d’environ 45 000 hommes alors que le plan du gouvernement est d’avoir 70 000 hommes. Ce ne sont pas 10 000 hommes ou femmes qui manquent, mais bien 25 000.
Avez-vous traité ce sujet? Avez-vous pu analyser le plan stratégique du gouvernement en vue de pourvoir ces postes vacants ou à venir?
M. Hayes : Nous n’avons pas examiné cette question dans cet audit, mais nous l’avons fait il y a cinq ou six ans.
Le sénateur Boisvenu : Est-ce que vous avez analysé cela en fonction des nouveaux navires qui vont arriver dans la flotte canadienne ou selon des informations d’il y a cinq ans?
M. Hayes : Je ne sais pas.
Mme Thibaudeau : Si je peux me permettre, monsieur le président. On a fait une vérification de l’audit sur le recrutement immédiat des effectifs dans les forces.
Cependant, l’audit ne portait pas sur le sujet de votre question. Celui-ci portait vraiment sur les mécanismes de recrutement et les politiques, les mécanismes de maintien des effectifs en vue, justement, d’arriver à atteindre l’objectif...
Le sénateur Boisvenu : Est-ce que vous pourriez soumettre ce rapport au comité?
M. Hayes : Oui, il est accessible au public sur notre site Web, mais nous pourrons transmettre le rapport au comité.
Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup.
[Traduction]
Le sénateur Klyne : Bienvenue à nos invités. Je vous remercie des observations que vous avez présentées jusqu’à maintenant.
Il semble que le thème récurrent — pour continuer dans cette veine —, c’est que ce rapport présente des conclusions très décevantes et très préoccupantes. Il est difficile de comprendre pourquoi les organismes fédéraux qui ont fait l’objet de l’audit n’ont pas pris les mesures nécessaires pour acquérir les connaissances requises du domaine maritime pour composer avec les risques inhérents pour la sécurité et la sûreté liés à l’augmentation de la circulation maritime dans les eaux arctiques. Les lacunes ont été cernées, elles étaient connues, mais aucune mesure adéquate n’a été prise pour y remédier. Il est tout à fait pertinent de demander pourquoi. Est-ce attribuable à l’absence d’habilitation, à un manque de conviction, à un manque de financement ou de ressources, ou à l’absence de conséquences? Ou encore, y a-t-il trop d’acteurs, mais sans mise en place de mécanismes de coordination efficaces pour favoriser l’échange de renseignements entre les organismes fédéraux et la capacité d’intervention en temps opportun en cas de risques pour la sécurité et la sûreté?
M. Hayes : Je vais commencer, puis mon collègue, M. Swales, voudra peut-être ajouter quelque chose. Le fait que ces problèmes soient connus depuis 2011, au moins, voire avant dans certains cas, nous indique que les causes ou les racines de ces problèmes existent depuis un certain temps. Pour les opérations en régions éloignées comme l’Arctique, on ne peut sous-estimer l’importance de prendre des décisions en temps opportun, en particulier pour le remplacement de la flotte et de l’équipement. Dans le cadre d’audits passés de la Stratégie nationale de construction navale, nous avons constaté des retards. Nous constatons que ces retards persistent, au point où il reste très peu de marge de manœuvre si nous voulons des navires pour remplacer les navires qui sont en fin de vie utile.
À ce stade, je ne saurais dire pourquoi le gouvernement n’a pu agir pour remplacer ces pièces d’équipement qu’il sait vieillissantes. Nous savons, grâce à nos travaux à d’autres égards, que le gouvernement a les fonds nécessaires pour la stratégie de construction navale. Nous savons que les coûts font l’objet d’une surveillance rigoureuse. Pour le moment, toutefois, je ne peux pas dire pourquoi rien n’a été fait.
M. Swales : Je n’ai pas grand-chose à ajouter, outre que nous présentons des observations sur diverses initiatives des différents ministères. Certaines initiatives ont progressé, d’autres non. La question est liée aux compétences respectives des ministères et à la collaboration entre les ministères.
Le sénateur Klyne : Dans la partie précédente, j’ai posé une question aux représentants de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada au sujet de la collaboration avec les collectivités autochtones. L’un des critères que vous avez retenus pour orienter votre audit était le suivant : « La collaboration avec les collectivités autochtones a été intégrée à l’acquisition d’une connaissance du domaine maritime en eaux arctiques. » Vous citez ensuite un certain nombre de sources. Cependant, lorsque j’ai interrogé les gens de RCAANC au sujet de l’intégration et de la participation des collectivités autochtones à l’acquisition d’une connaissance du domaine maritime, ils n’étaient pas au courant d’une telle participation ou collaboration. Cela signifie-t-il qu’elles n’ont pas participé?
M. Hayes : Nous avons fait référence à certains de ces éléments au paragraphe 6.27. En 2017, par exemple, Transports Canada a lancé l’Initiative de sensibilisation accrue aux activités maritimes et y a travaillé en collaboration avec les collectivités inuites locales. Il y a donc une certaine collaboration. Était-ce suffisant? Mes collègues seraient peut-être mieux placés pour le dire. Je dirais toutefois que si cet audit avait eu lieu à un autre moment, nous aurions aimé avoir l’occasion d’aller sur place pour discuter avec la population afin de bien saisir l’ampleur de la collaboration.
Le sénateur Klyne : Lorsque vous posez la question « Était-ce suffisant? », faites-vous référence aux sources que vous avez citées par rapport à ce critère?
M. Swales : Il s’agissait de déterminer si les activités et initiatives visant à corriger les lacunes qui avaient été cernées progressaient de manière satisfaisante. Au paragraphe 6.27, nous mentionnons que cela a pris beaucoup de temps. Les deux initiatives que nous avons examinées, menées en collaboration avec les collectivités autochtones depuis dix ans et six ans, respectivement, étaient seulement rendues à un stade relativement préliminaire. De notre point de vue, on ne peut parler de progrès rapides, étant donné que certaines lacunes que l’on cherche à corriger existent depuis longtemps.
Le sénateur Klyne : Merci.
Le sénateur Yussuff : Chers témoins, je vous remercie de votre présence et de votre audit très important.
Votre audit peut être abordé de deux façons. Je pourrais être très déprimé par l’état de la situation. On ne s’est jamais occupé des infrastructures en temps opportun dans ce pays. Parlez-en aux gens de la Fédération canadienne des municipalités. On vous racontera des histoires à vous faire dresser les cheveux sur la tête. On vous dira que les infrastructures municipales n’ont pas été mises à niveau pour affronter les défis auxquels nous sommes confrontés au pays.
Je vais vous demander de vous concentrer sur deux éléments. Le Système d’identification automatique, qui sert au suivi des grands navires en eaux canadiennes, est très important en cas d’accident, évidemment, mais il nous donne aussi une idée de la position des navires. Cependant, en fin de compte, il n’est pas utilisé pour l’ensemble des navires dans l’Arctique. Quelqu’un a-t-il clairement expliqué pourquoi il n’est pas utilisé pour l’ensemble des navires qui circulent dans l’Arctique ou seulement pour les grands navires?
M. Hayes : Nous savons qu’il n’est pas utilisé pour les petits navires, et M. Swales pourra peut-être expliquer pourquoi. Je pense que c’est simplement lié à la taille.
M. Swales : Oui. Les règles sont universelles, de sorte qu’elles ne s’appliquent pas non plus aux petits navires en eaux canadiennes ailleurs. Toutefois, la question est de savoir si la spécificité de l’Arctique justifie l’adoption d’une stratégie différente. C’est un aspect qui a été soulevé dans les études en cours depuis une dizaine d’années. Est-ce le bon régime pour l’Arctique? Il n’y a pas vraiment eu de décision définitive dans un sens ou dans l’autre.
Le sénateur Yussuff : Lorsque nous étions dans le Nord, on nous a parlé de touristes qui se perdaient en mer à bord de leurs petites embarcations, qu’il fallait secourir puis remettre sur la bonne route. La fonte de la banquise entraînera son lot de défis si les gens décident de partir en excursion de découverte.
L’autre aspect qui suscite beaucoup mon intérêt est, peut-être, un travail en cours. Dans le contexte de la multiplicité des ministères responsables de la surveillance de l’Arctique, vous avez clairement relevé l’absence d’action concertée. C’est très troublant, car si nous souhaitons avoir une stratégie cohérente en matière de surveillance des eaux du Nord, il faut que tous les ministères travaillent de façon très coordonnée. Dans un premier temps, cela nous aide à comprendre ce qui se passe là-bas, étant donné que tout le monde veut avoir accès à ces eaux. En outre, pourquoi les ministères n’ont-ils pas expliqué pourquoi leurs activités ne sont pas intégrées davantage?
M. Hayes : Nous avons fait des constatations et présenté des observations sur l’existence du Groupe de travail interministériel sur la sûreté maritime. Il y a aussi une certaine coordination des activités par l’intermédiaire des Centres d’opérations de sécurité maritime. Cependant, l’échange de renseignements et la gouvernance nous préoccupent.
Nous relevons souvent de tels problèmes dans nos audits, pas seulement dans celui-ci. L’échange de renseignements sur la santé durant la pandémie est un autre exemple de situation où l’échange de renseignements entre les ministères pourrait être amélioré. Cependant, dans le cas qui nous occupe, de toute évidence, avec un territoire aussi vaste que l’Arctique, il importe que l’échange de renseignements soit efficace si nous voulons avoir un portrait adéquat de la circulation des navires. Quant à votre exemple sur la présence de petites embarcations dans l’Arctique, il est plus difficile de faire un suivi dans ces eaux qu’ailleurs au pays.
Monsieur Swales, avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Swales : Je ne pense pas. Le problème de la présence de petits bateaux dans cet environnement est lié à la fragilité de la communauté. Les capacités d’intervention en cas de problème sont nettement moindres.
M. Hayes : Il y a peut-être aussi la question du coût des opérations de recherche et sauvetage dans la région. Dans notre rapport, nous donnons comme exemple le sauvetage très coûteux d’un bateau qui s’est échoué avec quelque 160 personnes à bord.
Le sénateur Yussuff : L’Arctique fond à un rythme très rapide, et dans cinq ou dix ans, peut-être... J’ignore dans combien de temps les eaux arctiques seront accessibles 365 jours par année. Nous savons que ce passage suscite l’intérêt de divers pays pour la navigation commerciale et l’acheminement de leurs marchandises vers les marchés. Cela a du sens sur les plans politique et économique. Le défi, bien sûr, c’est qu’en cas d’accident causant des dommages à l’environnement — et les collectivités des Premières Nations l’ont souligné avec insistance —, notre capacité d’intervention posera gravement problème. Avez-vous été en mesure de déterminer quelle serait notre capacité à composer avec les dommages environnementaux si un accident majeur survenait dans le Nord?
M. Hayes : Dans l’état actuel des choses, je dirais que les lacunes ainsi que la probabilité d’un délai entre la fin de vie utile de certains navires et la disponibilité de navires de remplacement soulignent la faiblesse considérable de notre capacité d’intervention dans le Nord, tant pour les opérations de recherche et sauvetage que pour l’assainissement ou le nettoyage de l’environnement.
Dans le rapport, nous avons mentionné que le trafic maritime a essentiellement triplé depuis 1990, et que la fonte de la couverture de glace marine en été se produit à un rythme très rapide. Quelles sont les probabilités que la circulation maritime augmente de manière marquée au cours des 15 prochaines années? J’utilise ce chiffre parce que j’établis un lien avec le délai des satellites. La réalité, en ce moment, c’est que nous sommes préoccupés par la capacité du gouvernement d’obtenir un portrait précis de la circulation maritime dans l’Arctique.
Le sénateur Yussuff : Nous avons fait un voyage dans le Nord. Je dois dire que rencontrer les gens des collectivités des Premières Nations et avoir l’occasion de faire une visite en leur compagnie afin d’avoir une compréhension plus concrète de leur réalité était une expérience enrichissante. J’encourage le vérificateur général à saisir cette occasion. Je pense aussi que les membres des Premières Nations vous diront qu’ils aimeraient que leurs vibrantes histoires et expériences soient intégrées dans votre rapport. Cela donne une perspective complètement différente de celle d’essayer d’imaginer ce qu’est le Nord en étant ici, au centre-ville d’Ottawa.
M. Hayes : Tout à fait. C’est avec plaisir que nous saisissons toutes les occasions possibles d’aller dans le Nord. Comme je l’ai déjà mentionné, le fait d’avoir le privilège d’agir également à titre de vérificateur général pour chacun des territoires nous donne une autre perspective. Nous tenons à dialoguer avec les Autochtones pour comprendre leurs points de vue, tant dans le cadre d’audits axés sur des domaines qui les touchent que d’audits qui portent en particulier sur les services et activités que leur offre le gouvernement.
Le sénateur Oh : Monsieur Hayes, je vous remercie, vous et vos collègues.
Ma question en recoupe peut-être d’autres. D’après les informations obtenues dans le cadre de l’audit, quelles infrastructures seront nécessaires dans les années à venir dans l’Arctique afin que nous ayons la capacité de surveiller et de contrôler le domaine maritime de l’Arctique canadien?
M. Hayes : Concernant l’infrastructure, je ferais un lien avec l’équipement nécessaire pour la surveillance de l’Arctique. Mon collègue voudra peut-être ajouter quelque chose à ce sujet par la suite.
Pour les avions, il faut évidemment un endroit où les réparer et les entreposer. Nous parlons de l’unique avion spécialisé de Transports Canada. Le soutien pour cet aéronef se trouve à Iqaluit, mais il n’a pas de hangar. Il y a donc un problème d’infrastructure pour la réparation et l’entretien de cet avion. De même, dans le contexte de l’utilisation future de drones ou d’avions automatisés sans pilote, un hangar sera également requis pour exploiter ces appareils efficacement dans le Nord.
Concernant l’installation de Nanisivik, nous avons constaté que l’élimination de certaines fonctionnalités et activités rend l’installation beaucoup moins utile. En fait, nous nous interrogeons sur la rentabilité de cette construction. En fin de compte, c’est lié à l’équipement nécessaire à la surveillance.
Les satellites seraient un autre élément. Je reconnais qu’il s’agit d’équipement, mais je considérerais que les satellites font aussi partie de l’infrastructure en raison de leur importance dans les activités de surveillance.
Le sénateur Oh : Quand j’étais à l’aéroport d’Iqaluit, à l’aérodrome, il y avait quelques hangars. Voulez-vous dire qu’il n’y en a pas suffisamment pour les utiliser?
M. Hayes : Le gouvernement du Canada peut utiliser ces hangars lorsqu’ils sont disponibles, mais ils ne lui appartiennent pas. C’est ce que j’ai compris à tout le moins. Si le gouvernement du Canada avait un hangar dont l’utilisation lui était réservée, il pourrait s’occuper de son avion consacré aux fins de Transports Canada, des drones et de ce genre de choses.
Le sénateur Oh : Merci.
Le sénateur Ravalia : Merci aux témoins d’être ici.
Dans quelle mesure les progrès de la technologie actuelle ont-ils une incidence sur la nécessité de revoir notre infrastructure historique en matière de surveillance dans l’Arctique? Vous avez fait allusion aux drones, aux caméras numériques à haute résolution dans les avions, à l’imagerie thermique, au suivi numérique des navires, aux véhicules sous-marins contrôlés à distance, aux sonars, et cetera. Pouvons-nous imaginer que, dans 10 ans, notre surveillance sera très différente de ce qu’elle est actuellement, et avez-vous examiné certains aspects de cette question?
M. Hayes : Encore une fois, je vais voir si mon collègue est d’accord avec moi ou non après cette réponse, mais je dirais que nous avons examiné les capacités dont nous disposons à l’heure actuelle et ce à quoi nous nous attendons qu’elles soient dans un avenir prévisible.
La réponse à votre question est compliquée car on pourrait toujours dire que la technologie progresse et que, si nous attendons juste encore un peu, nous aurons la prochaine meilleure option ou le prochain meilleur équipement. Cependant, lorsque vous arrivez à la fin de la durée de vie utile de votre équipement actuel, vous ne pouvez plus attendre. Le revers de la médaille est que si vous prenez des décisions en temps opportun, la mise à niveau devient parfois moins difficile. On le voit avec certaines mises à niveau technologiques. Je pense aux audits que nous avons réalisés dans le passé sur les avions de chasse et ce genre de choses pour illustrer ce point. Je dirais que l’on peut attendre éternellement une technologie émergente et se retrouver dans une situation où l’on a perdu la capacité de fonctionner efficacement.
Le sénateur Ravalia : Pensez-vous qu’il pourrait y avoir un rôle pour un partenariat public-privé? Je suis originaire de Terre-Neuve et, dans les régions rurales de cette province, Starlink a complètement révolutionné les communications pour les communautés éloignées et les personnes qui vivent dans des régions où la connectivité Internet était inconstante. En tant que gouvernement, pourrions-nous examiner ces types de partenariats avec des personnes comme Elon Musk et sa vision concernant l’imagerie satellite, la connectivité, et cetera?
M. Hayes : Les audits que nous avons réalisés dans le passé sur les PPP, les partenariats public-privé, ont vraiment mis en évidence l’importance de la gouvernance et d’une compréhension claire des responsabilités. En fait, M. Swales était, je crois, directeur de l’un d’entre eux ou administrateur — non, d’accord, c’était un autre directeur. Mais les recommandations que nous avons formulées dans ces audits concernaient toutes la gouvernance. C’est une option disponible pour le gouvernement. Je ne sais pas si c’est une option qu’il envisage. Je dirais simplement qu’il serait important de tirer les leçons des expériences passées dans le cadre de partenariats public-privé.
[Français]
Le sénateur Dagenais : J’ai une dernière question qui s’adresse à M. Hayes. Je voudrais revenir sur les brise-glace. On dit que le plan du gouvernement prévoit la construction de deux brise-glace dans deux chantiers différents. Il y a le chantier naval Seaspan, à Vancouver, et le chantier naval Davie, à Lévis. Mis à part le fait qu’on ne les aura pas avant 2030, et compte tenu de la situation actuelle, trouvez-vous qu’il est pertinent d’avoir deux chantiers?
Est-ce que cela ne risque pas d’augmenter les coûts et d’entraîner des problèmes de cohabitation avec deux navires qui ont été construits de façon différente?
M. Hayes : Je pense que cette décision avait été prise par le gouvernement après les négociations du contrat pour le chantier naval Seaspan. Le gouvernement avait déterminé qu’il faudrait ajouter le chantier naval Davie pour accroître la construction de brise-glace.
Le brise-glace polaire est un peu différent des autres, et on a eu l’idée que la construction de ce brise-glace se ferait dans les deux chantiers. C’est peut-être une façon de trouver différentes manières de construire ces brise-glace, mais je ne sais pas si cette décision augmente les coûts. Madame Thibaudeau, voulez-vous ajouter quelque chose?
Mme Thibaudeau : Je n’ai pas grand-chose à ajouter là-dessus, sinon que selon ce qui est prévu à l’heure actuelle pour les deux brise-glaces polaires, en principe, ils seront livrés à des dates assez rapprochées. Au-delà de cela, il s’agit d’une décision du gouvernement à savoir quel chantier construit quel navire.
Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, madame.
[Traduction]
Le président : Voilà qui nous amène à la fin de cette réunion. Je tiens à remercier sincèrement tous nos témoins d’aujourd’hui. Merci à vous, monsieur Hayes, madame Thibaudeau et monsieur Swales, de l’excellent rapport que vous avez fourni, juste à temps pour ce comité. Vous aurez remarqué, d’après la nature des questions, qu’il s’agit d’un groupe bien informé, qui travaille sur le sujet depuis plusieurs mois. Votre rapport a considérablement enrichi nos travaux et nos réflexions et, en ce qui concerne l’examen du calendrier de remplacement, il est extrêmement important. Merci du travail que vous faites chaque jour.
Je tiens également à remercier mes collègues membres du comité d’avoir convoqué les meilleurs témoins, que nos auditeurs ont sans aucun doute aimé entendre.
Vous aimeriez faire une remarque avant que nous mettions fin à la réunion?
M. Hayes : Je ferai une brève remarque finale fondée sur votre déclaration. En tant que bureau, nous voulons être pertinents pour les comités. Lorsque nous pouvons fournir un travail qui est lié aux études que vous avez en cours, c’est fantastique pour nous. Le moment était bien choisi. S’il y a un travail auquel vous pensez et que nous pourrions soutenir avec notre travail, nous serions très intéressés d’en entendre parler.
Le président : C’est très généreux de votre part. Vous avez un auditoire enthousiaste ici, alors nous pourrions bien vous prendre au mot.
Cela dit, nous allons mettre fin à la réunion. Notre prochaine réunion aura lieu le lundi 6 février, à notre heure habituelle de 16 heures, heure de l’Est. Sur ce, je vous remercie tous de votre participation enthousiaste et je vous souhaite une bonne soirée.
(La séance est levée.)