LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 8 juin 2023
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 11 h 31 (HE), avec vidéoconférence, afin d’examiner pour en faire rapport les questions qui pourraient survenir concernant les affaires sociales, la science et la technologie en général.
La sénatrice Ratna Omidvar (présidente) occupe le fauteuil.
[Note de la rédaction : Certains témoignages en espagnol ont été présentés par l’intermédiaire d’un interprète.]
[Traduction]
La présidente : J’aimerais commencer par souhaiter la bienvenue aux membres du comité, aux témoins et au public qui regarde notre réunion. Je m’appelle Ratna Omidvar. Je suis une sénatrice de l’Ontario et présidente de ce comité. Avant d’entamer nos discussions, puis-je demander à mes collègues de se présenter?
La sénatrice Osler : Gigi Osler, du Manitoba.
La sénatrice Burey : Sharon Burey, sénatrice de l’Ontario.
La sénatrice Moodie : Rosemary Moodie, de Toronto, en Ontario.
La sénatrice Bernard : Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, sénatrice du Québec.
[Traduction]
La sénatrice McPhedran : Marilou McPhedran, du Manitoba.
La sénatrice Dasko : Sénatrice Donna Dasko, de l’Ontario.
La présidente : Merci beaucoup, chères collègues.
Pour notre premier groupe de témoins, nous accueillons aujourd’hui par vidéoconférence Jeff Loder, directeur général de l’Association of Seafood Producers; Jerry Gavin, directeur général de la Prince Edward Island Seafood Processors Association; et Nat Richard, directeur général de l’Association des transformateurs de homard. C’est la journée des fruits de mer. Merci d’être des nôtres. Je rappelle aux témoins que vous aurez chacun cinq minutes pour faire votre déclaration liminaire, après quoi les sénatrices vous poseront des questions.
Monsieur Loder, vous avez la parole.
Jeff Loder, directeur général, Association of Seafood Producers : Merci madame la présidente, et merci aux membres du comité.
L’Association of Seafood Producers est la principale association commerciale du secteur des produits de la mer; elle représente les producteurs de Terre-Neuve-et-Labrador et regroupe 25 sociétés dans la province, qui emploient plus de 5 000 personnes réparties dans 50 sites de transformation en milieu rural terre-neuvien, dont c’est essentiellement le moteur économique.
Les espèces produites par nos membres comprennent le crabe des neiges, le homard, la morue, la crevette nordique, le capelan, le concombre de mer et d’autres poissons de fond et espèces pélagiques.
La valeur des exportations de produits du poisson et de la mer par les producteurs de la province en 2022 était de 1,2 milliard de dollars, dont 760 millions de dollars uniquement pour le crabe des neiges. En 2022, les producteurs de produits de la mer de Terre-Neuve employaient plus de 450 travailleurs étrangers temporaires. Ces travailleurs viennent essentiellement du Mexique, de Taïwan et des Philippines. Les travailleurs étrangers temporaires sont traités avec le même respect que tous les employés de l’industrie terre-neuvienne de la pêche et tous ceux employés par les producteurs de produits de la mer.
C’est une question de fierté terre-neuvienne, et notre association va continuer de travailler avec ses membres pour veiller à ce que ce groupe vital de notre main-d’œuvre soit le bienvenu et continue de jouer un rôle important dans notre industrie de la pêche.
Le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador prévoit une croissance de sa population de 2022 à 2037, le solde migratoire positif devant compenser le déclin naturel de la population.
Toutefois, le déclin naturel de la population à long terme devrait maintenir une pression à la baisse sur la population et la main-d’œuvre dans la province. Ajoutez à cela l’évolution des préférences au sein de la main-d’œuvre et les travailleurs étrangers temporaires vont jouer un rôle de plus en plus important dans l’industrie terre-neuvienne de la pêche et des produits de la mer. Nous sommes extrêmement reconnaissants aux travailleurs étrangers temporaires pour leur contribution à la création de valeur dans l’industrie terre-neuvienne de la pêche.
Comme c’est le cas avec toutes les politiques, le Programme des travailleurs étrangers temporaires actuel devrait être revu à intervalles réguliers pour veiller à l’optimisation des avantages mutuels qui sous-tendent les programmes relatifs aux travailleurs étrangers temporaires et pour veiller à ce qu’ils reçoivent le respect qu’ils méritent et soient traités comme il se doit.
Beaucoup de producteurs terre-neuviens ont diverses usines de transformation pour différentes espèces à l’échelle de la province, et il serait très bénéfique d’avoir un processus de demande générale pour les travailleurs étrangers temporaires afin qu’ils puissent se déplacer partout dans l’île afin d’aller là où on a besoin d’eux et, s’ils le souhaitent, là où ils peuvent obtenir plus de travail. Actuellement, nous devons faire une demande par emplacement et par région.
De plus, le coût de la demande et de tout le processus de demande est très élevé. Comme vous le savez, il y a des coûts qui s’ajoutent à celui de la demande, y compris les assurances, le voyage au Canada et les coûts pour le retour, et le transport pendant le séjour dans la province. Les coûts doivent être revus et discutés dans l’optique d’assurer leur équité et leur incidence directe sur les coûts de prestation des programmes en tenant du fait que, si les coûts du programme sont prohibitifs, cela mine son utilité du point de vue de la politique publique.
D’autres programmes sont également nécessaires, y compris des programmes d’éducation, de préférence en ligne, pour l’apprentissage de la langue, ce qui serait extrêmement bénéfique aux travailleurs étrangers temporaires.
Des programmes pour les travailleurs étrangers temporaires qui sont adéquatement conçus s’avèrent essentiels au maintien de la main-d’œuvre nécessaire à la création de valeur dans l’industrie de la pêche dont tant de Terre-Neuviens et de Labradoriens dépendent. L’objectif doit toujours être de créer de la valeur pour les travailleurs étrangers temporaires et l’industrie qui les emploie.
Pour conclure, j’aimerais dire qu’il y a eu un retard important dans notre secteur de pêche le plus important de Terre-Neuve cette année. Les producteurs et membres de notre association continuent de payer les travailleurs étrangers temporaires et ont pris des mesures bien précises pour remédier au fait que les pêcheurs dans cette province avaient décidé de ne pas sortir, ce qui s’est traduit par un manque de travail.
Pour notre association, ce moment est une grande source de fierté. Quand l’impasse a été dénouée, la joie chez l’ensemble de nos 5 000 travailleurs, dont 450 sont des travailleurs étrangers temporaires, a été l’un des résultats les plus positifs. Ils ont publiquement dit être extrêmement heureux de pouvoir travailler et d’être à Terre-Neuve-et-Labrador.
Merci, madame la présidente.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Loder.
Monsieur Gavin, allez-y.
Jerry Gavin, directeur général, Prince Edward Island Seafood Processors Association : Merci, madame la présidente. La Prince Edward Island Seafood Processors Association souhaite remercier le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie pour son invitation à comparaître pour discuter des travailleurs étrangers temporaires et pour insister sur l’importance du rôle de ces travailleurs dans le maintien de la viabilité et de la prospérité de l’industrie des fruits de mer ici, à l’Île-du-Prince-Édouard.
Comme je n’ai que cinq minutes pour faire une courte déclaration, je crois que la meilleure approche est de vous énoncer quelques faits et préoccupations clés à propos de la transformation des fruits de mer à l’Île-du-Prince-Édouard.
Notre association représente 14 transformateurs de homard et de moules qui emploient plus de 2 300 travailleurs. La valeur des exportations de homard en 2021 dépassait les 408 millions de dollars, tandis que celle des exportations de moules et d’huîtres en 2021 s’établissait à 41 millions et à 23 millions de dollars respectivement. Ces chiffres ne comprennent pas les produits de la mer exportés par l’intermédiaire de courtiers d’autres provinces des Maritimes.
Vu le vieillissement de la main-d’œuvre, beaucoup de nos travailleurs locaux prennent leur retraite et sont remplacés par des travailleurs étrangers temporaires ou des résidents permanents. Tous les transformateurs de homard, sauf un petit exploitant, emploient des travailleurs étrangers temporaires. Dans le secteur des fruits de mer, ces travailleurs étaient 630 en 2021 et 675 en 2022. On s’attend à ce qu’ils dépassent les 700 cette année.
En 2022, 49 % des travailleurs étrangers temporaires à l’Île‑du-Prince-Édouard travaillaient dans le secteur de la transformation des fruits de mer. En raison de la grave pénurie de main-d’œuvre locale, les travailleurs étrangers temporaires doivent occuper des postes supérieurs, tels que des postes de superviseur, de chef d’équipe, de conducteur de chariot élévateur, etc. Le programme doit offrir la souplesse nécessaire pour nous permettre d’embaucher ces travailleurs dans de tels postes.
De nombreux travailleurs étrangers temporaires, particulièrement ceux des Philippines, sont devenus des résidents permanents. À West Prince, où j’habite et où on compte trois usines de transformation du homard, environ 500 travailleurs étrangers temporaires ont obtenu la résidence permanente. Cela entraîne des retombées positives d’ordre social et économique sur nos collectivités rurales. Ce phénomène se produit également dans une moindre mesure dans d’autres collectivités rurales de la province, mais je n’ai pas de chiffres exacts à vous fournir aujourd’hui à cet égard.
Approximativement 60 % de notre main-d’œuvre se compose de travailleurs étrangers temporaires et de résidents permanents, et cette proportion est en augmentation. Étant donné que la transformation du homard est une activité principalement saisonnière, nous aurons toujours besoin de travailleurs saisonniers, issus de la main-d’œuvre locale et de l’étranger.
Il y a des travailleurs étrangers temporaires qui reviennent à l’Île-du-Prince-Édouard chaque année pour gagner de l’argent en vue de subvenir aux besoins de leurs familles dans leurs pays d’origine. Ils n’ont pas l’intention de s’établir dans la province, mais ils y reviennent chaque année comme travailleurs saisonniers. Ils sont comme les habitants de notre province qui vont travailler dans le secteur pétrolier en Alberta.
La transformation des moules et des huîtres a lieu presque toute l’année, mais le recours à des employés saisonniers est nécessaire dans ce secteur durant les périodes de pointe. Les membres de notre association trouvent que le Programme des travailleurs étrangers temporaires occasionne des coûts élevés et un lourd fardeau administratif. Nous sommes heureux des changements qui ont été apportés récemment à ce programme. Cependant, nous attendons avec impatience d’autres améliorations, particulièrement des améliorations qui feront en sorte de réduire les coûts et les tracasseries administratives.
Nous sommes ravis que nos membres et des représentants de notre association puissent participer à des réunions trimestrielles avec des représentants du gouvernement fédéral pour discuter du Programme des travailleurs étrangers temporaires et d’éventuelles améliorations à y apporter. Nous trouvons cela très utile et nous tenons à remercier les représentants du gouvernement fédéral pour la transparence dont ils font preuve et leur volonté à trouver des solutions.
Sans l’industrie de la transformation des fruits de mer de l’Île-du-Prince-Édouard, nos 1 200 pêcheurs de homard et nos plus de 500 producteurs et pêcheurs d’huîtres ne seraient pas en mesure de vendre leurs produits. Entre 30 et 40 % de tous les homards pêchés sont transformés au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse. Nous sommes donc inextricablement liés à nos partenaires des Maritimes, ce qui signifie que les solutions et les améliorations doivent être d’ordre régional.
L’un des principaux obstacles au développement durable dans nos collectivités côtières est la pénurie de logements qui touche l’ensemble des habitants de la province, y compris les résidents permanents et les travailleurs étrangers temporaires. Ce problème s’aggrave d’année en année. De nombreux transformateurs, bien qu’ils aient hésité à le faire, sont devenus propriétaires de logements qu’ils fournissent à leurs travailleurs étrangers temporaires et, dans certains cas, à leurs travailleurs qui ont le statut de résident permanent. Les transformateurs qui deviennent des propriétaires en dernier recours font face à de nombreuses difficultés et disposent de moins de temps pour se concentrer sur leurs principales activités. De nombreux transformateurs ont affirmé ne pas vouloir être propriétaires, mais ont dit ne pas avoir le choix. Nous avons besoin de solutions novatrices et intégrées pour remédier à nos problèmes en matière de logement.
Notre association appuie toutes les mesures législatives et les politiques concernant les travailleurs étrangers temporaires et elle a récemment exprimé son appui à l’égard d’une nouvelle loi provinciale reliée à la protection des travailleurs étrangers temporaires. Nous encourageons l’application continue de l’ensemble des lois et règlements dans ce domaine.
Bien que l’innovation, l’automatisation et l’intelligence artificielle aideront à atténuer les pressions en matière de main‑d’œuvre, le secteur de la transformation des fruits de mer aura toujours besoin d’une main-d’œuvre composée de travailleurs étrangers temporaires, de résidents permanents et de travailleurs locaux, dont le nombre est en déclin. Nous devons nous assurer que les travailleurs étrangers temporaires sont toujours traités équitablement, car sans eux, nos secteurs de la pêche et de la transformation des fruits de mer ne peuvent pas survivre.
Merci.
La présidente : Je vous remercie beaucoup. Nous allons maintenant entendre M. Nat Richard de l’Association des transformateurs de homard.
Nat Richard, directeur général, Association des transformateurs de homard : Merci, madame la présidente et honorables sénateurs. Je vous remercie de l’invitation à comparaître. Je n’ai pas préparé d’allocution, alors mes propos préliminaires seront brefs. Je préfère passer davantage de temps à échanger avec vous et à répondre à vos questions.
Je vais dire quelques mots au sujet de l’Association des transformateurs de homard. Nous représentons 23 exploitations de transformation du homard dans l’ensemble des Maritimes. Je devrais plutôt parler d’entreprises de transformation, car, bien sûr, un grand nombre de nos membres possèdent plusieurs usines de transformation. Ensemble, ils possèdent, je crois, aux alentours de 36 usines de transformation.
Comme M. Gavin et M. Loder l’ont laissé entendre, l’industrie du homard est une industrie massive dans l’Est du Canada, dans les Maritimes en particulier, et elle est en croissance à Terre‑Neuve et au Québec également. Il y a lieu de souligner qu’en 2021, l’industrie du homard a généré à elle seule 3,2 milliards de dollars en exportations. En ce qui a trait à l’industrie du crabe, c’était probablement environ 1,5 milliard de dollars cette année‑là.
Je dois dire honnêtement que j’ai un sentiment de frustration. Je ne sais même pas si nos gouvernements provinciaux saisissent à quel point les industries du crabe, du homard et des fruits de mer sont importantes pour l’économie sur le plan des exportations et de la création d’emplois. Elles ont une énorme importance. J’ai dit récemment à mes collègues que, en tenant compte de la population, la valeur des exportations est comparable au secteur de l’automobile de l’Ontario. Ces industries sont à ce point importantes dans l’Est du Canada.
Je travaille dans l’industrie depuis 13 ans. Durant les 10 premières années de ma carrière, j’ai travaillé directement pour de grands transformateurs, alors je connais très bien le Programme des travailleurs étrangers temporaires. Même lorsque je travaillais pour des transformateurs, je participais à la défense des intérêts des travailleurs, et maintenant je participe largement, bien sûr, à toutes les discussions à ce sujet dans le cadre de mon rôle actuel.
Il ne fait absolument aucun doute que la main-d’œuvre constitue un énorme problème dans notre secteur. Ce n’est pas nouveau. C’est un problème qui existe depuis des décennies. Par conséquent, presque tous les transformateurs de homard s’emploient activement à recruter des travailleurs étrangers temporaires pour appuyer la main-d’œuvre locale. Il importe toutefois de mentionner que la vaste majorité de nos travailleurs sont des Canadiens.
J’ajouterais que, comme M. Gavin l’a mentionné, nous avons vu, surtout dans les dernières années, de plus en plus de travailleurs étrangers temporaires devenir des résidents permanents du Canada. Nous observons ce phénomène, comme M. Gavin l’a souligné, dans l’ouest de l’Île-du-Prince-Édouard et dans le sud-est du Nouveau-Brunswick. Par ailleurs, nous avons plus d’outils stratégiques que jamais à notre disposition. Je pense à des programmes comme le Programme d’immigration au Canada atlantique, qui était un programme pilote et qui est maintenant un programme permanent, et aux volets des candidats des provinces. Ces programmes posent de réelles difficultés, dont nous pourrons discuter plus tard, notamment en ce qui a trait à notre capacité de bénéficier de ces programmes. Ils posent de réelles difficultés en raison de la nature de notre industrie et des critères de participation. Je pense tout de même qu’il s’agit de bons programmes en ce sens qu’ils favorisent l’immigration dans de nombreuses collectivités rurales et côtières. Je suis fier de dire que la hausse de l’immigration dans ces collectivités est attribuable en grande partie au secteur des fruits de mer.
Je dois dire aussi que je suis très fier de façon générale. L’industrie a vécu trois années très difficiles durant la pandémie. Je me souviens qu’au printemps 2020, nous avons vu toutes sortes d’industries en Amérique du Nord et en Europe complètement paralysées par d’importantes éclosions de COVID. Je suis très fier de notre industrie. Nous sommes largement intervenus à une période où, dois-je dire honnêtement, nous étions confrontés à une très grande incertitude. Nous avons investi massivement pour rendre nos usines et nos collectivités sécuritaires. Nous avons travaillé activement pour participer à des programmes comme les programmes des tests rapides et de vaccination précoce.
Ces efforts nous ont permis d’éviter des problèmes importants reliés à la COVID. Nous avons pu pêcher. Honnêtement, par moments, nous ne savions même pas si nous pourrions mener nos activités de pêche dans le respect des règles et si nous pourrions vendre notre produit. Je suis très fier de notre bilan. Je sais que nos mesures ont été remises en question par certains, mais je le répète, je suis très fier de la façon dont nous sommes intervenus et dont nous avons affronté les difficultés.
Je vais m’arrêter là. Certaines questions ont également été soulevées à propos du travail effectué par l’Institut Cooper. Je serai ravi de répondre à vos questions concernant des points précis qui ont été soulevés, que ce soit durant des réunions précédentes ou dans les médias.
La présidente : Merci, monsieur Richard. Nous allons maintenant passer aux questions. Chacun disposera de quatre minutes. Nous allons commencer par la vice-présidente du comité, la sénatrice Cordy.
La sénatrice Cordy : Je vous remercie beaucoup. Je viens de la Nouvelle-Écosse, alors je suis bien au fait de certaines des préoccupations que vous avez soulevées, et je vous remercie. Vos commentaires relèvent tous du gros bon sens et vous vous êtes exprimés de façon très succincte. Je dispose de seulement quatre minutes, alors je dois faire vite.
Premièrement, monsieur Loder, vous avez parlé du formulaire de demande de travailleurs étrangers temporaires. Ce formulaire devrait être simplifié pour faire en sorte que les travailleurs qui viennent au Canada puissent se déplacer et ne soient pas obligés de rester à un endroit en particulier, que ce soit uniquement à l’Île-du-Prince-Édouard ou une autre région dans les Maritimes.
Monsieur Gavin, vous avez parlé de la nécessité que les activités de transformation aient lieu dans les Maritimes, mais pas seulement à l’Île-du-Prince-Édouard, particulièrement en ce qui concerne le homard.
Qu’est-ce qui devrait changer? Quels changements devraient être apportés afin que les travailleurs puissent se déplacer dans la région, sans que cela nuise aux employeurs qui ont consacré des sommes importantes… et cela constitue certes une autre question reliée à la simplification. Comment offrir cette souplesse en évitant que des travailleurs étrangers temporaires se déplacent, disons, de la Nouvelle-Écosse à l’Île-du-Prince-Édouard ou qu’ils se rendent ailleurs après qu’une entreprise ait déboursé une certaine somme pour les faire venir ici? Comment offrir une certaine souplesse tout en tenant compte de l’aspect financier, qui, comme vous l’avez déjà mentionné, devrait faire l’objet d’un examen?
M. Loder : Je serai ravi de répondre brièvement. Dans le secteur de la transformation à Terre-Neuve-et-Labrador, la plupart des grands transformateurs possèdent entre 3 et 10 usines de transformation. Ils disposent donc d’une capacité donnée de transformation de la matière première pour l’ensemble de leurs usines. Les produits sont acheminés à ces usines à partir de plus de 250 endroits à Terre-Neuve. Pour diverses raisons — reliées à la météo ou à différentes capacités de production à divers moments de l’année — il faut accroître la production dans une usine par rapport à une autre. Il est question d’une production globale.
Toutefois, le programme exige que le transformateur présente une demande pour une usine en particulier, même s’il en possède trois, par exemple, à la baie St. Mary’s, à Terre-Neuve. Le déplacement de ces travailleurs est donc limité.
Nous ne parlons pas de déplacements d’une province à une autre. Je comprends parfaitement que c’est bien plus complexe. Il y a beaucoup d’éléments à prendre en considération. Toutefois, pourquoi n’est-il pas possible qu’un travailleur à Old Perlican, à Terre-Neuve, se déplace à St. Lawrence ou à un autre endroit situé à seulement quelques heures de route? Cette interdiction me paraît inutile.
La sénatrice Cordy : Merci. Parfois, le gros bon sens fait défaut, n’est-ce pas?
Monsieur Gavin, vous avez soulevé un point semblable concernant le fait que les travailleurs doivent occuper le même poste ou rester dans la même usine de transformation. Souvent, vous voulez affecter un travailleur à un poste supérieur, mais vous ne pouvez pas toujours le faire. Vous voulez peut-être lui attribuer un rôle de superviseur, mais ce n’est pas permis. Vous avez expliqué qu’il faut davantage de souplesse à cet égard. Pouvez-vous en dire un peu plus long à ce sujet?
M. Gavin : Oui. Comme je l’ai dit, la pénurie de main-d’œuvre actuelle est grave. Il n’y a pas de travailleurs locaux disposés à occuper des postes de superviseur et des emplois hautement spécialisés. En raison de l’Étude d’impact sur le marché du travail, l’EIMT, le programme est axé sur des emplois nécessitant peu de compétences. Comme c’est souvent le cas, le diable est dans les détails.
De notre côté, nous enfreignons les règles si nous embauchons un travailleur pour pourvoir un poste subalterne et que cette personne se retrouve à occuper un poste de superviseur ou de contrôleur de la qualité. J’espère que c’est un aspect sur lequel nous pourrons travailler avec le gouvernement fédéral afin d’y apporter des changements.
Souvent, nous trouvons que le Programme des travailleurs étrangers temporaires est passablement rigide. Il est sans doute ainsi pour des raisons évidentes, mais à mesure qu’il évolue et que les besoins continuent d’augmenter, nous souhaiterions qu’il devienne plus souple.
La sénatrice Osler : Je remercie les témoins pour leurs témoignages aujourd’hui. J’aimerais mieux comprendre ce que rapporte l’embauche d’un travailleur étranger temporaire.
Je sais que les membres du comité aimeraient aussi savoir ce qu’il en coûte à un employeur pour participer au Programme des travailleurs étrangers temporaires. J’ai deux questions à poser. L’un des trois témoins peut y répondre.
Voici ma première question : Est-ce que l’employeur doit assumer les coûts des soins de santé, du logement et du voyage? Ma deuxième question est la suivante : Est-ce que des retenues sont effectuées sur la paye des travailleurs immigrants?
M. Richard : Les coûts sont importants. Beaucoup de fausses idées circulent à ce sujet. On entend parfois les gens dire que tout est subventionné par le gouvernement, etc. Les employeurs qui participent à ce programme ne le font pas à la légère. Il s’agit d’un programme extrêmement complexe et y participer coûte très cher. L’un des « griefs » que nous avons dans le secteur des produits de la mer depuis longtemps — ce n’est qu’un petit exemple — a trait aux frais de traitement de 1 000 $ que nous devons payer pour chaque travailleur. À ma connaissance, les employeurs du secteur agricole n’ont jamais eu à payer de tels frais, mais il y a beaucoup d’autres coûts qui s’ajoutent à cela.
Une autre difficulté est liée au coût initial. Comme vous le savez certainement, nous devons payer les frais de déplacement des travailleurs. Actuellement, un aller simple depuis le Mexique peut coûter entre 1 500 et 2 000 $. Des membres m’ont dit que le coût du voyage depuis les Philippines pouvait atteindre 5 000 $. C’est une somme très importante.
Il y a aussi les frais de traitement des permis de travail. Nous avons l’obligation de fournir une assurance privée équivalente à l’assurance‑maladie, car, dans certaines provinces, l’assurance‑maladie ne prend effet qu’après un certain temps. Ces frais peuvent également être considérables. Selon le fournisseur, les frais peuvent osciller entre 500 et 700 $ par travailleur.
De plus — je suis tout à fait d’accord avec M. Loder —, nous avons un énorme défi à relever en matière de logement. Ce n’est pas une situation unique à nos collectivités dans les Maritimes ou l’Atlantique, mais il reste que c’est un énorme défi pour nos collectivités.
Le logement est réglementé de façon très stricte. Nous devons respecter les lignes directrices très rigoureuses de la Société canadienne d’hypothèques et de logement qui définissent ce qu’est un logement convenable et adéquat. Malheureusement, beaucoup de nos membres ont dû investir massivement dans le logement pour pouvoir accueillir des travailleurs.
La fin de semaine dernière, j’ai rendu visite à un membre de la région. Il vient d’ouvrir un tout nouveau complexe de logements qui lui a coûté 5 millions de dollars. Il n’avait pas le choix de le construire. La pénurie de logements est grave dans bon nombre de nos collectivités rurales et côtières. Nous savons que nous avons l’obligation d’offrir de bonnes options de logement, et malheureusement, elles sont rares. J’espère que cela répond à votre question
La sénatrice Osler : Avez-vous des réponses à la deuxième question concernant la rétention de salaire du travailleur migrant par l’employeur pour récupérer l’ensemble ou une partie des coûts?
M. Richard : Non, pas à ma connaissance. Je ne crois pas que ce soit permis dans le cadre du programme. Parfois, les travailleurs peuvent payer...
La présidente : Je vous remercie, monsieur Richard. J’ai une question complémentaire à celle qu’a posée la sénatrice Osler. Je comprends ce que vous avez dit à propos des frais que l’employeur doit payer pour recruter des travailleurs étrangers temporaires, mais il existe un contre-argument. À la base, le gouvernement subventionne l’industrie en s’assurant que vous avez accès à des travailleurs à faible revenu au lieu de simplement permettre à la concurrence des salaires de suivre la tendance qu’elle suit lorsqu’il y a un problème d’offre et de demande.
M. Richard : En fait, au cours des cinq dernières années, les salaires moyens payés par nos membres dans notre industrie ont augmenté de façon très importante, et les salaires dépassent le salaire minimum en vigueur dans les trois provinces des Maritimes.
La triste réalité est que, quels que soient les salaires, nous avons un problème systémique et nous sommes incapables de trouver une main-d’œuvre adéquate dans nos collectivités locales. Il s’agit là d’un sujet plus large qui a trait à notre démographie, à notre population vieillissante.
La présidente : Monsieur Richard, est-ce que je peux vous poser une question rapide? Les travailleurs étrangers temporaires reçoivent-ils un salaire différent de celui qui est versé aux autres travailleurs?
M. Richard : Les salaires ne sont pas différents, et il n’est pas permis de verser des salaires différents dans le cadre du programme. Il s’agit d’une question que je voulais soulever. Nous en avons parlé lors d’une réunion précédente.
Ce programme est rigoureusement réglementé. Les membres de notre association font régulièrement l’objet d’audits et d’inspections à l’improviste. Les inspecteurs du gouvernement examinent les feuilles de paye. Lorsqu’ils se présentent pour une visite en personne, ils restent habituellement pour deux jours. Ils mèneront des entretiens confidentiels avec au moins 15 travailleurs. Ils peuvent aussi inspecter les logements pour s’assurer qu’ils sont convenables.
On semblait croire que les inspections étaient volontaires. Je ne sais pas si c’est différent dans le secteur agricole, mais je peux vous confirmer qu’elles ne sont pas volontaires, et qu’il y en a régulièrement. Je peux en témoigner, car j’ai pris part à bon nombre de ces inspections.
La présidente : Les membres de ce comité vont participer à une mission d’information au Nouveau-Brunswick et à l’Île-du-Prince-Édouard, et nous serons en mesure de le voir de nos propres yeux.
La sénatrice Bernard : Je vous remercie de vos témoignages et de vos réponses jusqu’à présent. Personne n’a encore parlé de la place donnée aux étudiants étrangers. Je me demande donc si l’un d’entre vous pourrait nous parler du rôle — s’il y en a un — que peuvent jouer les étudiants étrangers pour combler les écarts salariaux qui existent.
M. Loder : J’aimerais fournir une réponse rapide à cette question et faire le lien avec les commentaires formulés par la présidente à propos du contre-argument. Bien franchement, il n’y a pas d’étudiants étrangers, à Terre-Neuve, qui seraient disposés à travailler dans une région rurale et gagner un salaire qui lui donne entre 18 et 23 dollars canadiens l’heure.
Dans la plupart de ces collectivités rurales, on compte entre 80 et 400 à 500 personnes. Il n’existe pas d’autre bassin de main‑d’œuvre, et c’est un gros problème. Il n’y a pas de concurrence. Personne ne peut pourvoir ces postes vacants. Il n’y a personne que nous puissions embaucher, et d’autres éléments s’ajoutent à cette situation, comme le caractère saisonnier du travail.
Cette année, la saison de la pêche au crabe a débuté avec six semaines de retard. Nous avons connu une importante pénurie de main-d’œuvre. Nous avons publié des annonces, mais avant de pouvoir penser à embaucher des travailleurs étrangers temporaires, il faut d’abord essayer d’embaucher des gens du coin. Il n’y a tout simplement pas de travailleurs, et ce pour différentes raisons. Je ne suis pas expert en la matière, mais je peux vous dire que tous nos membres seraient très heureux d’embaucher toute personne qui se présenterait et qui serait disposée et capable de travailler. Le problème, c’est que personne ne veut le faire.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup. J’ai plusieurs questions, mais je vais reprendre des propos que l’on vient d’entendre. M. Loder a dit qu’on manquait de travailleurs locaux qui sont prêts à faire ce travail.
Je comprends donc qu’il y a des gens sur place qui sont disponibles, mais ils ne veulent pas faire ce travail parce que c’est trop exigeant et parce que les conditions sont très difficiles. Qu’est-ce qui explique cela? Est-ce que vous dites plutôt qu’il n’y a personne qui est disponible à l’échelle locale?
[Traduction]
M. Loder : Je n’ai pas dit que les conditions étaient inadéquates.
La sénatrice Petitclerc : D’accord.
M. Loder : Dans une collectivité rurale de Terre-Neuve où l’on trouve une usine de transformation du poisson — qui est le principal employeur —, il n’y a que 700 habitants dans un rayon de 50 kilomètres. Il n’y a tout simplement pas de bassin de main‑d’œuvre dans lequel puiser. La majorité des travailleurs d’usine à Terre-Neuve sont âgés de 55 à 70 ans. Il s’agit de travailleurs en transition.
Ce problème touche tout le monde à Terre-Neuve, et ce, dans tous les secteurs. Si vous connaissez des gens qui cherchent du travail, je vous prierais de m’envoyer leurs noms. Ils auront un emploi. Le problème, c’est que nous ne savons pas où se trouvent les travailleurs.
Les étudiants étrangers vont à l’université pour obtenir un diplôme de maîtrise et ils se concentrent sur ce volet du marché du travail. Ils ne veulent pas travailler dans notre secteur. Nous ne devrions pas hésiter à faire tout ce que nous pouvons, ensemble, pour accroître la main-d’œuvre dans notre secteur.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup pour les précisions.
M. Richard : J’ajouterais qu’on entretient de bons rapports avec nos collègues québécois aussi. En Gaspésie et aux Îles-de-la-Madeleine, ils font face au même défi que nous. On a une pénurie de main-d’œuvre en raison du vieillissement de la population. On a des problèmes de perception dans notre industrie. J’ai grandi dans un village de pêche de 250 personnes. Quand j’étais petit, mon père me disait : « Tu devrais aller à l’université, sinon tu vas finir dans une usine de poisson. » On a des perceptions qui sont tenaces et l’industrie doit faire un mea culpa. Il faut travailler à changer ces perceptions. C’est un réel défi et on y travaille tous les jours. On est en sous-capacité chronique depuis bien au-delà de 10 ans dans notre secteur.
La sénatrice Petitclerc : Vous parliez de travailleurs qui peuvent arriver, par exemple, du Mexique ou des Philippines. J’imagine que, dans un secteur aussi particulier, technique et aussi un peu difficile, que les organisations ont besoin d’investir du temps en formation. J’ai deux questions. Est-ce qu’il faut penser, quand on reçoit ces travailleurs, au fait qu’il faudra investir du temps et des ressources pour les former? Par la suite, est-ce que vous gardez des données sur la capacité de rétention, c’est-à-dire que, une fois qu’on les a formés, est-ce que les mêmes travailleurs vont rester sur place ou revenir, si c’est du travail saisonnier? Est-ce qu’on peut quantifier tout cela?
M. Richard : Je suis très content que vous souleviez cette question.
[Traduction]
La présidente : J’ai bien peur que nous devions passer à la prochaine question. S’il reste du temps, nous reviendrons à l’excellente question posée par la sénatrice Petitclerc.
La sénatrice Burey : Je remercie nos témoins. C’est très intéressant.
J’ai une question à propos des différents permis de travail et des obstacles dont l’ensemble des témoins ont parlé relativement aux permis de travail liés à un employeur, aux permis de travail ouverts et à l’inefficacité du système.
Nous pourrions aussi parler des niveaux de compétence de la classification nationale des professions — main-d’œuvre peu qualifiée ou hautement qualifiée —, qui semblent poser problème sur le plan de la stabilisation de cette main-d’œuvre. J’aimerais connaître votre avis sur ces deux questions et savoir si une voie d’accès plus large à la résidence permanente pourrait faire partie de la solution.
M. Richard : Au sujet des permis de travail ouverts, il est très important de souligner qu’un certain nombre de nouvelles mesures de protection pour les travailleurs ont été mises en place en septembre de l’année dernière, et que nous avons plaidé en faveur de bon nombre d’entre elles. Elles ont été bien accueillies, car elles nous ont permis de parler des frais de recrutement et d’autres questions. En ce qui concerne les pouvoirs élargis, si le gouvernement soupçonne qu’il y a des problèmes ou que des travailleurs sont victimes de mauvais traitements, le gouvernement fédéral peut intervenir, et il l’a déjà fait, pour protéger ces travailleurs et leur fournir des permis de travail ouverts. Cela s’est déjà fait.
Il y a un problème avec cette idée — et je sais que certains l’ont défendue — de fournir des permis de travail ouverts à tous. Il faut comprendre que nous entamons le processus de demande d’étude d’impact sur le marché du travail pour nos travailleurs généralement six, sept ou huit mois avant le début de la saison de l’année suivante. Nous entamons tout le processus pour le recrutement, la publicité et toutes les formalités administratives en septembre, octobre et novembre. Tout cela se fait bien avant l’arrivée des travailleurs au Canada.
Comme je l’ai dit plus tôt, la participation au programme entraîne des coûts initiaux considérables. S’il n’y avait aucun coût associé au programme, je suppose que nous pourrions avoir cette discussion. Si un employeur investit tout ce temps et tous ces efforts et qu’à son arrivée au pays, le travailleur décide d’aller ailleurs, c’est un réel problème. Que faisons-nous du poisson que nous devons transformer? Dans le cas du secteur agricole, que faisons-nous des récoltes? C’est une partie du problème.
J’aimerais revenir à une question très importante à laquelle j’ai essayé de répondre plus tôt. La plupart des membres de notre association ont des taux de rétention qui sont supérieurs à 90 %. Je veux être très clair. Ils embauchent des travailleurs qui reviennent travailler dans la même usine depuis plus de 10 ans, dans certains cas. Ils ne souhaitent pas...
La sénatrice Burey : J’aimerais maintenant permettre à M. Loder de faire un commentaire, puis ce sera au tour des autres témoins.
M. Loder : Je voudrais simplement me faire l’écho de ce qu’a dit M. Richard. L’idée d’investir dans des programmes pour les travailleurs étrangers temporaires afin de stabiliser la main‑d’œuvre pour ensuite ne pas avoir le contrôle de cette main‑d’œuvre est tout simplement une mauvaise stratégie. Il n’y a pas d’autre façon de le dire. Je m’en tiendrai à cela.
M. Gavin : J’aimerais ajouter quelque chose. Imaginez un monde où nous offrons des permis de travail ouverts. Vous exploitez une usine de transformation du homard et 200 pêcheurs vont bientôt débarquer leurs prises, mais la moitié des 150 travailleurs étrangers temporaires que vous attendiez sont partis travailler pour un autre employeur. Qu’allez-vous dire aux pêcheurs?
Si vous me le permettez, j’aimerais faire une remarque à propos des étudiants étrangers. À Charlottetown, il y a une université. Une usine de transformation des produits de la mer se trouve à environ une heure de route et embauche des travailleurs étrangers temporaires. Nous avons un programme qui nous permet d’offrir une bourse à tout étudiant. Je tenais à le souligner. L’idée qu’il y a tous ces travailleurs qui ne travaillent pas ou qui se bousculent au portillon pour travailler dans une usine de transformation de produits de la mer... je vais vous donner un exemple concret. Je représente également les transformateurs de moules...
La présidente : Je vais devoir vous interrompre...
M. Gavin : D’accord.
La présidente : ... car les sénateurs et les sénatrices ont peut‑être d’autres questions. Nous attendons une réponse à la question de la sénatrice Petitclerc.
Le sénateur Kutcher : J’aimerais que le témoin de l’Île-du-Prince-Édouard poursuive ce qu’il disait, parce qu’il abordait une question importante et nous avons malheureusement manqué de temps. J’aimerais qu’il poursuive. L’Île-du-Prince-Édouard occupe une place de choix dans mon cœur, alors continuez s’il vous plaît.
M. Gavin : J’aimerais faire remarquer que certains de nos membres exploitent des usines de transformation de moules. Ils paient leur main-d’œuvre en moyenne 4 $ de plus l’heure. Leur stratégie de recrutement consistait à recruter des travailleurs dans d’autres usines parce qu’ils pouvaient offrir un meilleur salaire, mais ils n’arrivent plus à trouver ces travailleurs. Ils se retrouvent maintenant au pied du mur. Dans certains cas, le personnel de la gestion a dû travailler dans l’usine. Ces membres envisagent maintenant de faire appel à des travailleurs étrangers temporaires.
Un peu plus tôt, un sénateur a parlé de la résidence permanente. Le programme avec une voie d’accès à la résidence permanente a donné de très bons résultats à l’Île-du-Prince-Édouard. Nous avons, comme je l’ai dit, 500 résidents permanents dans la région de Prince-Ouest. Ils étaient des travailleurs étrangers temporaires, et maintenant, ils sont des résidents permanents. Ce sont de nouveaux habitants de la région. Nous les voyons dans nos églises et leurs enfants fréquentent nos écoles. C’est très positif. Je tiens également à ajouter qu’en plus des résidents permanents, nous aurons toujours besoin d’une main-d’œuvre étrangère temporaire, car le secteur de la pêche au homard est de nature saisonnière. Je voulais souligner, comme l’a fait mon collègue, M. Richard, qu’il s’agit d’une très bonne nouvelle en raison du nombre de travailleurs étrangers temporaires qui sont devenus des résidents permanents dans nos collectivités.
M. Loder : Si vous me le permettez, j’aimerais ajouter un commentaire à ce sujet. Le Programme des travailleurs étrangers temporaires est conçu pour répondre à un besoin de main-d’œuvre précis. Il existe bien d’autres programmes conçus pour d’autres questions liées à la main-d’œuvre, y compris l’accès temporaire aux accords commerciaux et à l’ALENA, qui compte, je crois, une classification de 72 professions qui permettent aux travailleurs de venir au Canada dans le cadre de différentes activités commerciales. Il n’est pas réaliste de dire que la solution est de donner des permis de travail ouverts pour le Canada, car ce n’est pas comme cela que fonctionnent les politiques ciblées relatives à l’accueil de travailleurs au pays. Certaines dispositions de l’ALENA ont trait à l’admission temporaire d’ingénieurs ou de consultants, mais ce n’est pas ce dont nous avons besoin dans notre secteur. C’est un tout autre sujet. Il faut continuer de se concentrer sur l’objectif du Programme des travailleurs étrangers temporaires.
Le sénateur Kutcher : Je vous remercie. Des inquiétudes ont été exprimées quant à l’exploitation des travailleurs étrangers temporaires dans le secteur des produits de la mer, et nous avons entendu beaucoup de commentaires et de préoccupations à ce sujet dans le secteur agricole. L’un d’entre vous est-il au courant de cette situation? Vos organisations seraient-elles touchées par cela? Surveillez-vous cette situation? Quelle est votre réponse aux préoccupations qui ont été soulevées à ce sujet?
M. Richard : Vous connaissez certainement les rapports qui ont été publiés par l’Institut Cooper. Le premier se penche sur l’Île-du-Prince-Édouard, et le second, publié en mars dernier, porte sur le Nouveau-Brunswick. Vous ne serez pas surpris d’entendre que je m’inscris en faux contre la méthodologie et l’approche employées dans ces rapports et contre les affirmations et les allégations qu’ils contiennent selon lesquelles le phénomène serait systémique dans notre secteur. Comme je l’ai mentionné plus tôt, je travaille dans cette industrie depuis 13 ans, et la vaste majorité des transformateurs savent à quel point les travailleurs étrangers temporaires sont essentiels à la viabilité de leur entreprise. Ils prennent leurs obligations envers ces travailleurs extrêmement au sérieux. Quant au rapport Cooper...
La présidente : Merci, monsieur Richard. Nous reviendrons probablement sur ce point.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Monsieur Richard, je ne sais pas si vous vous souvenez de la question. Vous aviez commencé à répondre. La question concernait l’investissement, la formation des travailleurs et la capacité de rétention de ces travailleurs.
M. Richard : Oui. Non, ça, c’est clair. Mon impression personnelle, c’est que je crois qu’on a souvent tendance à déconsidérer le genre de travail qui se fait dans les usines de transformation. C’est absolument vrai. J’ai moi-même travaillé dans des lignes de production quand j’étais plus jeune. C’est clair que ce n’est pas pour tout le monde, car c’est un travail extrêmement exigeant. C’est vrai pour nos travailleurs canadiens comme pour nos travailleurs internationaux.
Évidemment, on offre de la formation, mais vous avez touché un point absolument essentiel, et c’est la rétention. Bon nombre de mes membres ont des travailleurs qui choisissent — et il n’y a absolument aucune obligation de la part de ces travailleurs — de retourner à la même usine de transformation chaque année depuis au-delà de 10 ans. Je ne pense pas, si les conditions de travail et d’hébergement étaient si mauvaises que certains le prétendent, que ces travailleurs choisiraient de revenir, mais c’est pourtant le cas.
L’autre chose que j’aimerais ajouter, c’est qu’on ne devrait pas présumer que tous nos travailleurs veulent devenir des résidents permanents. Je connais personnellement beaucoup de travailleurs du Mexique et de la Jamaïque qui aiment venir ici pendant notre saison de transformation. Malheureusement, on ne fait pas de transformation pendant 12 mois, parce qu’il n’y a pas de produits disponibles toute l’année. Ils veulent retourner chez eux durant la saison morte.
Pourquoi devrait-on imposer qu’ils doivent tous devenir des résidents permanents? Plusieurs choisissent de le faire. Les employeurs les accompagnent dans ce processus et je trouve que c’est fantastique, mais on devrait se méfier des réponses toutes faites qui affirment qu’on devrait offrir à tous la résidence permanente et que le problème serait réglé.
M. Gavin en a parlé, et ce n’est pas différent. On a eu une génération de gens de l’Atlantique qui ont travaillé dans l’Ouest. Croyez-moi, si on leur avait dit qu’ils devaient rester dans l’Ouest en permanence, ils n’auraient pas choisi de travailler là, parce qu’ils voulaient revenir dans l’Atlantique. Je ferais ce parallèle, effectivement.
[Traduction]
La présidente : Merci, monsieur Richard. Je suis frappée par certaines généralisations qui sont faites aujourd’hui. Après tout, nous sommes le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Nous avons besoin de voir des données. Nous en avons demandé. Nous en avons obtenu qui indiquent que s’ils avaient le choix, les travailleurs étrangers temporaires obtiendraient le statut de résidents permanents. Je sais qu’il y a beaucoup d’anecdotes dissonantes, mais nous aurons le temps d’approfondir le sujet avec vous et avec l’Institut Cooper si, avec un peu de chance, nous discutons de nouveau avec vous.
Voici ce que je veux soulever. Vous le pensez et vous le ressentez. Certains employeurs insistent pour dire que leurs travailleurs étrangers temporaires sont comme des membres de leur famille, mais nous devons voir les données.
La sénatrice Moodie : Merci aux témoins.
Je voudrais revenir sur toute la question des données. Monsieur Richard, vous nous avez dit en fait que l’application de la loi n’est pas volontaire et que dans l’ensemble, les joueurs de l’industrie respectent les règles et les conditions. Avez-vous des données à l’appui? Ces données sont vraiment importantes. Le rapport fait état de problèmes de conformité, mais nous admettons que l’échantillon est petit. Sur quelles données vous appuyez-vous, de votre côté, pour contredire ces conclusions?
Ensuite, avez-vous le pourcentage ou la proportion de membres de votre industrie qui font l’objet d’une inspection?
M. Richard : Je ne sais pas si le comité a reçu des informations de la part d’Emploi et Développement social Canada, appelé aussi EDSC, et de Service Canada. On dirait que j’entends un écho. Ces ministères seraient sûrement en mesure de vous fournir des chiffres très précis sur le nombre d’inspections et les éléments qui les déclenchent. Je pense qu’ils ont un programme d’inspections récurrentes. Même les employeurs qui ont un dossier exemplaire en matière de conformité font l’objet de vérifications sur une base régulière.
Comme je l’ai mentionné, les visites sur place peuvent durer deux jours. Les inspecteurs font passer des entrevues confidentielles à au moins 15 travailleurs. Ils examinent les feuilles de paye pour vérifier s’il y a des incongruités. Ils vérifient la conformité avec les normes d’emploi. Ils entrent parfois dans les logements. C’est un processus très robuste et très rigoureux, et à juste titre. C’est la bonne façon de procéder. Le gouvernement fédéral a d’ailleurs élargi ces mesures de protection l’an dernier.
M. Gavin : J’allais dire que j’étais d’accord avec M. Richard. Je vous suggère de communiquer avec Service Canada pour obtenir ces informations. Lorsque ce rapport négatif sur le traitement des travailleurs étrangers temporaires est sorti il y a deux ans, j’ai reçu beaucoup de questions. Un grand nombre de mes membres m’ont appelé pour me dire qu’ils étaient furieux. Ils se demandaient comment ces conclusions avaient été tirées.
Il fallait traiter avec les médias alors que nous n’avions pas accès à ces informations. J’ai souvent souhaité que Service Canada ou quelqu’un d’autre fasse une annonce et dise : « Oui. Il y a eu des inspections. Voici ce qu’ils ont trouvé. » J’ai trouvé cela très frustrant à l’époque. Les données existent, mais nous ne les avons pas. Mes collègues conviendraient avec moi que nous ne pouvons rien faire au chapitre de l’application de la loi. Nous ne pouvons pas pénaliser...
La sénatrice Moodie : Je vais poursuivre avec une question rapide, alors. Vous nous donnez vos impressions. Je veux bien les entendre, mais peut-on faire mieux, selon vous, en ce qui concerne les conditions des travailleurs étrangers temporaires dans le secteur que vous représentez? Quelle est votre impression?
M. Gavin : D’après moi, il est toujours possible de faire mieux. Comme je l’ai dit plus tôt, nous entendons beaucoup d’histoires positives, mais je ne peux pas parler pour chaque travailleur étranger temporaire logé par l’employeur.
Je dis en effet à mes membres que les mauvais éléments doivent être visés par des mesures. Faisons davantage d’inspections si c’est nécessaire et apportons des améliorations. Toutefois, je peux vous dire que j’ai vu un certain nombre de logements fournis par mes membres et que ce que j’ai vu est très bien. Mais encore une fois, rien n’est parfait.
Les travailleurs étrangers temporaires, comme l’ont dit haut et fort mes collègues, sont essentiels à la survie de notre secteur, et pas seulement les transformateurs et les gens dans les usines. Ce sont les pêcheurs. Ils dépendent de nous, et ce n’est pas facile — personne n’en parle pourtant —, mais vous...
La présidente : Merci, monsieur Gavin. Le temps est presque écoulé. Je m’excuse auprès de vous et de mes collègues. Je vais faire une observation générale. Hier, nous avons entendu le Conseil canadien des pêches et nous avons remarqué là aussi que les conseils et les associations ne recueillaient pas de données probantes. Ils n’ont peut-être pas les capacités pour le faire. Je ne sais pas.
N’empêche que si les travailleurs étrangers temporaires étaient si essentiels à l’avenir de votre secteur, ces données seraient extrêmement utiles, autant à vous qu’à nous.
Je remercie énormément M. Richard, M. Gavin et M. Loder. Vos observations nous ont aidés à gagner en sagesse et à comprendre des choses qui nous échappaient avant de vous entendre. Je vous suis très reconnaissante d’avoir pris le temps de nous éclairer sur votre réalité.
Nous accueillons à présent le deuxième groupe de témoins. Par vidéoconférence, nous recevons M. Ryan MacRae, coordonnateur, Programme des travailleurs migrants à l’Institut Cooper. Nous avons également Mme Adriana Vega Guillen, à titre personnel, et M. Aditya Rao, membre du conseil d’administration du Centre de justice pour les migrants Madhu Verma. Merci d’être présents parmi nous aujourd’hui.
Veuillez noter que pour ce groupe de témoins, nous avons des interprètes qui interpréteront de l’espagnol. Je rappelle aux témoins qu’ils disposent de cinq minutes pour leur déclaration liminaire. Nous passerons ensuite aux questions des sénateurs.
Un des témoins de ce groupe participera seulement en mode audio.
Nous commençons les déclarations avec M. MacRae, suivi de Mme Vega Guillen et de M. Rao. Vous avez chacun cinq minutes. Merci.
Ryan MacRae, coordonnateur, Programme des travailleurs migrants, Institut Cooper : Merci, madame la présidente.
En vue de la réunion d’aujourd’hui, j’ai décidé de relire le premier document publié par l’Institut Cooper, qui portait sur les travailleurs étrangers temporaires à l’Île-du-Prince-Édouard. Ce rapport intitulé Changing Hands, publié en 2012 par une ancienne coordonnatrice de l’institut, Josie Baker, marquait le début de l’engagement continu de l’Institut Cooper auprès des travailleurs migrants dans la province. Il mettait en lumière les nombreux défis auxquels étaient confrontés les travailleurs migrants, que ce soit les mauvaises conditions d’hébergement, le recrutement non réglementé et les difficultés d’intégration dans la communauté. Le rapport soulignait à grands traits le manque d’accès à la résidence permanente.
Je suis profondément attristé de vous dire que bon nombre des problèmes relevés il y a une décennie n’ont pas disparu. Un recours accru au Programme des travailleurs étrangers temporaires a même été observé au cours de cette période.
Le gouvernement fédéral continue d’annoncer des expansions dans de nouveaux secteurs de l’économie sans régler le déséquilibre systémique de pouvoir qui caractérise le programme. Le recours à long terme au travail temporaire est en train de devenir un élément permanent de l’économie au pays.
Je travaille à l’Institut Cooper depuis environ un an et demi. Nous travaillons surtout avec des migrants qui entrent au pays par la filière agricole, la filière des emplois à bas salaire et le Programme des travailleurs agricoles saisonniers, car bon nombre de ces personnes ne sont pas admissibles aux services d’établissement. Je me suis rendu compte très vite que les permis de travail liés à un employeur donné n’avaient pas leur place dans le Programme des travailleurs étrangers temporaires. Le fait de lier des travailleurs à un employeur en particulier les prive de leur mobilité et de la possibilité de quitter une situation de violence.
Les mécanismes en place pour soutenir les travailleurs aux prises avec de la violence sont inadéquats et inaccessibles. Le processus de demande de permis de travail ouvert pour les travailleurs vulnérables demande un certain niveau de compétence en anglais ou en français, l’accès à un ordinateur fonctionnel doté d’outils comme Adobe pour compiler les documents à soumettre contenant des preuves, de nombreuses heures de travail et un coin à l’abri des regards pour remplir tous les formulaires exigés. La plupart des travailleurs ne satisfont même pas à une seule de ces exigences, et encore moins aux quatre.
Je me souviens de la première demande à laquelle j’ai participé. J’étais avec un collègue qui était anglophone comme moi et lui aussi titulaire d’un diplôme universitaire. Nous connaissions très bien tous deux le Programme des travailleurs étrangers temporaires, mais nous avons dû consacrer deux journées entières à la présentation de la demande, qui a été rejetée alors que la situation comportait de toute évidence des mauvais traitements. Lorsque le gouvernement et l’industrie présentent le programme comme un outil viable pour soutenir et protéger les travailleurs, soit ils n’utilisent pas le système régulièrement, soit ils mentent carrément.
Notre organisme a également cessé d’utiliser l’outil d’EDSC en ligne pour signaler des situations de violence, car notre expérience nous a montré qu’après le dépôt d’une plainte, les employeurs sont informés de la raison pour laquelle l’inspection subséquente est menée, ce qui peut mettre les travailleurs en danger, surtout dans les petits milieux de travail.
Même si les travailleurs étrangers temporaires sont tous différents et ne forment pas un bloc monolithique, bon nombre d’entre eux veulent accéder à la résidence temporaire. Or, la majorité des personnes avec lesquelles nous travaillons ne répondent tout simplement pas aux critères de l’un ou l’autre des volets d’immigration. La majorité, sinon la totalité, des travailleurs étrangers temporaires au Canada atlantique auraient besoin d’une offre d’emploi à temps plein non saisonnier pour être admissibles. C’est un obstacle considérable, puisque la plupart des secteurs économiques dans la région sont saisonniers, en l’occurrence l’agriculture, les pêches et le tourisme.
Sans statut de résident permanent, les travailleurs se retrouvent avec un statut temporaire perpétuel. Le statut temporaire est précaire et peut changer du jour au lendemain. Certains travailleurs ayant un statut implicite se sont vu refuser une prolongation de leur permis de travail pour des détails techniques ou parfois sans aucune raison. Ces personnes perdent alors le droit de travailler. Elles n’ont plus accès au système de santé et n’ont même plus le statut nécessaire pour rester au pays. Leur vie entière peut être bouleversée par un seul courriel.
L’industrie, les médias et le gouvernement parlent continuellement de la pénurie de main-d’œuvre au pays. Si ce qu’ils disent est vrai et que nous devons recourir à la main-d’œuvre étrangère pour y remédier, nous devons offrir à ces travailleurs les mêmes privilèges et la même sécurité dont jouissent les citoyens canadiens et les résidents permanents. Merci.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur MacRae.
Madame Adriana Vega Guillen, vous avez cinq minutes. La parole est à vous.
[Traduction de l’interprétation]
Adriana Vega Guillen, à titre personnel : Bonjour, honorables sénateurs. Je m’appelle Adriana Vega Guillen et je viens du Costa Rica. Je suis arrivée au Canada il y a exactement un an et demi, le 10 janvier 2022. Mon rêve était de travailler dans un pays libre où le fait d’être une femme ne constitue pas une entrave. Une entreprise agricole, que je ne vais pas nommer par crainte de représailles, m’a embauchée pour une période de 24 mois afin que je travaille dans ses installations au Nouveau‑‑Brunswick.
Même si mon contrat était prétendument d’une durée de 24 mois, je n’ai pu travailler que 6 mois, et dans des conditions terribles. À la fin de juin 2022, l’entreprise a contrevenu aux conditions du contrat, ce qui m’a privé de ma capacité à travailler et de recevoir un revenu. J’ai compris que cette décision unilatérale avait été prise parce que j’avais dénoncé le harcèlement physique et le harcèlement au travail infligé par mes pairs, qui m’ont non seulement insultée, mais aussi lancé des pommes pourries et d’autres objets. Ils m’ont battue. Ils m’ont maltraitée pendant les heures de travail. J’avais des ecchymoses. J’avais peur de travailler dans cet endroit qui n’était pas sécuritaire. Mes pairs avaient établi une hiérarchie qui me privait des services de base fournis par l’entreprise tels que l’utilisation du micro-ondes et des toilettes.
Même si je m’étais présentée tôt au travail, l’employeur me renvoyait à la maison. Mes quarts de travail ont été réduits pendant que mes pairs continuaient à travailler dans les champs. Ces individus ont infligé les mêmes mauvais traitements à d’autres travailleurs, qui ne les ont pas dénoncés parce qu’ils craignaient de subir les conséquences que j’avais subies. Malgré les plaintes et les dénonciations auprès de l’employeur, aucune mesure n’a été prise.
Au contraire, mes quarts de travail ont été réduits. Je n’ai pas du tout travaillé pendant plusieurs mois. Mon employeur m’a enlevé la possibilité d’être écoutée et de faire quelque chose pour me protéger des actes de violence commis par mes pairs. Le permis de travail lié à un employeur donné nous oblige à travailler avec l’employeur même si nous devons endurer des conditions inhumaines.
Par contre, mes pairs, qui font l’objet de plaintes, sont libres. Ils travaillent. Même si j’ai pu travailler de nouveau en septembre, les répercussions se sont poursuivies. Les mauvais traitements n’ont pas cessé. En fait, ils ont empiré.
Poussée à la fois par le courage et par le désespoir, j’ai cherché de l’aide dans les pages Web du gouvernement. J’ai communiqué avec la commission du travail, qui m’a dirigée vers Travail sécuritaire NB. Cet organisme m’a indiqué que c’était à l’entreprise d’évaluer la situation et de déterminer les mesures à prendre pour y remédier.
L’organisme a également demandé des preuves des mauvais traitements, que j’ai dû produire en me cachant dans les toilettes avec encore une fois la peur des répercussions. Les preuves ont été rejetées. La décision s’est retrouvée encore une fois entre les mains de mon employeur.
Malheureusement, le permis de travail fermé permet à l’employeur de s’approprier toutes les décisions de l’employé, ce qui limite le soutien apporté pour tout ce que j’ai subi. J’ai essayé de passer à un permis ouvert, mais c’était en vain. Pour l’obtenir, il me faudrait une offre de travail ouverte, entre autres exigences. De plus, l’information fournie est très déroutante. Le permis de travail nous oblige à travailler avec les mêmes gens qui nous marginalisent, et ils se moquent de notre situation.
Pire encore, le refus du gouvernement canadien de me délivrer le permis a aggravé les blessures, les moqueries et l’humiliation que je subissais.
Je tiens à souligner que j’ai fait cette demande alors que je vivais une situation de stress, d’anxiété et d’angoisse extrêmes. Aujourd’hui, je bénéficie des conseils du Centre de justice pour les migrants Madhu Verma, au Nouveau-Brunswick, et j’espère obtenir des résultats qui me permettront de mener une vie prospère et digne.
Mesdames et messieurs les sénateurs, je me fais aujourd’hui la voix de ceux qui vivent la même situation, de ceux qui ont besoin de votre aide pour continuer à travailler dans la dignité, sans crainte pour leur intégrité physique. Nous tous qui avons un permis de travail et qui subissons de mauvais traitements de la part de l’employeur, nous avons été privés non seulement de la possibilité de continuer à travailler dans la dignité, mais également de la possibilité de rêver d’une vie qui tient compte du bien-être aussi bien physique qu’émotionnel.
Aujourd’hui, je suis dans une situation sans issue. Je crains pour ma sécurité. Tout ce que je veux, c’est de l’aide pour travailler dans un endroit sûr, conforme aux normes établies pour assurer la protection des gens, où on ne contrevient pas à ce qui a été stipulé par contrat ou établi par la loi. Je veux cesser d’être seulement un des actifs d’une entreprise. Je veux plutôt être Adriana Vega, une travailleuse immigrante qui aspire à vivre dans la dignité au Canada.
Merci.
[Traduction]
La présidente : Merci, madame Vega Guillen. Nous sommes désolés d’entendre votre détresse, et je suis sûre que les sénateurs auront des questions à ce sujet.
Mais avant, nous allons écouter M. Rao, membre du conseil d’administration du Centre de justice pour les migrants Madhu Verma.
Aditya Rao, membre du conseil d’administration, Centre de justice pour les migrants Madhu Verma : Merci beaucoup, madame la présidente. Je vous remercie d’avoir invité le Centre de justice pour les migrants Madhu Verma à participer à cette importante réunion du comité. Je suis l’un des membres fondateurs du centre. Nous offrons du soutien et des services aux travailleurs migrants du Nouveau-Brunswick.
Notre centre est basé à Fredericton et nous travaillons à l’échelle de la province, sur les terres qui ont été volées aux nations Peskotomuhkati, Wolastoqiyik et Mi’kmaq. Notre centre porte le nom de Madhu Verma, une enfant réfugiée qui s’est installée au Nouveau-Brunswick dans les années 1960 et qui vit actuellement à Fredericton. Nous sommes inspirés par son travail et par son engagement de toute une vie à bâtir une province plus accueillante et plus juste.
Comme vous venez de l’entendre, je suis accompagné aujourd’hui d’Adriana Vega Guillen, qui a eu le courage de venir vous raconter son histoire.
En 2022, le Nouveau-Brunswick a accueilli plus de travailleurs migrants que toute autre province du Canada atlantique. La majorité des travailleurs migrants travaillent dans l’industrie des fruits de mer, mais ils sont aussi dans le secteur agricole et dans d’autres domaines d’activité tels que le secteur de la santé, dans des foyers de groupe et des foyers privés.
Le nombre de travailleurs migrants a augmenté de 50 % entre 2021 et 2022. Cette tendance est appelée à se poursuivre, et votre effort pour étudier les expériences que vivent les travailleurs migrants arrive donc à point nommé.
Je tiens tout d’abord à souligner une chose : le Programme des travailleurs étrangers temporaires, dans sa conception, est un instrument d’exploitation. Je veux dire par là que l’exploitation est un résultat nécessaire du Programme des travailleurs étrangers temporaires tel qu’il est conçu actuellement. Ce n’est pas un résultat accidentel. Ce n’est pas une erreur. Ce n’est peut-être pas un résultat voulu, mais c’est un résultat nécessaire.
Le risque qu’une personne court d’être expulsée, d’être séparée de sa famille et de voir sa vie bouleversée parce qu’elle a perdu son emploi est une caractéristique du programme, et non un défaut. En effet, le programme repose fondamentalement sur le maintien de la précarité du statut d’immigrant d’une personne. Il privilégie l’accès de l’employeur à la main-d’œuvre par rapport à la capacité du travailleur de faire valoir ses droits.
C’est le système de permis de travail fermé. Votre statut d’immigrant est lié à votre employeur. Vous y réfléchissez à deux fois avant de vous exprimer. Vous choisissez peut-être de subir de mauvais traitements, plutôt que de risquer de perdre votre emploi, parce que vous n’êtes pas autorisé à travailler pour quelqu’un d’autre.
La ligne d’information confidentielle du gouvernement et les voies d’accès aux permis de travail ouverts ne sont pas fiables, car rien ne garantit que vous obtiendrez l’aide dont vous avez besoin.
Personne ne remet sérieusement en question les mauvais traitements auxquels donne lieu le Programme des travailleurs étrangers temporaires. Même l’industrie admet qu’il y a de la maltraitance; elle en conteste simplement l’ampleur, mais ce n’est pas surprenant. Après tout, l’industrie a tout à gagner d’une main-d’œuvre captive qui ne peut pas facilement changer d’emploi et dont elle peut contrôler la vie.
Raluca Bejan, de l’Université Dalhousie, et Kristi Allain et Tracy Glynn, de l’Université St. Thomas, ont publié deux rapports décrivant en détail les conditions auxquelles sont confrontés les travailleurs migrants à l’Île-du-Prince-Édouard et au Nouveau-Brunswick. Ces rapports se trouvent sur le site tfwmaritimes.ca.
Ils font état de pratiques de recrutement abusives, de logements inadéquats, de conditions de travail dangereuses et de xénophobie, ainsi que d’un accès limité aux soins de santé. Mme Glynn est également une des membres fondatrices du Centre de justice pour les migrants Madhu Verma. Les rapports ont été rédigés avec le soutien de l’Institut Cooper, que vous entendez également aujourd’hui. Notre organisation appuie les recommandations contenues dans le rapport.
Je souhaite souligner une des recommandations : la seule solution pour mettre fin à la précarité est tout simplement de mettre fin à la précarité. Cela signifie un statut de résident permanent à l’arrivée, mais aussi, dans un deuxième temps, la fin du système de permis de travail fermés et son remplacement par des permis de travail ouverts pour tous les travailleurs migrants.
Je tiens à souligner qu’au fil du temps, les gouvernements se sont mis de plus en plus à considérer que leur rôle consistait essentiellement à faciliter l’accès de l’industrie à la main-d’œuvre migrante, mais qu’ils ont, en cours de route, mis de côté les droits de la personne des travailleurs migrants. Il s’agit désormais d’un débat sur la recherche d’un équilibre entre la nécessité pour l’employeur d’avoir accès à la main-d’œuvre migrante et le respect des droits de la personne de ces travailleurs. On parle désormais de pénurie de main-d’œuvre, alors qu’en réalité, ce qu’on veut vraiment dire, c’est qu’il y a une pénurie de main-d’œuvre exploitable et jetable.
Nous devons veiller à ce que les travailleurs migrants jouissent des mêmes droits que les autres immigrants et nouveaux arrivants. Lier les travailleurs à leur employeur est fondamentalement injuste. Les travailleurs méritent d’être libres de vivre et de travailler dans la dignité et, donc, d’être libres de choisir pour qui ils travaillent, libres de choisir de rester au Canada ou de partir, libres de s’exprimer sans crainte de perdre leur statut d’immigrant et libres de refuser un travail dangereux sans s’inquiéter de savoir s’ils seront rappelés l’année suivante. Les travailleurs migrants méritent, tout simplement, d’être libres.
Merci.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Rao, madame Vega Guillen et monsieur MacRae. Nous allons passer aux questions des membres du comité. Avec la permission de mes collègues, j’aimerais poser la première question et faire d’abord une observation.
Monsieur Rao, vous dites que le Programme des travailleurs étrangers temporaires est, par sa conception, un instrument d’exploitation. Les employeurs que nous avons entendus disent que c’est nécessaire et qu’il doit être conçu pour répondre aux besoins de l’industrie. Nous devons trouver la vérité.
Ma question porte sur votre recommandation selon laquelle les travailleurs étrangers temporaires devraient simplement entrer dans le pays en tant que résidents permanents et jouir des mêmes droits que les autres travailleurs, à savoir le droit de choisir leur lieu de travail, de quitter l’employeur s’ils n’aiment pas le milieu, et ainsi de suite.
Comme vous le savez, monsieur Rao, le programme d’immigration dans son ensemble est plafonné et axé sur les chiffres. Le nombre actuel est d’environ 400 000. Comme vous le savez aussi, le Programme des travailleurs étrangers temporaires n’est pas lié à des chiffres; le nombre de travailleurs peut continuer d’augmenter. Si on ajoutait ce nombre de travailleurs étrangers au plafond de 400 000, qu’est-ce que cela ferait? De combien faudrait-il augmenter le nombre de résidents permanents?
M. Rao : Merci de votre question, madame la présidente. Je pense qu’on ne peut répondre à cette question qu’en posant une autre question. Qu’est-ce qui nous semble juste? Nous avons un système qui, nous le savons, donne lieu à de mauvais traitements. Il y a des preuves. Ce n’est pas la première fois que cette question fait l’objet d’une étude. La Chambre des communes s’est déjà penchée là-dessus. Vous avez également pris la parole au Sénat sur cette question par le passé, sénatrice. Nous savons que cette question fait l’objet d’études dans l’ensemble du pays. Au Québec, un rapport a récemment fait état de mauvais traitements, et un rapport national publié conjointement par le Centre de réfugiés de FCJ et le Centre canadien pour mettre fin à la traite des personnes montre qu’il y a de mauvais traitements.
Je pense que nous devons nous poser la question suivante. Si nous fournissons à tout le monde des permis de travail ouverts dès leur arrivée, dans un premier temps... dans le but, bien sûr, d’accorder la résidence permanente à tout le monde, car cela met fin à la précarité et garantit que les gens ont accès aux soins de santé et aux services et qu’ils ne sont pas confrontés à la précarité et à la possibilité d’être exploités. Si nous faisons cela, je veux que nous nous posions les questions suivantes. De quoi avons-nous peur? Avons-nous peur que les gens aient le droit de changer d’employeur? Avons-nous peur que les gens aient la liberté de se déplacer? Avons-nous peur que les gens puissent se défendre sans craindre l’expulsion, sans craindre la séparation des familles? De quoi avons-nous peur?
Si nous avons peur de cela, je pense que nous avons une question bien plus importante à nous poser en tant que pays qui croit être un modèle en matière de droits de la personne.
La présidente : Merci, monsieur Rao. C’est la vice-présidente du comité, la sénatrice Cordy, qui va poser la question suivante.
La sénatrice Cordy : Merci beaucoup. Vous avez tous les trois livré des témoignages que je qualifierais de saisissants. Il ne fait aucun doute que vous nous incitez tous à prêter attention au Programme des travailleurs étrangers temporaires et à poser des questions pertinentes.
Merci, madame Vega, d’avoir eu le courage de venir raconter votre histoire.
Monsieur MacRae, vous avez parlé du déséquilibre systémique des pouvoirs. Nous avons des travailleurs étrangers temporaires qui viennent ici et qui ont un permis pour occuper un emploi particulier dans l’une des nombreuses industries que vous avez énumérées — celles de l’agriculture, de la pêche et du tourisme —, qui ont tendance à faire venir des travailleurs étrangers temporaires.
Vous avez tous parlé du processus de plainte. Dès que vous déposez une plainte, c’est votre statut tout entier qui est menacé. Nous avons parlé précédemment de cela — pas seulement avec votre groupe, mais avec d’autres groupes de témoins... Quand des travailleurs étrangers temporaires viennent au Canada, s’ils n’aiment pas l’endroit où ils travaillent ou s’ils trouvent que leur situation est difficile, pourquoi ne peuvent-ils pas déménager? Les gens nous ont tous parlé de ce qu’il en coûte de faire venir des travailleurs étrangers temporaires au Canada. Ils les feraient venir, et deux semaines plus tard, bien qu’ils aient payé pour faire venir les travailleurs, ces derniers pourraient être partis pour un autre emploi.
Je vais vous demander comment boucler la boucle, si j’ose dire. Car, bien sûr, les histoires que vous nous avez racontées aujourd’hui sont inacceptables, et ce, non seulement au Canada, mais partout où des travailleurs sont en danger parce qu’ils se plaignent de leur situation au travail. Que devons-nous faire? Faut-il que le gouvernement paie pour les travailleurs étrangers temporaires afin que ce ne soit pas l’entreprise qui paie? Je ne connais pas la réponse. Je me demande si l’un d’entre vous pourrait y répondre.
M. MacRae : C’est une bonne question. Je reviens à ce que disait M. Rao. De quoi avons-nous peur? J’ai eu la chance d’écouter la déclaration précédente. Madame la présidente, vous en étiez à la question de savoir de quoi nous avons peur. Si nous abolissons les systèmes de permis de travail fermés et que nous accordons la mobilité aux travailleurs, le marché du travail deviendra concurrentiel. Cela signifie que les salaires seront probablement plus élevés, que les avantages sociaux s’amélioreront et que les lieux de travail seront généralement meilleurs.
Je pense que ce sont des choses que les travailleurs migrants soumis à un système de permis de travail fermés ont du mal à faire valoir eux-mêmes, car ils craignent constamment d’être renvoyés chez eux dans le cadre de ce système axé sur l’employeur.
M. Rao : Si vous craignez que les travailleurs recrutés dans le cadre du programme partent pour aller travailler ailleurs, pourquoi pensez-vous qu’ils voudraient quitter l’emploi qu’ils ont chez vous? Qu’est-ce que vous faites pour qu’ils veuillent quitter votre entreprise? Je vous le demande. Est-ce que la solution consiste vraiment à enchaîner les gens à votre entreprise sous peine de perdre leur statut d’immigrant? Est-ce que la solution consiste vraiment à priver les gens des droits à la mobilité que tous les autres Canadiens et résidents permanents considèrent comme allant de soi dans ce pays?
La sénatrice Cordy : Madame Vega, vous avez parlé en particulier de ce qui vous est arrivé. Quelle serait, selon vous, la meilleure voie à suivre?
[Traduction de l’interprétation]
Mme Vega Guillen : Je pense que le meilleur moyen serait de permettre la mobilité des travailleurs en leur accordant le statut de résident permanent. Les travailleurs victimes de mauvais traitements seraient mobiles et n’auraient plus à demeurer sous la coupe d’employeurs qui créent ce genre d’environnement.
[Traduction]
La présidente : Quand vous étiez chez cet employeur et que vous aviez tous ces problèmes, y avait-il quelqu’un vers qui vous pouviez vous tourner pour obtenir de l’aide? Est-ce que vous avez eu l’aide de quelqu’un? Est-ce que le système vous a abandonnée? Est-ce qu’il y avait un système de soutien pour vous?
[Traduction de l’interprétation]
Mme Vega Guillen : Rien n’a fonctionné. Tout était inutile. Lorsque j’ai porté plainte contre mon employeur, ils ont déformé les faits, malgré les photographies. Ils m’ont dit : « Espérons que vos preuves sont insuffisantes ». En désespoir de cause, j’ai fait des recherches sur les sites Web du gouvernement. C’était très embrouillé. Je ne comprenais pas exactement où je devais aller. Les exigences étaient lourdes. J’ai donc continué de travailler malgré les conditions, les bleus, les humiliations, tout cela au quotidien.
Je me suis adressée à IRCC, aux responsables du programme d’immigration. Ils m’ont dit que je pouvais faire une demande pour quelque chose qui concernait les travailleurs vulnérables. J’allais devoir tout expliquer. J’ai envoyé des photos. Quelques jours plus tard, ils m’ont dit que je devais prouver que cela s’était passé au travail. Et je savais que si j’utilisais mon téléphone au travail, cela pouvait me valoir d’autres bleus. J’ai eu une autre contusion quelques jours plus tard au travail. En fin de compte, tout a été rejeté. Je n’ai pas eu la possibilité d’obtenir un permis de travail ouvert. Ils ont dit que les preuves étaient insuffisantes et m’ont donné seulement quelques jours pour fournir des preuves supplémentaires au dossier.
[Traduction]
La présidente : Merci, madame Guillen. Je suis désolée de vous avoir causé encore plus de détresse.
[Traduction de l’interprétation]
Mme Vega Guillen : Ce n’est pas grave. Il faut que vous entendiez parler des expériences des travailleurs et des obstacles que nous devons surmonter pour que nous puissions obtenir l’aide dont nous avons besoin. Et le gouvernement ne garantit pas cette aide.
[Traduction]
La présidente : Merci beaucoup, madame Guillen. Je suis sûre que nous aurons d’autres questions, mais je vous remercie d’avoir généreusement accepté de nous faire part de votre expérience.
La sénatrice Osler : Merci au groupe de témoins d’aujourd’hui, et gracias à notre travailleuse pour son important témoignage personnel.
Ma première question s’adresse à MM. MacRae et Rao. Le comité aimerait entendre vos commentaires sur les conséquences imprévues que pourraient subir les employeurs ou les travailleurs si le Programme des travailleurs étrangers temporaires éliminait les permis de travail fermés et passait aux permis de travail ouverts, comme vous l’avez recommandé.
M. MacRae : En ce qui a trait aux conséquences imprévues, je ne suis pas certain. Ce que je peux vous dire, c’est qu’on permettrait aux employés et aux travailleurs de changer d’emploi s’ils sont victimes de violence. Je sais que l’on parle de situations extrêmes, mais ici, dans le Canada atlantique, nous savons que la saison de la pêche varie. Il y a beaucoup de changements. Certains travailleurs viennent ici en pensant qu’ils vont travailler à temps plein, mais ils peuvent soudainement passer à seulement 10 heures par semaine, et ils manquent d’argent. Ils doivent tout de même payer leur loyer, rembourser leur dette au recruteur et aussi envoyer de l’argent à la maison. Avec un permis ouvert, ces travailleurs pourront travailler ailleurs.
Comme je l’ai dit précédemment, je crois qu’on améliorerait les normes du travail dans l’ensemble du secteur. Je crois que la présidente l’a dit plus tôt : une plus grande concurrence au sein du marché du travail donnera lieu à une augmentation des salaires et à une amélioration des conditions des travailleurs.
La sénatrice Osler : Monsieur Rao, je vais vous demander de porter un autre chapeau. Nous avons entendu parler des avantages associés au permis de travail ouvert, mais je vous demanderais maintenant de nous parler des conséquences imprévues pour l’employeur ou les travailleurs.
M. Rao : Bien sûr. Pour les travailleurs... Je ne peux que réitérer ce qu’a dit M. MacRae. Je sais que vous voulez connaître les conséquences imprévues pour les travailleurs aussi, mais c’est ce qu’ils demandent et nous ne ferions que répondre à leurs besoins.
Pour ce qui est des employeurs, nous n’allons pas prétendre que nous avons leurs intérêts à cœur. En tant qu’organisation de défense des droits des travailleurs, nous sommes du côté des employés, mais je peux dire qu’un permis ouvert obligera les employeurs à améliorer leurs pratiques et à songer à ce que signifient le recrutement et le maintien en poste alors que les travailleurs ne feront plus face à des sanctions et à la perte de leur statut d’immigration. Les employeurs devront offrir de meilleurs salaires, améliorer les conditions de travail et veiller à ce que les mesures de santé et de sécurité soient respectées. Ce sont les conséquences que peut avoir un permis ouvert sur les employeurs, à mon avis.
La présidente : Merci.
La sénatrice McPhedran : Merci beaucoup. Madame la présidente, vous avez posé la question que j’avais en tête, alors je vais la reformuler, en espérant ne pas vous causer plus de stress, madame Guillen. Si vous le préférez, les personnes qui travaillent avec vous et qui connaissent bien votre situation peuvent répondre à ma question. J’aimerais mieux comprendre quel a été le tournant pour vous. Qu’est-ce qui vous a permis de venir témoigner devant nous aujourd’hui? Quelle forme de soutien recevez-vous aujourd’hui que vous ne receviez pas au départ, lorsque vous étiez dans la situation d’abus que vous avez connue?
Mme Vega Guillen : Pouvez-vous demander à M. Rao de répondre à cette question? Je ne me sens pas à l’aise d’y répondre.
La sénatrice McPhedran : N’importe qui peut y répondre. Allez-y.
M. Rao : Je vous remercie pour votre question, sénatrice. À l’heure actuelle, nous aidons Mme Guillen à présenter une nouvelle demande en vue d’obtenir un permis de travail ouvert pour les travailleurs vulnérables. Comme nous l’avons fait valoir au cours de la pause, une personne est avec elle pour la soutenir dans le cadre de son témoignage. Il s’agit de Mme Tracy Glynn, qui est l’une des membres du conseil de notre organisation. Elle est aussi appuyée par notre intervenant, Cristian Sanabria, qui travaille très fort depuis quelques jours afin de veiller à ce qu’on réponde aux questions de Mme Guillen et à ce qu’elle reçoive l’aide dont elle a besoin. Nous faisons de notre mieux pour la soutenir.
La sénatrice McPhedran : Vous nous avez présenté un cas très préoccupant. Est-ce qu’il est représentatif des cas que vous devez traiter? Quelle est leur fréquence? Quelles sont les tendances? Mon intention n’est pas de réduire l’expérience de cette personne, mais j’essaie de comprendre s’il y a des tendances et des similitudes entre les cas. Dans l’affirmative, combien de cas du genre devez-vous traiter?
M. Rao : Je vous remercie pour votre question, sénatrice. Nous avons entrepris notre travail officiel en tant qu’organisation l’année dernière. Au départ, nous étions un groupe de bénévoles qui s’était organisé très rapidement en situation de crise, puisqu’une dizaine de travailleurs étaient peut-être victimes de la traite de personnes à Fredericton. Pour aider ces travailleurs, nous avons fondé le Madhu Verma Migrant Justice Centre. En quelques mois seulement, avant même que nous publiions des renseignements ou que nous lancions officiellement notre site Web, des dizaines d’autres travailleurs communiquaient avec nous pour obtenir de l’aide.
Après seulement deux mois et demi d’activité, nous avons dû fermer nos portes parce que le financement du gouvernement fédéral avait pris fin. Je tiens à souligner cette tendance relative au financement sporadique offert aux organisations par le gouvernement fédéral pour faire ce travail, mais qui est associé à des lignes directrices très strictes et à des règles restrictives en ce qui a trait à la durée des contrats, entre autres.
Nous avons perdu le financement, non pas en tant que demandeurs, mais bien parce que le demandeur qui avait reçu le financement pour ensuite nous le distribuer avait perdu son financement. Donc, du jour au lendemain, des dizaines d’organisations comme la nôtre ont tout perdu.
La présidente : Merci, monsieur Rao.
[Français]
La sénatrice Mégie : Merci à nos témoins. Madame Vega Guillen, votre témoignage était très émouvant. Merci de l’avoir partagé avec nous.
Quelque chose m’a échappé pendant votre témoignage. Est-ce que vous êtes venue au Canada dans le but d’être engagée dans l’industrie des pêches ou dans l’industrie agricole?
[Traduction]
[Traduction de l’interprétation]
Mme Vega Guillen : Dans le secteur agricole. Je travaillais dans les champs et je récoltais les pommes dans une usine de transformation.
[Français]
La sénatrice Mégie : Merci. Nous avons reçu des témoins avant vous qui étaient dans le secteur des pêches. L’un d’entre eux nous a dit, en accord avec les autres, que le fait que certains travailleurs revenaient chaque année depuis 10 ans prouvait qu’ils étaient bien — sinon, ils ne seraient pas revenus. En même temps, ils disent que certains reçoivent la visite d’inspecteurs.
Monsieur Rao ou monsieur MacRae, que pensez-vous de cela? S’il y avait des visites régulières d’inspecteurs, peut-être que Mme Veda Guillen aurait eu quelqu’un à qui parler. Qu’est-ce que vous en pensez?
[Traduction]
M. Rao : Je peux intervenir.
[Français]
Merci de votre question, sénatrice. Je vous dirais que c’est vraiment une question de choix. Ce que nous disons, c’est qu’on est toujours content d’entendre dire que les gens reviennent toujours. Par contre, la question pour nous est de savoir si ce sont les employés qui ont choisi de revenir ou s’ils ont été essentiellement forcés de choisir le même employeur, parce que c’est là qu’ils ont travaillé, c’est là qu’ils ont des relations et c’est là qu’ils ont gagné de l’argent la dernière fois. Chaque saison, ils sont obligés de gérer de bonnes relations avec leur employeur. En effet, s’ils n’ont pas de bonnes relations, cela peut vouloir dire qu’ils ne seront pas réinvités l’année suivante par l’employeur, parce que, dans plusieurs cas, c’est l’employeur qui a le droit de décider qui sera invité de nouveau à revenir travailler.
Donc, j’aimerais juste dire que pour nous, la question est de savoir si c’est un choix.
La sénatrice Mégie : Pour ce qui est de l’inspecteur qui est censé faire des visites régulièrement ou des visites surprises, êtes-vous au courant de cela? Est-ce que cela existe?
M. Rao : Oui, sénatrice, cela existe, mais je vais céder la parole à M. MacRae.
[Traduction]
La présidente : Monsieur MacRae, je suis certaine que vous allez pouvoir répondre à la question autrement. Trois autres sénateurs souhaitent vous poser des questions.
La sénatrice Moodie : Je tiens simplement à vous dire que vous avez le droit de vouloir vivre dans la dignité et non dans la peur et dans la violence, et que nous vous appuyons. Nous vous remercions pour votre courage; merci de nous avoir décrit avec éloquence les mauvais traitements dont vous avez été victime. Votre témoignage est très troublant.
Je dois toutefois aller encore plus loin, et je m’en excuse. J’offre aux autres témoins et à M. Rao l’occasion de répondre à ma question également. Je vous en serais reconnaissante.
Nous allons effectuer une visite d’étude afin de cibler les endroits où ce type d’abus existe, surtout les organismes qui n’offrent pas le soutien qu’ils devraient offrir aux travailleurs qui dénoncent une situation de violence ou qui font part de leurs préoccupations. Sur quoi devrions-nous nous centrer afin d’en savoir plus au sujet du nombre de cas actifs, d’en connaître les détails et les résultats, afin de bien comprendre comment le système qui devrait aider les travailleurs ne le fait pas?
La présidente : Monsieur MacRae, allez-y.
M. MacRae : Merci.
Je recommande de tenir des discussions avec les organismes communautaires qui mènent ce travail. M. Rao a mentionné que certains groupes ont reçu des fonds. Il a aussi abordé certaines difficultés relatives à ce financement, et j’aimerais poursuivre cette discussion. La majeure partie du financement que des organismes comme les nôtres ont reçu est attribué par projet et, bien souvent, ce sont des projets pilotes. Le projet actuel dure seulement un an. Il est difficile de planifier notre travail à long terme avec un financement à court terme; les fonds sont assez maigres. Ils dépendent de chiffres qui sont venus de sources discutables sur les permis de travail délivrés dans les années précédentes. Nous savons que l’utilisation du programme a considérablement augmenté. Il importe également de songer à ce qui suit. On voit des organismes d’établissement à surcapacité, eux qui ont une quantité importante d’employés et de ressources. Ils sont certes nécessaires. Les besoins sont grands.
Mais il est aussi important de tenir compte de ceux qui œuvrent précisément auprès des groupes que nous desservons. Nous sommes incroyablement sous-financés. Vous avez devant vous deux des rares organismes au Canada atlantique qui font ce travail. Au cours de la dernière décennie, nous avons vu davantage de personnes entrer au pays avec un statut temporaire qu’avec un accès à la résidence permanente. Je vous encourage à discuter avec nous si vous cherchez à rendre visite à des employeurs pour des inspections. À mon avis, ce serait souhaitable.
J’ai une autre recommandation au sujet des inspections. Quand Emploi et Développement social Canada ou d’autres, comme des groupes d’hygiène du milieu, vont faire des inspections, on voit habituellement les employeurs choisir les employés qui participeront à ces entretiens. Il faut en tenir compte si vous comptez faire des inspections, et en prendre bonne note.
La présidente : Merci beaucoup.
La sénatrice Dasko : Je remercie les témoins — particulièrement Mme Guillen, qui discute avec nous aujourd’hui et fait entendre sa voix. Je crois que nous avons beaucoup appris en vous écoutant.
Mes questions concernent aussi l’inspection. J’aimerais demander aux trois témoins si le lieu de travail de Mme Guillen a déjà fait l’objet d’une inspection. Sait-on où elle a travaillé ou sait-elle si son lieu de travail a déjà fait l’objet d’une inspection? Le cas échéant, quel a été le résultat de cette inspection? Les inspections sont-elles utiles; si oui, comment? Quelles sont vos suggestions pour les améliorer? Donc, d’abord, j’aimerais en savoir plus sur son lieu de travail. Merci.
[Traduction de l’interprétation]
Mme Vega Guillen : En ce qui concerne mon lieu de travail, j’ai été témoin d’une inspection. J’ai vu que certains employés ont été renvoyés à la maison sans qu’ils aient le droit de travailler pendant l’inspection. J’ai fait partie de ceux qui ont été renvoyés chez eux pendant que l’inspection était en cours. Je n’ai pas eu le droit d’aller travailler ce jour-là.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : Quel a été le résultat de l’inspection? Y a-t-il eu des changements sur le lieu de travail? Y a-t-il eu une amélioration? Que s’est-il passé?
[Traduction de l’interprétation]
Mme Vega Guillen : Non, tout a continué comme avant. Il n’y a pas eu d’amélioration. Les normes de santé sont restées les mêmes et, dans mon cas, je peux affirmer qu’elles n’étaient pas adéquates. Je n’ai pas constaté de changements.
J’aimerais dire que le gouvernement a approuvé... a permis à l’entreprise de continuer son travail, mais elle a continué d’utiliser les exigences minimales quant aux normes de santé, et on a continué d’y voir des cas de mauvais traitements au travail.
[Traduction]
La sénatrice Dasko : J’aimerais entendre les autres témoins sur les inspections. Ont-elles quelque utilité que ce soit, alors?
M. Rao : Je dirai que les études qui ont été menées ont démontré qu’il est très difficile de tirer des conclusions de ces données. Il est difficile d’accéder aux données. Le gouvernement n’est pas disposé à les publier de façon proactive et les inspections ne sont pas effectuées de manière suffisamment proactive. Le rapport de la vérificatrice générale a aussi donné des détails sur des problèmes très sérieux quant au régime. Le secteur a parlé à plusieurs reprises des changements qui ont été apportés récemment, mais nous demeurons inquiets qu’il ne s’agisse que de pansements sur une fracture. Ce régime ne peut être réparé simplement en menant davantage d’inspections. Il faut un changement fondamental, et dans le cadre d’un tel changement, il faut avoir des permis de travail ouverts.
La sénatrice Dasko : Alors il n’y a rien que l’on puisse faire pour améliorer les inspections?
M. Rao : Nous approuvons certaines recommandations contenues dans le rapport. Elles abordent précisément certains des problèmes liés aux inspections et les moyens à prendre pour les améliorer; entre autres, les mener de façon proactive, s’assurer de...
La présidente : Merci, monsieur Rao. Nous nous pencherons à nouveau sur ce rapport lorsque nous conclurons notre étude, ce qui ne se fera pas avant un certain temps, soit dit en passant.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Merci d’être des nôtres aujourd’hui et de partager votre expertise et vos expériences avec nous. Cela nous aide beaucoup.
Je pense que ma question s’adressera à M. MacRae, mais vous verrez bien qui veut y répondre.
Ce que l’on comprend de vos témoignages aujourd’hui et de ceux d’autres témoins que nous avons entendus, c’est qu’il y a une distance assez troublante entre ce que les employeurs et les organisations représentant les employeurs nous disent par rapport à ce que vous dites lorsqu’il s’agit du traitement des travailleurs. C’est assez troublant, d’une part.
On parle d’inspections qui pourraient être mieux faites, par exemple. On parle d’éducation. On parle des travailleurs et on se demande s’ils sont conscients de leurs droits. Est-ce qu’on devrait les éduquer et les informer davantage de leurs droits? On parle de l’accès à des processus de plaintes.
Lorsque la nature du lien avec l’employeur est assez inégale, est-ce que tous ces autres moyens peuvent donner quelque chose si on ne change pas la nature fondamentale de ce lien et l’absence d’égalité? Je ne sais pas si ma question est claire. Est-ce qu’on fait les deux parallèlement?
[Traduction]
M. MacRae : Merci pour la question. Il s’agit d’une grande question. Voici l’un des éléments clés: tant et aussi longtemps que nous aurons un régime de permis de travail fermés, il y aura toujours un considérable déséquilibre des pouvoirs. Il est aussi accentué en raison du fait que bien des travailleurs migrants font face à des situations auxquelles ne sont pas exposés les résidents permanents et les citoyens canadiens, notamment sur le plan économique. Ils sont nombreux à avoir une dette envers un recruteur et bon nombre d’entre eux envoient de l’argent à leur famille dans leur pays d’origine. Cela incite beaucoup de travailleurs à travailler de longues heures, autant d’heures que possible, et à endurer de mauvaises conditions de travail, parce qu’ils ne veulent pas être renvoyés chez eux. Il s’agit d’une incroyable source de profit pour les entreprises. Cela leur rapporte beaucoup. Cette situation souligne aussi le fait que nous avons abordé... Je ne veux pas trop parler de la séance précédente, mais il a beaucoup été question de pénurie de main‑d’œuvre. Nous en entendons beaucoup parler. Je me demande s’il s’agit d’un manque de disponibilité de la main-d’œuvre ou d’un manque d’intérêt pour les emplois, en raison de conditions de travail insatisfaisantes.
Si l’on allait consulter la banque d’emplois maintenant, je pourrais souligner tous les postes pour lesquels, à ma connaissance, les employeurs font le strict minimum pour recruter, mais n’embauchent en réalité aucun citoyen canadien, de manière à pouvoir faire une étude d’impact sur le marché du travail et ainsi embaucher des travailleurs étrangers. Bien souvent, il y a différents facteurs à l’œuvre, ce qui entraîne des tendances dont nous entendons tous parler, j’en suis certain — je l’ai souvent entendu, particulièrement de la part d’employeurs —, voulant que les Philippins et les Mexicains soient d’excellents travailleurs. Cela vient de cette dynamique.
La présidente : Merci. Nous passons à la dernière question, celle de la sénatrice Burey.
J’aimerais faire un commentaire au sujet des recruteurs. Ceux qui font partie du programme des travailleurs étrangers temporaires détiennent un permis. On peut faire une recherche à leur sujet. Il s’agit d’un thème que nous pourrions explorer.
La sénatrice Burey : Je remercie infiniment nos témoins, particulièrement Mme Guillen pour son témoignage très courageux. Nos pensées vous accompagnent et vous avez notre appui dans ce que vous traversez.
Ma question s’adresse à M. MacRae et M. Rao. Y a-t-il des pays desquels le Canada pourrait s’inspirer — peut-être pas — en ce qui concerne les permis de travail ouverts pour les travailleurs étrangers temporaires? Le cas échéant, dites-nous lesquels, et ce que vous en pensez.
M. Rao : Merci beaucoup pour cette question, madame la sénatrice. Si vous permettez, j’interviens dès maintenant, monsieur MacRae.
Je souligne que le fossé entre la position de nos organismes et celle des intervenants de la séance précédente se rapporte à nos demandes respectives. J’aimerais encourager tout le monde à se demander qui profite de ce que nous demandons et ce que nous avons à en tirer. Si les employeurs obtiennent ce qu’ils veulent, ils pourront faire beaucoup d’argent. Si nous obtenons ce que nous voulons, les travailleurs jouiront davantage de leurs droits. Il faut d’abord poser cette question.
En ce qui concerne votre question, madame la sénatrice, au sujet des pays à examiner, malheureusement, je crois que le Canada est le pays qui sert de modèle à d’autres quant à la manière d’exploiter au mieux la main-d’œuvre temporaire. Vous vous rappellerez que le président Trump avait parlé très favorablement du système d’immigration canadien. Ce système nous paraît très équitable — ou nous faisons comme s’il l’était —, mais il crée énormément d’exclusion. On a mentionné plus tôt que les travailleurs étrangers temporaires n’ont pas accès — ou un accès très limité — aux autres voies vers la résidence permanente, car ces voies sont fortement fondées sur l’exclusion. Le parrainage des parents et des grands-parents, au Canada, repose sur la chance. La réunification familiale au Canada est un mythe.
Il faut parler de manière réaliste du programme des travailleurs étrangers temporaires. De bien des manières, il s’agit de la norme de référence mondiale pour l’exploitation de la main-d’œuvre vulnérable.
M. MacRae : J’aimerais ajouter...
La sénatrice Burey : Y a-t-il un pays dont nous pourrions émuler les pratiques exemplaires? Pourriez-vous répondre à cette partie de la question?
M. MacRae : Si vous voulez une réponse précise, le seul commentaire que je ferai est le suivant : après le tournoi de la Coupe du monde de la FIFA, où on a vu des milliers de travailleurs migrants mourir au Qatar, le gouvernement qatari a annoncé la mise en place du régime de kafala, qui lie les travailleurs à leur employeur. Il est question de démanteler cet aspect du régime. Si cela se produit au Qatar, je pense que le Canada devrait aussi, au strict minimum, réfléchir à se débarrasser des permis de travail fermés.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur MacRae. Je vous remercie en particulier, madame Guillen, d’avoir raconté votre histoire. Merci, monsieur Rao. Vous nous avez aidés à comprendre votre vécu, madame Guillen, ainsi que le contexte et les conditions dans lesquelles œuvrent les travailleurs étrangers temporaires. Il nous tarde de discuter à nouveau avec vous, que ce soit ou non dans un cadre officiel.
(La séance est levée.)