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TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 13 - Témoignages du 23 septembre 2003


OTTAWA, le mardi 23 septembre 2003

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 9 h 43 pour examiner l'état actuel des industries de médias canadiennes; les tendances et les développements émergents au sein de ces industries; le rôle, les droits et les obligations des médias dans la société canadienne; enfin, les politiques actuelles et futures appropriées par rapport à ces industries.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

La présidente: Je déclare la séance ouverte et je souhaite la bienvenue aux honorables sénateurs, aux témoins et aux téléspectateurs à l'occasion de la première réunion de l'automne. Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications examine l'état actuel des médias canadiens.

[Français]

Aujourd'hui, le comité reprend son étude du rôle que l'État devrait jouer pour aider nos médias d'actualités à demeurer vigoureux, indépendants et diversifiés dans le contexte des bouleversements qui ont touché ce domaine au cours des dernières années, notamment la mondialisation, les changements technologiques, la convergence et la concentration de la propriété.

[Traduction]

Au cours des prochaines semaines, nous entendrons les témoignages de divers groupes qui sont actifs dans ce secteur d'activités, notamment des propriétaires, des syndicats et des associations. Cette semaine, ce sont les organismes publics de réglementation qui comparaissent devant nous. Jeudi, nous entendrons les représentants du CRTC, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes.

Aujourd'hui, c'est avec plaisir que j'accueille MM. Gaston Jorré et Peter Sagar, du Bureau de la concurrence.

Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Nous attendons avec impatience votre témoignage. Vous prononcerez d'abord votre déclaration préliminaire, puis nous vous poserons des questions.

Je vous cède la parole, monsieur Jorré.

[Français]

M. Gaston Jorré, commissaire intérimaire de la concurrence, Bureau de la concurrence, Industrie Canada: Je me réjouis de l'occasion que vous m'offrez de participer à votre processus de consultation publique dans le cadre d'une étude sur la situation actuelle de l'industrie des médias au Canada.

Je vous parlerai d'abord du rôle du Bureau de la concurrence et de nos responsabilités. Je traiterai ensuite des questions sur lesquelles le comité souhaite entendre notre point de vue.

[Traduction]

Comme vous le savez, nous assumons des responsabilités réglementaires précises en vue de promouvoir et d'améliorer la concurrence. Le personnel du Bureau possède une vaste expérience dans l'évaluation des questions liées à la concurrence. Nous devons appliquer une Loi sur la concurrence qui soit moderne et efficace.

Non seulement nous faisons appliquer la loi, mais nous agissons également à titre de défenseurs de la concurrence. Nous veillons à ce que le Canada soit doté d'un marché concurrentiel et à ce que tous les Canadiennes et toutes les Canadiennes profitent des avantages qu'offrent des prix concurrentiels, un choix de produits et des services de qualité.

[Français]

J'aimerais en premier lieu vous parler de la mise en application de la Loi sur la concurrence afin que vous puissiez comprendre notre rôle.

Notre loi est une loi d'application générale qui touche toutes les industries. Il n'y a aucune disposition particulière vis-à-vis les médias, que ce soit la radiodiffusion, les journaux ou autres médias. Lorsque nous appliquons notre loi à un cas précis, nous le faisons à partir d'un cadre d'analyse commun à toutes les industries.

Toutefois, quand nous l'appliquons, nous devons étudier attentivement les faits de l'industrie concernée, la structure et le milieu dans lesquels elle oeuvre et les marchés auxquels sont destinés les produits.

[Traduction]

À cet égard, il conviendrait que je prenne quelques instants pour parler de la nature des marchés des médias. Nous avons tendance à définir les marchés d'une manière classique, ou historique, si vous préférez. Nous pensons aux marchés des agriculteurs, où de nombreux vendeurs offrent sur leurs étals une variété de produits d'une qualité et d'un prix différents à de nombreux acheteurs, qui choisissent le produit dont la qualité et le prix leur conviennent. Les marchés des médias sont légèrement différents parce que le produit apparent n'est pas, dans la plupart des cas, le produit commercial dominant. Généralement, nous pensons aussi que les programmes télévisés, les émissions radiophoniques et les journaux constituent le produit. Cependant, ce sont les personnes qui écoutent la radio, qui regardent la télévision ou qui lisent les journaux qui constituent le produit visé par les annonceurs. Pour résumer le tout, ils sont les marchés de la publicité. Ces personnes représentent le marché dominant, qui retient par conséquent notre attention la plus minutieuse lorsque nous appliquons la Loi sur la concurrence par rapport dans ce secteur d'activités.

Honorables sénateurs, vous me permettrez de préciser les tendances historiques que nous avons décelées en examinant les transactions dans ce secteur d'activités. J'aimerais faire ressortir que ces conclusions n'équivalent pas à des décisions exécutoires. Il s'agit plutôt de faits que nous avons isolés pour chaque cas. Si une transaction ultérieure était effectuée dans un marché différent, c'est ce dernier marché qu'il faut viser dans l'analyse.

Historiquement, nous avons toujours constaté que certains médias peuvent être locaux ou nationaux sur le plan géographique. La plupart du temps, les journaux visent un marché local pour leur publicité, même si deux journaux nationaux importants font également de la publicité à l'échelle nationale. La publicité des réseaux de télévision a tendance à être nationale. Historiquement, nous avons également décelé que, en raison de leurs caractéristiques distinctes, les journaux, la radio et la télévision couvrent souvent des marchés différents dans le domaine de la publicité. J'insisterais sur le fait qu'il faut toujours vérifier chaque transaction. Nous ne pouvons pas présumer que le passé est toujours garant de l'avenir.

Lorsqu'il y a acquisition ou fusion de médias, nous définissons d'abord les marchés, pour ensuite nous pencher sur l'effet probable de cette transaction et sur l'accroissement possible de la concentration en découlant. Selon notre loi, le critère clé consiste à déterminer si la transaction empêchera ou diminuera sensiblement la concurrence. C'est uniquement le cas échéant que nous pouvons contester la transaction devant le Tribunal de la concurrence. Je signalerais que le statu quo va de soi. Nous examinons uniquement le changement résultant de la transaction.

Notre loi ne s'applique pas s'il s'agit d'un marché déjà monopolistique. Il y a plusieurs autres aspects à considérer. Par exemple, si une acquisition entraîne la fusion de journaux dans différentes villes et si la publicité est destinée au marché local, ces questions ne relèveraient vraisemblablement pas de notre loi. De façon similaire, la même chose vaudrait s'il s'agissait d'une fusion de journaux dans une même ville et si l'on déterminait que les marchés de la publicité sont distincts.

Les membres du comité s'intéressent à la diversité des voix. Cependant, cette question n'est pas assujettie à notre loi même si, dans certains cas, nous pouvons exercer un effet indirect sur celle-ci. Cependant, il s'agit d'un produit accessoire, si l'on veut. Parfois, pour essayer de modifier une transaction afin que des questions de concurrence ne soient pas soulevées ou de mettre un terme à cette transaction, nous pouvons accessoirement maintenir un nombre de propriétaires supérieur à ce qui serait nécessaire. Accessoirement, cela peut exercer un effet sur la diversité.

Par exemple, si la transaction Astral-Télémédia s'était conclue conformément aux plans initiaux, nous nous serions retrouvés avec trois réseaux de radio appartenant à un seul propriétaire. Nous avions des réserves et nous avons fini par négocier une entente dans laquelle un des réseaux relèverait d'un propriétaire différent. Nous avons donc avec deux propriétaires au lieu d'un, ce qui peut entraîner un effet sur la diversité des voix en fin de compte. Je le répète, c'est une question que notre loi ne vise pas.

[Français]

Je viens vous parler de l'application de la loi. Nous sommes également les défenseurs de la concurrence. À ce titre, nous voulons que les consommateurs aient le plus de choix possibles.

Nous vivons dans une démocratie et une diversité de points de vue est souhaitable pour qu'une démocratie fonctionne le mieux possible. Pour favoriser une telle diversité, il est souhaitable d'avoir une variété d'organes d'information, de propriétaires, y compris une diversité de formes de propriétés.

[Traduction]

Si je peux prendre quelques instants pour revenir sur l'un des derniers points, c'est-à-dire les diverses formes de propriété et les propriétaires distincts. Sur le plan économique, des formes de propriété différentes peuvent promouvoir des objectifs distincts. Je signale simplement que le tout peut déboucher sur des produits différents.

L'organisation sans but lucratif possédant une entreprise médiatique aura vraisemblablement des objectifs différents de ceux d'un organisme à but lucratif. Elle offre une variété accrue. Par exemple, les stations de radio universitaire sont assez différentes des stations de radio commerciale ou de la SRC. Il vaut la peine de tenir compte de ces aspects et de la question des propriétaires différents. Des propriétaires de stations à but lucratif peuvent avoir des objectifs distincts. L'histoire nous montre certes que certains ont des objectifs assez différents.

Il semble que les témoins entendus lors des audiences ont exprimé une vaste gamme d'opinions sur la diversité offerte actuellement dans les médias. Certains ont chanté les louanges des nouvelles technologies comme Internet, et d'autres se sont montrés préoccupés par le nombre de Canadiens qui en tirent profit. Nous croyons fermement qu'il faut bénéficier d'un meilleur choix et qu'un plus grand nombre de propriétaires peut permettre d'offrir un choix plus varié aux consommateurs, surtout si les différents propriétaires ont des objectifs distincts. Nous espérons que des propriétaires et des formes de propriété différents donneront un choix de produits varié, qui pourra indirectement favoriser la diversité des voix.

Bon nombre des idées proposées par d'autres témoins peuvent promouvoir la diversité, comme la suggestion d'assouplir les restrictions appliquées à la propriété étrangère. En tant que défenseur de la concurrence, j'encourage le comité à examiner ces possibilités.

J'aimerais toucher un mot sur la collaboration entre le Bureau de la concurrence et le CRTC. La Loi sur la concurrence et la Loi sur la radiodiffusion régissent l'industrie de la radio et de la télévision. En 1999, le Bureau de la concurrence et le CRTC ont signé un protocole d'entente qui décrit les pouvoirs détenus par le CRTC en vertu de la Loi sur la radiodiffusion de même que les pouvoirs du Bureau en ce qui a trait aux secteurs des télécommunications et de la radiodiffusion. Le document porte sur divers enjeux relatifs à la concurrence, dont l'accès, l'examen des fusions, les moyens pour préserver la concurrence et différentes pratiques commerciales. Le document traite exclusivement d'enjeux relatifs à la concurrence.

Le Comité permanent du patrimoine canadien de la Chambre des communes a recommandé de clarifier les rôles du Bureau et du CRTC, ce que nous souhaiterions.

[Français]

Nous croyons qu'il est important pour la démocratie d'assurer la diversité des voix et en tant que défenseurs de la concurrence, de pouvoir choisir une variété de produits pour promouvoir une telle diversité.

Je crois toutefois que cet enjeu est plus culturel qu'économique et c'est pour cette raison qu'il constitue un complément logique au mandat du CRTC dans le but de préserver et d'enrichir la culture canadienne.

Pour obtenir un cadre stratégique efficace, le Bureau de la concurrence et le CRTC doivent tous deux jouer des rôles de premier plan, mais qui sont tout à fait différents. Le défi consiste à permettre aux forces de la concurrence de s'exercer sur le marché en leur évitant d'être contrariées inutilement par des règlements tout en s'assurant que les activités de réglementation atteignent leurs principaux objectifs.

[Traduction]

Honorables sénateurs, j'espère que mes brèves observations vous seront utiles. Moi et M. Sagar, mon collègue, serions heureux de répondre à vos questions.

Le sénateur Graham: Je voudrais préciser un point. Je crois comprendre que le Bureau de la concurrence et le CRTC relèvent du Parlement par l'intermédiaire du ministère de l'Industrie et de celui du Patrimoine canadien respectivement. Est-ce exact?

M. Jorré: Effectivement.

Le sénateur Graham: Je souhaite citer un extrait du témoignage que vous ou une autre personne du Bureau de la concurrence avez fait devant le Comité permanent du patrimoine canadien de la Chambre des communes en mai 2002. Vos propos m'ont plutôt surpris. Voici ce que vous aviez alors dit: «Nous croyons qu'il faudrait clarifier le mandat du CRTC pour préciser qu'il a la responsabilité de préserver la diversité des voix au sein des services canadiens de radiodiffusion».

C'est très bien.

Je poursuis la citation: «D'autre part, le CRTC devrait se pencher uniquement sur l'impact qu'auront les fusionnements sur les valeurs culturelles et la diversité des voix lors de la révision des transactions en matière de radiodiffusion [...]».

Voici ce qui m'a étonné.

«Le CRTC ne devrait pas examiner de transactions dans le domaine de la radiodiffusion en fonction de la rentabilité commerciale». Cette personne représentait le Bureau de la concurrence. L'examen du CRTC devrait se concentrer uniquement sur l'impact que le fusionnement proposé aurait sur l'atteinte des principaux objectifs culturels: la production et la distribution du contenu canadien et, selon nous, son corollaire logique, le maintien de la diversité des voix.

Cela me surprend que vous préconisiez que le CRTC ne s'occupe pas de la rentabilité commerciale. Je vois très bien le CRTC examiner une demande et dire: «Eh bien, que ferez-vous pour promouvoir la culture dans un domaine particulier?» Cependant, il devrait bien comprendre que la proposition du requérant doit être rentable. Il semble que cette prérogative appartienne au Bureau de la concurrence, qui pourtant n'est pas responsable de la délivrance des licences de radiodiffusion. Comment justifiez-vous cela?

M. Jorré: Nous faisions valoir que, si quelqu'un souhaitait investir pour démarrer une station de radiodiffusion, il devrait être autorisé à le faire. Vous avez tout à fait raison, honorable sénateur, puisque nous ne participons pas au processus de délivrance des licences comme tel. Nous croyons cependant que, si une personne veut notamment démarrer une entreprise, le CRTC devrait examiner essentiellement les répercussions sur la culture canadienne et sur la diversité, sans se pencher les chances de succès d'une telle entreprise. Ce dernier aspect devrait incomber aux investisseurs. C'est ce que nous voulions faire ressortir.

Le sénateur Graham: Lorsqu'il évalue une demande, le CRTC ne devrait pas se demander si les cinq ou dix entreprises de radiodiffusion n'ont pas déjà inondé le marché. Il faudrait délivrer la licence lorsque l'entreprise exercera une influence positive sur la culture de la région en cause. L'entreprise pourra forcer un concurrent à fermer ses portes ou elle pourra cesser ses activités parce qu'elle ne possède pas suffisamment de ressources financières. Est-ce exact?

M. Jorré: Nous croyons que le marché devrait décider des entreprises qui survivront. Dans ce secteur d'activités, il existe des objectifs primordiaux que le gouvernement a établis et qu'il a demandé au CRTC de faire respecter.

Lorsqu'il s'agit d'entreprises dans d'autres domaines, nous ne vérifions pas leur rentabilité. Nous croyons qu'il faudrait agir de même pour le secteur de la radiodiffusion, le CRTC s'assurant que les objectifs culturels de la Loi sur la radiodiffusion sont atteints.

Le sénateur Graham: S'il existe dix entreprises, qui s'opposent à l'arrivée d'un autre concurrent, qui présente une demande au CRTC en vue d'obtenir une licence, vous ne pensez pas qu'il faudrait tenir compte de ces objections. Le CRTC se penchera-t-il uniquement sur l'aspect culturel?

M. Jorré: Oui, nous croyons qu'il faudrait agir comme pour les autres marchés. Si quelqu'un décide d'ouvrir un restaurant, nous n'examinons pas si les concurrents sont désavantagés.

Le sénateur Graham: N'intervenez-vous pas qu'après l'octroi de la licence de radiodiffusion?

M. Jorré: L'octroi de la licence ne relève pas de notre mandat, lorsque quelqu'un veut ouvrir une station. En vertu de notre loi, nous examinons s'il y en a notamment une fusion ou une acquisition.

Le sénateur Graham: Croyez-vous que vous devriez participer au processus de délivrance des licences?

M. Jorré: Non, nous sommes d'avis que les gens devraient pouvoir présenter une demande de licence en fonction des objectifs culturels figurant dans la Loi sur la radiodiffusion et compte tenu des choix offerts.

J'aimerais préciser un point dans vos propos au début de votre question. Nous relevons du ministre de l'Industrie, mais nous ne présentons pas notre rapport par son intermédiaire. Nous sommes un organisme indépendant dans nos mesures d'exécution.

Le sénateur Graham: Je vous remercie.

Si vous deviez présenter un rapport au Parlement, vous le feriez par l'intermédiaire du ministre de l'Industrie, n'est- ce pas?

M. Jorré: Au Parlement, ce serait le cas.

Le sénateur LaPierre: Je ne surprendrai personne en signalant que je suis déçu autant de votre organisme que du CRTC. Je pense que notre pays est aux prises avec des formes de propriété qui restreignent considérablement le marché des idées.

Il est scandaleux que des journaux, des stations de radio, des stations de télévision et d'autres entreprises appartiennent à un même groupe, alors que vous parlez encore d'un libre marché des idées. Il existe un libre marché de la propriété dans notre pays, mais aucun libre marché des idées.

Naturellement, vous n'êtes pas responsable du libre marché des idées, n'est-ce pas?

M. Jorré: C'est exact.

Le sénateur LaPierre: Ne devriez-vous pas en être responsables? Si vous faites valoir la nécessité de la diversité des voix et d'un marché qui soit sain, efficace et au service des Canadiens, n'avez-vous pas la responsabilité fiduciaire de veiller à ce que quelqu'un d'Ottawa ou d'une autre ville où est distribué un journal de CanWest Global Communications ait accès à de l'information pertinente sur la question de la Palestine, ne serait-ce qu'à la télévision?

La présidente: Ils ne sont pas responsables du contenu.

Le sénateur LaPierre: Ils sont responsables du marché des idées. Si vous n'autorisez pas ma question, madame la présidente, ma présence ici n'est plus nécessaire.

La présidente: Pourriez-vous répondre à la question?

Le sénateur LaPierre: Je retire ma question.

La présidente: Il s'agit d'une bonne question sur le marché des idées.

Le sénateur LaPierre: Je la retire.

M. Jorré: Toute cette question de la diversité des voix est très compliquée et très difficile. La Loi sur la concurrence et notre mode de travail visent les aspects économiques. Ils ne s'attardent pas à ces questions que vous soulevez.

Dans notre démocratie, il s'agit de questions très importantes, qui ne relèvent cependant pas de notre loi. Celle-ci porte plutôt sur les suivantes: Quelles sont les répercussions de certains comportements économiques sur les prix? Quel devrait être le choix de produits dans une certaine mesure? Cependant, il existe une énorme différence entre d'une part le choix de produits dans la mesure où vous pouvez l'analyser, et d'autre part la diversité des voix. Si je peux m'exprimer ainsi, vous ne pouvez qu'examiner les principales différences dans le choix de produits. Notre loi et notre mode de travail ne nous permettent tout simplement pas de nous pencher sur ces questions.

[Français]

Le sénateur Corbin: M. Jorré, pouvez-vous nous dire pourquoi vous êtes commissaire intérimaire?

M. Jorré: Comme vous le savez peut-être, le commissaire précédent, Konrad von Finckenstein, a été nommé à la Cour fédérale de première instance le 14 août. Je serai le commissaire par intérim en vertu d'un ordre en conseil, jusqu'au moment où le gouvernement nommera un nouveau commissaire.

Le sénateur Corbin: Est-ce que vous tenez ce matin les mêmes propos qu'aurait pu tenir l'ex-commissaire s'il était demeuré en fonction?

M. Jorré: Je ne crois pas qu'il y ait de contradictions entre ce que je dis et ce qu'il a dit dans le passé.

Le sénateur Corbin: Donnez-moi donc une idée de l'état des lieux. Combien de personnes travaillent chez vous?

M. Jorré: Vous parlez des personnes qui participent à nos activités?

Le sénateur Corbin: Oui.

M. Jorré: Je dirais qu'il y a entre 380 ou 400 personnes qui participent à nos activités, mais je ne suis pas certain.

Le sénateur Corbin: Cela fluctue comme la bourse.

M. Jorré: Cela fluctue. Il faudrait que je demande à quelqu'un le chiffre exact.

Le sénateur Corbin: Quel est votre budget annuel?

M. Jorré: L'an dernier, je crois que nous avons dépensé 43 ou 44 millions de dollars.

Le sénateur Corbin: Si on fait exception des salaires, des avantages sociaux et autres, quelle partie des fonds de votre budget consacrez-vous aux enquêtes?

M. Jorré: Dans tous les domaines, la majorité de notre budget est vouée à l'application de la loi. Il faudrait que je fasse une étude pour vous donner des chiffres précis. J'insiste pour dire que cela s'applique dans tous les domaines.

Le sénateur Corbin: Depuis quand la loi que vous appliquez maintenant est-elle en vigueur?

M. Jorré: La loi est en vigueur depuis 100 ans environ. Dans sa forme actuelle et avec les dispositions principales d'aujourd'hui, elle date du milieu des années 1980. Par exemple, il n'y avait pas d'examen des fusions avant le milieu des années 1980. Cette question était uniquement criminelle avant cette date. La loi existe depuis 100 ans, mais ses nouvelles dispositions datent de 15 ou 20 ans.

Le sénateur Corbin: Qu'est-ce qui a amené l'inclusion des questions de fusion dans votre mandat?

M. Jorré: À une époque, la loi était entièrement criminelle. Nous ne pouvions pas, avec une disposition criminelle, examiner et défendre de façon adéquate la concurrence au pays.

Le sénateur Corbin: Croyez-vous qu'il y aurait lieu de réviser la loi telle qu'elle existe actuellement et telle que vous avez à l'appliquer?

M. Jorré: Il y a un document de discussion que nous avons préparé proposant un certain nombre d'amendements. Le «Public Policy Form» fait l'objet présentement d'une consultation concernant ce document de discussion. Il y a eu des amendements, de façon régulière, depuis quelques années et il y en aura certainement d'autres dans les années à venir.

Le sénateur Corbin: Ces amendements visent-ils l'intérêt public ou l'opération interne de votre boutique?

M. Jorré: Ce sont des questions d'intérêt public. Il y a plusieurs questions en discussion. Il y a, par exemple, la possibilité de faire des changements majeurs à la disposition contre les cartels.

Le sénateur Corbin: J'ai eu l'impression dans votre présentation que vous semblez uniquement vous préoccuper par la question de la «piastre».

M. Jorré: La Loi sur la concurrence est une loi économique.

Le sénateur Corbin: Donc l'intérêt du consommateur canadien ne vous préoccupe pas?

M. Jorré: Le consommateur a tout intérêt à ce qu'on ait une économie concurrentielle. Les prix seront plus élevés et les choix plus limités si nous n'avons pas une économie concurrentielle.

Le sénateur Corbin: Les consommateurs ordinaires vous approchent-ils pour soumettre leurs inquiétudes ou bien vos clients sont-ils uniquement des propriétaires, des annonceurs, et cetera?

M. Jorré: Nous n'avons pas de clients comme tel. Il y a différents aspects à votre question. Nous avons toutes sortes de dispositions différentes, par exemple, contre la publicité trompeuse ou le télémarketing frauduleux. Évidemment ces plaintes viennent de gens qui ont souffert de cette publicité trompeuse ou autres.

Le sénateur Corbin: Donc le consommateur ordinaire?

M. Jorré: Oui. Nous recevons environ 80 000 plaintes par année dans tous les domaines. Dans le cas d'une fusion de deux entreprises, un système les oblige pour les transactions d'une certaine taille de nous le notifier. Nous devons examiner cette fusion en vertu de la loi.

Notre travail est de protéger la concurrence et en conséquence, de protéger le consommateur. Je ne vois pas comment une économie qui n'aurait pas une meilleure concurrence ne serait pas bonne pour le consommateur.

La présidente: On pourrait passer à une deuxième ronde?

Le sénateur Corbin: Je voudrais arriver à mon point principal. Vous verrez que mon raisonnement est logique. Vous m'avez distrait. Des 80 000 plaintes qui vous sont faites chaque année, combien en retenez-vous aux termes de votre mandat?

M. Jorré: Nous ne pouvons faire qu'un petit nombre d'enquêtes dans le cours d'une année. Mais nous en faisons un bon nombre.

Le sénateur Corbin: Même avec 44 millions de dollars de budget et 380 personnes! Donc, il y a insuffisance de ce côté, c'est clair!

M. Jorré: Nous pouvons vous fournir des chiffres sur le nombre d'enquêtes. Il y a un rapport annuel qui décrit le travail que nous faisons tous les ans. Nous faisons beaucoup dans différents domaines.

Le sénateur Corbin: Ce rapport donne seulement une idée approximative du travail qui se fait dans votre bureau. Ce n'est pas un rapport détaillé. Vous êtes soumis à des critères de rapport annuel qui s'applique en général à tous les ministères. Donc, le consommateur n'a pas une idée très précise de ce qui se passe dans votre bureau. Je peux le comprendre. Mais cela laisse à désirer énormément. Vous avez parlé de votre rôle d'avocat. Qu'en est-il au juste?

M. Jorré: Nous sommes le champion de la concurrence. En termes statutaires, nous avons le droit de comparaître aux tribunaux tels que le CRTC ou d'autres tribunaux administratifs pour être l'avocat de la concurrence devant ces organismes. Nous avons fait beaucoup d'interventions dans le domaine des télécommunications sur les questions reliées à l'encouragement de la concurrence dans les télécommunications.

La loi prévoit également que nous pouvons faire la même chose aux instances provinciales avec la permission de celles-ci. Nous avons souvent été demandés d'intervenir pour donner notre point de vue en matière de concurrence, par exemple dans le domaine de l'énergie.

Le sénateur Corbin: Une chose me tracasse. Nous avons, dans les agences qui régissent les intérêts des consommateurs et des propriétaires canadiens, un bras droit et un bras gauche. Les deux ne semblent pas pouvoir, en général, se mettre d'accord sur ce qui est fondamentalement l'intérêt du consommateur canadien. D'une part, vous vous préoccupez surtout des intérêts des propriétaires, des annonceurs, et cetera. D'autre part, vous semblez reléguer tout le reste au CRTC en ce qui concerne la culture.

Est-ce une approche intelligente dans une société démocratique de fonctionner de façon détachée? N'y aurait-il pas lieu de fondre le Bureau de la concurrence et le CRTC en un organisme unique, de sorte qu'ils puissent, lorsqu'ils se penchent sur un problème, un cas, cerner tous les aspects de cette question: le point de vue du consommateur, de la culture, du nationalisme canadien que j'invoque parce que je n'ai pas d'autres termes. Ne serait-il pas mieux d'avoir une seule agence plutôt que d'opérer de façon détachée?

M. Jorré: Nous ne sommes pas détachés. Je dois commencer avec le début de votre question. Nous n'avons pas d'autre intérêt que la concurrence. Ce n'est pas l'intérêt du propriétaire ou du consommateur qui compte pour nous, mais c'est de promouvoir la concurrence.

Le sénateur Corbin: La culture ne vous intéresse pas?

M. Jorré: Notre obligation statutaire est de promouvoir la concurrence. La concurrence est à l'avantage des consommateurs et de l'économie canadienne. Laissez-moi vous donner un exemple. Nous avons travaillé dans une cause, Superior Propane, qui a duré des années. Nous avons dépensé des millions de dollars dans cette cause.

L'effet, que nous recherchions, était de protéger les consommateurs de propane quant à l'augmentation des prix. C'est à l'avantage de tous les acheteurs, que ce soit des consommateurs ou des entreprises. Notre but était d'aider l'économie. Nous avons besoin d'une économie efficace et nous aidons ainsi le consommateur. C'est la conséquence de promouvoir la concurrence.

Quant à tout fondre ensemble, je crois que la concurrence est suffisamment importante pour l'intérêt des Canadiens et des Canadiennes. Les consommateurs méritent d'avoir un avocat proprement dit pour la concurrence quant à leur intérêt dans une économie qui fonctionne, même comme consommateurs.

Le sénateur Corbin: Le gaz c'est le gaz mais les médias, c'est autre chose. Ce comité se préoccupe de la situation des médias au pays.

M. Jorré: Notre loi n'est pas directement concernée par la diversité; c'est une loi économique avec un autre but.

M. Peter Sagar, sous-commissaire de la concurrence, Direction générale de la politique, Bureau de la concurrence, Industrie Canada: Il y a un principe important. Le Bureau de la concurrence est ciblé spécialement sur la concurrence. Nous avons l'expertise. La loi est claire et précise et l'expérience va s'appliquer à n'importe quelle industrie, que ce soit les médias, les télécommunications, la radiodiffusion, les journaux; nous appliquons les mêmes principes à toutes les autres industries. On prend en considération toutes les questions importantes pour cette industrie.

[Traduction]

Nous ne négligeons pas les éléments particuliers d'un secteur d'activités. En ce qui concerne les médias, nous tenons compte des lecteurs, des fournisseurs, des journalistes et du marché de la publicité. Nous l'avons déjà fait. Dans la plupart des cas, la publicité constitue la partie la plus importante de cette équation, mais nous ne faisons pas abstraction des autres éléments.

Comme l'a signalé le commissaire devant le comité de la Chambre des communes, nous sommes d'avis qu'il est réellement important que nous nous penchions sur les aspects dont nous nous acquittons bien et que le CRTC s'occupe de ce qu'il fait bien. Nous sommes spécialisés dans l'application de nos lois respectives. En mélangeant des questions assez différentes et des objectifs assez distincts en matière de politique publique, nous obtiendrions un ragoût, qui peut être un mets succulent, mais dont nous ne savons jamais les ingrédients. Nous pensons qu'il est important de clarifier le processus à des fins de transparence et d'efficacité. Nous excellons dans ce que nous faisons et nous croyons que la même chose vaut pour le CRTC. Nous voulons nous assurer que nous continuons d'exécuter notre mandat de façon à laisser croître le marché et la diversité. Le CRTC peut se pencher sur les objectifs liés à la culture et à la diversité, tandis que nous nous attaquerons à nos objectifs, et le tout se mariera assez bien.

Le sénateur Johnson: Étant donné la taille relativement restreinte du marché canadien, peut-on, sur le plan de l'efficacité économique, justifier la forte concentration de capitaux dans les médias au Canada?

M. Jorré: Je ne suis pas en mesure de répondre à votre question. Il faudrait déterminer si cette concentration entraîne des économies d'échelle. Je dois préciser que, même si nous ne sommes pas en mesure de répondre à votre question, ce point a surgi tout de même lorsque nous avons examiné ces transactions. Jusqu'à présent, nous n'avons rien découvert qui laisserait entrevoir un tel problème. Cependant, je parle uniquement de ce que nous avons constaté dans les transactions que nous avons examinées. Sur un plan plus général, je ne suis pas en mesure de répondre à votre question.

Le sénateur Johnson: Au Canada, les entreprises médiatiques ont peu d'actionnaires. Vous n'êtes pas sans savoir que la majorité des actions avec droit de vote sont détenues par des personnes et des membres d'une même famille. Cet aspect risque-t-il d'entraîner des problèmes dans ce secteur?

M. Jorré: La situation n'est pas différente de celles régnant dans les autres secteurs: certaines entreprises ont peu d'actionnaires alors que d'autres en ont beaucoup. Si je m'en tiens à notre loi sur la concurrence, j'ignore si je peux dire de façon générale que cela exerce une influence au sein du secteur des médias. La seule chose que je sais, et je le répète, c'est que, selon moi, le choix de produits sera plus varié s'il y a plusieurs propriétaires, différentes formes de propriété, et cetera. Cela peut favoriser la diversité, mais au-delà de cet aspect, je ne suis pas sûr que je pourrais vous aider.

Le sénateur Johnson: Que pensez-vous des restrictions en matière de propriété étrangère dans les médias canadiens? Si ces restrictions étaient réduites ou éliminées, les actualités canadiennes perdraient-elles de leur diversité et s'américaniseraient-elles? Qu'en pensez-vous?

M. Jorré: J'ignore si je peux répondre à votre question relative à l'effet précis sur le contenu des actualités. Nous sommes en faveur d'une libéralisation générale des droits de propriété dans tous les secteurs de l'économie. Une telle libéralisation comporte certains avantages dont le principal est le suivant: les restrictions à la propriété restreignent souvent le nombre d'acheteurs. Vous pouvez constater cette situation dans tous les secteurs d'activités où des restrictions sont imposées sur la participation étrangère. C'est vrai notamment dans le secteur des transporteurs aériens et des médias. Si quelqu'un essaie de vendre et si le nombre d'acheteurs est restreint, les chances sont plus grandes que la transaction entraînera une concentration au sein du secteur parce que les acheteurs étrangers seront exclus. Dans bien des cas, je pense que l'accroissement du nombre d'acheteurs éventuels pourrait déboucher sur un avantage distinct, parce que vous pourriez éviter la conclusion de certaines transactions susceptibles d'intensifier la concentration.

La présidente: Il émane de vos propos une pureté qui confine presque à l'élégance lorsque vous affirmez que votre rôle est uniquement économique et consiste donc à se pencher essentiellement — je reprends l'expression de M. Sagar — sur la publicité dans les marchés des médias alors qu'un autre organisme, le CRTC, devrait s'occuper des autres aspects. Cependant, j'ai été surpris par les propos que vous avez tenus au tout début de votre exposé, lorsque vous avez parlé d'un cadre analytique commun à tous les produits et services. Vous avez précisé par la suite que vous examinez les différences propres aux secteurs — mais vous avez tout de même un cadre analytique commun. Il me semble que, lorsque vous vous penchez sur la situation des médias de l'information — je ne parle pas des médias du divertissement, mais bien des médias de l'information —, vous n'examinez pas un secteur d'activités comme tous les autres, aux fins de la loi. Je m'exprime ainsi parce que, selon moi, les médias de l'information constituent le seul secteur protégé en vertu de la Constitution canadienne, qui garantit la liberté de presse. Cette protection comporte des ramifications considérables dont nous sommes très heureux. Il me semble qu'une telle protection apporterait un argument juridique de poids prouvant qu'il ne s'agit pas d'un secteur comme les autres. Ce n'est pas uniquement une question de «piastres», comme l'a mentionné le sénateur Corbin, même si nous comprenons que la presse libre doit avant tout être indépendante et rentable — elle doit pouvoir faire des profits.

Nous avons cet aspect, mais il y a également l'argument — qui recèle une pureté et de l'élégance — que vous envisagez uniquement les aspects économiques et qu'un autre organisme devrait se pencher sur les autres questions, et que l'organisme en question devrait être le CRTC. Cependant, le CRTC n'a jamais reçu le mandat d'examiner les journaux. Il ne peut se pencher que sur les entreprises de radiodiffusion. En fait, je penserais que lui confier un tel mandat provoquerait un tollé dans la population, étant donné le rôle interventionniste que joue le CRTC en établissant des règles assez rigoureuses au sujet du contenu des émissions radiodiffusées.

Cet argument qui recèle une pureté et une élégance laisse un vide énorme — lorsque vous examinez les fusions, les transactions entraînant une propriété croisée des médias et la concentration des capitaux, c'est comme si vous ignoriez l'éléphant au milieu d'une pièce. Je regrette, mais je ne peux pas vous suivre. Pourriez-vous me préciser le tout?

M. Jorré: Vous avez certes raison de dire que le CRTC ne possède aucun mandat en ce qui concerne les journaux. Il peut étudier les questions liées à la radiodiffusion lorsqu'il se penche sur une transaction entraînant une propriété croisée. Vous me permettrez de revenir aux raisons pour lesquelles les questions qui vous préoccupent ne relèvent réellement pas de notre loi, ni ne conviennent d'en relever.

Nous avons toujours affirmé que nous pouvions examiner le prix, le choix, la qualité et le service offert — il existe un point de convergence possible en ce qui concerne le choix des produits et la diversité. Si, dans une ville, un journal achète son concurrent pour l'absorber, le choix des produits et la diversité risquent de diminuer, particulièrement si ces deux journaux sont d'une orientation différente. Supposons une fusion de l'Ottawa Sun et de l'Ottawa Citizen. Le choix de produits et la diversité des opinions diminueraient d'une façon marquée.

Nous pouvons envisager des questions comme le choix de produits, mais nous ne sommes pas en mesure de nous attaquer aux aspects plus épineux que la diversité des voix entraîne, étant donné la nature économique de notre loi et les moyens dont nous disposons.

Il est très difficile de déterminer si la variété des opinions émises est celle que nous devrions obtenir. Il s'agit d'un journal ou d'un radiodiffuseur particuliers. Ces questions sont beaucoup plus difficiles et beaucoup plus délicates. Je ne pense pas qu'elles puissent faire l'objet d'une analyse aux fins de la concurrence, même si vous pouviez nous confier cet objectif précis. Un autre genre d'organisme est beaucoup mieux en mesure de traiter ces questions.

En ce qui a trait à la radiodiffusion, le CRTC semble être cet organisme. L'honorable sénateur ne fait pas fausse route en affirmant qu'il y a un problème en ce qui concerne les journaux et le gouvernement. S'il désire intervenir, le Parlement souhaitera peut-être envisager de créer un mécanisme pour s'attaquer à ces questions.

Quant à nous, nous n'avons pas les moyens pour le faire. Notre loi ne nous autorise pas à examiner ce genre de question. Nous ne pouvons intervenir que de la façon la plus impitoyable, lorsque nous sommes aux prises notamment avec la fusion de deux journaux. Le cas échéant, il est probable que les problèmes touchent également les marchés de la publicité.

La présidente: Un autre organisme doit donc s'occuper de l'éléphant.

M. Jorré: Pour analyser une telle question, il faut des outils et des mécanismes différents.

La présidente: Je comprends votre argument.

Vous me permettrez de vous poser une question hypothétique au sujet de votre mandat. Je ne prédis pas qu'une telle situation surviendra, mais supposons, aux fins de la discussion, que nous constations que bien des villes au Canada n'ont qu'un seul journal. Si une seule personne achetait tous ces journaux, la concentration ne serait pas supérieure dans chaque collectivité, parce que les mêmes journaux y paraîtraient toujours.

En vertu de votre loi, s'agirait-il d'un problème, selon vous? Je sais que j'exagère.

M. Jorré: Vous devez envisager la nature des marchés en cause. Si vous constatez que ces marchés sont tous locaux, la situation ne change pas vraiment.

Si nous avions un marché national et un seul propriétaire, les acheteurs de publicité nationale n'auraient peut-être plus aucun choix. Vous devriez examiner cet aspect, qui serait susceptible d'entraîner des problèmes.

Cette situation pourrait également créer des problèmes en amont pour les fournisseurs des journaux — c'est-à-dire les gens qui leur vendent le papier journal et le contenu. Il faudrait examiner les problèmes en amont également.

La présidente: Qu'en est-il de l'emploi? Disons, par exemple, que j'ai décidé d'écarter tous les détenteurs de doctorat en économie ou dans un autre domaine, que j'ai des préjugés envers certaines catégories de personnes et que j'ai décidé de ne pas les engager. Que ferez-vous à cet égard?

Vous penchez-vous sur cette question? Examinez-vous les situations où l'emploi peut devenir plus restreint?

M. Jorré: Les effets d'une transaction sur l'emploi ne sont pas couverts par la loi. Cette question ne fait pas partie du mandat conféré par la loi. La situation que vous décrivez pourrait relever du domaine des droits de la personne.

La présidente: De votre point de vue, la question est de savoir essentiellement qui fait de l'argent et dans quelles conditions. Est-ce exact?

M. Jorré: Je dirais que c'est très important, en effet. Il s'agit également de garantir un marché concurrentiel. Si l'on veut une économie efficace et efficiente, il faut un marché concurrentiel. Si, en bout de piste, on veut s'assurer que les consommateurs et les clients s'en sortent bien, il faut un marché concurrentiel.

Il faudrait aussi examiner les retombées sur le prix des produits, le cas échéant. Les salles de cinéma font encore partie des modèles de marché plus classiques. L'effet sur le consommateur doit être pris en considération, puisque ce dernier n'est pas ciblé par la publicité dans la même mesure.

Le sénateur Graham: J'aimerais reprendre le point soulevé par le sénateur Johnson au sujet de la propriété étrangère et demander si le bureau a adopté une position officielle à ce sujet.

M. Jorré: Il y a une chose que nous avons dite très clairement et qui est très importante: si des changements sont apportés, ils doivent l'être en parallèle puisqu'il y a des règles qui s'appliquent au secteur des télécommunications et d'autres au secteur de la radiodiffusion.

À l'heure actuelle, un certain nombre d'entreprises oeuvrent dans les deux secteurs. Si des changements sont apportés dans l'un d'eux seulement, une série de réactions pourrait en résulter. Par exemple, si le secteur des télécommunications était ouvert, mais pas celui de la radiodiffusion, il faudrait scinder une entreprise donnée en deux pour qu'elle profite de l'un, mais non pas de l'autre. Nous avons dit très clairement que ces changements doivent être adoptés en parallèle.

Nous sommes généralement en faveur d'une libéralisation et le Parlement comme le gouvernement vont devoir répondre à des questions primordiales.

Le sénateur Graham: J'aimerais que l'on parle d'un document intitulé «l'interface entre le Bureau de la concurrence et le CRTC». Je crois comprendre que ces deux entités se sont mises d'accord sur ce document en 1999. Ce document visait à donner aux participants de l'industrie, dont le public fait partie, plus de clarté et de précision concernant le cadre réglementaire et juridique régissant les secteurs des télécommunications et de la radiodiffusion.

Dans ce document, on notait, en ce qui a trait aux fusions, qu'«il existe une compétence parallèle». Nous savons qu'Astral Média souhaitait acquérir quelques stations de radio francophones appartenant à Télémédia. Le CRTC a approuvé cette transaction. Au cours des audiences, le Bureau de la concurrence a contesté la transaction pour des raisons vraisemblablement valables ressortissant à son mandat.

Ces considérations mises de côté, comment cette «interface» fonctionne-t-elle actuellement? En quoi est-elle utile?

M. Jorré: Ce document définit nos rôles respectifs. Dans le cas des acquisitions dans le secteur de la radiodiffusion, il y a deux mandats différents et deux processus différents à suivre. Cette situation est connue.

Je vous donne un exemple simple. Si vous souhaitez construire un immeuble, vous devez vous conformer non seulement aux règlements de zonage, mais aussi aux normes environnementales. La situation est la même ici: vous devez faire en sorte que votre transaction ne crée aucun problème de concurrence, tout en veillant à respecter les exigences du CRTC.

Le sénateur Graham: Je reprends ma question initiale: Croyez-vous toujours que le Bureau de la concurrence ne doit pas s'ingérer dans les affaires du CRTC pour ce qui est de l'octroi de licences?

M. Jorré: Laissez-moi vous expliquer. Notre loi est une loi-cadre pour le marché et fait partie d'un certain nombre d'instruments juridiques qui visent à établir des règles générales à ce sujet. Le droit en matière de contrat fait partie de ce cadre; le droit des sociétés, qui régit la constitution des sociétés, fait aussi partie de ce cadre; notre loi définit donc un cadre général.

Le CRTC est un organisme de réglementation sectoriel ayant un rôle bien précis. Ce sont deux fonctions très différentes qui doivent être exercées séparément. Un cadre de concurrence est nécessaire, et il faut un défenseur de la concurrence, qui est un rôle très différent, et je ne crois pas que vous voudriez combiner les deux. En adoptant une loi- cadre, nous n'accordons pas de licence à une nouvelle entreprise dans un secteur quelconque, et je ne crois pas que nous devrions participer à l'octroi de licences à de nouveaux organes de radiodiffusion. Cette activité ne fait pas partie du cadre puisqu'il s'agit d'une question sectorielle.

Le sénateur Graham: Dans aucune circonstance le Bureau de la concurrence ne formulerait un avis au CRTC avant l'octroi d'une licence, n'est-ce pas?

M. Jorré: Autant que je sache, nous ne sommes jamais intervenus dans l'octroi d'une licence. Nous avons fait valoir devant le CRTC notre point de vue sur la structure de la déréglementation des télécommunications. Je ne peux imaginer des circonstances dans lesquelles notre rôle de défenseur de la concurrence nous amènerait à intervenir dans la demande d'une licence, parce qu'une telle intervention ne fait pas partie de l'établissement d'un cadre. Ce n'est pas comme d'établir des règles, par exemple, pour dégrouper les services de communications afin de permettre à de nouveaux venus d'accéder à certaines parties du réseau de télécommunication. Je peux difficilement entrevoir une telle situation. Je ne crois pas que nous devons participer à l'octroi de nouvelles licences.

[Français]

Le sénateur Corbin: Quelle attitude prenez-vous? Enquêtez-vous automatiquement dans toutes les acquisitions ou agissez-vous uniquement sur la base de plaintes qui vous sont adressées?

M. Jorré: Toutes les acquisitions d'une certaine taille doivent être notifiées en vertu de la loi. Nous les examinons toutes. Ce sont presque toutes des transactions d'importance dans l'économie canadienne. Si on n'est pas obligé de notifier la transaction, nous pouvons examiner la transaction à l'intérieur des trois angles de la clôture de la transaction. Nous n'examinons pas toutes les transactions non notifiées.

Le sénateur Corbin: Qu'est-ce qui déclenche l'étude? Le facteur de la taille ou de l'importance?

M. Jorré: La loi prévoit que si la transaction excède 50 millions de dollars et si la taille des parties excède 400 millions, la transaction doit être notifiée.

Le sénateur Corbin: Vous ne jetez aucun regard sur la majorité des transactions du Nouveau-Brunswick, par exemple. Dans ces médias, il n'y a pas d'opérations qui atteignent le seuil de 50 millions de dollars au Nouveau- Brunswick. Cependant on pourrait avoir des situations de monopole ou de quasi monopole. Vous n'avez aucun intérêt à ce sujet?

M. Jorré: Cela peut nous intéresser, mais il n'y pas d'obligation de notifier. Nous ne regardons pas systématiquement toutes ces transactions. Il arrive que des gens portent à notre attention des transactions. Pour une raison ou une autre, nous prenons connaissance d'une transaction qui n'est pas notifiée, il se peut qu'on en examine. Il y a eu de ces transactions où nous avons non seulement mené une enquête, mais où nous avons obtenu des modifications après la transaction. Il faut quand même pratiquement un seuil quelque part, parce qu'on ne peut pas demander, à chacune des fois où un magasin en achète un autre, que nous recevions un avis.

Le sénateur Corbin: Il y a une lacune dans ce critère, en particulier en ce qui touche les plus petites provinces au pays ou les provinces les moins nanties où les médias n'atteignent pas les seuils d'opérations qui rencontrent les critères que vous venez d'énoncer. Cela ne vous inquiète pas qu'un «holding», qu'un propriétaire puisse contrôler les trois-quarts des médias au Nouveau-Brunswick ou davantage? Et parce qu'il ne rencontre pas ce critère de taille, vous n'enquêteriez pas?

M. Jorré: Nous pouvons faire une enquête sur une transaction qui ne doit pas recevoir une notification. Si cela est porté à notre attention, si quelqu'un dépose une plainte et que nous croyons que cela mérite de faire une enquête, nous la faisons. Ce n'est toutefois pas automatique. Tandis que lorsque c'est notifiée, c'est automatique.

[Traduction]

M. Sagar: Sénateur, si je peux poursuivre brièvement, je voudrais souligner deux éléments. D'abord, dans le cas où un secteur serait dominé par une entreprise, certaines parties de la Loi sur la concurrence régiraient la façon dont cette entreprise pourrait se comporter. L'entreprise en question ne pourrait abuser de sa domination. Si l'on découvrait qu'elle agit de manière à bloquer une percée sur le marché ou à exploiter ses clients, des lois bien précises seraient appliquées. Avant notre processus de consultation sur les modifications, nous proposons également que nous soyons habilités à demander une enquête sur toute la question de la concurrence dans des secteurs spécifiques. Notre loi actuelle ne nous donne pas le pouvoir de le faire, alors que c'était le cas auparavant, et le Comité de l'industrie de l'autre endroit a déjà proposé que nous ayons un tel pouvoir. Par exemple, nous pourrions demander au Tribunal canadien du commerce extérieur, qui a des expertises en économie et des pouvoirs d'enquête, de mener une enquête en notre nom. Nous croyons que ce serait utile dans les cas — hypothétiques, bien sûr — où il semble y avoir une concentration indue et, peut-être, une érosion des forces du marché.

Le sénateur Corbin: J'espère que le comité prend bien note de ce commentaire et de cette suggestion, madame la présidente.

[Français]

Le sénateur Corbin: J'aimerais aborder un autre aspect de vos opérations. Comme vous le savez, ce comité se préoccupe des médias. Si une plainte vous était adressée selon laquelle il existe, en raison d'acquisitions récentes, un quasi monopole de la presse au Nouveau-Brunswick par un «holding», limiteriez-vous votre étude, vos considérations uniquement sur le secteur média de ce «holding»? Élargiriez-vous votre réflexion en considérant que ce «holding» est propriétaire d'usine de pâte et de papier, qu'il peut produire de la pollution néfaste pour la santé des habitants, qu'il est propriétaire de vastes territoires forestiers, de chaînes de quincaillerie, d'épiceries, de stations de radio et de télévision, de raffineries, de navires et qu'il était, jusqu'à tout récemment, impliqué dans la construction navale et propriétaire d'un vaste réseau — pas seulement dans une province, mais dans tout l'est du continent d'un réseau de stations d'essence et de dépanneurs, et cetera? Prendriez-vous tout cela en considération lors de votre réflexion en ce qui concerne des effets néfastes d'un quasi monopole médiatique pour l'intérêt des consommateurs?

M. Jorré: Tel que je l'ai dit dans mes remarques liminaires, nous regardons l'impact et le changement dans notre examen d'acquisition. Si c'est l'acquisition d'un autre journal ou d'un autre poste de radio, nous regardons son impact sur le marché. Nous pouvons examiner des liens avec d'autres parties de l'entreprise, mais c'est quand même limité à l'impact de cette acquisition.

Nous ne pouvons pas étudier une concentration qui existait déjà avant l'acquisition. Je vous donne un exemple très simple. À Vancouver, deux journaux, deux quotidiens ont été acquis par le même propriétaire, il y a 40 ou 50 ans. Lorsque ces journaux ont été acquis par CanWest Hollinger, nous n'avons étudié que les changements, soit l'acquisition de journaux par un radiodiffuseur. Mais puisque les deux quotidiens de la ville de Vancouver appartenaient déjà au même propriétaire, notre loi ne nous permettait pas d'examiner cet état, mais seulement la conséquence de l'ajout.

Le sénateur Corbin: Je pense qu'il y a des manques dans ces opérations.

La présidente: C'est comme tout autre sujet, plus on l'examine, plus il devient complexe.

[Traduction]

Le sénateur Graham: J'ai une question concernant le dernier commentaire de M. Jorré en réponse aux questions du sénateur Corbin. Dans l'affaire de Vancouver, en Colombie-Britannique, quelles ont été vos conclusions? Vous avez étudié ce dossier, alors quelles ont été vos conclusions?

M. Jorré: Comme je l'ai dit, nous avons conclu relativement à cette transaction que la radiodiffusion et l'impression constituaient des marchés différents. Ainsi, vous vous souviendrez peut-être que le seul recours que nous avons cherché à l'égard de cette transaction avait trait à la propriété commune de ROB-TV. S'il n'y avait eu aucun changement — j'essaie de me rappeler —, il y aurait eu propriété commune entre le groupe CanWest et quelqu'un d'autre. Si vous pouvez me donner quelques instants.

La présidente: Je vais vous interrompre ici — je garde habituellement ces demandes pour la fin de la séance de manière à préserver la bonne humeur des témoins. Il s'agit de produire un ensemble de documents qui, je présume, sera volumineux. Je crois en effet qu'il nous serait utile d'avoir un résumé détaillé, une explication de tous les travaux que vous avez réalisés relativement aux entreprises du domaine des médias. Nous aimerions en savoir davantage sur la jurisprudence que vous avez examinée, les actions que vous avez engagées et dans lesquelles vous avez eu gain de cause ou non, les situations dans lesquelles vous avez décidé de ne pas intervenir, les motifs et les conditions connexes, au cours des 30 à 35 dernières années. On devrait remonter jusqu'à l'affaire Irving, qui date d'il y a longtemps. J'essaie de me rappeler, mais cette affaire doit assurément être incluse. Il y a eu plusieurs autres instances, je sais.

Ces documents vous seraient-ils utiles, sénateur Graham?

Le sénateur Graham: Oui, cela m'aiderait probablement à faire mes devoirs.

La présidente: Ces documents seront longs à lire, mais il est important que nous comprenions ce qui a déjà été fait.

Le sénateur Graham: J'ai une dernière question. Au fil des années, vous avez évidemment étudié la situation d'autres pays; vous vous y êtes rendu et vous y avez rencontré des gens qui menaient le même type d'activités que vous. Comment les autres pays règlent-ils les conflits entre la politique sur la concurrence et la politique régissant les médias? Pouvez-vous nous donner des exemples?

M. Jorré: Je peux vous dire que dans les grands pays, les autorités en matière de concurrence sont dans la même situation que nous. Par exemple, aux États-Unis, la Federal Trade Commission et la division antitrust du département de la Justice ont examiné les fusions des médias sous le même angle que nous. En outre, c'est la Federal Communications Commission qui, je crois, applique certaines règles qui définissent les limites de la propriété des médias de radiodiffusion, et cetera.

Il y a quelques exceptions. Au Royaume-Uni, certains critères spéciaux ont été ajoutés à la loi pour ce qui est de l'examen des transactions qui touchent les journaux. C'est un peu différent à ce sujet.

M. Sagar: Honorables sénateurs, si cela peut vous aider, je m'adresserais à mes collègues du CRTC qui ont effectivement produit une étude passablement utile sur l'examen des fusions ou la diversité et le contrôle des médias au Canada, aux États-Unis, en Australie et en France. Dans la plupart de ces pays, je crois comprendre qu'il existe une distinction entre l'examen de la concurrence et l'examen des médias, comme aux États-Unis, où ces compétences sont partagées entre la Federal Trade Commission et la Federal Communications Commission. Cette tendance s'observe dans la plupart des pays. C'est une pratique courante. La plupart des pays imposent diverses limites quant à la propriété croisée et la concentration des médias dans différentes villes. Comme le savent les honorables sénateurs, aux États-Unis, les points de vente qu'un seul propriétaire peut avoir à différents endroits sont assujettis à de sévères restrictions.

Le sénateur Graham: Madame la présidente, vous pourriez peut-être demander aux témoins de nous fournir, parmi les documents que vous avez demandés, de l'information sur la façon dont les choses se déroulent dans différents pays.

La présidente: Tout ce que vous avez peut nous aider dans nos travaux. Nous devons, bien sûr, demander au CRTC de nous fournir tout ce qu'il a; notre personnel travaille également sur ce dossier.

Sénateur Graham, le Royaume-Uni a une nouvelle loi, très dense. La clarté de la langue dans les textes de loi britanniques n'est pas perçue de la même façon qu'ici. La tâche est énorme, mais nous devons faire en sorte de bien comprendre ce que font les autres pays, avant la fin de cette étude; c'est indispensable.

M. Jorré: En ce qui a trait à la documentation que vous demandez, nous verrons ce que nous pouvons trouver. Je sais qu'il existe une étude — j'espère que nous pourrons trouver la référence — qui a été réalisée par un institut d'Oxford et qui porte sur la législation des médias en Europe. Je ne sais pas si nous en avons conservé une copie, mais j'espère que nous pourrons trouver la référence.

Pour ce qui est de votre question, nous serons enchantés de vous envoyer ce que nous pouvons. Je dois seulement ajouter que nous ne pouvons vous fournir que ce qui est du domaine public. Lorsque nous n'intervenons pas, il n'y a pas grand-chose qui soit du domaine public. En passant, je pense que l'affaire Irving s'est passée dans les années 70. Je vous signalerai que dans cette affaire, qui portait sur le fait que la famille Irving était propriétaire de la totalité des journaux de langue anglaise de la province du Nouveau-Brunswick, s'est déroulée au moment où la loi était entièrement du ressort criminel. Le Bureau de la concurrence — ou son prédécesseur, le Bureau des enquêtes et des recherches — a mené l'affaire jusqu'à la Cour suprême du Canada, qui a jugé que la preuve d'un monopole criminel n'avait pas été faite. C'était avant que nous ayons des dispositions pour l'examen des fusionnements au civil.

La présidente: Merci. Effectivement, nous ne vous demandons pas d'enfreindre les exigences en matière de confidentialité. Toutefois, par exemple, vous venez juste de nous faire part de votre raisonnement dans le cas du marché de Vancouver. Je pense que tout cela est déjà du domaine public; ainsi, tout ce que vous pouvez nous donner nous sera extrêmement utile pour nous aider à mieux comprendre ce qui se passe.

M. Jorré: Nous serons enchantés de le faire.

Le sénateur Johnson: Vous êtes un organisme d'application de la loi indépendant grâce auquel les Canadiens peuvent jouir d'une économie concurrentielle. Il s'agit, de façon générale, de votre mandat. Vous fonctionnez dans un cadre qui a été établi par la loi.

Avez-vous la latitude nécessaire pour faire le travail que vous estimez correspondre à votre mandat face au marché actuel et aux véritables sables mouvants que constitue le milieu des médias? Estimez-vous que votre mandat et votre cadre de travail sont appropriés pour faire face à la situation actuelle dans l'univers des médias?

M. Jorré: Compte tenu de ce que la loi nous demande de faire, elle convient pour l'étude des transactions portant sur les fusionnements. Nous avons les outils analytiques nécessaires pour faire face à ce travail, dans un sens économique. Oui.

Le sénateur Johnson: Cet aspect de la loi vous convient?

M. Jorré: Oui.

Le sénateur Johnson: Mais cela pourrait très bien changer avec les époques, n'est-ce pas? Y a-t-il quelque chose que vous voyez qui pourrait améliorer la loi? Quelqu'un veut revenir 35 ans en arrière; moi, je voudrais aller 35 ans en avant.

M. Jorré: Le cadre de travail n'est pas rigide en ce qui a trait aux principes généraux qui s'appliquent au marché tel qu'il se trouve. Il est toujours appliqué au marché en évolution. Vous n'avez pas vraiment besoin de changer la loi qui nous régit pour faire face à un marché changeant, parce que la loi elle-même est un cadre de travail. Il ne s'agit pas d'un ensemble de règles rigides.

M. Sagar: Nous faisons des consultations sur les modifications à apporter à la loi pour renforcer les dispositions qui s'appliquent au civil. Si quelqu'un utilise des pratiques de fixation des prix qui vont à l'encontre des dispositions civiles, le tribunal ne peut que lui dire de mettre fin à ces pratiques.

Nous avons travaillé très fort pour bien faire connaître ces pratiques. Il n'y a plus d'excuse pour que les entreprises ne respectent pas les règles.

Il a été recommandé que le tribunal ait la capacité d'imposer des sanctions financières administratives et d'accorder un droit de restitution aux consommateurs qui, en plus, auraient la possibilité d'entreprendre des poursuites au civil. Ces mesures auraient pour effet de mettre la loi à jour et de lui donner plus d'effet. Des consultations sont en cours sur ces questions.

Le sénateur Johnson: Particulièrement pour le consommateur.

La présidente: Le marché canadien n'est pas très grand, du moins si l'on compare avec celui de notre voisin le plus rapproché et ceux des autres pays du G-7. Étant donné que nous ne sommes pas un marché très grand et que nous côtoyons un véritable géant, le Canada serait-il plus justifié que d'autres pays de permettre un plus grand degré de concentration de la propriété ou de propriété multi-média?

M. Sagar: Généralement, il faudrait faire un examen au cas par cas. À priori, il n'y a aucune raison de croire que la taille du marché au Canada n'est pas suffisante pour soutenir une industrie solide. Nous avons vu un élargissement des activités culturelles qui ont été appuyées et encouragées par les politiques du gouvernement et par les efforts du CRTC pour renforcer leur position, y compris l'établissement de restrictions sur les permis et l'aide financière à la production. Toutes ces mesures peuvent aider.

Presque toutes les économies occidentales avancées ont un programme d'aide, à l'exception de nos amis du Sud qui peuvent exploiter d'autres avantages. Nous pouvons avoir, et nous avons, un système de radiodiffusion très vivant qui comporte un contenu canadien important.

Les gens sont plus ou moins heureux de cette situation, mais est-ce là une indication que nous avons ou que nous n'avons pas la taille suffisante? Nous avons probablement la taille pour faire face à cette situation.

La présidente: On a laissé entendre devant le présent comité, et je suis sûre qu'on l'a fait ailleurs, que la grande décision de compromis en matière de politique publique qui a été prise il y a un certain temps était que le Canada exclurait la propriété étrangère dans ses médias et qu'en échange, nous aurions une plus grande concentration et une plus grande propriété multi-média que ce qui est permis dans d'autres pays.

Vous avez laissé entendre, avec toute la circonspection qui s'impose, qu'il vaudrait peut-être bien la peine de permettre un plus grand degré de propriété étrangère. Si tel est le cas, croyez-vous qu'il faudrait revoir le compromis?

Dites-vous qu'il faudrait faire un virage et que nous devrions avoir plus de propriété étrangère et moins de concentration locale ou dites-vous que vous êtes en faveur d'un assouplissement des restrictions?

M. Jorré: La libéralisation comporte des avantages. Souvent, lorsque quelqu'un veut vendre des actifs importants — dans le domaine de la presse ou de la radiodiffusion —, il n'y a pas beaucoup d'acheteurs. Il y a de fortes chances que l'acheteur soit une grande entreprise de médias, ce qui soulève de nombreuses questions. Si les questions soulevées sont assujetties à la loi qui nous régit, nous nous assurons que la concurrence est maintenue. Si, pour d'autres raisons, le gouvernement désire une propriété plus diversifiée, vous devriez avoir plus d'acheteurs potentiels de manière à courir la chance que la vente se fasse à quelqu'un qui n'a pas autant d'actifs dans le domaine des médias dans notre pays. Il s'agit là certainement d'un avantage potentiel. Soupeser ce facteur avec toutes les autres grandes questions est un travail qui relève du Parlement et du gouvernement à la lumière de ses intentions.

Nous voyons dans le cas de toutes les industries où la propriété étrangère est limitée, que ce soit dans le domaine de la radiodiffusion ou ailleurs, que lorsque vous essayez de trouver un nouvel acheter, les possibilités sont bien souvent limitées. Ce n'est pas une situation qui aide à maintenir la concurrence. Il serait préférable, du point de vue de la concurrence, d'avoir accès à d'autres acheteurs.

La présidente: Je comprends que ni l'un ni l'autre d'entre vous ne veuille engager votre établissement. Laissez-moi vous demander, à tous les deux, à titre de citoyens, seriez-vous favorables à l'idée qu'il n'y ait plus de limite à la propriété étrangère dans les médias ou croyez-vous qu'il devrait y avoir une plus grande libéralisation accompagnée d'un certain contrôle?

M. Jorré: Je dois répondre à cette question en ma qualité de commissaire intérimaire. Je ne suis pas ici à titre de citoyen.

Nous touchons ici à des questions de politique très importantes qu'il appartient vraiment au Parlement et au gouvernement de trancher, et non à moi qui parle à titre de commissaire intérimaire du Bureau de la concurrence.

La présidente: Monsieur Sagar, voulez-vous tenter une réponse?

M. Sagar: Laissez-moi répondre, non pas du point de vue du citoyen, mais d'un point de vue de politique publique. Lorsque vous devez répondre à ce genre de question, vous devez vous demander si vous parvenez à réaliser vos objectifs par le biais des restrictions sur la propriété étrangère? Est-ce que cela vous aide à obtenir ce que vous recherchez ou devez-vous subir les contre-coups de ces restrictions sans obtenir de gains évidents? Avez-vous des outils plus efficients pour réaliser votre objectif?

Par exemple, pouvez-vous protéger la diversité culturelle et l'identité nationale strictement à partir d'exigences en matière de permis, de contenu canadien diffusé et de promotion de produits liés au cinéma et à la télévision? Si tel est le cas, au plan économique, vous payez le prix lié au fait de restreindre la propriété sans obtenir de gains réels en échange. Ce n'est probablement pas une chose intelligente à faire. Vous perdez également la diversité potentielle au niveau des idées, de la technologie et du contenu que des propriétaires étrangers qui arriveraient sur le marché canadien pourraient apporter avec eux.

Cependant, il s'agit là de questions de politique publique que l'on doit poser. S'agit-il d'un outil efficace? Avons- nous un outil meilleur et plus efficace pour faire la même chose? C'est pourquoi vous êtes sénateurs et nous témoins.

La présidente: Merci beaucoup.

[Français]

Monsieur Jorré et monsieur Sagar, merci beaucoup. Cela a été très intéressant et nous sommes reconnaissants de votre franchise et de votre expertise. Nous allons attendre avec impatience les documents que vous allez nous envoyer.

La séance est levée.


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