Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule 13 - Témoignages du 25 septembre 2003
OTTAWA, jeudi le 25 septembre 2003
[Traduction]
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 10 h 50, pour faire l'étude de l'état actuel des industries de médias canadiennes; les tendances et les développements émergeants au sein de ces industries; le rôle, les droits, et les obligations des médias dans la société canadienne; et les politiques actuelles et futures appropriées par rapport à ces industries
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente: Bienvenue à tout le monde — les sénateurs, nos témoins, les membres du public, les téléspectateurs — à cette réunion du Comité sénatorial permanent des transports et des communications, qui étudie les médias canadiens d'actualité.
Le comité continue son étude en se posant des questions sur le rôle que l'État devrait jouer pour aider nos médias d'actualité à demeurer vigoureux, indépendants et diversifiés, dans le contexte des bouleversements qui ont touché ces domaines au cours des dernières années, notamment, la mondialisation, les changements technologiques, la convergence et la concentration de la propriété.
[Traduction]
Nous entendons cette semaine les responsables de la réglementation gouvernementale. Mardi, nous avons reçu le Bureau de la concurrence, et nous accueillons aujourd'hui les représentants du CRTC, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes.
Nous avons donc M. Charles Dalfen, président du Conseil, Mme Andrée Wylie, vice-présidente à la radiodiffusion, et M. Marc O'Sullivan, directeur général de la radiodiffusion. Merci à tous d'être venus. Je suis certaine que vous connaissez notre façon de procéder: les témoins font une déclaration liminaire qui est suivie d'une période des questions.
[Français]
M. Charles Dalfen, président, Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes: Nous sommes heureux d'avoir l'opportunité de comparaître devant vous dans le cadre de l'étude que vous avez entreprise sur l'état actuel des industries canadiennes des médias.
J'ai suivi avec intérêt d'autres témoignages et je comprends les défis difficultés auxquels votre comité est confronté.
[Traduction]
Plusieurs des défis auxquels vous devez faire face font également partie de ceux auxquels le Conseil est confronté quotidiennement. Puisque le temps qui m'est alloué est limité, je me concentrerai aujourd'hui sur la façon dont le Conseil traite des questions de concentration de propriété en radiodiffusion et de propriété croisée, et sur la façon dont nous assurons et maintenons la diversité des voix dans le secteur de la radiodiffusion canadienne.
La Loi sur la radiodiffusion définit notre mandat et énonce les objectifs de la politique canadienne sur la radiodiffusion. Parmi ces objectifs, la loi précise que le système canadien de radiodiffusion ainsi que sa programmation devraient servir à sauvegarder, enrichir et renforcer la structure culturelle, politique, sociale et économique du Canada; favoriser l'épanouissement de l'expression canadienne en proposant une très large programmation qui traduise des attitudes, des opinions, des idées, des valeurs et une créativité artistique canadiennes; et, dans la mesure du possible, offrir au public l'occasion de prendre connaissance d'opinions divergentes sur des sujets qui l'intéressent.
Lorsqu'il étudie les demandes qui lui sont soumises et qui soulèvent des préoccupations liées à la propriété croisée ou à la concentration des médias, le Conseil s'assure du respect de ces objectifs, tout en tentant de trouver un équilibre entre ceux-ci et les autres objectifs énoncés dans la loi. À moins qu'un requérant ne soit pas admissible à détenir une licence de radiodiffusion, en vertu d'une directive émise par le gouverneur en conseil conformément à notre loi (par exemple une entité qui n'est pas canadienne ou bien, entre 1982 et 1985, le propriétaire d'un journal dans le même marché), nous devons évaluer chaque demande selon ses mérites. Bien que les questions de propriété croisée et de concentration nous préoccupent constamment, dans certains cas, elles peuvent être contrebalancées par des avantages qui compensent. Dans d'autres cas, elles ne le sont pas et se soldent par un refus.
[Français]
Par exemple, en juillet dernier, le Conseil a refusé la demande de TVA, une filiale de Québecor, en vue d'acquérir de l'entreprise Astral Média inc. sept stations de radio AM et FM. Le Conseil n'a pas été convaincu que le plan de relance de la radio AM au Québec, proposé par la requérante, ainsi que ses avantages potentiels, contrebalanceraient de façon significative les préoccupations liées à la concentration de la propriété et la propriété croisée des médias que ces demandes avaient soulevées.
Par ailleurs, en avril 2002, dans une décision touchant la question de la concentration des médias, le Conseil a approuvé une transaction portant sur le transfert du contrôle de Télémédia Radio Atlantique inc. et de Radiomédia inc. à Astral Radio inc.
Dans ce cas, compte tenu de la détérioration de la situation financière de la radio AM de langue française au cours des dernières années, le Conseil était convaincu que les synergies proposées par Astral Média entre le AM et le FM apporteraient un nouveau dynamisme à la radio de langue française dans son ensemble, et assurerait une plus grande stabilité à long terme à la radio AM.
Le Conseil a également tenu compte du projet de la requérante d'accorder un rôle central à la station AM locale de chaque marché, dans la cueillette et le traitement de l'information, afin de desservir autant les auditeurs de AM que ceux des stations FM locales, de Radio-énergie et de Radio Rock-Détente.
Le Conseil à donc conclu que, tout compte fait, les avantages qui découlaient de cette transaction, notamment pour le secteur de la radio de langue française, l'emportaient sur les avantages éventuels pouvant découler d'une augmentation de la propriété d'Astral Média.
À l'été 2001, le Conseil publiait une décision qui transférait le contrôle effectif de TVA à Québecor Média inc. Dans ce cas, malgré les préoccupations concernant la propriété croisée des médias, le Conseil était convaincu que cette proposition allait assurer la croissance et l'amélioration du réseau national de télévision de langue française de TVA et de ses autres activités réglementées.
[Traduction]
Dans les cas où nous concluons que la propriété croisée est compensée par des avantages, nous établissons néanmoins des garanties afin que la concentration de propriété ne réduise pas le nombre de sources de nouvelles et d'information offertes au grand public. Par exemple, afin de protéger l'indépendance des diverses sources de nouvelles et d'information touchées par la transaction impliquant Québcor, le Conseil a accepté les mesures de sauvegarde proposées par la requérante, incluant le respect d'un code de déontologie applicable à TVA, LCN et LCN Affaires et la mise en place d'un comité de surveillance chargé de traiter les plaintes éventuelles.
Également en 2001, le Conseil s'est prononcé sur la propriété croisée des médias à l'égard des deux plus grands groupes de propriétaires de médias au Canada anglais, lorsqu'il a renouvelé les licences de CTV Inc. et de CanWest Global. Dans tous ces cas, le Conseil a imposé plusieurs mesures de protection comme conditions de licence. Les exigences étaient de conserver pour leurs opérations de télévision des structures de présentation et de gestion des nouvelles séparées et indépendantes qui soient distinctes de celles de tous leurs journaux affiliés; que les décisions ayant trait au contenu et à la présentation des nouvelles soient prises uniquement par la direction des nouvelles pour la télévision; que les directeurs des nouvelles ne siègent à aucun comité de rédaction de leurs journaux affiliés et vice versa; de mettre sur pied un comité de surveillance chargé de traiter toutes les plaintes; et d'informer annuellement le Conseil de toutes les plaintes reçues.
En plus de tenter de prévenir la diminution des sources de nouvelles et d'information offertes aux Canadiens, nous nous sommes également employés à hausser la diversité des voix du système canadien de radiodiffusion. Au cours des cinq dernières années, le Conseil a accordé des licences pour exploiter quatre nouvelles stations de télévision et 35 services radiophoniques à travers le Canada. Il y a aujourd'hui plus de 100 canaux spécialisés.
[Français]
En octobre dernier, en vue d'ajouter de nouvelles sources de programmation locale, le Conseil a publié un nouveau cadre de politique sur les médias communautaires. Cette politique établit de nouvelles exigences pour les canaux communautaires des câblodistributeurs, mettant particulièrement l'emphase sur la programmation locale et l'accès pour les groupes communautaires.
Elle crée également de nouvelles classes de licences pour la télévision. Une station de ce type, Télémag, a déjà reçu l'approbation du conseil à Québec. Le Conseil étudie actuellement une autre demande pour une licence de télévision communautaire à Leamington, en Ontario. Nous sommes persuadés que cette approche permettra aux communautés de notre pays de créer de nouveaux services de télévision locale, à but lucratif et à but non lucratif, qui produiront une programmation qui reflétera les besoins et les préoccupations de leur communauté.
[Traduction]
Cette année, en juillet, le Conseil a renforcé les stations de télévision locales indépendantes situées dans les petits marchés en permettant à la plupart d'entre elles d'avoir accès à la distribution par satellite et en créant un nouveau fonds pour les aider à respecter leurs engagements en matière de programmation locale.
En plus des services titulaires d'une licence, les Canadiens jouissent de nombreuses sources de nouvelles et d'information étrangères, offertes par câble et par satellite. Et de nombreuses autres sources rejoignent 70 p. 100 des Canadiens par Internet.
J'espère que ces brefs propos vous seront utiles. Nous sommes tous impatients, au CRTC, de prendre connaissance de votre rapport et de vos recommandations. Mes collègues et moi-même serons maintenant heureux de répondre à vos questions.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Dalfen. Nous avons en effet des questions à vous poser.
Le sénateur Graham: À une époque, j'ai fait un peu carrière, avec un succès très relatif, dans le domaine de la radiodiffusion. Je m'intéresse beaucoup à ce que fait le CRTC.
J'ai remarqué que Mme Wylie est vice-présidente à la radiodiffusion et que M. O'Sullivan est directeur général de la radiodiffusion. Comment partagez-vous les attributions entre la vice-présidence à la radiodiffusion et la Direction générale de la radiodiffusion?
M. Dalfen: C'est une question intéressante et mes collègues voudront peut-être ajouter des précisions aux observations approximatives que je vais faire sur le sujet.
M. O'Sullivan est le chef d'état-major de la Direction générale de la radiodiffusion. Le Conseil est divisé en cinq divisions ou directions générales, les télécommunications et la radiodiffusion étant les divisions opérationnelles et aussi les plus gros morceaux.
M. O'Sullivan est à la tête de la direction générale de la radiodiffusion. Comme vous le savez, nous sommes régis par deux lois, la Loi sur les télécommunications et la Loi sur la radiodiffusion, et nos employés guident donc leur conduite sur ces lois et les règlements pris aux termes de ces lois. Nous avons aussi le secrétaire général, qui s'occupe des affaires corporatives, de façon générale: les finances, les ressources humaines, et cetera. Nous avons aussi une direction générale des communications, et enfin, et non la moindre, la direction générale des affaires juridiques. Voilà la structure du Conseil. M. O'Sullivan dirige l'une des deux grandes directions opérationnelles.
La vice-présidente à la radiodiffusion est membre du Conseil comme tel. Bien qu'elle n'ait pas en théorie de responsabilités de cadre, elle me seconde d'une manière essentielle dans l'exercice de mes attributions à la haute direction, en plus de superviser elle-même de nombreux dossiers; de plus, aux termes de notre charte, elle préside le Comité de la radiodiffusion du Conseil, qui s'occupe des affaires courantes concernant le calendrier des audiences et l'approbation de ce que nous appelons les demandes courantes. En ce sens, elle joue un rôle très actif au Conseil et, d'une manière indirecte, les employés qui s'occupent de radiodiffusion relèvent d'elle pour leurs activités dans ce domaine. Globalement, ils relèvent de moi à titre de chef de la direction.
Le sénateur Graham: Le CRTC a été créé par une loi adoptée par le Parlement en 1968. Avant cette date, votre prédécesseur était le Bureau des gouverneurs de la radiodiffusion, le BGR. Le mandat a-t-il beaucoup changé entre le BGR et le CRTC? On peut supposer qu'il a évolué au fil des années, mais pourriez-vous nous expliquer s'il y a des éléments essentiels que nous devrions connaître?
M. Dalfen: Je suppose que la principale différence est que le BGR faisait des recommandations au Cabinet, tandis que le CRTC rend des décisions sur les licences et que ces décisions sont exécutoires aux termes de la loi. Je crois que le BGR tenait des audiences sur des demandes concurrentes. Par exemple, CFTO a obtenu une licence du BGR en 1960 ou 1961 selon cette formule, mais le bureau n'avait pas le pouvoir de décision. Il formulait des recommandations au Cabinet. On me reprendra si je me trompe, mais je crois que son avis sur les grandes décisions relativement aux licences était le plus souvent suivi par le Cabinet.
Le sénateur Graham: Mardi, nous avons entendu les représentants du Bureau de la concurrence, et à cette occasion, j'ai moi-même fait allusion à une déclaration faite par le Bureau de la concurrence devant le Comité du patrimoine canadien de l'autre endroit en mai 2002. Je vais citer une ligne de ce témoignage. Je cite le représentant du Bureau de la concurrence: «D'autre part, le CRTC devrait se pencher uniquement sur l'impact qu'auront les fusionnements sur les valeurs culturelles et la diversité des voix lors de la révision des transactions relatives à la radiodiffusion». Il dit clairement que le CRTC ne doit pas examiner les transactions relatives à la radiodiffusion sous l'angle de leur viabilité commerciale.
J'ai été renversé, ou tout au moins étonné d'entendre cette conclusion de la part du Bureau de la concurrence. Je me rappelle qu'avant d'être dans la vie publique, dans un autre volet de ma carrière, il y a des années, j'ai été directeur général d'une station qui diffusait des actualités en Ontario. Le Bureau des gouverneurs de la radiodiffusion était alors saisi d'une demande d'une compagnie qui voulait fonder un nouveau poste FM dans la région et certains d'entre nous estimions que cela nuirait à la viabilité commerciale des stations existantes, et le BGR a tranché en notre faveur. Pourtant, le Bureau de la concurrence semble croire que vous n'êtes nullement habilités, aux termes de votre mandat, à prendre en compte la viabilité commerciale ou ce qui pourrait se passer sur le marché, mais que vous devriez plutôt vous préoccuper uniquement de l'aspect culturel de la demande.
Je me demande si vous avez une divergence d'opinion ou si vous avez des observations à faire là-dessus.
M. Dalfen: J'ai en effet lu cette déclaration et j'ai deux commentaires à faire là-dessus. Premièrement, il m'apparaît inconcevable que nous puissions accorder de nouvelles licences ou examiner des plaintes comme celles que vous venez d'évoquer sans pouvoir évaluer la capacité du marché d'absorber de nouvelles stations, sans pouvoir examiner la nature du marché. Nous le faisons constamment depuis 35 ans. J'ose dire que le BGR le faisait avant nous quand il examinait de telles demandes. En fait, nous serions même favorables à ce que le Bureau de la concurrence participe à de telles procédures. À la lecture du compte rendu, j'ai cru comprendre que le Bureau choisit de ne pas intervenir en ce qui concerne des demandeurs particuliers, et je le comprends très bien, mais la question centrale que nous examinons dans l'étude d'une demande de nouvelle licence n'est pas de savoir qui nous devrions choisir, mais plutôt si le marché peut absorber un, deux ou trois nouveaux titulaires de licence. Sur cette question, j'aurais cru que le Bureau de la concurrence pourrait nous être très utile. Aux termes de sa propre loi habilitante, il peut faire de telles interventions devant nous et nous l'encourageons à le faire.
Ma deuxième observation, c'est que, sauf erreur, on a alors cité le document sur l'interface, qui était le fruit d'un effort de ceux qui étaient alors président du CRTC et directeur du Bureau pour tenter de faire oeuvre utile en décrivant les pouvoirs relatifs des deux organisations. Je vais citer ce document, si vous me le permettez, parce que je crois que cela résume bien la situation et peut-être le dilemme dans lequel nous sommes, car j'incline à croire que cette situation doit en effet être tirée au clair. Pendant toutes les années précédentes, il fallait demander l'approbation des deux organismes, que ce soit pour faire une acquisition ou pour tout changement de propriété dans le domaine de la radiodiffusion. Jusqu'en 2002, les décisions étaient rendues de concert, mais en 2002, il y a eu divergence dans l'affaire Astral à laquelle j'ai fait allusion, et il faut bien dire que cela a jeté la confusion et créé des malentendus, et je suis donc d'accord pour dire qu'il faut tirer la question au clair. La citation est la suivante, et ce passage est tiré du document traitant de l'interface entre les deux organisations:
Aux termes de la Loi sur la radiodiffusion, l'approbation préalable du Conseil est nécessaire pour les changements de contrôle ou de propriété des entreprises titulaires de licences. Alors que l'examen du Bureau en matière de fusionnements porte exclusivement sur les effets de la concurrence, l'étude du Conseil prend en considération une gamme plus vaste d'objectifs définis par la loi. Elle peut notamment aborder des questions de concurrence dans le but de réaliser la politique énoncée dans la loi. En ce qui concerne les marchés de la radiodiffusion et de la télédiffusion, le Bureau se préoccupe principalement de l'incidence sur les marchés de la publicité et, en ce qui concerne les entreprises de distribution de services de radiodiffusion, des choix du consommateur et des prix qui lui sont offerts. Les préoccupations du Conseil englobent celles du Bureau, mais son étude des marchés de la publicité a trait à la capacité des radiodiffuseurs de réaliser les objectifs énoncés dans la loi.
Ce ne sont pas deux compartiments étanches, même d'après le modèle énoncé dans cette déclaration, et il y a chevauchement. Il y a donc possibilité de confusion, d'où le besoin d'apporter des précisions. Cela dit, nous croyons qu'ils peuvent effectivement contribuer utilement à nos délibérations et nous ouvrons la porte à leur participation pour ce qui est d'évaluer la capacité du marché d'absorber de nouvelles stations de radio ou de télévision.
Le sénateur Corbin: Je vais poursuivre dans la même veine que mon collègue, parce que j'avais justement l'intention d'aborder cette question.
Serait-il plus efficace et plus simple pour vous d'assumer certaines responsabilités qui sont actuellement attribuées au Bureau, au lieu de vous livrer à ce mouvement de va-et-vient entre vos deux organismes, l'un vérifiant et critiquant ce que fait l'autre ou rendant même des décisions qui sont, en un sens, tout à fait contraires à vos considérations primordiales? Le gouvernement devrait-il envisager d'intervenir et de vous confier ces responsabilités? Autrement dit, retirer tout le domaine de la radiodiffusion du champ d'action du Bureau de la concurrence et vous confier ces responsabilités, qui s'ajouteraient à celles que vous avez déjà?
M. Dalfen: Je crois bien que je serais d'accord avec cela. Nous jouons déjà ce rôle, nous devons le faire pour déterminer la capacité d'un marché d'accepter de nouvelles stations.
La question est de savoir si le Bureau de la concurrence devrait jouer un rôle dans ce secteur réglementé. Vous êtes probablement au courant de la défense invoquée par les industries réglementées dans des poursuites intentées au criminel au titre de la Loi sur la concurrence. Les intimés invoquent alors en défense, pour se disculper de ce qui serait autrement une infraction, l'argument suivant: «Mon secteur est réglementé et j'ai fait cela parce que le responsable de la réglementation m'a autorisé ou obligé à le faire, ce qui me disculpe de toute accusation d'avoir commis une infraction».
En fait, il s'agit d'un domaine réservé. Cela devrait probablement être précisé à la fois pour la radiodiffusion et les télécommunications, et, comme vous le dites, ce domaine particulier devrait probablement être réexaminé par les décideurs politiques et par le gouvernement.
Le sénateur Corbin: Nous poursuivrons cette discussion une autre fois avec d'autres témoins.
Tout au long de la vallée du fleuve Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, jusqu'à Sainte-Croix et la Baie de Fundy, les ondes canadiennes sont constamment envahies par des radiodiffuseurs américains parasites qui viennent accaparer une bonne part de la publicité canadienne. Que faites-vous à ce sujet? Est-ce que vous suivez cette situation de près? Le problème semble s'aggraver de plus en plus.
M. Dalfen: Est-ce que vous parlez de stations de radiodiffusion frontalières?
Le sénateur Corbin: Oui.
M. Dalfen: Comme vous le savez, sénateur, c'est un problème depuis des années, tout au long de la frontière. Le cas le plus notable est celui d'une station de Bellingham, dans l'État de Washington, en face de Vancouver, qui a été créée essentiellement pour se tailler un créneau dans le marché télévisuel de Vancouver. Ils ont ouvert un bureau à Vancouver et détournent des revenus publicitaires, et cetera. C'est le cas le plus flagrant, mais des stations de radio en font autant tout au long de la frontière. C'est un problème de longue date.
Depuis maintenant de nombreuses années, la Loi de l'impôt sur le revenu interdit aux annonceurs canadiens qui diffusent leurs réclames sur ces stations frontalières de déduire ces dépenses légitimement en application de la loi. Cela a été utile, mais n'a pas réglé le problème.
Nous tentons de veiller à ce que les auditoires canadiens puissent compter sur une programmation solide pouvant rivaliser avec celle de ces stations dans les domaines de la radio et de la télévision, mais il est tentant pour ces entreprises de faire cela et elles continuent de le faire.
La situation est-elle pire ou meilleure? Je dirais qu'elle n'empire pas. Je dirais que le levier le plus puissant demeure la Loi de l'impôt sur le revenu, plus que toute autre chose. Nous n'avons aucun autre outil pour fermer ces stations. Au fil des années, des discussions ont eu lieu avec la FCC et d'autres interlocuteurs, mais je ne peux pas dire que cela a débouché sur grand-chose.
Le sénateur Corbin: Il me semble que les radiodiffuseurs américains exagèrent. Est-ce que l'Accord de libre-échange nord-américain est un élément qui entre en ligne de compte dans tout ce dossier?
M. Dalfen: Je ne le crois pas. Je vais consulter mon avocat pour m'en assurer.
Le sénateur Corbin: Je pose la question parce que c'est un aspect de la concurrence et de tout le reste.
M. Dalfen: La réponse est non. Je ne suis pas sûr de pouvoir répéter l'avis éclairé qu'il vient de me donner. J'en ai retenu cette réponse.
Le sénateur Corbin: Je vous en remercie.
Je suis certain que vous contrôlez les émissions diffusées, mais dans quelle mesure les contrôlez-vous après avoir accordé une licence assortie de modalités et conditions particulières dans des marchés donnés, en tenant compte de la compétitivité et certainement de l'objectif de servir le public cible pour lequel une licence vous a été demandée? Dans quelle mesure suivez-vous la situation de près? Intervenez-vous parfois pour remettre de l'ordre quand quelque chose ne tourne pas rond?
M. Dalfen: La dernière partie de votre question est la plus facile. La réponse est oui, absolument, nous le faisons. La plainte à laquelle le sénateur Graham a fait allusion ressemble à d'autres que nous recevons de temps à autre. Nous recevons des plaintes sur l'aspect territorial et aussi en ce qui concerne la présentation. Dans le domaine des services spécialisés, où les licences sont accordées pour une chaîne musicale ou de sport, et cetera, nous recevons de nombreuses plaintes relatives à de soi-disant empiétements sur un domaine réservé. Nous essayons de contrôler le respect des conditions de licence.
Cependant, pour ce qui est d'évaluer la situation, nous agissons essentiellement en donnant suite aux plaintes, et ce pour deux raisons. La première est que nous sommes l'émanation du gouvernement dans l'esprit des gens. Nous trouvons difficile d'intervenir de manière proactive relativement à ce que les gens écoutent, regardent ou font. De plus, nous n'avons tout simplement pas les ressources voulues pour pouvoir le faire. Nous nous contentons de donner suite aux plaintes qui nous sont présentées par des détenteurs de licences ou par le grand public. Nous en recevons beaucoup et, lorsqu'une plainte nous semble justifier une enquête, nous faisons enquête et la procédure suit son cours.
Invariablement, lorsque nous recevons une plainte à propos d'un radiodiffuseur qui dérogerait aux conditions de sa licence, celui-ci reçoit copie de la plainte et est invité à faire connaître son point de vue. Cependant, ce qu'il faut retenir, c'est que nos activités s'articulent essentiellement autour des plaintes et des demandes de licences. Le seul autre outil que nous utilisons de manière continue consiste à recueillir des données pour notre rapport annuel sur l'état de l'industrie. Ce rapport se situe à un niveau légèrement plus élevé que les plaintes individuelles que nous recevons.
Le sénateur Corbin: Enfin, pouvez-vous nous donner une idée du nombre de plaintes que vous recevez par année? Le Bureau de la concurrence nous a dit l'autre jour qu'il en reçoit en moyenne 80 000, mais bien sûr, son domaine est beaucoup plus vaste que le vôtre.
M. Dalfen: Oui, nous recevons certainement plusieurs milliers de plaintes. Nous pouvons vous faire parvenir ce chiffre si vous le jugez important. J'allais dire 3 000, mais mon collaborateur me dit que ce serait probablement trop bas.
Le sénateur Corbin: Certaines de ces plaintes sont sérieuses, d'autre pas.
M. Dalfen: Tout à fait.
Mme Andrée P. Wylie, vice-présidente, Radiodiffusion, Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes: Sénateur, en plus de donner suite aux plaintes, bien sûr, si nous constatons une situation de non- conformité ou encore des difficultés quelconques, nous avons toujours l'outil de donner des licences d'une durée plus courte et de faire une analyse plus approfondie des problèmes que l'on a constatés à la suite d'une plainte. Nous donnons suite aux plaintes et cela peut par la suite donner lieu à un examen plus serré du titulaire de licence en question.
La présidente: Quand vous nous enverrez des renseignements sur les plaintes, pourriez-vous en profiter pour nous fournir une analyse ou une ventilation pour donner une idée de la nature des plaintes que vous recevez? Nous nous intéressons en particulier au domaine des nouvelles et du journalisme. Nous aimerions savoir combien de plaintes vous recevez et quelle est la nature de ces plaintes. S'agit-il simplement de gens qui sont en colère parce qu'ils trouvent qu'un certain reportage n'aurait pas dû être diffusé ou quelque chose du genre, ou bien les plaintes sont-elles de nature plus systématique? Voyez-vous où je veux en venir?
M. Dalfen: Nous avons une telle ventilation et nous vous l'enverrons. Soit dit en passant, j'ai dit dans mon allocution que l'une des mesures de sauvegarde qui ont été prises est que les grands groupes télévisuels doivent créer des comités chargés d'entendre les plaintes. Les rapports nous sont maintenant parvenus sur la première période visée, et ils n'indiquent pas qu'il y a eu des plaintes sur la séparation entre les salles de rédaction et les gestionnaires de l'information.
La présidente: Combien de gens, parmi le grand public, connaissent l'existence de ces comités? Je l'ignorais avant d'avoir lu un résumé de votre témoignage devant le Comité du patrimoine. Est-ce que les gens qui sont touchés par ces comités sont tenus d'en publiciser l'existence?
M. Dalfen: Je ne crois pas que cela soit une condition de licence, mais c'est une bonne question. En fait, je vais me renseigner et vous donner de plus amples précisions.
Le sénateur LaPierre: Pouvez-vous révoquer, de manière légitime, la licence de quelqu'un qui enfreint les modalités ou qui vous offusque d'une manière ou d'une autre? Est-ce que vous lui enlevez sa licence?
M. Dalfen: Il y a un pouvoir de révocation.
Le sénateur LaPierre: Combien de fois cela est-il arrivé depuis la naissance de ce contrôle que nous avons d'abord institué au Bureau des gouverneurs de la radiodiffusion? Pourriez-vous vous informer et me le faire savoir?
M. Dalfen: Je connais la réponse: c'est zéro.
Le sénateur LaPierre: Pourquoi prévoir une punition si on ne s'en sert jamais? Je n'en dirai pas plus. Merci beaucoup.
Le sénateur Day: Nous devrions laisser notre témoin répondre à la question. Il avait une réponse qui, je crois, pourrait être utile. Aviez-vous quelque chose à ajouter?
M. Dalfen: Le sénateur LaPierre a un argument valable au sujet du retrait forcé. Il est arrivé à diverses occasions que des gens renoncent volontairement à leur licence, mais le retrait obligatoire consécutif à une infraction, pas à ma connaissance. Je ne pense pas que nous ayons jamais révoqué une licence.
Notre outil habituel est le renouvellement à court terme, et c'est une arme plus efficace que vous pourriez le croire parce que cela met les titulaires de licence sur la sellette et dans l'obligation de revenir se justifier devant nous, à leurs frais, et la publicité qui s'ensuit est invariablement négative. Une autre technique consiste à modifier les conditions de licence. «Vous avez péché, vous devez maintenant réparer en prenant les mesures suivantes». Nous l'avons fait également. L'arme ultime de la révocation retire un service au public et le seuil est donc très élevé, ce qui est compréhensible.
Dans le rapport du Comité du patrimoine, on fait observer, ce qui mérite à mon avis qu'on s'y attarde, que la FCC aux États-Unis et l'organisme de réglementation au Royaume-Uni, pour n'en nommer que deux, ont le pouvoir d'imposer des amendes. Un grand nombre d'organismes du gouvernement fédéral possèdent déjà ce pouvoir. Ce serait probablement utile, si l'on modifiait notre loi, de nous donner un autre outil qui, sans aller jusqu'à la révocation, cette espèce d'arme nucléaire, pour ainsi dire, n'en rappellerait pas moins les intervenants à l'ordre. C'est proposé dans le rapport du Comité du patrimoine et je vous le signale. À l'instar du sénateur LaPierre et d'autres, nous cherchons les outils appropriés dans l'arsenal pour assumer notre fonction de réglementation sans pour autant essayer d'écraser une mouche à coups de marteau, car c'est ainsi que la révocation est perçue.
Le sénateur Day: Monsieur Dalfen, expliquez-nous un peu la question de la propriété croisée. Vous en avez parlé dans votre allocution. Entre 1982 et 1985, une directive du gouvernement en matière de propriété croisée visait un certain propriétaire de journaux qui voulait obtenir une licence de radiodiffusion. Quand cette directive a été révoquée en 1985, quel message accompagnait cette décision ou qu'avez-vous retenu de la révocation de cette directive en matière de propriété croisée? Vous continuez manifestement d'appliquer certaines règles en matière de propriété croisée, mais le critère est certainement quelque peu moins rigoureux qu'il ne l'était auparavant pour ce qui est des propriétaires de journaux qui achètent des actifs de radiodiffusion.
M. Dalfen: C'est exact, sénateur. Nous continuons, comme nous le faisions, de mettre dans la balance les facteurs que j'ai énoncés dans mon allocution. Cela nous préoccupe toujours. Lorsqu'il y a concentration, il faut qu'il y ait un avantage qui compense. Pendant ces trois années, c'était comme la directive sur la propriété étrangère. Les gens n'étaient pas admissibles. La loi nous interdisait tout simplement d'émettre des licences aux gens qui possédaient un journal dans un marché donné, et c'était donc clair et net. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Nous devons maintenant mettre dans la balance tous les facteurs qui sont en jeu. Vous avez absolument raison.
Le sénateur Day: Avez-vous établi une série de critères objectifs qu'un acheteur éventuel d'une entité de radiodiffusion pourrait consulter pour savoir exactement ce qu'il en est?
M. Dalfen: C'est extrêmement difficile. Nous nous sommes penchés sur ce problème et je sais que mes prédécesseurs l'avaient fait également. Le Canada n'est pas un pays tellement immense. Il n'y a que trois ou quatre marchés privilégiés, en termes de grandeur. C'est difficile d'énoncer des critères objectifs qui s'appliqueraient universellement pour ce qui est du niveau de concentration que l'on peut autoriser ou que l'on doit interdire. Quelle est la place des journaux, quotidiens, hebdomadaires et stations de radio dans l'ensemble? Il est impossible de fixer un critère qui ne donnerait pas l'impression de viser un cas particulier. En tout cas, nous n'avons pas réussi à faire cette généralisation.
Le sénateur Day: Comment quelqu'un qui veut se lancer dans la radiodiffusion peut-il prédire quelle pourrait être la réaction du CRTC à sa demande de licence?
M. Dalfen: Je pense que les décisions énoncent très clairement les considérations. Ils le savent très bien et ils lisent donc les décisions antérieures. C'est un critère juridique typique. «Ma situation est-elle différente? Est-elle semblable ou différente? Si elle est différente, dans quelle mesure cela me rendra-t-il la tâche plus difficile? À lire les décisions antérieures, comment pourrais-je présenter mon dossier de manière à dissiper les craintes ou à présenter un avantage net?» Voilà la nature de l'exercice.
Le sénateur Day: Le CRTC se sent-il lié par les décisions antérieures?
M. Dalfen: C'est une bonne question. Nous ne sommes pas liés aux termes de la loi, mais nous espérons certainement ne pas établir des principes et des critères que nous abandonnerons tout simplement à la décision suivante. Nous essayons de ne jamais faire cela, dans la mesure du possible. Si la situation est semblable à une autre, on devrait pouvoir se fier à nos décisions antérieures et s'en inspirer.
Le sénateur Day: C'est une politique interne au CRTC?
M. Dalfen: Absolument, et nous avons essayé de faire en sorte que ce soit aussi clair que possible, précisément pour cette raison.
Le sénateur Day: Ceci sera ma dernière question pour l'instant. Je vous invite à commenter l'article 3 de la Loi sur la radiodiffusion. Dans votre allocution, vous avez énoncé certains objectifs. Je voudrais que vous commentiez le troisième de ces objectifs. Plutôt qu'un objectif, c'est une sorte de principe directeur, à savoir offrir au public l'occasion raisonnable de prendre connaissance d'opinions divergentes sur des sujets qui l'intéressent. Voilà un objectif très louable. À cet égard, quand vous appliquez ce critère à une situation de fait, tenez-vous compte de l'Internet, par exemple? Cela pose de nouveau la question de la propriété croisée. Tenez-vous compte de diverses autres possibilités pour le public de prendre connaissance d'opinions divergentes?
M. Dalfen: C'est une bonne question. L'objectif est que la programmation offerte par le réseau canadien de radiodiffusion donne des possibilités raisonnables, et il faut donc examiner les émissions. Il faut voir comment un titulaire de licence présente une question d'actualité, peut-être pas dans une émission donnée, mais dans toute une série d'émissions, et la façon dont on présente divers dossiers. Ensuite, on se tourne vers l'ensemble du réseau pour s'assurer que le tout est satisfaisant, globalement.
Sans vouloir être le moindrement légaliste, nous estimons que nous ne serions pas à l'aise s'il y avait déséquilibre pendant une période prolongée à l'un ou l'autre de ces niveaux, durant une semaine de programmation dans la grille d'un titulaire de licence, ou encore à l'intérieur d'un marché, ou même dans l'ensemble du réseau, et nous essayons donc d'en tenir compte. Nous tentons d'en donner une interprétation très large. Techniquement, cela s'applique seulement dans le réseau de radiodiffusion, mais au fil des années, le Conseil s'est également penché sur des médias que nous ne réglementons pas pour vérifier la diversité des voix dans un marché donné. J'ai apporté un certain nombre de décisions, si vous voulez en prendre connaissance, mais je peux dire en toute confiance que notre examen englobe toujours plus que le réseau de radiodiffusion.
Nous ne serions pas à l'aise si le problème ne se posait pas au niveau de l'ensemble du réseau, mais que dans le marché lui-même, il n'y avait pas cet équilibre ni une possibilité raisonnable. Cela dit, je répète qu'il faut examiner tous les médias disponibles dans un marché donné. Si l'on ajoute tout ce qui est disponible par câble, par satellite, sur l'Internet, tout cela est utile. D'habitude, un requérant qui nous présente une demande et qui contribue peut-être à accentuer la concentration ne ménage pas ses efforts pour attirer l'attention sur toutes les autres sources d'information disponibles.
Dans notre rapport de surveillance dont j'ai parlé, nous avons fait une recherche sur la concentration des médias dans les quatre principaux marchés au Canada durant une période de dix ans, de 1991 à 2001. Dans chaque cas, dans presque chaque médium, vous constaterez qu'il y a un grand nombre de propriétaires et un grand nombre de sources journalistiques et de radiodiffusion sur cette période de dix ans. C'est peut-être contraire aux idées reçues, mais c'est effectivement le cas quand on scrute la question. Je suis sûr que vous-mêmes ou vos attachés de recherche ont eu l'occasion de consulter ce rapport.
Sommes-nous tranquilles? Non, il faut être vigilant en tout temps sur cette question. Nous sommes en démocratie et il faut compter sur des voix diversifiées. Il faut aussi examiner les faits dans toute situation donnée.
Mme Wylie: Cela dit, nous nous attendons aussi à ce que chaque titulaire de licence, un par un, fournisse une couverture équilibrée sur des questions d'intérêt public, au moins sur une période donnée, de sorte que l'on ne peut pas donner toujours un seul son de cloche sur une question d'intérêt public. Nous examinons l'ensemble du réseau, comme M. Dalfen l'a dit. Un titulaire de licence ne peut pas dire: «Je donne toujours le même son de cloche, mais quelqu'un d'autre s'occupe de donner le point de vue contraire». Cela ne se fait pas émission par émission, mais nous nous attendons habituellement à ce que chaque titulaire de licence soit équilibré au cours d'une période de temps qui a souvent été un an.
Le sénateur Day: Quel critère objectif permet de définir l'équilibre que vous souhaitez?
M. Dalfen: Sénateur, vous avez mis le doigt sur le noeud du problème, avec lequel nous sommes aux prises constamment. C'est impossible de le dire. Quand il s'agit des médias, comme vous le savez, surtout un médium aussi puissant que la télévision, ce ne sont pas seulement les paroles qui comptent. C'est aussi les images que l'on choisit, l'atmosphère générale de l'émission et, au bout du compte, les membres du Conseil doivent user de leur jugement. Pour le meilleur ou pour le pire, nous aboutissons à des conclusions. Je répète que le seul moyen de régir le comportement futur, c'est de lire les décisions antérieures.
Il y a aussi, comme vous le savez probablement, le Conseil canadien des normes de radiodiffusion, qui administre les codes sectoriels pour la télévision et la radio privée. Le Conseil défend en gros les mêmes valeurs que celles qui sont énoncées dans la Loi sur la radiodiffusion. Encore une fois, comme nous sommes le bras armé du gouvernement, nous nous sentons relativement à l'aise de permettre à l'industrie de s'autoréglementer sous l'égide de ce Conseil, et beaucoup de ses décisions guident également les titulaires de licence en ce qui a trait à l'équilibre.
Je n'ai jamais vu cela énoncé par écrit d'une manière qui serait très utile et qui ne comporterait pas des brèches énormes permettant de faire à peu près n'importe quoi.
Si je peux me permettre, mon avocat vient de me reprendre et je crois que je dois apporter une correction à ce que j'ai dit au sujet de la publicité qui entoure les comités. Dans les dossiers de CTV et de Global — je crois que les textes sont identiques dans les deux cas —, le Conseil fait remarquer l'engagement pris par CTV de dépenser un million de dollars par année en publicité pour faire connaître les principes et les pratiques, et aussi l'existence même et la responsabilité d'un comité de surveillance.
Cela m'avait échappé et je suis content d'avoir apporté cette précision.
Le sénateur Comeau: Ma question ne porte pas directement sur la propriété des médias, la concentration et tout le reste. Je voudrais profiter de votre présence ici pour demander au CRTC comment il peut venir en aide aux petites localités, car j'appartiens moi-même à une petite collectivité. J'habite dans l'ouest de la Nouvelle-Écosse et ma localité est divisée en deux territoires desservis par deux fournisseurs de câble, l'un assez important et l'autre de petite taille. Le plus grand est branché sur une autre localité située à environ 75 kilomètres; il s'agit d'une autre localité francophone, car je parle maintenant des collectivités francophones.
La ville où j'habite est francophone à environ 90 p. 100 et, comme vous le savez, les collectivités francophones de Nouvelle-Écosse se débattent pour assurer la pérennité de leur langue et de leur culture. Le petit fournisseur de câble de ma localité refuse catégoriquement de fournir des canaux qui nous seraient utiles dans cette tâche, notamment RDI et TV5. Même le canal parlementaire, qui est diffusé par ce câblodistributeur, est en anglais seulement. Quand on voit notre député au Parlement s'exprimer en français, on entend la voix de l'interprète dans 90 p. 100 des collectivités francophones. Récemment, la ministre du Patrimoine canadien a publié un communiqué, que je n'ai pas sous la main, dans lequel elle dit qu'elle insistera pour que les câblodistributeur fournissent des services de ce genre à ces collectivités. Elle a toutefois prévu une exception pour les petites localités. Les collectivités qui ont justement le plus grand besoin de ces services ne les auront pas, de sorte que nous continuons à nous enliser. Cette situation perdure maintenant depuis des années.
Est-ce que le CRTC peut faire quelque chose pour aider des collectivités comme celles-là à obtenir les services dont elles ont besoin pour que les gens sachent qu'il existe d'autres collectivités francophones ailleurs au Canada — le canal RDI leur donnerait cette possibilité — et qu'ils sachent que leur député au Parlement à Ottawa peut parler français sur le parquet de la Chambre des communes et que ce n'est pas le câblodistributeur, qui se trouve à 500 ou 600 milles de distance, qui prend la décision au nom de notre collectivité?
M. Dalfen: L'objectif est assurément de venir en aide à des collectivités comme la vôtre pour qu'elles reçoivent des émissions dans leur propre langue.
Je vais demander à M. O'Sullivan de vous expliquer les détails de la réglementation qui peuvent faire obstacle ou être utiles dans cette situation. Nous reviendrons à la charge si vous n'êtes pas satisfait.
Le sénateur Comeau: Je voudrais connaître les dispositions du règlement qui nous seraient utiles. J'en ai assez entendu sur celles qui font obstacle à nos collectivités. Je veux savoir comment on peut aider nos collectivités.
[Français]
M. Marc O'Sullivan, directeur général, Direction générale de la radiodiffusion, Conseil de la radiodiffusion et des télécommunicaitons canadiennes: Sur la question de CPAC et les débats de la Chambre des communes, comme l'a indiqué la ministre dans un communiqué, le gouvernement a annoncé son intention: par directive, il a indiqué au CRTC d'exiger que les cablodistributeurs distribuent CPAC sur deux signaux vidéo, pour que tout le monde ait accès à CPAC dans les deux langues officielles. Nous attendons toujours la directive. C'est un décret, pris à cette fin. On attend toujours la directive pour savoir exactement comment le gouvernement va le formuler. Néanmoins, nous avons tenté, dans la passé, de nous assurer que CPAC soit disponible. Des mesures ont été prises lors de décisions antérieures, notamment, par l'utilisation de la technologie — en anglais on dit SAD, second audio. C'est un technologie disponible sur les télévisions — qui ont été achetées au cours des dix dernières années — qui permet à la personne d'avoir un deuxième signal audio, qui lui permet d'entendre les débats de la Chambre des communes dans l'autre langue officielle. Néanmoins, le comité parlementaire, présidé par M. Bélanger, a fait un rapport sur cette question. Le gouvernement a réagit et nous attendons la directive pour la mise en place de ces nouvelles mesures. Cela s'inscrit sur la question plus large de l'ensemble des services pour les communautés francophones à travers le pays. Le CRTC a fait rapport sur cette question, il y a quelques années, pour revoir toutes les mesures qui peuvent être prises pour assurer une plus grande panoplie de services en français à travers le pays, notamment la distribution de services comme TVA. Cela reste à améliorer. En particulier sur la question de CPAC, on attend la directive du gouvernement pour réagir en conséquence.
Le sénateur Comeau: Votre réponse ne me rassure pas, j'aurais aimer trouver une manière, pour une communauté telle que la mienne, où nous pourrions venir voir le CRTC et leur dire ce qu'on peut faire ensemble pour offrir des services dans nos communautés. La volonté politique ne semble pas être là. La volonté du cablodiffuseur n'est certainement pas là. Il faut répondre aux besoins de ces communautés.
La situation actuelle est tout à fait inacceptable. Peut-être devrait-on réexaminer la manière d'offrir des services aux Canadiens en situation minoritaire, là où l'assimilation est galopante. Si ces communautés deviennent des communautés anglophones d'ici quelques années, tel que cela peut bien arriver, ce sera perdu et terminé. Que ce soit à Terre-Neuve, à l'Île-du-Prince-Édouard ou en Nouvelle-Écosse, il n'y a pas la masse critique correspondante au marché comme c'est le cas, par exemple, au Nouveau-Brunswick et au Québec. Il doit donc y avoir des moyens par lesquels, soit le CRTC ou un autre organisme, peuvent nous aider. Je suis fatigué de me frapper la tête contre le mur parce que cela ne fonctionne pas jusqu'à maintenant. Peut-être pourriez-vous examiner, dans votre arsenal d'outils, s'il n'y aurait pas des moyens pour nous aider.
[Traduction]
M. Dalfen: C'est toujours difficile, dans le cadre de telles audiences, de s'attarder à des cas individuels, mais je vais demander à un membre de notre personnel de vous rencontrer pour examiner ce cas particulier afin de voir si l'on aurait négligé quelque chose qui pourrait vous aider et, s'il était possible de faire quelque chose d'utile, comment nous pourrions nous y prendre. Il est certain que c'est un de nos objectifs et si ce problème se pose malgré tout, nous devrions essayer de le résoudre.
Le sénateur Comeau: Je vous remercie de m'avoir permis de défendre la cause de ma collectivité.
Le sénateur Adams: Je viens du Nunavut où l'on diffuse des émissions en différentes langues dans certaines localités. Je veux savoir comment le service nordique de la SRC et les différentes stations qui diffusent là-haut réglementent la radiodiffusion en différentes langues. Nous avons 27 localités et chacune d'elles possède une station locale. Nous avons deux stations, une qui vient d'entrer en ondes au printemps dernier. Le CRTC est venu dans certaines localités et on n'a pas assez de publicité quant à la date d'entrée en ondes de cette nouvelle station. Que faites-vous là-haut, dans le grand nord? Nous avons diverses langues, dont l'inuktitut, et la SRC diffuse dans ces langues. Dans ma propre localité de Rankin, on croyait que la municipalité ou le village était propriétaire, mais le village n'a pas le droit de posséder une station de radio locale. Les gens que je représente disent que cela incombe à la municipalité. À la SRC, il y a la traduction et de la publicité, et la collectivité se préoccupe de cette nouvelle station. Il y a une station à Rankin et une station à Iqaluit.
M. Dalfen: Je ne connais pas ce dossier. Nous allons demander à quelqu'un de vous répondre. Nous ne nous attendions pas à devoir aborder des cas précis que vous décrivez d'ailleurs très précisément. Nous vous ferons parvenir une réponse.
Le sénateur Adams: Il faudrait que le CRTC tienne une audience, n'est-ce pas?
M. Dalfen: Pour une nouvelle licence, il faut une audience, oui.
Le sénateur Adams: Il m'apparaît que la SRC Nord n'est pas tellement réglementée dans ses activités de radiodiffusion. N'importe qui peut téléphoner à la station et dire ce qui lui plaît. A-t-on le droit de faire cela en ondes? Il n'y a pas de règlements dans nos langues. J'ai entendu bien des gens téléphoner depuis des localités situées à 1 500 milles d'Iqaluit pour souhaiter bonne fête à des gens de leur localité sur les ondes de leur station radio. Je m'interroge sur le coût de pareilles communications et je me demande si le contribuable paye pour ces gens-là qui veulent dire bonne fête à leur famille. Il faudrait que quiconque veut exploiter une station de radio soit astreint à une politique ou à des règlements quelconques. Les gestionnaires dans les localités en question sont-ils astreints à suivre des règles?
M. Dalfen: Pour qu'il soit plus facile d'implanter la télévision, en particulier dans des localités éloignées, nous avons assoupli le cadre réglementaire, rendant beaucoup plus facile de créer des stations et d'offrir des services à ces localités. Je devrai vous donner une réponse plus précise. Je vais demander à l'un de mes collaborateurs qui connaît bien ce dossier de s'entretenir avec vous et de vous renseigner. Si vous avez d'autres questions, nous nous ferons un plaisir d'y répondre.
La présidente: En général, pourriez-vous nous faire parvenir de plus amples détails sur les exigences applicables aux stations et à la câblodistribution, quant à y être, pour la desserte des petites localités, en tenant compte du fait, encore une fois, que nous nous intéressons particulièrement à l'information? Je sais que vous êtes conscient, comme nous le sommes tous, du sentiment général que l'information locale dans les petites localités a souffert ces dernières années, qu'elle a subi des compressions. Je ne parle pas de la qualité; c'est son existence même qui est menacée. Tout renseignement sur les petites localités et les populations minoritaires, y compris la minorité anglophone au Québec, nous serait très utile.
M. Dalfen: Nous nous ferons un plaisir de le faire.
Le sénateur Phalen: Ma question fait suite à celle posée par le sénateur Day. Durant votre comparution devant le Comité permanent du patrimoine canadien, une madame Gagnon vous a demandé comment le CRTC s'assure que la diversité d'expression, d'emploi, de programmation et de nouvelles locales est assurée lorsqu'il y a une telle concentration. Le CRTC peut-il énoncer des critères dans sa licence et les faire appliquer? Mme Wylie a répondu: «Tout comme vous, nous sommes conscients du danger de la concentration et de la réduction de la diversité d'expression, mais nous devons parfois choisir entre la réduction du nombre des stations et l'existence de stations plus nombreuses appartenant au même propriétaire».
Cela m'amène à poser une question. Le CRTC est-il actuellement autorisé par la loi à refuser des licences pour cause de propriété croisée dans le domaine des médias, à cause de l'impact potentiel sur la diversité d'expression?
M. Dalfen: Absolument. Nous l'avons déjà fait. Dans l'une des décisions que j'ai citées, la récente décision rendue cet été sur le réseau TVA, qui appartient à Québecor, lequel possède beaucoup de journaux, et qui est le réseau de télévision privée dominant au Québec, le demandeur voulait se lancer dans le secteur de la radio en achetant des stations AM. Nous avons refusé sa demande précisément pour cette raison. Les préoccupations relativement à la propriété et à la concentration l'emportaient sur tout avantage que l'octroi de cette licence aurait comporté. J'ai également dit qu'il arrive parfois que ce soit l'inverse, dans une situation donnée. En l'occurrence, la situation correspondait exactement à la question que vous posez.
Le sénateur Phalen: Cela soulève une deuxième question. Lorsque la propriété croisée des médias existe déjà, le CRTC a-t-il le pouvoir de fixer des normes visant des licences accordées antérieurement, ou peut-il prendre quelqu'autre mesure pour garantir la conformité en ce qui a trait à la propriété croisée des médias? Avez-vous le droit de revenir en arrière?
M. Dalfen: La réponse est que notre pouvoir comporte certaines limites. Par exemple, la loi nous interdit d'apporter une modification à la licence d'un titulaire au cours des cinq premières années de validité. Au cours des deux dernières années, en supposant une échéance de sept ans, nous pouvons apporter une modification et dire: «Nous modifions votre licence et vous devez maintenant faire ceci ou cela».
En tout temps, nous pouvons à notre guise émettre des règlements si nous le jugeons nécessaire pour atteindre les objectifs de la loi et, de façon générale, nous pouvons toujours réexaminer la problématique. Les deux renouvellements de licences dont j'ai parlé, celles de CTV et de Global, sont survenus après l'acquisition de groupes journalistiques qui n'étaient pas assujettis à notre permission aux termes de notre loi habilitante, mais nous avons introduit des mesures de sauvegarde, notamment le comité dont nous discutions tout à l'heure avec la présidente.
Nous avons beaucoup d'occasions d'exercer un contrôle sur de telles situations. Ce serait plus difficile pour ces stations d'obtenir l'approbation d'une forte concentration de la propriété, dépendant du moment choisi pour présenter la demande. Si quelqu'un obtient une approbation et achète ensuite un journal, nous ne pouvons pas y faire grand- chose, sinon de s'assurer que l'équilibre est réalisé en continu. Cela découle du fait que notre pouvoir s'applique aux entreprises de radiodiffusion et non pas aux journaux. Si, par contre, l'acquisition de journaux a eu lieu avant la demande de renouvellement, nous pouvons faire beaucoup plus. Dans les deux cas en question, c'est ce qui s'est passé et nous avons été en mesure de mettre en place des sauvegardes. Ce ne sera toutefois pas toujours le cas, tout dépendant du moment des transactions d'affaires et des acquisitions.
La présidente: Vos pouvoirs et votre mandat visent le réseau de radiodiffusion. Vous êtes chargé de veiller à la santé du réseau de radiodiffusion. Cependant, dans les cas de propriété croisée, examinez-vous l'impact de vos décisions sur la santé des médias imprimés qui se trouvent hors de votre compétence, ou bien dites-vous simplement: «Ce sera bon pour le radiodiffuseur et si c'est mauvais pour le journal, tant pis?»
M. Dalfen: Permettez que je m'explique. Je répondrai de deux manières à cette question. Premièrement, nous ne nous attardons pas au sort d'un journal dans cette décision; nous mettons l'accent sur les répercussions que le fusionnement en question aura sur le réseau de radiodiffusion. Cependant, ce faisant, nous ne nous limitons pas seulement à la concentration de la partie de l'équation qui concerne la radiodiffusion. Autrement dit, nous élargissons le champ de notre examen pour englober toute la question de la diversité des voix dans la collectivité et nous tenons compte de la propriété des journaux dans la collectivité en question.
Deuxièmement, pour nous prononcer sur la capacité d'absorber une nouvelle station ou avant d'approuver une fusion, nous examinons l'ensemble du marché publicitaire, en particulier lorsque, comme dans le cas d'Astral, nous avons constaté que des tarifs comparables étaient offerts aux annonceurs à la télé, dans les journaux et à la radio, en particulier dans les petites villes de Chicoutimi, Trois-Rivières et Sherbrooke. C'était tout à fait une question de choix. Nous avons examiné l'ensemble du marché de la publicité, ce qui nous ramène à ma discussion de tout à l'heure avec le sénateur Graham.
À aucun de ces deux niveaux, nous ne limitons notre analyse aux radiodiffuseurs. Nous examinons l'ensemble du marché dans le cas des fusionnements, et la diversité dans l'ensemble du marché dans le cas de la propriété croisée de radiodiffusion et de journaux.
Nous ne dirions pas que nous approuvons ou refusons la demande à cause du secteur des journaux comme tel. Ce n'est pas dans notre mandat.
La présidente: Monsieur Dalfen, vous avez expliqué tout à l'heure, au début de l'audience, que le Canada n'a plus de lois ni de directives gouvernementales sur la propriété croisée. Ensuite, vous avez dit qu'il vous semblait trop difficile d'imaginer en quoi pourraient consister de telles règles. Cela m'a rendue perplexe.
Le Royaume-Uni a trouvé le moyen, même dans le cadre de son nouveau système libéralisé, de mettre en place des règles qui ne sont peut-être pas particulièrement contraignantes, mais elles n'en existent pas moins et elles établissent la distinction entre le marché national, les marchés importants et les petits marchés.
La FCC, même avec ses nouvelles règles plus souples, fait la distinction entre les grands et les petits marchés. Cet organisme a réussi à énoncer une série de règles qui sont taillées sur mesure pour s'adapter aux circonstances des marchés individuels. Ils ne sont sûrement pas plus intelligents que nous.
M. Dalfen: Je vais faire deux observations à ce sujet. Je connais moins le Royaume-Uni que les États-Unis. Nous avons tous lu des articles sur l'imbroglio récent dans lequel s'est enfoncée la FCC en tentant d'assouplir les règles sur la propriété croisée des médias.
Voyons les deux règles qu'ils ont essayé de changer. La première visait un journal propriétaire d'une station de télévision dans le même marché. Ils voulaient faire ce que le Canada avait fait en 1985, c'est-à-dire éliminer cette restriction. En tant que gouvernement ou que pays, nous avons décidé que ce n'était pas une préoccupation pour nous sur le plan absolu. La FCC a maintenu cette règle et elle est encore en vigueur parce que leur tentative pour la changer s'est embourbée devant les tribunaux, et le Congrès n'en aime pas tous les aspects.
Le gouvernement ne veut pas imposer de nouveau une règle de ce genre. Vous avez absolument raison de dire que ce n'est rien de bien difficile. Nous avions une telle règle et nous avons décidé après trois ans que nous n'en voulions plus dans notre pays.
L'autre règle vise l'augmentation de la part de marché d'un réseau de télévision dans l'ensemble du pays. À l'heure actuelle, les réseaux n'ont pas le droit de posséder plus de 35 stations desservant plus de 35 p. 100 du marché. Après une dure lutte, ils ont décidé de relever ce chiffre à 45 p. 100. Or 45 p. 100 du marché des États-Unis — ou même 35 p. 100, ce qui est la règle actuelle —, cela représente 100 millions de personnes. Le seuil imposé dans ce pays, c'est que l'on ne peut pas dépasser 100 millions de personnes.
Au Canada, en application de la politique publique, les réseaux SRC, CTV et Global possèdent déjà 95 p. 100 du marché canadien. Nous avons fait cela pour une bonne raison. Nous croyons qu'en créant des entités de taille appréciable, si l'on tient compte de l'existence de marchés anglophones et francophones, on peut rejoindre au maximum 25 millions de personnes au lieu de 100 millions aux États-Unis. Si nous ne faisions pas cela, nous nous retrouverions avec des entités trop petites pour investir dans une programmation correspondant à l'objectif fondamental de la Loi sur la radiodiffusion. Encore une fois, comme gouvernement et comme société, nous avons dit que nous voulons les réseaux SRC, CTV et Global. CHUM en est maintenant à 70 p. 100 du marché. Nous sommes bien au-delà des chiffres fixés par les Américains en pourcentage, même si les chiffres absolus sont beaucoup plus faibles, et il y a concurrence partout. Dans chaque marché, ces trois réseaux sont présents. CHUM et d'autres augmentent leur part du marché.
Voilà l'approche que nous avons adoptée dans notre pays. Autrement, ce sont là les deux règles américaines. Quelle serait la prochaine règle qui deviendrait le critère objectif? C'est difficile d'en arriver à quelque chose de précis. Voilà ce que j'essayais de dire dans ma réponse précédente. Que devons-nous dire maintenant? Quelle serait la proposition qui viserait, d'une manière ou d'une autre, à limiter cela?
La présidente: Préférez-vous le système actuel, dans lequel vous procédez au cas par cas, tous les autres intervenants devant essentiellement lire intégralement la décision et tenter de comprendre le système?
M. Dalfen: Il est clair que nous avons voulu que ces réseaux s'étendent à la grandeur du pays. C'est une politique nationale appliquée depuis des années. Nous voulons que ces réseaux se développent. Nous voulons des services en anglais et en français d'un bout à l'autre du pays dans la mesure du possible, au lieu de limiter les radiodiffuseurs à une certaine part du marché. C'est ce que nous avons fait, contrairement aux États-Unis.
Il est nécessaire pour les radiodiffuseurs d'avoir cette taille pour investir dans la programmation. Nous publions aujourd'hui un avis sur la façon d'encourager la production de dramatiques à la télévision de langue anglaise. Les dramatiques sont les émissions les plus populaires et attirent plus d'auditeurs que toute autre catégorie, de loin. Dans toutes les autres catégories, que ce soit les nouvelles, les affaires publiques, les sports, les Canadiens regardent en majorité des émissions canadiennes. Pour les dramatiques et les comédies, les deux ensembles, la proportion est de 11 p. 100.
À notre avis, ce chiffre est trop bas. Nous tentons de créer des émissions qui raconteront des histoires canadiennes et que les auditeurs seront intéressés à suivre parce que personne ne peut les forcer à syntoniser une station en particulier. Nous avons choisi de privilégier des réseaux d'une certaine taille et une certaine synergie pour obtenir des investissements suffisants dont on a besoin dans cette catégorie.
Telle est notre politique nationale depuis de longues années. Je pense que c'est la bonne.
Les journaux et la télévision dans le même marché ont été la réalité, par intermittence, au Canada, et c'est...
La présidente: Vous appliquerez la loi telle qu'elle est rédigée.
M. Dalfen: Exactement.
La présidente: L'un des arguments qui a été avancé avec force ici, c'est qu'étant donné la petite taille du marché canadien, que vous avez d'ailleurs évoquée, et la fragmentation accrue du marché de la radiodiffusion, la seule façon de permettre aux radiodiffuseurs canadiens de survivre est d'autoriser une sérieuse concentration de la propriété. Autrement, la fragmentation fait son oeuvre, et il ne reste rien. Je simplifie à l'extrême, mais est-ce là la théorie générale à laquelle vous souscrivez?
M. Dalfen: De façon générale, nous estimons avoir besoin d'une certaine synergie et d'un certain poids pour créer des entités capables d'assurer l'investissement. Cela ne signifie pas que dans chaque marché, il n'y a pas lieu d'être vigilant quant à la diversité des voix offertes au public. C'est primordial. Voilà l'équilibre qu'il faut tenter d'atteindre.
Encore là, des gens intelligents peuvent ne pas être d'accord. En ce qui nous concerne, c'est notre grille d'analyse. Compte tenu de la Loi sur la radiodiffusion, nous devons continuer en ce sens.
Encore une fois, comme vous l'avez dit tout à l'heure, nous ne pouvons accorder une licence à une entité propriétaire d'un journal. Nous composons avec cette situation depuis trois ans, et nous continuerons de le faire.
Le sénateur LaPierre: Vous avez dit que vous feriez une intervention au sujet des émissions dramatiques aujourd'hui?
M. Dalfen: Je pense que c'est pour demain.
Le sénateur LaPierre: Vous allez réparer les torts que vous avez causés à la suite de votre décision de 1999?
M. Dalfen: Est-ce une question?
Le sénateur LaPierre: J'ai dit: «Vous allez réparer les torts que vous avez causés en 1999?» D'aucuns vous reprochent d'avoir mis fin à la création d'émissions dramatiques et au contenu canadien en 1999. Dois-je comprendre que vous voulez ainsi réparer certains torts qui ont été causés ou créer une nouvelle dimension?
J'ai promis à la présidente de ne pas être critique, de me contrôler. Par conséquent, je vais reformuler ma question.
Au fond, cela signifie-t-il que vous souhaitez grâce à cette décision favoriser un nouvel essor de la comédie et de la dramaturgie canadiennes?
M. Dalfen: Si nous accordons la même signification au terme «essor», vous avez raison.
Le sénateur LaPierre: Il y a de l'espoir.
M. Dalfen: Je suis plein d'espoir. Nous devons améliorer la situation. Au cours de cet exercice, certains éléments de la politique de 1999 feront certainement l'objet de critiques. C'est un processus fondé sur l'ouverture puisque nous tentons de trouver des solutions. Nous devons régler le problème.
Le sénateur LaPierre: Nous sommes heureux. Si j'étais encore à Téléfilm, je vous baiserais les pieds.
J'aimerais vous parler brièvement de la propriété croisée. À la page 3 de votre mémoire, vous citez tous les cas où le Conseil a imposé plusieurs mesures de protection, comme conditions de licence. Et vous en avez fait lecture.
Toutes ces exigences sont de la poudre aux yeux pour bien des gens étant donné que tous ces intervenants existent parce qu'ils sont issus de la même mère. Deuxièmement, ils se connaissent tous. Ils ont sans doute tous fréquenté la même école de journalisme ou des hautes études commerciales. Ils parlent les uns avec les autres. Ils se rencontrent. Ils prennent un verre ensemble. Ils se parlent.
Disposez-vous d'un groupe d'inspecteurs pour vérifier que personne ne contreviendra à ces cinq règles, ou attendez- vous que quelqu'un loge une plainte à ce sujet? Autrement dit, possédez-vous l'équivalent de la GRC ou des services spéciaux de la CIA pour surveiller cela? Autrement, c'est simplement de la poudre aux yeux.
M. Dalfen: Ce n'est pas la première fois qu'on nous présente cet argument. Ceux qui souhaitent simplement la déconvergence de ces transactions, si l'on peut dire, nous ont fait valoir ce point de vue, et nous y avons été sensibles.
En bout de ligne, nous avons été convaincus — ce qui ne manque pas d'intérêt — par bon nombre des journalistes dont vous parlez. Ils étaient fortement en faveur de cela. À certains égards, c'est une question d'emplois. Ils veulent conserver leurs emplois au secteur des nouvelles du studio de télévision, ne pas les perdre au profit du journaliste de la presse écrite qui relève du même propriétaire. Globalement, les syndicats et les journalistes ont réclamé ces mesures de protection et les ont appuyées.
Nous sommes en présence d'un mécanisme déclenché par les plaintes de deux façons. Premièrement, le comité fait l'objet de publicité. Deuxièmement, les mécontents peuvent venir nous voir directement. Ils ne sont pas tenus de passer par le comité.
Il s'agit là des conditions de licence, de sorte que toute violation a des conséquences pouvant aller jusqu'à la révocation, comme nous en avons discuté tout à l'heure, pour ce qui est des ordonnances exécutoires appliquées par un tribunal. Une vaste gamme de sanctions sont prévues en cas de violation des conditions de la licence. Cependant, nous ne disposons pas d'équipes d'inspecteurs ou d'enquêteurs.
Le sénateur LaPierre: On me dit très souvent qu'il existe une sorte d'alliance entre la presse écrite et électronique. Quelqu'un rédige un article pour un journal et passe ensuite à la télévision. J'ai vu cela. Vous l'avez vu aussi. Si ce n'est pas une fusion, alors qu'est-ce que c'est?
M. Dalfen: C'est intéressant. Sénateur LaPierre, vous savez sans doute mieux que moi comment ces choses-là se passent en pratique.
On exige que soient distinctes les opérations ayant trait au contenu et à la présentation des nouvelles. Les radiodiffuseurs, et d'autres intervenants, ont affirmé que certains avantages peuvent découler d'une fusion. L'un de ces avantages est sans doute la possibilité de couvrir davantage de sujets de façon plus fouillée en ayant recours à des journalistes des deux médias.
Nous n'avons pas essayé d'établir une distinction au niveau des ressources de collecte des nouvelles, mais plutôt des décisions concernant le contenu. Comme vous avez pu le lire dans mon mémoire, les comités de rédaction sont entièrement distincts.
Les gens des services de nouvelles me disent qu'ils savent quelles sont les nouvelles. Pas nécessaire d'être un génie. S'il y a une épidémie de SRAS, c'est ça, la nouvelle. Chaque média en fera la couverture. Comment pourront-ils optimiser les symétries qui existent et en tirer parti pour couvrir les différents aspects de l'affaire? Dans certains cas, il peut être préférable de le faire visuellement alors que dans d'autres un reportage sera préférable. Les gestionnaires vont répartir les ressources de collecte de la nouvelle de cette façon. Cependant, les décisions concernant l'angle choisi et la couverture médiatique sont prises indépendamment. En principe.
Le sénateur LaPierre: Serait-il possible de demander à quelqu'un de faire des recherches et de dire au comité combien de temps le réseau Global a consacré à la cause palestinienne par opposition à la cause d'Israël? Il doit être possible de trouver cela.
M. Dalfen: C'est possible. Dois-je considérer cela comme une plainte?
Le sénateur LaPierre: Non, pour l'instant, je ne loge pas de plainte. J'ai besoin d'information avant de me plaindre.
M. Dalfen: En cas de plainte, vous devez décider ce que vous souhaitez que nous fassions. Nous engageons de multiples ressources pour analyser soigneusement la programmation de ce genre. Nous préférons nous assurer que cet exercice est déclenché par une plainte en bonne et due forme, s'il s'agit d'une plainte sérieuse.
Le sénateur LaPierre: Si l'exercice est requis par un membre officiel de notre comité, n'est-ce pas suffisant pour vous?
M. Dalfen: C'est une question d'allocation des ressources. Si votre comité souhaite que je me livre à cet exercice parce qu'il l'estime utile, nous le ferons.
Le sénateur LaPierre: J'ai une autre question qui n'a rien à voir avec la précédente. Elle porte sur les nouveaux médias. Vous ne réglementez pas les nouveaux médias de quelque façon que ce soit?
M. Dalfen: Dans notre ordonnance concernant les nouveaux médias, nous avons précisé que certaines activités sur Internet pourraient être considérées comme de la radiodiffusion. Cependant, afin de permettre à ce médium de se développer et de s'épanouir, nous avons décidé de l'exempter pour un avenir prévisible.
Le sénateur LaPierre: Pour la gouverne de ceux d'entre nous qui pensent que la télévision représente un passé glorieux et que les nouveaux médias sont notre avenir, combien de personnes au CRTC sont des experts des nouveaux médias? Existe-t-il une division comparable à celle de la radiodiffusion?
M. Dalfen: Non. Comme vous le savez peut-être, l'ordonnance relative aux nouveaux médias a été émise aux termes de la Loi sur les télécommunications et de la Loi sur la radiodiffusion. Il n'existe pas de service particulier qui s'en occupe au sein de l'organisation, mais d'un côté comme de l'autre de la maison, il y a des gens qui s'y intéressent.
Le sénateur LaPierre: Pour ma part, c'est le contenu de ces médias qui m'intéresse.
M. Dalfen: Au sujet du contenu des nouveaux médias en soi, avez-vous quelque chose à ajouter, monsieur O'Sullivan?
M. O'Sullivan: Nous ne nous y attachons pas de façon systématique en raison de l'ordonnance d'exemption. Cela dit, nous nous tenons au courant des tendances et...
[Français]
Le sénateur LaPierre: Vous n'avez rien à faire avec cela.
M. O'Sullivan: En l'absence de demande spécifique ou de sujet spécifique, il est plutôt question de suivre l'évolution de l'esprit.
Le sénateur LaPierre: Quand vous avez décidé, au sujet de Shaw et d'Express Vu, avez-vous pris en considération l'impact de cette décision sur les deux, trois fonds qui s'occupent à créer du contenu pour «canadien content» sur «new media»?
[Traduction]
Avez-vous vraiment fait une étude à ce sujet ou vous en êtes vous peu soucié étant donné que cela ne relève pas de votre mandat?
M. Dalfen: En vérité, cette décision est issue d'un compromis. On a décidé de maintenir intégralement les sommes devant être versées au Fonds de télévision canadienne. On nous avait proposé de réduire ces sommes, ce que nous avons refusé. Le Fonds sera maintenu intégralement. Nous avons tout de même permis aux requérants de toucher certaines sommes totalisant 5 p. 100 des revenus bruts de leurs entreprises de radiodiffusion. De ce 5 p. 100, 4 p. 100 doit être consacré à la programmation canadienne. Quatre points de pourcentage sur cinq, donc 80 p. 100 de cette somme est versé au Fonds de télévision canadienne, et nous avons refusé qu'on y touche. Le 1 p. 100 qui reste est acheminé dans divers fonds, y compris un fonds qui régit les nouveaux médias — ce n'est pas le cas de Shaw, mais d'ExpressVu — et nous avons dit que des sommes pourraient être prélevées dans ce fonds et réacheminées. Nous n'avons pas dit que Bell ne pourrait pas continuer à financer ce fonds intégralement, voire l'augmenter; mais pour ce qui est des sommes obligatoires, nous avons déterminé qu'elles pourraient être prélevées dans d'autres fonds. Dans le cas de Bell, il se trouve qu'il s'agit d'un fonds consacré aux nouveaux médias. Cela dit, nous n'avons pas examiné chaque fonds en particulier puisqu'il y en a plus d'un. J'ignore combien, mais il y en a une dizaine ou une douzaine consacrés aux émissions pour enfants et à d'autres émissions également. Encore là, c'est une décision qu'il a fallu prendre.
La présidente: Pourrais-je revenir un instant à la question de la convergence? On a beaucoup parlé d'une histoire en particulier ou plutôt d'une série d'histoires, nommément l'émission Star Académie au Québec, que Québecor a créée sur son propre réseau de télévision et dont il a fait une promotion effrénée dans son quotidien le Journal de Montréal, qui a une audience énorme.
Je ne vous demande pas de juger de la qualité de cet événement. Il y a des points de vue contradictoires là-dessus. Nous avons entendu un éminent professeur de journalisme dire que c'était une distorsion des valeurs journalistiques; quelqu'un a dit que cela avait chassé la guerre en Iraq de la première page du Journal de Montréal. D'autres ont dit que c'est un merveilleux exemple d'une convergence réussie, et je ne vous demande donc pas de vous prononcer sur la qualité de tout cela. Cependant, devant un tel phénomène, est-ce que quelqu'un au CRTC se demande si tout cela est conforme à la condition de licence selon laquelle le propriétaire doit maintenir des structures séparées et indépendantes pour la gestion et la présentation des informations, et prendre des décisions séparées sur le contenu et la présentation journalistique? Est-ce que quelqu'un s'interroge là-dessus?
M. Dalfen: L'un des principaux objectifs de la Loi sur la radiodiffusion, comme vous le savez, c'est de promouvoir la programmation canadienne et de faire la promotion de vedettes canadiennes auxquelles nous pouvons nous identifier, pour que nous ayons envie de regarder la télévision canadienne, car c'est bien ce que nous voulons. Je suppose que nous considérons cette activité moins comme une question de journalisme que comme la synergie que l'on obtient à l'occasion grâce à la propriété croisée des médias, permettant de faire la promotion d'émissions canadiennes. En fait, dans toutes les affaires de ce type, autant TVA que Global, le National Post, CTV et le Globe and Mail, l'un des avantages avancés était justement que cela leur donnerait l'occasion de faire tout cela.
Maintenant, nous avons reçu des plaintes et nous les examinons de temps à autre et il nous est arrivé de demander aux intervenants durant les audiences publiques en quoi consistait la promotion. Normalement, le problème se situe de l'autre côté, quand on prétend par exemple que les journaux de la chaîne CanWest n'en font peut-être pas assez pour promouvoir les émissions canadiennes que les propriétaires diffusent sur leur station. Par conséquent, quand une compagnie le fait, nous estimons que, globalement, c'est un élément positif. Cela vient renforcer le système du vedettariat québécois, dont bon nombre d'observateurs reconnaissent qu'il explique pourquoi le problème que nous percevons dans la dramaturgie en langue anglaise n'existe pas ou est loin d'avoir la même acuité au Québec. En fait, c'est même tout à fait le contraire au Canada français: on y trouve des vedettes identifiables dont on fait la promotion dans les journaux et magazines, qui n'appartiennent d'ailleurs pas tous à Québecor.
De notre point de vue, dans l'ensemble, cette activité est positive. Je doute franchement que cela émane des salles de rédaction, en ce sens que l'on y déciderait de la teneur des reportages. Cela émane probablement plutôt des dirigeants des compagnies qui se disent: utilisons ce mécanisme pour faire la promotion de nos vedettes canadiennes. De notre point de vue, c'est une bonne chose.
La présidente: Voilà qui est très intéressant.
Le sénateur Day: Je voulais aborder un domaine dont le sénateur LaPierre a parlé tout à l'heure, et vous avez répondu à ses questions, je veux dire l'Internet et la toile mondiale et le rôle du CRTC. Ai-je raison de dire que vous allez réexaminer cette politique au cours de l'année prochaine?
M. Dalfen: D'ici un an ou deux, ce sera le temps d'examiner tout cela. Nos ordonnances d'exemption doivent toujours être réexaminées quatre ou cinq ans après leur émission. Mme Wylie me rappelle que si, dans ce cas particulier, les fonds consacrés aux nouveaux médias en ont été détournés, par ailleurs, à même les sommes que sont tenus de payer les acquéreurs de médias de radiodiffusion, ces dernières années, une grande partie de cet argent a été consacrée aux nouveaux médias sous une forme ou sous une autre, études, programmation, nouvelles techniques, instituts, et cetera. Je n'ai pas les chiffres sous la main. Je peux les obtenir. En ce sens, nous avons donc fortement encouragé les radiodiffuseurs à faire tout cela; et, bien sûr, nous avons tenté de promouvoir la convergence. Cela a fonctionné à certains égards, peut-être pas à d'autres, mais les nouveaux médias nous apparaissent d'une importance cruciale et vont prendre de l'importance.
S'il y a nécessité de réglementer ce domaine — et les arguments avancés à cet égard étaient de savoir comment l'on pourra dans l'avenir réglementer ce que les Canadiens regardent à la télévision alors qu'ils peuvent obtenir des émissions équivalentes à même les nouveaux médias, sans réglementer ces derniers? Telle était la question que l'on a soulevée et, globalement, nous les avons exemptés. La question sera peut-être reconsidérée, mais à l'heure actuelle, je suppose que l'on pourrait dire que nous surveillons le tout et nous en faisons état dans notre rapport annuel.
Le sénateur Day: Je pense qu'il est important que les Canadiens sachent que vous ne fermez pas les yeux sur tout cela, que vous suivez la situation. Cela a sa place dans votre équation équilibrée et tout le reste. Vous avez bien dit que vous estimez avoir compétence sur ce domaine, du point de vue de la radiodiffusion, si vous vouliez intervenir. Est-il besoin de modifier la loi pour vous donner des bases juridiques plus solides vous permettant de contrôler ou de réglementer tout cela?
M. Dalfen: C'est une très bonne question. Je ne pense pas pouvoir y répondre de façon définitive. Ma première réaction serait de dire que je ne le crois pas, mais je veux consulter rapidement mon avocat qui aura peut-être quelque chose à ajouter. Je pense que nous sommes satisfaits de la situation présente.
L'avocat est d'accord avec cela, c'est-à-dire qu'à première vue, je ne crois pas qu'il soit nécessaire de renforcer nos pouvoirs d'intervention dans ce domaine. Il nous rappelle qu'encore une fois, c'est l'exécution de la loi qui deviendra d'autant plus importante que l'Internet, comme on le sait, est insaisissable. Il transcende les frontières, tandis qu'une installation de radiodiffusion a des limites géographiques, des paramètres, et cetera. Leur activité se situe en tout ou en partie à l'intérieur du pays et l'on peut s'en occuper; pour l'Internet, c'est beaucoup plus difficile.
Le sénateur Day: La question se pose dès maintenant pour le téléchargement de la musique et des films. Les tribunaux sont saisis du problème sous l'angle du droit d'auteur. Nul doute que cela pourra vous aider et vous guider dans votre étude l'année prochaine.
Le seul autre point que je voulais aborder concerne l'une des conditions que vous avez imposées et dont vous avez parlé dans votre allocution, nommément la création de comités de surveillance. Si je comprends bien, le Comité de surveillance est un comité neutre et indépendant créé par le requérant. C'est bien cela? C'est ce dernier qui assume le coût de la création de ce comité de surveillance indépendant. C'est ce que j'avais compris.
M. Dalfen: C'est énoncé dans les décisions, mais je n'étais pas certain au sujet de la publicité et je vais donc vérifier ici pour ce qui est de la nomination. Il est certain que ce sont des personnes indépendantes qui font partie du comité.
Le sénateur Day: Il y aurait un comité indépendant pour chaque radiodiffuseur qui est assujetti à cette condition; ce n'est pas un seul pour tout le Canada?
M. Dalfen: Non.
Le sénateur Day: Il y en aurait donc un bon nombre, et ce comité de surveillance indépendant est tenu de faire rapport annuellement au CRTC sur toute plainte dont il est saisi?
M. Dalfen: Oui, une fois par année.
Le sénateur Day: Si je comprends bien, ces comités indépendants n'ont pas rapporté beaucoup de plaintes. Vous est- il venu à l'esprit que le public ignore qui fait partie de ces comités indépendants, ne connaît pas leur mandat, ne sait pas à qui s'adresser pour porter plainte, ou même qu'il en ignore totalement l'existence?
M. Dalfen: Comme je l'ai dit, le requérant prend l'engagement de dépenser un million de dollars pour en faire la publicité, mais je m'engage, après la réunion, à vérifier, premièrement, si cet argent a été dépensé, et deuxièmement, quelles techniques sont utilisées pour s'assurer que les gens sont au courant. S'il y a absence de plainte, c'est soit parce que tout va bien, soit parce que personne n'est au courant. Nous en prenons bonne note et si nous avons quelque chose à ajouter à ce que nous avons dit ici, nous allons faire nos devoirs.
Le sénateur Day: Pouvez-vous mettre à jour l'information que nous avons, qui date d'environ un an, quant au nombre de ces comités de surveillance neutres et indépendants? Donnez-nous une idée de leur ampleur, de leur nature et de leur nombre, et du nombre de rapports qu'ils ont faits.
M. Dalfen: Je vais essayer de vous donner le plus de renseignements possibles, parce que j'aimerais bien le savoir moi aussi. À quelle fréquence se réunissent-ils? Quel est leur ordre du jour? Nous allons tenter de vous expliquer tout cela.
[Français]
Le sénateur Corbin: J'aimerais soulever trois points que le témoin pourrait commenter.
[Traduction]
Dans le numéro du 29 septembre de cette année du magazine Maclean's, on trouve un essai de Kirk Lapointe intitulé «Perte de confiance envers les médias: Le choix est si vaste, alors pourquoi les lecteurs ont-ils l'impression de ne pas trouver ce qu'ils cherchent?» L'article est essentiellement un commentaire sur les résultats d'un sondage effectué par la firme torontoise Ipsos-Reid et une organisation appelée Pew Research Centre for the People and the Press, qui a son siège à Washington. Kirk Lapointe déclare:
[...] les deux tiers des répondants au sondage croient que la couverture journalistique est faussée par des groupes d'intérêts spéciaux ou une attitude intéressée reflétant un parti pris politique ou les objectifs du monde des affaires. Beaucoup se détournent des sources traditionnelles d'information qui ne correspondent plus aux valeurs ou aux pratiques des gens. Les laissés pour compte englobent les jeunes, les femmes, les membres des groupes ethniques — une multitude de gens qui cherchent activement des solutions de rechange. Ils se tournent ailleurs, vers les canaux spécialisés, les magazines en ligne et bulletins électroniques, et même les émissions-causeries de fin de soirée [...]
D'une certaine manière, j'interprète des commentaires de ce genre comme des critiques envers vos décisions d'octroi de licences. Je passe maintenant à un autre point.
Voici un extrait d'un article publié dans L'actualité du 1er septembre 2003.
[Français]
C'est un article de Jacques Gobdout publié sous la chronique «livres» et qui s'intitule «Paresse ou Omerta dans la presse»? Le mot «omerta» signifie la loi du silence dans les milieux proches de la mafia. M. Godbout fait un commentaire sur un livre publié récemment et qui a pour titre «Black List». Ce livre a été rédigé par 15 grands journalistes américains et est disponible en anglais et en français. Il cite ce passage:
De toutes les dérives auxquelles on assiste aujourd'hui dans la pratique journalistique, aucune n'est plus insidieuse que l'omniprésence de conglomérats à la tête de groupes de presse et de communication.
J'aimerais obtenir votre commentaire là-dessus.
La troisième citation est de moi-même.
[Traduction]
N'y a-t-il pas des jours où vous aimeriez faire table rase de toutes les règles et faire comme bon vous semble en vous fondant sur votre sens commun, et pourriez-vous nous en donner un exemple? Autrement dit, la législation actuelle régissant votre mandat vous impose-t-elle des directives trop contraignantes, compte tenu des tendances émergentes et des bouleversements dans votre domaine d'activité?
M. Dalfen: Je vais essayer de répondre à vos questions dans l'ordre, sénateur. Si je suis à côté de la question, je vous prie de me le faire savoir.
Au sujet de ce que dit Kirk Lapointe sur la désaffection, je crois qu'il y a en effet désaffection. Je pense que les jeunes se détournent de plus en plus de la radio. Ils téléchargent plutôt des fichiers sur Internet. Cela coûte beaucoup d'argent à l'industrie canadienne du disque, qui subit depuis trois ans une contraction de 10 p. 100 par année. C'est toujours dur.
Le sénateur Corbin: Puis-je vous interrompre? Les commentaires portaient sur les nouvelles, les affaires publiques, le reportage d'enquête et tout le reste, pas tellement sur le divertissement, mais plutôt les médias d'information.
M. Dalfen: De ce point de vue, je crois toutefois que M. Lapointe prouve par ses propres commentaires que le système renferme une certaine diversité. Deux des sources qu'il cite comme solution de rechange vers lesquelles les gens se tournent sont les services spécialisés, qui ont été créés précisément pour offrir des services dans des créneaux différents — et les services spécialisés offrent d'ailleurs beaucoup de bulletins d'information — et les émissions- causeries de fin de soirée. De quoi parle-t-on? De la radio. En fait, les gens se branchent simplement sur un autre volet du réseau de radiodiffusion.
Les gens lisent des magazines sur Internet — je suis certain que nous le faisons tous. Vous pouvez vérifier ce que votre câblodistributeur vous offre, mais vous avez CNN, CNN Headlines, BBC, TV5, et Fox fait maintenant une demande de canal de nouvelles. On peut difficilement trouver un seul service disponible en Amérique du Nord auquel les Canadiens n'ont pas accès. La diversité des sources de nouvelles à la télévision seulement est déjà très grande. Au sujet de la désaffection, je ne peux pas vraiment ajouter quoi que ce soit.
Nous essayons de tenir compte des points de vue divergents. Parmi les nouveaux services numériques de catégorie 2, il y a iChannel pour l'information et les actualités, CPAC et bien d'autres qui essayent de répondre à cette demande, et nous encourageons ce mouvement.
Vous avez mentionné les téléspectateurs membres des groupes ethniques et nous venons tout juste de faire une présentation au rapporteur de l'ONU à l'une des commissions. Il y a eu ces dernières années une flambée extraordinaire de nouvelles licences de services ethniques et spécialisés à la radio et à la télévision. Leur nombre a augmenté de façon spectaculaire depuis deux ou trois ans. Il y a toujours place pour faire mieux. Différents groupes veulent leur propre station. Récemment, nous avons accentué nos efforts pour s'assurer que cet auditoire obtienne des débouchés de plus en plus nombreux.
Au sujet de l'omerta et de la liste noire et des conglomérats, nous sommes toujours vigilants en matière de concentration de la propriété, parce que chacun sait d'instinct qu'il faut surveiller cela constamment. Nous essayons de le faire et de mettre dans la balance les coûts et les avantages. Nous savons qu'il faut examiner la situation quand nous voyons qu'il y a concentration de la propriété dans le secteur des médias. En tant que société et en tant qu'organisation, nous essayons de faire la part des choses et de tirer parti des avantages sans subir les inconvénients.
Vous avez parlé de simple bon sens. Quant on réglemente et que l'on ne cesse d'ajouter règlement sur règlement, la structure d'ensemble prend souvent une allure hétéroclite car on fait constamment du rapiéçage. Nous essayons de façon continue de nettoyer le tout, de simplifier et de rationaliser, parce que personne n'aime rendre une décision qui semble contraire au bon sens. Nous sommes parfois liés par ce qui a été fait auparavant et nous voulons nous assurer de ne pas changer de cap constamment d'une décision à l'autre. Il y a toujours des transitions au cours desquelles les règles peuvent donner l'impression de ne pas être à 100 p. 100 dans la ligne du bon sens.
Je peux vous assurer que mes collègues et moi-même membres du Conseil, ainsi que tout notre personnel savons très bien où se situe le bon sens et que nous essayons d'en imprégner toutes nos décisions. Quant à savoir si nous y réussissons toujours, je suis sûr que les opinions divergent là-dessus, mais nous visons toujours la clarté et le bon sens.
Le sénateur Corbin: Enfin, combien de vos décisions au fil des années ont été contestées devant les tribunaux?
La présidente: Ou devant le Cabinet.
Le sénateur Corbin: Oui, que ce soit le Cabinet ou les tribunaux? Autrement dit, quel est votre niveau de popularité sur une échelle de 1 à 10?
M. Dalfen: La réponse, c'est un très petit nombre. Quand nous rendons une décision et accordons une licence que six entités avaient demandée, cinq candidats sont nécessairement mécontents parce qu'ils n'ont pas gagné, et le gagnant n'est pas nécessairement entièrement heureux lui-même parce qu'il n'aime peut-être pas les conditions. Quand le négatif se situe à cinq et demi, contre seulement un demi de positif, ce n'est pas exactement une formule gagnante sur le plan politique. Les organisations comme la nôtre suivent des procédures quasi judiciaires transparentes qui adhèrent aux règles de la justice naturelle.
Pour ce qui est de faire appel au Cabinet, dans la mesure où le Cabinet accueille favorablement les appels, c'est bien sûr plus attrayant pour les requérants parce que s'ils peuvent faire invalider notre décision, ils vont revenir à la charge la fois suivante. Comme cela remet en question la raison d'être de l'organisme, l'effet amortisseur a été assez prononcé.
Ces dernières années, il y a eu trois ou quatre affaires devant les tribunaux, dans lesquelles Québecor contestait un certain nombre de décisions et, sauf erreur, sans exception, la cour a toujours tranché en notre faveur sur les points juridiques en litige dans les affaires de radiodiffusion.
Nous ne sommes pas infaillibles, loin de là, et nous essayons de toutes nos forces de rendre nos décisions inattaquables sur le plan juridique, que ce soit devant le Cabinet ou les tribunaux. Très peu de contestations ont été couronnées de succès, ce qui montre que le système fonctionne. Si nos décisions étaient invalidées plus souvent par le Cabinet et les tribunaux, notre orientation deviendrait ambiguë et je ne crois pas que ce serait intéressant sur le plan des affaires publiques.
Le sénateur Graham: Je suis conscient que l'heure avance et je n'oublie pas le vieux dicton selon lequel l'esprit ne peut guère rester en éveil si l'arrière-train a la bougeotte, et je vais donc essayer de me limiter à une seule question.
J'en reviens aux premières observations de mon collègue le sénateur Day, quand il a fait allusion au décret du Conseil de 1982 qui stipulait que le CRTC ne pouvait accorder ou renouveler de licence aux candidats qui étaient contrôlés directement ou indirectement par le propriétaire d'un journal quotidien ayant un tirage de tant d'exemplaires, et cetera. Cette directive a été abrogée en 1985, comme le sénateur Day l'a dit.
Je ne crois pas que nous ayons consacré plus de temps, durant nos discussions avec nos divers témoins, à un autre sujet que la propriété croisée. Cela faciliterait-il la tâche du CRTC si le gouvernement donnait des directives très précises relativement à la propriété croisée des médias?
M. Dalfen: Je ne crois pas que ce serait un problème pour nous si le gouvernement avait des vues catégoriques là- dessus. La propriété étrangère est actuellement en jeu, comme vous le savez. Cela changerait notre exercice d'équilibrage. Nous ne pourrions plus mettre dans la balance le pour et le contre dans ce dossier.
L'avantage, c'est que ce serait plus clair. Par contre, nous avons trouvé des cas dans lesquels les avantages l'emportent globalement à cause de la synergie. Pourvu qu'il y ait des sauvegardes, cela peut être une bonne chose, dans l'ensemble, et nous avons tiré cette conclusion dans un certain nombre de cas.
Si je prends du recul et que j'examine l'ensemble de la politique de la radiodiffusion, je ne réclamerais pas une telle directive, mais nous pourrions nous en accommoder si telle était la volonté du gouvernement.
Le sénateur Graham: J'y vois l'avantage de la clarté.
Le sénateur Day: En guise de question supplémentaire, je penche en faveur de la clarté. Quand j'ai posé cette question tout à l'heure, je posais au départ qu'il ressortait clairement du fait qu'il existait une interdiction et qu'elle avait été supprimée que le gouvernement avait ainsi donné le signal que vous devez appliquer vos principes généraux et qu'il est possible de le faire. Il est donc clair que cette propriété croisée n'est pas interdite; dans certaines circonstances, cela peut être une bonne chose pour la société canadienne.
M. Dalfen: Telle est mon interprétation.
La présidente: Monsieur Dalfen, madame Wylie, monsieur O'Sullivan, je vous remercie beaucoup. Cette séance a été des plus utiles. Comme vous le savez, nous vous avons donné beaucoup de devoirs à faire pour nous, ce qui nous sera également très utile dans nos travaux.
La séance est levée.