L’APPROVISIONNEMENT EN EAU POTABLE SÉCURITAIRE POUR LES PREMIÈRES NATIONS
Rapport final du Comité sénatorial permanent des
peuples autochtones
Président,
L’honorable Gerry St. Germain, C.P.
Vice-président,
L’honorable Nick Sibbeston
Mai 2007
A.
TRAITER LES LACUNES EN MATIÈRE DE RESSOURCES COMME CONDITION
PRÉALABLE À UN CADRE RÉGLEMENTAIRE
B.
CONSULTATIONS SUR LES OPTIONS LÉGISLATIVES
LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES
1ere session, 39e Législature
L’honorable Gerry St. Germain, C.P., président
L’honourable
Nick Sibbeston, vice-président
Les honorables sénateurs :
Larry
W. Campbell
Lillian Eva Dyck
Aurélien Gill
Leonard
J. Gustafson
Elizabeth Hubley
Sandra
M. Lovelace Nicholas
Robert
W. Peterson
Hugh
Segal
Charlie
Watt
Membres d’office du Comité :
Les
honorables sénateurs : Marjory LeBreton, C.P. (ou Gerald J. Comeau), Céline
Hervieux-Payette, C.P. (ou Claudette Tardif)
Autre sénateur ayant participé
de temps à autres à cette étude :
L’honorable sénatrice Lorna Milne.
Greffière du Comité :
Josée
Thérien
Analyste du Service
d’information et de recherche parlementaires de la Bibliothèque du
Parlement :
Tonina
Simeone
Extrait des Journaux du Sénat du jeudi 29 mars 2007:
L'honorable sénateur Comeau propose, appuyé par l'honorable sénateur Di Nino,
Que le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones soit autorisé, conformément à l'article 86(1)q) du Règlement, à étudier, pour en faire rapport, les travaux récents concernant l'eau potable dans les collectivités des Premières nations, notamment : le Rapport du groupe d'experts sur la salubrité de l'eau potable dans les collectivités des Premières nations (novembre 2006); le Rapport de la commissaire à l'environnement et au développement durable, L'eau potable dans les collectivités des Premières nations (2005); et le plan d'action amorcé par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien pour s'attaquer aux problèmes liés à l'eau potable dans les collectivités des Premières nations;
Que le Comité présente son rapport sur ce sujet au Sénat au plus tard le 15 juin 2007.
La motion, mise aux voix, est adoptée.
Le
greffier du Sénat
Paul C. Bélisle
L’APPROVISIONNEMENT EN EAU POTABLE SÉCURITAIRE POUR LES PREMIÈRES NATIONS
Le 25 octobre 2005, le ministre délégué aux Affaires autochtones de la province de l’Ontario a ordonné l’évacuation de près de 1 000 résidents de la réserve de Kashechewan après que des contrôles de l’eau potable aient révélé une forte densité de la bactérie Escherichia coli (E.coli). Les résidents de cette petite localité des Premières nations, situées dans le Nord de l’Ontario dans une plaine inondable sur les berges de la Baie James, sont contraints depuis plus de deux ans de faire bouillir leur eau avant de la consommer. L’usine de traitement des eaux de la collectivité était située à proximité et en aval du bassin de stabilisation des eaux usées.
Les questions de la qualité et de
la distribution d’eau potable sécuritaire dans la réserve ne sont pas
exclusives à la collectivité de Kashechewan. En 1995, une évaluation faite
par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC) et Santé
Canada établissait que 25 p. 100 des systèmes de traitement des eaux dans
les réserves présentaient des risques pour la santé et la sécurité des
populations autochtones vivant au sein des collectivités visées.
En 2001, une nouvelle évaluation révélait que près des trois quarts des
systèmes de traitement de l’eau potable à l’intérieur des réserves
présentaient des risques importants. Récemment, en mars 2007, le MAINC a
publié un rapport d’étape sur l’eau potable des Premières nations indiquant
que les systèmes de traitement des eaux de 97 collectivités des Premières
nations étaient classés présentent un risque élevé. De plus, le
Protocole pour la salubrité de l’eau potable dans les communautés des
Premières nations de 2006 du MAINC stipule que chaque collectivité des
Premières nations doit disposer d’un opérateur certifié des systèmes
d’alimentation en eau. À l’heure actuelle, seulement 37 p. 100 des
opérateurs sont certifiés.
Paradoxalement, un certain nombre de problèmes concernant la qualité de l’eau potable à l’intérieur des réserves découlent du développement économique et d’autres activités qui ont contaminé les sources des collectivités des Premières nations. Plusieurs collectivités du Nord, par exemple, ont constaté des niveaux élevés de contamination au diesel; l’enfouissement de matériel militaire s’est traduit par des taux élevés de BPC dans les réseaux voisins d’alimentation en eau.
La gravité et l’urgence de la
situation requièrent que le gouvernement trouve une solution adéquate au
problème. Le Comité a étudié un certain nombre de rapports au sujet de
l’approvisionnement en eau potable sécuritaire des réserves. Le présent
rapport est fondé sur notre examen de ces sources et les dépositions de
témoins.
A. TRAITER LES LACUNES EN MATIÈRE DE RESSOURCES COMME CONDITION PRÉALABLE À UN CADRE RÉGLEMENTAIRE
Ma conclusion personnelle est que si nous voulons voir l’achèvement des efforts nationaux considérables que nous avons déployés pour obtenir une eau potable de qualité sur les réserves autochtones, nous devrons d’abord nous inquiéter de la ressource et ensuite du cadre réglementaire.
M. Harry Swain
Président du groupe d’experts sur l’approvisionnement en eau potable sécuritaire pour les Premières nations
Tous les témoins qui ont déposé devant le Comité, incluant l’Assemblée des Premières nations (APN), s’accordaient, en théorie, pour dire qu’il est nécessaire d’arrêter un cadre de réglementation qui régirait l’approvisionnement en eau potable des collectivités des Premières nations. Il n’y a pas de doute : les normes légales sur l’eau doivent être précisées. Ne reste plus qu’à définir à quel moment une telle réglementation doit entrer en vigueur.
Le groupe d’experts sur l’eau potable sécuritaire pour les Premières nations([1]) (groupe d’experts) croit qu’une réglementation ne permet pas à elle seule d’assurer avec efficacité une eau potable sécuritaire sans que d’autres exigences ne soient satisfaites, incluant un investissement tant en ressources humaines qu’en actifs physiques. Selon eux, « il ne serait pas crédible de mettre un régime de réglementation en place sans que les capacités adéquates ne soient présentes pour répondre aux exigences du régime »([2]). Il conclut que non seulement la création et la mise en application d’un régime de réglementation exigeraient du temps, de l’attention et de l’argent, mais qu’il serait préférable d’investir dans les réseaux, les opérateurs, la gestion et la gouvernance. Les membres du groupe d’experts s’inquiètent également de constater des lacunes continues au chapitre des ressources même si un financement additionnel était offert afin de couvrir les coûts du régime de réglementation.
De même, la position de l’APN est que le gouvernement du Canada doit combler les lacunes en matière de ressources nécessaires afin de mettre les installations des Premières nations à niveau avec le reste des installations canadiennes. Richard Jock, directeur général de l’APN, a déclaré : « Vous pouvez avoir les normes les plus strictes, mais si vous n’avez pas les moyens systématiques de les atteindre, alors elles sont sans intérêt »([3]). La nécessité de traiter les problèmes de capacité dans les collectivités des Premières nations a aussi été soulevée par les responsables de la commissaire à l’environnement et au développement durable qui affirment que l’engagement et la capacité des gens à faire fonctionner les systèmes sont des gages de réussite en matière d’obtention d’eau potable sécuritaire. De leur point de vue, quel que soit le « régime de réglementation en vigueur dans le futur, il doit, dès le départ, favoriser la création et l’entretien de cette capacité »([4]).
Selon les observations écrites du groupe d’experts, plusieurs collectivités des Premières nations ont déclaré que les systèmes de traitement des eaux doivent satisfaire à des normes claires avant de mettre en place un régime de réglementation. Le Atlantic Policy Congress of First Nation Chiefs, par exemple, a recommandé aux membres du groupe d’experts de ne pas mettre la charrue avant les bœufs, car les collectivités des Premières nations se retrouveraient alors en mauvaise posture, voire dans une situation encore pire que celle qui prévaut([5]). Les conclusions du groupe d’experts soutiennent ce point de vue : « L’instauration d’une réglementation qui ne serait pas accompagnée d’un investissement nécessaire pour renforcer les capacités pourrait même mettre en péril la salubrité de l’eau, car les ressources si rares serviraient pour financer le cadre de réglementation et les coûts de sa mise en application »([6]). Dans le même ordre d’idée, l’APN a exprimé ses préoccupations au sujet des risques auxquels font face les différentes collectivités qui n’arrivent pas à se conformer aux normes législatives en raison des carences de leurs systèmes actuels de traitement des eaux ou de l’absence d’opérateurs dûment formés pour administrer ces systèmes.
Le MAINC adopte un point de vue différent. Les fonctionnaires du ministère nous ont dit que, à la suite de leurs délibérations, il serait préférable de commencer par l’élaboration d’un régime de réglementation puis de « l’appliquer progressivement afin de permettre la mise à niveau des réseaux d’approvisionnement en eau pour qu’ils soient conformes aux critères du régime »([7]). Compte tenu des sources consultées et des témoignages reçus, le Comité est très préoccupé par la position du ministère à ce sujet dans la mesure où elle semble aller à l’encontre de celle de son propre groupe d’experts. Le Comité s’accorde avec les témoins entendus pour affirmer que la priorité doit être de combler les lacunes en matière de ressources et non de mettre en œuvre un cadre réglementaire. Il est peu probable que les normes réglementaires améliorent la qualité et la distribution d’eau potable dans les réserves si on ne dispose pas des capacités physiques et humaines pour s’y conformer. En fait, la situation pourrait même s’aggraver.
Sur ce point, le Comité est inquiet du peu de progrès réalisé sur le plan de la formation et de la certification des opérateurs de systèmes de traitement des eaux des Premières nations. Même les meilleures installations ne peuvent assurer une distribution d’eau potable sécuritaire si elles sont mal administrées et mal exploitées. Bien que le MAINC travaille à renforcer et à élargir son programme de formation itinérant, un programme conçu pour améliorer les capacités des Premières nations à exploiter et à entretenir les systèmes de traitement des eaux et des systèmes de traitement des eaux usées, ces efforts restent largement insuffisants. Le Rapport de la commissaire à l’environnement et au développement durable de 2005 conclut que, dans bien des cas, le formateur consacre plus de temps à la résolution de problèmes qu’à la formation elle-même. Le Comité croit fortement qu’un programme de formation à long terme doit être mis en place immédiatement. À cette fin, le ministère pourrait étudier la possibilité de mettre en place des centres de formation régionaux ou d’établir des partenariats avec des collèges communautaires locaux pour assurer une formation adéquate.
Au cours de la dernière décennie, des investissements importants ont été faits pour répondre à ces besoins de capacité et dans les systèmes de traitement des eaux et de traitement des eaux usées dans les réserves. Le Rapport de la commissaire à l’environnement et au développement durable sur l’eau potable dans les collectivités des Premières nations de 2005 estime que, entre 1995 et 2003, le gouvernement fédéral a dépensé environ 1,9 milliard de dollars pour aider les collectivités des Premières nations à fournir des services d’approvisionnement en eau potable sécuritaire dans les réserves. Les fonctionnaires du MAINC ont déclaré au Comité que, depuis 2003, 1 milliard de dollars supplémentaires ont été investis pour l’aménagement d’installations, l’exploitation et l’entretien des usines de traitements des eaux et des eaux usées dans les réserves. Le MAINC reconnaît que, malgré des efforts continus et l’appui du gouvernement fédéral, certaines collectivités des Premières nations doivent faire face à des difficultés importantes pour mettre en œuvre des régimes de traitement des eaux sécuritaires et efficaces. Les questions fondamentales soulignées par les fonctionnaires comprennent les coûts élevés des équipements, de la construction et de l’entretien des installations dans des régions isolées; les limites de la capacité des régions de retenir les services d’opérateurs qualifiés; l’absence de ressources pour financer convenablement l’exploitation et l’entretien du système([8]). Le Comité fait aussi remarqué que la Stratégie de gestion de l’eau des Premières nations de 2003 du MAINC, qui allouait 600 millions de dollars sur 5 ans afin d’améliorer de façon substantielle la qualité et la salubrité de l’eau dans les collectivités des Premières nations, arrive à échéance en mars 2008.
Selon le groupe d’experts, ces investissements ont permis des améliorations significatives des systèmes, mais « il est temps de donner un dernier gros coup de pouce ». M. Harry Swain, président du groupe d’experts, a déclaré que :
Si le gouvernement fédéral poursuit les efforts actuels pendant encore cinq ans, nous devrions être en mesure de fonctionner à un niveau où le nombre d’avis d’ébullition de l’eau serait très bas et qu’il n’y aurait plus lieu de s’inquiéter. En d’autres termes, cette question ne fait pas partie des problèmes auxquels les membres des peuples autochtones du Canada devront réagir encore et encore. Ceci peut être résolu et sera résolu grâce à de solides investissements sur une période limitée([9]).
Le volume d’investissement nécessaire pour s’assurer que la mise à niveau des systèmes de traitement des eaux des Premières nations, incluant leur exploitation, soit acceptable et durable est incertain. Selon les premières estimations de l’APN, il serait de l’ordre de 15 à 25 milliards de dollars. Selon M. Swain : « Nous en somme maintenant à l’étape où l’intention des politiques de 1977, normes similaires aux communautés non autochtones comparables en matière de taille et d’éloignement, semble accessible, bien que de bonnes méthodes de quantification manquent »([10]). [c’est nous qui soulignons]
Le Comité est parfaitement conscient que les mesures et les outils d’évaluation des risques du ministère présentent un certain nombre de préoccupations importantes. Dans ses conclusions du rapport de vérification sur l’eau potable sécuritaire dans les collectivités des Premières nations de 2005 de la commissaire à l’environnement, Jerome Berthelette du Bureau du vérificateur général a expliqué au Comité que le ministère n’avait pas disposé de preuves suffisantes pour déterminer si les usines de traitement des eaux ont été construites selon les normes établies et étaient conformes et qu’elles ne présentaient aucune lacune en ce qui a trait à l’usine de traitement des eaux([11]). En d’autres termes, le ministère n’a pas défini adéquatement les carences existantes en matière de capacité de l’usine à produire la quantité et la qualité d’eau nécessaire ainsi que la construction de l’usine elle-même. Par conséquent, le Comité est particulièrement préoccupé par le fait que le Parlement n’ait pas un accès complet à des renseignements précis sur la qualité et la sécurité de l’eau potable dans les collectivités des Premières nations.
Dans la même veine, le groupe d’experts a déclaré au Comité que ses membres avaient identifié les collectivités qui étaient à risque, mais que ces mêmes communautés ne paraissaient pas présenter de risque selon l’évaluation de risque du ministère, car elles ne possédaient aucun système de traitement des eaux. Selon l’APN, les évaluations du ministère sont douteuses : « Ceci n’est pas l’évaluation d’un ingénieur professionnel; c’est quelqu’un du Ministère qui appelle peut-être les collectivités… Nous demandons que chaque système soit évalué par un ingénieur »([12]). Étant donné l’importance de l’eau potable sécuritaire pour la santé des populations et des collectivités des Premières nations, le Comité pense que l’absence d’information complète et de rapport de la part du ministère à ce sujet constitue un problème urgent auquel il faut réagir.
En fonction des preuves présentées en ce qui a trait aux besoins en matière de ressources des collectivités des Premières nations relativement à l’eau potable sécuritaire, le Comité soumet les recommandations suivantes.
RECOMMANDATION 1:
Que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien effectue une vérification professionnelle de l’infrastructure du service d’approvisionnement en eau, de même qu’une évaluation indépendante, en collaboration avec un représentant des Premières nations, des besoins en ressources humaines et en biens durables des collectivités autochtones en ce qui a trait à la distribution d’eau potable sécuritaire avant que la Stratégie de gestion de l’eau des Premières nations ne vienne à échéance, en mars 2008.
Qu’au terme de l’évaluation indépendante des besoins, le ministère consacre les fonds nécessaires pour répondre à tous les besoins en ressources des collectivités des Premières nations relativement à l’approvisionnement en eau potable sécuritaire.
Qu’un plan complet pour la distribution des montants du fonds dédié soit terminé pour juin 2008 et
Qu’à l’achèvement du plan complet, le ministère en fournisse un exemplaire au Comité, et qu’il se présente devant lui pour faire un rapport sur le contenu du plan.
B. CONSULTATIONS SUR LES OPTIONS LÉGISLATIVES
Le groupe d’experts sur l’eau
potable sécuritaire pour les Premières nations, mis sur pied en 2006 par le
ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, a étudié à fond
cinq options législatives permettant de réglementer l’eau potable dans les
réserves. Le groupe a étudié trois options : l’adoption d’une nouvelle loi
fédérale, l’intégration des lois provinciales relatives à l’eau à la
nouvelle législation fédérale et l’application de la juridiction revendiquée
par les Premières nations et le droit coutumier. Il s’agit des voies les
plus viables. Elles ont fait l’objet d’une analyse comparative afin
d’évaluer leurs avantages respectifs.
Lors de leurs témoignages devant le Comité, les représentants du MAINC ont fait part de leur intention d’aller de l’avant avec une loi réglementant l’eau potable dans les réserves en intégrant les lois provinciales relatives à l’eau à la nouvelle législation fédérale. Par ailleurs, dans son examen des options, le groupe d’experts a conclu que l’adoption d’une loi fédérale qui renverrait aux régimes provinciaux en place « semble moins avantageuse, en raison des écarts et des variations entre les régimes, de la complexité d’impliquer un autre palier de gouvernement et du degré d’acceptabilité moindre pour de nombreuses Premières nations »([13]).
L’APN a émis des réserves quant à cette option. À la suite de la publication du rapport du groupe d’experts, elle a retenu les services du Centre autochtone de ressources environnementales (CARE) afin d’effectuer une analyse juridique des options législatives mises de l’avant par le groupe d’experts et de prendre en compte d’autres approches. Le CARE a conclu qu’il est probable que l’option concernant les régimes provinciaux ait plus de répercussions sur les droits des Premières nations([14]). Lors de leurs témoignages devant le Comité, les représentants de l’APN ont mis l’accent sur leur inquiétude concernant l’application de la loi. « Ce que les Premières nations contestent réellement, c’est la venue d’un représentant de la province en territoire autochtone qui annonce qu’il fera maintenant appliquer une loi provinciale. C’est la source de conflit que la direction de notre assemblée aurait du mal à accepter étant donné la démarche proposée »([15]). C’est pourquoi l’APN suggère l’étude d’une autre approche, en plus de celles présentées par le groupe d’experts. Elle favorise l’application d’un régime fédéral comme mesure provisoire pour l’application de normes nationales concernant l’eau potable sur les réserves jusqu’à ce que les conseils des Premières nations soient en mesure d’exercer leur propre pouvoir sur la gestion de l’eau.
Il semble que le ministère reconnaît lui-même le caractère problématique de l’option impliquant les provinces, notamment la probabilité de devoir convaincre les gouvernements provinciaux d’étendre leurs régimes existants au-delà de la qualité de l’eau potable, pour englober, par exemple, des questions liées à la protection des sources d’approvisionnement, un souci important pour les Premières nations. Les représentants nous ont affirmé que :
La plupart des lois en place ne tiennent pas forcément compte des questions qui préoccupent les collectivités des Premières nations, comme les citernes, les camions-citernes et les systèmes de moindre envergure, par exemple([16]).
Et que :
Puisque notre approche législative […] consiste en l’adoption de régimes de réglementation provinciaux, ces régimes risquent de différer d’une province à l’autre. Il faudrait alors travailler avec les systèmes de chaque province concernée afin de leur faire atteindre un niveau approprié([17]).
Le Comité doute de l’intention du ministère d’aller de l’avant avec un régime législatif, d’une part incomplet, et d’autre part, qui ne trouve que très peu d’appui parmi ceux qui doivent l’appliquer et s’y conformer. Sur la base des données probantes, notamment les évaluations du groupe d’experts de l’approche législative (considérée « moins avantageuse »), nous avons, très honnêtement, de la difficulté à comprendre l’approche retenue par le ministère. Qui plus est, nous n’avons pas le sentiment que les collectivités des Premières nations ont été (ou seront) consultées de manière appropriée à ce sujet([18]). Le Comité aurait souhaité que le ministère ait compris que l’imposition d’une loi aux Premières nations, sans contribution significative de leur part – et particulièrement lorsque l’option étudiée semble problématique dès le départ –, sera accueillie avec résistance.
Le Comité est convaincu que, peu importe le régime de réglementation adopté, ce dernier doit être élaboré en étroite collaboration avec les collectivités et les organismes des Premières nations. Nous sommes entièrement d’accord avec le groupe d’experts sur le fait qu’en plus de l’obligation juridique de consulter les collectivités des Premières nations affectées par la loi envisagée, « nous croyons que des discussions constructives entre le gouvernement fédéral et les Premières nations sont nécessaires, de sorte que toutes mesures prises pour améliorer la salubrité de l’eau dans les réserves soient efficaces et qu’elles répondent aux besoins »([19]). Après avoir examiné les témoignages présentés au Comité, nous exhortons le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien à tenir compte sérieusement des observations formulées dans le rapport du groupe d’experts sur les options réglementaires et les conditions nécessaires pour assurer le succès de la réglementation, de même que du processus législatif présenté par l’Assemblée des Premières Nations. Par conséquent, le Comité émet la recommandation suivante.
RECOMMANDATION 2:
Que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien entreprenne un processus de consultation complet auprès des organismes et les collectivités des Premières nations concernant les options législatives, notamment celles présentées dans le Rapport du groupe d’experts sur l’eau potable sécuritaire dans les collectivités des Premières nations, dans le but de développer de manière conjointe, des normes légales sur l’eau.
Les membres des Premières nations, au même titre que tous les autres Canadiens, ont le droit de s’attendre à ce que leur eau potable soit sécuritaire. Grâce à des investissements durables et à des efforts dévoués, on a observé une amélioration notable de l’approvisionnement en eau des collectivités des Premières nations. Par contre, les événements qui se sont produits à Kashechewan nous rappellent qu’il y a encore beaucoup de travail à faire. En 2005, la commissaire à l’environnement et au développement durable a conclu que « malgré l’investissement de centaines de millions de dollars en fonds fédéraux, une proportion considérable des réseaux d’approvisionnement en eau potable dans les collectivités des Premières nations continue de fournir de l’eau dont la qualité ou la salubrité est à risque »([20]). Il s’agit d’une situation intolérable au Canada.
L’imposition de normes sur l’eau des réserves par voie législative s’impose. Tous les avis, incluant ceux du présent Comité, abondent dans le même sens. Cependant, la réglementation n’est qu’une partie de la solution. Des investissements durables destinés aux réseaux d’alimentation en eau desservant les collectivités ainsi qu’aux réseaux afférents sont essentiels pour assurer aux résidents des réserves des Premières nations une eau potable sécuritaire. Sans cet investissement, nous risquons d’adopter un régime de réglementation qui alourdit les communautés du système et qui n’aide pas les autres à se conformer aux normes légales. Devant la gravité de ces problèmes de santé et de sécurité, nous comptons sur le gouvernement pour s’assurer que cela ne se produise pas, et nous encourageons le ministère à agir immédiatement selon nos recommandations.
Nom de l’organisme et représentant(s) |
Date |
Assemblée des Premières Nations : · Richard Jock, directeur général · Earl Commanda, Secrétariat au logement · Candice Metallic, avocate-conseil |
16.05.2007 |
Groupe d’experts sur l’eau potable dans les collectivités des Premières nations : · Harry Swain, président · Steve Hrudey, membre · Juli Abouchar, conseillère juridique |
15.05.2007 |
Affaires indiennes et du Nord Canada : · Christine Cram, sous-ministre adjoint délégué, secteur des Politiques socio-économiques et opérations régionales · Marc Brooks, directeur général, Direction générale du développement communautaire |
02.05.2007 |
Bureau du vérificateur général du Canada : · Ron C. Thompson, commissaire à l’environnement et au développement durable par intérim · Ronald Campbell, vérificateur général adjoint · Jerome Berthelette, directeur principal · André Côté, directeur |
02.05.2007 |
([1]) Le groupe d’experts sur l’approvisionnement en eau potable sécuritaire pour les Premières nations a été créé en juin 2006 par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien avec l’appui de l’Assemblée des Premières nations. Le rapport du groupe, publié en novembre 2006, étudiait les options offertes pour arrêter un cadre réglementaire sur les réserves.
([2]) Canada, Rapport du groupe d’experts sur la salubrité de l’eau potable dans les collectivités des Premières nations, Volume 1, novembre 2006, p. 49. Le rapport peut être consulté en ligne à : http://www.eps-sdw.gc.ca/index_f.asp.
([3]) Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, Procès-verbal, le 16 mai 2007, Richard Jock, directeur général, Assemblée des Premières nations [ci-après appelé Procès-verbal].
([4]) Procès-verbal, le 2 mai 2007, Jerome Berthelette, directeur, Bureau du vérificateur général.
([5]) Atlantic Policy Congress of First Nation Chiefs, Réponse au groupe d’experts sur l’eau, Simon Osmond, analyste de politiques. Ce document peut être consulté en ligne, en anglais seulement, à : http://www.eps-sdw.gc.ca/inlv/at_sbm_2/index_f.asp.
([6]) Rapport du groupe d’experts, Volume 1, p. 18.
([7]) Procès-verbal, le 2 mai 2007, Christine Cram, sous-ministre adjointe déléguée, Politiques socio‑économiques et opérations régionales, ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien.
([8]) Ibid.
([9]) Procès-verbal, le 15 mai 2007, M. Harry Swain, président, groupe d’experts sur l’eau potable sécuritaire pour les Premières nations. [traduction]
([10]) Ibid.
([11]) Procès-verbal, le 2 mai 2007, Jerome Berthelette, directeur, Bureau du vérificateur général.
([12]) Procès-verbal, le 16 mai 2007, Earl Commanda, directeur, Secrétariat au logement, Assemblée des Premières nations. [traduction]
([13]) Rapport du groupe d’experts, volume 1, p. 58. Pour un examen plus détaillé de cette option législative, veuillez consulter le volume II, p. 38-40.
([14]) Assemblée des Premières nations, Rapport du groupe d’experts sur l’eau potable sécuritaire dans les collectivités des Premières nations, exposé de principe. On peut consulter ce document en ligne à l’adresse : http://www.afn.ca/cmslib/general/water-panel-report-fr.pdf.
([15]) Délibérations, le 16 mai 2007, Earl Commanda, directeur, Secrétariat au logement, Assemblée des Premières nations. [traduction]
([16]) Délibérations, le 2 mai 2007, Marc Brooks, directeur général, Direction générale du développement communautaire, ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. [traduction]
([17]) Délibérations, le 2 mai 2007, Christine Cram, sous-ministre adjoint délégué, secteur des Politiques socio‑économiques et opérations régionales, ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. [traduction]
([18]) Le rapport du groupe d’experts précise explicitement que les audiences publiques ne constituaient pas de vastes consultations. De même, l’APN a énoncé qu’elle insistera pour tenir des consultations relativement aux options présentées par le groupe d’experts.
([19]) Rapport du groupe d’experts, volume 1, p. 51.
([20]) Commissaire à l’environnement et au développement durable, Rapport du Commissaire à l’environnement et au développement durable, chap. 5, ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien – L’eau potable dans les collectivités des Premières nations, 2005. On peut consulter ce rapport en ligne à l’adresse : http://www.oag-bvg.gc.ca/domino/rapports.nsf/html/c20050905cf.html.
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