RÉSUMÉ
LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE
L’absence de guerre
n’est pas une condition suffisante à la paix.
La justice et l’absence de crainte sont aussi indispensables.
Ursula Franklin
Compagnon de l’Ordre du Canada
scientifique de renom et militante pour la paix
De septembre 2009 à avril 2010, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne a mené une étude sur la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité adoptée à l’unanimité en octobre 2000. Comme on l’explique au chapitre 1, le Comité s’est concentré sur la mise en œuvre de la résolution par les Nations Unies, et en particulier par le Canada.
La résolution 1325 est la première résolution du Conseil de sécurité qui porte explicitement sur les répercussions des conflits armés sur les femmes. Elle a instauré une série de normes internationales s’appliquant aux États membres de l’ONU, aux belligérants, au système des Nations Unies et à ses forces de maintien de la paix, ainsi qu’à tous les autres intervenants. Ainsi, toutes ces parties doivent désormais prendre les mesures voulues pour voir à ce que l’on tienne compte du point de vue des femmes en matière de prévention et de résolution des conflits et de reconstruction et pour garantir la participation des femmes au processus de prise de décisions en la matière. De plus, elle exige de ces mêmes parties qu’elles prennent des mesures pour faire respecter toutes les obligations en matière de droit international sur les conflits armés, condamnant toutes formes de violation des droits fondamentaux des femmes et d’atteinte à leur sécurité.
Cette résolution historique a depuis été renforcée par trois autres résolutions du Conseil de sécurité : la résolution 1820 sur les violences sexuelles durant les conflits armés (2008), dont l’unique objectif est de multiplier les efforts déployés pour protéger les femmes et les filles lors des conflits et de voir à ce que les auteurs de violations des droits des femmes, en particulier en cas de violence sexuelle, soient dûment poursuivis devant les tribunaux; la résolution 1888 (2009), laquelle prévoit des engagements plus fermes en matière de mise en œuvre; et enfin la résolution 1889 (2009), qui porte sur le rétablissement de la paix après un conflit.
Les observations du comité
Dans l’ensemble, le comité a constaté que si des progrès ont été réalisés depuis 2000, il reste néanmoins encore fort à faire. La mise en œuvre des résolutions présente des lacunes - dont il est fait état dans le présent rapport – montrant que le Canada et les autres États membres de l’ONU doivent intervenir pour à la fois encourager et soutenir l’application de la résolution 1325 de manière que les objectifs visés soient atteints.
Le comité s’est penché sur l’importance de la participation des femmes aux décisions portant sur toutes les questions de paix et de sécurité. En effet, les femmes représentent en général la moitié de la population et leur apport à la négociation de la paix et à la reconstruction est unique et précieux. Qui plus est, la participation des femmes à la résolution des conflits contribue grandement à l’établissement d’une paix durable.
Pourtant, dans la plupart des cas, on constate que les femmes demeurent notoirement absentes du processus de décision. D’après le Fonds de développement des Nations Unies pour la femme (UNIFEM), depuis 1992, on ne recense parmi les signataires d’accords de paix que 2,4 % de femmes.
Les personnes et groupes que nous avons entendus ont fait ressortir plusieurs facteurs qui nuisent à la mise en œuvre de la résolution 1325 :
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Insécurité économique. La plupart des femmes n’ont pas les moyens de participer aux processus de paix.
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Capacité. Trop de femmes n’ont toujours pas la possibilité d’acquérir l’instruction et la formation qui leur permettraient de jouer un rôle influent dans les activités de planification et de négociation.
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Manque de données. Il existe encore très peu de données sur les répercussions des conflits armés sur les femmes et sur la mesure dans laquelle on tient compte des points de vue différents des hommes et des femmes dans les interventions en matière de paix et de sécurité.
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Lenteur des progrès à l’ONU. Il y a peu de femmes dans les instances supérieures de l’ONU et encore moins parmi les représentants spéciaux du Secrétaire général. Qui plus est, l’intégration des femmes reste encore à faire à l’ONU, notamment au niveau des équipes de médiation, qui manquent généralement de spécialistes.
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Fragmentation institutionnelle. Plusieurs organismes des Nations Unies ont des responsabilités à l’égard des femmes, si bien qu’ils font parfois double emploi et que, en revanche, certaines interventions indispensables, en particulier au niveau opérationnel, tombent entre les mailles du système.
On observe que les aspects de la résolution 1325 qui portent sur l’autonomisation des femmes sont relativement négligés par comparaison avec ceux qui concernent la protection des populations civiles contre la violence et les violations des droits de la personne en situation de conflit. Or, ces deux aspects sont tout aussi importants. Les femmes ne sont pas seulement les victimes de la guerre et les bénéficiaires de la paix. On ne pourra pas lutter efficacement contre la violence faite aux femmes tant que celles-ci ne seront pas considérées comme des membres à part entière de la société.
Le rapport montre à quel point les conflits armés déplacent et dépossèdent les femmes et exposent celles-ci à des actes de violence. On y traite en particulier du viol comme arme de guerre.
La condition des femmes en situation de conflit armé demeure précaire et périlleuse. L’exemple le plus troublant est celui de la République démocratique du Congo, où, suivant des estimations de l’ONU, au moins 36 viols par jour ont été commis en 2009.
Les témoins entendus réclament des progrès à plusieurs égards :
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Intégration d’une démarche sexospécifique à l’architecture de paix et de sécurité. Un des moyens d’intégrer une démarche sexospécifique aux opérations de sécurité consiste à admettre des femmes parmi le personnel militaire et policier, car leur présence dans ces fonctions, ainsi qu’aux niveaux supérieurs de la diplomatie et de l’aide au développement, accroît l’efficacité globale des missions. Il faut aussi par ailleurs du personnel spécialisé pour que tous les processus en matière de sécurité répondent aux besoins et aux priorités des femmes. Enfin, il importe d’incorporer une démarche sexospécifique à tous les programmes d’entrainement du personnel de sécurité.
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Mécanismes judiciaires. Dans beaucoup de pays, une culture de l’impunité persiste à l’égard des crimes de violence sexuelle, tendance qui se reflète dans certains accords de paix. Les institutions judiciaires nationales ont du mal à faire leur travail, faute de ressources et de compétences suffisantes. En conséquence, beaucoup d’agressions ne sont jamais signalées aux autorités et ne font donc jamais l’objet d’une enquête. Il y a donc un écart entre les recours internationaux et les mécanismes nationaux, les seuls dont peuvent se prévaloir la plupart des victimes.
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Soutien des victimes. Le manque de services médicaux et de counselling et de mécanismes de réintégration économique et sociale nuit au rétablissement des femmes.
La résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies : le rôle du Canada
Le comité examine en détail les réalisations du Canada au chapitre de la résolution 1325 des Nations Unies, et traite de façon plus générale des questions relatives aux femmes, à la paix et à la sécurité
Le Canada était un membre non permanent du Conseil de sécurité quand la résolution 1325 a été adoptée en 2000 et a joué un rôle prépondérant à ce chapitre. Le comité a été mis au courant des activités du Canada depuis lors, en particulier dans le contexte des travaux de la délégation permanente du Canada aux Nations Unies. Depuis 2000, le Canada est un chef de file, notamment pour ce qui est de maintenir l’élan international à l’égard de la résolution 1325 grâce à sa collaboration avec les gouvernements d’États membres qui forment le « groupe des amis sur les Femmes, la paix et la sécurité » à New York.
Le comité s’est concentré sur les actions et interventions qui mettraient le mieux à profit le savoir-faire du Canada et lui permettraient de faire avancer la cause des femmes dans les situations de conflit armé dans le contexte des opérations de maintien, de rétablissement et de consolidation de la paix.
Au moment où il a tenu ses audiences, le comité a eu du mal à savoir, en interrogeant les représentants de ministères, si un plan d’action national sur la résolution 1325 était en préparation et, si oui, quels en étaient le contenu, la portée et l’état d’avancement. Or, la plupart des témoins ont vivement recommandé que le Canada se dote d’un tel plan, estimant qu’il permettrait d’établir des mécanismes de reddition de comptes, de sensibiliser les esprits à la question au niveau national tout en contribuant à la mobilisation et à l’établissement de normes au niveau international.
Sur la foi des témoignages qu’il a entendus, le comité conclut que le Canada doit se doter d’une stratégie nationale complète de mise en œuvre de la résolution 1325.
Le comité a accueilli favorablement la publication, le 5 octobre 2010, du Plan d’action du gouvernement sur les résolutions sur les femmes, la paix et la sécurité du CSNU intitulé Offrir la paix et la sécurité à tous, lequel présente de nombreux éléments intéressants et répond à un certain nombre de ses préoccupations. Pour clarifier la position du Canada, le comité recommande néanmoins une série d’actions concrètes ciblant les problèmes auxquels font face les femmes en situation de conflit armé.
Les observations du comité sur le Plan d’action du gouvernement du Canada
Le rapport du comité est un complément du Plan d’action du gouvernement. Il présente des analyses et recommandations du point de vue des parlementaires. Même si l’élaboration de la stratégie est importante pour que le gouvernement puisse contribuer efficacement à la mise en œuvre de la résolution 1325 au niveau international, la clé réside dans sa mise en œuvre concrète.
En conséquence, le comité estime important d’adjoindre d’autres éléments au Plan d’action :
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Les indicateurs ont leur importance, mais ils ne suffisent pas. Il importe d’associer des cibles particulières à chaque indicateur, assorties d’échéances précises.
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Il faut intégrer aux rapports annuels à venir du gouvernement une analyse détaillée des aspects plus complexes et des éléments qualitatifs de la condition des femmes durant un conflit armé.
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Des ressources budgétaires pluriannuelles doivent être affectées expressément à la mise en œuvre du Plan d’action.
Les efforts déployés doivent s’articuler autour d’un cadre ciblé d’activités où le Canada peut avoir un réel apport tout en remédiant aux lacunes mentionnées précédemment au niveau de la mise en œuvre. Le comité estime que le Canada devrait se concentrer sur les éléments ci-dessous.
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Donner aux femmes le pouvoir de prendre des décisions dans les dossiers qui concernent la paix et la sécurité
Les femmes qui agissent comme délégués, négociateurs et médiateurs pour l’établissement de la paix et les organisations de la société civile actives dans ce domaine ont besoin de financement dédié et d’autres formes d’aide pour participer aux processus de résolution de conflits, ainsi que pour acquérir des compétences et se perfectionner en la matière. Le Canada doit accorder la priorité aux considérations sexospécifiques chaque fois qu’il participe à des négociations de paix, à des activités de médiation et à des opérations visant à tenir des élections, à fixer des priorités et à bâtir des institutions une fois que les conflits sont résolus.
Certains des domaines particuliers où le Canada doit intervenir, qui sont ressortis durant les audiences, figurent dans le Plan d’action du gouvernement. On y mentionne notamment la nécessité d’appuyer la recherche sur l’expérience des femmes dans les conflits et par la suite, de dresser une liste de personnes possédant une expertise en matière de spécificité des sexes pour les négociations de paix et le renforcement des institutions après les conflits, d’augmenter le nombre de Canadiennes dont la candidature est proposée pour des postes supérieurs aux Nations Unies et de veiller à intégrer une démarche sexospécifique aux mesures de soutien des réformes et programmes dans le secteur de la sécurité.
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Ériger un cadre pour la paix et la sécurité qui tient compte de la spécificité des sexes
Le comité s’est penché en particulier sur la question de la formation offerte au personnel du ministère de la Défense nationale (MDN), des Forces canadiennes (FC) et de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Le comité s’est rendu compte que l’on ne traite pas spécifiquement et en profondeur des résolutions de l’ONU durant la formation et le perfectionnement du personnel du MDN, des FC et de la GRC.
Le comité estime qu’une formation générale sur les questions d’éthique et de déontologie ne suffit pas. Les questions concernant les femmes dans le contexte de la paix et de la sécurité doivent faire partie intégrante de la formation pré-déploiement et de la formation sur le terrain dispensée au personnel du MDN, des FC et de la GRC. Le même modèle devrait être appliqué à la formation dispensée aux forces militaires et aux forces policières étrangères. En outre, la formation doit aborder la question plus vaste de la participation des femmes au règlement des conflits et à la réintégration d’après-conflit, sujet qui déborde la simple protection des personnes civiles.
Le comité recommande que l’on augmente sensiblement d’ici 2015 le nombre de femmes parmi les personnels canadiens de police militaire et de police civile envoyés en mission sur le terrain, particulièrement dans les postes de direction. Il presse notamment la GRC d’envisager sérieusement le déploiement d’une unité policière constituée en majorité ou exclusivement de femmes dans le cadre d’une mission de paix de l’ONU. Le Canada devrait par ailleurs accorder une aide financière aux autres pays pouvant le faire pour leur permettre de déployer de telles unités.
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Renforcer les institutions judiciaires et l’accès aux recours
Le comité s’est concentré sur la manière dont le Canada pourrait soutenir encore davantage la Cour pénale internationale et contribuer à combler l’écart entre celle-ci et les institutions judiciaires nationales dans les pays aux prises avec un conflit ou qui sont en reconstruction après un conflit. Il conviendrait en particulier de soutenir les enquêtes et poursuites sur les crimes de violence sexuelle. Par ailleurs, tous les efforts du Canada en matière de réforme et d’amélioration des systèmes judiciaires doivent comporter un élément d’intégration des considérations sexospécifiques.
Enfin, le comité s’est penché sur les mesures particulières que le Canada pourrait prendre à l’ONU. Il voit d’un bon œil le regroupement récent des organes de l’ONU chargés de la protection de la femme par la création d’ONU Femmes, entité qui sera opérationnelle en janvier 2011. Il est aussi encouragé par la nomination, plus tôt cette année, de la première représentante spéciale du Secrétaire général sur la violence sexuelle dans les conflits. Le comité continue cependant de penser qu’il vaudrait mieux que l’on confie expressément à un seul organe des Nations Unies la mission de voir à la mise en œuvre intégrale de tous les éléments de la résolution, à l’intérieur de l’Organisation des Nations Unies et dans les États membres de l’ONU. Le comité recommande que cette responsabilité soit confiée à la Représentante spéciale du Secrétaire général pour la violence sexuelle dans les conflits armés. Cette mission élargie doit englober l’ensemble des questions qui concernent les femmes dans le contexte de la paix et de la sécurité.
Dans l’ensemble, le comité cherche à amplifier l’apport du Canada en l’amenant à se concentrer sur les questions au sujet desquelles il possède compétences et expérience. Il entrevoit pour le Canada un rôle de champion international dans la mise en œuvre du programme des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité grâce à ses politiques relatives aux affaires étrangères, à la défense, à la justice et au développement.
Contrôle
Parmi les principales préoccupations des témoins, il importe de mentionner la nécessité pour le gouvernement de charger un organe donné de la mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies. À cet égard, le Plan d’action confie cette responsabilité au Groupe de travail sur la stabilisation et la reconstruction du ministère des Affaires étrangères. Le comité y voit une décision utile. Reste à savoir dans quelle mesure cette initiative donnera les résultats escomptés. Le comité entend bien suivre de près les activités du Groupe de travail pour veiller à ce que cette approche pangouvernementale fonctionne comme elle le devrait.
Au demeurant, il importera de faire, à terme, le bilan de l’efficacité des politiques et programmes prévus dans le Plan d’action. Le comité a donc l’intention, dans le contexte de ses attributions en matière de contrôle parlementaire, de surveiller la mise en œuvre du Plan d’action pour s’assurer que les promesses du gouvernement se concrétisent.
Le comité conclut son analyse en soulignant le fait que la situation des femmes et des filles durant les conflits et après a des répercussions non seulement sur le sort de celles-ci, mais aussi sur les intérêts de politique étrangère du Canada et des États aux vues similaires aux siennes, ainsi que sur l’efficacité de l’ONU. Il est bien conscient de la complexité et de la difficulté que présente la condition des femmes durant les conflits armés. Mais il est convaincu que le Canada est bien placé pour se faire le champion de la mise en œuvre intégrale et rapide de la résolution 1325, aux Nations Unies et auprès des États membres de l’organisation.