LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 24 novembre 2022
Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), avec vidéoconférence, pour mener une étude sur de nouvelles questions concernant le mandat du comité.
Le sénateur Paul J. Massicotte (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bonjour à tous. Je m’appelle Paul Massicotte, je suis un sénateur du Québec et je suis président du comité. Aujourd’hui, nous tenons une séance du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles.
J’aimerais commencer par un petit rappel. Avant de poser des questions et d’y répondre, j’aimerais demander aux membres du comité et aux témoins présents dans la salle de s’abstenir de se pencher trop près du microphone ou de retirer leur oreillette lorsqu’ils le font. Cela permettra d’éviter tout retour sonore qui pourrait avoir un impact négatif sur le personnel du comité dans la salle.
J’aimerais maintenant présenter les membres du comité qui participent à la réunion aujourd’hui : Margaret Dawn Anderson, des Territoires du Nord-Ouest; Michèle Audette, du Québec; Rosa Galvez, du Québec; Julie Miville-Dechêne, du Québec; Judith Seidman, du Québec; Karen Sorensen, de l’Alberta; Hassan Yussuff, de l’Ontario; Don Plett, qui se joindra à nous bientôt.
Nous pouvons constater que, à part moi, nous avons seulement des femmes autour de la table ce matin. Félicitations. C’est bien mérité.
Bienvenue à tous, chers collègues, ainsi qu’à tous les Canadiens et Canadiennes qui nous regardent. Aujourd’hui, nous nous réunissons pour continuer notre étude sur l’énergie basée sur l’hydrogène.
Ce matin, pour notre premier groupe de témoins, nous accueillons, par vidéoconférence, Aaron Hoskin, gestionnaire principal, Initiatives intergouvernementales, et Sébastien Labelle, directeur général, Direction des carburants propres, de Ressources naturelles Canada.
Nous recevons également Miodrag Jovanovic, sous-ministre adjoint principal, Direction de la politique de l’impôt, et Marie-Josée Lambert, directrice générale par intérim, Investissements d’État et gestion des actifs, du ministère des Finances Canada.
Bienvenue à vous tous et merci d’avoir accepté notre invitation. Nous allons commencer par les représentants de Ressources naturelles Canada. La parole est à vous.
Sébastien Labelle, directeur général, Direction des carburants propres, Ressources naturelles Canada : Merci beaucoup, monsieur le président. Bonjour aux sénateurs et aux sénatrices. Je suis ravi d’être avec vous ce matin.
[Traduction]
Je me joins à vous à partir d’Ottawa, le territoire non cédé de la nation algonquine anichinabe, qui est présente ici depuis des temps immémoriaux. Je suis accompagné de M. Aaron Hoskin, un directeur adjoint au sein de mon groupe à Ressources naturelles Canada.
[Français]
C’est un plaisir d’être avec vous une fois de plus pour parler des possibilités économiques et environnementales qu’offre l’hydrogène partout au pays.
Je sais que vous vous êtes entretenus avec beaucoup de spécialistes au cours des derniers mois. Plutôt que de revenir sur les principes de base, je voudrais faire le point sur ce qui a changé depuis notre dernière rencontre en avril.
[Traduction]
Comme vous l’aurez entendu tout au long de votre étude, l’hydrogène jouera un rôle essentiel pour répondre aux besoins énergétiques nationaux et mondiaux dans le cadre de la sécurité énergétique, de la transition énergétique et de l’importance du climat au sens large. La Stratégie canadienne pour l’hydrogène — Saisir les possibilités pour l’hydrogène était un appel à l’action et visait à souligner le potentiel de l’hydrogène comme source d’énergie propre. La Colombie-Britannique, l’Alberta, l’Ontario et le Québec ont publié leurs propres stratégies, et nous savons que de nombreux efforts sont déployés au Canada atlantique et dans les Prairies. Nous avons fourni beaucoup d’aide financière pour contribuer à orienter toutes ces stratégies.
La Stratégie canadienne pour l’hydrogène a également mis en lumière la nécessité de travailler avec le secteur privé. Nous coprésidons 16 groupes de travail dans le cadre de la stratégie pour faciliter un important échange de pratiques exemplaires, et nous finançons des études techniques et économiques pour nous entretenir directement avec des spécialistes et des dirigeants des secteurs privé et public, ainsi qu’avec des entreprises et des collectivités autochtones de façon régulière.
[Français]
Profiter de l’occasion qu’offre l’hydrogène nécessitera des actions coordonnées à court, moyen et long terme. Nous devons développer dès maintenant les infrastructures de production, de distribution et d’utilisation finale, tout en encourageant un déploiement plus important dans les secteurs clés, comme le transport des marchandises, l’exploitation minière et l’industrie lourde. Ressources naturelles Canada s’efforce également de veiller à ce que les normes et les codes soient cohérents dans des domaines comme la mesure de l’intensité carbonique de l’hydrogène, afin de nous assurer que nous disposons d’une base commune à cet égard avec nos principaux partenaires commerciaux.
À mesure que les technologies évoluent et arrivent à maturité, et que l’accès à l’hydrogène propre et peu coûteux se développe, d’autres utilisations finales deviendront plus viables, notamment dans les secteurs ferroviaire et maritime, ainsi que dans les processus industriels comme la fabrication d’acier et de ciment.
[Traduction]
Au cours des deux dernières années, le gouvernement a pris des mesures importantes et a annoncé des investissements pour aider à saisir l’occasion offerte par l’hydrogène. Parmi les faits saillants, il y a notamment le Fonds pour les combustibles propres de 1,5 milliard de dollars, qui soutient la capacité de production de combustibles propres au Canada, dont au moins 10 nouvelles installations de production d’hydrogène. Les initiatives comptent également 50 millions de dollars pour soutenir l’élaboration de normes et codes essentiels pour l’hydrogène et d’autres combustibles propres. En fait, hier encore, le ministre Wilkinson a annoncé la première tranche de projets — d’une valeur de 800 millions de dollars — sélectionnés pour le financement. Nous nous attendons à ce qu’il annonce les derniers projets du Fonds pour les combustibles propres au cours des prochaines semaines.
Grâce à notre programme d’infrastructure pour les véhicules à émission zéro, nous soutenons la mise en place de nouveaux chargeurs pour les véhicules électriques ainsi que des stations d’hydrogène dans les principaux centres métropolitains. La semaine dernière, le ministre Wilkinson a également annoncé un investissement de 5 millions de dollars pour cinq nouvelles stations d’hydrogène en Colombie-Britannique, qui font partie de la trentaine de stations qui ont été sélectionnées pour le financement et qui sont mises en place d’un bout à l’autre du pays.
Il y a deux semaines, un investissement de 300 millions de dollars pour une nouvelle installation de production d’hydrogène propre en Alberta a été annoncé dans le cadre de l’initiative Accélérateur net zéro du Fonds stratégique pour l’innovation d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada. Cette installation utilisera une technologie de pointe pour convertir le gaz naturel produit dans la province afin de produire de l’hydrogène propre, réduisant ainsi les émissions de près de 95 % par rapport à l’hydrogène conventionnel.
Au début du mois, l’énoncé économique de l’automne comportait une nouvelle taxe d’investissement remboursable sur l’hydrogène propre, et nous travaillons en étroite collaboration avec le ministère des Finances pour mener des consultations sur la conception et la mise en œuvre de cette mesure.
Nous avons également fourni d’autres détails quant au Fonds de croissance du Canada de 15 milliards de dollars qui comprend plusieurs mesures de soutien potentielles pour l’hydrogène et d’autres carburants propres.
Ces investissements contribueront à faire en sorte que l’industrie canadienne de classe mondiale de l’hydrogène conserve ses avantages concurrentiels face aux investissements importants effectués dans d’autres pays, comme ceux de la loi américaine de 2022 sur la réduction de l’inflation ou du pacte vert de l’Union européenne.
Pendant que d’autres pays investissent, nous avons également continué à consolider notre position à l’échelle mondiale. En mai, le ministre Wilkinson a annoncé que nous allions renforcer notre collaboration avec les États-Unis, un partenariat qui remonte à plus de quatre décennies, afin de nous concentrer sur l’accélération de nos efforts pour élaborer, avec de nombreux partenaires mondiaux, une méthodologie mondiale pour l’intensité carbonique de l’hydrogène.
Nous examinons des plateformes d’hydrogène transnationales pour pouvoir faire le plein d’hydrogène et en produire sur place, ainsi que pour compléter la chaîne de valeur. Nous mettons l’accent sur des corridors de transport de marchandises verts qui s’intègrent au système de transport nord-américain.
Nous nous sommes joints à d’autres pays du G7 pour approuver l’alliance pour l’hydrogène, qui engage les pays à accélérer leurs efforts pour développer l’économie mondiale de l’hydrogène et à travailler dans le même sens avec les pays qui ne sont pas membres du G7.
En août, le Canada a signé la déclaration commune sur la création d’une alliance entre le Canada et l’Allemagne pour l’hydrogène, qui décrit un certain nombre d’activités dont la réalisation d’une analyse technico-économique, l’accélération des mesures pour l’adoption d’une méthodologie commune pour l’intensité carbonique, la collaboration entre les ports ainsi que les possibilités de cofinancement de projets afin de permettre d’établir des chaînes d’approvisionnement durables en hydrogène du Canada vers l’Allemagne. Les premières exportations sont prévues pour 2025.
[Français]
L’heure de l’hydrogène a sonné. RNCan est prêt à travailler avec des partenaires de partout au pays et dans le monde, afin de mettre à profit notre volonté, notre expertise et nos ressources financières combinées pour profiter pleinement des possibilités qu’offre l’hydrogène et créer un avenir plus propre ensemble. En d’autres termes, le Canada est prêt à être et doit être à la pointe de l’économie mondiale de l’hydrogène.
Merci beaucoup. J’attends vos questions.
Le président : Merci. Je comprends que le ministère des Finances n’a pas de propos d’ouverture, alors nous allons commencer la période des questions avec la sénatrice Galvez.
La sénatrice Galvez : D’abord, j’aimerais présenter mes excuses, car je n’ai pas pu être présente lors de la dernière séance.
Merci à nos témoins de leur présentation. La semaine dernière, j’ai posé une question au ministre Alghabra au Sénat. Je lui ai dit qu’il y a deux rapports, un rapport produit par Environnement Canada et l’autre par Ressources naturelles Canada, sur les projections et le potentiel de production d’hydrogène au Canada, et que ces deux rapports montrent des résultats très différents. Je lui ai demandé quel rapport il allait utiliser pour le développement du transport de l’hydrogène, et il n’a pas réussi à répondre à ma question; peut-être pouvez-vous le faire?
Il y a, selon moi, une incohérence dans le fait d’installer des bornes pour l’hydrogène avant que l’hydrogène soit disponible comme carburant partout au Canada. C’est comme si on voulait avancer, mais sans la matière première, qui est le carburant produit, puisqu’on en est encore au prototype. J’aurai d’autres questions au sujet des différences sur l’hydrogène, mais j’aimerais beaucoup avoir une réponse à cette question.
M. Labelle : Merci pour votre question, sénatrice.
Premièrement, je vais parler des deux rapports. Comme vous le savez, le premier rapport a trait au Plan de réduction des émissions de gaz à effets de serre d’Environnement Canada. Ce sont eux qui font état des mesures canadiennes en place ou qui seront mises en place pour réduire les gaz à effet de serre au pays. C’est un plan, et ce qu’ils ont dit sur l’hydrogène, c’est que c’était une mesure qu’ils appellent un indicateur, un proxy en anglais. Soixante-quatre mesures ont été modelées avec une seule mesure. Cela augmentera l’utilisation de l’hydrogène dans l’économie canadienne, et ils ont établi un montant spécifique sur cette base.
La Stratégie canadienne pour l’hydrogène était un exercice complètement différent. C’était le résultat de trois ans de consultation avec l’industrie et avec des modélisateurs. Il s’agissait vraiment d’examiner le plein potentiel du secteur. C’était un appel à l’action pour examiner les possibilités de l’hydrogène et voir comment on peut se rendre à une situation où l’hydrogène occupe une part plus importante parmi les divers carburants utilisés.
Le transport est un secteur étudié par l’un des 16 groupes que nous présidons avec eux. Dans ce groupe, on examine les possibilités liées à l’utilisation du carburant. On examine aussi les exportations dans le mode « transport ». Par exemple, qu’est-ce qu’on fait dans les ports? Il y a un groupe de travail sur les ports en particulier pour discuter des exportations et de l’équipement portuaire et voir comment l’hydrogène peut faciliter et appuyer la transition énergétique dans ces installations.
Pour votre deuxième question, j’ai lu quelque chose hier — et je sais que vous en avez entendu parler aussi — sur l’Agence internationale de l’énergie. On parlait justement des problèmes qui existent avec les projets d’hydrogène, où certains projets sont prévus, mais ceux-ci exigent d’avoir des acheteurs confirmés. Il y a un délai. C’est une tendance que l’on voit avec plusieurs technologies émergentes où la production et l’utilisation doivent vraiment se produire ensemble.
Je pense que le gouvernement veut montrer du leadership pour financer des stations de ravitaillement en hydrogène pour stimuler la demande et la production. Il ne faut pas oublier que ces stations sont, en grande partie, financées par du capital privé. Si les compagnies ne croient pas qu’elles vont gagner de l’argent, elles ne dépenseront pas pour ça. Elles pensent qu’il existe un marché pour cela. Au sujet de votre commentaire sur le fait qu’il s’agit d’un prototype — et j’aimerais demander à M. Hoskin de nous parler de cela —, ce n’est absolument pas le cas. Au moment où l’on se parle, il y a plusieurs véhicules. La technologie continue d’avancer chaque année, mais aujourd’hui, le transport, surtout pour les marchandises lourdes, est absolument viable. Je ne sais pas si M. Hoskin veut ajouter un commentaire à ce sujet.
[Traduction]
La sénatrice Galvez : J’aimerais un exemple concret, si possible.
Pouvez-vous donner un exemple qui ne porte pas sur un prototype, un exemple concret qui nous montre que cela fonctionne?
M. Labelle : Pour le camionnage?
Aaron Hoskin, gestionnaire principal, Initiatives intergouvernementales, Ressources naturelles Canada : Pour le camionnage ou pour le transport? Parce qu’il y a actuellement sur les routes à Vancouver...
La sénatrice Galvez : Il y a les véhicules légers et les véhicules lourds.
M. Hoskin : En effet.
La sénatrice Galvez : Donnez-moi un exemple pour les deux.
M. Hoskin : Dans le cadre d’un programme de covoiturage à Vancouver, on peut louer un véhicule à pile à combustible et faire le plein à une des stations de ravitaillement dans la région métropolitaine de Vancouver. Ces véhicules sont construits par Hyundai dans une usine, comme le constructeur le fait pour ses véhicules traditionnels.
Toyota a déployé son modèle Mirai, qui en est maintenant à sa troisième génération — il s’agit encore une fois de véhicules construits en usine qui sont utilisés dans les parcs de taxis à Paris. Il y a 100 Toyota Mirai au Québec, et ces véhicules sont également rechargés à certaines des bornes que nous avons construites au Québec en partenariat avec le secteur privé et Shell.
Il y a donc sur la route des véhicules qu’on peut acheter ou louer — ils sont construits par Honda —, et ce sont des véhicules légers. Il existe aussi des véhicules moyens et lourds. Les autobus ont été les premiers véhicules à pile à combustible, et c’était en 1982 grâce à une technologie canadienne utilisée en Californie. On continue de construire ces véhicules en offrant des garanties complètes — ce ne sont pas des prototypes —, et ils sont déployés au Canada, aux États-Unis — en Californie —, au Royaume-Uni et au Pays-Bas. De plus, en Allemagne, il y a un train à piles à combustible qui n’est pas un prototype; il offre un service quotidien. Ces véhicules sont donc sur les routes depuis plus de 10 ans et ils sont entièrement garantis.
Pour ce qui est d’abord de l’infrastructure, des études de l’Agence internationale de l’énergie, du département américain de l’Énergie et de Ressources naturelles Canada montrent qu’un des principaux obstacles à surmonter pour déployer des véhicules zéro émission est le manque d’infrastructures. Les consommateurs et l’industrie doivent avoir la certitude, avant d’investir dans un véhicule zéro émission, qu’ils pourront le charger quand ils le veulent et à l’endroit qui leur convient. Lorsqu’ils voient une borne de recharge ou une station de remplissage, ils sont plus susceptibles d’opter pour un véhicule zéro émission. Le Canada a certaines des cibles les plus ambitieuses de déploiement de véhicules légers et lourds zéro émission. Pour les atteindre, nous devons veiller à ce que les consommateurs et les responsables des parcs automobiles dans le secteur privé voient qu’il y a des bornes de recharge et une infrastructure de remplissage. Ce n’est pas comme la question de l’œuf et de la poule; l’infrastructure doit venir en premier, et de nombreuses études l’ont démontré.
La sénatrice Sorensen : J’aimerais obtenir une précision auprès de M. Labelle. Je pense que ce que j’ai compris dans la réponse à la question de la sénatrice Galvez à propos de la différence dans les études — dans les termes les plus simples pour moi —, c’est qu’il y avait différentes questions qui portaient sur différents processus, ce qui explique au bout du compte les différentes réponses et les différents chiffres.
M. Labelle : Je vous remercie de la question.
La sénatrice Sorensen : C’est tout simplement pour savoir à quoi m’en tenir. D’après son explication, c’est ce que j’ai compris.
M. Labelle : Tout d’abord, ce ne sont pas des études. Il y a un plan ainsi qu’un appel à l’action et un scénario pour saisir pleinement l’occasion. Le processus était effectivement différent, tout comme la question.
La sénatrice Sorensen : Merci pour l’explication. Parmi les obstacles potentiels cernés dans votre rapport, il y avait un manque d’investissements durables et d’innovation; l’absence de signaux politiques clairs et à long terme; un approvisionnement et un accès limités au pays; et une faible sensibilisation aux occasions à saisir. Ma province, l’Alberta, a l’occasion de devenir un des principaux fournisseurs d’hydrogène propre au pays. Je suis curieuse : vous avez énuméré de nombreux moyens pris par le gouvernement fédéral pour appuyer ces initiatives. Avez-vous une idée de ce que l’Alberta et d’autres provinces demandent pour les aider à aller de l’avant dans ce dossier, une idée de ce qui pourrait nécessiter encore plus de soutien ou différentes tactiques?
M. Labelle : Je vous remercie pour la question. Nous travaillons certainement très étroitement avec l’Alberta. Elle fait partie de nos nombreux groupes de travail. Nous avons tendance à parler régulièrement avec nos homologues de la province.
Je vais laisser M. Hoskin aborder la question, mais j’entends deux ou trois choses de la part des Albertains. Tout d’abord, il faut que l’hydrogène produit avec du gaz naturel — et nous parlons ici d’hydrogène propre — soit considéré exactement comme ce qu’il est, c’est-à-dire de l’hydrogène propre. C’est pour cette raison que nous travaillons très étroitement avec nos partenaires internationaux à l’élaboration d’une méthodologie pour évaluer l’intensité carbonique de l’hydrogène de sorte que, si l’Europe ou l’Asie, par exemple, cherche de l’hydrogène propre, il ou elle aura la certitude que l’hydrogène produit à partir de gaz naturel est propre, lorsque c’est combiné au captage et au stockage du carbone. Nous travaillons avec l’Union européenne au sein du conseil du Clean Energy Ministerial, qui est une organisation internationale — nous dirigeons son initiative sur l’hydrogène —, et il est donc vraiment important pour l’Alberta de veiller à ce que la production au moyen de gaz naturel soit reconnue. Nous voulons vraiment que ce soit conforme.
Une autre préoccupation clé sur laquelle nous nous penchons avec les Albertains en ce moment — à vrai dire, nous avons encore eux des réunions hier là-dessus — est le transport de l’ammoniac. Comme vous le savez peut-être, lorsqu’on produit de l’hydrogène, la meilleure façon de le transporter à l’heure actuelle, c’est en utilisant de l’ammoniac. C’est une substance très toxique et très dangereuse. Nous discutons avec le Canadien National et Transports Canada de la façon sécuritaire de transporter l’ammoniac, et aussi de la façon d’en transporter plus et de réduire les coûts. Nous voulons savoir quels sont les problèmes sur le plan de la responsabilité. Ce sont deux questions très importantes.
Je sais que l’Alberta travaille aussi très étroitement avec notre groupe de recherche, développement et démonstration, ou RD et D, à Ressources naturelles Canada. Nous avons quatre laboratoires, y compris CanmetÉNERGIE. Nous examinons, par exemple, la résilience de notre réseau actuel de pipelines pour transporter l’hydrogène. Lorsqu’on met de l’hydrogène dans un gazoduc, il peut devenir plus fragile. Autrement dit, le gazoduc se casse. Il y a donc des pipelines au Canada qui sont plus susceptibles de casser. Différentes quantités d’hydrogène peuvent être transportées dans différents pipelines. Nos laboratoires au CANMET évaluent donc actuellement quelle quantité d’hydrogène peut être transportée ici et là. Nous savons que dans l’Est, compte tenu de la construction d’une partie des réseaux de pipelines là-bas, une plus grande quantité peut être transportée. En Europe, on a converti ainsi des réseaux entiers. Nous savons aussi que les pipelines peuvent être modifiés en ajoutant un manchon à l’intérieur pour pouvoir transporter de l’hydrogène à moindre coût. Ce sont trois exemples, mais je pourrais probablement dire beaucoup de choses qui se font dans le milieu de la RD et D. Ce sont trois bons exemples de ce qui intéresse vraiment l’Alberta, et nous travaillons activement avec la province pour faire avancer ces dossiers.
Monsieur Hoskin, avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Hoskin : Je peux apporter quelques précisions sur la différence entre les deux études, car on a posé la question à quelques reprises. Comme M. Labelle l’a dit, le Plan de réduction des émissions pour 2030 et le plan climatique renforcée s’inspirent tous les deux d’une mesure liée à l’hydrogène et au mélange d’hydrogène — une mesure fédérale très concrète, qui prévoit une réduction des émissions de 15 mégatonnes. La Stratégie canadienne pour l’hydrogène, comme l’a dit M. Labelle, comportait deux scénarios : un scénario graduel et un scénario transformateur. Ils reposent tous les deux sur le plein poids et la pleine portée des répercussions de l’hydrogène sur l’économie, l’environnement et la société en général, et pas seulement à l’échelle fédérale. Ils tiennent compte de mesures provinciales et de mesures prises par le secteur privé. La comparaison d’une mesure prise à l’échelle fédérale avec l’ensemble des mesures prises par les provinces, les territoires, les municipalités, le secteur privé et le gouvernement fédéral dans l’ensemble de l’économie revient donc à comparer des pommes avec des poulets. Soyons clairs : la première mesure ne correspond pas aux autres.
À propos de ce que nous faisons plus précisément avec l’Alberta, comme M. Labelle l’a mentionné, nous nous efforçons d’harmoniser les règles des codes sur les règlements relatifs au mélange. Cela englobe tout, de la tête du puits aux pipelines, en passant par le bec des brûleurs du gaz naturel qui utilisent [difficultés techniques] aussi l’équipement. C’est une question clé pour les Albertains.
Une autre question qui intéresse tout le monde est celle de la sensibilisation. Comme vous l’avez mentionné, la Stratégie canadienne pour l’hydrogène cerne les besoins en matière de sensibilisation. Nous travaillons avec l’Alberta et les provinces en général pour mettre au point des trousses de sensibilisation afin que les consommateurs ordinaires, lorsqu’ils voient un autobus à pile à hydrogène sur la route, se sentent à l’aise de prendre place à bord. La sensibilisation est aussi importante pour que l’industrie puisse voir les débouchés offerts par l’hydrogène à court, moyen et long terme : des débouchés économiques pour tirer parti de notre infrastructure énergétique existante et la rendre durable à long terme dans un avenir sans émission, et aussi pour que les entreprises puissent voir que l’hydrogène peut les aider à réduire leurs émissions dans le cadre de leurs propres activités. Il faut sensibiliser les consommateurs, harmoniser les codes et les normes ainsi qu’ouvrir la porte à ces débouchés.
La sénatrice Sorensen : Je vous remercie pour vos explications.
Le président : Puis-je tous vous demander d’être un peu plus brefs dans vos réponses? Je vous en serais très reconnaissant. Nous allons manquer de temps.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Bonjour, messieurs. Je voudrais vous poser une question.
Nous sommes en train de conclure cette étude et nous avons entendu quelques sceptiques — des experts — qui considéraient qu’on mettait beaucoup d’énergie dans une ressource comme l’hydrogène qui, ma foi, restera toujours marginal de leur point de vue.
Vous investissez beaucoup dans cette technologie. Qu’est-ce qui vous fait croire, étant donné qu’elle coûte très cher en ce moment, que vous réussirez à la développer?
J’aurai une autre question ensuite.
M. Labelle : Merci pour la question, madame la sénatrice. Je vais garder ma réponse assez succincte.
Premièrement, je crois que, quand on regarde le plan de transition climatique, on voit que les carburants propres seront une composante de cette transition. On ne peut pas éviter d’avoir des carburants propres comme l’hydrogène. Si on veut se rendre à zéro émission nette en 2050, il faut que l’on fasse plein de choses partout dans l’économie, et il y a certaines technologies et certaines applications qui ne peuvent être faites que par l’hydrogène, qui est un carburant propre. On parle du ciment, de l’acier et du transport dans l’industrie lourde. Pour décarboner ces secteurs et se rendre à zéro émission nette, on n’a pas le choix.
Deuxièmement, la demande existe aujourd’hui. Toutes les semaines, il y a des gens qui nous appellent, M. Hoskin et moi, de la Corée, de l’Allemagne et du Japon, parce qu’ils veulent acheter de l’hydrogène canadien. Il y a un marché, absolument, donc on essaie de développer ce marché, la production, la distribution et tout le reste. On ne fait pas cela pour le plaisir, mais bien pour combler un besoin immédiat qui continue de grandir.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci pour cette réponse très claire. Il faut rester optimiste. La deuxième question est beaucoup plus difficile, mais j’aimerais connaître vos projections.
Tout d’abord, quel pourcentage de nos besoins énergétiques espérez-vous que l’hydrogène peut combler? Avez-vous fait des projections à cet effet? Deuxièmement, en gros, quelle est la part des subventions fédérales dans les nombreux projets liés à l’hydrogène dont vous nous parlez? Quelle est la proportion financée par le secteur privé et la proportion financée par les deniers publics? Je sais qu’il y a probablement un pourcentage différent, mais en moyenne, quel est le pourcentage que vous financez, et à combien estimez-vous le pourcentage selon lequel on pourra combler nos besoins énergétiques avec l’hydrogène?
M. Labelle : Merci. Je vais commencer par la deuxième question. Je suis responsable du Fonds pour les combustibles propres. On offre 30 % des coûts de capital pour les produits de l’hydrogène, jusqu’à un maximum de 150 millions de dollars. S’il s’agit d’un projet de 2 milliards de dollars, la contribution maximale est de 150 millions de dollars; c’est un pourcentage de 30 % qui diminue. Je vous recommande d’en discuter à mes collègues du ministère des Finances, qui pourront vous parler des subventions et des crédits d’impôt qui ont été annoncés il y a quelques semaines.
Deuxièmement, pour ce qui est de la proportion dans l’utilisation de l’hydrogène dans l’économie, ce que nous avons modélisé, c’est le plein potentiel de l’hydrogène pour atteindre la carboneutralité. Je ne voudrais pas me tromper, donc M. Hoskin pourrait sans doute vous donner les chiffres exacts.
[Traduction]
M. Hoskin : Merci. Les investissements que nous faisons par l’entremise de nos programmes à Ressources naturelles Canada sont remboursables sous condition. Sur une période de 10 ans, selon les conditions établies dans l’accord de contribution qui est négocié à l’avance, si le secteur privé fait un profit, il doit alors rembourser la somme totale sur 10 ans, en fonction du profit réalisé grâce à ces installations.
Pour ce qui est des projections sur le plan énergétique, la Stratégie canadienne pour l’hydrogène dit que d’ici 2050 — c’est encore une fois dans le scénario transformateur —, l’hydrogène pourrait représenter jusqu’à 30 % de l’énergie utilisée au Canada, alors que la différence de 70 % proviendrait de l’électrification et d’autres combustibles propres.
Cela dit, à propos de l’audit de la stratégie pour l’hydrogène mené par la vérificatrice générale, nous nous sommes engagés à mettre à jour nos modèles tous les deux ans. Nous nous efforçons actuellement de le faire en partenariat avec la Régie de l’énergie du Canada et Environnement et Changement climatique Canada. Cette mise à jour tiendra compte des progrès technologies, du coût et des nouvelles possibilités de déploiement qui n’existaient pas avant étant donné que l’économie et le rôle de l’hydrogène évoluent tous les jours.
Tous les deux ans, nous mettrons les modèles à jour et nous continuerons d’ajouter les renseignements les plus récents et de faire des prévisions, encore une fois, sur la place de l’hydrogène dans le réseau énergétique du Canada, ou sur le pourcentage de l’énergie qui pourrait provenir de l’hydrogène.
Nous savons que la Régie de l’énergie du Canada publiera en 2023 son scénario de carboneutralité et le bouquet énergétique dans un scénario de carboneutralité en 2050, et que cela inclura également l’hydrogène.
La sénatrice Seidman : Je suis heureuse de vous revoir, monsieur Labelle. Bienvenue, monsieur Hoskin. J’aimerais faire un bref suivi.
Je suis certaine que vous êtes fatigués de parler de cet enjeu, mais mardi soir, j’ai posé une question sur les différentes estimations entre Environnement et Changement climatique Canada et Ressources naturelles Canada qui ont été signalées par le commissaire lorsqu’il a comparu devant le comité.
Monsieur Labelle, vous avez exprimé très clairement que les deux ministères établissent des modèles pour des choses différentes. Je suis heureuse d’entendre cette explication supplémentaire aujourd’hui, ainsi que le suivi détaillé fourni par M. Hoskin pour expliquer cela.
Vos deux ministères, soit Ressources naturelles Canada et Environnement et Changement climatique Canada, collaborent grandement à nos plans liés à des stratégies pour le changement climatique et un avenir durable au Canada. Cela devient donc une question de communication, et lorsque les Canadiens entendent différentes choses de ces deux différents ministères, cela ne leur inspire pas beaucoup confiance.
Quels rôles jouent les sciences, la traduction et la communication au sein de votre ministère? Quel type de communication les deux ministères entretiennent-ils?
M. Labelle : Je pense que c’est une très bonne question. Je me mets à votre place et je me rends compte que vous voyez des documents qui ne disent pas la même chose, et vous vous demandez la raison de cette situation.
Il faut revenir à la description des rôles.
Le rôle de Ressources naturelles Canada est de promouvoir l’industrie, la transition du bouquet énergétique au Canada, la production de combustible, la collaboration avec les provinces pour transporter les combustibles et déterminer comment les exporter, etc. Nous nous concentrons surtout sur la production et la facilitation. Nous tentons d’être un catalyseur pour le développement d’un marché.
Le rôle d’Environnement et Changement climatique Canada est de gérer l’inventaire national des émissions. Ce ministère supervise donc la quantification du plan qui est effectuée par l’entremise des communautés internationales de modélisation.
Nous travaillons en étroite collaboration avec Environnement et Changement climatique Canada par l’entremise du Centre canadien d’information sur l’énergie, comme nous l’avons mentionné mardi. Nos deux ministères financent des modélisateurs à cette fin. Ressources naturelles Canada a des modélisateurs. Nous parlons également aux modélisateurs d’Environnement et Changement climatique Canada. Nous nous assurons de comprendre les hypothèses qui sont formulées et la façon dont elles sont formulées.
Comme l’a dit M. Hoskin, nous parlons aux intervenants de la Régie de l’énergie du Canada. Nous nous assurons de comparer nos observations. Nous essayons toujours d’améliorer cet aspect. Nous sommes aussi en communication externe avec l’industrie pour tenter de comprendre les possibilités offertes. Comment réussirons-nous à atteindre la carboneutralité?
Le rapport que nous avons publié concerne l’éventail de possibilités offertes. Comment notre pays peut-il optimiser l’exploitation de ses ressources? Il s’agit de définir les possibilités et de catalyser les efforts.
Il ne s’agit pas seulement de notre stratégie. En effet, la Stratégie canadienne pour l’hydrogène est, au bout du compte, la somme des contributions du secteur privé, des provinces et des groupes autochtones. Elle est très vaste, alors que celle d’Environnement et Changement climatique Canada se présente sous la forme d’un plan canadien pour atteindre nos objectifs et dans lequel le ministère examine les choses qui sont, selon les intervenants concernés, suffisamment crédibles pour être quantifiées dans un plan de réduction des émissions, alors que nous cernons plutôt les possibilités concrètes.
Le président : Puis-je faire un commentaire? Je vais vous dire ce que j’entends, car nous pouvons en parler toute la journée. Nous avons essayé de comprendre.
Ce que je crois entendre, c’est qu’un plan concerne ce que vous avez concrètement réalisé, et l’autre plan concerne ce que vous espérez obtenir, mais il n’a aucun fondement dans la réalité. Vous devez admettre que c’est un peu contradictoire. Ce n’est pas très bon.
Vous pouvez répéter l’histoire plusieurs fois. Nous l’avons déjà entendue quatre ou cinq fois, mais c’est comme si elle n’avait aucun sens. Si vous essayez de vendre des produits et que vous vous contentez d’espérer et de souhaiter réussir, ce n’est pas suffisant. Ce sont les éléments concrets qui seront pertinents. Est-ce que cela aide? Je ne sais pas, mais je vous dis ce que j’en pense.
La sénatrice Seidman : Non. Je pense que…
M. Hoskin : Puis-je faire un commentaire?
La sénatrice Seidman : ... nous entendons un certain message et... D’accord. Restons-en là, car j’ai une autre question.
Je pensais que nous allions entendre une réflexion après coup au sujet de la discussion sur ces deux modèles.
Nous avons beaucoup parlé du secteur privé. Il revient sans cesse dans la discussion. Il a été évoqué mardi soir. Il a été évoqué dans votre déclaration d’aujourd’hui.
Lorsque je pense aux commentaires des nombreux témoins qui ont comparu devant notre comité au sujet des multiples défis liés à l’hydrogène, je me souviens qu’ils ont beaucoup parlé de l’infrastructure. Toutefois, ils ont aussi beaucoup parlé de la compétitivité, plus précisément de notre manque de compétitivité face aux États-Unis. Nous sommes également en train d’élaborer une vaste stratégie entre le Canada et l’Allemagne. Il se passe beaucoup de choses dans ce domaine.
J’aimerais me faire une idée des liens avec le secteur privé, car ses intervenants sont sur le terrain. Ils ont donc probablement une bonne idée de ce qu’il faut faire et de la façon de le faire. Je sais que vous avez publié l’énoncé économique de l’automne, dans lequel le crédit d’impôt à l’investissement pour l’hydrogène propre est abordé. Vous avez parlé de choses comme les corridors de transport écoénergétiques et l’importance de reconnaître la nature homogène du système de transport nord-américain.
Il se passe donc beaucoup de choses. J’essaie de me faire une vue d’ensemble de la situation. Pourriez-vous m’aider à y arriver et me parler de votre relation avec le secteur privé à cet égard?
M. Labelle : J’aimerais céder la parole à mes collègues du ministère des Finances, qui vous parleront de la compétitivité et des récentes mesures fiscales.
Nous parlons aux intervenants du secteur privé tous les jours. Nous rencontrons les représentants d’entreprises. Nous avons 16 groupes de travail. Cela semble beaucoup, et c’est effectivement le cas. C’est parce qu’il se passe beaucoup de choses et qu’il y a de nombreuses parties différentes avec des intérêts différents dans le secteur privé.
Mais je vais laisser mon collègue, M. Jovanovic, vous parler du crédit d’impôt et de la manière dont il nous aide à rester concurrentiels.
Miodrag Jovanovic, sous-ministre adjoint principal, Direction de la politique de l’impôt, ministère des Finances Canada : Je vous remercie de votre question.
Dans l’énoncé économique de l’automne, le gouvernement a clairement indiqué qu’il était conscient de l’effet de la loi américaine de 2022 sur la réduction de l’inflation et de la nécessité d’agir. Les premières mesures prises par le gouvernement fédéral comprennent, surtout en ce qui concerne l’hydrogène, l’annonce de l’intention d’offrir un crédit d’impôt à l’investissement remboursable fondé sur l’intensité des émissions de carbone du mode de production. À des fins de comparaison, les États-Unis ont également introduit un crédit d’impôt à l’investissement pour soutenir la production d’hydrogène en fonction des niveaux d’intensité des émissions de carbone. Le taux maximal de crédit d’impôt à l’investissement offert est de 30 %.
Dans l’énoncé économique de l’automne, il a été annoncé que le gouvernement mènera également des consultations sur un système dans le contexte canadien — c’est-à-dire que le système conviendrait au contexte canadien — fondé de façon similaire sur des niveaux, et le projet le plus propre, en quelque sorte, de ce niveau recevrait un crédit d’impôt à l’investissement d’au moins 40 %.
Au cours des semaines et des mois à venir, nous consulterons massivement l’industrie. Nous avons déjà eu des discussions pour obtenir plus de renseignements qui nous aideront à déterminer la meilleure façon d’appliquer les taux, en fonction des modes de production, et aussi quel type d’équipement mériterait différents taux du crédit d’impôt à l’investissement.
Il y a donc encore beaucoup de travail à faire, mais nous le ferons en consultation avec l’industrie. L’objectif est de veiller à offrir le même cadre concurrentiel que les États-Unis.
La sénatrice Anderson : Je remercie les témoins de leurs déclarations.
Monsieur Labelle, dans votre déclaration, vous avez parlé de l’avancement de l’hydrogène dans les provinces, mais sans mentionner le Nord, c’est-à-dire le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut. Historiquement, le Nord est souvent mené en bateau, mais il ne mène pas nécessairement les décisions prises par les Canadiens, même si ces décisions ont des répercussions importantes sur les habitants de cette région. Selon la stratégie sur l’hydrogène décrite sur le site Web de Ressources naturelles Canada, le Nord — plus précisément le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut — est cité pour son « [p]otentiel de production d’hydrogène à partir de plusieurs matières premières ».
Pouvez-vous nous en dire plus sur ce sujet? À votre avis, l’hydrogène est-il une forme d’énergie viable dans le Nord?
M. Labelle : Je vous remercie de votre question.
Je laisserai à M. Hoskin le soin d’entrer dans les détails, mais auparavant, je dirai que, dans le contexte de nos groupes de travail, nous avons un groupe de travail fédéral-provincial. Nous invitons tous les territoires à y participer, et nous les encourageons à le faire. Nous sommes ouverts à cela. Ils participent à différents degrés, en fonction de leur disponibilité.
M. Hoskin pourra peut-être vous parler de la stratégie de l’hydrogène.
M. Hoskin : Certainement.
En ce qui concerne les possibilités pour l’hydrogène dans le Nord, comme l’a dit M. Labelle, nous travaillons avec les provinces et les territoires. Tous les territoires ont envoyé des représentants pour discuter des possibilités liées à l’hydrogène. L’hydrogène est considéré comme une solution de remplacement pour le diesel, qu’il s’agisse d’un groupe électrogène diesel ou du diesel utilisé comme carburant pour le transport.
Les moteurs alimentés au diesel émettent entre autres du carbone noir, l’une des pires matières particulaires qui font fondre la neige. Le déploiement de l’hydrogène dans le Nord contribue à atténuer non seulement les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi les émissions de carbone noir qui font fondre le manteau neigeux à un rythme plus rapide. Il y a donc certainement des possibilités pour l’hydrogène dans le Nord.
En fait, l’hydrogène est actuellement utilisé dans le Nord-du-Québec, plus précisément à la mine Raglan, qui se trouve juste à la frontière avec les territoires. Il s’agit d’un projet de conversion de l’énergie éolienne en hydrogène, dans le cadre duquel des éoliennes fournissent de l’électricité à une collectivité. Cette collectivité obtient son électricité de l’éolienne, mais lorsque le vent cesse de souffler, elle produit également de l’hydrogène, et cet hydrogène est utilisé pour remplacer le diesel dans un groupe électrogène diesel.
Il existe d’importantes possibilités de décarboner le Nord, de réduire les émissions de carbone noir dans le Nord et de transformer tout cela en possibilités économiques pour les collectivités du Nord et les territoires, qui pourraient exploiter l’énergie solaire en été et l’énergie éolienne en hiver.
La sénatrice Anderson : Je ne sais pas si c’est plus une question ou un commentaire.
Vous avez parlé du potentiel et des possibilités dans le Nord. Nous sommes tout à fait conscients que nous sommes fortement dépendants du diesel, car notre infrastructure est désuète. Vous avez parlé de l’importance de mettre en place des infrastructures comme des bornes de recharge. Avez-vous envisagé de mettre en place des infrastructures dans le Nord?
M. Labelle : Oui, certainement. Nous venons d’obtenir des fonds dans le budget 2022 — soit 900 millions de dollars — pour les bornes de recharge et les postes de ravitaillement. Cela se fera par l’entremise de la Banque de l’infrastructure du Canada et Ressources naturelles Canada.
Il est certain que Ressources naturelles Canada s’intéresse, entre autres, aux régions mal desservies. Il s’agit de veiller à viser les régions où ces projets sont peut-être moins commercialement viables.
Monsieur Hoskin, vous avez peut-être quelque chose à ajouter.
M. Hoskin : Il existe un certain nombre de programmes qui peuvent aider à soutenir l’infrastructure dans le Nord. Comme l’a dit M. Labelle, par l’entremise de notre Programme d’infrastructure pour les véhicules à émission zéro, nous avons déjà déployé quelques bornes de recharge pour les véhicules électriques au Nunavut et à Yellowknife. De plus, Ressources naturelles Canada a lancé le programme Énergie propre pour les collectivités rurales et éloignées, qui vise à faire en sorte que les collectivités éloignées n’utilisent plus le diesel. À l’heure actuelle, le ministère finance des études de faisabilité sur les façons d’utiliser les énergies renouvelables et les nouvelles possibilités offertes par l’hydrogène pour aider ces collectivités du Nord à abandonner le diesel et à adopter des systèmes énergétiques plus durables.
[Français]
La sénatrice Audette : Merci beaucoup aux interprètes pour leur travail. Vous parlez très vite, dans un contexte scientifique et complexe, mais j’ai été en mesure de comprendre la majeure partie des dialogues et des échanges.
J’aimerais mieux comprendre, sachant que nous terminons cette étude et que vous allez continuer de faire ce que vous avez obtenu comme mandat. Les groupes autochtones, pour moi, sont plus que des groupes; ce sont nos gouvernements, nos leaders et les gardiens des savoirs et des territoires. Lorsqu’on parle de stockage, de transport, de développement de marchés, de ports, il y a des peuples autochtones qui vivent dans tous ces grands territoires, que ce soit à l’Est, dans le Nord, à l’Ouest ou dans le Sud et ainsi de suite.
Serait-il possible de nous faire parvenir la liste des nations qui ont collaboré, contesté ou participé? Je voudrais être sûre de comprendre que nous allons au-delà d’une petite coche. J’ai eu un groupe qui a parlé et a dit : « Merci, j’ai fait ma consultation. » C’est très important, parce que cela a un effet direct sur notre économie, notre santé et notre relation avec le territoire. Ce n’est pas pour vous empêcher de faire quoi que ce soit, mais j’ai besoin de comprendre qui a participé et qui participe à ces travaux avec vous.
Le président : Est-il possible d’avoir cette liste?
[Traduction]
M. Hoskin : En ce qui concerne la stratégie sur l’hydrogène, à des fins d’éclaircissements, ce n’est pas le processus définitif. En réalité, la Stratégie canadienne pour l’hydrogène était un début, et c’est la raison pour laquelle on lui donne le sous-titre « Appel à l’action ». Et nous continuons d’avoir ces groupes de travail qui aident à réaliser la stratégie, et cela comprend un groupe de travail autochtone spécialisé, et une partie du comité de direction stratégique est un groupe de travail dont les membres représentent les Autochtones, les entreprises et les collectivités et ils se concentrent uniquement sur les possibilités.
Nous travaillons actuellement avec plusieurs Premières Nations qui s’étendent aux États-Unis, tout en étant conscients que les Premières Nations ne suivent pas nécessairement les frontières fédérales. Certaines nations s’étendent dans d’autres territoires. De même, certaines Premières Nations de l’Alberta et de la Colombie-Britannique s’étendent au-delà de ces deux frontières.
Nous pouvons fournir cette liste, mais je tiens également à souligner que le Fonds pour les combustibles propres, doté de 1,5 milliard de dollars, comprend un volet réservé aux projets dirigés par des Autochtones. Cela signifie que le projet lui-même doit être détenu et exploité à plus de 50 % par des Autochtones pour être admissible à un financement dans le cadre de ce programme. Nous travaillons donc en étroite collaboration avec les entreprises et les collectivités autochtones. Nous l’avons fait dès le début et nous continuerons tout au long de la mise en œuvre du programme.
[Français]
M. Labelle : La question relative aux nations est très importante. Nous pouvons assurément vous donner la liste, tout en reconnaissant qu’elle s’allonge toujours. Nous discutons également avec des organisations représentatives, comme la First Nations Major Projects Coalition, qui a tenu une conférence sur l’hydrogène que nous avons appuyée et que nous continuons d’appuyer. Nous devons effectivement les rencontrer cette semaine. Très souvent, nous les rencontrons pour parler de projets émanant des Premières Nations qui semblent prometteurs — pas seulement pour discuter avec des gens qui sont touchés de près par ces projets, mais qui sont aussi des leaders dans ces projets. Nous sommes donc très intéressés et heureux de continuer à collaborer de cette façon.
La sénatrice Audette : Merci beaucoup.
[Traduction]
Le président : Si vous me le permettez, j’aimerais poser une question avant d’entamer la deuxième série de questions, car je souhaite revenir sur un certain point. Nous avons entendu des témoins très crédibles, dont un professeur de l’Université York. Ils en sont venus à la conclusion que, malgré tous les efforts déployés, y compris par l’entremise de la capture et du stockage du carbone, la production d’hydrogène entraînera un rejet d’émissions de méthane, ce qui est très négatif et 30 fois pire que le CO — le monoxyde de carbone — ou le CO2, c’est-à-dire le dioxyde de carbone. Comment réagissez-vous à ces affirmations?
De plus, ce professeur siège au conseil d’administration de l’État de New York, au sujet du choix des combustibles, et il siège également au conseil consultatif de la Ville de New York. Ce sont des gens sérieux, et ils disent qu’ils ne feront pas cela, qu’ils ne participeront pas et qu’il est impossible de faire cela sans générer d’importantes émissions de méthane. Pouvez-vous formuler des commentaires à ce sujet? Et pourquoi êtes-vous si confiant, alors que des experts un peu partout dans le monde affirment que vous gaspillez de l’argent? Pouvez-vous répondre à cela, monsieur Labelle?
M. Labelle : Oui, certainement. Je vous remercie de la question, monsieur le président. C’est la raison pour laquelle nous voulons adopter une méthodologie commune. Une méthodologie commune signifie que cela ne revient pas à l’avis d’un professeur ou d’un autre expert qui a son propre point de vue fondé sur ses recherches scientifiques. Il s’agit d’utiliser une méthodologie commune qui est la même pour tout le monde. Dans le cadre de cette méthodologie, on évaluera les réductions du méthane et les émissions de CO2, et on examinera tous ces facteurs dans leur ensemble pour s’assurer qu’il s’agit d’une conclusion sérieuse, quantifiable et commune. Et c’est exactement ce que nous faisons.
Le président : Donc, à l’heure actuelle, nous n’avons pas de certitude, est-ce bien ce que vous nous dites? C’est sans fondement à ce stade, si je comprends bien, et vous n’êtes pas si sûr que cela puisse marcher.
M. Labelle : J’en suis absolument sûr.
Le président : Et est-ce économique?
M. Labelle : Je suis sûr que nous pouvons produire de l’hydrogène à faible teneur en carbone, voire à 95 % sans émission de CO2.
Le président : À quel prix?
M. Labelle : Le prix va varier, bien sûr, selon l’endroit. Il dépendra des technologies employées. Il dépendra, par exemple, de l’endroit où le carbone sera séquestré et de bien d’autres variables. Si la question est de savoir si cela peut se faire, la réponse est oui, absolument. Cela se fait déjà aujourd’hui.
Le président : Je suis d’accord.
M. Labelle : La deuxième question est celle du prix. Et il dépendra de l’installation particulière, de la matière première, de la façon dont vous séquestrez le carbone et où vous l’enfouissez.
Le président : Espérons. Ma deuxième question porte sur l’entente avec les Allemands, qui concerne le Labrador. L’entente a-t-elle été conclue? Est-ce une entente ferme, ou supposons-nous que les parties pourraient arriver à une entente? À quel point en sont-ils? Nous parlons de beaucoup d’argent. À quel point est-ce concret? À l’heure actuelle, est-ce juste un exercice de relations publiques ou bien est-ce un engagement officiel?
M. Labelle : Monsieur le président, quand vous dites « beaucoup d’argent », de quel argent parlez-vous, d’où vient-il?
Le président : Je vous pose la question. C’est vous le témoin, alors donnez-nous une réponse.
M. Labelle : Bien sûr. Aucun argent fédéral n’est investi dans le projet de Stephenville où l’événement avec les Allemands a eu lieu. Je commencerais par cela.
Le président : Ainsi, malgré une conférence de presse dans laquelle le premier ministre annonçait à tout le monde que nous avions une entente, vous dites qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter, qu’il n’y a aucune mise de fonds?
M. Labelle : Eh bien, le premier ministre a signé une entente avec le chancelier Scholz s’engageant à soutenir la production d’hydrogène en vue de l’exporter vers l’Allemagne. Les Allemands veulent acheter notre hydrogène parce qu’il est propre et abondant.
Le président : Et aucun prix n’a été fixé?
M. Labelle : À ce stade, aucun prix n’a été fixé, non.
Le président : Donc l’entente n’a pas été concrétisée?
M. Labelle : À Terre-Neuve, par exemple, il y a à l’heure actuelle 10 ou 11 projets à divers stades d’élaboration. Le prix dépendra de facteurs comme les électrolyseurs. Ils ont tous besoin d’électrolyseurs pour convertir l’énergie éolienne en hydrogène vert. À cet égard, le prix dépend bien sûr de l’offre et de la demande. Certains ont été achetés, d’autres non. Ils travaillent aussi au large des côtes. Par exemple, il s’agit de montrer l’énorme potentiel qu’a l’hydrogène sur la côte Est et son potentiel d’exportation vers l’Allemagne.
Il y a plusieurs projets, pas un seul projet. Ce projet de Stephenville n’a pas cherché à obtenir de l’argent du gouvernement fédéral pour le moment. D’autres projets l’ont fait, et j’espère en annoncer certains dans les prochains mois. Mais pour répondre à votre question, l’engagement consiste à travailler avec les Allemands sur cette méthodologie du carbone pour être certains que, lorsqu’ils achètent de l’hydrogène propre, ils savent ce qu’ils achètent.
Le président : Donc, il n’y a pas à l’heure actuelle d’entente ferme, mais nous espérons en arriver au point de produire de l’hydrogène à haut rendement énergétique. Espérons que nous y arriverons.
M. Hoskin : Ce n’est pas particulièrement une entente commerciale; il s’agit plutôt d’un protocole d’entente en vue de collaborer avec l’Allemagne. L’Allemagne a également signé un autre protocole d’entente avec l’Australie, qui a ouvert aux entreprises australiennes le marché allemand pour y vendre leur hydrogène. Sans un tel protocole d’entente, il était beaucoup plus difficile pour l’Australie de vendre sur le marché allemand.
Si le Canada n’avait pas signé de protocole d’entente avec l’Allemagne, il aurait été beaucoup plus difficile pour les sociétés canadiennes de vendre sur le marché allemand, et ces ventes pourraient atteindre plusieurs milliards d’euros en 2030. C’était la raison d’être de ce protocole d’entente, parce qu’il ouvre aux exportateurs privés canadiens de produits énergétiques la porte du marché européen — en commençant par l’Allemagne, puis les Pays-Bas et par la suite le reste de l’Union européenne.
La sénatrice Galvez : Cela a été mentionné à plusieurs reprises et se trouve également dans les documents du gouvernement, à savoir que le gouvernement joue le rôle de catalyseur et veut simplement réunir les intervenants pour qu’ils puissent faire affaire. Mais comme de l’argent est octroyé pour mettre au point cette technologie — et je suis au premier rang du Fonds de croissance du Canada qui sera annoncé dans l’énoncé économique de l’automne et il y aura de l’argent pour cela —, il ne s’agit pas vraiment de catalyser. Il s’agit plutôt de choisir les gagnants et de déterminer les perdants. Et donc, si ce qu’on m’a dit plus tôt est vrai — ils sont déployés et complètement opérationnels —, j’aimerais connaître le coût unitaire nivelé de l’énergie. Parce que quand je vois la courbe du prix de l’énergie solaire et éolienne en chute libre — qui est d’environ 30 à 40 $ par kilowatt produit. J’aimerais savoir le prix de l’hydrogène vert et celui de l’hydrogène gris.
Le président : Nous n’avons presque plus de temps. Essayons de répondre à la question en moins d’une minute. Monsieur Labelle, pouvez-vous essayer?
M. Labelle : Il y a plusieurs questions ici. La première concerne le Fonds de croissance du Canada. Je ne me rappelle pas exactement la question, mais en ce qui concerne le prix actuel de l’hydrogène vert et des autres, nous pouvons certainement vous envoyer des chiffres précis. Ces prix changent tout le temps, bien sûr.
Le président : Bonne idée. Nous serions reconnaissants de recevoir tout cela.
La sénatrice Galvez : Je vous remercie.
M. Labelle : Et pour ce qui est du Fonds de croissance du Canada, vous pouvez peut-être demander à mon collègue du ministère des Finances de vous répondre.
Le président : Monsieur Jovanovic?
M. Jovanovic : Je vous remercie. Je vais me tourner vers ma collègue, madame Lambert.
Marie-Josée Lambert, directrice générale par intérim, Investissements d’État et gestion des actifs, ministère des Finances Canada : Le Fonds de croissance du Canada sera un nouveau fonds d’investissement destiné à catalyser les investissements privés afin d’aider le Canada à déployer toute technologie qui permettra de décarboniser notre économie et de créer des emplois. À l’heure actuelle, il en est encore au stade de la création et nous aurons plus d’informations lors du budget de 2023.
[Français]
Le président : Nous arrivons à la fin de ce premier groupe de témoins.
Merci à vous tous d’avoir été des nôtres ce matin pour nous transmettre vos connaissances. Nous vous appuyons fortement dans vos démarches. Nous vous souhaitons tout le succès possible dans ce secteur dont notre avenir dépend.
Nous accueillons maintenant Mme Rachel Samson, vice-présidente à la recherche de l’Institut de recherche en politiques publiques, et, à titre personnel, M. Sean McCoy, professeur adjoint, boursier de l’Accélérateur de transition, génie chimique et pétrolier, Université de Calgary et M. Simon Moore, vice-président, Relations avec les investisseurs, relations d’entreprise et développement durable, Air Products.
Bienvenue à vous tous, et merci d’avoir accepté notre invitation. Vous avez cinq minutes chacun pour faire votre déclaration d’ouverture. Nous allons commencer par Mme Samson, qui sera suivie de M. McCoy, puis de M. Moore.
Madame Samson, vous avez la parole.
[Traduction]
Rachel Samson, vice-présidente à la recherche, Institut de recherche en politiques publiques : Merci beaucoup.
J’ai trois principaux points à apporter en rapport avec la façon dont l’hydrogène s’inscrit dans les considérations économiques stratégiques pour le Canada.
En premier lieu, le Canada fait face à un défi économique important, du fait que le monde s’éloigne progressivement des combustibles fossiles et que de nouvelles sources de croissance économique et d’emplois — notamment l’hydrogène — seront essentielles pour que le Canada réussisse cette transition.
En deuxième lieu, l’hydrogène n’est qu’un des nombreux débouchés de cette transition mondiale mais, en tant que tel, ne peut pas remplacer le pétrole et le gaz. Cependant, il peut jouer un rôle important dans la diversification des exportations canadiennes, améliorer la résilience de certains secteurs clés et attirer de nouveaux investissements.
En troisième lieu, les politiques gouvernementales ne devraient pas seulement réfléchir à des incitatifs pour la production d’hydrogène, mais encore à des incitatifs pour l’utilisation d’hydrogène et la fabrication de produits liés à l’hydrogène, tels que les piles à combustible, les électrolyseurs, les camions et les navires.
Pour ce qui est du défi économique du Canada, nous savons que 60 % à 70 % de nos exportations sont vulnérables aux changements du marché qui découleront de la transition. Et nous savons que l’économie canadienne est beaucoup plus vulnérable aux fluctuations du marché mondial qu’aux politiques nationales sur le climat.
Si de nombreux secteurs, de la construction automobile à la production d’acier, seront confrontés à des défis, le plus important cependant sera la chute de la demande mondiale de pétrole et de gaz. Lorsque des pays représentant plus de 90 % du PIB mondial se sont engagés à être carboneutres d’ici 2050, une baisse considérable de l’utilisation des combustibles fossiles est inévitable et pourrait se produire plus rapidement que prévu dans les principaux marchés d’exportation du Canada. Même si les politiques actuelles étaient appliquées, la demande américaine en pétrole et en gaz devrait chuter d’environ 30 % d’ici 2050. Et si les différents pays arrivaient à tenir leurs engagements de carboneutralité, la demande américaine en pétrole et en gaz chuterait de 50 % à 60 % d’ici 2050.
La Chine, l’Inde et d’autres marchés émergents pourraient représenter d’autres débouchés pour le pétrole et le gaz naturel liquéfié du Canada, mais ces marchés seront hautement concurrentiels et eux-mêmes en transition vers des énergies renouvelables et des véhicules électriques.
Le Canada fait face à un changement économique structurel et les gouvernements doivent le traiter différemment d’un choc économique ponctuel. Le Canada doit adapter son économie pour tirer son épingle du jeu dans la transition mondiale. Une partie importante de cette adaptation doit inclure la mise en place de nouvelles sources de croissance, d’emplois et d’exportations pour remplacer la valeur du pétrole et du gaz au cours des prochaines décennies.
L’hydrogène seul ne peut pas remplacer le pétrole et le gaz. Le Canada va devoir chercher de nouveaux débouchés dans toute une série de secteurs.
Des débouchés relativement sûrs existent pour l’hydrogène dans certaines applications, comme pour l’acier, les engrais, les raffineries, l’aviation, les chemins de fer et les poids lourds. Toutefois, les producteurs d’hydrogène ont des défis à relever dans un marché mondial incertain et en pleine évolution.
L’une des choses les plus importantes que peut faire le gouvernement est d’accélérer la demande en hydrogène au Canada afin d’offrir un marché plus sûr aux producteurs.
Même si le Canada peut faire croître la demande en hydrogène au pays, le prix économique le plus important sera sur les marchés américains et internationaux, et c’est là que se jouera le défi de la concurrence. Avec le crédit d’impôt américain pour l’hydrogène, il y a un risque réel que la production destinée au marché américain se déplace au sud de la frontière. Plus le crédit d’impôt canadien se rapprochera du crédit d’impôt américain, et plus il sera facile pour les investisseurs de songer à lancer des projets dans l’un ou l’autre pays, de façon égale.
Cependant, le gouvernement ne devrait pas croire qu’avec un crédit d’impôt, son travail est terminé. Les producteurs auront besoin d’acheteurs garantis, si possible avec des contrats à long terme, et ils ont besoin d’une infrastructure pour le transport et l’exportation de l’hydrogène, de l’ammoniac ou du méthanol. Le Fonds de croissance du Canada, Exportation et développement Canada et la Banque de l’infrastructure du Canada peuvent jouer un rôle essentiel pour combler ces vides.
Le secteur de l’hydrogène aura également besoin de normes claires qui répondent aux préoccupations en rapport avec les fuites, la pollution de l’air et la sécurité. Il est important de s’assurer de ne pas créer de nouveaux problèmes pendant que nous essayons de résoudre ceux créés par le CO2.
Selon l’énoncé économique de l’automne, le gouvernement mettra au point d’autres politiques pour soutenir la compétitivité du secteur de la fabrication de pointe. Ces politiques devraient tenir compte du potentiel de fabrication lié à l’hydrogène, comme les piles à combustible, les électrolyseurs et les camions propulsés à l’hydrogène. Ballard Power Systems, par exemple, est une réussite canadienne dans le secteur des piles à combustible à hydrogène pour diverses applications, que ce soit dans le domaine maritime ou ferroviaire, et pourtant, nombre de leurs projets se concrétisent en Europe ou en Chine, mais pas au Canada. Si la fabrication s’est surtout concentrée sur les batteries et les véhicules électriques, il existe d’autres débouchés pour les produits de l’hydrogène.
En conclusion, l’hydrogène constitue une occasion importante pour le Canada, et le secteur a besoin de soutien politique supplémentaire. Cependant, nous ne devrions pas mettre tous nos œufs dans le même panier. Étant donné le caractère limité des ressources publiques, le Canada devra se montrer stratégique pour saisir les meilleures occasions de croissance et d’emploi.
Merci beaucoup.
Sean McCoy, professeur adjoint, boursier de l’Accélérateur de transition, Université de Calgary, à titre personnel : Merci, monsieur le président, de me donner aujourd’hui la possibilité de vous parler, ainsi qu’aux membres de votre comité. Je m’appelle Sean McCoy et je suis professeur adjoint à l’Université de Calgary à la faculté de génie chimique et pétrolier, ainsi que boursier de l’Accélérateur de transition.
Ma recherche consiste à comprendre quels sont les coûts économiques et les répercussions climatiques des technologies et politiques d’atténuation des changements climatiques. Je vous parle aujourd’hui de Calgary et je reconnais que je suis sur le territoire traditionnel des peuples de la région du Traité no 7 dans le sud de l’Alberta et, bien sûr, la ville de Calgary est également le territoire de la nation métisse de l’Alberta, la Région no 3.
Il existe de nombreux points de vue concurrents, comme nous l’avons entendu, sur la façon d’atteindre la carboneutralité au Canada, certains avec plus d’hydrogène, d’autres avec moins. Je n’ai pas les réponses et ne sais pas ce qui va se passer, et je crois que personne ne le sait. Plutôt que d’essayer de deviner l’avenir, je préfère me concentrer sur ce que nous savons du rôle de l’hydrogène aujourd’hui et des mesures à court terme qui, si nous les prenions, soutiendraient nos objectifs de carboneutralité.
Nous savons désormais que l’hydrogène seul n’est pas un combustible important ou, comme on le dit parfois, un vecteur énergétique important. Il reste que le Canada produit près de 3 millions de tonnes d’hydrogène par an et que la grande majorité sert à valoriser et à raffiner des combustibles fossiles ou à la production d’engrais à base d’ammoniac. Près de 2 millions de tonnes de cet hydrogène sont produites en Alberta. Presque tout l’hydrogène produit au Canada provient de combustibles fossiles, et plus particulièrement, du reformage du gaz naturel. Nous produisons cet hydrogène à partir du gaz naturel parce que nous maîtrisons le processus, parce que c’est commode dans le contexte de son utilisation actuelle et parce que c’est moins cher que d’autres procédés. Par exemple, le coût de production de l’hydrogène par une usine de production et de vente de gaz naturel est estimé à 1 $par kilogramme. Lorsque mesuré pour son contenu thermique, c’est l’équivalent d’à peu près 7 $ par gigajoule. Si nous produisons aujourd’hui de l’hydrogène par électrolyse de l’eau, cela coûte six à sept fois plus cher.
La production d’hydrogène à partir de gaz naturel sans captage et stockage du carbone, ou CSC, comme on le fait habituellement aujourd’hui, entraîne d’importantes émissions, directes et indirectes, pendant le cycle de vie. Pour chaque kilogramme d’hydrogène produit à partir de gaz naturel au Canada, en utilisant un potentiel de réchauffement planétaire typique sur 100 ans, les chercheurs estiment que les émissions de gaz à effet de serre seraient de l’ordre de 10 à 12 kilogrammes d’équivalent en dioxyde de carbone. Lorsque plus de 90 % du dioxyde de carbone généré par l’installation est capté et stocké, on s’attend à ce que les émissions du cycle de vie soient réduites de 70 à 80 %. Il s’agit d’une réduction importante, mais elle a un coût. Avec la technologie existante, nous pensons que cela entraînerait une hausse des coûts de production d’environ 0,50 $ à 1 $ par kilogramme.
Il est vraiment important d’ajouter le captage et le stockage du carbone, ou CSC, à la production actuelle d’hydrogène à partir de gaz naturel, et ce, à court terme. Cela nous donnera la certitude que le CSC fonctionne à cette échelle et que cet hydrogène pourrait jouer un rôle dans notre avenir carboneutre. Cela nous aidera à mieux connaître la capacité de stockage géologique du dioxyde de carbone dans des endroits comme l’Alberta et le sud-ouest de l’Ontario. Ces connaissances nous aideront à mieux évaluer notre capacité de production d’hydrogène au fil du temps et la différence de coût au fil du temps entre la production d’hydrogène à partir de combustibles fossiles et la production par électrolyse de l’eau.
Cela dit, les émissions du cycle de vie de la production d’hydrogène dépendent fortement de la quantité de méthane qui s’échappe dans l’atmosphère pendant la production de gaz naturel. La bonne nouvelle, c’est qu’étant donné le faible taux de fuite — moins de 1 % du gaz livré —, les émissions pendant le cycle de vie de l’hydrogène produit à partir de gaz naturel, avec un taux élevé de CSC, sont comparables à celles de l’hydrogène produit par électrolyse de l’eau à l’aide d’électricité solaire. La mauvaise nouvelle, c’est que les taux de fuite de méthane des infrastructures de gaz naturel semblent plus élevés que nos estimations officielles.
Il est important d’avoir, aujourd’hui, une meilleure idée des émissions en amont des systèmes pétroliers, des mesures à prendre pour réduire leur utilisation et des façons de créer des chaînes d’approvisionnement vérifiables de gaz naturel. Cela permettra d’obtenir des estimations précises des émissions pendant le cycle de vie de la production d’hydrogène et, en combinaison avec des mesures incitatives bien conçues fondées sur le cycle de vie, de réduire les émissions.
Enfin, nos infrastructures pour établir un lien entre l’offre et la demande sont limitées et la demande en hydrogène est faible actuellement, outre pour les applications traditionnelles. Pour atteindre nos objectifs climatiques de façon rentable, nous devons déterminer pour quelles utilisations finales l’hydrogène s’avère concurrentiel par rapport à d’autres vecteurs énergétiques à faible teneur en carbone comme l’électricité, les biocarburants ou le recours direct au captage et au stockage du carbone.
Faites la réflexion suivante : pour produire de la chaleur à haute température et à faibles émissions dans l’industrie, serait-il préférable d’opter pour l’hydrogène produit à partir de gaz naturel avec CSC au coût de 14 $ le gigajoule, le gaz naturel à 3 $ le gigajoule avec CSC direct, ou l’électrification au cours du marché d’électricité en gros de 20 $ le gigajoule, disons? Pour répondre à cette question, il convient d’adopter une perspective systémique, de façon à comprendre comment les différents combustibles et vecteurs énergétiques dont nous disposons interagiront à mesure que nous chercherons à transformer l’économie canadienne pour atteindre notre objectif de carboneutralité.
Je vous remercie de votre temps. C’est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
Simon Moore, vice-président, Relations avec les investisseurs, relations d’entreprise et développement durable, Air Products, à titre personnel : Honorables sénatrices et sénateurs, bonjour. Je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître dans le cadre de votre étude sur la très prometteuse future économie de l’hydrogène au Canada.
Air Products est aujourd’hui le plus important producteur d’hydrogène au monde et compte plus de 60 ans d’expérience dans la production et la distribution d’hydrogène. Nous sommes fiers de notre bilan au Canada, où nous exploitons nos installations de manière sûre depuis plus de 40 ans. Ces 15 dernières années, nous avons fait d’importants investissements dans la production et la distribution d’hydrogène au Canada.
Je suis heureux de vous parler de notre projet phare, le complexe énergétique à hydrogène net zéro au Canada, et des facteurs qui font du Canada un pays attrayant pour la production d’hydrogène. Je parlerai aussi de ce que les gouvernements peuvent faire pour encourager les investissements dans l’hydrogène propre afin de stimuler l’économie de l’hydrogène.
Chez Air Products, nous pensons que l’hydrogène joue un rôle essentiel pour aider le monde à effectuer la transition énergétique et à construire un avenir plus propre et durable. Notre entreprise joue un rôle majeur dans l’atteinte de cet objectif grâce à un engagement en capital sans égal dans l’industrie pour les projets d’hydrogène précurseurs, un portefeuille de technologies, d’expertise et d’expérience dans le domaine de l’hydrogène, et l’expertise et la capacité pour l’exécution en temps opportun de projets d’hydrogène propre pour aider le Canada et le monde à atteindre les objectifs de carboneutralité d’ici 2030 et 2050.
En matière de grands projets, notre stratégie comprend notre complexe énergétique à hydrogène net zéro de 1,6 milliard de dollars actuellement en construction à Edmonton, en Alberta. Ce projet visionnaire permet à Air Products de contribuer directement et de manière significative à l’accélération de l’économie de l’hydrogène du Canada et à la création d’un avenir énergétique plus propre.
Cette installation de calibre mondial change la donne pour l’Ouest canadien. Nous produirons non seulement de l’hydrogène propre sans émissions à partir de gaz naturel, mais nous démontrerons aussi notre capacité de produire de l’électricité à partir d’hydrogène et de produire 35 tonnes d’hydrogène liquide par jour pour faciliter la transition du secteur des transports vers un carburant sans émissions. Pour donner une idée de l’échelle du projet, nous produirons dès le premier jour d’exploitation plus qu’assez d’hydrogène liquide pour remplacer tous les autobus municipaux de l’Alberta par un parc d’autobus propres alimentés à l’hydrogène.
Grâce à une technologie moderne et à une conception innovante, cette installation de démonstration produira, à grande échelle, l’hydrogène le plus propre du Canada. Elle tirera également parti du réseau existant de pipelines d’hydrogène de l’Alberta Heartland d’Air Products. Cette région abritera alors le réseau d’hydrogène à plus faible teneur en carbone au monde. Nous envisageons certainement la possibilité d’investissements supplémentaires au Canada pour appuyer davantage le rôle clé de l’hydrogène dans la transition énergétique.
Permettez-moi maintenant d’expliquer pourquoi le Canada est un marché attrayant pour les investissements dans le secteur de l’hydrogène. Nous sommes très satisfaits de nos investissements actuels au Canada et, comme je l’ai indiqué, nous recherchons d’autres occasions d’étendre nos investissements à d’autres régions du pays.
Nous investissons au Canada parce que le Canada possède les avantages naturels pour être le chef de file de l’économie de l’hydrogène du futur. Premièrement, le pays a les matières premières disponibles pour la production d’hydrogène bleu et vert, comme on les appelle, notamment le gaz naturel et l’électricité renouvelable. De plus, l’Ouest canadien possède d’excellentes caractéristiques géologiques propices à la capture et la séquestration du carbone. Le Canada possède également le capital humain nécessaire à l’exploitation de ses ressources naturelles, notamment une main-d’œuvre très instruite et hautement qualifiée, et une population sensibilisée et soucieuse des questions environnementales qui incite continuellement les gouvernements à prendre des mesures ciblées pour relever les défis posés par les changements climatiques et mettre en place un cadre réglementaire stable.
Toutefois, nous sommes d’avis que le Canada a d’autres occasions importantes pour attirer davantage d’investissements dans le secteur de l’hydrogène. Il convient de reconnaître le rôle important des gouvernements dans les premières étapes de démarrage d’une nouvelle industrie. Nous sommes heureux d’avoir eu du soutien aux échelons fédéral, provincial et municipal. Je tiens personnellement à transmettre mes sincères remerciements au gouvernement du Canada et au gouvernement de l’Alberta de ce solide partenariat, ainsi qu’à la ville d’Edmonton de son appui solide et continu pour notre projet net zéro.
La collaboration fédérale-provinciale est essentielle. Les gouvernements de l’Alberta et du Canada participent tous deux de près au projet d’Air Products. Les gouvernements doivent aller de l’avant rapidement pour l’établissement de cadres réglementaires et l’approbation de projets. Le secteur de l’hydrogène croît actuellement à un rythme effréné dans le monde entier. Assurons-nous de maintenir notre élan au Canada.
En conclusion, il faut des projets concrets et des entreprises de premier plan ayant la capacité financière et l’expertise technique et opérationnelle pour réaliser la transition énergétique. Ces grands projets misent sur les technologies éprouvées qui existent aujourd’hui et qui sont conçues pour fournir de manière sécuritaire de l’énergie propre au marché de la mobilité et aux processus industriels qui assurent le fonctionnement de notre monde.
Air Products compte plus de 21 000 employés à travers le monde, dont un peu plus de 200 au Canada. Nos employés sont motivés par notre objectif supérieur, qui est de créer des solutions innovantes bénéfiques pour l’environnement, d’améliorer la durabilité et de relever les défis auxquels sont confrontés les clients, les communautés et le monde.
Je vous remercie encore une fois.
Le président : Merci, monsieur Moore.
La sénatrice Seidman : Je remercie les témoins de leur présence ce matin. J’aimerais commencer par vous, madame Samson. Plus tôt cette année, vous avez écrit un article intitulé « Vers un boom ou un bide pour le gaz naturel? » dans la revue Options politiques. Dans cet article, vous indiquez ce qui suit : « Les mêmes scénarios mondiaux qui font baisser la demande de gaz naturel font simultanément augmenter celle pour l’hydrogène vert. » Puis, vous ajoutez ce qui suit :
La meilleure chance de succès consiste donc à laisser les décisions d’investissement au secteur privé, plutôt que de tenter de protéger les projets de GNL contre les risques d’investissements à l’aide de subventions gouvernementales.
La sénatrice Galvez a fait référence à cela dans sa question au dernier groupe de témoins, mais il est évident que la compétitivité face aux États-Unis a été un défi considérable et a incité le gouvernement à créer un programme d’incitation fiscale et à cibler des projets précis aux fins d’investissement. Comment pouvons-nous relever ces défis tout en allant de l’avant de manière réaliste, sans simplement dépenser des sommes colossales?
Mme Samson : Eh bien, la conception des outils stratégique et leur mise en œuvre seront d’une importance capitale. Pour ce qui est de la participation gouvernementale, je pense qu’il est logique que les gouvernements participent à des projets lorsque les technologies et les marchés sont en développement et qu’il règne une grande incertitude. Dans un marché comme celui du gaz naturel liquéfié appelé à rétrécir au fil du temps, comme nous le savons, il est moins judicieux pour les gouvernements de participer à des projets qui comportent un risque plus élevé de se transformer en actifs délaissés.
Concernant le secteur de l’hydrogène, qui a un marché en pleine croissance, un potentiel important et des entreprises confrontées à une incertitude considérable, il est logique que les gouvernements jouent un rôle, mais ce rôle devrait être le plus circonscrit possible pour favoriser la mise en œuvre des projets les plus prometteurs. Ce serait pour les secteurs dont j’ai parlé, comme les engrais et l’acier. Essentiellement, il s’agirait de se concentrer sur ces secteurs au lieu de ratisser plus large. Dans le cas d’un projet pour lequel il y aurait un contrat à long terme avec un acheteur garanti, il serait logique que le gouvernement joue un rôle dans sa réalisation.
La sénatrice Seidman : J’aimerais avoir les commentaires des autres témoins, plus particulièrement de vous, monsieur Moore, peut-être, étant donné que votre entreprise est déjà très présente dans le secteur de l’hydrogène.
M. Moore : Je vous remercie beaucoup de cette question. Encore une fois, nous débordons d’enthousiasme à l’égard de nos activités actuelles dans le secteur de l’hydrogène au Canada, notamment à l’égard de notre projet en cours d’exécution et du potentiel d’investissements supplémentaires. Comme certains observateurs l’ont indiqué, les gouvernements du monde entier sont conscients du rôle essentiel de l’hydrogène dans la transition énergétique. Bien que les programmes et les politiques puissent varier d’un endroit à l’autre, fondamentalement, les gouvernements du monde entier reconnaissent la nécessité d’appuyer le secteur de l’hydrogène en vue de la transition énergétique. Il a évidemment été question de la loi américaine de 2022 sur la réduction de l’inflation et des perspectives en Europe.
Ce qui est le plus utile pour les entreprises comme la nôtre qui envisagent de faire des investissements, ce sont des politiques claires et des certitudes quant aux cadres réglementaires. Je vous encourage à prendre des décisions ainsi qu’à élaborer et à mettre en place des politiques le plus rapidement possible, car je pense que c’est ce qui permettra à Air Products et à d’autres de faire d’importants investissements dans le secteur de l’hydrogène à l’avenir.
La sénatrice Sorensen : Bienvenue à nos invités. Je pense que cette question est ouverte à tous les témoins. Je vais poser une question générale, puis, si nous avons le temps d’entendre tout le monde, je vous demanderai de garder cela à l’esprit.
Il a été mentionné que le Canada n’a pas encore l’infrastructure nécessaire pour produire de grandes quantités d’hydrogène propre ou pour l’exporter, non seulement sur de longues distances, mais en grande quantité. J’aimerais avoir vos commentaires et réflexions au sujet de ce problème. Monsieur Moore, j’ai aimé l’ensemble de vos commentaires positifs sur la collaboration entre les gouvernements, mais la question que je vous pose à tous est la suivante : pensez-vous que le gouvernement fédéral en fait assez pour soutenir l’Alberta — si vous n’avez pas entendu les présentations, je suis Albertaine —, mais aussi pour aider le Canada dans son ensemble à mettre en œuvre ses stratégies sur l’hydrogène?
M. Moore : Permettez-moi de répondre à la première partie de la question, car nous parlons beaucoup de l’infrastructure de l’hydrogène, et je pense qu’il est important de reconnaître qu’il existe plusieurs façons de transporter l’hydrogène. Premièrement, l’hydrogène peut être transporté à l’état gazeux par pipeline. Si vous avez un réseau de pipelines d’hydrogène, comme c’est le cas en Alberta, vous pouvez prendre l’hydrogène directement de votre installation et le livrer à votre client. Il y a deux mois, nous avons eu le grand plaisir d’annoncer une entente à long terme avec la Pétrolière Impériale pour son installation de diesel renouvelable. Encore une fois, lorsqu’il est question des mesures à prendre pour stimuler l’investissement, le transport d’hydrogène représente un débouché.
Pour ce qui est de la distribution de l’hydrogène à l’échelle plus locale, mais sur de plus grandes distances que ce que permet un réseau de pipelines, transformer l’hydrogène à l’état liquide est une excellente solution. Une partie de l’hydrogène de notre nouveau projet sera transformée à l’état liquide pour le marché du transport. Je pense qu’un témoin précédent a parlé du transport de l’hydrogène par conversion en ammoniac. C’est un excellent procédé pour le transport vers le monde entier.
Ce que je veux dire, c’est qu’il n’y a pas de réponse unique. Il faut prendre en considération le lieu de production et l’emplacement des marchés, évaluer les avantages et les inconvénients et trouver la bonne solution. Nous utiliserons ces trois solutions dans le cadre de nos projets dans le monde entier. En résumé, je dirais qu’il y a des infrastructures en place, mais que cela varie selon la situation et qu’elles doivent être développées.
Quant à la deuxième partie de la question, nous nous réjouissons de l’annonce, dans l’énoncé économique de l’automne, d’un possible crédit d’impôt à l’investissement pour l’hydrogène propre. Nous sommes d’avis que plus vite cela se concrétisera par règlement, mieux ce sera. Je vous remercie.
Mme Samson : J’aimerais souligner, brièvement, qu’il convient de faire preuve de prudence quant au recours massif à l’ammoniac. Il est essentiel que cela fasse l’objet d’une réglementation, étant donné le risque de pollution atmosphérique et d’émissions de gaz à effet de serre. Il y a en outre la question de la toxicité, qui suscite de plus en plus de préoccupations à l’échelle internationale.
M. McCoy : Je suis d’accord avec M. Moore : l’hydrogène est associé à de nombreuses utilisations et peut être transporté de différentes façons, selon sa forme. Il s’agit d’une des difficultés entourant l’hydrogène. Si vous parcourez les rapports de l’Agence internationale de l’énergie, vous constaterez qu’on renvoie à l’hydrogène en précisant que, soit dit en passant, il s’agit de méthanol, d’ammoniac ou d’une autre forme que prend l’hydrogène transportée.
Il existe différentes applications et combinaisons. Pour revenir à mon commentaire de tout à l’heure, selon ce que nous désirons obtenir, les mesures incitatives pourraient prendre une forme quelque peu différente pour chacune des applications. Il est primordial que le gouvernement assume la responsabilité de comprendre quelles applications sont prioritaires. Nous voulons à tout prix promouvoir ces applications pour ensuite cibler et concevoir les mesures incitatives de façon appropriée.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci aux membres de notre groupe de témoins. J’ai une question pour Mme Rachel Samson. Vous avez été très diplomate dans votre présentation. J’aimerais que vous soyez un peu plus directe dans votre évaluation des efforts actuels du gouvernement sur le plan de l’utilisation de l’hydrogène. Vous avez dit qu’il ne fallait cibler qu’un certain nombre de secteurs où l’hydrogène fonctionnerait réellement. Nos crédits d’impôt ne sont pas les mêmes que ceux qui existent aux États-Unis. Pourriez-vous faire une brève analyse critique de ce que le gouvernement fait actuellement dans sa stratégie, et nous dire ce que vous aimeriez y voir? Il serait bon de le faire en termes clairs et simples pour une non-spécialiste comme moi.
[Traduction]
Mme Samson : Dans une perspective économique, il est ardu de saisir les occasions dans les marchés mondiaux émergents où on ne sait pas avec certitude quelle solution technologique l’emportera. Par exemple, dans le secteur des véhicules à passagers, nous savons que les véhicules électriques primeront; le gouvernement peut ainsi installer l’infrastructure de recharge et y investir abondamment en toute confiance. Dans d’autres marchés, il est moins évident de cerner les technologies qui l’emporteront; dans ce contexte, les investissements majeurs et la construction d’infrastructures pour des technologies qui ne s’avéreront pas nécessairement courantes dans l’utilisation finale comportent un peu plus de risques. Pour cette raison, je recommande que nous commencions, dans le cas de l’hydrogène, par les applications qui sont plus probables d’être adoptées et qui offrent une certitude implacable. Les investissements seraient ainsi plus susceptibles d’être rentables.
La sénatrice Miville-Dechêne : Est-ce ce que le gouvernement fait? Accorde-t-il la priorité aux applications que vous dites plus sûres?
Mme Samson : Il pourrait s’en assurer en se servant d’une partie du financement. En ce qui concerne les projets qu’il choisit de financer, je n’ai pas entendu le gouvernement annoncer qu’il privilégiera certaines applications. Dans le cadre de l’évaluation du Fonds de croissance du Canada, par exemple, si un projet est évalué selon son rendement probable — comme le stipule la fiche d’information technique —, on peut présumer que cette application et les contrats à long terme avec un acheteur feront l’objet d’un examen. Or, un crédit d’impôt de nature générale ne tiendrait pas compte de ces facteurs, et quiconque propose un projet pourrait y avoir droit.
[Français]
La sénatrice Galvez : J’aimerais aussi poursuivre la discussion dans cette voie. Madame Samson, j’ai une question générale et une question plus spécifique.
[Traduction]
Comme vous le savez, le Canada est vaste, et chaque province compte ses propres modes de production énergétique. Chaque province empruntera sa propre trajectoire, mais nous voulons tous réaliser le même objectif : la carboneutralité, d’ici 2050, espérons-le. Nous savons aussi que nous ne devrions pas mettre tous nos œufs dans le même panier.
J’entends dire que la voie de l’hydrogène est déjà fonctionnelle et mise à l’échelle. Or, personne ne peut me donner le prix de production de l’hydrogène par mégawattheure. Selon vous, lorsque le gouvernement choisit d’appuyer cette technologie, fait-il concurrence à l’énergie géothermique ou même à l’énergie marémotrice ou produite par les vagues océaniques? Trois vastes océans entourent le Canada. La biomasse ou la combinaison de ces sources énergétiques sont-elles suffisamment concurrentielles? Voilà, pour commencer, une question d’ordre général.
Mme Samson : Tout simplement, on ne sait pas si ces sources seront concurrentielles. Alors que nous sommes à l’étape initiale du développement des marchés, nous devons entre autres relever ce défi : il faut établir les normes de ce que nous qualifions d’indésirable en matière d’émissions de gaz à effet de serre, de pollution de l’air, etc. Puis, laissons les compagnies rivaliser pour voir lesquelles — avec quel type d’hydrogène et quel type de projets — s’avéreront les plus concurrentielles dans ce marché. Ainsi, au lieu de confier aux gouvernements le soin de déterminer quelles compagnies ou quelle couleur d’hydrogène sont les plus susceptibles d’être fructueuses, établissons simplement les normes et laissons les compagnies se faire concurrence pour les respecter.
La sénatrice Galvez : Ma question plus précise porte sur les émissions. Nous savons que les véhicules à hydrogène génèrent de 15 à 45 % moins d’émissions que les moteurs à combustion interne. Pour leur part, les véhicules électriques génèrent de 60 à 70 % moins d’émissions pendant leur cycle de vie. Les véhicules légers aideront-ils véritablement le Canada à réduire sa juste part d’émissions à l’échelle mondiale?
Mme Samson : À mon avis, l’hydrogène a un rôle minime à jouer dans les véhicules légers. Il serait illogique de construire l’infrastructure de recharge électrique en plus de l’infrastructure pour l’hydrogène. La facture serait trop élevée, peu importe le pays concerné. Il faut donc explorer d’autres applications pour l’hydrogène.
La sénatrice Galvez : Merci beaucoup.
Le sénateur Yussuff : Ma question s’adresse à M. Moore. Manifestement, le gouvernement jouera un important rôle dans l’élaboration des politiques, mais, bien entendu, le Canada n’est pas le seul pays qui tente de développer le secteur de l’hydrogène pour rivaliser sur la scène internationale. Étant donné l’état d’avancement de nos politiques, où nous situons-nous par rapport aux autres pays qui appuient dans la même mesure le développement de cette industrie?
M. Moore : C’est une excellente question. Merci beaucoup. Le point de comparaison le plus évident à établir est celui des États-Unis qui viennent de promulguer les règles de la Loi sur la réduction de l’inflation de 2022, ou IRA. Par conséquent, nous sommes vraiment ravis du crédit d’impôt à l’investissement proposé dans l’énoncé économique de l’automne. Une des raisons expliquant cet enthousiasme — pour renchérir sur ce que le témoin précédent a dit — est que ce crédit d’impôt ne semble pas prévoir que le gouvernement tranchera sur les options technologiques. Nous croyons que les gouvernements qui déterminent quelle technologie doit primer font fausse route. Ce crédit d’impôt, à l’instar de la loi américaine, semble attribuer aux projets une valeur qui augmente proportionnellement selon la faiblesse de leur intensité carbonique. Au bout du compte, c’est le résultat escompté : nous avons besoin de plus d’énergie, nous en voulons davantage et nous voulons qu’elle soit à faible intensité carbonique. Nous trouvons donc qu’il est fort encourageant qu’une formule similaire verra sûrement le jour pour attribuer une valeur plus élevée aux projets à faible intensité carbonique et pour, bien franchement, laisser les compagnies déterminer quelle technologie utiliser.
Il semble probable, si l’approche directionnelle ne change pas, que le crédit d’impôt à l’investissement nous rendra plus concurrentiels par rapport aux États-Unis. Toutefois, le programme n’en est pas encore à sa version définitive. C’est une proposition, une idée. Ici encore, j’encourage les décideurs à concrétiser cette proposition et à créer de la certitude pour que les compagnies puissent prendre des décisions à long terme pour leurs investissements. Voilà ce que je prône.
Selon nous, les politiques canadiennes accusent un peu de retard par rapport aux États-Unis, mais on peut croire que le crédit d’impôt à l’investissement permettra de créer des règles équitables.
Le sénateur Yussuff : Ma deuxième question s’adresse à tous les témoins.
On reconnaît que le développement de l’hydrogène doit s’accompagner d’emplois qui pourraient composer cette nouvelle industrie et que, bien entendu, la taxe sur le carbone tente de dissuader les investissements dans les industries à forte intensité carbonique. Dans ce contexte, les consommateurs — et la population active — associeront-ils une valeur et des avantages à long terme au coût d’utilisation de l’hydrogène, étant donné que le gouvernement augmente sa taxe sur le carbone pour les industries à forte intensité carbonique? De même, quels seront les avantages à long terme en matière d’emploi, si on sait que des emplois seront éliminés dans certains secteurs? Y trouverons-nous notre compte?
Mme Samson : Ici encore, on ne sait pas comment le marché évoluera; les répercussions sur les emplois sont donc incertaines. Je soulignerais que l’objectif à réaliser consiste à atteindre la cible de carboneutralité du Canada. Or, si on s’intéresse à la capacité budgétaire, à la croissance économique et à la création d’emplois, il faudra se tourner vers les marchés d’exportation. L’approche stratégique prendra peut-être une autre forme pour les marchés d’exportation, pour notre compétitivité et pour l’infrastructure nécessaire pour pénétrer ces marchés. Voilà ce qui est essentiel par rapport à l’hydrogène.
Les emplois potentiels dépendront de la structure de l’industrie et de la compétitivité du Canada à l’international. Bon nombre de pays se sont dotés de stratégies sur l’hydrogène et tentent de percer le marché de l’exportation. On assiste à une véritable course. L’évolution de l’industrie au Canada et le nombre d’emplois créés ici dépendront bel et bien de notre performance dans cette course.
M. McCoy : J’ajouterais que le Canada compte lui aussi une synergie. Nous n’avons pas nécessairement à nous limiter à l’exportation de molécules d’hydrogène. Nous pouvons également exporter d’autres produits à faibles émissions de carbone dans le cadre de notre transition globale vers une économie carboneutre. Nous pouvons exporter de l’acier ou du ciment à faibles émissions de carbone. L’exportation de ces produits est un peu plus ardue puisque ces matériaux sont lourds et ne peuvent être transportés sur d’aussi longues distances, mais nous pouvons exporter d’autres produits. Notre accès à de l’hydrogène à faibles émissions de carbone peut améliorer la méthode de production de ces matériaux.
Cette réalité nous renvoie à la complexité de l’hydrogène qui s’apparente à celle d’un couteau suisse. La question est de savoir où nous l’utiliserons. Pouvons-nous l’utiliser de façon à faire croître d’autres pans de l’économie? Son utilisation pourrait peut-être compenser la perte d’emplois dans d’autres secteurs de l’économie. Le recours à l’hydrogène ouvre la voie à de nombreuses synergies potentielles. Nul besoin de se limiter à l’hydrogène sous la forme de carburant, à l’instar du gaz naturel liquéfié — ou GNL — ou d’une autre matière que nous avons exportée par le passé.
M. Moore : Je vais reprendre ce dernier commentaire. Ici encore, l’exemple est parfait. Imperial Oil investit dans une toute nouvelle usine de diesel renouvelable. On produit du diesel renouvelable parce que ce carburant a une faible intensité carbonique. On a besoin d’hydrogène pour produire ce diesel; par conséquent, on privilégie évidemment l’hydrogène à faibles émissions de carbone. Pour reprendre l’argument même du dernier témoin, on a ici un exemple d’Air Products qui produit de l’hydrogène carboneutre à faibles émissions de carbone dans notre nouvelle usine. Cet hydrogène sera acheminé, dans le cadre d’une entente à long terme, à la nouvelle usine de diesel renouvelable d’Imperial Oil. Il s’agit d’un exemple parfait d’hydrogène à faibles émissions de carbone qui permet concrètement d’effectuer des investissements en aval pour de nouveaux débouchés commerciaux.
Le président : Si vous me le permettez, j’aimerais poser quelques questions. Monsieur McCoy, on parle abondamment du captage et stockage du dioxyde de carbone, ou CSC. Le processus fait couler beaucoup d’encre. Chaque acteur de l’industrie croit qu’il devrait être utilisé pour ses objectifs et pour ainsi réduire le coût de son produit. Or, de quelle superficie disposons-nous pour le CSC? Pendant combien d’années l’espace libre pourra-t-il nous servir, et devrions-nous le tarifier? Devrions-nous laisser le marché dicter qui devrait se servir de cet espace? Pouvez-vous nous faire part de vos observations à ce sujet?
M. McCoy : Effectivement, le CSC fait l’objet de nombreuses discussions. J’ai commencé ma thèse de doctorat sur le CSC en 2003 et j’ai consacré beaucoup de temps à en parler. Je suis ravi que nous fassions des avancées et que nous passions à l’action dans ce domaine. Je crois que votre question porte précisément sur le stockage géologique, l’espace et le coût.
Il ne fait aucun doute que des mesures sont prises, habituellement au palier provincial puisqu’il s’agit d’une ressource naturelle; l’espace souterrain constitue une ressource naturelle. En Alberta, un processus est en cours pour sélectionner des centres de stockage de carbone. Il me semble que, à l’heure actuelle, 23 ou 24 demandes ont été déposées pour de tels centres de stockage de carbone en Alberta. De nombreux sites se situent dans la région d’Edmonton, et M. Moore voudra peut-être renchérir là-dessus. Quoi qu’il en soit, ces centres se serviront de l’espace pour stocker le CO2 émis par les projets auxquels ils pourraient être rattachés. Au fil du temps, l’objectif sera toutefois de les agrandir et de les transformer en centres de stockage en accès libre.
À quelle taille s’élève l’espace dont on dispose? On peut affirmer sans se tromper qu’il existe, en principe, un espace de stockage équivalent à des centaines de gigatonnes de CO2 qui pourrait probablement nous fournir des centaines d’années de stockage. Ce qui est fondamental, c’est qu’on peut toutefois prendre ce potentiel théorique et le réduire à sa capacité réelle. C’est là que les projets entrent en jeu et que les mesures doivent être prises pour commencer leur construction.
Au fur et à mesure où nous nous activerons dans ce domaine et où nous lancerons plus de projets, nous verrons l’évolution de la ressource, comme ce serait le cas pour toute autre ressource naturelle. Nous croyons que la possibilité est bien réelle : commençons à développer le secteur, ce qui nous permettra d’apprendre par la pratique.
Le grand obstacle à surmonter au Canada est que, bien que nous sachions que la ressource se trouve dans les bassins sédimentaires de l’Ouest canadien — dans le Nord-Est de la Colombie-Britannique, en Alberta et dans le Sud-Ouest de la Saskatchewan et même, à vrai dire, sur une plus grande superficie en Saskatchewan —, nous détenons beaucoup moins de données pour le Sud-Ouest de l’Ontario. Une grande quantité d’hydrogène est actuellement produite à des fins de raffinage dans le Sud-Ouest de l’Ontario, par exemple à Sarnia. Nos connaissances sont beaucoup moins approfondies quant à l’espace extracôtier sur la côte Est qui pourrait aussi offrir une capacité de stockage.
Il faut donc étudier d’autres régions du pays pour mieux comprendre leur potentiel et pour déterminer, dans ce contexte, le rôle de l’hydrogène provenant des combustibles fossiles comparativement à celui de l’hydrogène produit par électrolyse.
Le président : Certains affirment que le débat entourant le CSC est clos et représente une certitude aux yeux de nombreux intervenants. Toutefois, nombreux sont ceux qui se demandent encore si nous devrions nous servir de cet espace pour reporter un problème. Il s’agit peut-être aussi d’un plan à long terme parce qu’il faudra un jour composer avec ce CO2. Que pensez-vous de ce débat? Est-il clos et faut-il donc arrêter de le soulever? Faut-il passer à l’action? Ou dénote-t-il simplement notre procrastination ou paresse pour trouver une solution plus permanente? Pouvez-vous commenter ce débat?
M. McCoy : Oui. Nous nous heurtons à un obstacle : le manque de temps. Si nous avions lancé le débat il y a 30 ans en nous disant que nous avions le temps d’atteindre les cibles de carboneutralité sans avoir à nous soucier de la carboneutralité à l’époque, nous aurions disposé de plus de temps pour adopter différentes technologies. Nous aurions pu adopter tout un éventail de mesures pour remplacer la demande en énergie fossile, la source de notre besoin en CSC. Il y a une demande en énergie fossile, c’est-à-dire pour en produire et en utiliser.
Et si nous avions suffisamment de temps, nous pourrions envisager d’autres solutions ou déterminer si les énergies renouvelables pourraient complètement répondre à la demande. Je crois qu’il vaut la peine d’explorer les autres solutions. Certaines d’entre elles sont porteuses d’un formidable potentiel. Si nous devons toutefois agir à très court terme sans provoquer de grands bouleversements dans l’économie canadienne, nous devons réfléchir aux applications du CSC dans une panoplie de secteurs.
En deuxième lieu, je préciserais que, pour certaines activités, il est difficile de déterminer comment atteindre la carboneutralité sans ces méthodes. Prenons l’exemple du ciment. La production de ciment entraîne deux types d’émissions. D’une part, on brûle des combustibles fossiles; la combustion produit donc des émissions. Puis, la calcination du calcaire — la transformation d’une partie du carbonate de calcium en dioxyde de carbone — crée aussi des émissions. Ces étapes sont absolument cruciales, et le CSC est donc essentiel dans une certaine mesure. Nous pouvons adopter bien d’autres approches, mais nous ne pouvons nous défaire du CSC si nous voulons atteindre la carboneutralité.
Mme Samson : Le CSC s’accompagne d’une grande incertitude en matière de compétitivité des coûts dans certains secteurs. À l’échelle mondiale, divers scénarios sont élaborés pour atteindre la cible de 1,5 degré. Certains scénarios comprennent un déploiement considérable du CSC, alors que d’autres n’en font pas mention. D’autres encore incluent des taux d’apprentissage associés à la diminution des coûts pour l’énergie renouvelable. Ces scénarios ne donnent pas une place considérable au CSC parce que l’énergie renouvelable et l’électrification l’emportent dans de nombreuses applications.
Dans ces cas de figure, le rôle du CSC se voudrait plus limité et ciblé pour des produits comme le ciment, mais on y aurait moins recours pour la production pétrolière ou la génération d’électricité à partir du gaz naturel et pour répondre ainsi à la demande mondiale. Tout dépend des scénarios et de l’interaction entre les différents facteurs. De plus, la compétitivité des coûts aura une incidence.
M. Moore : Je pense qu’il importe d’admettre que le captage du carbone est une technologie éprouvée. Nous comptons deux usines d’hydrogène sur la côte du golfe, aux États-Unis, où nous avons pu capter un million de tonnes de carbone par an pendant 10 ans. La technologie a donc fait ses preuves.
Nous considérons que c’est une question de « et » et pas de « ou ». On ne peut pas décider si on veut de l’hydrogène bleu ou vert. Les deux jouent un rôle essentiel dans la transition énergétique. Outre le projet canadien dont nous parlons, Air Products met en œuvre un projet d’hydrogène vert de 4,5 milliards de dollars dans le Moyen-Orient et un projet d’hydrogène bleu de 4,5 milliards de dollars en Louisiane. Ici encore, l’objectif consiste à produire plus d’énergie avec moins d’émissions de carbone. Établissez des cadres qui favorisent les énergies à faibles émissions de carbone et il y aura différentes solutions à divers endroits.
Par exemple, nous avons annoncé récemment un projet d’usine d’hydrogène vert alimentée à l’hydroélectricité d’un demi-milliard de dollars dans l’État de New York. Si nous avons pu le faire, c’est évidemment parce que cet État produit de l’hydroélectricité et que ce n’est pas l’endroit approprié pour le captage du carbone issu du gaz naturel. C’est notre opinion et nous investissons des milliards de dollars, forts de notre conviction que cela fait assurément partie de la solution de l’avenir.
Le président : Qu’en est-il du problème du méthane dans le cadre des projets que vous avez évoqués? Le captez-vous entièrement ou est-ce qu’un pourcentage s’échappe?
M. Moore : Les projets d’hydrogène vert ne produisent pas de méthane ou de CO2, bien entendu. Les émissions de carbone sont donc nulles et les véhicules n’émettent aucun CO2.
Quand on parle de projets supposément bleus, nous captons directement 95 % des émissions de ce projet. Dans le cadre du projet au Canada, nous utiliserons également une partie de l’hydrogène pour produire de l’électricité à très faibles émissions de carbone et compenserons les traces résiduelles.
Maintenant, si on regarde en amont à l’extérieur de l’usine, où s’effectue la production de gaz naturel à laquelle on a fait référence plus tôt, sachez que l’industrie met beaucoup l’accent sur la fuite de méthane dans le cadre de cette production.
Bien entendu, nous achetons le gaz naturel auprès de ceux qui le produisent et nous n’en produisons pas directement nous-mêmes. Des pressions s’exercent toutefois sur ces entreprises pour réduire leur empreinte d’équivalent CO2 afin de diminuer leurs émissions de méthane.
Le président : Pour le produit final, quel est le pourcentage de méthane émis?
M. Moore : Cela dépend du genre de projet. Les projets d’hydrogène vert n’émettent aucun méthane. Quant aux projets d’hydrogène bleu, cela dépend littéralement de la production de gaz naturel et des gens qui le produisent, et le chiffre varie d’une région du globe à l’autre.
Le président : Voilà qui nous mène à la fin de notre séance. Je vous remercie tous les trois d’avoir participé à ce débat, d’être venus nous informer et d’avoir partagé vos connaissances. Nous vous en sommes très reconnaissants.
(La séance est levée.)