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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 9 février 2023

Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 9 h 2 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier de nouvelles questions concernant le mandat du comité.

Le sénateur Paul J. Massicotte (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bonjour, honorables sénateurs. Je m’appelle Paul Massicotte, je suis un sénateur du Québec et je suis président du comité.

Je vous souhaite la bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles.

J’aimerais commencer par faire un petit rappel. Avant de poser des questions et d’y répondre, je demande aux membres du comité et aux témoins présents dans la salle de s’abstenir de se pencher trop près du microphone ou de retirer leur oreillette lorsqu’ils le font. Cela permettra d’éviter tout retour sonore qui pourrait avoir un impact négatif sur le personnel du comité qui se trouve dans la salle.

J’aimerais maintenant présenter les membres du comité qui participent à la réunion aujourd’hui : la sénatrice Margaret Dawn Anderson, des Territoires du Nord-Ouest, le sénateur David Arnot, de la Saskatchewan, la sénatrice Denise Batters, de la Saskatchewan le sénateur Andrew Cardozo, de l’Ontario, la sénatrice Rosa Galvez, du Québec, la sénatrice Julie Miville-Dechêne, du Québec, la sénatrice Kim Pate, de l’Ontario, la sénatrice Judith Seidman, du Québec, la sénatrice Karen Sorensen, de l’Alberta, ainsi que la sénatrice Josée Verner, du Québec.

Bienvenue à tous, chers collègues, ainsi qu’à tous les Canadiens et Canadiennes qui nous regardent.

Aujourd’hui, nous nous réunissons pour continuer notre étude sur le changement climatique, et plus particulièrement sur l’industrie canadienne du pétrole et du gaz.

Aujourd’hui, nous avons deux groupes de témoins. Pour le premier groupe, nous accueillons M. Patrick Rondeau, conseiller syndical responsable du dossier de l’environnement et de la transition juste, et M. Hans Marotte, conseiller politique, de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec.

Bienvenue et merci d’avoir accepté notre invitation.

Nous allons commencer avec votre allocution d’ouverture. Vous avez cinq minutes. La parole est à vous.

Hans Marotte, conseiller politique, Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec : Honorables sénateurs, nous remercions le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles de nous avoir invités à cette consultation très importante sur l’industrie canadienne du pétrole et du gaz.

Je vais vous dire rapidement ce qu’est la FTQ. La FTQ est, comme vous le savez peut-être, la plus grande centrale syndicale au Québec. Elle regroupe plus de 650 000 membres dans tous les secteurs d’activité économique, y compris la pétrochimie, le pétrole et le gaz naturel. La FTQ est également affiliée au Congrès du travail du Canada, la plus grande centrale syndicale au Canada; parmi ses membres, il y a Unifor Québec, qui est issu du plus grand syndicat du secteur privé au Canada et qui représente la majorité des travailleurs et des travailleuses dans le secteur des énergies fossiles.

Nous ne sommes donc pas étrangers aux questions climatiques et énergétiques. Bien que l’approche de la FTQ ait toujours été d’ordre pragmatique, la crise climatique nous oblige maintenant à pousser l’action plus loin et à être responsables et clairvoyants pour les générations futures.

Puisque nous opérons au Québec, vous ne serez donc pas surpris de constater que nos positions sont clairement en faveur d’une sortie rapide de l’industrie des énergies fossiles. Pour nous, il n’y a pas d’autre solution pour atteindre les cibles de réduction de 40 % à 45 % de GES au Canada d’ici 2030, cibles qui, par ailleurs, nous croyons d’ailleurs trop basses en ce moment pour permettre au Canada d’atteindre la carboneutralité en 2050 et de respecter ses engagements internationaux. C’est pourquoi la FTQ appuie le Québec dans son adhésion à la Beyond Oil & Gas Alliance, et c’est pourquoi elle a signé le Traité de non-prolifération des énergies combustibles. Nous invitons le Canada à devenir signataire de ce traité et à joindre cette alliance.

Bien sûr, nous ne pouvons demander d’abandonner les énergies fossiles par l’octroi d’un chèque en blanc pour l’industrie. Nous demandons un plan de transition juste, dès maintenant. Le Canada a trop tergiversé sur la terminologie depuis 2017; nous demandons des actions immédiates et nous exigeons que le Canada respecte ses engagements internationaux en matière de transition juste. Cet enjeu est trop important pour le réduire à une simple question d’emplois durables et de requalification professionnelle. La transition juste repose sur la protection sociale, le droit du travail, le droit à l’emploi conformément au respect de l’équité de genre, et surtout le dialogue social. Cela signifie très clairement qu’il faut discuter des solutions avec les travailleurs et les travailleuses. Il ne peut y avoir d’autre solution. Ce sont les travailleuses et les travailleurs actuels qui contribuent au bien-être de leur communauté, et non les travailleurs du futur.

Les subventions gouvernementales ne peuvent donc pas continuer d’aggraver la crise climatique. Nous sommes par conséquent très sceptiques par rapport aux résultats issus des technologies de captation et de stockage de carbone. Dans un récent rapport d’Environmental Defence publié en mars 2022, nous apprenions que, depuis 2020, 5,8 milliards de dollars de fonds publics ont été octroyés pour un résultat de captation d’à peine 0,5 %. De plus, cette technologie est utilisée pour produire plus, et non l’inverse. C’est inadmissible.

Nous invitons le Canada à prendre exemple sur la Norvège en ce qui concerne la captation de carbone. Les fonds pour la capture et le stockage dans ce pays ne proviennent que du secteur privé. Seules les industries utiles à l’économie en bénéficient, et un plan de transition juste accompagne les travailleurs et les travailleuses.

De plus, nous sommes très inquiets de la définition de subventions « inefficaces » utilisée par le gouvernement du Canada. Selon nos informations, l’aspect « inefficace » serait évalué selon des principes financiers, et non environnementaux. Si tel est le cas, cela revient à dire que tant que cette industrie sera rentable, elle pourra prospérer. Il faut absolument que l’aspect « inefficace » soit évalué conformément aux évaluations environnementales les plus strictes, et non en fonction des principes financiers.

Le Canada doit s’engager dans la production d’énergies renouvelables sans délai et planifier une sortie des énergies fossiles. Il en va de la santé économique à long terme du Canada et de son bilan climatique. Plusieurs pays industrialisés ont d’ailleurs amorcé ce virage. Malgré la guerre en Ukraine, l’Union européenne se repositionne comme un leader des énergies renouvelables. Même des pays comme l’Arabie saoudite se tournent vers l’hydrogène vert. Le Canada aura un sérieux déficit commercial s’il ne suit pas cette voie, d’autant plus que les experts s’entendent pour dire qu’il faut en moyenne sept ans pour développer une nouvelle filière énergétique rentable.

En terminant, nous voulons rappeler au comité sénatorial que, dans le dernier rapport de l’Agence internationale de l’énergie, il était clairement indiqué que les pays industrialisés devaient cesser l’expansion de la production des hydrocarbures d’ici 2025 — c’est demain — si nous voulons nous donner une chance de laisser une planète saine aux générations futures.

Je vous remercie de m’avoir écouté, et c’est avec plaisir que nous répondrons à vos questions.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci, monsieur Marotte, d’être avec nous aujourd’hui.

Je veux vous parler justement de cette transition verte et aussi de votre transition juste. Tout d’abord, vous avez sans doute entendu le ministre Fitzgibbon dire que le Québec ne comptait pas développer la filière de l’hydrogène vert. Êtes-vous d’accord avec l’évaluation du gouvernement caquiste, ou pensez-vous qu’on referme cette porte un peu rapidement?

Patrick Rondeau, conseiller syndical responsable du dossier de l’environnement et de la transition juste, Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec : Merci beaucoup pour la question. Effectivement, c’est la décision du gouvernement du Québec de ne pas déployer cette énergie de façon importante. C’est un choix d’ordre politique. Pour développer une filière aussi importante, il faut y accorder la recherche, le développement et les sommes nécessaires.

Or, depuis que la CAQ a décidé d’explorer cette possibilité, les sommes n’ont jamais été au rendez-vous, alors on a raté le bateau. Ce n’est pas le cas pour l’ensemble du Canada, notamment en Alberta, où l’on cherche une autre solution. L’hydrogène vert pourrait être une solution pour l’économie albertaine et pour l’économie canadienne par le fait même.

La sénatrice Miville-Dechêne : Donc, votre transition juste... J’ai entendu votre présentation, mais j’aimerais vous entendre sur le droit à l’emploi et la protection sociale. Qu’est-ce que vous voulez? Qu’est-ce qu’il manque dans les promesses pour sortir des hydrocarbures? Qu’est-ce que vous voulez précisément en ce qui a trait au droit à l’emploi?

M. Rondeau : Notre définition de la transition juste n’est pas la nôtre. Elle est issue d’un consensus international, de l’Accord de Paris, qui a été ratifié par le Canada et qui fait appel à l’agenda pour le travail décent, que le Canada a également ratifié sous l’égide de l’Organisation internationale du travail.

Le Canada a également signé la Déclaration de Silésie en 2018, il a signé la Déclaration sur la transition juste lors de la COP26 et il a accepté la décision de Sharm el-Cheikh sur le programme de transition juste. Le Canada a donc déjà pris beaucoup d’engagements sur le principe de la transition juste autour de l’agenda pour le travail décent de l’Organisation internationale du travail. Cet agenda repose sur quatre axes : la protection sociale, que l’on peut considérer comme l’accompagnement des travailleurs et des travailleuses et des politiques sociales différentes et bonifiées comparativement à celles que nous avons sur l’assurance-emploi, par exemple; le dialogue social, qui réunit syndicats, employeurs et gouvernement, y compris les Autochtones en tant que gouvernement, et qui comprend les parties prenantes concernées en mode de consultation; le droit à l’emploi, c’est-à-dire une équité de genre, une équité pour faire face à la discrimination dans les nouveaux emplois qui seront créés; le droit du travail doit primer également.

Voilà donc les éléments sur lesquels nos collègues canadiens et nous travaillons. Jusqu’à maintenant, malgré les ententes et les ratifications de la part du Canada, nous n’avons rien de concret. Depuis 2019, nous attendons toujours l’adoption d’une loi sur la transition juste et d’un cadre législatif et l’attribution d’un fonds réservé à cet effet, comme nous en retrouvons dans l’Union européenne, avec des mécanismes d’écoconditionnalité pour les entreprises qui recevront ces sommes. Ainsi, elles pourront planifier une transition juste basée sur la décarbonation des secteurs d’activité économique, y compris les travailleurs et les travailleuses, tout en portant un regard particulier sur les communautés et sur les impacts qui seront subis. Puis, en cours de route, il faudra mettre en œuvre des mesures d’accompagnement et de formation professionnelle ainsi que développer des technologies propres efficaces, pour tenir ultimement une réflexion sur notre système économique.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Arnot : J’aimerais poursuivre dans la même veine. Chacun sait que les impacts négatifs les plus considérables de la réduction de la consommation de combustibles fossiles se feront sentir en Alberta et en Saskatchewan. L’Alberta produit 80 % du pétrole brut au Canada. La Saskatchewan arrive deuxième avec 9 %, mais cette proportion correspond à 6 milliards de dollars du PIB de cette province. Toute transition, même si elle est juste, peut avoir des effets catastrophiques si elle n’est pas gérée de façon responsable.

On s’attendrait à ce que le gouvernement du Canada exerce un certain leadership, notamment pour régler les lacunes. Qui devrait prendre les commandes? Les parties prenantes — les sociétés et les syndicats — devraient-elles travailler en collaboration pour définir les paramètres de la transition juste et proposer des idées constructives? Comme vous l’avez dit, nous n’avons rien de concret pour l’instant.

Pourriez-vous étayer votre conception de la transition juste et décrire comment elle se concrétiserait selon vous? Quel type d’échéancier devrait être envisagé? De quelle manière la transition évoluerait-elle? Qui en assumerait la gestion? Qui devrait jouer un rôle de premier plan?

[Français]

M. Rondeau : Je vous remercie de la question. Nous avons cette discussion avec le gouvernement fédéral depuis 2016, soit depuis l’adoption de l’Accord de Paris, qui a introduit les principes directeurs pour une transition juste. Depuis, on nous demande : « Êtes-vous sûrs que c’est la bonne terminologie? » On est donc dans un débat de sémantique et non de planification, ce qui est totalement inacceptable.

Selon nous, ce leadership doit provenir du gouvernement fédéral en collaboration avec les gouvernements provinciaux, de la même façon que le plan pour le climat canadien est défini, c’est-à-dire un plan fédéral en consultation et conforme aux plans des provinces. Donc, le même exercice doit être fait. Tout comme la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité a été adoptée avec plusieurs parties prenantes qui y ont pris part, le processus de transition juste doit se faire de façon sérieuse et élaborée. Nous souhaitons que ce ne soit pas un principe mené par des militants ou des activistes, mais nous demandons que les personnes concernées — les travailleurs et les travailleuses et leurs organisations — soient à la table avec les organisations d’employeurs, ainsi que les gouvernements, sur une base interministérielle et en relation avec les Premières Nations, que nous considérons comme des gouvernements par le fait même.

C’est ce travail qui doit être fait rapidement pour assurer une transition juste. Il faut rapidement évaluer les impacts de l’industrie sur la santé publique, l’économie du pays, l’économie régionale et des communautés, l’impact environnemental selon les cibles fixées par la science et les consensus internationaux. Il faut tenir compte des recommandations du GIEC et de l’Agence internationale de l’énergie, par exemple, pour planifier des scénarios de décarbonation avec différents indicateurs. Lorsque nous aurons ces indicateurs, nous pourrons modéliser l’impact sur les emplois et apporter les correctifs requis à l’industrie et aux emplois.

En ce moment, on fait l’inverse. On fait le plus de profits possible pour planifier une transition pour laquelle on n’a pas de plan dans un premier temps, et on pense aux emplois de l’avenir et à leurs compétences sans connaître les répercussions sur ces emplois. Nous prenons le problème à l’envers. Il faut le prendre au début et il faut du courage politique pour le faire.

Vous êtes de la Saskatchewan et vous avez une excellente histoire à raconter en ce qui a trait à la géothermie. Souvent, les emplois et les compétences peuvent être transférés vers des emplois verts, mais à partir d’emplois dits problématiques. La Saskatchewan est un excellent exemple : on a pris des travailleurs d’une raffinerie pour produire de la géothermie, puisque somme toute les mêmes compétences étaient utilisées. C’est une excellente histoire que vous pouvez raconter maintenant.

Le président : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Sorensen : Je pense que ma question devrait s’adresser à M. Rondeau. Je suis curieuse d’en savoir plus sur vos membres. Je vous demanderais de me répondre au meilleur de vos connaissances ou de faire un commentaire très général. La transition planifiée engendre-t-elle beaucoup d’enthousiasme parmi vos membres, ou suscite-t-elle plutôt des craintes liées, par exemple, à la sécurité d’emploi? Je voudrais connaître également les mesures prises au quotidien pour aider les employés à composer avec la transition.

[Français]

M. Rondeau : Je vous remercie de la question. Effectivement, comme vous êtes une sénatrice de l’Alberta, votre situation est très délicate. Nous y sommes sensibles et nous sommes très solidaires de nos collègues qui vivent cette crainte en Alberta présentement. Il y a deux réalités différentes au Québec et en Alberta.

Je vous dirais qu’en Alberta, il est clair que lorsque le gouvernement fédéral, après la COP22 de 2016, a annoncé la fin de l’industrie du charbon sur un horizon de 2030, les milliers de travailleurs et travailleuses ont somme toute appris par les médias qu’ils perdraient leur emploi sans qu’il y ait de plan. Le Groupe de travail sur la transition équitable n’a été mis en place qu’un an plus tard, alors que plusieurs centaines de personnes avaient déjà reçu des lettres de licenciement. Dans la tête des gens, notamment en Alberta, il est très clair que la transition juste est associée à une perte d’emplois. On ne voit pas le caractère opportuniste ou optimiste d’une transition juste qui est, en fait, d’évaluer les impacts d’une industrie, d’établir des scénarios de décarbonation et de planifier comment régler cette problématique pour atteindre les cibles. À ce niveau, si on n’a à offrir que des pertes d’emplois à ces gens, ils ne voudront pas participer. Ils accompagnent ce discours par les pertes d’emplois et par la peur; c’est la peur qui domine.

Donc, tant qu’on n’inclut pas les gens dans la solution — une solution qui est à leur portée —, ils vont craindre le pire et se braquer. C’est une réaction tout à fait humaine.

Or, on le voit dans certains pays, notamment en Italie, en Espagne, en Australie ou aux États-Unis, où ils ont eu à vivre une transition difficile dans certains secteurs de l’énergie, notamment pour ce qui est du gaz naturel : là où il y a eu un processus rigoureux de transition juste qui a inclus les parties prenantes, la transition s’est avérée positive pour les travailleurs, les travailleuses et leur communauté. On parle beaucoup des travailleurs et des travailleuses, mais vous savez comme moi que ce sont eux qui font vivre une communauté. En raison de la manière dont nous avons construit le Canada, certaines de nos communautés sont monoéconomiques. Cela signifie que si vous fermez une industrie, vous fermez une communauté au complet. C’est assez dramatique.

Je pense qu’il faut avoir le courage d’amorcer ce dialogue avec les travailleurs et travailleuses, ce que nous faisons à la FTQ. Je ne dis pas que les syndicats ne le font pas — soyons très clairs, ils le font aussi —, mais la situation est beaucoup plus difficile, notamment à cause de la situation du charbon depuis 2016, car il n’y avait pas de plan et tout cela a été très difficile. Même le rapport du Groupe de travail sur la transition équitable a été rangé sur une tablette depuis. On espère avoir des résultats grâce au projet de loi canadienne sur la transition juste, mais on attend encore et on tarde à voir l’aboutissement de cette discussion.

Au Québec, nous avons entamé cette discussion sur la transition juste avec nos membres depuis 2016. En ce moment, nous avons des discussions intéressantes sur la transition juste dans d’autres secteurs, parce que ce n’est pas seulement une question énergétique. Nous avons les mêmes enjeux pour les alumineries et la foresterie. Au Québec, nous avons deux raffineries. Nous avons ces préoccupations et ces discussions avec les travailleurs et travailleuses, les communautés, les municipalités et le gouvernement. Cela nous permet d’expliquer que la transition juste ne provoque pas nécessairement de pertes d’emplois; cela signifie que l’on prévoit de faire un accompagnement pour protéger les emplois, créer des possibilités et atteindre nos cibles de décarbonation et de lutte contre les changements climatiques.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Merci aux deux témoins. Je ne sais pas si je dois adresser ma question à M. Marotte ou à M. Rondeau. M. Marotte, dans votre déclaration préliminaire, vous avez cité en exemple le cas de la Norvège. Votre syndicat et votre fédération ont-ils examiné d’autres technologies émergentes qui permettraient de réduire et, un jour, d’éliminer les émissions produites par l’industrie des sables bitumineux, qui pourraient être mises en œuvre et dans lesquelles le gouvernement devrait investir?

[Français]

M. Marotte : Merci beaucoup de votre question. Effectivement, il y a des solutions. Mon spécialiste pourra vous répondre mieux que moi.

M. Rondeau : Je vous remercie de la question. Le cas de la Norvège est intéressant. Ce qui est intéressant sur le plan de la transition juste, quand on la prend à l’échelle internationale, c’est qu’on travaille ensemble. Les participations à la COP, ce n’est pas qu’une parade; cela nous permet de travailler toute l’année pour trouver des solutions qui sont mises de l’avant ailleurs.

En Norvège, il y a des taux de captation relativement élevés et intéressants parce que, comme mon collègue l’a expliqué plus tôt, le financement des technologies provient de l’industrie privée. Ils ont donc intérêt à ce que cela fonctionne. Je ne dis pas que c’est le contraire ici, mais il est clair que lorsque vous mettez votre propre argent sur la table, vous voulez des résultats; cela va de soi. Vous comprenez que vous avez une responsabilité accrue sur le plan financier. C’est ce qu’on fait en Norvège et cela permet de décarboner des secteurs névralgiques pour l’avenir du pays. On s’entend pour dire que la Norvège est un producteur important d’hydrocarbures, mais la plupart des captations ne sont pas traitées par l’industrie des hydrocarbures parce qu’ils savent qu’ils devront planifier une sortie à un moment donné.

De tels exemples existent à plusieurs endroits. Cela peut se faire par l’inclusion de nouvelles énergies. On peut revenir à des énergies comme l’hydrogène vert. Il y a des exemples extraordinaires en Suède sur le plan des processus de transition juste et de concertation rigoureuse où l’on introduit l’hydrogène vert pour produire de l’acier. Il y a un acier carboneutre et même carbonégatif à certains égards.

Des solutions existent, mais ce qu’on voit ici en examinant les rapports que l’on reçoit, malheureusement, c’est que malgré l’argent injecté dans l’industrie des énergies fossiles pour capter le CO2, les résultats ne sont pas au rendez-vous. L’équilibre entre l’argent et le résultat est aussi relativement inacceptable. En ce moment, aucun expert n’est en mesure de démontrer, scientifiquement parlant, que la captation de carbone sera au rendez-vous, ne serait-ce que dans 10 ans. Cela reste une inconnue malgré tout. Ce ne sont pas des millions de dollars, mais des milliards de dollars qui sont envoyés à l’industrie — et disons-le, c’est une industrie qui gagne des milliards de dollars de profits par le fait même.

On a l’impression de nager à contre-courant, car on fait appel à des technologies pour faire vivre une industrie et allonger sa durée de vie alors qu’un jour ou l’autre, cette industrie va péricliter, ne serait-ce que parce que la ressource deviendra moins importante, tout comme la demande par le fait même. On n’a pas de plan B pour y arriver.

Donc, quand on nous dit que nous condamnons nos propres membres et les travailleurs de l’industrie en demandant d’abandonner les hydrocarbures, nous répondons que ne rien faire, cela signifie que l’on condamne ces gens à perdre leur emploi.

La sénatrice Galvez : Bonjour, et merci beaucoup de votre présence et de la qualité de vos réponses. Vous avez un savoir et une pratique que nous pouvons reconnaître.

Nous avons eu l’occasion de parler de tous les éléments dont vous avez discuté par le passé. Je rencontre très souvent des organisations de travailleurs; de plus, les questions techniques sont très importantes pour moi comme ingénieure.

Je suis d’accord pour dire que nous devons appeler cela une transition, mais cette transition devient un peu éternelle, parce que cela fait 30 ans qu’on en parle. Il y a beaucoup de mots, mais pas beaucoup d’actions.

[Traduction]

Vous avez dit qu’un des gros problèmes est le manque de leadership. Je suis d’accord avec vous, car nous avançons très lentement comparativement aux autres pays du G7. Vous avez dit que le gouvernement fédéral avait un rôle à jouer, mais qu’il ne le jouait pas. Vous avez affirmé également que les sociétés pétrolières et gazières réalisaient des profits records.

J’aimerais savoir si ces sociétés réinvestissent dans une formation pour leurs propres travailleurs et si elles ont, selon vous, établi une feuille de route visant la carboneutralité d’ici 2050. Quelle est l’incidence des subventions versées par le gouvernement? Vous avez dit que nous essayons de prolonger la vie de cette industrie en dépit du fait que cela n’aide pas les travailleurs. Pourriez-vous étayer vos propos? Que pouvons-nous faire? Nous, les sénateurs à qui vous vous adressez, comment pouvons-nous contribuer à accélérer la transition? Merci.

[Français]

M. Rondeau : Merci de la question.

Effectivement, il n’y a pas de plan de transition pour ces énergies dans la mesure où, par exemple, lorsque nous parlons de transition juste, nous parlons de transformation.

Il ne s’agit donc pas simplement de transiter et de se déplacer, par exemple, d’un point A à un point B, mais aussi d’effectuer une transformation entre les deux. Cela signifie, par exemple, d’aller d’une énergie fossile vers une énergie renouvelable en faisant des changements en profondeur. Il faut aussi du courage politique par rapport aux priorités économiques. Tant que l’on met de l’avant un modèle économique comme celui que nous avons en ce moment, on va tout le temps se dire que cela n’a aucun sens de changer le modèle économique, puisqu’il est rentable. C’est de cela qu’on parle quand on parle de transition : il doit y avoir une transformation entre les deux.

À partir du moment où l’on met de l’avant des principes économiques et financiers et le PIB du Canada, par exemple, c’est sûr que la réponse sera modélisée selon la vision que nous en avons. Quand on dit qu’il n’y a pas de plan de transition juste, nous voulons dire par là qu’il n’y a pas de plan où l’on évalue, de façon appropriée, les impacts dans la mesure où nous voulons sortir de l’industrie. Nous n’avons pas de scénario de décarbonation parce que nous voulons capter le CO2 pour répondre à la vision économique. Nous n’avons pas de plan pour effectuer la transition de cette industrie, parce qu’on veut continuer de la faire vivre pour financer une transition.

Naturellement, vous voyez que, dès que le paradigme et la vision économiques demeurent les mêmes, la réponse n’est pas la même que celle que nous voudrions voir. C’est pourquoi nous faisons face — pas seulement le Canada, mais aussi le Québec et d’autres pays — à une réponse où les gouvernements essayent de trouver la réponse facile, dans la même logique économique. La réponse facile que nous avons souvent, c’est de se demander quels sont les nouveaux emplois que nous pouvons créer; quels sont les emplois verts que nous pouvons créer; quels sont les emplois du futur; quelles sont les compétences du futur; comment peut-on intégrer les jeunes dans cette nouvelle économie et ainsi de suite. Cependant, tout cela est basé sur une économie qui ne change pas; c’est là où nous n’y arrivons pas, parce que si l’on modélise de nouveaux emplois et des compétences à acquérir sans avoir évalué quels seront les impacts et les besoins que nous avons, on n’y arrivera jamais.

Il faut pouvoir partir du principe où l’on se dit que l’industrie devra changer et se transformer et, à partir de là, modéliser les changements en fonction du changement, et non pas en fonction d’une continuité.

Même si l’on veut, par exemple, évaluer quelles seront les compétences du futur pour développer l’énergie éolienne, solaire ou géothermique, quand on envoie les fonds afin de poursuivre un travail et une production sur le plan des énergies fossiles, il y a une dichotomie entre les deux. C’est à ce niveau qu’il y a un problème majeur : une vision politique basée sur une vision économique du pays. C’est une grosse commande et cela demande beaucoup de courage pour changer la vision économique d’un pays. Néanmoins, si nous voulons atteindre nos cibles de réduction et être carboneutres en 2050, nous n’avons pas le choix. C’est vers cela que nous devons absolument aller.

Que pouvez-vous faire, en tant que sénateurs et sénatrices? C’est une excellente question. Je pense que le fait d’organiser cette réunion aujourd’hui est important. Nous inviter en tant que parties prenantes était aussi une bonne idée et nous l’apprécions, parce que nous sommes toujours en mode solution. Si nous pouvons poursuivre ce dialogue avec vous, ce sera un geste bienvenu de notre part pour qu’on soit en mesure de progresser dans ce dossier.

Cependant, il faudrait connaître les limites que vous avez; je sais qu’il y a des limites sur le plan financier lorsque vous déposez des projets de loi. Si vous pouviez soutenir les efforts pour que le dossier aboutisse, ne serait-ce que la législation sur la transition juste, ce serait déjà beaucoup.

Nous avons fait des démarches auprès de nos collègues syndicaux, que ce soit au Congrès du travail du Canada ou auprès d’Unifor, mais aussi auprès de groupes environnementaux comme le Réseau action climat Canada et Environmental Defence. Nous avons envoyé des notes d’information au gouvernement fédéral et à tous les partis de l’opposition et nous y avons inclus ce dont pourrait avoir l’air une loi sur la transition juste. Peut-être pourriez-vous faire aboutir cette législation? Il faudrait aussi pouvoir traiter de la question d’un fonds consacré à la transition juste, parce que c’est un sujet dont on ne discute jamais; ce serait quelque chose de prioritaire à ce stade-ci. Il faudrait enfin que nous continuions de participer aux discussions, tout comme l’industrie par le fait même. Nous n’avons aucun problème à nous asseoir avec des représentants de l’industrie pour tenir cette discussion. Nous le faisons au Québec et nous nous rendons compte que le dialogue nous mène beaucoup plus loin que des discussions isolées avec chacun des acteurs.

La sénatrice Miville-Dechêne : Ma question s’adresse à M. Rondeau. Comme vous le savez, il y a urgence d’agir pour sauver la planète. Étant donné tout cela, est-il possible que, en greffant plusieurs exigences sociales et syndicales, comme vous le faites — je pense à la parité, au droit du travail et à la transition énergétique —, on alourdisse et on retarde le mouvement?

Faut-il conditionner la transition verte à l’adoption de positions syndicales, ou plutôt découpler les deux enjeux pour avancer plus vite dans cette transition verte?

M. Rondeau : Je vous remercie de la question. Vous savez, lorsqu’on parle du principe de transition juste — je le dis encore une fois —, on parle d’un concept qui a été développé et de principes directeurs qui ont été adoptés par l’Organisation internationale du travail en 2015 après un travail qui a duré deux ans.

La sénatrice Miville-Dechêne : Vous m’avez déjà dit cela. Je vous interromps parce que ce que je veux savoir, c’est s’il y a un moyen de découpler les deux enjeux.

Comme vous le savez, cela ne va pas assez vite au Canada; on n’a pas de loi sur la transition juste. Est-ce qu’on doit bloquer ou ralentir cette transition jusqu’à ce qu’on ait peaufiné chaque détail de la transition pour les travailleurs? Effectivement, il y a urgence d’agir; c’est donc très difficile de mettre plusieurs enjeux ensemble. Je ne nie pas qu’il y a des enjeux importants le plan syndical, mais est-ce qu’on ne devrait pas privilégier, d’abord et avant tout, cette transition verte pour que la planète survive?

M. Rondeau : C’est ce que j’allais dire : ce n’est pas un enjeu syndical. C’est exactement ce que j’allais dire. Quand vous avez autour de la table les employeurs, les syndicats et les États qui s’entendent sur un plan à l’échelle internationale et que le Canada ratifie accord par-dessus accord, ce n’est pas un enjeu syndical. C’est un enjeu tripartite que nous mettons de l’avant et c’est ce que nous demandons.

Je pourrais aussi poser la question à l’inverse : en ne réglant la question de la transition verte qu’avec l’industrie, est-ce qu’on ira plus vite? Pour l’instant, ce que nous voyons, c’est une expansion de cette industrie, et non l’inverse.

Si vous regardez le dernier rapport du GIEC qui porte sur les solutions, il est très clair; la cible de 1,5 degré Celsius est toujours atteignable si — et le « si » est vraiment souligné en gras — la gouvernance subit des transformations majeures. Si la transition juste n’inclut pas des mesures et des protections sociales, les États vont échouer, car les travailleurs, les travailleuses et les communautés vont se braquer et bloquer le processus par eux-mêmes. S’ils ne sont pas à la table, cela signifie que vous les mettez dans une position de spectateurs et qu’ils ne feront que subir les impacts. À ce moment-là, oubliez cela; cela ne peut pas fonctionner.

Il faut donc mettre le processus dans un tout et le faire avancer, mais surtout garder en tête que la transition juste n’est pas une demande ou un concept syndical; c’est un concept tripartite appuyé par un consensus international. Certains États ont beaucoup avancé; il y a une commission en Irlande, une en Écosse, un fonds à la grandeur de l’Union européenne, un bureau et un institut en Espagne, des instances en Nouvelle-Zélande, en Afrique du Sud et ainsi de suite. Il faut faire attention de ne pas transformer tout ce dossier pour en faire un concept d’activisme et un enjeu strictement syndical.

Le sénateur Cardozo : Merci pour votre présentation, monsieur Rondeau.

Ma question porte sur les termes « transition juste », qui existent depuis quelques années. Vous avez parlé d’un grand consensus; cependant, j’entends de l’opposition au sujet de ces termes, de la part de certains syndicats d’un côté et du gouvernement de l’Alberta de l’autre. Mme Smith a dit ce qui suit il y a quelques jours : « I don’t want any just transition in Alberta », ce qui signifie qu’elle ne veut pas de transition juste en Alberta.

Dans ce cas, que peut-on faire? Vous avez parlé de l’absence de leadership du gouvernement fédéral, mais quelle serait votre recommandation pour aller de l’avant, alors qu’il n’y a pas de consensus au sujet des termes?

J’aimerais ajouter que je pense que toutes les personnes qui perdent leur emploi dans le secteur du pétrole et du gaz n’en trouveront pas rapidement un autre dans l’économie verte. Que faisons-nous dans cette situation?

M. Rondeau : Je vous remercie pour la question. Comme je le mentionnais plus tôt, l’exemple du charbon, notamment en Alberta, a été dévastateur. Le fait que les gens associent la transition juste à des pertes d’emplois est tout à fait naturel à ce stade-ci. Or, l’exemple et la pratique nous ont montré que la transition juste ne se traduit pas des pertes d’emplois. Cela signifie plutôt qu’on assure la transformation d’un secteur en y incluant les travailleurs et les travailleuses.

Certains syndicats ne s’opposent pas à cela, même ceux qui sont réfractaires à la transition juste; ils ne sont pas opposés aux principes visant à transformer l’économie, parce que cette transformation leur permet d’avoir un impact sur leurs membres en les y incluant. Ce sont des syndicats qui ne s’opposent pas à un dialogue social ou à une protection sociale; ils s’opposent au fait d’instrumentaliser le concept de transition juste en l’associant strictement à une perte d’emplois. Ils ne veulent pas qu’un secteur ferme, qu’on dédommage les employeurs et qu’on laisse les communautés en plan; personne ne voudrait de ce genre de transition juste.

Nous réclamons une transition juste rigoureuse, basée sur les éléments que nous avons nommés précédemment : protection, dialogue, droit et équité. À ce moment-là, il faut modéliser cette transition avec ceux et celles qui en subiront les impacts. De cette façon, nous réussirons à avancer.

Nous sommes tout à fait conscients qu’en ce moment, le terme est mal utilisé pour les mêmes raisons. On pourrait utiliser un autre terme, comme le gouvernement fédéral veut le faire, et parler uniquement d’emplois renouvelables. À ce moment-là, le Canada se désengagerait d’accords internationaux qu’il a signés, et c’est quelque chose que nous ne pouvons pas accepter.

Nous sommes très solidaires de nos collègues de l’Alberta, de la Saskatchewan et des autres provinces, mais le principe de la transition juste et l’atteinte des cibles de réduction des gaz à effet de serre au Canada ne concernent pas que l’industrie des hydrocarbures; cela concerne également l’ensemble du secteur industriel du Canada, y compris le Québec.

Nous voulons une transition juste. Les membres de notre organisation syndicale vous diront qu’ils souhaitent faire partie d’un processus de transition juste, car cela leur permettrait de préserver leur emploi et d’améliorer leurs conditions de travail. Donc, cela dépend de la manière de le faire. Sans planification ni rigueur, nous serons condamnés à répéter l’exemple du charbon.

En ce qui concerne les emplois renouvelables, vous avez raison. On ne peut pas prendre simplement quelqu’un, le mettre dans une industrie verte et dire qu’on a tout réglé. Comme mon collègue le mentionnait plus tôt, le déploiement d’une nouvelle filière énergétique renouvelable peut prendre jusqu’à sept ans avant d’être rentable. Il y a eu l’exemple récent de la Saskatchewan, qui a montré un certain courage en se tournant vers la géothermie et qui a constaté que les compétences des travailleurs dans le secteur du pétrole sont les mêmes que pour la production de la géothermie. Donc, il y a des compétences transférables — nous le savons déjà —, mais s’il n’y a pas d’ouverture pour ce qui est d’ouvrir un autre secteur, ces emplois ne seront pas créés.

En même temps, ne rien faire actuellement, c’est condamner des dizaines voire des centaines de milliers de travailleurs et travailleuses à ne plus rien avoir, en fin de compte. Il faut être responsable et commencer à planifier cette transition.

En terminant, quand on parle de transition, cela signifie transformer, mais également planifier. Nous ne disons pas qu’il faut fermer l’industrie des hydrocarbures immédiatement; nous disons plutôt qu’il faut planifier ensemble la transformation de ces secteurs et que nous pourrons ainsi arriver à quelque chose de positif. Malheureusement, en ce moment, ce n’est pas ce que nous faisons.

Le sénateur Cardozo : Quelle est votre recommandation au gouvernement fédéral pour l’avenir? Le gouvernement de l’Alberta a dit non. Comment travaille-t-on dans cette situation?

M. Rondeau : Cela devient difficile, car tout est cristallisé. On a systématiquement associé pertes d’emplois et transition juste. Une législation doit voir le jour. Il faut pouvoir créer, à l’intérieur de cette législation, les paramètres nécessaires pour répondre à cette dichotomie qui associe pertes d’emplois et transition juste.

Il faut être à l’écoute des besoins de l’Alberta en matière de transition et être ferme en affirmant que le Canada doit aller vers une transition; on n’a pas le choix. Il faut modeler ce principe avec le principe de transition.

L’Alberta et la Fédération du travail de l’Alberta vont dans le même sens, et pourtant, on parle de l’Alberta. Ils font des recommandations pour que nous allions vers une transition juste avec des principes très précis pour cette industrie, notamment en mettant en place un établissement indépendant, comme une commission permanente ou une société d’État sur la transition juste, afin de pouvoir discuter des préoccupations des travailleurs et des travailleuses d’un point de vue régional.

Le gouvernement fédéral peut adopter une loi fédérale globale pour gérer la transition juste, mais les enjeux de formation professionnelle et de développement de la filière énergétique sont des enjeux provinciaux. Il faut que, dans ce projet de loi, il y ait une modulation pour que les provinces puissent avoir l’espace requis pour adapter cette transition juste selon leurs besoins.

Je vous renvoie encore une fois aux recommandations de nos collègues de la Fédération du travail de l’Alberta, que nous soutenons.

La sénatrice Galvez : Merci beaucoup. Je suis tout à fait d’accord pour dire qu’une transition juste ne signifie pas une perte d’emplois. Dans beaucoup de situations, cela peut signifier une augmentation du nombre d’emplois.

J’aimerais revenir sur ce qu’on peut faire au fédéral. Vous prenez l’exemple de la Saskatchewan en ce qui concerne le virage vers la géothermie et vous avez mentionné que les talents et les habiletés d’un travailleur sont transférables. Au Canada, c’est l’Alberta qui en fait le plus en matière d’énergie solaire. Les travailleurs qui développent l’énergie solaire viennent de l’industrie du pétrole, donc c’est possible. À Terre-Neuve, on va construire une plateforme sur la Baie du Nord, mais les techniciens et travailleurs peuvent venir de l’industrie de la production de l’énergie hydroélectrique, par exemple.

Je me pose donc une question : pourquoi appuie-t-on plus largement un projet à Baie du Nord quand il y a, à Terre-Neuve, le projet de Muskrat Falls, qui est de l’énergie propre et qui est là depuis longtemps? Que peut-on faire pour que les provinces puissent collaborer de façon plus transversale, plutôt que tout cela se fasse du Canada vers les États-Unis en ce qui concerne l’énergie, les transitions et le transfert des travailleurs?

M. Rondeau : Je vous remercie de la question. On a nommé des provinces qui exploitent les hydrocarbures, mais si on regarde une autre province, comme le Québec, c’est l’inverse. Au Québec, vous avez même le projet de loi no 21, qui empêche dorénavant l’exploitation et l’exploration des hydrocarbures sur son territoire. Le Québec a d’ailleurs joint les rangs de la Beyond Oil & Gas Alliance en tant qu’État fédéré, avec d’autres États qui demandent l’abandon des hydrocarbures. Donc, il y a un mouvement international en ce sens.

Cela reste des choix politiques qui s’expliquent par des décisions et une vision économiques. Tant que nous ne changeons pas la vision économique, on ne peut pas changer l’orientation des actions qui seront posées. Cela va ensemble, d’une certaine façon.

Donc, pour répondre à la question, je vais revenir encore une fois au rapport sur le projet de loi canadienne sur la transition juste. Tant le Sénat que le gouvernement — et pas juste le gouvernement au pouvoir, mais l’ensemble des partis de l’opposition — ont tous les éléments entre les mains pour avancer. Dans le rapport du Groupe de travail sur la transition équitable, il y a une recommandation visant à créer des centres de transition juste à l’échelle provinciale. Cela signifie qu’à l’intérieur de la modulation de cette loi, par respect pour leurs compétences, il faut que les gouvernements provinciaux puissent avoir un espace d’opération pour traiter de différents enjeux, comme le développement des filières et la formation professionnelle. Tout cela doit se faire ensemble.

Je vous renvoie encore une fois au Plan pancanadien de lutte contre les changements climatiques, qui est conçu de cette façon. Il faut créer un projet de loi de la même façon. Il faut une gouvernance fédérale, avec des fonds spécifiquement réservés au fédéral accompagnés d’écoconditionnalités et de mécanismes pour l’ensemble des provinces, comme l’Union européenne le fait pour l’ensemble des pays. Si l’Union européenne est capable de gérer un fonds pour la transition juste avec l’ensemble des pays qui en font partie, je ne vois pas pourquoi le Canada ne peut pas le faire avec ses provinces et ses territoires. C’est un peu le même principe : il doit y avoir une reddition de comptes, et non un chèque en blanc avec des fonds qui serviront simplement à financer le déploiement de technologies de captation dans certaines provinces seulement. À ce chapitre, on doit tenir un grand dialogue d’un point de vue pancanadien.

La sénatrice Miville-Dechêne : Monsieur Rondeau, je vous écoute et je reste quand même un peu perplexe. Pensez-vous qu’on peut faire cette transition juste sans qu’il y ait de coûts, sans que personne ne perde quoi que ce soit? Ce ne sera pas une transition scientifique, où l’on pourra prendre un emploi et le transférer ailleurs dans l’énergie verte avec la même personne qui occupera cet emploi. Tout le monde ne pourra pas faire la transition. Que ce soit les entreprises ou les travailleurs, il n’y aura pas forcément une période de flottement dans cette transition, comme il y en a dans toutes les transitions économiques. Je pense au libre-échange. Je me demande si vous n’êtes pas un peu idéaliste en disant que tout peut se préparer et tout peut s’organiser. On peut tout prévoir pour que personne ne perde quoi que ce soit. Est-ce que je me trompe en pensant que c’est un peu idéaliste de penser cela?

M. Rondeau : Ce n’est pas ce que j’ai dit. J’ai dit qu’il fallait absolument planifier cette transition le plus tôt possible, en évaluant les répercussions, en faisant des scénarios de décarbonation, en mesurant et en modélisant les répercussions sur les emplois et en apportant des rectifications par la suite. Je n’ai jamais dit qu’en adoptant un projet de transition juste, on préserverait tous les emplois et que ce serait terminé. Loin de là. Par contre, ce que je dis, c’est que plus nous tardons à mettre ce processus en place, plus nous condamnons les travailleurs et les travailleuses à perdre leur emploi. De toute façon, l’ensemble des États se sont entendus pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050.

En fait, je vous invite tous à penser à la personne la plus jeune que vous connaissez, et à penser à 2050. Cette personne sera un jeune adulte. C’est demain matin. On ne parle pas de fiction à long terme. C’est très rapide.

Dans un deuxième temps, l’ensemble ou la majorité des provinces et le fédéral ont adopté des lois pour mettre fin à la vente des voitures à essence. On s’en va vers une électrification des transports et un déploiement du transport collectif, qui serait idéalement public. On se dirige vers la fin de cette industrie, d’une façon ou d’une autre.

Je vous renvoie la question suivante : allons-nous attendre à la dernière minute et faire comme l’industrie du charbon, en disant que c’est terminé et qu’on ferme boutique, et tant pis pour les communautés? On pourrait aussi commencer tout de suite à planifier cette transition. Ce que nous voyons dans les exemples que nous avons à l’échelle internationale, c’est que plus on s’y prend tôt pour transformer un secteur et pour faire participer les personnes qui subissent les répercussions de ces transformations, plus on aura un dialogue enrichi et plus on trouvera des solutions plus diverses, et les répercussions seront moins importantes. On ne dit pas que les personnes vont perdre leur emploi. Ce n’est pas ce que l’on dit. On dit que, pour minimiser les pertes d’emplois, préserver les emplois et améliorer les conditions de travail — parce que cela peut être porteur d’emplois et de déploiement pour un secteur —, il faut que la transition soit planifiée le plus rapidement possible et qu’il y ait des programmes d’accompagnement pour ceux et celles qui vont perdre leur emploi. Ne rien faire et dire simplement que les répercussions seront trop importantes, c’est faire face plus tard à des répercussions encore plus néfastes.

Le président : Votre contribution est évidente et importante et nous vous en remercions. Merci d’avoir été des nôtres ce matin.

Pour notre deuxième groupe de témoins, nous accueillons Sonia Marcotte, présidente-directrice générale de l’Association des distributeurs d’énergie du Québec, qui participe à la réunion par vidéoconférence.

Nous recevons également, de l’Association canadienne du gaz, Paul Cheliak, vice-président, Stratégie et livraison, et de l’Association canadienne des carburants, Bob Larocque, président et chef de la direction, et Lisa Stilborn, vice-présidente, Affaires publiques.

Bienvenue aux témoins et merci d’avoir accepté notre invitation. Chaque association dispose de cinq minutes pour faire une déclaration d’ouverture.

Nous allons commencer par Mme Marcotte, qui sera suivie de M. Cheliak, puis de M. Larocque et de Mme Stilborn, qui pourront partager leur temps de parole de cinq minutes. Madame Marcotte, vous avez la parole.

Sonia Marcotte, présidente-directrice générale, Association des distributeurs d’énergie du Québec : Merci. Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie d’avoir invité l’Association des distributeurs d’énergie du Québec à venir témoigner devant vous sur ces importants enjeux en matière de changements climatiques.

Fondée il y a plus de 60 ans, l’ADEQ représente les entreprises distributrices d’énergie œuvrant au Québec qui permettent à la population et aux entreprises de combler de nombreux besoins énergétiques.

Nos membres emploient environ 17 000 travailleurs qualifiés et comptent près de 2 300 points de service répartis sur tout le territoire québécois. Spécialisés à l’origine dans la vente au détail de produits pétroliers, nos membres diversifient déjà leur offre en intégrant de nouvelles énergies vertes.

La lutte aux changements climatiques ainsi que la décarbonation de l’économie sont au cœur de nos préoccupations. L’énergie est notre gagne-pain; elle est aussi notre champ d’expertise et notre passion. Nous avons choisi, il y a plusieurs années déjà, de prendre un tournant proactif en faveur de la transition énergétique. De plus, notre infrastructure de distribution — tant nos stations-service que notre flotte de camions — est idéale pour offrir un cocktail énergétique diversifié afin de combler les besoins énergétiques de la population.

L’expertise de nos membres, qui leur a permis de traverser les époques, est unique et précieuse pour atteindre les cibles du Canada. Nos membres s’intéressent notamment à la distribution de carburants et de combustibles renouvelables, comme l’éthanol, le biodiesel — ou biomazout — et l’hydrogène, ainsi qu’au déploiement de bornes de recharge électriques dans leurs réseaux. D’ailleurs, on retrouve déjà des bornes dans de nombreuses stations-service. À Québec, une première station-service a ajouté l’hydrogène à son offre énergétique. La même entreprise participera au projet pilote de train à hydrogène dans la région de Québec en fournissant l’hydrogène vert nécessaire.

La sécurité énergétique est au cœur de nos activités. Nous assurons la distribution d’énergie nécessaire aux transports, au chauffage, aux applications industrielles, à l’agriculture et à bien d’autres besoins énergétiques quotidiens. Les distributeurs de combustibles de chauffage assurent non seulement la sécurité énergétique des foyers en fournissant une énergie fiable et sécuritaire, mais ils soulagent également le réseau électrique lors de périodes de forte demande pendant la saison hivernale, notamment avec le programme de biénergie.

Nos activités de distribution sont essentielles lors des pannes d’électricité pour approvisionner les génératrices nécessaires au bon fonctionnement des services essentiels, notamment les services de secours, les hôpitaux, les stations de pompage et les tours de communication. Nos membres, dont font partie plusieurs entreprises familiales, ont investi plusieurs centaines de millions de dollars dans les infrastructures de distribution, notamment dans leurs réseaux de stations-service, leurs flottes de camions et leurs sièges sociaux. Ils offrent des emplois bien rémunérés, redonnent à leur communauté et engendrent des retombées économiques importantes. Nous avons montré jusqu’ici un réel leadership sur les enjeux de la diversification et de la transition énergétiques, malgré un risque financier et entrepreneurial évident.

L’électrification des transports représente un moyen incontournable pour assurer la transition énergétique. L’accès à l’énergie nécessaire aux électromobilistes passe par un déploiement de bornes de recharge bien positionnées à des endroits stratégiques — donc sans tracas — tout au long de leurs trajets routiers. Notre réseau de stations-service, qui est bien structuré, répond entièrement à ces critères, car il est bien situé, accessible, éclairé et sécuritaire, avec des employés dévoués et déjà connus des électromobilistes. Bref, ce sont des emplacements tout désignés pour accueillir ces bornes.

Cependant, le modèle d’affaires actuel ne permet pas d’assurer la rentabilité de ces bornes. Il faut revoir le modèle afin d’encourager l’investissement du secteur privé et un déploiement ordonné, juste et efficace aux meilleurs emplacements. Toutefois, il faut garder en tête qu’afin de permettre de répondre à tous les besoins, l’électricité ne doit pas être la seule énergie verte envisagée dans le secteur des transports.

Nous sommes prêts à passer à une vitesse supérieure dans le développement, le déploiement et la distribution de différentes énergies à faible empreinte carbone, tout en poursuivant notre mission de distribution d’énergie traditionnelle, qui est encore essentielle au fonctionnement des économies québécoise et canadienne. On doit compter sur une diversification des énergies qui permettra de satisfaire les besoins de la population et sa sécurité énergétique. Nous sommes prêts à participer à la mise en œuvre de solutions porteuses pour contribuer à la lutte aux changements climatiques et à la transition énergétique et à répondre aux besoins énergétiques selon la demande et la disponibilité des produits.

Je vous remercie.

Le président : Merci.

[Traduction]

Paul Cheliak, vice-président, Stratégie et livraison, Association canadienne du gaz : Bonjour et merci de m’avoir invité. Je m’appelle Paul Cheliak et je suis vice-président, Stratégie et livraison, à l’Association canadienne du gaz, organisme établi ici, à Ottawa. Avant de commencer, j’aimerais remercier le comité et tous les travailleurs de tous les secteurs de l’énergie au Canada de nous tenir au chaud, de nous éclairer et de permettre à nos véhicules de rouler.

Ma présentation portera sur trois sujets, soit les marchés du gaz naturel au Canada et à l’international, les transitions énergétiques et le rôle de premier plan de l’industrie dans la réduction des émissions.

À propos des marchés, les membres de l’Association canadienne du gaz exploitent 575 000 kilomètres d’infrastructures de pipelines partout au pays. Nous répondons ainsi à 40 % des besoins en énergie au Canada. L’énergie que nous produisons est livrée à 20 millions de Canadiens chaque jour. Quarante pour cent de la consommation d’énergie au Canada correspond environ au double de l’énergie produite par le système électrique au pays. Au niveau national, le gaz naturel est le combustible le plus utilisé dans les secteurs résidentiel, commercial et industriel, et il y a toujours une demande pour le produit dans le marché. Nous avons ajouté plus d’un million de nouveaux clients à notre système au cours de la dernière décennie.

Plusieurs d’entre vous suivent probablement de près la dynamique du gaz naturel à l’échelle internationale. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a produit une onde de choc dans la géopolitique et le marché international de l’énergie. La Russie assurait 40 % de l’approvisionnement en gaz de l’Europe, laquelle consomme 25 % du gaz naturel dans le monde.

L’abandon du gaz russe par l’Europe est, sans exagérer, un des événements les plus importants et les plus draconiens survenus dans le marché de l’énergie depuis une génération. Qu’est-ce que cela signifie pour le Canada? Nous avons reçu la visite de nos alliés, qui ont dit très clairement qu’ils voulaient nos produits. Ils veulent un approvisionnement fiable de ressources propres. La balle est dans notre camp : nous devons, comme pays, déterminer ce que nous ferons. Répondrons-nous à la demande des Allemands, des Japonais et des Sud-Coréens? Je pense que nous devrions. Il y a des moyens créatifs de le faire et d’en retirer des profits comme pays.

Parlons maintenant des transitions énergétiques. Vous pouvez consulter un document à ce sujet dans votre trousse, mais s’il ne s’y trouve pas, nous vous le remettrons plus tard. Le document présente l’histoire de la consommation de l’énergie dans le monde depuis 1800. Vous constaterez que la tendance n’est pas de retirer des ressources du système, mais d’en ajouter de nouvelles. Dans les années 1800, la biomasse était la seule source d’énergie consommée. Il y a eu ensuite l’avènement du charbon. L’huile a été découverte par la suite, puis le gaz naturel, le nucléaire, les biocarburants modernes, l’éolien et le solaire.

Il faut surveiller de près les conversations sur la substitution en bloc d’une source d’énergie par une autre. Nous devrions trouver en priorité comment nettoyer nos systèmes d’énergie actuels, que ce soit avec la permutation des biocarburants et de l’essence, ou avec l’intégration de l’hydrogène ou du gaz naturel renouvelable dans le circuit de gaz naturel. C’est de cette manière que nous allons réduire les émissions. Le remplacement intégral d’une forme d’énergie par une autre ne s’est pas fait en 225 ans, depuis que nous recueillons des données sur la consommation d’énergie au niveau mondial. Si vous visez la réduction des émissions dans les secteurs pétrolier et gazier, il faut penser sérieusement à une manière de nettoyer les systèmes en place. Notre réflexion doit s’étendre aux combustibles qui circulent dans les pipelines, à l’essence vendue dans les stations-service et aux électrons qui parcourent les câbles électriques.

En ce qui concerne l’industrie du gaz naturel, je vais vous parler de deux des principaux moyens que nous employons à l’heure actuelle pour réduire les émissions. Je suis sûr que vous avez déjà entendu parler de l’hydrogène, autour de cette table. Vous êtes au fait des différentes couleurs et de toutes ces bonnes choses. Le gaz naturel renouvelable offre également d’énormes possibilités. Partout où il y a une décharge, du fumier de ferme ou une usine de traitement des eaux usées, vous avez du méthane, et ce méthane est du gaz naturel. C’est la même chose. Il est généré par la décomposition de la matière organique. Partout au Canada, nous captons ce méthane, qu’on appelle le gaz naturel renouvelable, nous le purifions et nous l’intégrons dans nos systèmes.

À titre d’exemple, en Colombie-Britannique, les volumes actuels de gaz naturel renouvelable qui entrent dans le système correspondent à l’équivalent énergétique du barrage du site C, un projet hydroélectrique de 1 000 mégawatts. Tout ce gaz naturel renouvelable est incorporé dans un pipeline et livré aux consommateurs sans qu’il soit nécessaire de construire de nouvelles canalisations ni de modifier l’équipement d’utilisation finale. Le prix du produit est plus élevé, mais cela illustre bien ce dont j’ai parlé précédemment à propos des transitions énergétiques. Comment travailler avec les systèmes dont vous disposez, mais les rendre plus propres en cours de route? L’hydrogène et le gaz naturel renouvelable sont deux options qui permettent de diminuer l’intensité des émissions de carbone du gaz que nous fournissons à 20 millions de Canadiens.

Je terminerai sur quelques éléments clés. Nous pensons qu’il est grand temps — et qu’il serait très judicieux à ce moment de notre histoire — que le Canada tire parti de l’infrastructure de gaz naturel dont il dispose. Nous devrions examiner très attentivement cette infrastructure et réfléchir à la façon dont nous pouvons fournir de l’énergie à faible émission, comme l’hydrogène et le gaz naturel renouvelable, au moyen des canalisations qui répondent déjà chaque jour aux besoins de 20 millions de Canadiens, un nombre qui ne cesse de croître.

Deuxièmement, nous pensons que le Canada doit indiquer clairement et de manière décisive qu’il est ouvert, disposé et prêt à soutenir ses alliés en leur fournissant le gaz naturel liquéfié à court terme et l’hydrogène et l’ammoniac à long terme dont ils ont besoin pour continuer à fonctionner en tant que sociétés économiques.

Troisièmement, nous recommandons la réalisation de recherches indépendantes et continues sur les coûts et les moyens de réduire les émissions au Canada, et nous recommandons que les résultats soient présentés de façon claire et transparente aux Canadiens afin qu’ils aient une idée précise de ce que sont les réductions d’émissions, de la façon dont nous allons y parvenir et de ce que cela va coûter.

Je vous remercie.

Bob Larocque, président et chef de la direction, Association canadienne des carburants : Bonjour, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité. Je vous remercie de nous avoir invités aujourd’hui à participer à l’étude sur les changements climatiques et l’industrie canadienne du pétrole et du gaz. J’aimerais commencer par préciser que je me trouve aujourd’hui sur le territoire traditionnel et non cédé du peuple algonquin anishinabe.

[Français]

Nos membres emploient plus de 111 000 travailleurs, partout au Canada, qui opèrent 15 raffineries, 75 terminaux et plus de 12 000 stations-service. Notre secteur produit 95 % de la gazoline, du diesel et des carburants marins, ferroviaires et d’aviation qui sont utilisés tous les jours. Juste pour vous donner une idée, cela représente plus de 100 milliards de litres par année. Nos membres fabriquent aussi plus de 25 % des biocarburants produits au Canada aujourd’hui.

[Traduction]

Les installations pour le carburant font partie de l’infrastructure essentielle du Canada. Elles procurent un accès sûr et fiable aux carburants qui sont essentiels à la mobilité personnelle, à la circulation des biens et au fonctionnement des services essentiels comme les premiers intervenants. Nous croyons qu’il existe d’importantes possibilités d’accroître la production nationale de carburants liquides à faible teneur en carbone dès aujourd’hui grâce à des technologies éprouvées et à l’adaptation de notre infrastructure existante. Cette démarche est également essentielle pour préserver la fiabilité et l’abordabilité de l’énergie alors que nous continuons à diversifier notre bouquet énergétique.

Il y a trois ans, nous avons publié En route vers 2050. Ce document décrit la contribution fondamentale que l’industrie des carburants de transport peut apporter à la réalisation de nos objectifs climatiques. Notre plus récente mise à jour fait état des 8 milliards de dollars que nos membres investissent, ce qui se traduit par une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 10 millions de tonnes par an et par la création et le maintien de plus de 10 000 emplois d’un océan à l’autre.

Cependant, je voudrais aujourd’hui concentrer mes propos sur les répercussions de l’IRA, l’Inflation Reduction Act — la loi américaine sur la réduction de l’inflation, dont vous avez sûrement entendu parler —, dans le contexte de la production, de la consommation et de la sécurité énergétiques du Canada. Les États-Unis disposent de divers programmes bien établis qui ont mené à la création d’une industrie du carburant robuste et à faible teneur en carbone. Il s’agit notamment de programmes d’investissement en capital et de mesures incitatives fiscales comme le crédit d’impôt pour les mélanges. Le Canada a également mis en place des programmes particuliers destinés à soutenir les investissements en capital dans les carburants à faible teneur en carbone, comme le Fonds pour les combustibles propres il y a deux ans, ce qui nous place à peu près à égalité avec les États-Unis en matière de dépenses en capital.

Cependant, l’IRA a tout changé. Les États-Unis ont pris les bouchées doubles avec une série de nouvelles mesures, y compris ce qu’on appelle un crédit d’impôt à la production de biocarburants tels que l’éthanol, le diesel renouvelable, le carburant d’aviation durable et l’hydrogène. Le marché nord-américain des carburants est ouvert, il est entièrement intégré, et le Canada est en concurrence avec les États-Unis pour obtenir sa juste part des investissements. L’IRA intensifie la concurrence relative aux investissements, et il est possible que des projets canadiens de carburants à faible teneur en carbone aboutissent aux États-Unis, car ils profiteront ainsi du nouveau crédit d’impôt à la production. En outre, les producteurs américains seraient en mesure d’envoyer leur carburant au Canada pour obtenir des crédits carbone dans le cadre du Règlement sur les combustibles propres du Canada. Le crédit d’impôt à la production permettra également l’exportation d’une plus grande quantité de matières premières fabriquées au Canada vers les États-Unis, qui peuvent maintenant offrir un prix plus élevé. En outre, à mesure qu’augmentera la demande attribuable au Règlement sur les combustibles propres qui entrera en vigueur au milieu de l’année, le Canada devra compter sur les importations américaines pour atteindre ses objectifs de carboneutralité, ce qui compromettra notre sécurité énergétique et climatique.

Dans l’Énoncé économique de l’automne, on reconnaissait que l’IRA change la donne et on soulignait qu’il faut prendre de toute urgence de nouvelles mesures pour que le Canada suive le rythme. Nous sommes d’accord, et c’est la raison pour laquelle nous recommandons un crédit d’impôt à la production de carburants à faible teneur en carbone pour le Canada. Ce crédit s’appliquerait à tous les carburants à faible teneur en carbone produits au Canada, et le taux varierait en fonction de la réduction de l’intensité des émissions de carbone. Plus la réduction est importante, plus l’incitatif est élevé. Pour les carburants de transport routier, par exemple, la plus forte réduction de l’intensité des émissions de carbone donnerait droit à un crédit d’impôt de 34 ¢ le litre, soit l’équivalent du crédit d’impôt américain de 1 $ le gallon. Pour le carburant d’aviation durable, la plus forte réduction de l’intensité des émissions de carbone bénéficierait d’un crédit d’impôt de 63 ¢ le litre.

Nous recommandons également des mesures incitatives pour la modernisation de l’infrastructure relative aux carburants afin de permettre aux consommateurs d’avoir accès à des carburants à faible teneur en carbone. Plus de 70 % des stations-service appartiennent à de petites et moyennes entreprises, et ce financement réduira le coût d’installation et de mise à niveau de nouveaux équipements tels que les distributeurs de carburant et les réservoirs de stockage.

En conclusion, pour libérer le potentiel du Canada en tant que producteur de carburant à faible teneur en carbone et ainsi obtenir des avantages considérables pour le Canada, la parité avec les États-Unis en matière d’investissement est essentielle. Nous devons unir nos efforts pour garantir que les investissements restent au Canada, que nous atteignons nos objectifs climatiques grâce à la production canadienne et que nous créons des milliers d’emplois pendant la construction et des centaines d’autres emplois permanents sur toute la chaîne d’approvisionnement en carburant. De plus, nous pourrions tirer parti des matières premières canadiennes pour fabriquer des produits à valeur ajoutée au Canada, et nous protégerions notre sécurité énergétique et climatique.

[Français]

Merci beaucoup de me donner l’occasion d’être ici aujourd’hui et de répondre à vos questions.

Le président : Merci.

[Traduction]

Madame Stilborn, aviez-vous quelque chose à ajouter?

Nous allons passer aux questions.

La sénatrice Batters : Ma première question s’adresse aussi bien à l’Association canadienne du gaz qu’à l’Association canadienne des carburants.

Pourriez-vous me dire combien d’emplois ont été perdus dans votre industrie et ce que vous prévoyez comme pertes d’emplois pendant ce qu’on appelle la transition juste? Je dois préciser que je suis de la Saskatchewan, alors c’est manifestement une question très importante pour les gens de ma province.

M. Cheliak : L’industrie emploie actuellement 13 500 Canadiens dans huit provinces, dont la Saskatchewan, et dans un territoire. Notre infrastructure et les investissements dans cette infrastructure sont approuvés par des organismes de réglementation indépendants. Je ne sais pas si des emplois durables ou une transition juste auraient des répercussions directes sur l’industrie de la distribution du gaz naturel. Si les gazoducs ne font que transporter du gaz naturel et qu’il y a une réduction de la consommation de gaz naturel au Canada, alors peut-être y aurait-il une réduction du nombre de personnes nécessaires pour exploiter ce système. Cependant, lorsque vous le construisez, vous devez l’entretenir. Pour l’entretenir, vous avez besoin de main-d’œuvre. Pour l’industrie des services publics elle-même, je ne crois pas qu’une transition juste ait une incidence importante sur la construction, l’exploitation et l’entretien des réseaux de gazoducs. Il se peut que le nombre de personnes stagne parce que nous ne construisons pas de nouvelle infrastructure, mais je ne pense pas que les dispositions législatives en matière de transition juste aient une incidence directe et significative.

M. Larocque : Je pense que c’est la même chose pour nous que pour l’Association canadienne du gaz. Nous souhaitons des emplois durables. Nous voyons cela comme une transition ou une adaptation de notre main-d’œuvre actuelle à de nouveaux produits comme les carburants à faible teneur en carbone. Au fur et à mesure que nous transformons le secteur de l’énergie et des carburants de transport, nous avons bon espoir de pouvoir utiliser notre infrastructure et notre main-d’œuvre actuelles, mais aussi de produire de nouveaux produits par rapport à ce que nous faisons aujourd’hui.

La sénatrice Batters : Combien d’employés avez-vous?

M. Larocque : Nous avons 111 000 employés — et je veux que ce soit clair — dans des raffineries, des terminaux et des stations-service. C’est ce que nous appelons l’industrie en aval.

La sénatrice Batters : Avez-vous actuellement une estimation des pertes d’emplois?

M. Larocque : Non. Nos chiffres sont assez constants. Nous avons perdu une raffinerie à Come By Chance il y a deux ans. Cependant, elle est en train de redémarrer comme usine de production de diesel renouvelable, et certains des emplois qui avaient été perdus reparaissent, si vous voulez, ou sont adaptés.

La sénatrice Batters : D’accord. J’aimerais savoir dans quelle mesure le gouvernement fédéral a consulté vos deux organisations pour l’élaboration de son plan de transition juste. Estimez-vous cette consultation satisfaisante?

M. Cheliak : Oui, nous avons eu l’occasion de faire des commentaires. Mon constat — et cela correspond à celui du gouvernement — est que le rythme de l’activité, le degré de consultation et l’importance des questions réglementaires et législatives liées à l’énergie ont explosé au cours des cinq dernières années. Nous devons consacrer notre temps à un grand nombre de priorités concurrentes. La transition juste est l’une de ces priorités et elle commence tout juste à attirer notre attention, car nous avons été très préoccupés par des mesures réglementaires à venir. Nous prévoyons une intensification de la mobilisation.

De toute évidence, il y a beaucoup de débats sur la façon de désigner et de définir ce concept. Je pense que c’est l’essence de votre question aujourd’hui, mais nous nous attendons à plus de consultation, et non à moins de consultation.

La sénatrice Batters : Quand vous dites que vous avez eu l’occasion de faire des commentaires, quel préavis avez-vous reçu à cet égard? Est-ce quelque chose que vous avez eu l’occasion de faire très peu de temps avant que le gouvernement annonce le plan de transition juste? J’aimerais simplement avoir une idée du laps de temps. Dans quelle mesure cette possibilité de faire des commentaires était-elle solide?

M. Cheliak : Je crois que nous avons eu suffisamment de temps.

La sénatrice Batters : Combien de temps...

M. Cheliak : Je dirais des semaines. Mais nous étions au courant. L’information avait circulé. Les gens en discutaient depuis des mois. Ce n’était pas une surprise, car nous savions que cela s’en venait. Naturellement, nous voulons toujours plus de temps. Je pense que c’est la même chose pour toute consultation. Tout le monde veut plus de temps.

M. Larocque : Je dirais la même chose. L’année dernière, nous avions comme priorités d’ordre réglementaire le Règlement sur les combustibles propres, le plafond d’émission de gaz à effet de serre pour le secteur pétrolier et gazier, et le mandat pour les véhicules électriques zéro émission. Divers règlements étaient mis en place. Nous étions au courant de la transition juste. On nous a donné le temps auquel nous pouvions nous attendre.

La sénatrice Batters : Et combien de temps était-ce?

M. Larocque : Vous aviez 60 ou 90 jours pour formuler des commentaires. Nous avons reçu un livre blanc auquel nous avons pu réagir. Ils ont posé des questions sur la façon dont nous pensions qu’il fallait gérer les choses.

La sénatrice Batters : Est-ce qu’ils vous ont dit que cela s’appellerait la « transition juste »?

M. Larocque : Oui. Nous avons très souvent parlé de cela.

La sénatrice Batters : Est-ce que vous vous êtes opposés à cette appellation?

M. Larocque : Oui.

La sénatrice Batters : En effet, c’est une appellation terrible.

M. Larocque : C’est terrible, comme titre.

La sénatrice Batters : Beaucoup de gens risquent de perdre leur emploi à cause de cela. Merci.

Le sénateur Arnot : J’ai deux questions, dont une s’adresse à M. Cheliak.

Monsieur, vous avez dit qu’il fallait en priorité rendre propres les systèmes existants. Je me demande simplement comment il faut le faire. Quelles recommandations auriez-vous à l’appui de cet objectif? Quelles recherches sont menées à ce sujet? Quel est votre pronostic de réussite dans ce domaine?

M. Cheliak : Nous avons fait de grands progrès à cet égard, dans nos réseaux de gazoducs au Canada. Nous avons maintenant 20 installations opérationnelles de gaz renouvelable au Canada. Nous avons la première installation d’intégration d’hydrogène en Amérique du Nord à Markham, en Ontario, et d’autres sont prévues. Nous envisageons des collectivités entièrement alimentées en hydrogène à partir de 2025.

Tout cela arrive rapidement, n’est-ce pas? Nous sommes une industrie vieille de 115 ans. Pour transformer le carburant dans nos systèmes, il faut du temps à nos ingénieurs, aux organismes de réglementation de la sécurité, aux décideurs et aux législateurs.

Qu’est-ce que nous souhaitons? Nous avons besoin d’un soutien continu sur le plan des codes et des normes, de sorte que nous puissions injecter de plus grandes quantités d’hydrogène dans nos gazoducs. Nous avons aussi besoin de soutien, en matière de recherche et de développement, pour que les appareils ménagers — chaudières, cuisinières, chauffe-eau — puissent être prêts à fonctionner à l’hydrogène. Ainsi, lorsque nous voudrons lancer une collectivité alimentée à 100 % par de l’hydrogène propre, les constructeurs pourront construire des maisons équipées de produits pouvant fonctionner entièrement à l’hydrogène.

Le sénateur Arnot : Monsieur Larocque, vous avez mentionné que le Canada doit rivaliser avec les États-Unis en matière de mesures incitatives. La loi américaine sur la réduction de l’inflation a vraiment créé une norme. Nous ne sommes probablement pas en mesure de faire de même. Qu’est-ce que vous suggéreriez comme secteurs de l’énergie à cibler pour obtenir un effet positif sur le marché canadien?

M. Larocque : Il faut que le Canada mette en place ce que j’appellerais une politique industrielle, si vous voulez. Je peux comprendre l’idée de vouloir obtenir la même chose que les États-Unis, mais ce n’est pas exactement ce que nous recherchons. Il faut cependant un système similaire. Le crédit d’impôt à la production est tout nouveau et il change complètement la donne. C’est une forme de protectionnisme. En Amérique du Nord maintenant, tout doit être utilisé ou produit aux États-Unis. Nous n’avons rien de semblable. J’aimerais que nous ayons au Canada un régime fiscal ou un système de crédit de ce type. Le montant en dollars, je le comprends. C’est une décision d’ordre budgétaire de la part du gouvernement fédéral, mais le simple fait de mettre en place ce système en 2023 et de prévoir des sommes d’argent serait un excellent début.

Le sénateur Arnot : Est-ce qu’on peut dire que le temps presse?

M. Larocque : Je peux vous dire qu’en ce moment même, les États-Unis signent des accords de 10 ans pour les matières premières canadiennes en raison de la loi sur l’inflation, concernant la production. Si nous attendons un an, nous perdrons l’accès, au Canada, à des tonnes de matières premières pour les 10 prochaines années.

Le sénateur Cardozo : C’est une discussion vraiment intéressante, surtout si on la juxtapose à la précédente, où nous avons parlé de la transition du point de vue des représentants syndicaux, c’est-à-dire plutôt du point de vue des travailleurs. Vous avez parlé de la transition de l’industrie. J’ai tellement de questions, mais je vais essayer de m’en tenir à quelques-unes.

Pensez-vous que vos industries vont disparaître au fil du temps? Vous essayez de les rendre de plus en plus propres, mais envisagez-vous un moment où elles disparaîtront alors que nous passerons à 100 % d’énergies renouvelables, ou à un pourcentage beaucoup plus élevé de ressources renouvelables?

M. Cheliak : Je ne le crois pas. Encore une fois, nous avons ajouté un nombre presque record de consommateurs à notre système l’année dernière. Ce produit est en demande sur le marché. Je dirais que la sécurité et la fiabilité énergétiques ont été tenues pour acquises à l’échelle mondiale. Elles le sont encore ici au Canada. Comment pouvons-nous garantir au consommateur une énergie fiable et abordable? C’est en ayant plusieurs systèmes — un système liquide, un système électronique et un système gazeux — que l’on garantit la fiabilité.

Voir une industrie disparaître pour être remplacée par une autre... Encore une fois, si l’on remonte à 1800, cela n’est jamais arrivé dans l’histoire du monde. Je ne pense pas que cela se produira à l’avenir non plus. Dans mon secteur, vous avez besoin de molécules pour créer des produits chimiques. Vous en avez besoin pour créer des plastiques, ainsi que pour créer des engrais. Si vous voulez ces choses, il vous faut des molécules qui viennent de quelque part. Vous devez livrer les molécules à travers quelque chose. Vous ne pouvez pas les acheminer par un fil. La meilleure façon de les acheminer, c’est par une infrastructure linéaire de canalisation. La disparition progressive? Absolument pas. Les transformations? Absolument.

M. Larocque : Remplacez le mot « transitions » par « transformation ». C’est la même chose. Nous allons encore fournir des combustibles pour le transport pendant 100 ans, comme nous le faisons depuis 100 ans. À quoi devons-nous nous attendre? Les sources seront diversifiées. Il y aura de l’électricité. Il y aura du diesel renouvelable pour les bateaux et les avions. Il y aura des véhicules utilitaires lourds. Il y aura de l’hydrogène. Il y aura une multitude de choses. En ce moment, nos membres se transforment pour fournir cette énergie pour le transport. Voilà ma réponse. Nous serons là en 2050, en 2100 et au-delà.

Le sénateur Cardozo : Pour ce qui est de la transition juste, la sénatrice Batters a dit que ce terme posait problème dans certaines régions. Y a-t-il un autre terme que nous pourrions utiliser et qui serait plus approprié?

Monsieur Cheliak, pourriez-vous formuler un bref commentaire sur un sujet légèrement différent? Les dirigeants allemands et japonais sont venus ici pour se procurer du gaz naturel liquide, ou GNL. Avons-nous dit non? Pourriez-vous nous éclairer à ce sujet?

M. Cheliak : Nous ne leur avons pas dit « non ». La réponse était plutôt : « Il reste du travail à faire. » Il n’y a pas eu de « oui » clair et définitif, et c’est ce que nous espérions.

Et pour votre première question, excusez-moi...

Le sénateur Cardozo : Le terme « transition juste ». Devrions-nous utiliser un autre terme ou devons-nous changer ce dont nous parlons lorsque nous parlons de transition juste? Y a-t-il un autre terme?

M. Cheliak : Je pense que vous avez déjà entendu différents termes : emplois durables, transition juste. À certains égards, je pense que cela détourne l’attention du travail formidable que fait l’industrie, qu’il s’agisse du groupe de M. Larocque ou de mes entreprises, dans les domaines de l’hydrogène et du gaz naturel renouvelable. Si nous restons concentrés sur certaines des initiatives créatives en cours, je pense que nous nous en porterons tous mieux.

La sénatrice Galvez : Merci beaucoup. Comme l’a dit ma collègue, c’est une conversation très intéressante. Bienvenue au Sénat.

Je suis d’accord avec ce que vous avez dit. Nous devons accroître la diversité de nos sources d’énergie, c’est certain. La biométhanisation est une activité en plein essor, cela ne fait aucun doute. Nous devons trouver une solution pour tous les déchets organiques. C’est donc une bonne chose que nous produisions du méthane.

J’ai quelques questions. D’une part, je veux savoir quelle est la place de l’efficacité énergétique, car au Canada, nos résultats dans ce domaine sont faibles par rapport aux pays scandinaves. Nous consommons beaucoup d’énergie pour un climat similaire. J’aimerais que vous me parliez de l’efficacité énergétique. De plus, avec cette diversité de combustibles, nous devons mieux construire et accroître la résilience. Nous devons adopter une approche double. Nous devons faire preuve de souplesse dans un système robuste, car nous sommes confrontés au changement climatique et à des phénomènes météorologiques extrêmes qui détruisent les infrastructures chaque année et causent des milliards de dollars de dommages par événement. Comment votre industrie aborde-t-elle ces deux enjeux?

M. Larocque : Je vais commencer par le deuxième, la résilience. C’est la raison pour laquelle je pense que nous avons besoin d’une diversité d’énergies pour avancer. Nous ne pouvons pas dépendre d’une seule. Pour donner un exemple rapide lié au transport ou aux véhicules électriques. Nous pensons que les véhicules hybrides rechargeables ont leur place dans le nouveau règlement proposé par Environnement et Changement climatique Canada.

Je pense que le gouvernement du Canada ne devrait pas choisir une source d’énergie précise pour le chauffage résidentiel ou le transport, mais permettre aux politiques et aux règlements d’en englober plusieurs pour offrir une certaine souplesse et une certaine résilience pour les consommateurs à l’avenir. À l’heure actuelle, je crois que certains types d’énergie sont parfois favorisés. C’est pourquoi nous voulons aborder la question de la sécurité et de la résilience énergétiques.

M. Cheliak : La résilience est une question et un sujet fascinants. Dans mon industrie, nous sommes sous terre. Nous installons notre infrastructure sous terre. Il n’y a pas de coupures ou de pannes avec le gaz naturel. Ce n’est pas tellement un problème pour l’industrie du gaz naturel. Encore une fois, nos infrastructures sont entièrement souterraines.

Pour ce qui est de l’efficience, je pense que nous avons fait beaucoup de progrès. Il est important de souligner ce que nous avons accompli. Ces 30 dernières années, au Canada, je crois que nous avons ajouté 3,5 millions de nouveaux clients résidentiels pour le gaz naturel. Au cours de cette période, la taille moyenne des maisons au Canada a augmenté de 36 %. Nous utilisons en fait un peu moins de gaz naturel sur le marché résidentiel qu’à l’époque. Nos maisons sont mieux construites. Elles sont mieux équipées, mais il y a la croissance démographique. Célébrons ce que nous avons accompli. Nous avons maintenu la consommation à un niveau stable, bien que nous ayons ajouté des millions et des millions de nouvelles propriétés résidentielles dans le pays.

Quelle est la prochaine étape? Il s’agit de la technologie des pompes à chaleur. On entend beaucoup parler des pompes à chaleur électriques. Il existe également des pompes à chaleur au gaz naturel. Je pense que la prochaine étape sur le marché résidentiel et commercial consistera à passer de ce que nous appelons l’équipement à condensation, dont l’efficacité est inférieure à 100 %, aux pompes à chaleur, dont l’efficacité est supérieure à 100 %.

La sénatrice Galvez : Vous parlez de codes. J’ai vécu en Europe et lorsque vous achetez une maison ou un équipement, vous avez une étiquette qui vous indique exactement le degré d’efficacité énergétique de votre maison ou de votre équipement. Est-ce le cas au Canada?

M. Cheliak : Nous avons le système de cote ÉnerGuide administré par Ressources naturelles Canada. Oui, lorsque vous achetez une maison, il y a ou devrait y avoir une étiquette à l’intérieur de cette maison. Si vous voulez profiter de la subvention pour des maisons plus vertes qu’offre actuellement le gouvernement du Canada, vous devez subir une vérification énergétique. On évalue votre maison et on appose cette étiquette à l’intérieur.

La sénatrice Galvez : Dans tout le Canada?

M. Cheliak : Oui.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Dans le rapport de l’International Energy Agency intitulé Net Zero by 2050 —

[Traduction]

... qui a été publié en 2021, je lis qu’à partir d’aujourd’hui, on ne devra effectuer aucun investissement dans des projets d’approvisionnement en combustibles fossiles. Vous demandez donc que les règles du jeu soient équitables, et vous demandez de nouveaux programmes fédéraux en matière d’énergies propres. Est-ce réaliste compte tenu de l’orientation que nous voulons prendre en matière de climat, car il s’agit d’une urgence climatique? Que pensez-vous de ce rapport particulier par rapport à votre position, qui est que nous transporterons encore des combustibles dans 100 ans? Je ne sais pas si vous parliez de pétrole ou de gaz.

M. Larocque : Je suis content que vous ayez posé cette question. Il y a beaucoup de confusion. Je veux être très clair : nous sommes dans l’énergie de transport. Nous demandons la production de combustibles à faible teneur en carbone. Il s’agit d’incitatifs pour l’éthanol, le diesel renouvelable, le carburéacteur durable ou l’hydrogène. Nous ne parlons pas d’essence, de diesel ou de pétrole brut. Tout le monde peut accéder à cet incitatif. Nous représentons des sociétés pétrolières et gazières traditionnelles, mais également des producteurs d’énergie verte, comme Greenfield Global, qui produit de l’éthanol. Cet incitatif est destiné aux combustibles à faible teneur en carbone. Il s’aligne sur les exigences de l’Agence internationale de l’énergie.

M. Cheliak : Encore une fois, nous représentons les distributeurs de gaz naturel. Les programmes auxquels nous participons et auxquels nous cherchons à participer sont par exemple le fonds de croissance propre, qui est actuellement administré par Ressources naturelles Canada. Ce programme offre des incitatifs pour l’hydrogène ou le gaz naturel renouvelable. Ce sont les deux domaines qui nous intéressent. Pour M. Larocque, il s’agirait plutôt des énergies renouvelables liquides. Nous ne cherchons pas à bénéficier de programmes gouvernementaux pour encourager l’augmentation de la production de gaz naturel, par exemple. Nous n’avons pas besoin de fonds pour cela.

La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une question sur les chiffres. Vous avez parlé du gaz renouvelable issu du méthane et de nos déchets. Quelle est la part de ce gaz renouvelable par rapport à celle du gaz naturel que vous distribuez ou vendez au Canada?

M. Cheliak : Cette part est faible aujourd’hui. La Colombie-Britannique envisage une part de 15 %, ce qui signifie que d’ici 2030, 15 % de tout le gaz de la Colombie-Britannique proviendrait de molécules renouvelables. Le Québec prévoit une part de 10 % d’ici 2030. D’autres administrations s’y intéressent. Le volume de ces produits est considérable. Il représente 40 % de la consommation finale d’énergie au Canada. Une bonne comparaison serait la contribution des énergies éolienne et solaire à l’approvisionnement en électricité au Canada. Conjuguées, je pense qu’elles produisent aujourd’hui environ 6 % de l’électricité, et le secteur se concentre sur ces énergies depuis plus de 20 ans.

Si l’on envisage les choses sous cet angle, je pense que nous faisons d’importants progrès.

M. Larocque : Notre part est d’environ 6 à 8 % aujourd’hui. Nous envisageons d’atteindre 15 % en 2030 ou plus.

La sénatrice Miville-Dechêne : Six pour cent de...?

M. Larocque : Je parle des combustibles liquides. L’éthanol dans votre voiture, par exemple, le diesel renouvelable ou le biodiesel. Mais avec les progrès réalisés dans le domaine du carburéacteur durable et les règlements sur les combustibles propres, on peut envisager une part de 15 à 20 % d’ici 2030, voire plus pour les combustibles liquides. Cela se produira. La question est simplement de savoir d’où viendra votre combustible, du Canada ou des États-Unis.

La sénatrice Batters : Quelle est, selon vous, la chose la plus souvent mal comprise — si vous ne deviez en citer qu’une ou deux — au sujet de l’industrie pétrolière et gazière et de sa capacité à contribuer à l’atteinte des objectifs climatiques du Canada? C’est le moment ou jamais.

M. Larocque : Combien de temps avons-nous?

La sénatrice Batters : Deux minutes pour chacun d’entre vous, s’il vous plaît.

M. Larocque : Je pense que nous avons un peu parlé du fait que nous demandons toujours au sujet de l’industrie pétrolière et gazière : Allons-nous la garder? Allons-nous la temporiser? Je pense que l’on se méprend totalement sur le sérieux avec lequel le secteur des transports envisage la décarbonisation.

Dans 15, 20 ou 25 ans, nous serons un secteur différent de ce que nous sommes aujourd’hui. Nous le faisons depuis très longtemps et nous avons donc de bonnes infrastructures. Il est faux de penser que nous allons construire des infrastructures énergétiques complètement nouvelles au cours des 10 prochaines années — comme le disait M. Cheliak, au cours des 100 dernières années — et nous essayons de faire passer ce message chaque jour.

M. Cheliak : Je suis un peu historien, mais nous avons déjà pivoté et nous le ferons à nouveau. En 1910, tout le gaz — nous utilisons le terme énergie gazeuse; il ne s’agit pas de gaz, mais de molécules — qui était livré par des tuyaux dans ce pays était en grande partie de l’hydrogène. Il était acheminé par des pipelines pour alimenter les lampadaires de Montréal, de New York, etc. Puis l’électricité est arrivée, et cette activité n’a pas seulement été menacée, mais elle a disparu.

Nous avons pris cette infrastructure et nous nous sommes dit : Que pouvons-nous en faire? Les gens chauffaient leurs maisons au charbon et voulaient une autre façon de faire. Nous avons commencé à construire des pipelines pour aider les gens à passer du charbon au gaz naturel.

Nous avons déjà effectué de grands changements par le passé, et je pense que nous pouvons encore le faire. Mais cela ne se produira pas du jour au lendemain.

La sénatrice Batters : Merci.

Le sénateur Cardozo : Merci pour tout le temps que ce comité m’accorde. Je ne suis pas un membre permanent de ce comité, alors je vous remercie de me supporter. C’est un comité passionnant et les membres posent des questions très intéressantes, alors je pense que je veux me joindre à vous.

J’aimerais que Mme Stilborn nous fasse part de ses commentaires sur la transition.

Lisa Stilborn, vice-présidente, Affaires publiques, Association canadienne des carburants : D’accord. Comme l’a dit M. Cheliak, nous préférons parler de durabilité. Beaucoup de gens à qui nous parlons — les décideurs, tous les paliers de gouvernement — sont de plus en plus d’accord avec nous pour dire qu’il s’agit de durabilité et de création et de maintien d’emplois durables. Il y a une transition. Il s’agit d’un processus d’adaptation. Je pense que les gens le comprennent de mieux en mieux.

Le sénateur Cardozo : Monsieur Cheliak, vous avez beaucoup parlé du gaz. Pouvez-vous nous dire comment nous utilisons le gaz aujourd’hui dans diverses industries et dans les maisons, et nous parler de l’utilisation qu’on en fera dans les 20 prochaines années?

M. Cheliak : En ce qui concerne le marché résidentiel et commercial — les bâtiments comme ceux dans lesquels vous vous trouvez aujourd’hui ou les maisons dans lesquelles vous vivez —, environ 50 % de la consommation d’énergie domestique et commerciale au Canada est fournie par le gaz naturel. Une grande part est fournie par l’électricité, et une plus petite par le propane et par le bois. Nous représentons environ la moitié du marché résidentiel et commercial.

De même, nous représentons environ 53 % de l’énergie utilisée par l’industrie au Canada. Encore une fois, une bonne partie de l’énergie provient de l’électricité et on utilise également des biocarburants avancés.

Le sénateur Cardozo : Par exemple? Les machines et autres fonctionnent au gaz?

M. Cheliak : Tout ce qui exige de la chaleur, qu’il s’agisse de vapeur pour la fabrication de la bière ou de l’industrie pétrolière et gazière en amont qui a besoin de vapeur pour libérer le sable des sables bitumineux. Toute installation de fabrication a besoin de chaleur, et cette chaleur doit provenir d’un combustible. Le gaz naturel est le combustible privilégié.

Actuellement, le secteur des transports n’est pas un marché très important — voitures particulières, camions, traversiers, etc. Il y a une place pour l’énergie gazeuse sur le marché des véhicules à moteur plus puissant, comme les traversiers et le transport routier, mais l’évolution est lente.

C’est le secteur du transport de déchets qui a adopté le plus rapidement le gaz naturel, notamment pour les camions à ordures. Cela s’explique par le fait qu’ils effectuent une tournée et que les camions restent ensuite stationnés. On les ravitaille la nuit, puis ils font une nouvelle tournée le lendemain matin. Ce type de flotte qui retourne à une base est idéale pour l’utilisation du gaz naturel.

Le sénateur Cardozo : Dans les 10 à 20 prochaines années, la situation va-t-elle changer?

M. Cheliak : Si nous pensons au fait que chaque année, des centaines de milliers de nouveaux Canadiens auront besoin d’un endroit où vivre, je pense qu’un bon nombre d’entre eux voudront la fiabilité et la flexibilité qu’offre l’énergie gazière. Je ne prévois pas de changement fondamental à cet égard.

Ce qui va changer, selon moi... Si vous prêtez attention à ce genre de choses, l’aciérie de Hamilton a fait une annonce. On y installe des fours électriques à arc, et ce système fonctionne au gaz naturel. Ils envisagent de passer à un pipeline à hydrogène à l’avenir.

Il sera fascinant d’observer la créativité dont nous devrons faire preuve. Il s’agissait jusqu’à présent d’un pipeline à gaz par défaut, il y aura désormais davantage de conversations sur ce que l’on peut faire passer dans cette infrastructure pour atteindre nos objectifs en matière de durabilité.

La sénatrice Galvez : Je vous remercie. J’aimerais qu’on parle de l’Inflation Reduction Act aux États-Unis, l’IRA, et des répercussions qu’elle a, ou aura, sur l’industrie de l’énergie au Canada.

La semaine dernière, j’ai parlé du rôle que l’American Society of Civil Engineers joue dans les arguments de cette loi. J’aimerais que les firmes d’ingénieurs au pays jouent un rôle plus actif dans le processus décisionnel ici au Canada. C’est très important.

Je siège au Comité des finances nationales. Dans l’Énoncé économique de l’automne, nous avons affecté 2 milliards de dollars à un fonds de croissance pour tenter de contrebalancer les billions de dollars prévus dans l’IRA. Que pouvons-nous faire pour mieux utiliser ce fonds? Comment peut-on en faire une utilisation optimale pour avoir une chance de contrebalancer les répercussions de l’IRA?

M. Larocque : Je dirais qu’il faut trouver un outil simple. Quand il faut présenter une demande de financement, il faut attendre un ou deux ans avant d’obtenir une réponse pour un projet. Nous savons tous que les sommes sont limitées et que vous choisissez alors les gagnants et les perdants.

Dans le cas du crédit d’impôt à la production, tout est clair. Si on produit, on l’obtient. Il n’y a pas de demande. C’est équitable pour tout le monde, et on peut le monnayer dans son investissement. Les États-Unis procèdent de cette façon.

C’est le système dont je parlais un peu plus tôt. On peut parler des sommes, du montant, mais il faut mettre en place un système équitable, qui peut s’appliquer aux énergies renouvelables, au gaz naturel, à l’hydrogène, peu importe. C’est simple, c’est clair, et cela fait partie du régime fiscal. Il ne s’agit pas d’un autre programme de financement.

M. Cheliak : J’insiste sur le crédit d’impôt à la production. Cela présente un défi, car dans le contexte opérationnel dans lequel nous étions jusqu’à la venue de l’IRA, on refusait d’en instaurer un, puis on en a instauré un.

Quand on passe du crédit d’impôt à l’investissement au crédit d’impôt à la production, c’est toute la réflexion et les formalités administratives qu’il faut réorienter. C’est beaucoup de travail. Toutes les analyses qui ont été faites ne sont plus pertinentes en quelque sorte. Le système doit donc être agile. Et par système, j’entends le système bureaucratique et politique au Canada. Il doit être agile. Si on veut être concurrentiel et gagner, il faut être agile. Je pense qu’il faut miser beaucoup plus sur l’agilité et se dire que le monde a changé avec l’arrivée de l’IRA et ce genre de mesures. Qu’allons-nous faire? Procédons-nous à une réorientation ou non? Si nous ne le faisons pas, je pense qu’il faut être prêt à vivre avec les conséquences.

La sénatrice Galvez : Peut-on se permettre de ne pas se réorienter?

M. Larocque : Non. L’Europe vient d’emprunter cette voie la semaine dernière.

Le président : Nous avons demandé aux représentants du gouvernement, y compris au ministre, si, à la suite des changements apportés par notre principal concurrent, nous étions concurrentiels. Ils ont répondu par l’affirmative. Selon eux, l’annonce faite dans les commentaires prébudgétaires permettait d’adapter notre stratégie pour être concurrentiel.

Je crois comprendre que vous n’êtes pas d’accord avec cette réponse. Ai-je raison?

M. Larocque : Nous ne sommes pas d’accord, non. Nous avons eu beaucoup de discussions depuis l’Énoncé économique de l’automne à propos d’un investissement de 750 millions de dollars au Canada et de ce qui se passe aux États-Unis.

Je vais en parler à nouveau. Le gouvernement fédéral, dans le cadre du Règlement sur les combustibles propres, offre un crédit de carbone, mais ce qu’on ne comprenait pas, c’est que les compagnies américaines peuvent aussi y avoir accès. Une question liée au commerce transfrontalier a été mal comprise. Le gouvernement pensait que le crédit canadien équivalait à ce qui est prévu dans l’IRA, mais ce n’est pas le cas, car les compagnies américaines peuvent aussi avoir accès aux crédits canadiens. Ce sont les principales différences. Nous travaillons avec le gouvernement actuellement pour leur expliquer tous ces problèmes.

Le président : Vous travaillez avec le gouvernement pour corriger leur position voulant que nous soyons concurrentiels?

M. Larocque : Nous leur fournissons de l’information et des données pour leur montrer que ce n’est pas égal.

Le président : Est-ce qu’il écoute?

M. Larocque : Oui, mais c’est dans le budget de 2023 que nous verrons si le diable se cache dans les détails.

Le président : Quand saurons-nous si nous sommes concurrentiels? Parle-t-on de mois ou d’années?

M. Larocque : Le budget de 2023 éclairera beaucoup de gens de l’industrie qui sont autour de cette table.

Le président : J’espère que nous ferons la bonne chose, car nous n’aurons sans doute pas une deuxième chance.

Je vous remercie d’avoir été avec nous aujourd’hui. Nous avons beaucoup appris et avons beaucoup à apprendre. Il se pourrait bien que nous vous consultions à nouveau. Encore une fois merci de votre présence.

(La séance est levée.)

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