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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’ÉNERGIE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 14 février 2023

Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd’hui, à 18 h 32 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier de nouvelles questions concernant le mandat du comité.

La sénatrice Josée Verner (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La vice-présidente : Bonjour, honorables sénateurs. Je m’appelle Josée Verner, je suis une sénatrice du Québec et je suis vice-présidente du comité.

Aujourd’hui, nous tenons une séance du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles.

[Traduction]

Voici d’abord un rappel. Avant de prendre la parole, que les témoins et les membres présents dans la pièce évitent de se pencher pour s’approcher trop près du microphone ou, ce faisant, d’enlever leur écouteur. Ils préviendront ainsi une réaction acoustique dangereuse pour le personnel du comité qui est sur place.

[Français]

J’aimerais maintenant présenter les membres du comité qui participent à la réunion aujourd’hui : le sénateur David Arnot, de la Saskatchewan, le sénateur Clément Gignac, du Québec, la sénatrice Denise Batters, de la Saskatchewan, la sénatrice Mary Jane McCallum, du Manitoba, la sénatrice Julie Miville-Dechêne, du Québec et la sénatrice Karen Sorensen, de l’Alberta.

Je vous souhaite la bienvenue, chers collègues, ainsi qu’à tous les téléspectateurs de partout au pays qui regardent nos délibérations.

Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur l’industrie canadienne du pétrole et du gaz. Pour ce faire, nous accueillons, pour notre premier groupe de témoins, Mme Luisa Da Silva, cheffe de la direction de l’organisme Iron & Earth, et Mme Sylvia Plain, qui témoigne à titre personnel. Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie d’avoir accepté notre invitation.

Vous avez cinq minutes chacune pour faire votre allocution d’ouverture.

Nous allons commencer par Mme Da Silva, qui sera suivie de Mme Plain.

[Traduction]

Luisa Da Silva, cheffe de la direction, Iron and Earth Canada : Merci beaucoup.

La transition énergétique a commencé et elle se poursuivra pendant la génération actuelle de Canadiens et la suivante. Malgré les difficultés, elle offre aux travailleurs, aux collectivités, aux entreprises et aux entrepreneurs l’occasion d’en faire un moteur de prospérité. D’après une analyse de Business Renewables Centre Canada, le secteur des sources renouvelables aura construit, jusqu’en 2023, pour une valeur de 3,7 milliards de dollars et créé 4 500 emplois uniquement en Alberta, où abondent le pétrole et le gaz.

Canadian Natural, Cenovus Energy, ConocoPhillips, Imperial, MEG Energy et Suncor forment une alliance, Pathways Alliance, dont l’objectif est la carboneutralité de leurs opérations d’ici 2050. Le secteur est déjà positionné pour maîtriser le changement climatique. La transition exige non seulement des technologies, mais aussi des cerveaux pour créer des technologies nouvelles, les mettre en œuvre et veiller à leur entretien. En formant des installateurs et des entreteneurs de petites centrales solaires et éoliennes dans les communautés éloignées et autochtones, nous aidons à l’application de solutions favorables au climat.

Iron and Earth Canada a un rôle de premier plan dans la diffusion de solutions énergétiques durables dans les communautés parce que nous sommes la seule organisation non gouvernementale à offrir des solutions adaptables et subventionnées en matière de formation et de climat qui soient fondées sur les besoins des communautés ou des collectivités.

Les travailleurs des secteurs énergétiques traditionnels et ceux des secteurs des énergies durables ont des compétences interchangeables. Grâce à ses programmes de formation, de relèvement des compétences et à des travaux d’infrastructures, Iron and Earth est actif depuis sa fondation par des travailleurs en 2016. Il amplifie sensiblement ses programmes en 2023. Cette année, nous prévoyons prodiguer divers programmes de formation à plus de 2 000 travailleurs.

Les consultations nationales sur la loi à venir étaient importantes parce que les travailleurs et les collectivités les plus susceptibles d’être touchées par une transition vers des énergies renouvelables ont besoin d’être entendus. En notre qualité d’organisation nationale fondée par des travailleurs et maintenant son objectif de collaborer avec les collectivités, nous sommes mieux placés que les sociétés pétrolières et gazières et même que le gouvernement fédéral pour amener les collectivités à élaborer leurs propres solutions au problème climatique.

Chez Iron and Earth, des sondages d’Abacus montrent que 88 % des travailleurs du secteur des combustibles fossiles sont désireux de recevoir de la formation et d’améliorer leurs compétences pour participer à l’économie carboneutre, et, d’après le même sondage, ils étaient 80 % à appuyer un programme national de relèvement des compétences. Ces travailleurs ont besoin de mesures d’appui pour décider de réorienter leur carrière, trouver la formation conforme à leurs besoins et profiter d’un mentorat personnalisé. Quand la même industrie a toujours été son gagne-pain, que la famille et les amis, la collectivité et les collègues travaillent tous dans le pétrole et le gaz, mais qu’on est conscient de l’avenir et désireux de passer à un métier différent, ce soutien facilitera le saut. Le secteur du pétrole et du gaz n’est pas en mesure à lui seul — et n’en possède pas la mission — de faciliter le saut d’une collectivité ou d’un travailleur lambda. Il faut la collaboration de partenaires, y compris de l’industrie, d’organismes non gouvernementaux, des pouvoirs publics et d’associations sans but lucratif comme Iron and Earth.

En conclusion, ce sont les personnes et les collectivités, pas l’industrie, qui doivent savoir qu’on s’occupera d’elles pendant la transition vers des sources renouvelables d’énergie. Merci.

Sylvia Plain, à titre personnel : Bonjour. Je me nomme Sylvia Plain. Je suis une Anichinabée de la Première Nation d’Aamjiwnaang, du Sud-Ouest de l’Ontario. Je suis honorée d’être ici. Je tiens à dire chi-meegwetch, merci, à la sénatrice McCallum, qui m’a exhortée à raconter mon histoire et m’a appuyée dans mon intention de prendre la parole devant vous.

Beaucoup de mes concitoyens d’Aamjiwnaang auraient pu être ici, ce soir, parce qu’ils sont nombreux à œuvrer pour assurer un avenir plus sain et durable à notre communauté. J’espère que je ne trahirai pas leur pensée en évoquant certains des problèmes d’environnement et de santé que cause la pollution émise par les 62 usines pétrochimiques qui entourent notre communauté.

Ce que j’offrirai proviendra de mon vécu à Aamjiwnaang, tout en plaidant la cause de mes concitoyens et celle de nos droits de la personne humaine aux Nations unies. Je peux aussi offrir mes connaissances d’enseignante, de passeuse de connaissances et de praticienne dans un réseau d’autres passeuses et passeurs autochtones et d’anciennes et d’anciens de toute l’île de la Tortue.

Voici l’historique de notre communauté. La découverte du pétrole au Canada s’est faite sur nos territoires traditionnels dans les années 1850. Notre position sur la rivière Sainte-Claire et à l’embouchure du lac Huron, au croisement du Saint-Laurent et des routes qui, par le lac Huron, ouvrent les portes du Nord et de l’Ouest a contribué au choix de nos terres pour y implanter l’une des plus grandes raffineries canadiennes.

Avant d’entrer dans les détails démoralisants de la pollution de notre communauté, je tiens à dire que nous avons essayé de travailler en amont avec l’industrie en nous insérant dans l’économie verte au moyen de parcs éoliens et solaires et d’un parc de développement économique où nous louons des installations à certaines entreprises de la région. Tout n’est pas noir. Nous essayons de prévenir les coups, de créer des emplois et de produire des revenus pour nos concitoyens. Nous tenons à vous féliciter d’avoir, de votre propre initiative, saisi l’occasion, malgré des conditions si défavorables qui nous entraînent dans trois directions.

Voici des données qui datent de novembre 2021. Le ministère de l’Environnement, de la Protection de la nature et des Parcs de l’Ontario a présenté à des membres de notre communauté un aperçu de l’exposition d’Aamjiwnaang à des polluants atmosphériques. Les concentrations de benzène, de benzo[a]pyrène, de particules fines et de dioxyde de soufre étaient supérieures aux limites des normes canadiennes de qualité de l’air ambiant et des critères de qualité de l’air ambiant du ministère. Les émissions de benzène était 44 fois plus élevées que la limite de qualité de l’air ambiant; celles de benzo[a]pyrène, de 10 à 20 fois plus. Celles de 1,3-butadiène ont également atteint des valeurs élevées dans certaines parties de la région, tandis que la rivière Sainte-Claire, qui borde l’ouest de notre territoire, était très contaminée par le méthyl-mercure et reste un secteur préoccupant dans les eaux canado-américaines relevant de la Commission mixte internationale.

Nos concitoyens et leurs enfants qui s’adonnent à l’horticulture, à la pêche, à la chasse, au piégeage, à la cueillette de végétaux et de plantes médicinales, qui jouent au grand air et y pratiquent diverses activités, sont ainsi tous exposés aux dangers de la pollution émise dans l’air, rejetée dans l’eau et se retrouvant dans notre nourriture. Chez nous, il naît deux fois plus de filles que de garçons. À la naissance, nos enfants sont déjà pollués et continuent d’être exposés pendant les périodes décisives de leur développement. Certains naissent difformes, avec un pronostic de maladies respiratoires qui dureront toute leur vie, saignent régulièrement du nez, souffrent d’asthme, et, depuis peu, le cancer devient très inquiétant, en raison des fortes émissions de substances cancérogènes. En général, on nie à nos concitoyens l’exercice de leurs droits fondamentaux dès avant leur naissance et à toutes les étapes de leur vie.

Bref, mes concitoyens voudraient faire partie des tables de prise de décisions, être informés et être consultés sans retard et se faire verser le montant des amendes imposées aux pollueurs de la « vallée de la chimie ». De plus, nous voudrions que nos connaissances régionales, genrées et intergénérationnelles viennent appuyer, auprès de toutes les autorités, notre appui aux normes les plus rigoureuses de qualité de l’air et de l’eau, c’est-à-dire de l’environnement, et les normes relatives aux droits de la personne. Merci, meegwetch de m’avoir invitée et écoutée. J’espère qu’un jour je prendrai place parmi vous.

La vice-présidente : Merci beaucoup.

La sénatrice Sorensen : Madame Da Silva, je suis très désireuse de connaître votre modèle d’affaire, et, si vous me permettez de seulement développer certains éléments de ma question, je veux savoir comment il fonctionne. Je vois que vous êtes à Edmonton, mais je voudrais savoir si vous offrez vos services hors de l’Alberta. Je me rappelle vaguement que vous ayez dit depuis combien de temps vous étiez en affaires. Je veux également savoir comment l’idée en a germé. Le modèle d’une organisation indépendante de l’industrie et de l’État me plaît. Mais qui sont vos clients? Qui paie pour la formation? Vos clients sont-ils les entreprises et aident-ils leur propres salariés à recevoir de la formation ou bien est-ce un parcours personnel? Est-ce sur le tas, en classe ou les deux? Enfin, comment intègre-t-on véritablement les travailleurs autochtones dans cette transition et dans la formation?

Mme Da Silva : Merci pour la question.

La sénatrice Sorensen : J’en avais quelques-unes, mais je les ai groupées thématiquement.

Mme Da Silva : J’essaierai de répondre à toutes et si j’en omets une, veuillez me le signaler.

Notre organisation est dispersée dans tout le Canada. Elle l’était même avant la pandémie. Officiellement, nous sommes basés à Edmonton, mais nous offrons nos services partout. L’été dernier, par exemple, nous donnions dans le Nunatsiavut, sur la côte est de Terre-Neuve, de la formation à de jeunes Inuits sur les rudiments du solaire utiles à la communauté, dans l’espoir qu’ils iront plus loin et acquerront des compétences parce qu’il leur est difficile d’en obtenir ou d’obtenir des micro-unités d’enseignement à l’extérieur. Voilà pourquoi c’est offert partout au Canada.

Nous en profitons particulièrement, et c’est intéressant pour les travailleurs autochtones parce que nous nous rendons dans les communautés — souvent autochtones — et constatons les besoins de ces communautés. Si la communauté nous demande de partir, nous acquiesçons, et c’est parfait ainsi, mais, habituellement, nous sommes invités. Elles cherchent à diversifier leur sources d’énergie. Souvent, elles sont très dépendantes, peut-être, du combustible diesel, ou elles ne disposent pas de suffisamment d’énergie pour que leurs membres circulent sur leur territoire. En même temps que cette diversification, qui, dans le passé, prenait la forme de panneaux solaires ou de turbines éoliennes, nous leur fournissons aussi de la formation sur place. Elles en profitent là. Nous impulsons ainsi l’idée d’emplois et de communautés durables, parce qu’on ne s’en éloigne pas pour trouver ces emplois.

Qui paie? Jusqu’ici, notre modèle a reposé sur des fondations. L’un de nos plus anciens bailleurs de fonds est également Suncor. Le gouvernement du Canada nous a octroyé une subvention assez généreuse, cette année, que nous devons passer sous silence tant qu’il ne nous aura pas autorisés à en parler. Elle nous permet, cette année, de vraiment élargir notre programme à des milliers de bénéficiaires.

2016 est l’année de notre fondation. Nos fondateurs étaient des travailleurs du secteur des sables bitumineux, bien conscients de sa fin annoncée. Ils étaient préoccupés par le changement climatique en cours ou la disparition de 100 000 emplois en deux ans, à l’époque, dans le cycle d’expansion et de ralentissement dans lequel ils se trouvaient enfermés. Ils voulaient prospérer dans leur carrière et nourrir leurs familles. En période de flambée, tout va bien, mais en période de marasme, on a le choix de soit attendre l’embellie, soit partir et faire autre chose ou accepter des tâches ingrates. Mais, dans tous les cas, l’industrie perd des talents, c’est l’exode des cerveaux.

Notre modèle consiste à prodiguer la formation sur place, dans les communautés. Il prévoit cinq jours de cours magistraux et cinq jours de formation pratique. Il apporte ses infrastructures — les communautés font elles-mêmes l’installation, conservant les compétences acquises. Nous avons vu que les personnes ayant acquis les aptitudes prennent la relève et travaillent soit dans cette industrie, soit dans une entreprise qu’elles créent en leur qualité d’entrepreneurs. Nous nouons des partenariats avec des syndicats et d’autres dispensateurs de formation. Nous voulons être aptes à répondre aux besoins et à saisir le créneau qui est hors de portée pour d’autres et nous sommes disposés à accomplir la lourde tâche nécessaire pour faire avancer les choses.

La sénatrice Sorensen : Merci. Vous avez répondu à tout et parfois très généreusement.

Mme Da Silva : Je vous en prie.

Le sénateur Arnot : Merci. C’est seulement pour une question complémentaire et une question à Mme Da Silva. Vous occupez un créneau important, béant. Chez les 2 000 personnes qui recevront votre formation cette année, quelles compétences ou aptitudes se distinguent? Qui se charge de le faire? Quelles tendances percevez-vous? Quelles énergies, d’après vous ou les entreprises, donneront du travail à leurs salariés? Vous concertez-vous avec ces employeurs? D’où viennent vos formateurs?

Mme Da Silva : Merci. Nous travaillons sur un modèle communautaire. C’est donc pour la communauté, par la communauté. Nous déterminons les compétences dont l’industrie a besoin et nous sommes en rapport avec elle pour les discerner et localiser les éventuels besoins. Nous avons ainsi appris que ses besoins évoluent très rapidement. Parfois, elle peut les avoir reconnus depuis plus d’un an. Elle les connaît. D’une certaine manière, c’est une cible en mouvement. Voilà pourquoi le mieux est de rechercher des compétences pratiques et de s’en servir pour combler le besoin.

Nous constatons que beaucoup de candidats possèdent ces compétences de base pour entrer dans l’économie carboneutre, mais ce qui leur manque, c’est les occasions à saisir. C’est une manière de cycle. Les occasions manquent parce que, peut-être, on n’investit pas assez dans tel secteur qui, par ailleurs connaît une croissance vigoureuse. La demande augmente donc beaucoup. Nos conversations avec les employeurs nous permettent de distinguer ces besoins à combler.

Les salariés peuvent provenir des communautés. Ils peuvent être des chercheurs d’emploi ou d’anciens syndiqués. Nous avons eu des conversations avec un syndicat, par exemple, dans un secteur où la main-d’œuvre ne manque pas, mais qui ne peut pas financer les subventions salariales qui seraient destinées à ces personnes pour que les employeurs leur offrent des emplois.

Nous travaillons aussi précisément avec des employeurs. Lorsqu’un employeur cherche à travailler avec une collectivité avec laquelle nous travaillons déjà et à laquelle nous offrons des séances de formation, nous pouvons communiquer à l’employeur les besoins de la collectivité, si la collectivité souhaite la présence de cet employeur. De nombreuses solutions différentes peuvent être proposées aux collectivités. Parfois, la prochaine solution est celle qui permettra de régler tous leurs problèmes. Il arrive que la collectivité ne le voie pas ainsi, contrairement à l’employeur.

En ce qui a trait aux tendances que nous observons, je peux vous dire que la demande est énorme actuellement pour les énergies solaire et éolienne. Il y a également une demande pour l’hydrogène. Par exemple, nous travaillons à Hinton, en Alberta, où on a recours à la géothermie. Nous allons peut-être commencer à travailler avec Fort Nelson, où on utilise aussi la géothermie. De nombreuses collectivités cherchent à diversifier leurs sources d’énergie. Elles ont besoin d’énergie. Les entreprises constatent cette demande, qui implique la construction d’installations, mais elles manquent d’employeurs qualifiés. Certains travailleurs ne voient pas comment appliquer leurs compétences dans ce nouveau secteur ou ils ne savent tout simplement pas quels emplois s’offrent à eux dans ce nouveau secteur. Voilà les trois lacunes et les tendances que nous observons. Est-ce que j’ai répondu à toutes vos questions?

Le sénateur Arnot : Oui, c’est bien. Parmi les personnes qui ont été formées, je présume qu’une forte proportion d’entre elles se font embaucher. Est-ce que vous vérifiez cela?

Mme Da Silva : Lorsque des employeurs sont présents dans la région, ils embauchent des personnes sur place. C’est ce que nous observons dans les collectivités avec lesquelles nous travaillons. Par exemple, l’an dernier, nous avons réalisé un projet à Maskwacis, en Alberta, et l’entreprise SkyFire voulait engager ces personnes. Il en a été de même dans le cadre du projet que nous avons mené à Taber, en Alberta, avec RenuWell, qui s’occupe de reconvertir des puits de forage abandonnés. L’entreprise souhaitait elle aussi embaucher des gens sur place. Les entreprises manquent énormément de travailleurs qualifiés, mais les travailleurs peuvent acquérir les compétences recherchées, soit en se perfectionnant, soit en ayant l’occasion de travailler avec l’employeur pour acquérir ces compétences pratiques.

Le sénateur Arnot : Je vous remercie beaucoup.

Mme Da Silva : De rien. Merci.

La sénatrice Miville-Dechêne : Ma question s’adresse à Sylvia Plain. Je vous remercie tout d’abord pour votre présence et pour votre exposé. J’ai été stupéfaite d’apprendre qu’il y a 63 usines pétrochimiques dans les environs de votre collectivité. C’est beaucoup. Je sais que vous êtes une experte-conseil en environnement et que vous vous intéressez à cette question.

Avez-vous observé des améliorations en ce qui a trait aux déchets et à la pollution produits par les usines près de chez vous? Avez-vous vu des changements? Vous avez des discussions aux plus hauts niveaux à propos de la situation. Notre comité tente de déterminer quelle forme prendra la transition et comment nous pouvons assainir l’environnement. Y a-t-il des initiatives qui fonctionnent? Avez-vous obtenu de bons résultats ou des résultats relativement satisfaisants?

Mme Plain : Quelques membres de notre collectivité ont intenté une poursuite contre la province de l’Ontario, car c’était une façon d’attirer l’attention sur l’importance de la question. L’industrie et la province ont déclaré qu’elles allaient modifier leurs façons de faire et la réglementation, et qu’elles allaient s’efforcer de réduire au minimum la pollution. Cette promesse a calmé le jeu pendant un certain temps, mais, même si les petits caractères comportent certains éléments, la réglementation n’est pas nécessairement suffisante.

Par exemple, nous pourrions percevoir davantage d’amendes. Les entreprises reçoivent peut-être une tape sur les doigts, mais est-ce qu’elles doivent rendre des comptes? Est-ce que toutes les amendes sont perçues? Non. Y a-t-il des améliorations? Nous le verrions chez les gens s’il y en avait. La situation est tellement grave qu’elle est devenue un enjeu des droits de la personne. C’est ce que j’ai fait valoir aux Nations unies. C’est ainsi que je dois présenter la situation, car nous ne pouvons pas obtenir les données auprès de l’industrie ni auprès de la province. On a commencé à installer la technologie servant à recueillir ces données, mais nous n’avons pas la capacité nécessaire pour analyser les données quotidiennement, alors, nous ne disposons pas du portrait complet. Nous sommes vraiment en mode réactif plutôt que proactif.

Ce qui serait normal, en ce qui a trait à notre santé, serait de pouvoir boire l’eau dans notre territoire, de pouvoir être à l’extérieur sans avoir de saignements de nez et de ne pas subir des évacuations en raison de déversements ou de flammes de torchage trop intenses. Nous sommes constamment sur un pied d’alerte. De nombreux facteurs peuvent être invoqués pour dire que les choses vont bien, mais, en réalité, nous craignons pour nos vies. Nous ne pouvons pas faire confiance à l’industrie ni au gouvernement, et nous savons qu’on nous cache des choses. Nous ne recevons pas toutes les données.

La sénatrice Miville-Dechêne : Vous ne pouvez pas boire l’eau du robinet?

Mme Plain : Oui, nous pouvons la boire, car nous sommes reliés à l’aqueduc de la municipalité, mais nous doutons de la salubrité des aliments cultivés dans le sol. Est-ce que l’eau souterraine est propre? Comme je l’ai dit, on a trouvé du méthylmercure dans les sédiments de la rivière Sainte-Claire. Pendant longtemps, on a laissé les entreprises en déverser dans cette rivière. La situation s’est améliorée, mais que sait-on? Peut-être que la génération de mon père a été exposée au mercure en consommant du poisson. Pendant longtemps, on nous a dit de ne consommer qu’une certaine quantité de poisson. La situation s’est améliorée grâce à la Commission mixte internationale et à l’Accord Canada-Ontario sur la qualité de l’eau. Il y a eu des améliorations au chapitre de l’eau, mais en ce qui a trait à la qualité de l’air et aux émissions, il y a certes place à l’amélioration. Il faudra que quelqu’un dans les officines exige des comptes de la part de ces entreprises. C’est la seule chose à faire. Autrement, elles ne font rien, et nous nous retrouvons dans la situation actuelle.

La sénatrice Miville-Dechêne : Quelle est la taille de votre collectivité? Je ne viens pas de l’Ontario.

Mme Plain : Je ne connais pas sa taille précise, mais je peux vous dire que nous sommes une très petite collectivité. Sur le plan du territoire, il fût un temps, en vertu des traités originaux, où notre territoire s’étendait pratiquement jusqu’à Goderich, jusqu’à London et jusqu’à Chatham. Aussi, en vertu du Traité de Détroit que nous avons signé, nous possédons un territoire de l’autre côté de la frontière, mais nous sommes confinés à l’intérieur de limites restreintes en raison d’une série de traités. Ces limites définies dans ces traités sont en réalité établies par l’industrie. Nous avons la rivière à l’ouest, puis trois autres limites, dans les autres directions. C’est un carré. Nous sommes aux frontières de la ville. C’est une très petite collectivité.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous remercie beaucoup.

[Français]

Le sénateur Gignac : Je vais parler lentement en français pour faciliter le travail de nos excellents interprètes. Ma question s’adresse à Mme Da Silva. Votre mission et le travail que vous faites sont très importants. Il n’y a aucun doute, avec 180 000 travailleurs qui font partie de l’industrie canadienne du pétrole et du gaz et avec la transition énergétique, que ce sont des défis importants et qu’il ne faut absolument pas perdre l’expertise développée par nos travailleurs.

Dans la région de Montréal, il y a eu une grande restructuration de l’économie; dans les années 1970, il y avait six raffineries, dont quatre ont fermé en peu de temps au début des 1980. En 2009, lorsque j’étais ministre du Développement économique du Québec, j’ai dû composer avec la compagnie Shell et rencontrer les travailleurs afin de les requalifier à la suite de la fermeture de la raffinerie.

Vous dites que votre organisation est principalement financée par le gouvernement fédéral. Je serais curieux de savoir ce que les provinces font, surtout au Québec, pour accompagner la formation de la main-d’œuvre, étant donné que la requalification est un programme provincial. Je ne suis pas tout à fait au courant de ce qui se passe dans les autres provinces, comme l’Alberta par exemple. Donc, au-delà du financement fédéral, avez-vous des contacts avec les provinces, ou les provinces sont-elles vos partenaires actuels ou futurs?

[Traduction]

Mme Da Silva : Merci pour votre question.

En ce qui a trait à notre financement, c’est cette année que nous bénéficions d’une somme assez considérable provenant du gouvernement fédéral. Au cours des années précédentes, l’ensemble de notre travail était financé par des fondations, des sociétés, des banques, etc.

Nous cherchons à travailler avec les provinces pour offrir des possibilités de formation, cerner les lacunes sur le plan des compétences des travailleurs et déterminer comment ils peuvent se perfectionner afin de participer à cette économie. Nous avons eu des discussions avec différentes provinces, notamment la Colombie-Britannique. Nous cherchons à travailler avec d’autres provinces. Nous ne nous sommes pas adressés au Québec, mais ce n’est pas parce que nous ne voulons pas le faire, c’est parce que nous n’en avons pas encore eu l’occasion. C’est une occasion que nous aimerions bien avoir. Une invitation à discuter avec le Québec serait la bienvenue.

Il est très important que le perfectionnement et la formation soient offerts à tous les échelons, à savoir municipal, provincial et fédéral. Nous l’avons très clairement constaté dans le cadre de notre projet RenuWell, qui visait à reconvertir des puits de forage abandonnés en vue de produire de l’énergie renouvelable. Environ 10 % de ces puits peuvent être reconvertis, par exemple, en sites de production d’énergie solaire ou éolienne. Le principal obstacle auquel nous avons fait face était en fait d’ordre municipal, car les terrains sont gérés par les municipalités. Si cela est offert au sein des trois ordres de gouvernement, il y aura moins d’obstacles à surmonter dans ce domaine.

Je serais donc heureuse d’avoir cette occasion.

La sénatrice McCallum : Je veux mettre les choses en perspective. Nous accueillons deux témoins qui sont pratiquement à l’opposé. L’une peut se concentrer sur une transition juste, l’autre nous parle d’un manque de respect des droits fondamentaux de la personne... une situation qui se perpétue.

Ma question s’adresse à Mme Plain. Pourriez-vous transmettre d’autres documents au comité, afin que notre rapport en fasse état ainsi que de ce qui s’est passé? Lorsque nous examinons les dangers — la contamination de l’air, de l’eau et de la terre et ses conséquences sur les gens —, nous observons un environnement vulnérable, et c’est la base de vos propos. Vous êtes dans une situation de déficit, alors, vous essayez de vous battre pour vos besoins de base et, en même temps, pour ne pas être laissés pour compte dans cette transition juste ou pour tirer parti des ressources là-bas.

Compte tenu de cela, quelle est votre relation avec le secteur de l’énergie et êtes-vous en mesure d’établir des partenariats avec lui? Je sais que vous en avez parlé un peu. D’où proviennent les ressources pour mener ce combat et pour aller plus loin?

Quelles recommandations feriez-vous au comité et que vous aimeriez voir dans le rapport? S’il y en a d’autres qui vous viennent en tête ultérieurement, n’hésitez pas à nous les transmettre.

Mme Plain : Tout à fait. Je peux vous transmettre des documents. J’ai eu peu de temps pour me préparer, alors, si je pouvais bénéficier de quelques jours ou d’une semaine de plus, selon votre échéance, ce serait utile pour pouvoir vous faire parvenir d’autres documents à titre de référence.

Comme nous avons une société de développement économique, nous sommes en mesure d’établir des partenariats, ce qui nous offre davantage d’occasions d’offrir de la formation aux membres de la collectivité pour leur permettre de participer à l’économie verte. Comme je l’ai dit, nous sommes propriétaires à hauteur de 51 % d’un parc éolien et d’une centrale solaire, donc nous pouvons compter sur des gens qui ont une expérience dans ces domaines, et qui sont aussi en mesure de donner de la formation, grâce à du financement.

Il y a le Collège Lambton, qui joue un rôle de premier plan en matière de recherche et de formation pour l’industrie. Je sais qu’il essaie de procéder à la transition vers les nouvelles technologies et l’industrie verte.

Ce collège a créé des places supplémentaires pour permettre à des membres de la nation Aamjiwnaang d’y suivre des cours ou de suivre une voie particulière s’ils n’ont pas les préalables requis. Je sais que des membres de notre collectivité veulent contribuer à l’industrie. Ils veulent protéger notre territoire. Notre collectivité compte de nombreux opérateurs, menuisiers et ingénieurs.

Dans ma jeunesse, j’ai bénéficié de l’argent généré par l’industrie du raffinage. C’est pourquoi je suis ici. Mon père est ingénieur. Il a travaillé comme consultant auprès d’un grand nombre d’entreprises de cette industrie. Beaucoup de membres de ma famille sont des opérateurs, des travailleurs de quarts et des travailleurs de la santé. C’est l’industrie qui fournit le plus d’emplois dans notre région. Elle est donc très présente, mais est-ce qu’elle nous offre des possibilités?

Certaines des entreprises offrent des bourses d’études, mais qui ne sont pas très généreuses. Ces bourses devraient être beaucoup plus importantes. Il devrait y avoir aussi davantage de voies. Dans le cadre de certains partenariats avec différents collèges, des cours de formation sont offerts sur place, dans la réserve, de sorte que les gens n’ont pas à aller à l’extérieur. Ils peuvent notamment opter pour l’apprentissage coopératif. Il existe de nombreuses options permettant aux gens de rester sur place. C’est très encourageant.

Nous voulons, en effet, prendre part à cette industrie. Comme je l’ai dit, nous obtenons des fonds de l’industrie. Si vous vous promenez en voiture dans notre communauté, vous verrez souvent sur les immeubles l’inscription « Financé par l’entreprise X ». C’est l’une de nos principales sources de financement. Elle donne pour se déculpabiliser. Elle offre de l’argent pour un immeuble ou une bourse, plutôt que de verser les millions ou les milliards de dollars nécessaires pour nettoyer et investir dans de nouvelles sources d’énergie.

On pourrait faire tellement plus. On pourrait, en particulier, faire valoir les professions dans le domaine de la santé. Nous avons besoin de gens sur les sites pour dire « Voici les répercussions sur la santé. Je connais ces gens, je suis à l’aise avec eux et je peux travailler avec eux. » Quels postes peuvent occuper ces gens dans les hôpitaux ou sur les sites?

Mes recommandations concernent la formation, la gestion et la présence à la table. En somme, il faut nous permettre de transmettre notre savoir autochtone. Nous sommes les gardiens des terres depuis de nombreuses générations. Les connaissances ont été transmises de génération en génération.

Nous avons vu les répercussions des changements climatiques et la dégradation de nos terres. En face de notre réserve est située une aire de conservation, mais on y trouve des espèces envahissantes. Elle a été conçue de façon esthétique pour les gens de la ville, mais il aurait été bénéfique d’y avoir nos plantes et nos matériaux traditionnels pour les artistes qui en dépendent pour se faire un revenu. Un grand nombre de ces choses ont été éliminées — nos marais, nos rivières, nos étangs — pour faire place à des terres agricoles.

Dans le comté de Lambton, la partie la plus verte se trouve majoritairement dans notre réserve. Nous savions qu’il fallait préserver la nature et que les couvertures végétales nous sauveraient. Nous savions que c’était bénéfique pour la santé.

Les membres de notre collectivité possèdent de nombreuses connaissances, même s’ils ne détiennent aucun diplôme ou titre de compétence occidental. Certains sont des scientifiques. Ces praticiens de la collectivité et du territoire bénéficient du savoir intergénérationnel, qu’ils peuvent transmettre à la table décisionnelle.

Il serait fantastique d’investir dans la promotion du savoir autochtone et de donner les moyens à nos gens de contribuer. J’estime que nous avons des solutions à un grand nombre des problèmes. Nous luttons pour le respect de nos droits de la personne, alors que nous pourrions faire beaucoup plus. Nous sommes des gens novateurs. Nous embrassons la diversité et nous voulons contribuer à résoudre les problèmes.

Je voudrais vraiment qu’on fasse la promotion de notre savoir autochtone.

La sénatrice McCallum : Merci.

La sénatrice Batters : Je vous remercie toutes les deux pour votre présence. Je suis certaine que ce serait tout à fait correct, madame Plain, si vous transmettiez des documents au comité dans les prochains jours ou dans une semaine, car nous allons poursuivre cette étude pendant un certain temps encore. Je vous remercie d’avoir accepté. Je suis certaine qu’il n’y aura pas de problème.

Ma question s’adresse à Mme Da Silva. Dans le cadre d’une autre étude qu’a menée le comité antérieurement, il a entendu Jerry DeMarco, le commissaire à l’environnement et au développement durable. Il a présenté au comité son plus récent rapport de vérification portant sur le ministère des Ressources naturelles et le ministère de l’Environnement et du Changement climatique. Il a exprimé d’importantes préoccupations dans son rapport, soulignant que les deux ministères travaillent en vase clos et qu’ils utilisent des méthodes de modélisation, des cibles et des définitions différentes.

Il a dit ceci:

Environnement et Changement climatique Canada s’attendait à atteindre une réduction de 15 mégatonnes d’équivalent en dioxyde de carbone en 2030, tandis que Ressources naturelles Canada s’attendait à une réduction allant jusqu’à 45 mégatonnes d’ici 2030.

Êtes-vous préoccupée par cette approche incohérente? Dans quelle mesure pouvons-nous prendre au sérieux ces prévisions gouvernementales de réduction des émissions quand les ministères ne sont même pas sur la même longueur d’onde?

Mme Da Silva : Ces réductions d’émissions peuvent varier selon le modèle utilisé. Le fait que ces deux ministères travaillent en vase clos peut poser un problème lorsqu’on tente de réaliser des progrès. C’est pourquoi le nouveau projet de loi, attendu depuis très longtemps — il s’appelait auparavant le projet de loi sur une transition juste, mais il s’agit maintenant, je crois, du projet de loi sur les emplois durables — doit être mis de l’avant, car nous prévoyons qu’il faudra unir nos voix pour que cet enjeu soit placé au cœur du travail d’un ministère, d’un comité ou d’une autre entité et non seulement d’un organe d’un ministère en particulier.

Il s’agit d’un enjeu vital — lutter contre les changements climatiques, ou le dérèglement climatique, comme j’ai déjà entendu dire —, et il faut reconnaître que nous devons prendre des mesures maintenant pour nous assurer de réduire les émissions d’ici 2030 afin d’avoir un effet important.

C’est essentiel pour la croissance économique. C’est essentiel pour la viabilité de notre pays et pour demeurer concurrentiels dans le marché mondial. Nous devons reconnaître les connaissances que possèdent déjà les travailleurs dans nos collectivités.

J’aimerais aussi revenir sur les propos de ma collègue au sujet du savoir autochtone. Nous tentons de l’inclure dans les formations que nous offrons dans les collectivités, en faisant appel à une personne autochtone, souvent un aîné qui transmet ce savoir autochtone.

Il doit y avoir une voix unie, et cette unité doit partir du terrain vers les hautes sphères. C’est de cette manière que nous obtiendrons des données communes que nous pourrons utiliser pour établir des cibles claires.

La sénatrice Batters : Selon vous, la future loi encouragera-t-elle les deux ministères à s’entendre sur une conception commune de la cible de réduction des émissions? Je m’apprête à vous poser une question à laquelle les deux ministères fédéraux sont en fait incapables de répondre. Quelle est la cible la plus réaliste, à votre avis, entre les 15 mégatonnes d’ici 2030 ou les 45 mégatonnes d’ici 2030?

Mme Da Silva : Le caractère réaliste des cibles dépend en grande partie de l’approche que va adopter le Canada. Si nous n’approuvons plus de projets d’exploitation des combustibles fossiles — conformément à l’exigence énoncée par le GIEC pour que les températures mondiales restent sous la barre du 1,5 oC — et que nous éliminons les processus d’approbation pour les projets comme Bay du Nord tout en affectant par contre des fonds aux projets d’énergie renouvelable et aux projets dont nous savons qu’ils peuvent produire les gigawatts dont le Canada a besoin, il est difficile pour moi de dire quelle est la cible la plus réaliste, car nous ne pouvons pas prédire ce qui pourrait être encore approuvé dans l’avenir. J’espère que la future loi nous aidera à répondre à ce type de question et à obtenir des réponses concertées.

Le sénateur Arnot : Madame Plain, vous avez raconté une histoire qui renferme beaucoup de dénominateurs communs avec des récits que le comité a entendus avant mon arrivée. Vous avez parlé de la pollution de l’air, de l’eau et du sol dans la communauté. Vous nous dites — et je ne mets pas en doute vos propos — que cette pollution est une violation des droits de la personne, des droits des Autochtones et des droits issus des traités. Le gouvernement fédéral a une obligation fiduciaire envers vous et votre communauté.

Que font les dirigeants politiques ou qu’ont-ils fait dans le passé pour défendre ces droits? Que se passe-t-il dans la communauté pour que ces choses arrivent sans que personne ne les voie ou y remédie?

Je ne saisis pas tout le contexte de ce que vous dénoncez. J’aimerais que vous m’en disiez plus à ce sujet. Par exemple, les dirigeants politiques protègent-ils ces droits?

Mme Plain : Oui. Je veux être claire. Je ne suis pas une élue. Je respecte énormément les personnes qui ont été reconnues, nommées et élues par les membres de la communauté pour défendre les droits issus des différents traités qui se chevauchent. Le Traité 45.5, relativement gros, nous a donné des terres jusqu’à Goderich. Il n’a pas été contesté comme l’a été le Traité Robinson-Huron sur l’aspect des paiements au titre des traités. Cet argument n’a pas été invoqué, mais je ne veux pas parler au nom des dirigeants en disant qu’ils ne l’ont pas utilisé. Cela dit, de mon point de vue personnel et professionnel, j’estime que nous pourrions en faire plus.

Par contre, c’est très intimidant de s’opposer à ces sociétés multimilliardaires, qui pourraient amener la communauté à épuiser toutes ses ressources. Nous devons entrer dans le rang pour conserver les emplois et le financement que nous donnent ces multinationales. Si je veux aller devant les Nations unies ou ailleurs, ce sont habituellement les chercheurs et les universités qui sont prêts à nous financer ou à nous fournir d’autres formes de soutien.

J’ai l’impression que ces personnes et ces établissements ont moins peur de contester, de dénoncer ou de faire appel au gouvernement. Les médias agissent également parfois comme des alliés lorsqu’ils demandent au gouvernement de fournir des données ou de les valider.

Moi aussi, je m’interroge sur le Traité de Detroit, dont nous sommes signataires. Je sais que les parties au traité sont aux États-Unis, mais, encore une fois, j’ai l’impression qu’il y a plus de possibilités. Nous n’avons pas encore eu cette conversation.

Il y a d’énormes possibilités, mais nos ressources financières sont très limitées. Nous devenons plus forts, mais ce serait merveilleux d’accroître nos actifs. Ce sont ces traités qui nous ont permis d’établir des partenariats dans le secteur de l’énergie solaire et éolienne. Nous pouvons établir des partenariats avec d’autres sociétés.

Je constate que les choses ont débloqué, mais nous n’avons pas encore obtenu l’argent qui nous est dû et les entreprises ne sont pas encore tenues responsables des dommages qu’elles causent. Nous faisons ce que nous pouvons, mais si nous avions plus de fonds, nous pourrions intenter davantage de poursuites ou aller devant la Commission des droits de la personne. J’ai dû m’autofinancer pour aller devant les Nations unies. Si mon poste était financé à temps plein, je pourrais poursuivre ce travail.

Je ne pense pas que le gouvernement perçoive vraiment ces amendes et qu’il les réinvestit dans la communauté. Si c’était le cas, nous pourrions faire beaucoup plus de choses.

Comme je l’ai dit, il existe, par contre, divers traités qui nous limitent. Si ces traités avaient été signés aujourd’hui, les plans de gestion des terres n’auraient par permis aux entreprises de s’établir comme elles l’ont fait. Beaucoup de zones d’ombre n’ont pas été examinées. Nos dirigeants n’auraient pas choisi ce qui équivaut pour nous à la peine de mort. Ils n’auraient pas voulu que nous soyons encerclés par des usines.

Le fait de ne pas pouvoir obtenir les données n’est pas encourageant. Comme nous le répétons depuis des décennies, la question des données va de mal en pis. Nous ne sommes pas écoutés. Nous avons été réduits au silence et infantilisés, alors que nous devrions assumer plus de responsabilités, obtenir plus de financement et occuper plus de sièges à la table des décisions.

C’est tout ce que je peux dire sur le contexte. Je comparais à titre personnel, mais j’espère que nos dirigeants élus seront eux aussi invités un jour. Je fais partie d’une lignée qui honore encore ses rôles et ses responsabilités ancestrales. Nous nous levons malgré tout chaque jour pour servir les membres de la communauté.

J’encouragerais tous les ordres de gouvernement et les comités à rencontrer nos élus.

La vice-présidente : Merci énormément aux témoins de leur participation aujourd’hui.

[Français]

Chers collègues, pour notre deuxième groupe de témoins, nous accueillons Serge Dupont, conseiller principal chez Bennett Jones s.r.l., Andrew Leach, professeur à l’Université de l’Alberta, ainsi que Dan Wicklum, coprésident du Groupe consultatif pour la carboneutralité du Canada.

Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie d’avoir accepté notre invitation. Vous avez chacun cinq minutes pour faire votre allocution d’ouverture et nous allons commencer par M. Dupont suivi par M. Leach et M. Wicklum. Monsieur Dupont, la parole est à vous.

Serge Dupont, conseiller principal, Bennett Jones s.r.l. : Merci, madame la présidente. Mon point de vue sur la question qui vous intéresse découle de mon expérience passée, notamment comme sous-ministre des Ressources naturelles, comme sous-ministre auprès de la vice-présidente de ce comité il y a quelques années déjà et dans mon travail actuel auprès d’organisations engagées dans la transition énergétique.

Votre sujet est vaste et il a plusieurs dimensions. Je me contenterai, en cinq minutes, de vous fournir quelques données et de partager certains points de vue. Je ferai référence à une présentation qui vous a été distribuée dans les deux langues officielles. Tout d’abord, sachant que les changements climatiques sont le défi de notre génération, le point de départ pour le Canada, qui est évoqué à la page 2 de la présentation, est un avantage énergétique important.

C’est peut-être un trait singulièrement canadien de considérer parfois que notre potentiel énergétique est un handicap. Comparons avec l’Europe actuellement. Avec la hausse des prix entraînée par la guerre en Ukraine et le besoin pour l’Europe de diversifier ses approvisionnements, le continent accuse un déficit commercial dans le secteur de l’énergie d’environ 4 % de son PIB. Pour le Canada, à la fin de 2022, on parle plutôt d’un surplus d’environ 6 % du PIB. On parle donc d’un avantage par rapport à l’Union européenne qui fluctue avec les prix de l’énergie, à environ 10 % du PIB. Nos recettes d’exportation contribuent à des salaires pour les travailleurs, des bénéfices pour les entreprises, des gains pour les actionnaires et des revenus accrus pour nos gouvernements. C’est surtout, pour notre avenir énergétique, une source possible de capital pour l’investissement.

De fait, on peut le lire à la page 3, pour réaliser les pleins bénéfices de notre avantage énergétique et pour prendre le virage qu’imposent les changements climatiques, il est impératif de canaliser ce capital et ces revenus d’exportation vers l’investissement. Tout d’abord, pour transformer l’industrie de l’énergie afin qu’elle soit durable et compétitive. Cela peut comprendre des investissements pour répondre aux besoins de nos partenaires mondiaux, par exemple, pour le gaz naturel liquéfié. On doit surtout décarboner notre production de pétrole et de gaz, y compris les sables bitumineux, et développer les énergies de l’avenir.

De plus, on ne doit pas oublier notre propre marché intérieur et l’occasion que nous avons, d’abord de mettre à profit la sécurité de nos approvisionnements pour le développement économique chez nous, puis d’accélérer notre propre transition énergétique comme consommateurs d’énergie au moyen de l’électrification, par exemple.

Pour mobiliser les investissements nécessaires, nous devons plus particulièrement revoir la réglementation des grands projets pour qu’ils puissent mieux guider la transition énergétique, et non entraver la réalisation de ces projets dans de bonnes conditions. Autrement, on sera incapable d’atteindre nos cibles à la fois climatiques et économiques.

[Traduction]

Pour l’heure, à l’échelle de l’économie au pays — sans contredit dans le secteur de l’énergie, mais sans s’y limiter —, les investissements se situent sous la normale. Les investissements privés non résidentiels sont à un creux historique comparativement aux investissements des partenaires mondiaux et à ce qui constitue aujourd’hui un rendement solide dans le secteur privé. Pour combler cet écart, les investissements doivent être élevés au rang de priorité nationale au moyen d’une collaboration solide entre le privé et le public.

Dans un rapport sur les perspectives économiques produit par notre cabinet, Bennett Jones, en collaboration avec notre collègue David Dodge, nous avons établi un objectif théorique pour les investissements non résidentiels dans les secteurs public et privé — le gouvernement et les entreprises — de 17 % du PIB avant 2030 comparativement à environ 14,5 % du PIB en 2022. Le seul fait de retourner à la moyenne historique de 15,6 % du PIB représenterait environ un point du PIB. Je parle des investissements totaux dans l’économie, et non pas seulement dans le secteur de l’énergie. Je veux simplement contextualiser la question des investissements.

Pour nous rapprocher des cibles climatiques du Canada, nous estimons que des investissements supplémentaires d’environ 1,5 % du PIB devraient être injectés dans l’économie de manière soutenue pendant plusieurs années. La variation totale par rapport au rendement enregistré au Canada en 2022 se traduirait en chiffres par des investissements supplémentaires d’environ 80 milliards de dollars qui devront être injectés chaque année dans l’économie canadienne.

[Français]

À la page 6, on parle de la question de la réglementation. C’est une pierre d’achoppement pour beaucoup d’investisseurs, un facteur d’incertitude et une source de coûts parfois prohibitifs. Dans une publication avec mes collègues de Bennett Jones, nous avons énoncé certaines des qualités nécessaires d’un régime réglementaire mieux adapté et plus efficace qui comprend aussi des normes environnementales et sociales élevées. Je cite ce qui me semble un besoin particulièrement important : une meilleure coordination de l’appareil réglementaire pour tracer une voie plus claire pour les investisseurs et les promoteurs de projets. Je pourrai parler de ce sujet plus en détail si cela vous intéresse durant la période des questions. Merci.

La vice-présidente : La parole est maintenant à M. Leach.

[Traduction]

Andrew Leach, professeur, Université de l'Alberta, à titre personnel : Merci, madame la présidente.

Je suis professeur en économie et en droit à l’Université de l’Alberta. Mes recherches et mon enseignement portent exactement sur les questions dont nous débattons aujourd’hui, c’est-à-dire la conciliation du secteur pétrolier et gazier avec les changements climatiques. Pour être plus précis, de tous les thèmes qui feront l’objet du rapport du comité, le positionnement stratégique du secteur pétrolier et gazier et son alignement avec les cibles du Canada constituent probablement mon principal champ d’intérêt.

[Français]

Je suis aussi intéressé par les solutions qui visent à atteindre la carboneutralité ainsi que les capacités de nos gouvernements en ce qui a trait à la gestion de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone. Je vais en parler pendant la période des questions, si vous le souhaitez.

[Traduction]

Les autres témoignages présentés devant le comité, que j’ai eu la chance de consulter, ont bien décrit la contribution du secteur pétrolier et gazier à l’économie canadienne, particulièrement leur incidence sur les personnes qui vivent et qui travaillent dans les provinces productrices d’énergie.

Par contre, nous mesurons trop souvent l’importance de la contribution d’un secteur uniquement à l’aune des emplois qui y sont rattachés. Or, l’incidence de l’industrie pétrolière et gazière au Canada est beaucoup plus vaste. En effet, le développement technologique et les investissements canadiens et étrangers dans cette industrie ont permis de débloquer les plus grandes réserves d’hydrocarbures dans le monde. Comme vient de le souligner M. Dupont, ces activités font accroître la prospérité au pays et garantissent notre sécurité énergétique. Ces considérations sont loin d’être triviales, surtout aujourd’hui.

Nous sommes donc confrontés à deux réalités contradictoires. L’industrie pétrolière et gazière au Canada contribue énormément à notre prospérité, mais les produits dérivés et la combustion des produits du pétrole et du gaz nous dirigent droit vers des changements climatiques catastrophiques. La conciliation de ces deux réalités dans les politiques économiques, dans les politiques publiques et dans les lois, entre autres, constitue le défi d’une génération pour le Canada. C’est à ce défi que j’ai consacré le plus clair de ma carrière. Je vais vous faire part de quelques statistiques qui illustrent bien les deux côtés de la problématique.

Les données indiquent que 2022 s’est avérée la cinquième ou la sixième année la plus chaude jamais enregistrée. Les huit années les plus chaudes ont été les huit dernières années. Nous ne pouvons pas attribuer un événement en particulier aux changements climatiques, mais nous savons que les probabilités de catastrophes climatiques augmentent. Ce que la climatologie ne nous dit pas — n’en déplaise à ceux qui nous disent d’écouter la science —, c’est ce que devraient faire les petites économies ouvertes comme la nôtre, qui possèdent une industrie pétrolière et gazière dynamique. La climatologie ne nous révèle pas les mesures et les politiques que vont adopter les autres pays ni l’incidence que ces mesures et ces politiques vont avoir sur le Canada. Je vais esquisser à présent une brève description de la position du Canada dans le monde.

Tout d’abord le Canada continue dans la voie de l’engagement excessif et des promesses non tenues sur la scène internationale. À Glasgow, nous nous sommes engagés à réduire de 40 % à 45 % les émissions par rapport aux niveaux de 2005 d’ici 2030. Notre cinquième rapport semestriel, que nous avons remis il y a deux semaines, fait plutôt état d’une réduction des émissions de 33,5 % et de l’ajout d’une bonne couche de politiques au train de politiques en place. Nous avons miné cette grande réussite en nous coupant l’herbe sous le pied.

Les projections ambitieuses du secteur pétrolier et gazier font état d’une diminution de seulement 21 % d’ici 2030. Les émissions produites par le transport — les émissions du puits à la roue, comme on les appelle parfois — reviendront à peine aux niveaux de 2005 d’ici 2030. L’entêtement de ces deux secteurs de l’économie canadienne est consternant.

Ces projections d’émissions du secteur pétrolier et gazier tablent secrètement sur deux hypothèses. La première hypothèse veut que pour avoir la moindre chance d’atteindre les cibles, il faille déployer de nouvelles technologies coûteuses. La deuxième, qui sous-tend la première, veut que la croissance du marché mondial des sables bitumineux entraîne une augmentation de 30 % de la production par rapport au niveau actuel. Cette conjoncture amènerait le secteur à prendre de l’expansion et à investir dans de nouvelles technologies tout en poursuivant sa production de pétrole.

La première hypothèse repose largement sur les technologies de captage et de stockage du carbone, mais, surtout, sur la présomption que les gouvernements et les actionnaires parieront ensemble des milliards de dollars sur la réduction de la production de pétrole et de gaz et le traitement des émissions. On nous sert souvent ce lieu commun selon lequel les autres vont toujours vouloir payer pour le pétrole et le gaz canadiens. La question fondamentale est de savoir combien ils vont être prêts à payer. Allons-nous nous retrouver, comme en 2015, avec un grand nombre d’actifs à long terme dont il sera impossible de se débarrasser parce que le monde connaîtra une surabondance de pétrole facile? Les propriétaires de ces actifs seront-ils en mesure d’assumer leurs obligations environnementales pour éviter que la facture soit encore refilée aux contribuables, comme nous le voyons en Alberta en ce moment? Il n’y a pas de réponse claire à cette question.

Je voudrais mettre l’accent sur une chose. Ceux qui vous proposent de parier sur l’accroissement de la demande mondiale en pétrole — peu probable pour le gaz, mais possibilité bien réelle pour le pétrole — vous proposent en fait de parier sur un monde passif devant les changements climatiques. Pour conclure, je demanderais au comité de réfléchir sur le bien-fondé de cette gageure. Merci.

[Français]

La vice-présidente : Merci beaucoup, monsieur Leach. Nous allons maintenant écouter notre troisième témoin, qui est M. Dan Wicklum.

[Traduction]

Dan Wicklum, coprésident, Groupe consultatif pour la carboneutralité : Merci, madame la présidente. Je vais me présenter, moi et l’organisme que je représente. Je vais modifier un peu me déclaration pour ne pas répéter les commentaires, fort pertinents, des deux premiers témoins.

Je témoigne à titre de coprésident du Groupe consultatif pour la carboneutralité, organisme indépendant et permanent constitué au titre de la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité. Les membres nommés par le gouverneur en conseil qui composent ce groupe ont pour mission de conseiller le gouvernement du Canada principalement en ce qui concerne les cibles provisoires de réduction des émissions en vue d’atteindre la carboneutralité en 2050 et les voies de transition les plus efficaces qui nous y mèneront.

Le groupe a été mis sur pied il y a environ deux ans. Il a publié trois rapports, dont le premier faisait le sommaire des 12 voies de transition économiques en place actuellement dans le monde en vue d’atteindre la carboneutralité. Nous avons extrait de ces mesures 10 valeurs et principes qui continuent d’orienter notre travail et continueront à le faire jusqu’à nouvel ordre.

Voici deux principes qui devraient vous intéresser. Le premier indique qu’il faut « se méfier des voies sans issue ». Les mesures qui réduisent les émissions à l’heure actuelle ne sont pas nécessairement de bonnes candidates pour une véritable économie carboneutre. C’est très séduisant d’investir dans des modèles d’affaires ou des technologies au motif qu’ils réduisent les émissions, alors que ce qu’ils font vraiment, c’est de nous confiner à des technologies qui feront augmenter les coûts globaux de la carboneutralité et qui causeront des retards. Notre premier rapport renfermait des principes similaires.

Notre deuxième rapport proposait 40 conseils destinés au gouvernement du Canada en vue de la publication de son premier plan de réduction des émissions pour 2030. Ces conseils sont repris intégralement dans une annexe du plan de réduction des émissions. Ils ont été formulés à la demande du ministre de l’Environnement et du Changement climatique dans le cadre de l’élaboration de la future réglementation du gouvernement fédéral sur la réduction des émissions associées au pétrole et au gaz.

Notre troisième rapport, qui a été rendu public il y a environ deux semaines, renferme environ 25 conseils dont le gouvernement se servira pour parachever son prochain plan de réduction des émissions, qui devrait être publié en 2023.

J’ai deux réflexions pour vous. Premièrement, depuis l’Accord de Paris de 2015, le concept de carboneutralité a été adopté dans le monde entier. Ce concept est toutefois très différent de la réduction des émissions, le paradigme avec lequel nous avons presque tous vécu tout au long de notre vie adulte, et qui découle de la signature de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, ou CCNUCC, en 1992. Franchement, le Groupe consultatif pour la carboneutralité n’a pas beaucoup de patience à l’égard des organisations qui ont l’impression ou qui prétendent que le concept de réduction des émissions — et maintenant d’élimination des émissions — arrive de nulle part et qu’elles ont besoin de plus de temps. Cela fait plus de 30 ans que nous savons que cela s’en vient, et la plupart d’entre nous en avons entendu parler pendant la majeure partie de notre vie adulte. Cela ne date vraiment pas d’hier.

Cependant, certaines choses ont changé, notamment le paradigme de carboneutralité. Soulignons que pendant la majeure partie du temps depuis 1992, les scientifiques nous disaient que la réduction des émissions était suffisante. Nous aurions pu gérer les changements climatiques en réduisant les émissions, mais tous les pays du monde ont tergiversé trop longtemps. Maintenant, on nous dit qu’il faut éliminer les émissions dans une optique de carboneutralité. Il y a des conséquences à ne pas faire les choses correctement.

On tend parfois à considérer l’impact de la carboneutralité sur le secteur pétrolier et gazier — les questions comme celle dont nous discutons aujourd’hui — comme un compromis entre l’activité économique et l’atteinte de la carboneutralité. C’est un compromis, mais il est important de comprendre en quoi consiste cet échange. La contrepartie, c’est des dommages permanents à la planète, le dérèglement permanent des systèmes planétaires, ce qui signifie qu’à l’avenir, chaque être humain, chaque génération, aura une vie plus difficile que celle que nous avons aujourd’hui. Voilà la contrepartie que nous devons garder à l’esprit.

Il convient aussi de garder à l’esprit qu’une bonne partie du monde a désormais embrassé le paradigme de la compétitivité, notamment les États-Unis, avec l’Inflation Reduction Act. Ils investissent massivement dans l’accélération de la décarbonisation de leur société, et pas uniquement dans le but de protéger la planète; ils sont axés sur la compétitivité afin de nous surpasser dans le développement des technologies, des secteurs et des entreprises. Il s’agit d’une tendance fondamentalement nouvelle qui a émergé ces deux dernières années. Donc, il y a des désavantages économiques, mais il y a aussi des avantages à prendre en considération.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Ma question s’adresse à M. Leach. J’aimerais que vous vulgarisiez davantage votre propos, qui est de très haut niveau, à mon avis. Aidez-nous, les parlementaires. Nous avons besoin de savoir ce qu’il faut faire pour assurer une transition afin que la planète survive. Ce que vous nous dites, c’est que si nous continuons à produire du pétrole, nous n’arriverons pas à remédier au changement climatique. C’est ce que j’ai compris de votre présentation.

Donc, que faut-il faire? Je sais que c’est une grande question et vous avez mentionné que personne n’avait de réponse absolue. Faut-il continuer d’investir dans la technologie pour décarboner la production de pétrole, tout en continuant d’en produire? Actuellement, on est en train d’augmenter la production de pétrole. Expliquez-nous simplement ce qu’il faudrait faire. Je sais qu’il n’y a rien de simple. Quelle est la voie à suivre?

M. Leach : C’est une très vaste question.

[Traduction]

Premièrement, il n’y a pas de solution unique, même pour les installations du secteur pétrolier et gazier. Je vais d’abord parler du pétrole, puis du gaz, car je pense que leurs contextes sont différents.

Dans le secteur pétrolier, nous avons actuellement beaucoup d’installations de production de pétrole à très faible coût qui génèrent d’énormes revenus. La plupart de ces installations demeureront viables quoi qu’il arrive, ou presque. La question est donc de savoir s’il faut construire de nouvelles installations et, si oui, comment? Ensuite, il faut déterminer comment modifier certaines installations existantes. Je pense que la réponse, c’est que les installations où l’industrie peut investir dans un approvisionnement décarbonisé sans changer fondamentalement le modèle d’affaires — les meilleures ressources de sables bitumineux, par exemple —, décarboniser cette production et maintenir des coûts peu élevés représentent une option, absolument. Il y aura toujours un marché durable pour certains approvisionnements en pétrole à l’avenir.

Par contre, il existe d’autres installations qui brûlent encore des sous-produits de coke de pétrole, comme l’usine de valorisation dans le nord de l’Alberta. Il y a certains procédés qui ne seront pas viables dans un monde sous contrainte carbone. Voilà où l’industrie aura des choix difficiles à faire — pas nécessairement par rapport à cette technologie précise, mais de manière générale — pour reconnaître, comme on le ferait pour tout autre technologie ou procédé de fabrication, qu’une installation ou un procédé qui n’est pas viable n’est pas la voie à suivre dans un monde et un Canada sous contrainte carbone.

Quant au secteur gazier, la question est plus complexe que pour le pétrole — comme M. Wicklum l’a indiqué dans son témoignage très pertinent —, car diverses avenues s’offrent au pays du monde pour la transition dans ce secteur. Certains sont très axés sur le gaz, de sorte qu’une bonne partie de l’infrastructure de transport du gaz au Canada serait viable à long terme, surtout si la tendance est à l’électrification. D’autres pays du monde abandonnent très rapidement le gaz. Je vous dirais, par rapport aux activités du Canada, c’est que nous sommes un petit joueur dans l’économie mondiale de l’énergie. Pour revenir au point soulevé par M. Wicklum, nous devons éviter de nous limiter à une vision particulière. Je parle du gouvernement du Canada — sans exclure les capitaux privés, qui sont certes les bienvenus —, mais je pense qu’il ne serait pas bien que le gouvernement décide de fonder toute sa stratégie budgétaire sur une technologie donnée, sur une catégorie donnée, ou sur une vision précise de l’économie mondiale de l’énergie de l’avenir.

J’ai juste un dernier point. À la fin, j’ai invité à la prudence. Ceux qui tentent de vous vendre à l’idée d’un monde dans lequel nous utiliserons toujours plus de pétrole chaque année, d’année en année, vous invitent implicitement à miser sur un monde qui ne fait rien pour lutter contre les changements climatiques, peu importe ce que fera le Canada. Je veux savoir si vous êtes à l’aise avec ce pari.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Monsieur Dupont, pourriez-vous répondre à cette grande question?

M. Dupont : Doit-on continuer à produire du pétrole? Je pense que M. Leach a bien répondu à la question. Il y a de la demande pour encore plusieurs années, et on peut produire ce pétrole tout en décarbonant la production au Canada. Il y a encore possiblement une rente que l’on peut réaliser au Canada et celle-ci nous donne des ressources supplémentaires pour investir dans notre transition énergétique. Donc, il peut y avoir une dynamique favorable à une transition.

De mon point de vue, cela se résume à choisir entre une contraction ou une transition. Si on est strictement dans un mode de contraction, ce ne sera pas nécessairement une contraction qui se fera de façon fluide, sans choc, sans perturbation. Évidemment, cela se produira notamment dans les provinces productrices, mais également dans les marchés de façon plus large. Il faut donc, dans la mesure du possible, accompagner la transition. Celle-ci nécessite des investissements dans la décarbonation. Si on peut réaliser des bénéfices en vendant du pétrole et du gaz tout en investissant dans cette transition, je pense que c’est une bonne affaire dans l’ensemble.

Donc, il faut voir le problème dans son ensemble : les revenus que l’on peut en tirer, ce que l’on fait avec ces revenus, comment faire une transition plutôt que de faire simplement une contraction de l’activité.

[Traduction]

M. Wicklum : J’ai quelques commentaires à faire, et je m’appuierai sur le commentaire de M. Leach. Nous devrions avoir une perspective très différente concernant les actions de l’industrie et les mesures prises par les gouvernements par l’intermédiaire des investissements publics. L’industrie devrait pouvoir faire ce qu’elle veut. Si elle veut miser sur un monde qui ne se décarbonise pas et n’atteint pas la carboneutralité, soit. C’est son argent, et elle devrait pouvoir le faire. Toutefois, les fonds publics devraient être résolument consacrés à l’atteinte de la carboneutralité, que ce soit au pays ou à l’échelle mondiale. L’idée d’avoir une économie carboneutre tout en continuant de brûler du pétrole et du gaz n’est absolument pas crédible.

Le Groupe consultatif pour la carboneutralité ne peut pas le dire en termes plus clairs : les fonds publics devraient préférablement être réservés au développement de nouveaux secteurs, de nouvelles entreprises et de nouveaux systèmes qui sont carboneutres et fonctionnels, donc à la construction de la nouvelle économie et non au soutien de l’ancienne économie fondée sur la combustion du pétrole et du gaz.

La sénatrice Seidman : Je remercie tous les témoins de leur présence. J’aimerais m’adresser à vous, monsieur Wicklum. Je regarde vos recommandations pour le Plan de réduction des émissions pour 2030. Il s’agit de votre document d’avis au gouvernement. La gouvernance est l’un des quatre thèmes que vous avez examinés dans le cadre de votre étude, et votre groupe a présenté huit recommandations au gouvernement à cet égard. Je m’intéresse plus particulièrement aux recommandations 3 et 4, qui portent sur les données. Votre troisième recommandation est la suivante :

Accorder la priorité au développement d’une plateforme numérique pour les données, les renseignements et la surveillance concernant les changements climatiques d’ici la fin de 2023.

Puis, la quatrième recommandation se lit comme suit :

S’assurer que les modèles et les méthodes analytiques utilisés pour les prévisions et l’évaluation des progrès du Canada concernant les cibles de réduction des émissions sont transparents, solides et coordonnés

J’adore cette recommandation. Le gouvernement a-t-il accepté votre recommandation? Savez-vous s’il y a donné suite?

M. Wicklum : Je dirais au comité, à titre de référence, que nous avons ce qu’on appelle des « champs d’enquête », autrement dit des priorités. Actuellement, nos trois principales priorités sont les systèmes énergétiques carboneutres pour l’avenir, la politique industrielle et la notion de gouvernance. La gouvernance consiste à déterminer si le pays a la capacité institutionnelle, les stratégies et les relations nécessaires pour atteindre la carboneutralité.

Nous sommes fiers de ces deux recommandations. La première porte essentiellement sur une reddition de comptes améliorée et accessible aux Canadiens. La deuxième porte sur les mesures que nous jugeons possibles et nécessaires afin d’améliorer considérablement la modélisation des voies vers la carboneutralité.

Votre question était de savoir si le gouvernement met en œuvre ces recommandations. Nous avons informé le ministre de l’Environnement et des Changements climatiques ce matin. Il a été extrêmement attentif et a posé d’excellentes questions. En fin de compte, cependant, il revient au gouvernement de décider s’il veut suivre nos recommandations. Nous ne sommes pas des élus. Nous pouvons interpeller et conseiller le gouvernement, mais les décisions lui incombent.

Au fil du temps, nous pourrons faire un bilan et informer la population canadienne de la mesure dans laquelle le gouvernement suit nos recommandations, mais il faut savoir que nous le conseillons depuis seulement deux ans.

La sénatrice Seidman : Je suis heureuse d’apprendre que vous avez eu une rencontre avec le ministre.

Dans votre rapport, vous indiquez aussi ce qui suit :

Les gouvernements, l’industrie et les experts externes de divers domaines, comme le monde du travail, les sciences et l’économie, peuvent travailler ensemble plus efficacement s’ils ont accès à des modèles, analyses et données fiables, transparents et comparables. Le GCPC a l’intention de mener d’autres enquêtes sur ces domaines en 2022.

Je sais que nous sommes déjà en 2023, mais j’aimerais savoir si vous avez commencé ce travail et si vous avez quelque chose à ajouter.

M. Wicklum : Oui, nous avons commencé. Sénatrice, je vais revenir à l’un des principes initiaux qui sous-tendent notre travail. L’un de ces principes, c’est que nous sommes d’avis qu’apporter des changements graduels aux systèmes existants dans les secteurs de l’énergie, du transport et du bâtiment ne nous permettra pas soudainement, comme par magie, d’avoir des systèmes fonctionnels carboneutres en 2050. Nous sommes d’avis qu’il faut définir les systèmes futurs, puis construire une voie pour y arriver.

Or, la plupart des modèles dont nous disposons ne sont, en fait, que des équations mathématiques qui décrivent le monde existant. En modifiant les équations, on voit comment le monde existant change légèrement.

Il n’y a pas d’excellents modèles pour déterminer quels systèmes fonctionnels existants sont carboneutres. Donc, nous sommes d’avis qu’il faut consacrer davantage d’efforts à l’élaboration de nouveaux modèles. Nous travaillons avec plusieurs tiers externes pour élaborer un ensemble de travaux, en collaboration avec des experts, pour créer de meilleurs modèles et faire plus de modélisation dans ce qui est, franchement, une communauté plus collaborative.

La sénatrice Seidman : Mais c’est sans aucun doute un défi.

M. Wicklum : Tout est un défi.

La sénatrice Seidman : Très bien. Je vous remercie, monsieur Wicklum, de votre réponse.

Monsieur Leach, j’aimerais poser une petite question au sujet de votre lettre d’opinion publiée sur le site de la CBC qui portait sur les puits orphelins. Vous avez conclu que la première ministre de l’Alberta doit :

... trouver une façon de s’assurer qu’une cagnotte est réservée pour chaque site et financée à même l’argent de ceux qui ont profité de l’exploitation des sites pendant des décennies.

Je sais que c’est un problème grave. Le comité a lui-même étudié très attentivement la question dans le cadre d’une autre étude. Nous devons sceller les puits orphelins. J’essaie d’être pragmatique, mais bon nombre de ces entreprises sont maintenant insolvables. Que peut faire le fédéral pour veiller à ce que ces puits soient scellés dans les plus brefs délais?

M. Leach : C’est une excellente question.

Pour ce commentaire, j’ai simplement repris une expression utilisée par l’actuelle première ministre Smith dans un éditorial du Calgary Herald. Il y avait là un brin d’ironie.

Cela signifie, comme vous l’avez clairement indiqué, qu’il y a des puits qui n’ont pas de propriétaire solvable pouvant s’acquitter de ces responsabilités. Il y a déjà une disposition qui permet de déclarer les sites « puits orphelins », essentiellement, puis de les confier à l’Orphan Well Association à des fins d’assainissement, ce qui est financé par une redevance imposée aux acteurs actuels de l’industrie. Voilà l’accord — à défaut d’un meilleur terme —, conclu entre l’industrie et le gouvernement il y a des années. Cela ne devrait pas être à la charge des contribuables, mais de l’industrie. C’est toujours le même message dans divers autres dossiers : il incombe à l’industrie dans son ensemble de s’en occuper.

Donc, je pense que ce mécanisme existe déjà.

Les défis qu’on observe en Alberta actuellement sont liés à deux choses. Premièrement, il est difficile de pousser une entreprise à l’insolvabilité, en particulier si elle ne doit pas d’argent à la banque ou au gouvernement. L’organisme de réglementation n’est pas disposé à le faire. Voilà pourquoi on se retrouve avec des puits dont le dossier est en suspens, des puits qui ne sont pas techniquement orphelins, et qui ne tombent donc pas sous la coupe de l’Orphan Well Association. Ces sites ne sont pas assainis, les propriétaires fonciers ne sont pas payés, les municipalités non plus, et tout le monde est là, debout, à se regarder le nombril en disant « Bon, qu’est-ce qu’on fait, maintenant? ».

La première chose à faire est d’appliquer le principe du pollueur-payeur et de dire que si ces entreprises sont réellement insolvables, il est temps de les traiter comme telles. S’il ne s’agit pas d’entreprises insolvables, il est temps d’éliminer la possibilité de prolonger ces permis indéfiniment. S’il s’agit réellement de puits dont l’exploitation est suspendue, il faut modifier l’échéancier et porter ces dossiers à l’attention de l’Orphan Well Association ou quoi que ce soit d’autre.

Comme vous l’avez peut-être constaté, je n’aime pas particulièrement le programme proposé actuellement. Cela revient essentiellement à dire que si vous avez beaucoup de puits de ce genre, que vous les avez laissés à l’abandon et que vous avez accumulé des passifs environnementaux sur des terres rurales, pas de problème, nous allons payer la facture. Par contre, si vous avez été un bon citoyen, nous ne vous donnerons rien. C’est comme un gros chèque du gouvernement pour récompenser les pires acteurs. Je ne suis vraiment pas très chaud à l’idée.

La sénatrice Batters : Ma question s’adresse à M. Wicklum.

Dans un précédent rapport consultatif au gouvernement, le Groupe consultatif pour la carboneutralité se dit d’avis que la transition devrait « donner la priorité aux individus et aux communautés », en déclarant ce qui suit :

Les cibles du secteur pétrolier et gazier doivent être accompagnées de mesures visant à répondre directement aux besoins des citoyens canadiens.

L’atteinte d’objectifs ambitieux pour le secteur pétrolier et gazier aura des répercussions sur les travailleurs, les familles et les communautés du Canada — en particulier ceux qui sont directement liés au secteur pétrolier et gazier.

Votre rapport indique en outre : « La réduction des émissions de GES est une responsabilité partagée, tout comme le soutien aux personnes touchées. »

Je viens de la Saskatchewan. Étant donné les dizaines de milliers d’emplois perdus jusqu’à maintenant dans le secteur pétrolier et gazier, dans quelle mesure êtes-vous convaincu que le gouvernement parviendra à trouver le bon équilibre et à « donner la priorité aux individus et aux communautés », comme le propose le Groupe consultatif?

M. Wicklum : Je reviens sur la partie de cette citation qui parle du partage des responsabilités. Du point de vue du Groupe consultatif sur la carboneutralité, cette idée de transition vers un avenir prospère n’est pas uniquement une responsabilité du gouvernement fédéral; le palier provincial et le palier municipal, ainsi que le secteur privé en sont tout aussi responsables.

Dans le secteur pétrolier et gazier, j’ai constaté un changement dans le discours. J’ai été président et directeur général de la Canada’s Oil Sands Innovation Alliance, ou COSIA, pendant sept ans. L’un de nos slogans principaux, à l’époque, était qu’il fallait maintenir la vigueur du secteur des sables bitumineux, parce que c’était le secteur qui aiderait le Canada à entrer dans un avenir carboneutre. Ce discours paraissait plausible.

La réalité est que ces entreprises ont depuis pris la décision qu’elles n’allaient pas nous aider à entrer dans un avenir carboneutre. Elles prennent leurs profits et les redistribuent à leurs actionnaires. Elles remboursent leurs dettes et rachètent des actions.

Alors, est-ce la responsabilité du gouvernement fédéral? Je pense que la responsabilité est très partagée. Dans le cas présent, je constate l’ampleur remarquable des profits des entreprises de sables bitumineux. J’affirmerais qu’elles sont tout aussi responsables d’aider leurs employés à faire la transition que le sont les gouvernements.

D’autres désapprouveront cette idée et diront que le secteur privé a pour seule responsabilité d’offrir du rendement aux actionnaires.

À mon avis, le concept de carboneutralité change tout, même la définition de ce que doit être une entreprise et du rôle qu’elle doit jouer dans notre société. Je crois que ce sont ces questions existentielles qui ressortent de l’impératif moral d’atteindre la carboneutralité.

Je reformulerais la question pour suggérer — et je crois que c’est le point de vue de notre groupe — que la création d’emplois et la prospérité future sont tout à fait une responsabilité partagée entre le secteur privé et tous les paliers de gouvernement.

La sénatrice Batters : D’accord, sauf que votre rapport consultatif s’adressait au gouvernement et offrait des conclusions et des suggestions directement au gouvernement, en indiquant que le soutien doit être ciblé et dirigé vers les personnes touchées directement.

Nous sommes des politiciens fédéraux, alors quel rôle doit jouer le gouvernement fédéral, à votre avis? De plus, je répète ma question : dans quelle mesure avez-vous confiance que le gouvernement jouera son rôle? Je comprends ce que vous dites, que vous ne croyez pas que le gouvernement fédéral porte l’entière responsabilité de cet enjeu, mais dans quelle mesure avez-vous confiance qu’il jouera son rôle, et quelle doit être l’ampleur de ce rôle?

M. Wicklum : À nouveau, j’offre une réflexion à ce propos.

Nous avons la conviction que tous nos conseils doivent être pris en compte dans leur totalité, comme un bloc. Je comprends que vous vous intéressiez à un conseil en particulier, mais il y a une autre section complète où nos conseils portent sur la gouvernance, le partage des responsabilités en matière de leadership et ce qu’on appelle de plus en plus le « leadership partagé ». Le gouvernement fédéral a un rôle, absolument, tout comme le gouvernement de la Saskatchewan, toutes les municipalités et l’industrie.

Il s’agit d’un sujet hautement controversé. Je vous parle de mon sous-sol, juste à l’ouest du centre-ville de Calgary. Le gouvernement fédéral a songé à proposer une mesure législative nommée « loi sur la transition équitable » qui s’est attiré les foudres. Je pense que tout le monde s’entend maintenant pour dire qu’un meilleur titre serait « loi pour la prospérité des emplois de l’avenir ».

Voilà ce qui, à ma connaissance, fait partie de la réflexion du gouvernement en ce qui concerne cette notion de transition, mais je veux également m’assurer de ne pas me faire attribuer le rôle de porte-parole du gouvernement. Notre rôle est de conseiller le gouvernement, et notre conseil est de jouer un rôle qui lui revient. La question de savoir s’il jouera effectivement ce rôle ou non, je crois, dépendra de ce qu’on entend par « rôle qui lui revient », ce qui variera selon l’interlocuteur.

La sénatrice Batters : Bien sûr. Mais je ne suis pas seule à m’inquiéter à ce propos. Des dizaines de milliers de Canadiens de l’Ouest, la région que je représente, s’en inquiètent également beaucoup.

[Français]

Le sénateur Gignac : Je remercie les témoins d’être avec nous ce soir. Je salue particulièrement le premier témoin, M. Dupont, avec qui j’ai eu l’occasion d’interagir dans nos réunions bilatérales lorsqu’il occupait le poste de sous-ministre des Ressources naturelles à Ottawa et que j’occupais le poste de ministre des Ressources naturelles à Québec. J’aurais deux questions pour M. Dupont, et j’aimerais lui demander d’en tenir compte dans ses réponses.

[Traduction]

Je vous cite. En décembre 2021, vous avez affirmé que :

Sans un changement important et sans nouvelles stratégies, nous serons incapables de maintenir […] notre train de vie et de réussir la transition vers une économie faible en carbone […]

Le titre de l’article est « Le Canada est dans le pétrin. Nous n’avons pas de plan crédible pour un avenir prospère. »

[Français]

Ma question est la suivante : il y a eu un budget fédéral, un énoncé économique, et on a créé une société qui s’appelle le Fonds de croissance du Canada. Est-ce que vous êtes toujours du même avis ou est-ce qu’on va dans la bonne direction?

[Traduction]

M. Dupont : Je ne reconnais pas mes mots. Je vous crois sur parole. J’emploie généralement un langage plus diplomatique.

Le sénateur Gignac : C’était dans le Hill Times.

M. Dupont : Écoutez, j’essaie ce soir de présenter un argument de base. La réussite d’une transition énergétique est un défi sans précédent pour le monde et pour le Canada. Nous tentons, en 25 ans, de transformer un système énergétique qu’on a mis plus de 100 ans à bâtir. Nous pourrions, par exemple, devoir doubler ou tripler la taille de notre réseau électrique en 30 ans, réseau qui, je le répète, a été construit en 130 ans, voire plus. Nous devons passer d’un monde dépendant à 80 % des énergies fossiles à la carboneutralité, ce qui ne veut pas dire 0 % de combustibles fossiles. Il y a différents moyens. On parle de carboneutralité.

Il s’agit d’un enjeu absolument fondamental et d’une entreprise qui est possiblement sans précédent. Pour la mener à bien, il faut avoir le type de plans sur lesquels planchent M. Wicklum et son groupe consultatif, une certaine harmonisation, mais il devra aussi y avoir des conditions assorties aux investissements à venir. Je suis d’avis que cela doit inclure des investissements des sociétés pétrolières et gazières pour décarboner leurs activités.

Je n’affirmerais pas aujourd’hui, monsieur le sénateur, qu’il n’y a pas de plan, que nous n’avons rien. Le gouvernement a mis en place un certain nombre d’instruments. Il faut les faire fonctionner de concert, et pour que les investissements aient vraiment lieu maintenant, pour rehausser le niveau d’investissement de manière à pouvoir travailler à l’atteinte des cibles, je dirais que c’est l’exécution qui représente actuellement le plus grand défi. Nous avons mis en place beaucoup d’instruments : la tarification du carbone, d’autres mesures réglementaires, d’autres instruments financiers, des mesures fiscales pour stimuler certains investissements et le Fonds de croissance du Canada, qui est en cours de création. Tous ces instruments vont aider. Il nous faudra être en mesure de faire l’exécution et de mener les projets à terme. Et il faudra aussi, je l’ai déjà mentionné, se pencher sur l’aspect réglementaire, pour être en mesure de construire des infrastructures, que ce soit une ligne de transport ou autre, en moins de 10 à 12 ans. Parce qu’autrement, la transition ne fonctionnera pas.

Si l’on examine ce qui a été fait au cours des 10 dernières années, on constate qu’on ne fera pas de progrès suffisamment rapidement sans changements. M. Wicklum a affirmé exactement la même chose. Il faut tout de même réfléchir à la façon d’amener le secteur privé et le secteur public à collaborer sur une avenue crédible. Je ne suis pas convaincu que nous y soyons arrivés pour l’instant.

Le sénateur Gignac : C’est peut-être votre collègue, David Dodge, qui a utilisé cette expression. Je peux comprendre.

M. Dupont : M. Dodge est parfois moins diplomate que moi.

[Français]

Le sénateur Gignac : Pour ma seconde question, nous avons reçu Mark Carney, l’ex-gouverneur de la Banque du Canada, qui nous a parlé des caisses de retraite et des fonds de pension au Canada. Certains fonds de pension réduisent leur empreinte carbone en liquidant leurs positions dans le secteur de l’industrie pétrolière et ne contribuent pas à décarboner l’économie. Pouvez-vous nous en dire davantage? N’y a-t-il pas un rôle important à jouer pour les caisses de retraite, qui représentent environ 150 % du PIB canadien? Devons-nous être un peu plus directifs à l’égard des caisses de retraite, puisqu’on désinvestit dans le Canada et qu’on investit dans des pays qui ne sont pas nécessairement des pays amis ni des pays démocratiques? Est-ce qu’il y a une réflexion à faire de ce côté?

M. Dupont : Je crois qu’il faut être très prudent lorsqu’il s’agit de donner des directives à des fonds de retraite, qui ont une organisation et une gouvernance dont l’objectif est d’assurer de bons rendements pour les retraités. Je pense que vous l’aurez constaté comme ministre au Québec, on est quand même très prudent par rapport à la Caisse de dépôt et placement du Québec.

Cela dit, au Canada, la Banque de l’infrastructure a essayé de voir comment on pourrait attirer le capital privé, notamment les fonds de retraite et les investisseurs institutionnels, dans des investissements et dans l’infrastructure, y compris l’infrastructure de transport ou l’infrastructure énergétique. On n’a pas encore tout à fait réussi à le faire.

Je ressens moi-même un peu d’impatience lorsque je vois nos fonds de retraite qui investissent parfois dans des projets au sein d’autres juridictions qui ressemblent à des choses qu’on aimerait qu’elles fassent ici. Je crois qu’il est important que les organisations fassent leur travail, soit de voir quelles sont les occasions d’investir ici au Canada, mais elles le feront dans la mesure où elles peuvent réaliser un rendement financier positif. Il y a un rôle que peuvent jouer les gouvernements pour assurer les conditions qui permettront d’avoir cet apport de l’investissement et des investisseurs institutionnels dans notre transition énergétique et dans nos objectifs climatiques.

[Traduction]

La sénatrice McCallum : Nous vous remercions pour vos déclarations préliminaires. J’aurais dû poser la question plus tôt. J’y pense depuis un moment déjà et je me demandais s’il y avait quelque chose qui m’échappait.

Pourquoi l’industrie demande-t-elle des fonds publics et des fonds privés alors qu’elle fait des millions de dollars de profit? Il me semble que les sociétés ne placent pas leurs efforts aux bons endroits : les puits orphelins, les bassins de décantation, les mines abandonnées. Tout cela se trouve près des terres autochtones. Les sociétés récoltent l’argent, mais il y a beaucoup de toxicité. C’est ma première question.

Lorsqu’on pense au captage et au stockage du CO2 — le CSC — ou au captage, à l’utilisation et au stockage du carbone — le CUSC — et au secteur de la transformation du gaz naturel, on sait que le gaz brûlé au bout de la chaîne de valeur est celui qui produit le plus d’émissions. Or, les deux propositions n’abordent pas cette question.

Ensuite, il y a la récupération assistée des hydrocarbures — la RAH —, qui crée des émissions de dioxyde de carbone parce qu’elle est utilisée pour produire plus de pétrole et non pour en réduire les émissions. Ainsi, toute prétention selon laquelle les systèmes de CO2- RAH réduisent les émissions de CO2 grâce à leur capacité nominale est exagérée.

Il semble y avoir des zones cachées, qui ne sont pas portées à notre attention.

Est-ce que le CSC et le CUSC représentent une manœuvre d’écoblanchiment pour prolonger la vie des actifs relatifs aux combustibles fossiles, ou est-ce qu’ils sont une panacée pour éviter les répercussions catastrophiques des changements climatiques? Ma question s’adresse à tous les témoins.

M. Leach : Je vais tenter d’y répondre en premier, sénatrice. Je crois que vous avez raison à de nombreux égards.

Premièrement, je dirais que dans certains cas, l’industrie souhaite s’exprimer comme une seule unité, mais cette unité prend souvent fin lorsqu’un des joueurs abandonne ses responsabilités ou laisse des actifs sur le terrain, etc. À ce moment-là, les autres s’en dégagent.

J’ai récemment étudié certaines questions relatives à la récupération des résidus pour un consortium des Premières Nations du nord de l’Alberta; j’ai un devoir de transparence à cet égard. Toutefois, je crois que nous sommes en droit de nous demander si les sociétés seront là jusqu’à la fin pour s’acquitter de ces responsabilités. M. Wicklum a travaillé à cette question de manière exhaustive.

Je crois que les questions que vous posez au sujet du CSC ou du CUSC sont justes. La RAH n’est pas une panacée et elle a une incidence sur les émissions. Toutefois, étant donné l’importance du CUSC dont ont parle, même pour la décarbonisation des sables bitumineux et le secteur du traitement du pétrole, on dépasse largement le CO2 qui serait utilisé pour la RAH. On passe directement au stockage. On pourrait reproduire ce que nous avons vu au Texas, soit le captage et la séquestration directs dans l’air, pour les produits de bâtiment et à d’autres fins également.

Je crois que la RAH représenterait une petite partie de l’équation, mais il est tout de même important — et je reviens au point que vous avez fait valoir — de tenir compte non pas de la quantité de carbone qui entre dans le sol, mais bien des répercussions nettes.

Je dirais que la vérité se situe entre les deux. Il ne s’agit pas du tout d’une panacée, parce qu’on ne s’attaque pas aux émissions d’échappement ou de combustion des combustibles fossiles, mais ce n’est pas uniquement une manœuvre d’écoblanchiment non plus.

À l’heure actuelle, on séquestre plus d’un million de tonnes de dioxyde de carbone par année grâce aux projets de captage et de stockage du carbone. Sur l’échelle des émissions canadiennes, c’est un chiffre assez modeste, mais cela représente tout de même des milliards de dollars de dépenses d’immobilisations et d’exploitation consacrées à la réduction significative des émissions, et on pourrait accroître cette capacité.

C’était beaucoup d’éléments dans une réponse, mais j’espère avoir bien répondu à votre question.

M. Wicklum : Je crois que vous posez les bonnes questions. Je vais me centrer sur la deuxième: est-ce que le captage et le stockage du carbone ou le captage, l’utilisation et le stockage du carbone représentent une manœuvre d’écoblanchiment? Je dirais que les opinions des membres du Groupe consultatif pour la carboneutralité varient, alors je vais vous donner la mienne, qui émane de mon travail pour ce qu’on appelle l’Accélérateur de transition.

Nous sommes partisans du captage et du stockage du carbone. Nous croyons que la technologie peut fonctionner et qu’elle fonctionne. Je ne sais pas si elle pourra fonctionner à l’échelle ou à la vitesse que nous souhaitons, et si elle pourra jouer le grand rôle que certains intervenants du secteur pétrolier et gazier souhaitent qu’elle joue. En gros, toutefois, la technologie fonctionne.

Comme je porte les deux chapeaux, je vous dirais qu’à mon avis, il faut surtout se demander qui va payer pour la technologie plutôt que de se demander quelles technologies peuvent utiliser certains secteurs ou sociétés pour réduire leurs émissions. Il faut aussi se demander qui les surveillera pour s’assurer qu’ils désignent et atteignent leurs objectifs.

La deuxième partie de ma réponse revient au rôle des investisseurs institutionnels, comme les régimes de pension. Le Groupe consultatif pour la carboneutralité a recommandé au gouvernement que toutes les institutions fédérales — les ministères, les organismes, les sociétés d’État... tout, y compris les fonds de pension — aient le mandat d’en faire plus pour que nous puissions atteindre la carboneutralité. Elles doivent examiner leur mandat et demander un changement législatif au besoin afin de déterminer le rôle qu’elles peuvent jouer en ce sens.

Si les investissements sont la clé de bon nombre de ces solutions de réduction des émissions — comme les investissements importants requis pour le captage et le stockage du carbone —, je crois que les fonds de pension doivent aussi jouer un rôle plus actif en la matière, même si l’on doit s’éloigner des actuels modèles opérationnels, modèles de risque et façons de penser.

Je vais revenir à mon discours préliminaire : il ne s’agit pas ici d’un défi ordinaire, où un échec ne signifie qu’une occasion ratée. Si nous n’atteignons pas la carboneutralité d’ici 2050, les prochaines générations seront toutes désavantagées.

Nous devons remettre en question nos façons de faire habituelles, même si cela signifie que les entités comme les fonds de pension devront assurer un nouveau rôle, et même un rôle plus actif, pour investir dans certaines de ces technologies.

La sénatrice McCallum : Dans le rapport intitulé The Carbon Capture Crux, on peut lire ceci :

[...] le nombre d’échecs et le rendement inférieur de ces projets associés à la technologie du captage du carbone ont surpassé le nombre de réussites de façon considérable [...] Dans 90 % des cas, la capacité de captage totale de notre échantillonnage faisait défaut ou était largement insuffisante.

Avez-vous un commentaire à faire à ce sujet?

M. Wicklum : Bien sûr. Je dirais simplement que le captage et le stockage du carbone n’existent pas depuis des centaines d’années, contrairement à bon nombre d’autres technologies. Celle-ci est relativement nouvelle, mais elle fonctionne. Je m’attends à ce qu’il y ait beaucoup d’expérimentation, d’échecs, d’améliorations et d’évolution au cours des premières étapes de développement et de mise en œuvre d’une technologie, alors pour moi ce n’est pas surprenant. Je crois toutefois que nous avons au Canada des gens très novateurs et des experts en technologie. Si vous pensez que mes commentaires d’aujourd’hui au nom du Groupe consultatif pour la carboneutralité sont contre le secteur pétrolier et gazier, ce n’est pas le cas. Nous croyons que ce secteur est doté d’une capacité d’innovation remarquable et que si l’on encourageait davantage ses acteurs, ils pourraient en faire plus, plus rapidement, notamment dans le domaine du CUSC.

La sénatrice McCallum : Merci.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Vous avez parlé plus tôt du fait que le secteur privé n’embarque pas nécessairement dans la transition, qu’il pense à court terme et qu’il parie même sur un monde où il y aura encore de la consommation de gaz et de pétrole. D’un autre côté, vous parlez de la nécessité d’attirer des investissements, y compris des investissements étrangers.

Comment peut-on attirer des investissements? Est-ce que cela veut dire que notre transition se fera aussi lentement que d’autres pays? Parce qu’il y aura toujours des pays qui auront des mesures de transition moins exigeantes qu’ici et qui seront plus attirants financièrement pour ceux qui sont intéressés à un retour immédiat ou à court terme de la consommation de gaz et de pétrole.

Monsieur Wicklum, vous êtes peut-être la personne qui doit concilier ces deux objectifs.

[Traduction]

M. Wicklum : Je ne sais pas comment on peut rapprocher ces deux objectifs, mais je crois que c’est le grand défi de notre pays et de la planète.

M. Leach a parlé de la tension associée à l’objectif de carboneutralité et au secteur pétrolier et gazier. L’une des réalités que nous devons accepter — et c’est ainsi qu’il l’a exprimé —, c’est que si des gens nous disent qu’il est possible d’avoir un secteur pétrolier et gazier sain, et d’utiliser ces produits dans le cadre de la combustion, cela sous-entend que nous n’atteindrons pas la carboneutralité. Autrement dit, nous ne pourrons pas brûler du pétrole et du gaz en 2050 et avoir un bilan énergétique nul. Ce qui est évident, c’est que le secteur aura beaucoup changé.

Dans une certaine mesure, on parle d’investir dans la décarbonisation et dans la réduction de l’intensité des émissions des produits pétroliers et gaziers, notamment les sables bitumineux, qui représentent les plus grands émetteurs de carbone dans le monde. Il s’agit toutefois d’une sorte de faux-fuyant. Ce qu’il faut, ce sont des investissements qui nous permettront de ne plus utiliser ces produits, notamment par l’entremise de l’électrification. Tout en reconnaissant les préoccupations de la Saskatchewan, nous savons qu’il y a d’importants avantages à bâtir de nouveaux systèmes fonctionnels et carboneutres; il faudra aussi d’importants investissements et une activité économique remarquable pour ce faire.

À certains égards, l’avenir du secteur pétrolier et gazier ne repose pas uniquement sur la réduction du volume des émissions du produit. C’est ce que seront les nouveaux secteurs, les nouvelles entreprises et les nouvelles économies qui nous permettra d’assurer les mêmes niveaux de vie et qui assurera des emplois aux habitants de la Saskatchewan. Si l’on se centre uniquement sur la décarbonisation ou sur la réduction du volume des émissions des produits pétroliers et gaziers, on ne s’attaque pas à l’ensemble du problème.

M. Leach : J’ajouterais que pour rapprocher les deux objectifs, il faut se poser des questions au sujet du taux de rendement. Est-ce qu’on tient compte du rendement d’un seul investissement en matière de décarbonisation ou est-ce qu’on en tient compte dans le cadre de l’analyse de rentabilisation existentielle de l’industrie dans son ensemble? On peut établir une comparaison avec la sécurité dans le domaine pétrolier et gazier : on n’entendrait jamais dire, dans le cadre d’une réunion à Calgary par exemple, qu’il serait bien d’investir dans la sécurité des travailleurs, mais que cela n’entraîne pas un bon taux de rendement. La sécurité est essentielle à la survie de ce secteur. Nous avons vu certaines entreprises examiner la question de la mauvaise façon ces derniers temps. Elles doivent voir la situation autrement — et cela émane d’un signal clair des gouvernements, du reste du monde, des marchés, des fonds de pension, des assureurs, des banques, etc. — et prendre des mesures qui leur permettent de maintenir leurs activités de base plutôt que d’évaluer la situation comme on évaluerait un investissement dans un hippodrome ou dans une suite au Saddledome pour voir les Flames. Ainsi, le rendement ne correspond plus seulement à la décarbonisation, mais aussi au maintien de la base d’immobilisations.

[Français]

La vice-présidente : Merci beaucoup.

J’aimerais en profiter pour remercier les trois témoins que nous avons entendus.

(La séance est levée.)

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